Montesquieu et Mme de Lambert : une année en manuscrits (1726)
La correspondance de Montesquieu, dont la nouvelle édition est en cours, à la fois sous forme imprimée, et en ligne pour une partie du corpus1, offre sur d’innombrables sujets des points de vue du plus haut intérêt. Si on la croise avec d’autres sources d’information, on peut même arriver à de véritables découvertes, qui donnent une saveur nouvelle à ce que l’on aurait pu considérer comme le parent pauvre de l’édition des Œuvres complètes de Montesquieu2, ou le point faible du philosophe : avec moins de mille lettres conservées, cette correspondance ne saurait se mesurer par la quantité avec celle d’un Voltaire (vingt mille lettres), par la qualité littéraire avec celle d’un Diderot, par la profondeur avec celle d’un Descartes. L’identification des personnages cités est évidemment nécessaire, mais elle n’est pas suffisante : c’est tout un réseau et un contexte historique qu’il faut reconstituer, en s’appuyant sur le véritable trésor que constituent les manuscrits de Montesquieu et les archives de son château de La Brède, conservés principalement à la bibliothèque municipale de Bordeaux3.
Sous cet angle, les relations de Montesquieu avec un personnage central de la république des lettres durant le premier tiers du xviiie siècle, la marquise de Lambert (1647-1733), méritent d’être reconsidérées. C’est à elle que Montesquieu doit d’avoir été admis à l’Académie française en 1727-1728, non sans mal en raison de l’opposition du cardinal de Fleury, mais sans concurrent aucun : on ne se présente pas contre le candidat de la marquise… C’est chez elle qu’il a fréquenté régulièrement des écrivains qu’il admire, Fontenelle ou La Motte, et tout le parti des Modernes ; c’est dans ce même cercle qu’il a trouvé un lieu où la Querelle des Anciens et des Modernes trouvait un apaisement conforme à son propre souci de dépasser les clivages trop simples4 ; c’est auprès d’elle qu’il a affiné son goût et sa pensée morale dans des discours qui trouvaient difficilement leur place devant la savante académie royale de Bordeaux. Cette correspondance peut nous livrer quelques clés de l’œuvre de l’illustre marquise, sur la circulation des manuscrits (les siens et ceux de Montesquieu), et sur les processus tortueux de publication que le xviiie siècle a parfois pratiqués.
C’est tout un monde intellectuel des années 1720-1740 qui se découvre, animé par des périodiques entre lesquels Montesquieu a joué un rôle méconnu, ou mal interprété, en une année particulière, 1726, où la correspondance est exceptionnellement riche5 ; mais étudier de plus près chaque lettre, c’est aussi le moyen de mesurer les avancées et les difficultés spécifiques d’une édition de correspondance ; en scruter jusqu’aux moindres expressions pour en apprécier la portée, c’est aussi défendre l’idée qu’une lettre, bien loin d’être un document, est avant tout un texte écrit à un destinataire ; quand on maîtrise comme Montesquieu l’art épistolaire, on sait jouer de nuances que le lecteur doit apprendre lui aussi à sentir.
1. Le cercle lambertin
Les liens entre Montesquieu et Mme de Lambert sont connus depuis longtemps, même si l’on ne sait exactement quand l’hôtel de Nevers accueille ce Bordelais qui vit le plus souvent possible à Paris depuis le triomphe des Lettres persanes, quand ses affaires ne le retiennent pas impérativement sur ses terres. Seul indice, un billet autographe sans date, portant le nom de Mme de Lambert comme destinataire, accompagnant un envoi : « Voici, Madame, quelques Lettres Persanes ». Selon Gébelin, premier éditeur de cette lettre dont le manuscrit n’est plus accessible (elle était alors conservée au château de La Brède, chez les descendants de Montesquieu), elle portait, d’une écriture ancienne, la date de 1724. De très nombreuses lettres portent un tel millésime, de la main d’un secrétaire ayant travaillé pour Montesquieu de 1735 à l’été 17396 ; il s’agit donc d’un classement opéré par Montesquieu lui-même, une dizaine d’années au moins après l’envoi. Certes, il se trompe quelquefois, de quelques mois voire plus7 ; mais faute d’autres indices, nous ne pouvons que conserver la date de 1724, avec une forte probabilité que cet envoi de « quelques lettres persanes » ait marqué les débuts de Montesquieu dans cette société choisie, comme tribut d’entrée et hommage à l’hôtesse du salon cramoisi de l’hôtel de Nevers8.
Voilà donc Montesquieu devenu un des familiers de la célèbre marquise, au cœur d’un cénacle qui règne sur la vie littéraire française. Il est un hôte régulier du salon : le mardi se tient « bureau d’esprit », le dîner et l’après-dîner (déjeuner et après-midi) étant consacrés à des lectures et discussions sérieuses, avec des gens choisis en nombre limité ; le mercredi permet d’accueillir une assemblée plus mondaine et plus nombreuse, parmi lesquels on retrouve les habitués du mardi, mais tend aussi à devenir un tribunal pour les jeunes auteurs moins connus qui s’y pressent9. C’est là qu’il a entendu parler des sujets, esthétiques, moraux et pédagogiques, qui tiennent à cœur à la marquise, et qu’elle a déjà eu l’occasion de soumettre à ses amis.
2. Circulation souterraine de manuscrits
Les manuscrits de Mme de Lambert ont beaucoup circulé dès la fin du xviie siècle10 ; cependant elle n’en souhaitait pas l’impression de son vivant, laissant à des amis sûrs, comme Fontenelle, le soin de leur assurer la diffusion qu’ils méritaient, dans les meilleures conditions. Après sa mort en 1733, Fontenelle ne joue pas le rôle espéré ; celui-ci revient d’abord, mais dans des conditions obscures, au journaliste Thémiseul de Saint-Hyacinthe, qui avait été très proche de la marquise quand il était revenu d’Angleterre, en 1731 : c’est donc lui qui a accès à ses manuscrits11. Ainsi s’explique sans doute, comme le suggère Roger Marchal, la publication en 1745 de quelques « lettres persanes » dans Le Fantasque, un éphémère périodique de Saint-Hyacinthe : il est certes possible que Montesquieu lui-même ait envoyé ces morceaux satiriques habillés à la mode persane12 à celui qu’il avait connu en Angleterre entre 1729 et 1731, et qui a dû battre le rappel de tous ses amis et relations lorsqu’il a connu les plus grandes difficultés13 ; mais il s’agit beaucoup plus probablement de ceux que Montesquieu avaient envoyés à la marquise de Lambert, en les accompagnant du billet déjà évoqué. Ces quelques pages ne contiennent rien qui puisse heurter l’honnêteté : la satire de la dévote qui, l’âge venant, se retire du monde, est la plus acide, et elle avait tout pour plaire à une grande dame qui prône une religion fervente et sincère, et pour qui la fréquentation du monde est une composante essentielle de la vie14.
