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Villegagnon, entre légende noire et légende dorée

Frank Lestringant

Université de Paris-Sorbonne

Né en 1510 à Provins, Villegagnon est Champenois de naissance1. Au printemps 1552, Henri II le charge de mettre Brest en état de défense contre les Anglais. Muni d’une commission spéciale, Villegagnon entre bientôt en conflit avec le capitaine de la place, Marc de Carné. À la mort de ce dernier, au mois de juin 1553, Villegagnon recueille le titre de vice-amiral de Bretagne, qu’il conserve jusqu’au moment de son départ pour le Brésil, le 14 août 15552. La Bretagne ne représente donc qu’une brève parenthèse dans une carrière des plus mouvementées.

Retraçons-la en quelques traits. D’origine modeste, Nicolas Durand de Villegagnon étudie le droit à Orléans en compagnie de Jean Calvin. En 1530, il est admis en qualité d’avocat au Parlement de Paris. L’année suivante, bénéficiant de la protection du grand maître Villiers de l’Isle-Adam, et bien que roturier, il est admis dans l’ordre de Malte. Il a tout juste 21 ans. En octobre 1541, il prend part à la désastreuse expédition d’Alger et en rédige le compte rendu. À l’été 1548, sous le commandement de Léon Strozzi, prieur de Capoue, il mène la guerre en Écosse. À la tête de quatre galères, il force le blocus anglais pour ramener la jeune Marie Stuart en France, où elle débarque le 13 août à Roscoff. Elle épousera plus tard François II, le très éphémère successeur d’Henri II, mort au bout d’un an de règne. En 1551, Villegagnon participe à la défense de Malte menacée par les Turcs et justifie la position française après la chute de Tripoli. Le différend franco-espagnol et l’hostilité d’Omédès, le nouveau grand-maître de l’ordre, lui valent de passer l’hiver 1552 dans un cachot du château de Crémone, que commande don Alvaro de Luna. À peine libéré sur intervention de l’ambassadeur de France, il se voit chargé d’une commission spéciale visant à renforcer les défenses de Brest qui menaçaient ruine. Après une difficile coexistence avec le vice-amiral en place, l’incapable Marc de Carné, il obtient les coudées franches dès l’année suivante après la mort de ce dernier. Veillant à la réparation des fortifications, il est chargé en outre de « faire radouber les gros navires du Roy »3.

Mais la grande aventure le tente. Grâce à la protection de Coligny, il obtient de commander l’expédition chargée de fonder une colonie en baie de Rio de Janeiro. C’est l’établissement de la France Antarctique, qui sombre cinq ans à peine après sa fondation. Dans l’intervalle, la colonie a été renforcée par un groupe de quatorze « Genevois », en réalité des réfugiés huguenots. À la Pentecôte 1557, le conflit éclate au sujet de la sainte Cène. Réprouvant la conception symbolique du sacrement, Villegagnon témoigne d’un attachement que les protestants jugent idolâtre pour le dogme de la transsubstantiation. Le divorce est bientôt consommé entre les deux partis. Les Genevois, dont le jeune cordonnier Jean de Léry, qui plus tard écrira le récit du voyage, refusent la corvée et désertent. Ils trouvent refuge en terre ferme, au lieu-dit la Briqueterie, au droit de l’actuelle plage de Flamengo, à l’embouchure du rio Carioca, parmi les sauvages qui les accueillent à bras ouverts et les festoient. Lorsqu’en janvier 1558 ils repartent vers la France sur un bateau de fortune, rongé par les tarets et faisant eau de toutes parts, cinq d’entre eux décident de retourner vers Villegagnon. Ce dernier, qui soupçonne un guet-apens, les jette aux fers, instruit leur procès et exécute par noyade les trois récalcitrants. Ce sont les trois martyrs réformés du Brésil, dont le témoignage prendra place dès 1564 dans le martyrologe réformé de Jean Crespin et plus tard, en 1581, dans la galerie des Hommes illustres en pieté et doctrine de Théodore de Bèze4. L’écho s’en rencontre jusque dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, publiés en 16165. Le passage des « Feux » qui leur est consacré se conclut par ces vers :

Ce n’est en vain que Dieu desploia ses thresors

Des bestes du Bresil aux solitaires bords

Affin qu’il n’y ait cœur, ni ame si sauvage

Dont l’oreille il n’ait peu frapper de son langage6.

Arrivé au Brésil en novembre 1555, Villegagnon est de retour en France dans les derniers mois de 1559. En son absence, le 15 mars 1560, le Fort Coligny est pris de haute lutte par l’armada portugaise du gouverneur Mem de Sà. La colonie a vécu, mais la présence française subsiste dans la région. La résistance indienne, en baie de Guanabara, se prolonge jusqu’en 1567.

L’affaire du Brésil rebondit en France au début des années 1560. En quelques mois un déluge de pamphlets s’abat sur la place de Paris : une trentaine pour la seule année 15617. Or contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas la perte de la colonie qui est au cœur du débat, mais la trahison supposée de Villegagnon vis-à-vis de la Réforme et l’exécution des trois « Genevois » en baie de Rio. De la meute anonyme de ses détracteurs, se détache la voix du pasteur Pierre Richer, le seul adversaire que Genève ait jugé digne d’opposer au bouillant chevalier de Malte8. C’est à Pierre Richer que remonte la légende noire de Villegagnon ou, pour parler comme Arthur Heulhard, « ce courant furieux » qui, traversant l’histoire, a emporté dans ses remous la réputation du vice-amiral de Bretagne9.

La légende noire : le portrait de Villegagnon en roi cannibale

La caricature a été durablement fixée par la cinglante satire latine que Richer publie à Genève en 1561 et qui est traduite la même année à Paris sous le titre de Refutation des folles resveries, execrables blasphemes, erreurs et mensonges de Nicolas Durand, qui se nomme Villegaignon10. Richer, qui sera plus tard pasteur à La Rochelle, était l’un des deux pasteurs envoyés par Calvin à Villegagnon au Brésil. C’est lui qui, à partir de la Pentecôte 1557, avait animé la controverse eucharistique du côté protestant.

