Book Title

Wallace Kirsop, avec le concours de Meredith Sherlock (éd.), Censorship in the Ancien Régime

Melbourne, Ancora Press, Monash University, 2018 : 64 pages, 17 x 25 cm. – ISBN : 978-0-648-11895-4

Fabienne HENRYOT

Enssib

Les trois copieux textes de cette brochure font suite à une après-midi d’études qui s’est tenue le 8 juillet 2010 à la State Library Victoria, alors que Jean-Dominique Mellot, l’un des historiens les plus représentatifs de l’histoire du livre en France, était présent à Melbourne pour un autre séminaire.

La censure est d’abord une affaire d’hommes, de réseaux, de probité et de connivences. J.-D. Mellot décrit Fontenelle, académicien et auteur emblématique des salons du premier xviiie siècle, à l’œuvre dans l’appareil censorial d’État. Fontenelle fut probablement celui qui s’investit le plus longtemps dans la censure royale, pendant cinquante-cinq ans. Cette belle étude de cas met en évidence les liens entre le monde académique et la censure, l’ampleur de la tâche effectuée par un censeur, le rythme de travail, la polyvalence attendue (même si les manuscrits littéraires sont ceux qui lui sont le plus souvent confiés), enfin les stratégies d’approbation qui montrent combien la censure est finalement tolérante sous la Régence.

C’est un autre censeur royal, deux générations plus tard, qu’étudie W. Kirsop : Armand-Gaston Camus, actif juste avant la Révolution. Le personnage, juriste et homme politique, est intéressant car il a été très actif du côté révolutionnaire dès 1789. S’appuyant sur des archives totalement inconnues jusqu’à ce jour et acquises par la Baillieu Library de l’université de Melbourne, l’auteur montre comment Camus a rendu des avis très tranchés et favorables aux idées nouvelles, qui n’ont pas été respectés par sa hiérarchie (les textes ont malgré tout été censurés). Cependant, Camus a continué d’être sollicité pour des examens de censure préalable, ce qui montre bien que l’appareil censorial ne suit plus de ligne politique claire à la fin de l’Ancien Régime.

Ivan Page aborde la censure du point de vue de ses effets, avec les outils de l’histoire des bibliothèques, à travers l’exemple de la bibliothèque ecclésiastique d’Ovada, dans le Piémont. Un catalogue dressé en 1908 comprend une rubrique consacrée aux livres interdits, ce qui permet de cerner l’orthodoxie du clergé italien. La majorité des 141 livres qui s’y trouvent ont été publiés avant 1800 et reflètent les critères d’interdit de l’Index librorum prohibitorum romain : livres protestants, critique des Lumières (Hontheim, Montesquieu par exemple), la littérature libertine, les contestations du droit canon, les tentatives de concilier théologie et philosophie éclairée, le jansénisme en particulier. La comparaison entre cette liste de 141 titres et les arguments relevés dans les délibérations ayant précédé la mise à l’Index montre comment Rome a examiné les textes du xviiie siècle sans commettre les outrances censoriales du xvie siècle, mais avec beaucoup de rigueur malgré tout.

Ces trois intéressantes études de cas viennent compléter utilement le dossier de la censure d’Ancien Régime et invitent à de nouvelles approches, davantage centrées sur les individus, fidèles serviteurs de l’État malgré tout dotés de convictions personnelles entre la « crise de la conscience européenne » et la Révolution.