On savait aussi qu’un autre écrit de Montesquieu, communiqué à la marquise, a connu un sort particulier. Avec la publication en 1743 d’un Recueil de pièces fugitives dont on attribue la responsabilité à Lévesque de Burigny, à qui Saint-Hyacinthe aurait confié les manuscrits de Mme de Lambert, viennent au jour des réflexions « Sur la considération et la réputation »15 dont la proximité avec un discours académique de Montesquieu, De la considération et de la réputation, est patente. Les Pensées en livrent l’explication :
Il y a environ 25 ans que je donnay ces reflexions a l’academie de Bordeaux[.] feu madame la marquise de Lambert dont les grandes et rares quallitez ne sortiront jamais de ma memoire fit l’honneur a cet ouvrage de s’en occuper elle y mit un nouvel ordre, et par les nouveaux tours qu’elle donna aux pensées et aux expressions, elle eleva mon esprit jusqu’au sien. La copie de made de Lambert s’etant trouvée apres sa mort dans ses papiers, les libraires qui n’etoient point instruits l’ont inserée dans ses ouvrages, et je suis bien aise qu’ils l’aient fait, afin que si le hazard fait passer l’un et l’autre de ces ecrits à la posterité, ils soient le monument eternel d’une amitié qui me touche bien plus que ne fairoit la gloire16.
Ce que Roger Marchal analyse comme une paraphrase à partir du texte de Montesquieu semble plutôt relever d’une réécriture très libre, voire d’une recomposition, pour suivre Nadège Landon17 : Mme de Lambert pouvait conserver les traces des travaux que ses amis lisaient lors de ses mardis, et les éditeurs (plutôt que les « libraires qui n’etoient point instruits ») n’étaient pas nécessairement très regardants, ou n’avaient pas été les hôtes assez réguliers du salon cramoisi pour connaître l’origine des manuscrits.
3. La Lettre d’une dame à son fils sur la vraie gloire
Un autre opuscule de Mme de Lambert incite à revenir sur les relations qu’elle eut avec Montesquieu. La marquise répugnait, on l’a dit, à se voir publiée. L’Avis d’une mère à son fils, imprimé dès décembre 1726 sous le titre « Lettre d’une dame à son fils. Sur la vraie gloire » dans la Continuation des mémoires de littérature due à un ami de Montesquieu, le père Nicolas Desmolets18, semble même illustrer sinon une réticence tout aristocratique, du moins une modestie d’auteur justifiée par les préjugés entretenus à l’égard des femmes ; dans cette perspective, la publication d’un manuscrit dérobé apparaît comme une trahison19. Roger Marchal juge cependant cette attitude ambiguë : estimant que ce manuscrit n’avait pu être divulgué sans son assentiment, il considère que la marquise aurait procédé à un essai, « on dirait aujourd’hui un sondage », et qu’elle aurait reculé devant le bruit « des éloges et des sarcasmes »20, d’autant que les libraires s’emparèrent aussitôt de l’ouvrage, qui devait connaître un succès européen21. Or Montesquieu lui écrit ceci, en décembre 1726 ou au début de janvier 1727 :
On vous a fait un vol madame dont je ne scay si vous serés aussi contente que le public, je vous diray naivement que votre ouvrage a fait icy la fortune qu’il mérite qu’il y est regardé come un chef d’œuvre et infiniment au dessus de ce que les personnes de votre sexe ont jamais fait nos critiques mêmes les plus injustes sont vos plus zelés admirateurs22.
Par ces mots Montesquieu excuserait la publication de son ami Desmolets ; il pourrait même, selon Roger Marchal23, être l’auteur du détournement, l’intermédiaire indélicat qui aurait fourni le manuscrit destiné à la publication servant de « sondage ». Mais comment pourrait-il oser écrire « On vous a fait un vol […] » ? Soit il a œuvré à cette publication à la demande de Mme de Lambert, et cette affectation n’est pas de mise ; soit elle est étrangère à cette démarche, et c’est pur cynisme envers une personne que Montesquieu révère ; et si la marquise, qui s’efforcera de racheter la première édition Ganeau des Avis comme elle le fera avec celle des Réflexions sur les femmes24, avait été mécontente du procédé, comment expliquer qu’elle soit restée en si bons termes avec Montesquieu ?
Les apparences n’en sont pas moins contre lui : le 29 juin 1726, son ami Berthelot de Duchy lui avait demandé des éclaircissements sur un fait qui, on va le voir, figure dans la « Lettre sur la vraie gloire ». Montesquieu, alors à Bordeaux, n’aurait qu’un moyen d’obtenir la réponse : demander le manuscrit à Mme de Lambert ; il l’obtiendrait immédiatement, puisqu’il l’en remercie le 29 juillet : « j’ay reçu le manuscrit que vous avés eu la bonté de m’envoyer ». Desmolets publie la « Lettre sur la vraie gloire » en décembre dans la Continuation des mémoires : peut-on croire à une pure coïncidence ? Desmolets crédite « le chevalier de Saint-Jory » de lui avoir procuré ce manuscrit : pieux mensonge, pense Roger Marchal, pour détourner les soupçons de son fidèle ami Montesquieu. Lequel serait coupable non seulement de vol, mais d’une belle hypocrisie – tout cela étant tempéré du fait que Mme de Lambert aurait été à demi-consentante.