Le pamphlet latin de Pierre Richer est orné, au verso du titre, d’une gravure représentant le vice-amiral de Bretagne en cyclope Polyphème, un œil ouvert au milieu du front, tandis que les deux orbites sont à peine marquées et témoignent de l’aveuglement spirituel du personnage. Villegagnon est demi-nu, vêtu d’une sorte de pagne11 [ill. 1]. Il porte moustache et barbe courte, comme sur le portrait gravé du Musée de Nemours qui le montre en buste et en armure12 [ill. 2].

Ill. 1 Portrait-charge de Villegagnon en Polyphemus, avec la devise : « Ipse Iovem et caelum sperno, et penetrabile fulmen » (« Je méprise Jupiter, le ciel et la foudre qui pénètre »). Pierre Richer, Petri Richerii Libri duo apologetici ad refutandas naenias, & coarguendos blasphemos errores, detegendaque mendacia Nicolai Durandi qui se Villagagnonem cognominat, « Hierapoli » [= Genève], 1561, verso de la page de titre.

Le bois gravé du pamphlet de Richer le montre légèrement déhanché, la jambe droite en avant. Il s’appuie de la main droite sur une solide massue qui lui sert aussi de bâton d’aveugle. Le corps présente une impressionnante musculature : ventre carrelé, bras bosselés de muscles. Cette anatomie herculéenne est celle d’un géant, comme le cyclope de la mythologie.

Ill. 2. Portrait gravé en taille-douce de « Nicolaus Durand de Villegagnon. » Villegagnon en armure et en buste, estampe sur papier contrecollée sur papier vergé, 18,3 x 16,5 cm (hors support secondaire) ; 32,8 x 25,2 cm (support secondaire), Château-Musée de Nemours.

En-dehors de la massue grossièrement taillée, il a pour attribut une flûte ou flageolet qu’il porte en sautoir au moyen d’une cordelette.

Dans la version française du pamphlet, imprimée selon toute probabilité par Nicolas Édouard à Paris, la gravure, reproduite sur une feuille dépliante, est la réplique maladroite de l’original latin. Le visage est à présent tourné à droite (et non plus à gauche). La maladresse du dessinateur se décèle dans le manque général de proportions : jambes courtes et bras longs, poitrine creuse, ventre efflanqué. Le pagne est devenu un haillon effiloché. Le cyclope Polyphème arbore désormais une barbe bifide et ses cheveux sont hérissés en arrière par une inexplicable bise, sans doute le vent glacial que l’auteur suppose régner dans les terres inhospitalières du Brésil ! L’artiste a tenté d’enrichir le décor de la gravure de départ. À l’unique touffe d’herbes située près de la jambe sénestre de Polyphemus se substituent deux arbustes, l’un vert et l’autre mort, placés symétriquement de part et d’autre du géant [ill. 3].

La gravure, dans ses deux versions, est bordée sur le pourtour de distiques injurieux, déclinant les titres fabuleux du « roi d’Amérique ». Je cite la version française : « Nicolas, flateur, seditieux, Durand Villegaignon, vil bordelier illustre, Rustique infame. Chevalier de Malte, Asnier de moulin. Docteur en loix, Cuysinier de gueule. Advocat au Senat Parisien, Plaidereau au bourbier Pharisien. » Sous la forme d’une adresse liminaire au lecteur, un commentaire versifié fournit la clef de cette allégorie. Par le « lourd bâton de chêne » est exprimée la dureté de cœur de Villegagnon,

Dont il n’ha merité de n’avoir pour repas

Que du gland [...]13.

Si les orbites de « Nicolas Durand » sont vides, le troisième œil au milieu du front désigne sa nature de « Monstre Cyclopien ». Cyclope en effet, puisque, à l’instar des géants de la légende, il méprise « Dieu et le Ciel supresme ». Cyclope, plus encore, parce qu’il se nourrit de chair humaine, à la semblance de Polyphème dévorant les compagnons d’Ulysse dans sa caverne. « Polyphemus » ou « Polypheme » est du reste le titre de la gravure dans ses deux versions latine et française.

Anthropophage, Villegagnon l’est à plusieurs titres : c’est tout d’abord un tyran « mangeur de peuple », et l’épithète homérique de démoboros, de démovore, lui convient admirablement14. Non content, selon Richer, suivi par Jean de Léry, de contraindre les colons à un régime de travaux forcés, il leur appliquait à la moindre désobéissance des tourments dignes de l’Enfer. Par exemple, il faisait dégoutter de la graisse de lard fondue sur le corps du coupable, jusqu’à ce que mort s’ensuive. La Refutation déclare ce supplice plus cruel que celui du tyran Phalaris qui enfermait ses ennemis dans un taureau d’airain chauffé à blanc15. De toute évidence, la justice de Villegagnon s’apparente à une cuisine du vivant où l’on brûle et rôtit la victime, sans l’abattre au préalable.

Ill. 3. Portrait-charge de Villegagnon en cyclope Polyphème. Pierre Richer, La Refutation des folles resveries, execrables blasphemes, erreurs et mensonges de Nicolas Durand, qui se nomme Villegaignon […], Paris, 1561, BnF, 8°LB33. 532, pl. dépliante hors-texte.

Mais le pire degré de l’horreur alimentaire est atteint quand l’anthropophagie devient théophagie. Le comble du cyclope Villegagnon est qu’il est un mange-Dieu. Telle est, comme le précise encore l’épître au lecteur, la barbarie attachée à la croyance en la transsubstantiation :

Ce Cyclops inhumain de la celeste place

Faict venir Jesuschrist, pour aux dents le briser,

Et le mange tout vif, pour sa faim appaiser16.

Polyphème, c’est donc l’archétype du catholique romain, attaché, comme Villegagnon, à la croyance en la présence réelle et corporelle de Jésus-Christ dans l’Eucharisti.

