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Christine Rivalan Guégo, Miriam Nicoli, Patricia Sorel et François Vallotton (dir.), Espaces, formes et métissages de la collection éditoriale. Europe/Amériques XIXe-XXIe siècle (Collection Interférences)

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, 316 pages, 15,5 x 21 cm [25 €] – ISBN : 9782753581784

Philippe CASTELLANO

Université Rennes 2

Cet ouvrage collectif constitue la deuxième étape de la recherche entamée depuis 2010 sous la direction de Christine Rivalan Guégo1. Les quinze contributions originales ici réunies se répartissent selon quatre thématiques choisies avec le souci constant de présenter une approche transnationale : « Enjeux de la collection éditoriale », « La fabrique de la collection », « Circulations transnationales », « Laboratoire des langues ». La gamme des collections étudiées (populaires, littéraires, de voyage, scientifiques, historiques, pour la jeunesse, politiques) permet d’obtenir une vision d’ensemble des multiples déclinaisons de cet objet éditorial. En fin de volume, deux index (des noms et des collections) facilitent toutes les recherches complémentaires.

Dans la première partie, quatre contributions s’appuient sur les éléments techniques, culturels et sociaux pour montrer ce que les collections peuvent apporter à l’offre éditoriale. A. De Pasquale détaille la création et la distribution de la « Biblioteca Popolare » conçue par l’éditeur italien G. Pomba pour toucher de nouveaux publics, quand le Risorgimento permet l’émergence d’une culture nationale. Cette initiative s’appuie à la fois sur un transfert de technologie (achat de machines pour améliorer la productivité) et sur un transfert culturel (traduction d’auteurs étrangers pour renouveler l’offre). B. Müller s’intéresse au travail de Fr. Guizot qui fonde en 1834 la Société de l’histoire de France et va entamer une entreprise d’édition de documents originaux afin de constituer un patrimoine mémoriel. Avec ce travail de collecte et de transcription, l’historien et ministre participe à l’édification d’un récit national en suivant un modèle que l’on peut retrouver en Allemagne, Italie, Angleterre, Autriche et qui nous rappelle combien « les vecteurs contribuent à modeler les sensibilités collectives »2. J. Hage rappelle le rôle majeur des éditeurs qui, au cours des années 1960, ont constitué des collections de documents politiques en France, quand les médias audiovisuels relevaient du monopole de l’État. En défendant la liberté d’expression, ils font faire de ces témoignages un genre éditorial. C. Rivalan Guégo étudie la circulation d’un modèle éditorial au début du xxe siècle à travers trois pays : l’Espagne, la France et le Royaume Uni. Avec des rythmes différents, on constate dans chacun des pays un accroissement notable du nombre de lecteurs et une demande toujours plus diversifiée ; pour y répondre, l’espace éditorial privilégie la grande diffusion et s’internationalise. L’analyse de la présentation matérielle des ouvrages (jaquette, ornements, police, couverture, logo de l’éditeur, portrait de l’auteur) met en valeur le travail des éditeurs qui ont compris combien ces éléments de présentation sont déterminants pour faciliter la décision d’achat dans une librairie mais aussi, et peut-être surtout, devant un kiosque.

Dans la deuxième partie, quatre contributions soulignent le rôle des éditeurs et des directeurs de collections et montrent comment leurs choix éditoriaux tentent de s’adapter à un public cible. C. Sablonnière s’intéresse au vaste domaine des collections de livres scientifiques en Espagne et en France à la fin du xixe et au début du xxe siècle. L’étude du paratexte des collections permet de cerner le public visé et, pour l’Espagne, l’importance des transferts souligne la dépendance du pays, surtout lorsqu’il s’agit d’un lectorat érudit. M. J. Ramos de Hoyos étudie la relation établie entre les maisons d’édition J. Mortiz (Mexico) et Seix Barral (Barcelone) autour de la collection « Nueva Narrativa Hispánica » créée en 1967. Un rappel historique situe chacun des éditeurs dans le monde éditorial auquel il participe et permet de comprendre les avantages que cette coopération apporte à chacun : une mise en valeur des auteurs nationaux, une distribution élargie à un autre continent, sans oublier un habile contournement de la censure franquiste. D. Martens et M. Labbé analysent le passage d’une collection : « Écrivains de toujours », à une autre : « Contemporains », au sein d’une même maison d’édition : le Seuil. La première, créée en 1951, est destinée à un public d’étudiants. L’évolution de la critique littéraire rend ce modèle caduc et la seconde collection, créée en 1988, supprime l’anthologie et réduit l’iconographie. Ce renouvellement montre le rôle joué par l’éditeur dans sa médiation assumée de la littérature où faire du neuf reste un impératif pour continuer à exister dans le champ littéraire. N. Gex s’intéresse aux « Entretiens sur l’Antiquité classique » conçus, financés et réalisés par le mécène Kurd von Hardt. Il s’agit d’une mise en série du savoir destiné à un groupe restreint, adepte d’une sociabilité savante pour qui « la matérialité du texte guide la lecture »3.

