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Engagement et écriture protestante au féminin : les Mémoires de Madame de Mornay1

Nadine Kuperty-Tsur

Université de Tel Aviv

Il peut paraître étrange, au xxie siècle, de s’intéresser aux protestantes de la Renaissance2. Et pourtant : de quoi est faite leur époque, sinon d’affrontements sanglants entre les adeptes de deux confessions qui mettront trente ans avant d’abandonner les armes, de violence et de terreur pour prendre la voie de la négociation et parvenir à un compromis viable, pour un siècle au moins ? À proximité des tragiques événements de janvier et de novembre 2015 en France, lorsqu’on observe les préoccupations des hommes et surtout des femmes d’alors, on s’aperçoit qu’elles ne sont pas totalement étrangères aux nôtres, à la recherche de l’harmonie et de la conciliation.

À ma première lecture des Mémoires de Charlotte Duplessis-Mornay, j’ai été frappée par la similitude de son récit d’avec ceux des rescapés de la Shoah, comme s’il s’y s’exprimait des universaux de la persécution, se traduisant par des réactions identiques, quelle que soit l’époque : les stratégies de survie, les refus de céder à l’intimidation, à la violence, et par dessus-tout, la volonté tenace de défendre ses croyances et d’obtenir le droit de les pratiquer, sans porter atteinte aux libertés accordées au culte dominant. Telle fut la lutte des protestants qui, non sans mal, aboutit à la signature de l’édit de Nantes qui leur octroyait la liberté de conscience et de culte en France. Pour qui s’interroge sur la gestion des conflits, sur la dynamique des négociations de paix, sur la façon de convaincre les belligérants d’accepter les compromis, ce retour sur le passé est riche en enseignement.

Dans cette histoire, c’est sur l’aspect féminin que je voudrais mettre l’accent. En effet, de nombreux travaux soulignent l’importance du rôle des femmes dans la diffusion des idées de la Réforme3. On comprend facilement l’attrait que pouvait exercer sur elles une religion qui, en exigeant la lecture personnelle des textes bibliques, encourageait et justifiait de fait l’accès des femmes au savoir à une époque où il ne leur était pas systématiquement dispensé4. Cette amélioration du niveau intellectuel féminin par l’entraînement à la lecture et au commentaire aura également des conséquences positives sur la revalorisation du rôle de la femme au sein du couple et de la famille protestante. Plus instruite, la mère est à même de transmettre une éducation religieuse à ses enfants et son mari en vient, de plus en plus souvent, à la considérer comme partenaire à part entière et ne la confine plus systématiquement dans un rôle subalterne, dénué de responsabilité.

Pour étudier la revalorisation de l’épouse dans les milieux protestants pendant les guerres de religion5 tout comme celui de l’engagement des femmes dans la Réforme6, Charlotte Duplessis-Mornay offre un exemple de choix7. Veuve à 19 ans, elle épouse en secondes noces Philippe Duplessis-Mornay, théoricien du protestantisme, architecte de l’édit de Nantes, bras droit d’Henri de Navarre et futur Henri IV. Ce qu’on sait de Charlotte provient essentiellement de ses Mémoires8. Elle est issue de la seconde noblesse, c’est-à-dire de la nouvelle noblesse de robe. Son père était président de la chambre des comptes de Paris. C’est, à ma connaissance, la seule femme de cette classe sociale, à avoir rédigé des mémoires. À cette époque, le genre est essentiellement pratiqué par des hommes ayant exercé une charge publique9 : l’histoire qu’ils y relatent est celle de leur carrière au service de l’État, décrivant leurs succès pour, souvent, se justifier de leurs disgrâces. Or les femmes ne pouvant exercer de charges officielles, privées de formation intellectuelle, n’écrivaient pas de mémoires, hormis les reines comme Louise de Savoie, Jeanne d’Albret ou Marguerite de Valois10. Il faut attendre la Fronde11 pour voir une augmentation appréciable du nombre des mémoires écrits par des femmes, preuve qu’elles éprouvaient le sentiment d’avoir joué dans l’histoire du royaume un rôle justifiant qu’elles en témoignent par écrit dès lors qu’une certaine instruction, ou même des lectures autodidactes, leur fournissaient les modèles d’écriture nécessaires à une telle entreprise.

Les Mémoires de Charlotte Duplessis-Mornay constituent un document historique de premier plan parce qu’elle y tient une chronique particulièrement bien informée du déroulement des guerres de religion en France. La préface est datée de 1585, une année cruciale puisque François d’Alençon, le frère du roi Henri III, est mort l’année précédente, et qu’Henri III, dernier du nom de la maison de Valois, n’a pas de fils. En vertu de la loi salique, cette invention qui barre l’accès des femmes à la couronne12, dans l’éventualité d’un décès du roi, l’héritier du trône serait le plus proche cousin du roi de France, Henri de Navarre, chef du parti protestant. Or l’idée que la France puisse être gouvernée par un protestant est inadmissible aux yeux des catholiques. La Ligue, parti catholique extrémiste dirigé par le duc de Guise, lance alors une violente campagne pour parer à cette éventualité13. C’est dans ce climat de crise dynastique et religieuse aigüe que Charlotte prend la plume, au moment où la Ligue concentre ses forces pour reprendre aux protestants les acquis que leur accordaient les précédents édits de pacification. Au cours des trente ans que durent les guerres de religion – de l’échec du colloque de Poissy, en 1561, où Catherine de Médicis et Michel de L’Hospital avaient recherché un compromis entre les deux confessions, jusqu’en 1598, date de l’édit de Nantes –, il n’y a pas moins de huit guerres de religion, chacune s’achevant par un traité, ou édit de pacification qui, à peine signé, est dénoncé. Soit par les protestants se sentant lésés, soit par les catholiques trouvant qu’on accorde trop de droits aux protestants, soit à cause du non-respect des clauses par l’un ou l’autre parti.

Les Mémoires de Charlotte Duplessis-Mornay débutent par le récit d’événements qui se déroulent au tout début des guerres de religion et s’achèvent avec son décès en 1605. Charlotte témoigne, entre autres, du massacre de la Saint-Barthélemy auquel elle assiste à Paris. Ce témoignage est d’autant plus important qu’il n’est pas commandité mais spontané et que rares sont les témoignages de première main émanant des protestants14. Bien qu’ils ne se connaissent pas encore à cette époque, Charlotte relate également le récit du sauvetage de Philippe Duplessis-Mornay qui se trouve alors à Paris au service de l’amiral de Coligny. Fuyant le massacre, Charlotte parvient au refuge de Sedan, sur les terres du duc de Bouillon. C’est là qu’elle rencontre Philippe, lui aussi réfugié. Leur mariage résulte d’un choix libre et réciproque, rare pour l’époque mais légitimé par l’accord des familles respectives qui, consultées, n’y voient pas d’objection. Charlotte Duplessis-Mornay donne naissance à sept enfants dont quatre survivent (trois filles et un garçon) : Marthe, née le 17 décembre 1576, qui épouse en 1599 Jean de Jaucourt ; Élisabeth, née le 1er juin 1578 en Angleterre, qui épouse en 1601 Jacques de Saint-Germain ; Philippe, seigneur des Bauves, né le 20 juillet 1579, qui trouva la mort au siège de Gueldre le 23 octobre 1605 ; Anne, née en 1583, qui épouse en 1603 Jacques Des Nouhes de La Tabarière (mort en 1632), et en 1643 en seconde noces, Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force.

Dans le cadre du présent article, on s’en tiendra aux épisodes les plus significatifs de l’engagement de Charlotte afin de montrer qu’en dépit de son sexe et des interdits qui limitent l’activité des femmes à cette époque, elle s’engage de façon significative dans la défense du protestantisme en France : ses Mémoires sont, entre autres, le témoignage de cet engagement. Le récit de Charlotte est bien informé sur le plan politique comme sur le plan militaire. Elle manifeste une parfaite maîtrise dans le traitement d’une multitude d’informations qu’elle présente et explique, en dépit de leur complexité, dans un style à la fois vivant et clair qui préfigure la belle langue française du xviie siècle.