Une autre gravure satirique de la même année 1561, intitulée Le Renversement de la grand marmite, renouvelle l’identification de Villegagnon au Cannibale17. Cette fois, ce n’est plus le géant borgne de la mythologie qui sert de support à la satire, mais un authentique roi cannibale du Brésil, dont la présence, à l’extrême-droite de la gravure, tranche sur une foule essentiellement composée de moines, de prêtres et de religieuses, dont l’une exhibe une grossesse très avancée [ill. 4]. Cette foule se presse autour d’une cloche retournée en marmite et débordante de bouillon gras, où nagent des mitres, des crosses, des croix et des parchemins scellés. La marmite du pape est l’un des thèmes favoris de la propagande protestante, un des plus populaires aussi dans ces années de rupture qui précèdent immédiatement les guerres de Religion. Pour les réformés, la marmite symbolise le scandale d’une religion ravalée en cuisine, la papauté ne poursuivant d’autre but, selon eux, que le bien-être matériel et l’embonpoint de ses adhérents18. En 1562 un pamphlet imprimé à Lyon administrera L’Extreme Onction de la Marmite Papale19.

Ill. 4. Anonyme, Le Renversement de la grand marmite, bois gravé colorié au pochoir, 370 x 475 mm. Paris, BnF, Est. Qb 1 (1585).

Sans attendre, dès le courant de 1561, Le Renversement de la grand marmite introduit le tumulte en pleine cuisine. Perdant son jus par une fente et mal soutenue par les « droits canons » que disposent en guise d’étais les docteurs en théologie, la marmite papale est boutée par la Vérité surgie du ciel et armée du glaive des Saints Évangiles. Avant que la déconfiture soit complète, des resquilleurs tentent de pêcher un ultime bénéfice dans la soupe qui verse par-dessus bord ; parmi eux, Villegagnon, représenté nu, le diadème de plumes en tête et brandissant de la main gauche l’épée-massue ornée d’un panache de plumes, caractéristique des guerriers Tupinamba. En outre, ce roi cannibale arbore en sautoir un collier de coquillages ou d’osselets et sur la hanche la roue de plumes distinctive des chefs indiens. Divers indices lèvent toute ambiguïté sur l’identité du personnage : le profil moustachu et barbu, et surtout la croix de Malte épinglée sur la mamelle gauche désignent sans doute possible le chef de la France Antarctique. Mais las ! la canne à pêche qu’il tient d’une main ferme s’est brisée, et il y a peu de chance qu’il ramène au bout de sa ligne détendue le chapeau de cardinal dont il rêve.

Le thème du cannibalisme n’est pas étranger à cette scène de bataille autour d’un chaudron. La cuisine des papes prend ici des couleurs sanglantes. Trois martyrs sont entassés comme des bûches sous la marmite et alimentent un vif feu de cuisine. À vrai dire, ces trois martyrs se dédoublent entre leurs corps inertes et leurs âmes nues et graciles qui s’élèvent vers le soleil de justice, comme aspirées par la sphère rayonnante où s’inscrit le tétragramme divin. Les trois âmes sont recueillies à mi-parcours de leur ascension par un ange aux ailes déployées, qui leur tend la couronne du martyre. Portant l’auréole à la manière des saints dans les retables d’église – et l’on constate ici une parenté évidente entre la caricature protestante et l’iconographie catholique traditionnelle –, les trois âmes ne sont pas sans évoquer les trois « martyrs » du Brésil, les artisans Pierre Bourdon, Jean Du Bordel et Matthieu Verneuil, que Villegagnon fit précipiter enchaînés dans les eaux de la baie de Rio de Janeiro.

Certes, au Brésil, Villegagnon, pour l’exécution des trois réformés, choisit l’eau de préférence au feu, non le bûcher mais la noyade, moyen plus expéditif et moins spectaculaire. Il reste que la proximité, à l’intérieur de la même gravure, de Villegagnon « emplumassé » et des trois martyrs dénudés jusqu’à l’âme, suspendus au-dessus de lui entre terre et ciel, ne doit sans doute rien au hasard. Cette rencontre entre martyrs et bourreau, dans le quart supérieur droit de la planche, contient une allusion transparente à l’actualité que les contemporains, du moins les huguenots et leurs sympathisants, pouvaient aisément saisir. Elle suggère aussi l’idée d’une revanche spirituelle obtenue in extremis par les martyrs de la foi réformée sur une religion adverse dégradée en cuisine et dont les rites barbares s’apparentent à ceux des peuples sauvages.

Une défense tardive

Cette image négative, et même caricaturale, va naturellement appeler un correctif, ou plutôt une inflexion en sens inverse. Mais cette contre-caricature va tarder à se dessiner. Villegagnon lui-même ne répond que très brièvement aux injures personnelles dont il est l’objet, la bassesse des attaques les disqualifiant d’elles-mêmes. Il concentre en revanche la riposte sur le plan théorique, ne signant pas moins d’une demi-douzaine de traités, pour la plupart en latin, afin de démontrer le caractère hérétique, au sujet de l’Eucharistie notamment, des positions calvinistes défendues au Brésil par Richer et ses compagnons20.

Or il se trouve que Villegagnon, dans sa riposte, est relativement isolé. Il se défend presque seul. Il n’est même pas certain qu’il se soit fait aider par le dominicain Jérôme Possot, théologien de la Sorbonne, comme le prétendent ses adversaires21. Bien sûr, il sera relayé beaucoup plus tard par Gilbert Génébrard, docteur de la Sorbonne, et, au début du siècle suivant, par Jacques Severt, l’auteur de l’Antimartyrologe, ou Verité manifestée contre les Histoires des supposés martyrs de la Religion pretendue reformée22. Pour le moment, il est seul face à un front uni et partiellement anonyme constitué par les réformés de Genève et les huguenots de Paris.

Comme Villegagnon, et presque vers le même moment, Ronsard lui aussi se trouvera seul lorsqu’il lancera contre les protestants la série véhémente des Discours. Le stupéfiant succès de librairie qui accueille le Discours des misères de ce temps et ses Continuations va de même valoir à Ronsard le feu nourri et convergent des contre-attaques protestantes, entre douze et quinze répliques en l’espace de quelques mois23.

