Fredric Bedoire, Le Monde des huguenots. De la France des guerres de Religion au Stockholm de la noblesse marchande, Paris : Champion, 2013, 389 p.
C’est un livre à part que nous offre la série « Vie des huguenots » avec cet opus signé Fredric Bedoire. Il faut le dire d’emblée, nous n’avons pas affaire à un ouvrage de recherche universitaire classique, à la publication d’une thèse ou à une étude conduite par un historien professionnel, mais plutôt au travail d’un amateur au sens noble du terme, à une plongée dans une histoire familiale qui vient recouper la « grande » histoire, celle de la diaspora huguenote établie en terre scandinave à la charnière des xviie et xviiie siècles.
L’auteur retrace en partie la destinée de son ancêtre, Jean Bedoire, un huguenot originaire de Cognac en Saintonge arrivé à Stockholm en 1670 et qui a puissamment contribué à la fondation d’une Église française, ainsi que de ses descendants jusqu’au début du xixe siècle. Il met en valeur le rôle important qu’ils ont joué dans l’activité économique, en particulier dans le domaine commercial et dans le développement des forges, une des activités de prédilection des réformés français mais aussi néerlandais, venus notamment de la région de Liège et dont les compétences en métallurgie les ont conduits à s’impliquer tout particulièrement dans ce secteur économique. Tel est le cas notamment de Louis de Geer et Willem de Besche, dont les activités sont décrites de manière détaillée au fil de chapitres bien documentés.
Un autre aspect central de cet ouvrage concerne la dimension culturelle et artistique de l’émigration huguenote en Suède. L’auteur offre un très intéressant exposé sur l’importance jouée par les huguenots à la cour de la reine Christine dont ils ont composé en partie l’entourage. L’épanouissement culturel auquel ils ont contribué est ainsi bien mis en valeur à travers l’évocation des jardiniers, médecins, artistes et autres négociants en produits de luxe d’origine huguenote qui ont permis l’épanouissement du milieu curial suédois. Mais plus encore, c’est aux architectes et à leurs réalisations que Fredric Bedoire consacre certains de ses plus longs développements. L’une des caractéristiques du livre est en effet l’intérêt constamment porté à l’architecture et aux spécificités des conceptions calvinistes en la matière, pour les temples, les demeures privées mais aussi les villes et les établissements industriels. L’auteur exploite ici ses compétences, puisqu’il est professeur d’histoire de l’architecture à l’École royale des Beaux-Arts de Stockholm.
Bien que ce livre ne soit pas exempt de défauts, puisqu’il souffre d’un plan décousu, de l’absence totale de notes et du manque chronique d’un réel fil conducteur, il n’en demeure pas moins digne de considération car, en exploitant une bibliographie inaccessible pour qui ne maîtrise pas le suédois, il offre une multitude d’informations sur l’établissement et le rôle des huguenots dans un État luthérien qui ne leur a pas facilité la tache. Les difficultés rencontrées par les réformés dans cet État où l’orthodoxie luthérienne fut encore renforcée en 1686 sont bien décrites. Des développements très instructifs sont consacrés aux tracasseries administratives et judiciaires dont furent l’objet les calvinistes réfugiés, qu’ils soient français ou néerlandais, mettant en lumière la rigueur luthérienne à l’encontre d’une minorité dont certains membres étaient alors persécutés et forcés de fuir le royaume de France où Louis XIV venait de révoquer l’édit de Nantes. Cette hostilité relative prit fin lorsque vint le temps de la liberté religieuse, concédée par le roi à l’orée de la décennie 1740.
Hugues Daussy