Notons tout de même une bizarrerie25 : Montesquieu séjourne depuis juin à Bordeaux et n’arrive à Paris que fin janvier 1727 ; de Bordeaux, il aurait donc envoyé à Desmolets un manuscrit dont il court des copies dans tout Paris depuis des années26… Mais il faut surtout regarder de plus près la « Lettre sur la vraie gloire » et prendre en compte un point jugé mineur par les bibliographies : en 1727, la Bibliothèque française, un périodique publié à Amsterdam par Jean-Frédéric Bernard, fournit à son tour la « Lettre sur la vraie gloire », en nommant Mme de Lambert comme l’auteur27 ; simple contrefaçon pour Roger Marchal, cette publication est pour Robert Granderoute, éditeur des œuvres de Mme de Lambert, plus correcte et mieux ordonnée, mais elle lui paraît tout juste mériter d’être rejetée parmi les éditions sans autorité, imprimées « sur des copies infidèles », comme toutes celles qui précèdent l’édition Ganeau28.
Tout cela est détruit par la confrontation des textes. Loin d’être une contrefaçon, l’édition de la Bibliothèque française affirme sa différence avec la Continuation des mémoires : « […] l’illustre Dame, qui en est l’Auteur, l’a trouvée si defigurée qu’elle s’y est à peine reconnue. Nous avons été assez heureux que de trouver une Copie fidele du Manuscrit »29. Rhétorique habituelle du plagiaire, dira-t-on, qui aura corrigé quelques erreurs – mais on trouve, en une quarantaine de pages de petit format, 81 différences qui, sauf pour quelques erreurs manifestes, ne peuvent être dues qu’à l’auteur. Le texte de la Bibliothèque française a pour caractéristique de présenter de nombreux ajouts par rapport à celui de la Continuation des mémoires – trente exactement, d’un mot ou deux à plusieurs lignes30 : elle s’appuie donc sur un autre manuscrit, manifestement plus fiable puisqu’il comporte douze passages qui semblent bien corriger des erreurs de la Continuation31 ; parmi celles-ci, la principale portait sur le nom d’un maréchal de France, donnant « La Ferté » là où il fallait lire « La Meilleraye » (item 12) : pour une affaire d’honneur, le nom est d’importance, comme on le verra. La seconde publication n’est ni plus ni moins autorisée que l’édition Ganeau de 1728 que la marquise s’efforce d’arrêter et qui se fonde sur un manuscrit qu’elle ne contrôlait plus, qui se révèle proche de celui de la Bibliothèque française si l’on compare les deux textes.
La Continuation des mémoires contient cependant deux passages qui n’apparaissent pas dans la Bibliothèque française et formulent de vifs reproches, voire des accusations ; c’est pour de bas motifs, est-il écrit, que Jean de Lambert, père du mari de la marquise, n’avait pas été récompensé comme il le méritait : « Il fut oublié, & la victime du Ministre32, qui ne cherchoit pas à avancer les amis de Monsieur de Turenne : on sçavoit qu’il lui étoit attaché ; aussi ne lui a t’on jamais rendu justice qu’après sa mort. »33 Un peu plus haut, une phrase, toujours à propos de Jean de Lambert, figure dans la Continuation des mémoires, disparaît dans la Bibliothèque française, mais réapparaît dans les éditions séparées dues à Ganeau : « Plus d’une personne m’a dit, que c’étoit la honte de la France, qu’un homme de ce mérite n’ait pas été élevé aux premieres dignitez de la guerre » (item 16). La phrase qui la précède, elle, ne figurera plus dans aucune édition : « il n’avoit jamais connu un si grand Général ». Mme de Lambert a manifestement regretté certaines formulations, qui n’apparaissaient donc que dans le seul manuscrit publié en 1726.
La Bibliothèque française est en revanche plus explicite quand il s’agit d’évoquer l’attitude du même Jean de Lambert lors de l’assaut de Gravelines, en 1644 : pour s’arroger le mérite de l’entrée dans la ville, deux maréchaux s’affrontent l’épée à la main, prêts à faire charger leurs hommes les uns contre les autres ; Lambert, simple maréchal de camp, « leur défendit de reconnoitre ces Messieurs pour leurs Généraux. Les Troupes lui obeirent. Les Maréchaux de la Meilleraye & de Gassion furent obligez de se retirer » (item 13). L’épisode devait rester dans les annales de l’armée34, et intéressait tout particulièrement Berthelot de Duchy, dans la lettre du 29 juin 1726 déjà mentionnée : « je n’ay trouvé le trait d’histoire de M. de Lambert dans aucun livre imprimé, obligez moy de m’envoyer l’extrait du manuscrit duquel vous l’avez tiré. » La Continuation des mémoires traitait très mal l’épisode, puisque non seulement l’allusion était fugitive, mais une coquille (« serrer » au lieu de « s’arrêter ») la rendait absolument incompréhensible – ce à quoi s’ajoutait l’erreur déjà signalée sur le nom de La Meilleraye. Montesquieu connaissait suffisamment l’affaire, dont il avait dû entendre parler de la bouche même de Mme de Lambert, pour en parler comme d’une chose connue à son ami Duchy ; peut-être même a-t-il averti Mme de Lambert de l’intérêt que suscitait ce point, ce qui rendait plus nécessaire une édition correcte.
Il est donc manifeste que la Bibliothèque française, publiant la « Lettre sur la vraie gloire » quelques mois après sa première publication, a bénéficié d’un manuscrit plus conforme aux intentions de Mme de Lambert, puisqu’il met mieux en valeur les mérites de Jean de Lambert et évite l’attaque directe contre le ministre de Louis XIV35. L’hypothèse, appuyée par le préambule de la Bibliothèque française déjà cité, est d’autant plus vraisemblable que le rédacteur de ce périodique est alors Jean-Jacques Bel, un des meilleurs amis de Montesquieu à Bordeaux36. Loin de trahir son amie, Montesquieu n’aurait-il pas proposé une sorte de réparation, ou un contrefeu, avec cette publication ? À la lettre par laquelle il lui transmet ses compliments (« On vous a fait un vol […] »), elle ne peut répondre qu’en se plaignant de la mauvaise qualité de la publication – sans doute copie d’une copie d’un manuscrit ancien ; Montesquieu pouvait alors lui faire ses offres de service, et proposer d’envoyer à son ami bordelais (ou directement à Jean-Frédéric Bernard, à Amsterdam) un manuscrit répondant mieux aux attentes de l’auteur. Faute de documents, on ne peut l’affirmer ; mais l’enchaînement est vraisemblable, d’autant qu’il n’existe pas à notre connaissance de lien attesté entre Bel et Mme de Lambert.