Son écriture est si brillante qu’on peut se demander si Charlotte est bien l’auteure de son œuvre ou si son mari ne lui a pas tenu la main15. Auteur prolixe, Philippe ne refuse pas de signer ses œuvres16 : s’il avait été l’auteur des Mémoires, il les aurait signés, ce genre n’étant pas compatible avec l’anonymat dans la mesure où le crédit donné aux événements relatés dépend de la fiabilité du témoignage. Son secrétaire, David de Licques, cite de nombreux passages des Mémoires de Charlotte dans l’Histoire de la Vie de Philippe Duplessis-Mornay17 qu’il rédige, en indiquant bien qu’elle en est l’auteure. Un fait est sûr, c’est que Philippe a tenu Charlotte informée de tous ses faits et gestes, soit par lettres dont certaines ont été conservées, soit oralement. Aussi, plutôt que de douter que Charlotte soit l’auteure de ses Mémoires, on les considère en général comme un document historique fiable18. Charlotte ne combat certes pas les armes à la main, ni ne participe à aucune assemblée, privilège exclusivement masculin ; mais elle parvient, en dépit de toutes les restrictions imposées aux femmes, à se tailler un domaine d’activité significatif19. Son engagement se dit dans l’intérêt qu’elle prend à l’actualité politique et religieuse de la France et dans la profonde compréhension de ses enjeux et de ses tensions complexes dont témoigne sa narration. Dans des situations extrêmes, Charlotte s’impliquera de façon active, allant même jusqu’à tenir tête au roi dans le sillage de la fameuse conférence de Fontainebleau qui marque, en 1600, la disgrâce de son mari20. L’activité politique de Philippe Duplessis-Mornay est essentiellement consacrée à la défense du protestantisme et le fait d’en témoigner, représente pour Charlotte sa propre façon de s’engager et de transmettre à leur fils les valeurs d’un combat auquel elle se considère comme associée à part entière21. On a souvent dit d’eux qu’ils donnent le parfait exemple du nouveau couple chrétien, complémentaires et vrais partenaires pour qui l’intérêt de leur famille est étroitement lié à la défense de la cause protestante : les Mémoires de Charlotte en témoignent à chaque page.

L’écriture féminine mémorialiste serait donc ici une alternative et un prolongement du combat masculin. Sa plume est en quelque sorte son épée et ses Mémoires, une tribune et le seul espace d’où elle peut légitimement faire entendre sa voix, conformément à son rang. C’est un espace familier puisque ses Mémoires ne sont pas destinés à être publiés et qu’elle les adresse explicitement à son fils, avant son départ dans le monde. Mais ils sont rédigés de telle façon qu’on oublie vite le fils pour suivre une chronique des guerres de religion, véritable document historique d’une précision non démentie. Ce texte mérite donc bien le nom de mémoires car, loin d’être limité au cercle familial et privé comme la lettre dédicatoire pourrait le laisser croire, il recoupe largement l’histoire de la France de la seconde moitié du xvie siècle au début du xviie. De fait, l’histoire de la famille Duplessis-Mornay est liée à celle de l’État, en raison de l’engagement et des charges exercées par Philippe et à cause de l’identification de Charlotte au combat de son mari pour la Cause. Elle y joue pleinement son rôle en fonction de sa condition de femme, d’épouse et de mère. L’écriture y tient une place essentielle, non seulement en ce qui concerne ses Mémoires mais aussi dans l’entretien d’une correspondance fournie avec le vaste réseau social noble et protestant qui caractérise le rayonnement politique de cette famille.

Pratiquant un genre traditionnellement réservé aux hommes d’État ou aux grands soldats, Charlotte doit d’abord se justifier de prendre la plume. Son récit s’ouvrant sur une lettre dédicace à son fils, la justification de son écriture tient d’abord à son rôle de mère : elle entend lui offrir un guide avant qu’il ne parte dans le monde. Ce guide est en fait la vie de son mari. À la justification de son écriture, en tant que mère, s’ajoute la dimension essentielle du texte, sa justification religieuse. Charlotte considère en effet Philippe Duplessis-Mornay comme un élu de Dieu dont la gloire rejaillit sur sa famille22 ; elle doit en témoigner, tenir la chronique de cette élection tout en militant pour la Cause, en commençant par rallier son propre fils :

Adorez moy de rechef, ceste miséricorde, ce soin spécial que Dieu a eu de vous, de vous exempter de cette apostasie universelle qui a usurpé et tant de nations et tant de temps. Mais il vous a faict naistre, d’un Père, duquel en ses jours il s’est voulu servir et servira encore pour sa gloire, qui vous a, dès votre enfance, dédié à son service, qui en cest espoir vous a faict eslever selon votre aage en piété et en doctrine, qui en somme n’a rien obmis par ardentes prières envers Dieu, par un soin exquis en votre instruction, pour vous rendre un jour capable de son œuvre. Pensez que par tels chemins, Dieu vous veut amener à grandes choses ; pensés à estre instrument, en vostre temps, de la restauration, qui ne peut plus tarder, de son Eglize23.

On comprend que cette écriture a peu à voir avec le plaisir de la réminiscence gratuite d’un passé révolu. C’est au contraire une écriture engagée, militante, qui vise à mobiliser le fils, prénommé Philippe comme son père, et que l’on appelle seigneur des Bauves pour l’en distinguer. Charlotte lui destine un discours programmatique qui, après avoir représenté l’engagement et le sacrifice de ses parents pour la cause protestante et rappelé que rien n’a été épargné pour sa propre éducation, explique qu’il leur en est redevable et qu’il doit à son tour se consacrer à défendre le protestantisme. Charlotte lie cette exigence au souci de la transmission et à la responsabilité des parents, questions qui n’ont rien perdu de leur actualité :

Or, avons nous à espérer, comme il est Dieu de nous, qu’il le sera aussy de nos enfans, car sa promesse y est ; mais comme il les saura bien conduire au but de leur élection par sa miséricorde, ne faut pas que, de nostre part, nous laissions de les acheminer par le soin paternel de leur instruction, les rendant héritiers de la connoyssance et debteurs de la reconnoissance de tant de grâces que nous avons receu de luy et par conséquent embraséz de son amour, touchéz de sa crainte, dépendans de sa providence, assuréz en la fermeté de ses promesses. Et ne pouvons mieux les en faire capables qu’en leur représentant devant les yeux ce que nous avons, par la grâce de Dieu, expérimenté en tout le cours de nostre vie en noz personnes, qui est ce que je leur veux icy descrire particulièrement, ne doutant point qu’ilz ne prennent plaisir un jour de se remémorer les bénédictions que Dieu a espandues sur nous, nommément sur la personne de Monsieur du Plessis leur père, en laquelle il a fait de si notables délivrances, (et j’oze dire plus,) auquel chacun a reconnu de telles grâces que ce leur sera heur et honneur de les bien imiter24.

Ce document tout à fait exceptionnel parce que les femmes de la classe sociale de Charlotte n’écrivaient pas de mémoires est en lui-même un acte militant. Entre les lignes du récit de l’engagement de Philippe Duplessis-Mornay, Charlotte insère le sien, dans le prolongement de celui de son mari et en complémentarité avec lui. Elle donne implicitement à voir les possibilités et les conditions de l’engagement féminin protestant à la Renaissance.

Si l’on connaît le parcours religieux du père et le type de modèle que le fils a eu devant les yeux, on peut se demander de quels modèles Charlotte a ellemême bénéficié. Quelles sont les sources de son engagement ?

