Comptes rendus
CR
Richard Sharpe, Libraries and Books in Medieval England. The Role of Libraries in a Changing Book Economy
Édité par James Willoughby : Oxford, Oxford University Press, 2023, 192 pages, 16,5 x 24 cm [120 $] — ISBN : 9781851246014
Tiré de la série des Lyell Lectures donnés par Richard Sharpe à Oxford au cours de l’année universitaire 2018-2019, cet ouvrage représente un des derniers apports de ce spécialiste reconnu de l’histoire du livre médiéval avant sa mort l’année suivante. La préparation de l’édition fut assurée in memoriam par James Willoughby qui signe également la préface. Sharpe s’appuie sur une vie de recherche dans ce domaine pour nous livrer une vue d’ensemble de la création, de l’évolution et, souvent, de la disparition des bibliothèques au cours de la période médiévale. Pour cela, il se repose avant tout sur la somme de Neil Ker, Medieval Libraries of Great Britain et l’engouement que cette publication a suscité pour la question des provenances dans le monde anglophone. Le travail de Ker fut numérisé et transformé en base de données régulièrement mis à jour, et Sharpe lui rend un hommage appuyé dans le premier chapitre de ce livre. Il est ainsi en mesure d’offrir une cartographie du livre médiéval en Angleterre qui souligne la dispersion harmonieuse des volumes à travers le pays. Leur survie privilégie, en revanche, clairement l’ordre bénédictin : plus de la moitié des livres qui sont parvenus jusqu’à nous étaient conservés dans les abbayes de cet ordre. Aux provenances de ces ouvrages, l’auteur associe l’analyse des catalogues et inventaires anciens composés principalement entre les xiiie et xve siècles.
À cette approche quantitative, Sharpe ajoute une réflexion qualitative pour comprendre l’origine des livres dans ces collections. La question de la production des livres et des scriptoria est évoquée et le porte à conclure qu’au cours de ces siècles beaucoup plus de livres appartenaient initialement à des individus qu’à des institutions. Leur présence aujourd’hui dans des bibliothèques institutionnelles soulève le problème du mouvement des livres et, dans le contexte des bibliothèques, de ce qu’il qualifie de turnover des collections. Sharpe note l’importance des ventes, parfois à d’autres institutions, et des acquisitions. Il identifie aussi des indices plus subtils tels que l’attribution d’anciennes cotes à de nouveaux volumes dans la bibliothèque abbatiale de Syon – en concluant au réemploi des précédents volumes comme parchemin de rebut. Il souligne aussi que ces changements ne sont pas forcément textuels : dans les collèges, il note que des versions plus récentes se substituent à des exemplaires plus anciens des mêmes textes.
L’envergure chronologique permet à Sharpe de considérer l’évolution des bibliothèques. Les collections se développèrent considérablement au xiie siècle alors que Londres émerge déjà comme le centre de l’économie du livre en Angleterre au xiiie siècle. Les bibliothèques bénédictines semblent connaître leur apogée au xive siècle, alors que celles des collégiales continuèrent de croître. Portant sa réflexion jusqu’au xvie siècle, il évoque la dissolution des monastères qui eut lieu à un moment où les bibliothèques institutionnelles peinaient à survivre. Elle fut à l’origine de nombreuses pertes, mais n’affecta qu’indirectement les collections universitaires qui pourtant furent victimes d’un véritable désintérêt. Remplies de livres « inutiles », les collections souffrirent de leur obsolescence. Il conclut que l’imprimé enleva aux bibliothèques médiévales leur raison d’être.
Sharpe offre ainsi une vision large de la nature et de l’évolution des bibliothèques, issue de décennies de recherches mais sans négliger l’historiographie et les outils les plus récents. L’auteur ne recule pas devant les difficultés ou l’interprétation même lorsqu’elle doit nécessairement être quelque peu spéculative. Il propose trois grandes leçons à retenir : la nature protéiforme des bibliothèques médiévales, leur aspect et contenu changeants ainsi que leur appartenance à un contexte plus large de l’économie du livre de leur temps. Le résultat est un livre accessible et clair, présentant le sujet d’une manière analytique et dont la lecture continument intéressante peut être largement recommandée.