On peut dès lors revenir sur une des questions initiales : les intentions de Mme de Lambert. La première publication s’est manifestement faite sans son aveu et à son grand dépit ; la thèse du sondage paraît assez peu probante : dans ce cas, elle aurait communiqué un manuscrit plus soigné. Aurait-elle été découragée par des « sarcasmes » ? Ceux-ci ont en fait plutôt touché les Réflexions sur les femmes37 : il y a peu de chances qu’on les ait répétés ou fait parvenir à la marquise, et de toute manière, ils ne pouvaient peser que bien peu face à l’admiration que suscitaient ses écrits38. Le rôle de Montesquieu comme intermédiaire, s’il est bien celui qu’on croit, est capital et permet d’expliquer ce qui apparaît comme des hésitations, ou une démarche contradictoire : il consiste à l’inciter à publier ses œuvres, ou plutôt à encourager une publication en communiquant un manuscrit contrôlé par elle, pour s’opposer aux éditions non autorisées.
4. Le manuscrit mystérieux
Il n’en reste pas moins une difficulté : quel est le manuscrit envoyé par Mme de Lambert dont Montesquieu la remercie le 29 juillet 1726 ? S’agit-il de la « Lettre sur la vraie gloire », dont il recevrait ainsi une version correcte (que rien n’appelait à cette date), et qu’il n’aura plus qu’à transmettre le moment venu à Bel, qui vit à Bordeaux ? ou plutôt d’un autre de ses ouvrages ? Pluie de manuscrits de Mme de Lambert sur La Brède… Or Montesquieu reste étonnamment sobre (« j’ai recu le manuscrit que vous avès eu la bonté de m’envoyer »). Serait-ce par souci de discrétion ? L’amitié et la simple courtoisie exigeraient au moins quelques félicitations, même vagues. Serait-ce l’ouvrage de quelque membre de son cercle ? Le même argument doit jouer : Montesquieu parlerait de « notre ami » (ou quelque formule équivalente), et ne jouerait pas les indifférents. La seule explication est qu’il s’agisse d’un de ses propres manuscrits, qu’elle lui aurait restitué : la modestie impose alors qu’il se contente d’un accusé de réception.
Mais lequel de ses manuscrits ? Montesquieu a passé les cinq premiers mois de 1726 à Paris, où il est souvent trop occupé pour travailler ; mais en 1725, contraint de résider en Bordelais et mû par plusieurs sollicitations, il a beaucoup produit39, ce qui lui fournit ample matière pour les mardis40. Il est avéré qu’il a lu chez Mme de Lambert De la considération et de la réputation, écrit pour la séance publique de l’académie de Bordeaux du 25 août 1725, qu’elle a recopié et « embelli », selon les termes des Pensées, et qui est devenu sous la plume de son amie le « Discours sur la différence qu’il y a de la réputation à la considération » publié en 1743. Il s’agirait alors d’une simple restitution facilement explicable, puisque Montesquieu a quitté précipitamment Paris en juin 1726, sans prendre congé de la plupart de ses amis41. Certes rien n’indique qu’il s’agisse bien de ce discours – outre les productions de 1725 déjà évoquées, on pense aussi au Discours sur la sincérité, qui recoupe bien des thèmes lambertins, et dont la date précise n’est pas connue42 ; mais le seul dont on soit sûr qu’il est antérieur à 1726 et que Mme de Lambert l’a gardé quelque temps pour le lire à loisir, et dont elle a gardé trace, c’est De la considération et de la réputation43.
Ainsi Montesquieu, à peine lancé dans le monde parisien, est au cœur de la vie littéraire : Mme de Lambert, Bel, Desmolets sont trois figures d’importance très inégale, appartenant à trois mondes différents44, mais travaillant chacun à leur manière au renouvellement des idées et des goûts ; et ce sont trois amis de Montesquieu, qui apparaissent régulièrement dans sa correspondance et contribuent, chacun à leur manière, à développer ses idées et son écriture, et à les faire connaître.
Or en cette année 1726, Montesquieu n’a plus qu’une hâte : vendre sa charge de président à mortier au parlement de Bordeaux (ce qu’il fait au début de juillet) et consolider sa fortune en affermant avantageusement ses terres, ce dont il s’empresse d’informer Mme de Lambert le 1er décembre, afin d’être libre de toute entrave. Grâce à l’appui de Bel, qui publie régulièrement ses interventions devant cette académie (et qui doit de son côté être fort satisfait de trouver pour la Bibliothèque française une matière d’une telle qualité45) et de Desmolets, qui y contribue aussi46, il se fait connaître en France et à l’étranger47 et acquiert la stature d’un homme de lettres et d’un homme d’esprit, dont l’esprit philosophique est ouvert aux sciences les plus utiles à la société. Lui qui n’a publié que les Lettres persanes et Le Temple de Gnide s’est déjà fait une réputation tout autre, dans le cénacle lambertin et bien au-delà.
Grâce à la marquise, il a aussi accès désormais à tout ce que Paris compte d’hommes de pouvoir : au cours de l’été 1726, le comte de Morville, académicien et ministre, accepte bien volontiers, par l’intermédiaire de cette grande dame, de devenir le nouveau protecteur de l’académie de Bordeaux, comme le lui demande Montesquieu48 – c’est l’occasion pour lui d’entrer en relation avec quelqu’un qui pourrait lui être utile, tandis que de son côté il porte haut les couleurs de l’Académie dont il est le directeur pour 1725-1726 : il fait venir à Bordeaux un horloger susceptible d’avoir considérablement amélioré le mécanisme des horloges, ce qui pourrait avoir des conséquences incalculables pour la navigation en haute mer et le calcul des longitudes49.
S’étant chargé de régler les affaires de l’académie bordelaise à Paris, Montesquieu doit traiter avec le nouveau duc de La Force, frère du premier protecteur de l’Académie, qui a hérité de ses titres et de ses biens, mais aussi de ses énormes dettes, et qui pourrait bien ne pas se montrer aussi généreux – Montesquieu obtient la continuation du prix annuel de trois cents livres grâce auquel l’académie de Bordeaux suscite l’émulation de bien des savants à travers toute la France, accroissant par là sa réputation. Mais il doit aussi se faire connaître de Morville, passant de quelques entrevues en février-mars 1727 à « une tres longue conference » en mai et obtenant en juin son soutien à un projet de loterie qui devrait financer l’Académie50. Projet mort-né cependant, en raison de la disgrâce de Morville en août 1727 : l’intendant Boucher, sans ce puissant aiguillon, n’a aucune raison de satisfaire les ambitions de l’Académie.