Lorsqu’on compare les engagements respectifs de Philippe et de Charlotte, on constate un accès différent au savoir en raison de leur sexe. Charlotte raconte qu’alors que le jeune Philippe faisait route pour se rendre à l’enterrement de son père, il fut entrepris par un prêtre sur le chapitre de sa confession et que, sommé de prendre parti, il demanda à consulter les textes pour décider après lecture, en connaissance de cause, de sa religion. Pour Charlotte, en revanche, l’engagement ne passe pas par la médiation intellectuelle et livresque, mais plutôt par l’observation du comportement familial environnant. N’ayant pas accès à l’Université, n’étant pas envoyées en dehors de leur maison pour suivre des études, les filles à cette époque reçoivent une instruction qui dépend essentiellement de leur entourage. La jeune enfant, l’adolescente porte un regard attentif sur les choix de ses parents. Charlotte ne dit rien de son enfance qui fut vraisemblablement catholique, mais il semble que l’exemple de son père et celui de son premier mari, surnommé Frigalet, soient à l’origine de son choix confessionnel. Lorsque Charlotte relate le parcours religieux de son propre père, elle souligne sa détermination, mais le présente aussi comme un modèle de prudence et de modération : il décide de se convertir, puis, le couteau sur la gorge, est obligé de revenir au catholicisme pour, dès qu’il en a l’occasion, se reconvertir au protestantisme. Il biffe alors publiquement sa signature sur le registre où il s’était rétracté. En dépit des persécutions qu’il s’attire, comme par exemple la confiscation de ses biens, il persévère jusqu’à sa mort. Le récit de l’engagement paternel montre que Charlotte admire sa détermination et son courage malgré les épreuves. Le récit de Charlotte est très sélectif, elle ne rapporte que les conversions au protestantisme : de sa mère, restée catholique, ou de ses frères qui abjurent le protestantisme lors de la Saint-Barthélemy, elle ne dit pratiquement rien.

Lorsque Charlotte relate l’adhésion du père de Philippe au protestantisme, elle souligne l’influence de son épouse. Décrit comme un catholique modéré, à l’approche de la mort, autrement dit à l’heure de vérité, il se range à l’opinion de sa femme Mlle de Buhy. Sa conversion est présentée comme une sorte de salut spirituel de la dernière chance :

Il mourut l’an 1559, le pénultième de novembre, Dieu luy faisant ceste grâce qu’à l’article de la mort, il se ressouvint de plusieurs bons propos que journellement Mademoiselle de Buhy, sa femme luy tenoit, touchant les abus de l’Eglize Romaine dont elle avoit dès lors congnoissance et ne voulut avoir aucun prebstre ny recevoir aucune cérémonie superstitieuse, s’assurant de son salut par le mérite et passion d’un seul, Jésus Christ25.

Charlotte présente aussi la conversion de Mlle de Buhy comme le fruit d’une mûre réflexion. Consciente des dangers auxquels elle s’expose, elle attend l’heure propice pour la rendre publique. Dans le secret de sa maison, elle lit la Bible et les Psaumes : attitude typique de l’engagement pour la Réforme, mais aussi pratiquement la seule façon dont les femmes, privées de charges et ne combattant pas, peuvent manifester leur choix religieux :

Ainsi, Dame Françoise du Bec, sa femme, demeura veufve, aâgée de vingt neuf ans, ayant esté mariée à seize, et dont elle avoit eu six filz et quattre filles… Or, y avoit il six ou sept ans qu’elle avoit congnoissance des abus de la Papauté et désir de faire profession de la Religion réformée, mais les feus qui estoient lors encor allumés en France et la crainte qu’elle avoit de la ruyne de sa maison la faisoit dissimuler, joint que feu Monsieur de Buhy n’en monstroit aucun sentiment. Elle ne laissoit touteffois de lui en parler par occasions, et quelquefois aussi il la trouvoit lisant en la Bible, aux Psalmes ou en quelque autre livre, dont il ne s’offensoit point, seulement il l’advertissoit qu’elle ne le mist en paine vu la rigueur du temps26.

Âgée de 17 ans, Charlotte a épousé en premières noces le sieur de Feuquières (Frigalet) lui-même protestant, qui meurt deux ans plus tard des suites d’une mauvaise blessure. Veuve à 19 ans, mère d’une petite fille de 2 ans, Charlotte perd l’un après l’autre presque tous ses soutiens. Ce choc affectif engendre chez elle une humeur dépressive, ou dans la langue de l’époque une « mélancolie », littéralement l’humeur noire.

le 23e de may au dit an, j’avois alors 19 ans et passay tout ce temps à Sedan, fort affligée, hors de mon pais et de tous moiens, et avec un nombre infiny d’affaires. J’y receus là, la nouvelle de la mort de feu Monsieur de la Borde, mon père, d’une mienne sœur qui estoit à marier, de feu Monsieur de Feuquères mon beau père. Sy peu de bien que j’avois estoit saisy à cause des troubles, de celuy de feu monsr de Feuquères, je n’en touchay ung seul denier. Au milieu de tant d’afflictions, Dieu me sussita des amys et me retira de toutes ces difficultez. Touteffois, depuis ce temps là, j’ay esté quasy tousjours travaillée de maladie, et la pluspart des médecins qui m’ont pensée27 ont jugé que s’avoit esté des mélancholies que j’avois eues28.

Cette période sombre n’est que le prélude de la tragédie qui va suivre. Charlotte se trouve en effet au mauvais endroit au mauvais moment, c’est-à-dire à Paris lorsque se déclenche la Saint-Barthélemy. Logée rue du faubourg Saint-Antoine, elle est réveillée par sa servante affolée qui la prévient qu’on tue tout le monde. Charlotte lui confie sa fille, et la servante traverse Paris avec l’enfant à son cou pour la mettre à l’abri chez la grand-mère de Charlotte. C’est alors pour Charlotte le début d’une fuite éperdue. Elle s’appuie sur les soutiens qu’elle trouve parmi les collègues catholiques de son père – ce qui montre au passage que les liens de la confrérie sont parfois plus forts que les solidarités confessionnelles et que tous les Parisiens n’étaient pas des catholiques fanatiques. Au risque de sa vie, Charlotte parvient chez sa mère qui exerce alors sur elle un horrible chantage : elle n’accepte de lui donner refuge qu’à condition qu’elle se convertisse, à l’instar de ses frères.

Le mercredy matin, après que ma mère eut uzé de quelques moiens pour m’y faire condescendre, n’ayant de moy telle response qu’elle vouloit, mais seulement une supplication pour me faire sortir de Paris, m’envoya dire qu’elle seroit contrainte de me renvoier ma fille ; je ne peu que respondre sy non que je la prendrois entre mes bras et qu’en ce cas nous nous lairrions29 massacrer tous deux ensemble, mais à la mesme heure, je me résolus de partir de Paris quoy qu’il m’en deust avenir et priay celui qui m’avoit fait ce message d’aller arrester une place pour moy aux Corbillard ou en quelque bateau montant sur la rivière de Sene30.

Sur fond de massacre, le récit des altercations de Charlotte avec sa mère restée catholique donne d’elle une image significative. Il dessine un ethos fait de résistance devant l’adversité et de force de caractère. Envers et contre tout, fût-ce au risque de sa vie, face au chantage de sa mère, fidèle à ses convictions religieuses, Charlotte refuse de se convertir. Après avoir confié sa fille à sa grand-mère, elle organise seule sa fuite dans un Paris en émeute où les soldats du duc de Guise la recherchent activement :

Il estoit lors huit heures du matin. Je ne fus pas sy tost partie de mon logis que des domestiques du Duc de Guise y entrèrent, appelèrent mon hoste pour me trouver, et me cherchèrent partout, enfin, ne me pouvant trouver envoyèrent chez ma mère luy offrir que sy je leur vouloys apporter cent escus, ils me conserveroient et la vie et tous mes meubles. Ma mère m’en envoya donner avis chez M. De Perreuze, mais après y avoir ung peu pensé, je ne trouvay point bon qu’ils seussent où j’estoy, ny que je les allasse trouver, mais bien supplié ma mère de leur faire entendre qu’elle ne scavoit que j’estoy devenue et leur faire offre touteffois de la somme qu’ils demandoient. N’ayant peu avoir de mes nouvelles, mon logis fut pillé31.

