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Thomas Guillemin, avec la collaboration de Kevin Trehuedic, Ex Bibliotheca. Les livres retrouvés de l’Académie réformée de Saumur

[Gand], éditions Snoeck, 2020 : 160 pages, 200 ill. 23 x 29 cm. [20 €] – ISBN : 978-9-461-61584-8

Éric SUIRE

Université Bordeaux Montaigne

Le 8 janvier 1685, un arrêt du conseil d’État décidait la fermeture de l’Académie de Saumur, dont les biens furent transférés à l’hôtel-Dieu de la ville. L’imprimeur-libraire François de Gouy fut chargé de réaliser l’inventaire de la bibliothèque, dont il fixa la valeur, très sous-estimée, à 1 300 livres. Il finit par la racheter intégralement le 9 juin suivant. Commença alors la dispersion des livres, au gré des ventes réalisées par de Gouy. La découverte récente, dans le fonds ancien de la médiathèque Louis-Aragon du Mans, d’un ouvrage ayant appartenu à Louis Cappel, a constitué le point de départ d’une vaste enquête visant à retrouver, grâce à leurs ex-libris, ex-dono, notes autographes, et éléments distinctifs de reliure, les ouvrages disséminés à partir de la Révocation. Conduite dans le cadre d’un doctorat par Thomas Guillemin, avec l’aide de Kevin Trehuedic pour la compréhension des langues anciennes, elle a débouché sur la constitution d’un quatrième ensemble documentaire relatif à l’histoire de l’Académie, après ceux formés par les registres de délibérations du conseil académique, le dossier de l’Église de Saumur établi en 1685, et la collection d’Élie Bouhéreau, ancien étudiant de l’Académie.

Ce beau livre édité chez Snoeck se présente comme le versant vulgarisé des recherches menées par Thomas Guillemin dans des bibliothèques françaises et européennes. Il forme, en effet, un « catalogue raisonné » de l’exposition présentée à la médiathèque Louis-Aragon du Mans du 19 octobre 2018 au 19 janvier 2019, puis au Château-Musée de Saumur du 6 juillet au 30 novembre 2019. Le titre ne doit pas tromper sur la réalité du contenu : il s’agit moins de la reconstitution d’une bibliothèque que d’une étude des pratiques de lecture et de la transmission des livres parmi les réformés saumurois. La première partie tisse la trame historique de l’enquête, s’attachant tout d’abord au portrait de Philippe Duplessis-Mornay, gouverneur de Saumur, fondateur et mécène de l’Académie. La seconde bibliothèque du théologien, contenant ses outils de travail, a formé le noyau originel des fonds de cette institution. Elle retrace également les contours de la communauté huguenote saumuroise, culturellement et financièrement privilégiée, avant de présenter l’Académie elle-même, la formation de ses pasteurs, et les innovations théologiques dont elle a été le cadre. La seconde partie aborde le cœur du sujet : elle dévoile les noms et le profil biographique des propriétaires des bibliothèques saumuroises, dont une partie infime a été retrouvée ; elle reproduit les pages de titre, gardes et contreplats de leurs ouvrages munis d’inscriptions, et parfois de longs commentaires manuscrits. Les livres de figures locales peu connues, comme l’avocat François Drugeon ou le conseiller au grenier à sel Daniel Martin, côtoient ceux de théologiens à l’envergure internationale : Duplessis-Mornay, les professeurs Louis Cappel et William Doull, ou encore le fameux helléniste Tanneguy Le Fèvre, dont le parcours singulier révèle des affinités avec les libertins érudits. La troisième partie, réduite à quelques pages, se penche sur la trajectoire des collections après 1685, et en particulier l’intégration de certains livres dans le fonds de l’abbaye bénédictine Saint-Vincent du Mans, où l’abbé dom Maur Audren avait l’ambition d’installer l’« une des meilleures bibliothèques du royaume » au tournant des xviie et xviiie siècles.

Les apports d’Ex Bibliotheca à la connaissance de la communauté réformée de Saumur, et plus largement de la culture huguenote du livre, ne sont pas négligeables. Il faut tout d’abord saluer la beauté formelle d’un ouvrage à grand format et larges marges, à la mise en page élaborée, dont la réussite esthétique favorise l’appropriation des passages les plus arides, tels ceux consacrés aux recherches linguistiques menées par Louis Cappel sur les textes sacrés. L’enquête confirme le rôle pionnier joué par Philippe Duplessis-Mornay dans l’histoire des bibliothèques réformées saumuroises et met en évidence les méthodes de travail des professeurs de l’académie. Elle confirme, enfin, l’intérêt de l’étude des marques de possession pour identifier des lecteurs peu connus, minores éclipsés par les grands noms de la théologie protestante.