D’autres biais s’offrent à Montesquieu, dans le grand jeu de la cour et de la ville. Dès juin 1727, dans une lettre récemment découverte51, Montesquieu remercie son correspondant de son intervention en sa faveur auprès du tout-puissant cardinal de Fleury, devenu Premier ministre sans le titre, mais dans les faits. De cette lettre il ressort que cet « inconnu » (qui ne l’était pas pour Montesquieu) est un habitué du cercle de Mme de Lambert et un proche du marquis et de la marquise de Pompadour, eux-mêmes familiers de la duchesse du Maine et de la cour de Sceaux. Un seul personnage nous semble répondre à ce portrait-robot et au type d’adresse de cette lettre, empreinte de respect, mais proposant une liaison amicale : le marquis de Saint-Aulaire (1643-1742), fort lié à Fleury, et très proche de la marquise, puisque son fils avait épousé la fille de celle-ci52. On sait quel rôle devait jouer Fleury en 1727-1728 pour l’élection de Montesquieu à l’Académie française, à laquelle il était d’abord vigoureusement opposé53 : il y met comme condition le reniement écrit et public des Lettres persanes, ce que Montesquieu ne peut accepter. Celui-ci, dont la notoriété n’est plus à faire, a d’ores et déjà tous les titres requis pour se présenter à l’Académie française, le premier étant d’être un protégé de Mme de Lambert ; une entrevue avec le ministre lève toute difficulté, sans reniement ni scandale – car s’il avait refusé Montesquieu, Fleury aurait joué un rôle étrangement autoritaire, à un moment où ce ministre, qui se veut conciliant, cherche habilement à asseoir son autorité. Quand on a l’appui de Saint-Aulaire et qu’on vient de chez Mme de Lambert, dont le salon est loin d’être comme le craint Fleury une « école d’impiété », quand on sait comme Montesquieu plaider sa cause sans provocation ni compromission, fallait-il s’attendre à un autre dénouement ?
Bientôt, en avril 1728, le nouvel académicien part sur les routes d’Europe tout en espérant se faire nommer à quelque poste diplomatique – ses relations et ses ambitions, peut-être lentement mûries durant les années décisives où il a fréquenté le salon de l’hôtel de Nevers, le lui permettent, du moins le croit-il. Son destin devait être tout autre – et sans doute la disgrâce de Morville, secrétaire d’État des affaires étrangères dont l’appui était indispensable, a-t-elle pesé dans l’affaire : il est remplacé par Chauvelin, avec qui Montesquieu n’a pas les mêmes relations. À son retour, en 1731, il ne retrouve pas la douce et exaltante société de Mme de Lambert puisqu’il ne s’attarde pas à Paris où il ne revient qu’en 1733. Entretemps Mme de Lambert est tombée malade et ne s’en relève pas : elle meurt en juillet 1733. Mais les quelques années où il a découvert ce Nouveau Monde qu’est le salon cramoisi, sont aussi celles où il est devenu homme de lettres, et philosophe.
CM | [Continuation des mémoires] | BF | [Bibliothèque française] | G | Ganeau, Avis d’une mère | |
1 | Titre | Lettre d’une Dame à son Fils. ¶Sur la vraye Gloire. | Lettre d’une Dame (en note : Madame la Marquise de Lambert) a son Fils sur la vraye Gloire | Avis d’une mère à son fils | ||
2 | 265 | de ses enfans | 29 | des enfans | 1 | Comme BF |
3 | 266 | deux hommes | 29 | deux hommes illustres (en note : le Bouhours & le Rapin) | 2 | deux hommes célèbres (en note : le Bouhours & le Cheminais) |
3bis | 266 | à cultiver votre esprit qu’à vous | 29 | à cultiver votre esprit qu’à vous | 2-3 | à la science de l’esprit, qu’à vous |
4 | 267 | les véritables marques d’honneur y sont attachées avec les récompenses | 30 | les véritables marques d’honneur & les récompenses y sont attachées | 4 | Comme BF |
5 | 268 | ont toutes les peines | 31 | souffrent toutes les peines | 5 | Comme BF |
6 | 268 | l’on n’auroit que la gloire pour objet | 31 | l’on n’auroit dans toutes les professions que la gloire pour objet | 6 | Comme BF |
7 | 269 | à Antigone | 32 | à Agesilaus | 7 | à Agesilas |
8 | 269 | de la gloire. Je vous donnai | 32 | de la gloire pour vous mettre dans la route de vos Peres. Je vous donnai | 7-8 | de la gloire ; pour vous l’ouvrir je vous donnai |
9 | 270 | la terre ensevelit les morts ; les ennemis publient les fautes des vivants ; la Renommée se tait, & ne parle plus de ceux qui restent | 32 | la terre ensevelit les morts ; les ennemis publient les fautes des vivants ; la Renommée se tait, & ne parle plus de ceux qui restent | 8-9 | la terre ensevelit les morts & les fautes des vivants ; & la Renommée se taît, & ne parle plus des services de ceux qui restent |
10 | 270 | vous sçavez à peu près même | 32 | vous sçavez à peu près vous-même | 9 | vous sçavez vous-même à peu près |
11 | 271 | impolis. ¶Soyez | 33 | impolis. N’étendez pas le droit de l’Epée, il ne vous dispense pas des autres devoirs. ¶Soyez | 10-11 | impolis. N’étendez pas le droit de l’Epée, il ne vous dispense pas des autres devoirs. ¶Soyez |
12 | 272 | de la Ferté | 34 | de la Meilleraye | 13 | de la Meilleraye |
13 | 273 | de la part du Roi de serrer. Le Roi | 34-35 | de la part du Roi de s’arrêter. Il leur défendit de reconnoitre ces Messieurs pour leurs Généraux. Les Troupes lui obeirent. Les Maréchaux de la Meilleraye & de Gassion furent obligez de se retirer. Le Roi | 13-14 | de la part du Roi de s’arrêter. Il leur défendit de reconnoitre ces Genéraux pour leurs chefs. Les troupes [suite id. BF] |