La détermination de Charlotte est aussi impressionnante que sa lucidité, elle garde la tête froide pour réfléchir avant de prendre des décisions dont l’enjeu est vital (« mais après y avoir un peu pensé… »). Elle parvient de justesse à gagner le refuge de Sedan, terre du duc de Bouillon où elle rencontre Philippe Duplessis-Mornay qui, lui aussi, vient de réchapper au massacre de la Saint-Barthélemy. Dès la première semaine de leur mariage, leur vie commune est tumultueuse :

Nostre contrat fut dong passé par les notaires de Donchery, nos annonces faictes et fusmes mariés le troisiesme de janvier 1576. Mais comme nous eusmes pris jour pour nostre mariage, ils eurent nouvelles que l’armée des Reistres, conduitte par Monseigneur le Duc, estoit levée et s’acheminoit en Lorraine pour entrer en France, de sorte que la sebmaine mesmes que nous feusmes mariez, M. Du Plessis partit deux heures devant le jour avec M. De Lizi, qui recueillit à Sedan et es environs tous ceux qui eurent envie de marcher32.

Les absences de Philippe se multiplient. Il n’est pas auprès de Charlotte lorsqu’elle accouche de leur première fille : elle se console car il peut lui prouver qu’il a eu l’intuition du moment où il se déroulait :

A son retour de Guascongne, il me trouva accouchée de notre fille aisnée qui fut appellée Marthe, et fut baptisée au Plessis où j’avais fait ma couche et fut son parain M. De Sauseuse, personnage de grande et insigne piété et doctrine. Et est à noter que le mesme jour que j’estois en travail et accouchée, M. Du Plessis en chemin pour s’en venir, il eut au cœur que j’estois en paine et escrivit sur ses tablettes le jour que cela luy estoit avenu, qui estoit le 17e décembre 1576, de sorte qu’à son arrivée, sans avoir parlé à personne, il nous dit le jour de mon accouchement qui se trouva estre le mesme33.

Les missions de Philippe le conduisent à Londres, auprès de la reine Elisabeth, solide soutien des protestants français pendant les guerres de religion. Philippe demande à Charlotte de le rejoindre et le couple met à profit ce séjour pour créer des liens et construire un réseau international qui aura une importance capitale dans la carrière de Duplessis-Mornay. La famille continue de s’agrandir, et le statut des parrains des enfants témoigne de l’ascension sociale du couple. Parmi ces parrains figure le prestigieux secrétaire d’état mais aussi célèbre humaniste et poète, Philippe Sidney aux côtés d’autres grands de la cour d’Angleterre : « En ce pays, et en l’an 1578, le premier jour de juing, nous nasquit aussy notre fille Elizabeth, dont furent parains sir Philippes Sidney et le Sr de Killigrew cydessus nommés ; maraine, madame de Stafford, Dame d’Honneur de la Royne d’Angleterre34. »

Voyant se tramer des projets matrimoniaux entre François d’Alençon et la reine d’Angleterre, Philippe Duplessis préfère s’éloigner pour ne pas être impliqué dans les négociations d’une union qu’il désapprouve et passe en Flandre. Charlotte qui l’accompagne ne raconte sans doute pas tout, mais sélectionne les faits en fonction de leur pertinence pour l’argumentation qu’elle développe. Ils prouvent que Dieu les protège ; ils échappent à la peste, par exemple, contre toute attente vu la rapidité de la contagion :

J’estoy lors avec M. Du Plessis, m’estant embarquée en la rivière de londres pour venir à Anvers. Et en ce voyage sentismes l’ire et la miséricorde de Dieu tout ensemble, car la peste se mit en nostre vaisseau qui en fit mourir quelques uns, non des nostres, mais qui beuvoient et mangeoient avec nous. Le lendemain de nostre arrivée à Anvers, la peste prend aux deux filles de la nourrice de notre fille Elizabeth, et dont l’une tettoit souvent avec elle, et en moins de 24 heures les emporta. Le mary, effrayé, nous en avertit qui estoit M. Trescat, homme docte, ministre de la parole de Dieu en l’Eglize de Bruxelles. Après beaucoup de pene, Dieu nous en pourveut d’une autre, sans que d’icelle contagion notre famille receut aucun dommage35.

Le récit de la naissance de Philippe, leur premier fils, s’insère aussi dans cette trame argumentative protestante. Peu avant l’accouchement, Charlotte rêve qu’elle offre l’enfant à Dieu, elle pense l’appeler Samuel, à l’instar d’Anne36 mais finalement le prénommera Philippe comme son père. Le discours qu’elle lui adresse en préface à ses Mémoires montre bien qu’elle attend de lui qu’il se comporte à l’image de son père qu’elle considère comme élu de Dieu. Forte de cette certitude, Charlotte refuse le nom que lui proposent les augustes parrains, tous issus de la haute noblesse protestante comme François de La Noue et la princesse d’Orange :

Auquel temps aussy nous nasquit Philippes de Mornay, nostre filz aisné, le 20e de juillet en la ville d’Anvers, en la Camaerstrate, au logis d’un nommé Landmeter, Coronel de la jeunesse de la ville, et furent ses parains messire Françoys de la Noue37 et Artus de Vaudrey, Sr de Mouy38, sa marraine damoiselle Marie de Nassau, fille aisnée de monseigneur le Prince d’Orenge. Monsr de la Noue et Mademoiselle d’Orenge eurent envie de luy donner le nom de mon dit Seigneur le Prince son père, mais je les feis prier de luy donner le nom de Monsieur du Plessis, et d’autant plus j’affectionnay cela que, quelques mois devant que d’accoucher, j’avoys eu en songe que j’estois grosse d’un filz, que Monsr du Plessis et moy le donnerions à Dieu, et qu’il ne pouvoit avoir nom que Samuel ou Philippes. Monsr de Mouy les trouvant sur la dispute du nom, les pria de ma part de ne luy en donner aucun autre que celui de monsr du Plessis son père39.

Les Mémoires donnent une idée assez précise de l’intensité et de la diversité des activités de Charlotte. Entre deux grossesses, elle tient une chronique de la politique extérieure de la France avec l’Angleterre et la Flandre. Alliant élégance du style et clarté de l’information, démêlant politique, intrigues, rapports, prévisions et analyses, son écriture témoigne de son intelligence et de sa vivacité d’esprit. Elle fait également des copies des œuvres de son mari et veille aux problèmes d’intendance familiaux, afin de l’en décharger complètement et en toute discrétion, sur le modèle de la parfaite épouse :

Or pendant tout ce temps, je ne fus pas sans affliction, moy mal saine, luy en danger, nostre famille en pays estrange, nos affaires domestiques en France fort descousuz, pressés de debtes en Angleterre et en Flandres, qu’il nous avoit convenu faire pour les affaires publiques. Touteffois, Dieu me donna toujours et patience et soulagement et me suscita des moiens et des amys. Tellement que, sans luy en travailler l’esprit, que au moins que je peux, je pourveu à tout cela40.

Le récit de l’activité politique de Philippe, qui occupe une place importante dans les Mémoires, est troué çà et là d’incises plus intimes dans lesquelles Charlotte exprime son profond attachement envers son époux et la difficulté qu’elle éprouve au cours de ses nombreuses absences :

Je ne céleray point icy, quelques affaires que nous eussions eu en Flandres, que j’en partis touteffois avec grand regret, tant pour l’appréhension des misères de la France, que particulièrement pour l’imagination qui ne m’a pas trompée que je seroy plus distraicte de la compaignie de Monsieur du Plessis que paravant41.

En marge du rapport historique et politique, ces incises font entendre la voix authentique de Charlotte, prouvant qu’elle est bien l’auteure de son texte. Qui d’autre qu’elle pouvait donner les raisons de l’accouchement de deux enfants mort-nés et de l’angoisse ressentie à l’approche de la mort ?