Ronsard, du reste, avait bien conscience de prendre la succession du chevalier de Malte, à la fois comme champion de l’Église catholique outragée et comme tête-de-Turc des polémistes protestants déchaînés contre lui. Un passage de la Remonstrance au peuple de France, composée en décembre 1562, pendant la première guerre de Religion, indique en toutes lettres cette filiation, en prêtant à l’adversaire le calcul suivant :

Avant qu’il soit long temps on luy rendra son change,

Comme à Villegaignon qui ne s’est bien trouvé,

D’avoir ce grand Calvin au combat éprouvé24.

En écho presque immédiat, trois des pamphlets versifiés dirigés contre Ronsard par des protestants en colère vont déclarer le « poëtastre vieux »

Plus sot, fol et resveur que n’est Villegagnon,

ce Villegagnon assimilé par un calembour facile à une « vieille guenon »25. Un jeu de mots latin, dans une Prosa ironiquement attribuée à Nicolas Maillard, doyen de la Faculté de théologie de Paris, fait de Villegagnon un pilier de taverne (lat. ganeo) :

Vide Villagagnonem / Nunc mutatum ganeonem26.

Contre Villegagnon en 1561 et contre Ronsard en 1562, la tactique protestante est la même : le champion solitaire et autoproclamé du catholicisme menacé est immédiatement la cible d’un déferlement ininterrompu de libelles anonymes qui l’attaquent de toutes parts et mêlent aux arguments de la controverse politique et religieuse des insultes du plus bas étage, telles que les accusations de gloutonnerie, de paillardise, de « bougrerie », de couardise, de vénalité, de démence et de folie furieuse, etc27.

D’emblée, les pamphlétaires huguenots sont organisés en parti, alors que, du côté catholique, la riposte, en ce tournant des années 1560, apparaît quelque peu improvisée. Grossissant le trait comme à son habitude, Arthur Heulhard voit cependant juste, quand il parle à ce sujet d’« une coalition fort unie »28.

La seconde raison qui rend compte de la solitude de Villegagnon est que les athlètes ne se pressent pas du côté catholique. Il y a, à ce moment d’expansion, voire d’explosion, de la Réforme, pénurie de bons théologiens et de controversistes pour défendre l’orthodoxie religieuse. Le rapport de force intellectuel aura définitivement changé au cours de la décennie suivante. Mais quand se déclenchent les guerres de Religion, on peut dire que les protestants occupent le terrain de la controverse, efficacement soutenus par un réseau de libraires-imprimeurs pour une large part acquis à la Réforme.

La troisième raison de la solitude de Villegagnon est sa position délicate, en porte-à-faux vis-à-vis du roi et de la cour, mais aussi de l’Église catholique. Autant qu’à combattre le parti adverse, il a à justifier sa conduite et à faire oublier certaines de ses amitiés qui, comme celle de Calvin ou celle de Renée de France, l’épouse d’Hercule d’Este, qui l’a accueilli à Ferrare en août 154329, ne laissent pas d’être compromettantes. En fait, avant de s’engager par la plume et par l’épée au service du parti catholique, Villegagnon s’est efforcé de se maintenir au-dessus de la mêlée. Comme l’a rappelé Thierry Wanegffelen, c’est le type même du « moyenneur », à la recherche d’une formule de concorde qui pût réunir, sur des fondements raffermis et « réformés », l’ensemble des chrétiens de France30. La solution tentée lors du colloque de Poissy à la fin de l’été 1561, sous le parrainage de Catherine de Médicis et du chancelier Michel de L’Hospital, l’avait été trois ans plus tôt par Villegagnon sous le ciel du Brésil et s’était déjà conclue par un échec.

Avec le temps, une telle position « moyenne » est devenue intenable, voire incompréhensible. Villegagnon sent décidément le soufre. Bien sûr, quand l’historiographie catholique, au temps de la révocation de l’édit de Nantes, retrace avec Bossuet et Maimbourg la controverse du Brésil français, elle donne le beau rôle à Villegagnon – non sans hésitations toutefois. En revanche, et symétriquement, Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique, se saisit de la personnalité de Villegagnon pour démontrer que le calvinisme n’est pas nécessairement facteur de dissensions civiles31.

Mais il faut attendre la fin du xixe siècle pour que Villegagnon acquière la stature de grand maudit de l’Histoire et suscite la mobilisation des hagiographes décidés à venger sa mémoire offensée.

La légende dorée

Le paradoxe est que ce sont les protestants qui inventent le corps de Villegagnon. C’est grâce aux protestants que Villegagnon a cette consistance charnelle et psychologique qui fait les bons personnages de roman, autant que les héros de l’hagiographie coloniale. Si Villegagnon a du corps, comme l’on dit des vieux vins, c’est à ses ennemis huguenots qu’il le doit.

Alors même qu’il fait de sa monographie sur Villegaignon, roi d’Amérique une apologie militante et sans nuances, au seuil de laquelle il déclare vouloir « s’immoler à son sujet »32, Arthur Heulhard emprunte aux auteurs qu’il combat, et dont il dénonce à longueur de page les calomnies et les mensonges, son portrait physique et moral du chef de la France Antarctique. C’est sur la foi de Pierre Richer et de la cohorte d’anonymes qui le relaient qu’il prête à Villegagnon « une constitution d’athlète » et « une ambition de conquérant »33. C’est en tirant parti de la légende d’inspiration calviniste qu’il peut peindre le chevalier de Malte en « bon géant marin » emportant dans ses bras la petite princesse Marie Stuart enlevée à la surveillance des Anglais en 154834. C’est aux caricatures protestantes que Villegagnon doit de faire pendant, à la même échelle et gratifié de la même stature, au « demi-géant » Quoniambec, le féroce Quoniam-bébé, chef tamoio de la rivière des Vases, que Thevet, en 1584, avait célébré en termes dithyrambiques dans Les Vrais Pourtraits et Vies des hommes illustres.