Dans la troisième partie, quatre contributions analysent des emprunts réalisés dans le temps et l’espace pour mieux comprendre réussites ou échecs de ces transferts. N. Dahn-Singh choisit le cas du libraire de Lausanne B. Corbaz, éditeur des quarante-trois volumes d’une « Bibliothèque populaire » constituée de livres courts à prix modique. Cette étude permet de suivre les différents rôles du médiateur culturel qui s’appuie sur la légitimité des titres français qu’il importe, puis souvent remanie pour s’adapter au lectorat local, dans le but de faciliter leur achat par les écoles. E. Marazzi détaille la circulation du savoir scientifique, à travers la déclinaison italienne des « International Scientific Series », au moment où la Convention de Berne (1886) permet de lutter contre la piraterie éditoriale. Avec la « Biblioteca Scientifica Internazionale » le libraire/éditeur Dumolard installé à Milan s’inscrit dans le courant positiviste qui favorise les adaptations nationales destinées à un public de lecteurs cultivés. J. D. Murillo Sandoval analyse un cas de transfert éditorial entre le modèle français de la « Nouvelle Bibliothèque Populaire » de l’éditeur H. Gautier et la « Biblioteca Popular » du libraire J. Roa installé à Bogotá. Dans l’espace de sociabilité de sa librairie, le prestige des lettres françaises facilite dans un premier temps la circulation des idées et favorise ensuite une revalorisation des écrivains colombiens qui participent à la construction d’une identité nationale. A. Glinoer et J. Vincent suivent les aléas de l’adaptation au Québec, par l’éditeur L.-A. Bélisle, de la collection « Great books of the western world » publiés après-guerre par M. Adler.

Dans la quatrième partie, trois contributions mettent en valeur le rôle primordial des traducteurs dans leur fonction de passeurs culturels. S. Valisa étudie la collection « Raccolta de’ viaggi », imaginée par l’éditeur milanais G. Sonzogno au début du xixe siècle en réunissant des récits de voyages inédits en italien. Les traducteurs qu’il a choisis vont devoir inventer une nouvelle terminologie qui nécessitera la présence de glossaire dans les volumes. Outre l’intérêt linguistique, la présence d’illustrations va répondre à l’horizon d’attente des lecteurs dont les représentations sont façonnées par l’écho des explorations européennes ; ce choix de dépasser les frontières nationales et linguistiques va entraîner un succès immédiat. M. Matras analyse le cas des « Classiques slaves », collection lancée en 1967 à Lausanne par V. Dimitrijevic. S. Brändly présente le cas de figure des Éditions Zoé et de leur collection « Écrits d’ailleurs » où la traduction de littérature africaine anglophone, jusque-là ignorée, permet à la maison d’édition de la Suisse Romande d’accéder au marché français sept fois plus grand.

Dans une conclusion qui reprend les apports de chacune des contributions, C. Rivalan Guégo et P. Sorel rappellent combien le modèle éditorial de la collection se caractérise par sa plasticité et son adaptabilité à des publics de lecteurs diversifiés ; mais les deux auteures soulignent aussi que s’en tenir à ce simple trait serait bien trop réducteur. Les contributions présentées – qui balayent les trois domaines de la production, de la diffusion et de la réception – démontrent en effet que les projets éditoriaux étudiés ont souvent un lien avec la formation des identités nationales et que le rôle de médiation des éditeurs et des traducteurs est fondamental. L’analyse des collections – et des archives éditoriales lorsqu’elles existent – apparaît comme un instrument privilégié pour mesurer combien les différents types de transferts (choix de textes, typographie, iconographie, présentation matérielle, types de commercialisation) façonnent tout autant qu’ils accompagnent les évolutions des différents marchés nationaux en enrichissant le spectre des œuvres disponibles. La prise en compte de la circulation internationale des formes et des contenus – grâce au travail des traducteurs – est un des mérites essentiels de cet ouvrage qui apporte un regard neuf et documenté sur la « mondialisation éditoriale » qui se développe au cours de cette période historique. La forme choisie pour donner une identité visuelle forte à chacune des collections sert alors de repère aux lecteurs dans une offre toujours plus diversifiée ; cette volonté de créer un processus de fidélisation et d’appropriation de la part des lecteurs44 est essentielle au moment où les problèmes de distribution et de commercialisation vont prendre bientôt le dessus. L’avenir dira si cette capacité de renouvellement de la collection lui permettra de franchir la nouvelle étape induite par l’édition numérique.

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1 Un premier volume collectif, La Collection. Essor et affirmation d’un objet éditorial, dirigé par Christine Rivalan Guégo et Miriam Nicoli (Rennes, PUR, 2014), s’est intéressé au moment où la collection est devenue un objet éditorial doté d’un marché propre.

2 J.-P. Rioux et J.-Fr. Sirinelli, La Culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002, p. 12.

3 Roger Chartier, « Contraintes textuelles et libertés des lecteurs », Lire en Europe. Textes, formes, lectures (xviiie-xxie siècle), Rennes, PUR, 2020, p. 17.

4 Y. Sordet, Histoire du livre et de l’édition, Paris, Albin Michel, 2021, p. 588.