Je le vins trouver alors à Paris, où il ne séjourna qu’un jour et bien que je fusse fort grosse, le conduis en mon coche jusques au delà d’Orléans, d’où il prit son chemin à limoges. J’eus opinion que le travail de ce voyage sur le pavé avoit nuy à ma grossesse, comme de fait quelques temps après, avec un incroyable danger de ma vie et regret extrême de l’absence de M. Du Plessis, je fus délivrée à Rouen de deux filz, que j’avois retenus quelques temps mortz42 dedans mon ventre, de sorte que je fey mon testament et mon principal but estoit d’y insérer ma Confession de Foy, remettant le surplus à la volonté de Monsieur du Plessis auquel aussy j’escripvis une lettre pour luy dire à Dieu, et luy recommander nos enfans, le tout escrit de ma main et qui est encores en noz papiers ; et ne pensoy pas jamais avoir ce bien de le revoir. J’y fus fort assistée de Dieu qui se servit de feu M. de l’Aigle, l’un des premiers hommes de ceste profession43.

En dépit de sa fragilité, Charlotte est étroitement mêlée aux missions de son mari, à son rôle dans les assemblées protestantes chargées de négocier les édits de pacification. Lorsque le couple s’installe à Saumur dont Duplessis-Mornay a été nommé gouverneur, Charlotte veille personnellement à la réparation des remparts du château, elle se peint en chef de chantier, dirige les travaux, paie les ouvriers et veille à leur faire donner du vin. De même, lorsque Philippe fonde l’Académie protestante de Saumur visant à former les pasteurs français, Charlotte s’intéresse de près aux personnes recrutées et en donne le profil.

L’assemblée de Fontainebleau

L’événement le plus emblématique de l’engagement de Charlotte aux côtés de son mari est celui qui marque sa disgrâce, orchestrée par Henri IV, lors de l’assemblée de Fontainebleau. Tout commence en 1598, date de la signature de l’édit de Nantes : alors qu’on aurait pu croire que les Duplessis-Mornay allaient enfin connaître un peu de répit, c’est tout le contraire. Henri IV voudrait obtenir du pape l’annulation de son mariage avec Marguerite de Valois parce qu’il souhaite épouser Gabrielle d’Estrées qui lui a déjà donné trois enfants et en attend un quatrième. C’est dans ce contexte délicat que Duplessis-Mornay publie à La Rochelle un traité De l’Institution, Usage et Doctrine du Sainct Sacrement de l’Eucharistie en l’Eglise Ancienne qui exaspère Rome et qui en demande des comptes au roi, puisque Duplessis mornay fait partie de son proche entourage. Contrarié par la publication inopportune de ce traité, Henri IV décide d’en châtier l’auteur. Lors d’un dîner chez la princesse d’Orange, Duplessis-Mornay entend dire que l’évêque d’Evreux a, devant le roi, critiqué son livre disant que « c’estoient tous passages falsifiez, que le frère de l’Evesque d’Evreux luy en avoit faict voir plusieurs et en avoit mesme faict voir au Roy, et choses semblables44 ». Duplessis apprenant que le roi, au lieu de prendre sa défense, lui reproche ce livre, laisse éclater son ressentiment et donne dans le piège :

[…] piqué de long temps au vif de ce qu’après vingt cinq ans de fidélité et de preudhommie, il luy fit ce tort de vouloir croire et faire croire de luy une mauvaise foy sy signalée et en chose de telle conséquence, luy dit que, s’il plaisoit au Roy nommer à l’Evesque d’Evreux et à luy quelque Commissaire par devant lequel les passages par luy alléguez eussent à estre vérifiez, il luy feroit voir le contraire45.

En demandant au roi une confrontation avec l’évêque d’Evreux, Philippe se fait l’artisan de sa propre débâcle. Charlotte retrace point par point la chronique de ce drame en insistant sur la mise en scène que le roi lui donne. Duplessis-Mornay souhaitait une discussion théologique, mais Henri IV en fera un spectacle de cour qui aura un retentissement politique et public disproportionné. Alors que Duplessis-Mornay sollicite la tenue d’une conférence par lettre privée, l’évêque répond par un écrit public et imprimé, ce qui en fait un instrument de propagande, diffusé à grande échelle. La lecture privée entre spécialistes que souhaitait Duplessis-Mornay devient l’occasion pour Henri IV de démontrer au pape son dévouement au catholicisme, auquel il a fini par se convertir, pour pacifier le royaume (le fameux « saut périlleux » de 1593), mais en laissant certains catholiques dubitatifs quant à la sincérité de cette conversion. Le contraste entre le comportement du roi envers l’évêque d’Evreux et envers Duplessis-Mornay est flagrant, entre la « faveur extraordinaire » qu’il témoigne à l’un et la défaveur pour l’autre : « non tant l’animosité contre sa personne que le dessein d’opprimer et de scandalizer la religion en icelle. Une faveur extraordinaire en toutes sortes que le Roy monstra à l’Evesque d’Evreux, une desfaveur au contraire à l’endroit de monsr du Plessis, comme sy tous les services luy eussent tenu lieu de desservice46. »

Associé aux détails des préparatifs, l’évêque peut nommer les commissaires catholiques, alors que Duplessis-Mornay est tenu dans l’ignorance et ses partenaires lui sont imposés. Il s’agit d’Isaac Casaubon qui, en dépit de son indiscutable érudition d’humaniste, n’est pas qualifié en tant que théologien, ainsi que du président de Thou et de Pithou : ils sont également présents mais, ayant été soupçonnés d’être passés à la Réforme, ils n’oseront prendre parti pour Duplessis-Mornay parce que cela reviendrait à s’opposer au roi. Ils sont donc réduits au silence, comme le montre bien Charlotte en se moquant de l’importance exagérée que le roi accorde à cette confrontation, plus anxieux de son issue que de celles des batailles décisives qui lui ont assuré le trône !

et néantmoins, toutes choses ainsy préparées, fut remarquée en S. M. la veille une telle anxieté qu’il ne pouvoit mettre son esprit en repos, dont M. De Loménie47, secrétaire du cabinet, ne se peut tenir de luy dire que la veille de Coutras, d’Arques et d’Ivry48, il ne se monstroit pas estre en sy grand pene, ce qu’il luy avoua. Tant désiroit S. M. Faire ceste action au contentement du Pape auquel il en avoit donné advis et obtenu son consentement soubz l’asseurance qu’il en avoit donné49.

Sous la plume de Charlotte, Henri IV se transforme en un être machiavélique pour lequel la fin justifie les moyens. De fait, le roi n’hésite pas à sacrifier Duplessis-Mornay à ses intérêts politiques. Ce portrait fonctionne d’autant mieux qu’il s’inscrit dans une opposition : Duplessis-Mornay est aussi naïf que le roi est manipulateur et calculateur, allant jusqu’à faire verrouiller les écuries pour éviter que Duplessis-Mornay, se rendant compte de la machination, ne se retire. Henri IV, dont les Duplessis-Mornay n’ont pas apprécié la conversion, apparaît d’autant plus détestable et condamnable qu’il est face au Juste, reconnaissable aux épreuves qu’il traverse sans vaciller dans sa foi. Charlotte n’assistant pas à l’assemblée de Fontainebleau, sa stratégie littéraire consiste à ne pas raconter le détail de l’entrevue50 mais uniquement ses coulisses. Elle assume, de fait, un discours, plus virulent et donc plus dissident que le procès-verbal que dressera Duplessis-Mornay. Dans l’espace de liberté que forment ses Mémoires, Charlotte peut se permettre de dénoncer ouvertement les procédés d’Henri IV. Sous couvert d’une écriture privée, destinée à son seul fils, elle prend sa revanche sur le roi, par les aspects qu’elle dévoile et les informations qu’elle ajoute. Son récit s’érige en contre-offensive car elle cherche à y changer l’opinion de ceux qui ont assisté à la confrontation sans en connaître les dessous :

L’escript que dessus, imparfait à la vérité et qui néantmoins, parce qu’il vint à temps, fit un grand fruict, parceque l’estonnement avoit passé entre les nostres, quelques unbz mesmes de ceux qui y avoient esté présens, lesquelz à la veüe d’iceluy reprirent leurs sens, et reconnurent, revoiant les livres, que c’estoit une illusion toute pure51.