Sur ce point comme sur d’autres, Arthur Heulhard a été démarqué dans deux livres d’une vulgarisation hâtive et fourmillant d’à-peu-près, agrémentés, de surcroît, de broderies romanesques, l’un par Léonce Peillard35, et l’autre par les soins conjugués de Lucien Provençal et de Vasco Mariz36. On lit par exemple dans le Villegagnon de lucien Provençal et Vasco mariz cette affirmation étonnante, qui procède à l’origine de l’imagination fertile du cosmographe André Thevet : « Une anecdote illustre la force herculéenne de Cunhambebe qui charge un canon sur son épaule et fait face à l’ennemi pendant qu’un de ses hommes allume la mèche »37. Peu importe aux auteurs que Léry ait montré en son temps le caractère invraisemblable de cette prouesse38. Il leur importe seulement d’arriver à cette conclusion : « Villegagnon a trouvé aussi fort que lui »39. Heulhard, jamais en manque de truculence et de verve, précisait quant à lui dans une note de bas de page :

De nos jours il n’est pas nécessaire d’aller au pays de Quoniambec pour voir ce tour de force : il suffit d’aller dans un cirque : c’est parfois une simple femme qui opère40.

Autre invention, venue d’Heulhard, dans le même passage de la petite hagiographie portative de Provençal et Mariz : un événement surnaturel aurait favorisé l’approche de Villegagnon, en l’occurrence « une légende indienne qui veut que le peuple soit libéré par un géant blond et barbu »41. Rien ne permet de dire que Villegagnon ait été blond. Il est évident, d’autre part, que les Indiens n’avaient nul besoin d’être libérés, puisqu’ils étaient déjà libres, et qu’au contraire beaucoup devinrent esclaves par suite de l’arrivée des Occidentaux.

Quant au gigantisme de Villegagnon, ce trait hérité de la caricature protestante, il est tout moral, comme on l’a vu. C’est le signe distinctif de l’Outrecuidé, l’homme rempli d’hybris qui, par une démesure criminelle, prétend se hausser au-dessus des mortels pour « écheler » les cieux, à l’exemple des géants de la mythologie, et attenter ainsi à la majesté divine.

La corpulence de Villegagnon a fort à voir aussi avec la marmite et les grasses cuisines du pape. Les libelles du début des années 1560 reviennent à plaisir sur ce thème. À les lire, on se convainc aisément que Villegagnon possède un appétit pantagruélique. C’est en effet un moine soldat, qui, par une conséquence implacable, « rue en cuisine », à l’exemple des moines de Rabelais, et tout particulièrement de frère Jean des Entommeures, le compagnon de Pantagruel et de Panurge42.

La Prosa Nicolai Mallarii, ou « Prose de Nicolas Maillard », déjà citée, qui a Ronsard pour cible principale, accorde à Villegagnon une strophe et ce portrait en latin macaronique :

Vide Villagagnonem

Nunc mutatum ganeonem

(Qui solum farcit ventrem

Phalerno et dapibus

Fruens partis opibus)

Derelictum inermem43.

Déjà la Refutation de Pierre Richer exploitait ce registre culinaire. L’épître en vers « au Lecteur » faisait rimer « la cuisine bonne » du Pape « Avec le gras boillon, et les pots de Sorbonne ». Il ne faut rien moins que cette marmite et ces pots pour « son corps remplir »44. L’Estrille pour blason d’armoiries de la Chevallairie de Villegaignon, libelle anonyme qui fait suite à la Refutation, rappelle pour mémoire cette vérité communément admise : « Cependant, combien que je ne sonne mot, chacun sait que Villegaignon est belistre de toutes cuisines. Et de faict un si grand corps n’ayant que frire, cherchera par tout à se farcir »45.

Il reste qu’en imaginant Villegagnon en Hercule des tropiques, les récents hagiographes de Villegagnon donnent la main à ses détracteurs de jadis. Qu’on en juge par ce portrait haut en couleur du vice-roi du Brésil, tel que le dressent, après Heulhard et Peillard, Lucien Provençal et Vasco Mariz : « de taille pantagruélique et de construction cyclopéenne, riche et rude de poil, les épaules larges et hautes, les poings comme des marteaux, le torse fait pour la cuirasse, rêvant de Turcs assommés, de galères fendant la mer, avec cela bourré de Cicéron et de Plutarque, de Justinien et d’Alciat, adroit, léger, prompt aux armes, aux chevaux et à tous les exercices du corps »46. Refermons les guillemets.

Indéniablement, le souffle de Rabelais est passé par là. Ou plutôt celui des pamphlétaires huguenots qui, au tournant des années 1560, donnèrent un nouvel essor à la verve et aux procédés rabelaisiens, pour « carnavaliser » l’adversaire catholique. Léonce Peillard va même jusqu’à soutenir qu’à défaut de quartiers de noblesse, « sa bonne mine, sa taille de géant, sa force herculéenne » firent admettre d’emblée Villegagnon dans l’ordre de Malte47. Quand le même Peillard montre son héros entrant dans Provins, sa ville natale, au retour de sa captivité de Crémone, il lui donne la stature de Gargantua payant sa bienvenue aux Parisiens48 : « Les rideaux des maisons se soulevaient pour voir passer ce cavalier à stature de géant, droit cambré sur son cheval »49.

La fiction s’est donc emparée de l’histoire. Elle a trouvé son amorce et quelques-uns de ses matériaux dans la polémique protestante des années 1561-1563. Au demeurant, les clichés de l’anti-protestantisme primaire sont réunis au grand complet dans cette littérature hagiographique, depuis l’austérité maladive de Calvin, dont le physique ingrat contraste avec la généreuse corpulence de Villegagnon – ce trait était longuement développé dans le fameux Castellion contre Calvin, de Stefan Zweig, avant guerre –, jusqu’à l’inévitable bûcher de Michel Servet. À ce propos, la philippique d’Arthur Heulhard vaut d’être citée :

Estienne a demandé le bûcher pour Rabelais. De Bèze a présenté le supplice de Servet non comme un accident de la conscience humaine, mais comme l’application d’une théorie émanant de Dieu même. La peine de mort pour l’hérétique et le libertin a été affirmée, proclamée par eux comme un acte juste et nécessaire et, afin qu’aucun doute ne planât, ils l’ont insérée dans leur code. « De tels monstres doivent être étouffés » dit Calvin. S’il avait plu à Villegagnon de se placer au même point de vue, il n’avait qu’à envoyer la sentence à De Bèze, entre les feuilles de son traité Du droit du magistrat civil à punir les hérétiques. Lorsque Villegagnon, du droit bien autrement fort qu’a le magistrat militaire, fit punir trois hommes pour avoir trahi, combien Calvin en avait-il fait tuer pour avoir seulement différé d’opinion50 !

