Comptes rendus
CR
Pauline Chougnet et Jean-Philippe Garric, La ligne et l’ombre. Dessins d’architectes XVe-XIXe siècle
Paris, BnF Éditions, 2020, 223 pages, ill. couleurs, 28 cm. [45 €] – ISBN : 978-2-7177-2829-3 (br.)
Ces dernières décennies, le dessin d’architecture est devenu un thème majeur de l’histoire de l’art, comme en témoigne la riche bibliographie du livre (p. 210-212). En 2001, l’ouvrage trilingue – français, anglais, italien –, Les dessins d’architecture au xviiie siècle, par Daniel Rabreau (Bibliothèque de l’image), est encore une simple anthologie légendée, mais, depuis, s’est construite autour des dessins d’architecture une subtile problématique, dont ce livre est une magnifique illustration. Les deux auteurs, spécialistes confirmés du sujet, nous proposent ici une nouvelle synthèse, superbe à la fois par la clarté du parcours, la variété des dossiers, et la splendeur des dessins reproduits en grand nombre (169 fig.).
Après une brève introduction qui pose avec fermeté la problématique de « la culture graphique de l’architecture », et du double visage du dessin d’architecture, « une œuvre et un document » (p. 12-17), l’ouvrage qui s’appuie pour l’essentiel sur les collections du Département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, s’articule en trois parties : « Apprendre et faire connaître » (p. 18-79), « Édifier la cité » (p. 80-139), « Normes et plaisirs du décor » (p. 140-191). Après une brève conclusion, « Édifier : une ambition partagée » (p. 192-193), on peut lire une histoire éclairante de la constitution des collections de dessins d’architecture de la BnF (p. 194-201). Suivent les utiles Annexes, Lexique, Bibliographie, Liste des illustrations, Index des noms de personnes (p. 202-223).
Sous toutes leurs formes si variées, les dessins d’architecture sont à la fois « des supports pour l’apprentissage du métier, et des outils permettant d’observer et de concevoir des édifices » ; depuis la Renaissance, ils sont le principal outil de la connaissance intime des édifices et de la pratique professionnelle des architectes, notamment dans leurs échanges avec les différents métiers du bâtiment, comme avec les maîtres de l’ouvrage. Ils documentent les édifices et leur environnement ; mais ils sont aussi une œuvre, un monument en eux-mêmes. Ils témoignent également de l’élaboration du projet, avec ses hésitations, ses repentirs, ou la fulgurance d’une heureuse solution graphique.
Le principal fondement théorique de l’architecture de la Renaissance, le traité antique de Vitruve, De architectura, nous est parvenu sans illustrations. Du xve au xviiie siècle, les architectes européens se sont attachés à les restituer en s’appuyant sur leurs relevés des ruines romaines et grecques, comme le proclame en 1537 le frontispice des Regole generali dell’architettura de Serlio : Roma quanta fuit ipsa ruina docet. Cette entreprise conduite dans toute l’Europe est le premier moteur de l’essor du dessin d’architecture. Une nouvelle science, l’archéologie, va naître. Le premier chapitre de la première partie, « Le voyage et l’enquête archéologique », en présente de spectaculaires exemples, du charmant petit temple rond de Tivoli à un curieux temple mexicain.
Cette production graphique trouve dans le livre son support privilégié : Du dessin au livre, du livre au dessin. L’architecture moderne y trouve sa place avec la publication inaugurale des deux volumes des Plus excellents bâtiments de France par Jacques Androuet du Cerceau. Reproduire les dessins devient vite un enjeu majeur, dont les auteurs retracent la riche histoire, dont se détache l’art du Frontispice (p. 69-79).
La deuxième partie, « Édifier la Cité », explore le rôle du dessin dans le travail des agences d’architectes. De la plus fruste esquisse au dessin de présentation, en passant par les plans, coupes et façades, l’architecte produit un grand nombre de dessins, mais ce nombre conduit bientôt à l’émergence de l’agence avec ses collaborateurs, dessinateurs qui viennent parfois brouiller la notion d’auteur, comme l’illustre le cas de François d’Orbay. Suivent de multiples dossiers sur des points particuliers, comme les charpentes, ou des typologies singulières, comme les églises ou les théâtres, les colonnes monumentales ou les abattoirs.
« Normes et plaisirs du décor », troisième partie du livre (p. 140-193), aborde un volet essentiel de l’histoire du dessin d’architecture, mais parfois négligé au profit de l’architecture monumentale, bien que dans l’architecture classique il n’y ait pas de solution de continuité : les ordres, colonnes et pilastres sont souvent les principaux outils de la structure constructive, mais ils sont considérés aussi dans les traités comme le premier et principal des ornements. L’histoire du décor commence par la colonne avec ses mesures et ses modules, et avec son extrême variété de formes. Le souci de faire contraster architectures extérieure et intérieure, conduit à un grand concours d’inventions graphiques (p. 158-165). Au xixe l’éclectisme et l’historicisme produisent des chefs d’œuvre, que notre génération a réévalués.
Comme le manuscrit de l’écrivain, ces feuilles, relevés archéologiques, projets modernes ou études du décor, éclairent le processus créatif, mais beaucoup constituent aussi des œuvres autonomes. Elles ont donc, comme on l’a dit, le double visage de documents et de monuments.