Sans différer, Charlotte riposte aux rapports et aux lettres que le roi fait diffuser à large échelle. Ses Mémoires font la chronique de sa courageuse résistance. Alors qu’Henri IV étale son triomphe en écrivant au duc d’Epernon une lettre ouverte : « Laquelle il envoya partout et tost fust veüe dedans et dehors le Royaume et imprimée jusques à Prague et à autre des Seigneurs n’en fut rien escript52 », Charlotte minimise habilement l’échec de la confrontation en la portant sur un autre plan : il n’est plus question de discussion théologique mais bien de la dette du maître envers son serviteur. Ce que les Grands retiennent, note Charlotte, c’est surtout l’ingratitude du roi envers son serviteur : « Le jugement de la plus part des grandz fut qu’ilz n’avoient rien veu à l’avantage de la religion Catholique, mais bien un ancien serviteur et fidèle trèz mal payé de tant et de sy grandz services53. »

L’indignation de Charlotte ne peut se comprendre que dans le cadre du contrat implicite qui lie le roi à ses sujets, contrat qui l’assimile à un père protecteur. De son côté, Philippe Duplessis-Mornay a plus qu’honoré ses engagements. Sans le nier, Henri IV sacrifie néanmoins l’honneur et l’érudition de son bras droit aux besoins de sa politique ; il offre la défaite de Duplessis-Mornay au pape tout en assurant son serviteur que cette disgrâce ne sera que ponctuelle. Mais pour les Duplessis-Mornay, c’en est trop ; Philippe ne s’était pas ménagé entre 1589, date de l’avènement d’Henri IV au trône, et 1593, pour empêcher sa conversion, mais depuis, tout se passe comme s’il cherchait à se désengager ou du moins à montrer que le service de Dieu passe avant celui du souverain54.

La contre-offensive des Duplessis-Mornay

En réponse aux lettres triomphantes du roi sur la défaite de son serviteur, Charlotte organise une véritable campagne de presse, donnant sa version des événements et en s’assurant d’une diffusion internationale, par le biais des réseaux protestants :

A l’heure mesmes, je priai M. Du moulin de faire un sommaire escript de ce qui s’y estoit passé, lequel je fay semer par la ville et fut envoyé dedans et dehors le Royaume, pour prévenir les mauvais bruictz, pendant que Monsr du Plessis, jour et nuict, nonobstant sa maladie, faisoit de mesme à Fontainebleau, assisté de nostre Filz et des Sieurs de la Roche Chaulieu et des Bordes Mercier qu’il avoit menez avec luy, aussy du Sieur de la Fin qui l’alla trouver à Fontenaibleau aussy tost qu’il seut que Monsieur du Plessis y estoit arrivé55.

Les Duplessis-Mornay rebondissent, sollicitent leur réseau avec efficacité car les protestants adoptent leur cause. Ils feront imprimer leur réponse à La Rochelle, place-forte protestante et à Paris. La réponse de Duplessis-Mornay aux mises en garde du duc de Bouillon est édifiante, il repousse ses craintes en répondant qu’il en va de l’intérêt public – notion qui se fait jour dans la seconde moitié de la Renaissance et qui, en parallèle, érige l’opinion publique56 en juge des conflits qui opposent la noblesse au roi. Ayant veillé à la rédaction et à l’impression de leur riposte, Charlotte s’occupe de la faire traduire et note que sa bonne réception vaut au couple le soutien de Théodore de Bèze, à Genève :

Je ne laissay donq aussy pour cela de faire mes diligences et d’envoyer copie de ce discours premièrement à Monsr Tillenus, docteur en Théologie à Sedan, qui fit grande diligence de le faire imprimer et courir et puis partout ailleurs dedans et dehors le Royaume, pour le faire imprimer et traduire, selon les addresses, partie que Monsieur du Plessis me donnoit, partie dont je m’advisoy de moy mesmes. Et depuis nous en avons eu responce de toutes partz dont nous avons grandement à louer Dieu. De l’Eglize de Genève particulièrement par lettres de Monsieur de Bèze57 en nom d’icelle et les lettres en sont en nos mémoires58.

La sympathie manifestée aux Duplessis-Mornay prouve l’étendue et la solidité de leur réseau social où l’on trouve aussi bien des protestants que des catholiques dont Charlotte relève les témoignages accablant le roi. La réponse du réseau est significative du pouvoir de mobilisation d’une famille, elle détermine sa force et son influence. De plus, cette mobilisation est souvent l’affaire des femmes, chargées d’écrire les lettres pour informer et activer leur réseau de relations. Certes, la mobilisation protestante internationale ne change pas la disgrâce qui frappe Duplessis-Mornay, mais elle l’adoucit certainement car le couple, sûr de son droit, est sensible aux témoignages de soutien manifestés de toute part.

En dépit de sa profonde foi, le recours aux interventions de la providence reste relativement discret sous la plume de Charlotte. Ces interventions font l’objet d’une courte incise, comme par exemple « Dieu voulut ou ne voulut pas » ou « avec l’aide de Dieu ». Ainsi lorsqu’elle décrit le sort de l’évêque d’Evreux, le changement de ton est sensible et tranche avec la sobriété objective des Mémoires. Tout se passe comme si Charlotte, entraînée par sa colère, se laissait aller à une interprétation outrée des manifestations divines. Après la conférence de Fontainebleau, partout où se produit l’évêque d’Evreux, tout comme dans les propriétés du roi, à Saint-Germain, la foudre s’abat :

L’esvesque d’Evreux cependant publioit ses vanteries en ses sermons. Les Te Deum s’en chantoient par tout, mais Dieu se faisoit ouyr au dessus de toutes ces insolences. Le 21e de May, jour de Pentecoste, il prescha à Nostre Dame de Paris, le Roy présent, non sans grand applaudissement de luy et de toute la Court, et continua les festes et n’y furent oubliez ses prétendus triomphes ausquelz il se servoit luy mesme de trompette. Entre le jeudy et le vendredy prochainement suivant, qui estoient le 25e et le 26e, tomba la foudre dans la ditte Eglize, briza la chaire où il avoit presché, quelques siesges aussy dans le chœur de l’Eglize et quelques images, mesme brusla la robe et rompit la main d’une nostre Dame. On ajoute pour certain qu’il emporta aussy le Ciboire. Les Chanoines et Prebstres célèrent tant qu’ilz peurent ce ravage, mais il fut sceu par ceux qui sonnoient les cloches qu’il avoit renverséz et est à noter qu’à ce mesme instant la foudre tomba au jardin des Tuileries59.

Voilà qui, du point de vue de Charlotte, vient clore l’incident et fermer définitivement la bouche de leur adversaire : comme si Dieu, par l’inter-médiaire de la foudre, avait rendu son jugement. En conclusion, Charlotte dresse néanmoins un bilan plus raisonné, où il s’avère que le prix de leur contre-offensive et de leur campagne se borne à la perte de l’octroi des mines que le roi voulait faire à Duplessis-Mornay. L’imprimeur et la femme qu’elle avait employés pour l’impression du discours sont finalement relâchés et ellemême n’est pas inquiétée. Ils conservent, en revanche, l’amitié et le soutien des membres influents de leur réseau.