Au risque du plagiat, Léonce Peillard résume ou plutôt répète en écho : « Lorsque Villegagnon punit de mort trois hommes pour trahison, combien Calvin en avait-il fait exécuter pour avoir seulement différé d’opinion51 ? » Dans son roman Rouge Brésil, prix Goncourt 2001, Jean-Christophe Rufin, qui lui aussi a lu Heulhard de près, ne manque pas de rappeler l’affaire Servet et de stigmatiser, par la bouche du dissident Quintin, un libertin spirituel, « l’horrible Théodore de Bèze », qui a justifié dans une brochure le brûlement du médecin espagnol52.

On voit donc comment cette littérature partisane, tout en sacrifiant à l’antiprotestantisme primaire, se montre paradoxalement tributaire, jusque dans le détail de sa narration, des allégations calomnieuses de la satire huguenote. Heulhard, qui est au point de départ de ce curieux infléchissement de l’histoire de la France Antarctique en hagiographie, ne cache pas du reste la fascination qu’exerce sur lui la Refutation de Pierre Richer. Avec une sorte d’admiration haineuse, il voit dans cette satire assassine la main de Théodore de Bèze et même celle de Calvin :

L’Apologie parue sous le nom de Richer est de telle envergure, et d’un latin si pur et si nerveux que Calvin lui-même s’y dénonce. Richer, disciple subalterne, est-il l’auteur de ce magnifique pamphlet dont chaque phrase distille un venin magistral ? Je ne le croirai jamais, dût Calvin sortir de la tombe pour l’affirmer53.

Quant à la pièce de vers liminaire dont on a cité plus haut la version française, elle présente « un tour fébrile qui est bien dans la facture du poète des Juvenilia »54. « – Est-ce le petit coup de main de Théodore de Bèze ? », interroge malicieusement Heulhard, qui s’empresse de répondre à sa propre question, sans le moindre élément de preuve : « Je le crois fort. »

Du moins la fictionalisation est-elle excusable quand elle rencontre le genre romanesque. La réussite incontestable de Jean-Christophe Rufin dans Rouge Brésil et celle d’Antônio Torres, l’auteur de Mon cher Cannibale55, doivent beaucoup à l’incarnation pamphlétaire des années 1561-1563, dont Léry donne ensuite la synthèse dans l’Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, quelque quinze ans plus tard. Le cruel pamphlet de Pierre Richer fournissait, à quatre siècles de distance, une excellente matière à roman en même temps qu’il composait un personnage archétypal, renouvelé de la fable antique et projeté dans l’espace insolite des Grandes Découvertes.

Aux yeux de Pierre Richer et de Jean de Léry, Villegagnon était tout à la fois un nouveau Cyclope, un nouveau Thyeste et un nouveau Caïn56. Le voici donc promu, par la grâce d’un historien irascible et complaisant, suivi d’imitateurs tardifs, « vice-roi du Brésil » et même « roi d’Amérique », un nouveau Don Quichotte, en définitive, dont la fortune aurait fait son jouet en le projetant dans l’époque ingrate des guerres de Religion. L’histoire telle qu’on l’écrit se répète ad nauseam. Rien de nouveau sous le soleil d’une histoire ravalée en mythologie postcoloniale !

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1. Ce texte a été partiellement publié sous une forme mutilée et fautive, dépourvue de notes, sous le titre : « Villegaignon : entre la légende noire et la légende dorée », in : Jean-Yves Mérian (dir.), Les Aventures des Bretons au Brésil à l’époque coloniale, Rennes : Éditions Les Portes du large, 2007, p. 165-182. La présente version, intégralement restituée, a bénéficié en outre d’une mise à jour et surtout des compléments fournis par Julie Jousset, du Château-Musée de Nemours. Voir ci-après la note 12.

2. Arthur Heulhard, Villegagnon, roi d’Amérique. Un homme de mer au xvie siècle (1510-1572), Paris : Ernest Leroux, 1897, p. 70-79.

3. Ibid., p. 78.

4. Théodore de Bèze, Les Vrais Pourtraits des Hommes illustres en pieté et doctrine, Genève : Jean de Laon, 1581, réédition en fac-similé, Genève : Slatkine Reprints, 1986, p. 177-179 : « Jean du Bordel, Matthieu Vermeil, Pierre Bourdon ».

5. Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, « Au Dezert, Par L.B.D.D. », 1616, IV, « Les Feux », v. 330-346.

6. Agrippa D’Aubigné, Les Tragiques, éd. Jean-Raymond Fanlo, Paris : Champion, 1995, IV, 343-346.

7. Geneviève Guilleminot, Religion et politique à la veille des guerres civiles : recherches sur les impressions françaises de l’année 1561, thèse de l’École des Chartes, ex. dactylographié, Paris, 1977.

8. Voir mon article : « Calvinistes et Cannibales. 2ème Partie : la Réfutation de Pierre Richer », BSHPF, 126 (1980), p. 167-192.

9. Arthur Heulhard, op. cit., « Au lecteur », p. iij : « En remontant ce courant furieux, on se trouve en face d’un tout petit filet d’eau qu’un homme a eu soin d’empoisonner à sa source ; et cet homme, c’est Richer, le Ministre fatal, serf de Calvin et de Coligny, fauteur de tous les troubles que, pour se décharger, les protestants reprocheront ensuite à Villegagnon ». Cet extrait de l’épître liminaire constitue un bon échantillon de la prose passionnée et violemment partisane d’A. Heulhard.

