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Marie-Pierre Litaudon, Le Paranymphe d’honneur et de vertu. Un mystérieux manuscrit dédié à Louis XIII

Préface de Denis Crouzet, Paris-Nice, Arcadès-Ambo, 2019 : 133 pages, ill. 15 x 21 cm. [25,20 €] – ISBN : 979-10-94910-22-1

Florence BUTTAY

Université de Caen Normandie

L’ouvrage de Mme Litaudon permet de faire connaissance avec un document encore peu étudié. En effet, après avoir figuré dans la collection de bibliophiles amateurs de curiosités, comme Charles Chardin, libraire de la fin du xviiie siècle, qui avait pour client le duc de Beckford, ce Paranymphe est toujours en mains privées. La page de titre de ce manuscrit apporte les informations suivantes : Le Paranymphe d’honneur et de vertu pour Monseigneur le Prince Dauphin faict par Jean Legoys R., A Mazères, 1606. Sa reliure, aux armes du fils d’Henri IV, que l’on peut attribuer à l’atelier du relieur Clovis Ève, actif au service des rois de France du dernier Valois aux années 1630, atteste que le manuscrit a bien figuré dans la bibliothèque du futur Louis XIII.

C’est moins à l’étude du manuscrit en tant que tel à laquelle s’attache Marie-Pierre Litaudon qu’à l’identification de son auteur, Jean Legoys. Ainsi, après une première partie intitulée « Une œuvre composite à la croisée des genres », qui décrit rapidement cet in-quarto de 88 folios de papier, elle consacre une deuxième partie au Paranymphe comme « Miroir d’un médecin pédagogue, serviteur du dauphin » où elle expose son hypothèse : Jean Legoys serait un pseudonyme derrière lequel se cacherait le fameux médecin du roi Jean Héroard, auteur d’un journal détaillant au jour le jour le développement physique et moral du dauphin1 mais aussi d’une Institution du Prince, parue à Paris chez Jean Gosselin en 1609. Une conclusion « Pour un décryptage politique du parcours de Jean Héroard », essaie de relire la carrière de Jean Héroard à la lumière de cette hypothèse et d’autres.

On découvre ainsi ce beau manuscrit composé, d’après la description de l’autrice, Mme Litaudon, de deux ensembles. Après quelques pièces liminaires – des dédicaces au roi, à la reine et au dauphin lui-même et un portrait du jeune Louis –, on trouve d’abord un alphabet emblématique, largement inspiré du Champfleury de Geoffroy Tory (1529), qui occupe les folios 14 à 41. Le dessin d’un Apollon sur son char, accompagné des trois Grâces et des neuf Muses et d’une « stance » évoquant déclarant le petit Louis « Hercule de vostre France » et « Apollon mettant vos ennemis en transe », clôt ce sycle. Place alors (à partir du fol. 44) à des modèles de lettres et de chiffres, inspirés encore de Tory mais aussi du traité de calligraphie de Giovanni Antonio Tagliente : Lo presente libro insegna la vera arte de lo excellente scrivere (1545).

L’interprétation de Mme Litaudon se caractérise par une vision très schématique des enjeux de la période. Par ailleurs, bien des ouvrages et des auteurs spécialistes des questions traitées ne sont pas cités ou trop peu utilisés. La bibliographie consultée (ou en tout cas citée) sur l’éducation des princes, ou encore la littérature des miroirs, est mince. Un seul exemple : Anne-Marie Lecoq n’est pas évoquée au sujet de François Desmoulins et des manuscrits produits pour le jeune François Ier2. Face à ce manuscrit fascinant et aux jeux de l’emblématique, l’autrice ne résiste pas au plaisir des suppositions. Le lecteur pourrait souhaiter des démonstrations, mais Mme Litaudon préfère les cascades de suppositions et de reconstitutions suggestives. Les analyses iconographiques font aussi la part belle aux rêveries et aux interprétations hardies : « le goût de l’auteur pour les jeux de figuration, les devises, les emblèmes et les rébus nous y autorise » (p. 77). Il faut ainsi que Jean Legoys soit un pseudonyme, que Mazères ne désigne pas Mazères, etc.

« Qu’est-ce qu’un livre si ce n’est d’abord une histoire ? » interroge Denis Crouzet en ouverture de ce volume. Marie-Pierre Litaudon en raconte une fort séduisante à défaut d’être très étayée. Nul doute qu’il en reste bien d’autres à écrire sur ce beau manuscrit.

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1 Publié sous la direction de Madeleine Foisil : Journal de Jean Héroard, 2 vol., Paris, Fayard, 1989. Voir aussi Madeleine Foisil, L’enfant Louis XIII : l’éducation d’un roi, 1601-1617, Paris, Perrin, 1996.

2 Anne-Marie Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987. Absent aussi l’ouvrage de Pascale Mormiche, Devenir prince : l’école du pouvoir en France, xvii e-xviii e siècles, Paris, CNRS éditions, 2013.