À partir de ce moment-là, l’étoile de Philippe décline. Il refuse de faire partie du nouveau conseil royal. Ce choix profite à Sully qui occupe désormais sa place auprès d’Henri IV. Il aura également un retentissement tragique dans la carrière de leur fils. Alors en âge de se faire un nom, le jeune Philippe cherche à obtenir une charge militaire, plusieurs tentatives échouent et Charlotte laisse entendre que le roi et Sully en sont la cause. Duplessis-Mornay sollicite alors l’autorisation d’envoyer leur fils au service du prince d’Orange dans sa lutte contre les Espagnols. C’est en 1606, au siège de Gueldre, que Philippe des Bauves trouve la mort. Le couple accueille cette épreuve avec une dignité à la mesure de leur immense douleur. Destinés au fils, les Mémoires de Charlotte s’achèvent peu après la mort de celui-ci. Par sa sobriété, le récit de l’annonce de son décès marque un double sommet, pathétique et religieux :

Et un Jeudi 24e novembre, sur le soir, M. Du Plessis sortant d’avec moy, plein de ceste appréhension pour quelques bruictz venuz à la traverse, luy tranchèrent ce dur mot. Lequel l’ayant profondément navré et scachant bien qu’il ne me pouvoit desguiser son visage, se résolut qu’il falloit mesler noz douleurs ensemble. Et d’entrée : « Ma mye, me dit il, c’est aujourd’huy que Dieu nous appelle à l’espreuve de sa foy et de son obéïssance. Puisqu’il l’a faict, c’est à nous à nous taire. » Ausquelz propos, douteuse jà que j’estois et allangourie de longue maladie, j’entray en pasmoison et convulsions, je perdis longtemps la parole, non sans apparence d’y succomber et la première qui me revint, fut : « La volonté de Dieu soit faicte. Nous l’eussions peu perdre en un düel et lors quelle consolation en eussions nous peu prendre ? » Le surplus se peut mieux exprimer à toute personne qui a sentiment par un silence. Nous sentismes arracher noz entrailles, retrancher noz espérances, tarir noz desseins et noz désirs. Nous ne trouvions un long temps que dire l’un à l’autre, que penser en nous mesmes, parce qu’il estoit seul, après Dieu, nostre discours, nostre pensée. Noz filles, nonobstant la desfaveur de la Court, heureusement mariées et mises avec beaucoup de pene, hors de la maison, pour la luy laisser nette ; désormais toutes nos lignes partoient de ce centre et s’y rencontroient. Et nous voyons qu’en luy, Dieu nous arrachoit tout, sans doute pour nous arracher ensemble du monde, pour ne tenir plus à rien, à quelque heure qu’il nous appelle, et entre cy et là, estimer son Eglize, nostre maison, nostre famille propre, convertir tout nostre soin vers elle60.

En dépit de sa foi et de sa force de caractère, Charlotte ne résiste pas et succombera quelques mois plus tard, ses Mémoires s’achèvent sur le discours de sa mort rédigé par les pasteurs qui l’assistent. Philippe y ajoutera quelques sonnets à la gloire de Charlotte, ainsi que le discours édifiant de son agonie, elle s’efforce à lire les psaumes et manifeste une confiance et une sérénité censées exprimer sa foi en Dieu.

Bien que n’occupant pas de charges officielles et n’ayant pas accès à l’Université, les femmes protestantes, à l’instar de Charlotte, se sont donné les moyens de s’impliquer dans la Cause. Tout au long de ses Mémoires, Charlotte fait preuve de son indépendance, de sa liberté de pensée, de son courage, allant même jusqu’à tenir tête au roi, sans jamais se plaindre d’être entravée par son sexe. N’ayant pas accès à la scène publique, Charlotte rédige des Mémoires qui ont pour vocation de la décrire, ils représentent donc un substitut qui, qu’on le veuille ou non, l’y inscrivent pleinement. Charlotte n’assiste certes pas aux commissions mais dès lors qu’elle en analyse les enjeux, en commente les débats, en évalue les résultats, elle s’en fait l’historienne. Son savoir, sa compréhension, le brillant de son style la placent dans une position qui n’a rien à envier à celle des acteurs masculins61. Elle ne combat dans aucun affrontement mais s’y rend présente ne serait-ce qu’en les relatant et en leur donnant du sens. De fait, elle inscrit la mémoire de soldats et de faits d’armes qui, sans elle, auraient sans doute été oubliés. Retraçant l’engagement de Philippe Duplessis-Mornay et le sien, les Mémoires de son épouse, au-delà de la fresque historique qu’ils brossent, illustrent aussi la capacité des femmes, en l’occurrence protestantes, à se donner les moyens de faire entendre leur voix même si l’époque n’y est pas encore tout à fait propice.

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1. Conférence prononcée à la Société de l’histoire du protestantisme français le 11 février 2015.

2. Marie Dentière (1495-1561), Renée de Ferrare (1510-1574), Jeanne d’Albret (1528-1572), les princesses d’Orange, pour certaines issues de la maison de Coligny, Renée Burlamacchi (1568-1641), seconde épouse d’Agrippa d’Aubigné : autant de femmes protestantes qui se sont distinguées par leur action au service de la Cause autant que par leur érudition. Cf. : Site de la Société Internationale pour l’Étude des Femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR) http://www.siefar.org

3. Marianne Carbonnier-Burkard, « La Réforme en langue de femme », in : Jean Delumeau (dir.), La Religion de ma mère Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Paris : Cerf, 1992, p. 173-192 ; Id., « Femme » in : Pierre Gisel (dir.), Encyclopédie du protestantisme, Genève/Paris : Labor et Fides/Cerf, 1995, 2e éd., Paris : PUF, 2006, p. 493-499 ; Id., « Le martyre au féminin dans le martyrologe réformé de Jean Crespin », in : Véronique Alemany, Monique et Bernard Cottretg (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, Paris : Éditions de Paris, 2006, p. 72-103.

On consultera aussi avec profit, entre autres Evelyne Berriot-Salvadore, Les Femmes dans la société française de la Renaissance, (Histoire des idées et critiques littéraire 285), Genève : Droz, 1990 ; Suzan Broomhall, « Femme, écriture, foi : les Mémoires de Madame de Mornay », in : Hugues Daussy – Véronique Ferrer (dir.), Servir Dieu, le Roi et l’État. Philippe Duplessis-Mornay (1549-1623), (Albineana 18), Genève : Droz, 2006, p. 587-604 ; Ben Witherington, Women and the Genesis of Christianity, Cambridge University Press, 1990 ; Henriette de Witt-Guizot, Les Femmes dans l’histoire, Paris : Hachette, 1888 ; Kathleen Wilson-Chevalier – Eliane Viennot (dir.), Royaume de femynie : pouvoirs, contraintes, espaces de liberté des femmes de la Renaissance à la Fronde, ’Paris : Champion, 2000 ; Katharina M. Wilson (éd.), Women writers of the Renaissance and Reformation, Athens/London : University of Georgia Press, 1987.

4. J’emprunte cette expression au titre du riche ouvrage de Linda Timmermans, L’Accès des femmes à la culture, Paris : Champion, 1994.

5. Éliane Viennot, « Les femmes dans les “troubles” du xvie siècle », CLIO. Histoire, femmes et sociétés 5, 1997, p. 2-13.

6. Catharine Randall, « Shouting down Abraham : How sixteenth century Huguenot women found their voice », Renaissance Quaterly 50-2 (1997), p. 411-442.

7. Adolphe Schaeffer, « Madame Duplessis-Mornay, née Charlotte Arbaslete », BSHPF 2 (1854), p. 649-666.

8. Mémoires de madame de Mornay, éd. critique et introduction N. Kuperty-Tsur, Paris : Champion, 2010. Toutes les citations dans la suite renvoient à cette édition.

9. Je ne citerai que les noms, de Nicolas de Villeroy, Henri de Mesmes, Tavannes, Villars, Brissac, Cheverny, etc. La liste est longue et on peut la retrouver en consultant les grandes collections de Mémoires, comme celles compilées, entre la fin du xviiie et tout au cours du xixe siècle par François Guizot, Michaud et Poujoulat, etc.