10. L’original latin a pour titre : Petri Richerii Libri duo apologetici ad refutandas naenias, & coarguendos blasphemos errores, detegendaque mendacia Nicolai Durandi qui se Villagagnonem cognominat, « Hierapoli » (= Genève), 1561. La version française s’intitule quant à elle : La Refutation des folles resveries, execrables blasphemes, erreurs, et mensonges de Nicolas Durant, qui se nomme Villegaignon, divisée en deux livres. Auteur Pierre Richer, s. l. [Paris : Nicolas Edouard ?], 1561.

11. Pierre Richer, La Refutation, op. cit., feuille dépliante encartée entre les feuillets 12 et 13 (ex. Consulté, BnF : Rés. 8.Lb33.532).

12. Portrait gravé en taille-douce de Nicolas Durand de Villegagnon en armure et en buste, le regard tourné vers la droite de l’image, estampe sur papier contrecollée sur papier vergé, 18,3 x 16,5 cm (hors support secondaire) ; 32,8 x 25,2 cm (support secondaire), avec au-dessus l’inscription manuscrite à l’encre noire sur le support secondaire : « Nicolaus Durand de Villegagnon. », Château-Musée de Nemours. On ne connaît pas le livre d’où est extraite cette planche. Je remercie Julie Jousset, assistante scientifique chargée des collections du Château-Musée de Nemours, d’avoir bien voulu me fournir une reproduction de ce document.

13. P. Richer, La Refutation, op. cit., « Au lecteur », f. 2 r°.

14. Homère, Iliade, I, 231.

15. P. Richer, La Refutation, op. cit., f. 12 r°. Pour une anecdote comparable, cf. Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, Paris : LGF, « Bibliothèque classique », 1994, chap. VI, p. 189-190.

16. P. Richer, op. cit., f. 3 r°.

17. BnF, Estampes, qb 1 (1585). Sur cette estampe de grandes dimensions (370 x 475 mm), voir Philip Benedict, « Des Marmites et des Martyrs : images et polémiques pendant les guerres de Religion », La Gravure française à la Renaissance à la Bibliothèque nationale de France, Los Angeles et Paris, 1994-1995, p. 109-137. À compléter, pour la relation de cette gravure avec la polémique brésilienne de 1561, par Frank Lestringant, « Le Cannibale et la Marmite », Bulletin du Bibliophile, 1996, 1, p. 82-107 ; repris en appendice de : Le Huguenot et le sauvage. L’Amérique et la controverse coloniale, en France, au temps des guerres de Religion, 3e éd., Genève : Droz, 2004, p. 420-448. Voir encore Jean-Baptiste Trento et Pierre Eskrich, Mappe-Monde Nouvelle Papistique. Histoire de la Mappe-Monde Nouvelle Papistique, édition critique par Frank Lestringant et Alessandra Preda, Genève : Droz, 2009, « Introduction », p. XCI-XCVI, planche 12, p. XCIII. – Arthur Heulhard, op. cit., p. 230, n’a pas compris l’allusion glissée par Jean de Léry dans l’Histoire d’un voyage, op. cit., chap. VI, p. 191 : « si celuy ou ceux qui comme un sauvage, apres qu’il fut de retour par-deça, le firent peindre tout nud, au dessus du renversement de la grande marmite… » De surcroît, il la porte au compte de Thevet : « Les calvinistes dessinèrent Villegagnon nu comme un sauvage, “au-dessus du renversement de la grande marmite”, (dit Thevet, ce qui ne s’entend guère), avec une croix et un flageolet au cou ».

18. Sur l’imaginaire de la marmite dans la polémique protestante, voir Denis Crouzet, La Genèse de la Réforme française 1520-1562, Paris : SEDES, 1996, p. 355-357 : « Une image entre d’autres : la marmite romaine ».

19. L’Extreme Onction de la Marmite Papale. Petit traité auquel est amplement discouru des moyens, par lesquels la Marmite Papale a esté jusques icy entretenue à proffit de mesnage, Avec les authoritez de la saincte Escriture, de sa decadence et ruine, Lyon, 1562 ; exemplaire conservé à la Bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, sous la cote Rés. 15407-8°.

20. Pour une juste appréciation de l’œuvre de controverse de Villegagnon, voir Irena Backus, « Nicolas Durand de Villegagnon contre Calvin : le Consensus Tigurinus et la présence réelle (analyse de la Paraphrase du chevalier Villegagnon sur la Résolution des sacrements de Maistre Jean Calvin, 1562) », in : Olivier Millet (éd.), Calvin et ses contemporains. Actes du colloque de Paris 1995, Genève : Droz, 1998, p. 163-178. Tout en relevant les points faibles de la doctrine calvinienne de la Cène, Villegagnon propose quant à lui « un amalgame invraisemblable : une mauvaise lecture de la problématique tridentine de l’oblatio in coena y côtoie la doctrine luthérienne selon laquelle la messe ne peut pas être un sacrifice, puisque celui-ci a été accompli par le Christ sur la croix, et non à la dernière Cène ! »

21. Cette accusation, qu’Irena Backus estime mal fondée, est portée par Pierre Richer dans La Refutation des folles resveries, op. cit., f. 31 v° : « il entreprend ce beau et grand œuvre par le secours de Hierosme Possot, de l’ordre de saint Benoist, Matheologien, et par la faulse industrie d’autres Sophistes de la Sorbonne, desquels il emprunte quelques chapitres, et principalement ceux, dedans lesquels sont alleguées les sentences des vieux autheurs, lesquelles il amasse pour parfaire un juste volume ». Richer fait erreur sur l’identité de Possot, qui n’était ni bénédictin ni docteur en théologie, mais dominicain et prieur du couvent de Provins, la ville d’où Villegagnon était originaire. Cette confusion, qu’a relevée Irena Backus, peut évidemment faire douter du bien-fondé de l’accusation portée par Richer. Voir I. BACKUS, « Nicolas Durand de Villegagnon contre Calvin », art. cit., p. 177, n. 39.