14 | 273 | les preuves de sa fidelité | 35 | les preuves qu’il venoit de donner de sa fidelité | 14 | les preuves qu’il venoit de lui donner de son attachement |
15 | 273 | de ce tems-là, le Cardinal | 35 | de ce tems-là & le plus desiré, le Cardinal | 14-15 | de ce tems-là & le plus desiré, le Cardinal |
16 | 274 | son metier, & qu’il n’avoit jamais connu un si grand Général. Plus d’une personne m’a dit, que c’étoit la honte de la France, qu’un homme de ce mérite n’ait pas été élevé aux premieres dignitez de la guerre. ¶Voilà | 35 | son métier. ¶Voilà | 16 | son metier. Plus d’une personne en place on[t] dit bien des fois, que c’étoit la honte de la France, qu’un homme de ce mérite-là n’ait pas été élevé aux premieres dignitez de la guerre. |
17 | 275 | joindre l’ambition à la modération | 36 | joindre la modération à l’ambition | 17 | joindre l’ambition à la modération |
18 | 275 | Il fut oublié, & la victime du Ministre, qui ne cherchoit pas à avancer les amis de Monsieur de Turenne : on sçavoit qu’il lui étoit attaché ; aussi ne lui a t’on jamais rendu justice qu’après sa mort. Dans | 36 | Il fut oublié long temps, et souffrit une espèce d’injustice. Dans | 17 | Il fut long-temps oublié, et souffrit une espèce d’injustice. Dans |
19 | 276 | Il crut que sa naissance l’obligeoit à demeurer dans sa profession | 37 | Il crut que son devoir l’obligeoit à demeurer dans sa profession | 18-19 | Il crut que son devoir l’obligeoit à demeurer dans sa profession |
20 | 276 | maître. Il ne gouvernoit que par amour | 37 | maître ; il avoit la main legere, ne gouvernoit que par amour | 20 | maître. Il avoit la main legere, & ne gouvernoit que par amour |
21 | 278 | l’avoüer, quand on a vécu sans injustice & sans bassesse. | 39 | l’avouer, quand on a employé son bien au service de son Prince, & quand on a vécu sans injustice & sans bassesse. | 23 | l’avouer, quand on a employé son bien au service de son Prince, & quand on a vécu sans injustice & sans bassesse. |
22 | 279 | quelque ordre à vos affaires | 39 | quelque ordre à nos affaires | 24 | quelqu’ordre à nos affaires |
23 | 279 | je remplis autant qu’il m’est possible | 39 | je remplirai autant qu’il me sera possible | 24 | je remplirai autant qu’il me sera possible |
24 | 280 | Hommes. ¶Les vertus | 40 | Hommes ; par les Graces de Dieu aux hommes, & par le culte des hommes à Dieu. Les ames elevées ont pour Dieu des sentimens & un culte à part, qui ne ressemble point à celui du peuple. Tout part du cœur & va à Dieu. ¶Les vertus | 26 | Hommes ; par les Graces de Dieu aux hommes, & par le culte des hommes à Dieu. Les ames elevées ont pour Dieu des sentimens & un culte à part, qui ne ressemble point à celui du peuple. Tout part du cœur & va à Dieu. Les vertus |
25 | 281 | Ceux qui ne sont pas assez heureux pour croire comme ils doivent, sçavent que ce qu’on appelle Préjugé | 41 | Ceux même qui ne sont pas assez heureux pour croire comme ils doivent se soumettent à la Religion établie. Ils savent que ce qu’ils appellent Préjugé | 28 | Ceux mêmes qui ne sont pas assez heureux pour croire comme ils doivent se soumettent à la Religion établie. Ils savent que ce qui s’appelle Préjugé |
26 | 282 | dans ma fortune | 42 | dans ma petite fortune | 30 | dans ma petite fortune |
27 | 284 | Il y a une autre | 43 | Il y a bien une autre | 32 | Il y a bien une autre |
28 | 284 | Dans les places subalternes il faut faire sa cour aux Ministres […] dignité : ce sont des services | 43 | Dans les places subalternes où on est dépendant il faut faire sa cour aux Ministres […] dignité ; je ne vous donnerai jamais des leçons de bassesse ; ce sont vos services | 33 | Dans les places subalternes l’on est dépendant ; il faut [la suite comme dans la Bibliothèque française] |
29 | 284 | plaire. ¶Pour | 43-44 | plaire. Que vos liaisons soient avec des Personnes au-dessus de vous. Par là vous vous accoutumerez au respect & à la politesse. Avec ses égaux on se neglige, l’esprit s’assoupit. Je ne sai si on peut esperer des amis à la Cour. ¶Pour | 34 | plaire. ¶Que vos liaisons soient avec des personnes au-dessus de vous ; par là vous vous accoutûmez au respect & à la politesse. Avec ses égaux on se neglige, l’esprit s’assoupit. ¶Je ne sai si on peut esperer des amis à la Cour. Pour |
30 | 285 | hommes. ¶Pour | 44 | Hommes. Qu’on trouve de peuple à la Cour ! ¶Pour | 35 | hommes. Qu’on trouve de peuple à la Cour ! Pour |
31 | 286 | gloire ? En marques | 45 | gloire ? Ils la mettent toute en marques | 37 | gloire ? Ils la mettent toute en marques |
32 | 286 | approcher, elle descend. | 45 | approcher, elle descend même jusqu’à vous. | 37 | approcher, elle descend même jusqu’à vous. |
33 | 289 | point faux. ¶Souvenez-vous | 47 | point faux. Qu’ont-ils à cacher, ils ne sont pas même pressez de se montrer, sûrs que tôt ou tard le vrai merite se fait jour. ¶Souvenez-vous | 42 | point faux. Qu’ont-ils à cacher ? Ils ne sont pas même pressez de se montrer, sur ce que tôt ou tard le vrai merite se fait jour. ¶Souvenez-vous |
34 | 289 | vertu. ¶Il ne suffit pas | 47 | Vertu. ¶Mais il ne suffit pas | 43 | Vertu : mais il ne suffit pas |
35 | 290 | jour. Les gens qui n’ont […] doivent | 48 | jour. Pour ces sortes de gens qui n’ont […], ils doivent | 44 | jour. Pour ces sortes de gens qui n’ont […], ils doivent |
36 | 291 | de rien. ¶La plûpart | 49 | de rien ; leur indulgence les sert & prête aux autres ce qui leur manque. ¶La plûpart | 47 | de rien, leur indulgence les sert & prête aux autres ce qui leur manque. ¶La plûpart |
