Revue française d’histoire du livre

Faces cachées de l’imprimerie et de la librairie lyonnaises (XVe-XVIIIe siècle)

DOSSIER_144

Avant-propos

Malcolm WALSBY

École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Centre Gabriel Naudé

malcolm.walsby@enssib.fr

Il y a 550 ans, Lyon accueillait sa première presse à imprimer. Au cours des décennies et des siècles qui suivirent, la ville devint une capitale du livre imprimé exportant ses exemplaires à travers l’Europe et même au-delà. Pendant une courte période, au milieu du xvie siècle, l’intense activité de la nouvelle industrie fit même de Lyon le deuxième centre typographique du monde. Si la production de livres souffrit des tensions des guerres de Religion pendant la seconde moitié du siècle et de la montée en importance d’autres centres, notamment de Genève, le déclin de l’imprimerie lyonnaise fut relatif. Au cours des deux siècles qui suivirent, les ateliers de la ville continuèrent à produire de nombreuses éditions, parfois sous couvert d’anonymat ou de fausses adresses qui ont sans doute induit les chercheurs à en sous-estimer la diversité et la prolixité1.

Du fait de l’abondance des éditions et de l’importance de certains des textes qui parurent sur les presses de la ville, de nombreuses publications paraissent chaque année sur l’imprimerie et la librairie lyonnaise. Il était peut-être inévitable que cet intérêt concentre le regard sur une petite partie de la production totale. On met ainsi principalement à l’honneur les ouvrages littéraires, à l’image de l’excellent travail récemment mené sur Louise Labé et sur les éditions de ses poèmes2. Les grandes figures du monde du livre sont également célébrées, que ce soit Sébastien Gryphe au xvie siècle ou les Duplain au xviiie siècle3. Et, bien sûr, une multitude d’articles se penchent sur des éditions précises, démontrant la marque pérenne laissée par l’industrie dans une grande variété de domaines.

Face à ce foisonnement, le choix a été fait dans ce dossier thématique de se pencher sur ce qui peut sembler encore aujourd’hui des aspects moins étudiés de l’imprimerie et de la librairie de la ville à l’époque moderne. L’analyse de l’arrivée des presses dans la ville au xve siècle s’est principalement portée sur les objets typographiques. Nous présentons ici un article qui, au contraire, se détourne quelque peu de la figure de l’imprimeur et de la création de l’objet pour considérer le rôle crucial joué par l’éditeur commercial Barthélemy Buyer. La question est d’autant plus importante qu’à Lyon la séparation entre production et financement est marquée dès le début et reconnue dans les ouvrages eux-mêmes. On voit ainsi une véritable politique éditoriale évoluer de conserve avec les investissements et les crises.

La diversité des livres à Lyon est également évoquée par deux études portant sur les éditions musicales. La première analyse la production du xvie siècle en cherchant à comprendre les débuts de l’impression de la musique avec ses tâtonnements techniques pour mieux concilier typographie mobile et notes musicales. La seconde aborde la question de la vente et de la dissémination des titres, dans un tout autre contexte lorsque, au xviiie siècle, les partitions gravées dominaient le marché. Ici, l’enjeu est de comprendre la mise en place d’un système de revente de ce qui était imprimé ailleurs, avec le développement d’un réseau de « dépositaires », des libraires qui offraient ces éditions à leur clientèle. Dans les deux cas, les articles tentent d’apporter un regard nouveau sur les systèmes élaborés pour permettre la diffusion de la musique.

La technicité au service d’un large lectorat est également abordée par le biais de l’image. Grâce à l’examen minutieux d’une édition du milieu du xvie siècle, nous pouvons voir comment, pour la première fois en France, l’impression d’un texte avec de la typographie mobile en relief pouvait être conciliée avec des images issues de gravures en creux. Le moment est important : à partir du début du xviie siècle, cette technique de création d’estampes domina complètement l’illustration des livres. Plus tard dans le siècle, la production de libelles imprimés dans le cadre des guerres de la Ligue nous montre des libraires lyonnais déployant leur inventivité, cette fois pour se dissimuler. Usant de divers artifices, on découvre une véritable stratégie pamphlétaire autour de l’anonymat grâce à laquelle les libraires se protégeaient mais aussi jouaient avec leurs lecteurs, avec une telle subtilité qu’elle n’avait pas encore été détectée.

Ainsi la question de l’inventivité et de l’innovation lyonnaises dans le domaine du livre est un des fils conducteurs de ce numéro. Que ce soit en termes éditoriaux, dans l’impression ou dans la vente d’exemplaires, Lyon a été une figure de proue à l’époque moderne. En attirant l’attention sur ces aspects moins connus du livre à Lyon, on ne peut qu’espérer que ce dossier puisse susciter d’autres travaux dans ces domaines, où il reste encore tant à découvrir et à écrire.

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1 Sur ce thème, voir les articles de Dominique Varry dans Varryations. Gens du livre, marronneurs et bibliothécaires, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2020.

2 Michèle Clément et Michel Jourde (éd.), Louise Labé, Œuvres, Paris, GF Flammarion, 2022.

3 Voir notamment Raphaële Mouren (dir.), Quid novi ? Sébastien Gryphe, à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2008, et Brigitte Bacconnier, « Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain », Thèse de doctorat, dir. Dominique Varry, Université Lyon ii, soutenue en 2007.