22. Jacques Severt, L’Antimartyrologe, ou Verité manifestée contre les Histoires des supposés martyrs de la Religion pretendue reformée, imprimees à Geneve onze fois. Divisé en douze livres, Lyon : Simon Rigaud, 1622, VII, II, p. 595-598. Sur l’Antimartyrologe de Jacques Severt, voir Arthur Piaget et Gabrielle Berthoud, Notes sur le Livre des Martyrs, Neuchâtel : Université de Neuchâtel, 1930, chap. VII, p. 100-135.

23. Voir sur ce point l’édition de Jacques Pineaux, La Polémique protestante contre Ronsard, Paris : Société des textes français modernes, diff. Didier, puis Les Belles Lettres, 1973, 2 vol.

24. Pierre de Ronsard, Remonstrance au peuple de France, vers 596-598, éd. Paul Laumonier des Œuvres complètes, Société des Textes Français Modernes, t. XI, 1940 et 1973, p. 94.

25. Jacques Pineaux (éd.), La Polémique protestante contre Ronsard, op. cit., t. I, p. 103 : Remonstrance à la Royne, « Dizain de C.D.B. à P. de Ronsard », v. 10. Cf. t. II, p. 341 : Seconde Response, v. 180 ; p. 401 : Métamorphose de Ronsard, v. 67-70 ; p. 458 : Prosa Nicolai Mallarii, v. 157-162.

26. Prosa Nicolai Mallarii, v. 157-158, in J. Pineaux (éd.), La Polémique protestante, op. cit., p. 458.

27. Sur l’isolement de Ronsard face aux protestants, voir surtout Daniel Ménager, Ronsard. Le Roi, le poète et les hommes, Genève : Droz, 1979, 3e section, chap. III, p. 240-252.

28. A. Heulhard, op. cit., p. 186.

29. Voir Frank Lestringant, L’Expérience huguenote au Nouveau Monde (xvie siècle), Genève : Droz, 1996, p. 55-62.

30. Thierry Wanegffelen, Ni Rome ni Genève. Des fidèles entre deux chaires en France au xvie siècle, Paris : Champion, 1997, p. 262-275. Plus généralement sur cette question, Mario Turchetti, Concordia o tolleranza ? François Bauduin (1520-1573) e i « Moyenneurs », Genève : Droz, 1984.

31. Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, seconde édition, Rotterdam : Reinier Leers, 1702, où trois articles sont consacrés à la France Antarctique du xvie siècle, s. v. « Leri », « Richer » et « Villegaignon ». Sur la nouvelle actualité de la France Antarctique au tournant des Lumières, voir Bruna Conconi, « Les Fortunes de la France Antarctique de Villegagnon au temps de la crise de la conscience européenne : les métamorphoses d’une controverse », in : Frank Lestringant (éd.), La France-Amérique (xvie-xviiie siècles). Actes du xxxve Colloque international d’Étudeshumanistes, Paris : Champion, 1998, p. 143-166.

32. A. Heulhard, op. cit., « Au lecteur », p. IV.

33. Ibid., chap. I, p. 2.

34. Ibid., p. 188-189.

35. Léonce Peillard, Villegagnon, Vice-Amiral de Bretagne, Vice-Roi du Brésil, préface d’Alain Peyrefitte, Paris : Perrin, 1992.

36. Lucien Provençal et Vasco Mariz, Villegagnon. Un chevalier de Malte au Brésil, Paris : Éditions Rive droite, 2001. Je mets à part le livre, décidément inclassable, de Serge Elmalan, Nicolas de Villegagnon ou l’utopie tropicale, Lausanne : Éditions Favre, 2002, enfant bâtard du journalisme et de l’histoire.

37. L. Provençal et V. Mariz, op. cit., p. 63.

38. Jean de Léry, Histoire d’un voyage, op. cit., « Preface », p. 85 : « comme d’une façon ridicule (pensant faire accroire que ce sauvage, sans crainte de s’escorcher, ou plustost d’avoir les espaules toutes entieres emportées du reculement des pieces, tiroit en ceste sorte) [Thevet] l’a ainsi fait peindre en sa Cosmographie ». Cf. ibid., chap. III, p. 136, variante de 1585.

39. L. Provençal et V. Mariz, op. cit., p. 63.

40. A. Heulhard, op. cit., p. 114, note 1.

41. Ibid., ad loc. Toute cette page est démarquée d’A. Heulhard, op. cit., p. 114.

42. François Rabelais, Quart Livre, chap. XI : « Pourquoy les moines sont voluntiers en cuisine », Œuvres complètes, éd. Mireille Huchon, Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 562-564.

43. Prosa Nicolai Mallarii, v. 157-162, in : J. Pineaux (éd.), Polémique protestante contre Ronsard, op. cit., p. 458. En voici la traduction : « Vois Villegagnon / maintenant changé en pilier de taverne / (Qui farcit son ventre de vin de Phalerne et de festins, / jouissant des richesses de son parti) / abandonné sans défense ».

44. P. Richer, La Refutation, op. cit., « Au lecteur », f. 3 r°.

45. Estrille pour blason d’armoiries de la Chevallairie de Villegaignon, Paris, 1561, f. A 3 v°.

46. L. Provençal et V. Mariz, op. cit., p. 23.

47. L. Peillard, op. cit., p. 22.

48. F. Rabelais, Gargantua, chap. XVII : « Comment Gargantua paya sa bien venue es Parisiens », OC, p. 48.

49. L. Peillard, op. cit., p. 80.

50. A. Heulhard, op. cit., p. 174.

51. L. Peillard, op. cit., p. 165.

52. Jean-Christophe Rufin, Rouge Brésil, Paris : Gallimard, 2001 ; « Folio », 2004, p. 363.

53. A. Heulhard, op. cit., p. 230.

54. Ibid., p. 233.

55. Antônio Torres, Meu Querido Canibal. Romance, 3a ediçâo, Rio de Janeiro-Sâo Paulo : Editora Record, 2002.

56. Jean de Léry, op. cit., chap. XXII, p. 549 : « Neantmoins je diray encore ce mot, que Villegagnon ayant esté le premier qui a respandu le sang des enfans de Dieu en ce pays nouvellement cogneu, qu’à bon droit, à cause de ce cruel acte quelqu’un l’a surnommé le Caïn de l’Amerique ».