37 | 293 | il résoudra de vous à vous même | 50 | il répondra de vous à vous même | 50 | il répondra de vous à vous même |
38 | 294 | à vous faire instruire de l’amitié. | 51 | à vous instruire des devoirs de l’amitié. | 51 | à vous instruire des devoirs de l’amitié. |
39 | 294 | donner un bon objet. | 51 | donner un objet. | 51 | donner un bon objet. |
40 | 294 | l’amour propre est une préference de soi aux autres : l’honnêteté est une préference des autres à soi. On | 51 | l’amour propre est une préference de soi aux autres. On | 52 | l’amour propre est une préference de soi aux autres, & l’honnêteté est une préference des autres à soi. On |
41 | 294 | deux sortes d’amour propre : l’un réglé par la justice | 51 | deux sortes d’amour propre : l’un naturel, legitime & reglé par la justice | 52-53 | deux sortes d’amour propre : l’un naturel, legitime & réglé par la justice |
42 | 295 | nous mêmes : nous nous aimons trop […] aveugle. | 52 | nous mêmes : & nous ne revenons à la Justice que par la réflexion. Nous ne savons pas nous aimer ; nous nous aimons trop […] aveugle & mal entendu. | 53 | nous mêmes : & nous ne revenons à la Justice que par la réflexion. Nous ne savons pas nous aimer ; nous nous aimons trop […] aveugle & mal entendu. |
43 | 295 | par la même voye, & et avec les mêmes préceptes qui les ont établis | 52 | par les mêmes moyens, & avec les mêmes Principes qui les ont établis | 53 | par les mêmes moyens & avec les mêmes Principes qui les ont établis |
44 | 296 | les mauvais exterieurs | 52 | les manieres exterieures | 55 | les manieres exterieures |
45 | 296 | des choses flateuses, doucereuses, agréables | 53 | des choses flateuses, & d’un tour agréable | 56 | des choses flateuses, & d’un tour agréable |
46 | 296 | on en rabbat. | 53 | on en rabbat par l’experience. | 56 | on en rabat par l’experience. |
48 | 296 | de nous : nous persuadons nos supérieurs | 53 | de nous : nos supérieurs | 56 | de nous : nos Superieurs |
49 | 297 | cacher. La plûpart | 53 | cacher. C’est habileté que d’être poli ; on vous quitte à meilleur marché. La plûpart | 57 | cacher. C’est habilité que d’être poli : on vous en quitte à meilleur marché. La plûpart |
50 | 298 | aux femmes sans crainte, & | 54 | aux femmes impunement & | 60 | aux femmes impunement & |
51 | 299 | métier ! Ce | 55 | métier ! où ce | 60 | métier ? où ce |
52 | 300 | avec le sexe ; il sait haïr | 56 | avec un sexe, qui sçait haïr | 63 | avec un sexe qui sçait hair |
53 | 300 | qu’il n’a pas les sentimens | 56 | qu’il n’a pas le sentiment qui fait louer | 63 | qu’il n’a pas le sentiment qui fait loüer |
54 | 302 | porté les armes contre lui | 57 | porté atteinte à la sienne | 66 | attenté à la sienne. |
55 | 303 | gens y tiennent par la vertu | 57-58 | gens se lient par la vertu | 67 | gens se lient par les vertus |
56 | 303 | se dégrader : il semble | 58 | se dégrader : le plus sûr seroit donc de ne pas s’apprivoiser avec elle ; il semble | 68 | se dégrader. Le plus sûr seroit donc de ne pas s’apprivoiser avec elle ; il semble |
57 | 303 | Pour le jeu, il semble que ce soit un renversement | 58 | Pour le jeu, c’est un renversement | 68 | Pour le jeu, c’est un renversement |
58 | 303 | gens l’y ont conservée | 58 | gens l’ont conservée pure dans le jeu. | 68 | gens l’ont conservée pure dans le jeu. |
59 | 304 | de la gloire. | 59 | de la gloire, comme la gloire est l’ombre de la Vertu. | 69 | de la gloire, comme la gloire est l’ombre de la vertu. |
60 | 304 | aimable, s’il n’est libéral | 59 | aimable, sans liberalité. | 70 | aimable, sans la liberalité. |
61 | 305 | sur vous : c’est un ménage | 60 | sur vous même : c’est un excellent ménage | 72 | sur vous même, c’est un excellent ménage |
62 | 306 | vous regle. ¶Peu | 60-61 | regle. Les principes de la Prodigalité ne sont point honteux, mais les suites en sont dangereuses. ¶Peu | 74 | Régle ; les principes de la prodigalité ne sont pas honteux, mais les suites en sont dangereuses. ¶Peu |
63 | 307 | respect qu’on a | 61 | respect naturel qu’on a | 75 | respect naturel qu’on a |
64 | 308 | non la dignité. | 61 | non la Dignité ni l’orgueil. | 76 | non la dignité, ni l’orguëil. |
65 | 308 | des distinctions […] à votre être. | 62 | des distinctions […] à votre Etre & qui fassent partie de vous-même. | 76 | à votre etre, & qui fasse partie de vous-même. |
66 | 308 | Le fils de Marc Aurele dit, Souffrez | 62 | Le Fils de Marc Aurele ayant perdu son Précepteur, les Courtisans trouvoient mauvais qu’il le pleurât. Marc-Aurele leur dit, Souffrez | 77 | Le Fils de Marc Aurele ayant perdu son Précepteur, les Courtisans trouvoient mauvais qu’il le pleurât. Marc-Aurele leur dit, Souffrez |
67 | 308 | La plus grande part des hommes | 62 | La plûpart des hommes | 78 | La plûpart des hommes |
68 | 309 | dit Marc Aurele. Pratiquez | 63 | dit Antonin. Pratiquez | 79 | dit Marc Antonin. Pratiquez |
69 | 309 | mais ils les assemblent : faites […] profit se tourne | 63 | mais ils les choisissent : faites […] profit de vos lectures se tourne | 80 | mais ils les choisissent. Faites […] profit de vos lectures se tourne |
70 | 310 | & même s’en croire digne | 63 | & même oser s’en croire digne | 84 | & même oser s’en croire digne |
71 | 310 | Ayez des pensées qui soient | 63 | Ayez des pensées et des sentiments qui soient | 85 | Aïez des pensées et des sentiments qui soient |
72 | 310 | que par lui. | 64 | que par lui, puisque notre bonheur ne dépend que de la maniere de sentir. | 85 | que par lui ; puisque notre bonheur ne dépend que de la maniere de sentir. |
