Lancelot VOISIN DE LA POPELINIÈRE, L’Histoire de France, tome IV (1563-1567), éd. Thierry Rentet et Pierre-Jean Souriac, avec la collaboration d’Odette Turias et Denise Turrel (Travaux d’Humanisme et Renaissance, n° DCXIX)
Genève, Droz, 2021, 315 pages, 17,5 x 24,5 cm. [79 €] – ISBN : 13 978-2-600-06241-1
Le tome iv de L’Histoire de France de Lancelot Voisin de La Popelinière est le nouveau fruit d’une vaste entreprise éditoriale dont la première réalisation est parue il y a maintenant dix ans (Genève, Droz, t. i, 2011). Thierry Rentet succède à Denise Turrel en tant que coordinateur scientifique et rédige pour ce quatrième tome une notice introductive, que suivent et prolongent deux éclairantes réflexions.
La première, signée par Denise Turrel, dresse un scrupuleux bilan des sources de La Popelinière dans les dix premiers livres de L’Histoire de France. Ces derniers sont élaborés à partir de nombreux ouvrages, indispensables à l’historien pour relater des événements qui se sont déroulés pendant son enfance et son adolescence. La Popelinière s’appuie sur les récits de quelques catholiques comme François de Belleforest, majoritairement sur ceux de protestants comme Pierre de La Place et Louis Régnier de La Planche, sa bibliothèque manifestant son engagement en faveur de la cause réformée. Un patient travail de comparaison permet de comprendre comment La Popelinière s’approprie ses sources en une multitude d’interventions : traduction de termes érudits, neutralisation d’un ton trop polémique, suppression de mentions providentialistes, ajout de commentaires élogieux au sujet de tel ou tel gentilhomme, anonymisation de certains coupables… La Popelinière apporte également des précisions au sujet de quelques épisodes qu’il a personnellement vécus, comme l’émeute toulousaine de 1562. Sur le plan idéologique, il manifeste un souci de ne pas accabler le camp catholique – notamment Catherine de Médicis – et de présenter de manière impartiale des événements pourtant sensibles, à la manière du massacre de Wassy, ce que ne manquerons pas de lui reprocher ses coreligionnaires. Comme le fait valoir Denise Turrel, c’est dans ces modifications parfois infimes de ses sources que se décèle le positionnement politique de La Popelinière, que seule une édition critique peut pleinement mettre à jour.
La seconde contribution, rédigée par Odette Turias, propose une lecture du premier livre de L’Histoire de France, publié dans le tome i de l’édition Droz, afin d’étudier la « politique de l’emprunt » de La Popelinière. La pratique est massive sous sa plume, comme le démontre de manière éloquente le tableau qui associe chaque partie du récit à sa source et plus encore le décompte final : seuls 4,5 % du livre i peuvent être attribués à La Popelinière. Ce dernier privilégie – certainement par souci d’impartialité – les sources étrangères, principalement Jean Sleidan. Dans ce premier livre, l’historien retient avant tout les incidents politico-religieux français : un travail de sélection le conduit à exclure des événements politiques majeurs, comme le départ des fils de François Ier pour l’Espagne, à supprimer les débats dogmatiques mais à reproduire des édits royaux, qui doivent renforcer l’authenticité du propos. Sa méthode, proche du « picorage », consiste à ne reprendre de ses sources qu’un ou deux passages par folio et à réduire ainsi drastiquement la longueur des récits initiaux. La Popelinière pratique également la réécriture synthétique à l’aide des termes du texte-source, en commettant parfois des erreurs. Le récit, ainsi composé de morceaux juxtaposés, perd en précision ce qu’il gagne en cohérence thématique. Odette Turias souligne encore que la suppression – imparfaite – des termes relevant de la controverse religieuse, comme « papistes » ou « luthériens », et l’élimination rigoureuse de toute forme de merveilleux chrétien sont autant de marques du travail de l’historien compilateur.
Après cette riche entrée en matière, on découvre le livre ix de L’Histoire de France. Reprenant largement l’Histoire ecclésiastique publiée en 1580 sous la direction de Théodore de Bèze, ce dernier couvre une période allant de septembre 1562 à mars 1563. La Popelinière y relate longuement la bataille de Dreux, « l’une des plus signalés batailles qui fut jamais donnée en ce royaume ». Outre quelques détails originaux, il ajoute à son texte-source plusieurs harangues, longues pièces d’éloquence militaire qu’il prête aux principaux chefs militaires catholiques et protestants : Anne de Montmorency, le prince de Condé, le duc de Guise, Gaspard de Coligny. Le livre ix s’achève avec la pacification du royaume permise par l’édit d’Amboise. Le suivant commence par remonter en janvier 1547 pour mieux expliquer la situation du royaume d’Angleterre, adversaire de la France au moment du siège du Havre à l’été 1563. En plus de raconter la vie politique française et le retour des « tumultes », La Popelinière se tourne ainsi vers l’étranger, et s’intéresse à la trajectoire de Marie Stuart mais aussi à celle de Soliman le Magnifique, ainsi qu’au soulèvement des Pays-Bas. Le sommaire du livre promet, pour finir, une longue relation des voyages d’exploration vers les « Indes occidentales », puis de leur partage entre les puissances européennes et une description de ses habitants. Mais sûrement pressé par un imprimeur impatient, La Popelinière doit en 1581 interrompre son récit au mois de février 1567, sans avoir pu livrer cette histoire du « Nouveau monde » qui sera le sujet de son ouvrage intitulé Les Trois mondes, publié en 1582 (éd. Anne-Marie Beaulieu, Genève, Droz, 1997).