10. Cf. notamment le Journal de Louise de Savoie in Collection universelle des Mémoires particuliers relatifs à l’Histoire de France, t. 16, Paris, 1786 ; les Mémoires de Jeanne d’Albret édités par le baron de Rubble, Paris, 1893 ; les Mémoires de Marguerite de Valois édités par Eliane Viennot, Paris : Champion, 1999.

11. Les Mémoires de madame de La Guette, édités par Micheline Cuénin, (Le Temps retrouvé), Paris : Mercure de France, 2003, et bien sûr les célèbres Mémoires de la Grande Mademoiselle, duchesse de Montpensier, Paris : Librairie Fontaine, 1985. Voir à ce sujet Jean Garapon, La Culture d’une princesse, écriture et portrait dans l’œuvre de la Grande Mademoiselle (1627-1693), Paris : Champion, 2003 ; Id., La Grande Mademoiselle mémorialiste, Genève : Droz, 1989.

12. Eliane Viennot, Les Femmes, la France et le pouvoir. L’invention de la loi salique (ve-xvie), Paris : Perrin, 2006.

13. Le pamphlet en France au xvie siècle, (Cahiers V. L. Saulnier, Collection de l’École Normale Supérieure de Jeunes Filles 25), Paris, 1983 ; Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion. Vers 1525-Vers 1610, Seyssel : Champ Vallon, 1990.

14. Cf. Les Mémoires du duc de La Force, les lettres des ambassadeurs présents à Paris, le témoignage anonyme cité dans les Mémoires de Villeroy, le témoignage horrifié de Jacques-Auguste de Thou dans De Vita Sua à propos des sévices infligés au cadavre de l’amiral de Coligny.

15. Dans le sillage du livre de Mireille Huchon, Louise Labé. Une créature de papier, Genève : Droz, 2006, il est légitime et même parfois stimulant de revisiter l’attribution d’une œuvre à une femme. L’Heptameron de Marguerite de Navarre a fait l’objet de cette interrogation (voir la préface de Gisèle Mathieu-Castellani à son édition de L’Heptaméron, Paris : Librairie générale, 1999). On peut donc s’interroger sur le fait que Charlotte se présente comme auteure de son texte. À cet effet, la consultation des lettres de Charlotte que Mme de Witt a publiées dans la première édition de ses Mémoires n’est pas vraiment concluante dans la mesure où il s’agit d’une écriture rapide de demandes domestiques qu’elle adresse à son mari ou bien elle lui transmet de courtes informations ponctuelles sans soin stylistique particulier, contrairement aux Mémoires. En revanche, la lettre de protestation qu’elle adresse au consistoire de Montauban à la suite de la décision de lui interdire l’accès au temple est beaucoup plus probante. Noble et habituée à paraître en public en perruque, Mme de Mornay s’offusque que le consistoire lui demande d’ôter ses faux-cheveux au temple sous prétexte qu’elle ne saurait apparaître déguisée devant le Seigneur (cf. Joshua Rosenthal, « L’affaire de la coiffure : l’autorité théologique et l’identité matrimoniale chez Mornay », Albineana, 18, (2006), p. 617-628).

16. Exception faite bien sûr de certains écrits de propagande qui lui seront néanmoins attribués comme Vindiciae contra tyrannos (Paris, 1581).

17. David de Licques, Histoire de la Vie de Messire Philippes de Mornay, Leyde : Bonaventure et Abraham Elsevier, 1647.

18. Cf. Hugues Daussy, Les Huguenots et le roi, Genève : Droz, 2002.

19. C’est la thèse que soutient également Natalie Zemon Davis, « Gender and Genre : Women as historical writers, 1400-1820 », in : Patricia Labalme (éd.), Beyond their sex : Learned Women of the European Past, New York : New York University Press, 1980 ; Natalie Zemon Davis, Juive, catholique et protestante, trois femmes en marge au xviie siècle, Paris : Seuil, 1997 (traduit de l’anglais :Women on the margins, three seventeenth century lives, Cambridge (Mass.)/London : Harvard University Press, 1997).

20. Nadine Kuperty-Tsur, « L’idée d’opposition dans les Mémoires de Charlotte Duplessis-Mornay », in : Marie-Paule de Weerdt-Pilorge, L’Idée d’opposition dans les Mémoires d’Ancien Régime, (Cahiers d’Histoire culturelle 16,), Tours : Presses de l’Université, 2004, p. 27-36.

21. Nadine Kuperty-Tsur, « Rhétorique parentale et religieuse : les voies de la transmission des valeurs de la Réforme aux enfants », in : Myriam Yardeni – Ilana Zinguer (dir.), Les deux Réformes chrétiennes. Propagation et diffusion, Leiden : Brill, 2004, p. 153-171.

22. Nadine Kuperty-Tsur, « Le portrait de Philippe Duplessis-Mornay dans les Mémoires de son épouse », in : H. Daussy – V. Ferrer (édir.), Servir Dieu, le Roi et l’État (voir n. 2), p. 565-586.

23. Mémoires de madame de Mornay, p. 63-64. Le style de cette lettre dédicatoire est presque celui d’une incantation et illustre bien l’imprégnation de la rhétorique calviniste : cf. Olivier Millet, Calvin et la dynamique de la parole, Paris : Champion 1992.

24. Mémoires de madame de Mornay, p. 69-70.

25. Mémoires de madame de Mornay, p. 71.

26. Mémoires de madame de Mornay, p. 71-72.

27. Pansée.

28. Mémoires de madame de Mornay, p. 107.

29. Laisserions.

30. Mémoires de madame de Mornay, p. 111.

31. Mémoires de madame de Mornay, p. 108-109.

32. Mémoires de madame de Mornay, p. 138.

33. Mémoires de madame de Mornay, p. 144-5.

34. Mémoires de madame de Mornay, p. 151.

35. Mémoires de madame de Mornay, p. 153.

36. Samuel 1, 19. Samuel est le fils qu’Anne a consacré à Dieu.

37. François de La Noue (1531-1591), noble protestant, soldat et auteur des Discours politiques et militaires.

38. Cousin de Philippe Duplessis-Mornay.

39. Mémoires de madame de Mornay, p. 154

40. Mémoires de madame de Mornay, p. 156.

41. Mémoires de madame de Mornay, p. 164.

42. Écrit en marge du manuscrit : « Ils sont tous deux enterrez à Rouen. »

43. Mémoires de madame de Mornay, p. 170. Lorsque Charlotte désigne M. De L’Aigle comme l’un des premiers hommes de cette profession, elle témoigne probablement du fait que les médecins accoucheurs commencent à disputer leur place aux sages-femmes.

44. Mémoires de madame de Mornay, p. 333.

45. Ibid.

46. Mémoires de madame de Mornay, p. 334.

47. Antoine de Loménie (1560-1638), ambassadeur du roi à Londres puis secrétaire d’État.

48. Trois des plus grandes batailles que livra Henri IV pour la conquête du royaume et sa pacification.

49. Mémoires de madame de Mornay, p. 335.

50. Le roi en répand le récit sous forme de lettre ouverte.

51. Mémoires de madame de Mornay, p. 339.

52. Mémoires de madame de Mornay, p. 336.

53. Mémoires de madame de Mornay, p. 337.

54. C’est aussi la thèse de H. Daussy, Les Huguenots et le roi, op. cit.

55. Mémoires de madame de Mornay, p. 339.

56. Jürgen Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere, An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, translated by Thomas Burger, [1re éd. allemande 1962], M.I.T., USA, 1989.

57. Théodore de Bèze avait succédé à Calvin en 1564, à la tête de l’Église protestante de Genève.

58. Mémoires de madame de Mornay, p. 341-2.

59. Mémoires de madame de Mornay, p. 343.

60. Mémoires de madame de Mornay, p. 424-5.

61. Colette H. Winn – Donna Kuizinga (éd.), Women writers in pre-revolutionary France : strategies of emancipation, New York/London : Garland Publishing, 1997.