73 | 311 | avec la gloire. En […] trouverez d’abord de quoi vous dédommager : la gloire & la vérité ont leurs délices | 64 | avec la gloire ; le charme de la mollesse avec la récompense de la Vertu ; mais en […] trouverez d’ailleurs de quoi vous dédommager ; il en est de bien des sortes : la gloire & la Vértu ont leurs délices | 86-87 | avec la gloire, le charme de la molesse avec la récompense de la vertu ; mais en […] trouverez d’ailleurs dequoi vous dédommager ; il en est de bien des sortes. La gloire & la verité ont leurs délices |
74 | 311 | Encore une fois qu’il est heureux de savoir | 65 | Encore une fois qu’on est heureux de savoir | 87 | Encore une fois, qu’il est heureux de sçavoir |
75 | 312 | d’autrui : le témoignage secret de la conscience cherche à […] en nous. Assurez-vous | 65 | d’autrui ; la vraye gloire le témoignage secret de la conscience : cherchez à […] en vous. Assurez-vous | 89 | d’autrui ; la vraie gloire le témoignage secret de la conscience : cherchez à […] en vous. Assurez-vous |
76 | 313 | paroître honnête, que | 65 | paroître honnête homme, que | 90 | paroître honnête homme, que |
77 | 314 | fortifie. ¶Il faut | 67 | fortifie. L’attention aux malheurs les rapproche & les tient presens à l’ame. Une resistance inutile retarde l’habitude qu’elle contracteroit avec son état. ¶Il faut | 92 | fortifie ; l’attention aux malheurs les raproche en les tenant presens à l’ame. Une resistance inutile retarde l’habitude qu’elle contracteroit avec son état. Il faut |
78 | 315 | Les personnes les plus heureuses | 67 | Les personnes qui vous paraissent les plus heureuses | 93 | Les personnes qui vous paraissent les plus heureuses |
79 | 316 | & des vuides de réalitez | 68 | & des ceremonies vuides de réalitez | 95 | & des céremonies vuides de réalité |
80 | 317 | des malheureux. Souvenez-vous | 68 | des malheureux. Ayez, s’il est possible, une étendue d’esprit qui vous fasse regarder les accidens comme prévus & connus. Enfin souvenez-vous | 96 | des malheureux. Aïez, s’il est possible, une étendüe d’esprit, qui vous fasse regarder les accidens comme prevûs & connus. Enfin souvenez-vous |
81 | 317 | l’innocence, & de l’y trouver | 69 | l’innocence ; on ne manque jamais de l’y trouver. | 96 | l’innocence ; on ne manque jamais de l’y trouver. |
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1 Dans le cadre des Œuvres complètes de Montesquieu en cours, la correspondance occupe quatre volumes sur vingt-deux (trois sont parus : 1998, t. XVIII [1700-1731], Oxford, edd. L. Desgraves et E. Mass ; 2014, t. XIX [1731-1747], 2021, t. XX [1747-1750], ENS Éditions et Classiques Garnier, dir. Ph. Stewart et C. Volpilhac-Auger. Dans un premier temps, seul le corpus publié en 1998 doit être disponible en ligne, sur le site « Montesquieu. Bibliothèque & éditions » (ENS de Lyon, UMR 5317 et Société Montesquieu : http://montesquieu.huma-num.fr), en deux étapes : 1700-1728, puis 1728-1731 ; il s’agit d’une édition entièrement nouvelle, procurée par Nadezda Plavinskaia, Philip Stewart et Catherine Volpilhac-Auger. L’ensemble de la correspondance est structuré par un Inventaire général, sous forme de base de données, accessible en ligne sur le même site ; bien au-delà des spécialistes de Montesquieu, il permettra l’exploitation des données matérielles et des informations fournies par cette correspondance.
2 Ainsi la correspondance est absente des Œuvres complètes de Montesquieu dans la bibliothèque de la Pléiade (2 volumes, 1949 et 1951). La première édition qui tienne compte de l’immense fonds de La Brède est celle qui est due à François Gébelin et André Morize en 1914, dans la collection des Bibliophiles de Guyenne ; elle est augmentée de nombreuses lettres en 1955 par le même François Gébelin, qui n’a cependant ni amélioré les lectures ni fourni de véritable annotation ; intégrée au troisième tome des Œuvres complètes de Montesquieu publiées sous la direction d’André Masson en 1950-1955 chez Nagel (3 volumes) et ne portant pas de titre distinct, cette édition est souvent passée inaperçue : il est fréquent de voir encore citée l’édition de 1914.
3 Ceux-ci, auxquels il faut ajouter le manuscrit de travail de L’Esprit des lois conservé à la Bibliothèque nationale de France, ont permis depuis 2001 des avancées décisives pour l’identification des secrétaires de Montesquieu, et de ce fait pour la datation et l’interprétation de l’ensemble du corpus manuscrit.
4 Voir Christophe Martin, « Une apologétique “moderne” des Anciens : la Querelle dans les Pensées », Revue Montesquieu 7, 2005, p. 67-83 (en ligne sur le site Montesquieu : montesquieu.ens-lyon.fr).
5 Une centaine de lettres – dont environ 20 % il est vrai ne sont pas conservées (elles sont attestées par d’autres lettres), contre moins de soixante-dix en 1725, avec les mêmes proportions de lettres attestées, et une douzaine en 1727, presque exclusivement consacrées aux affaires de l’académie de Bordeaux.
6 Désigné comme « secrétaire E » par les travaux portant sur l’identification des écritures : voir par exemple l’édition du manuscrit de L’Esprit des lois, Œuvres complètes, 2008, t. III-IV.
7 Ainsi une lettre le félicitant de son discours de réception à l’Académie française (qui fut prononcé le 5 janvier 1728) porte de cette main le millésime « 1725 ».
8 On peut se demander comment un billet reçu par Mme de Lambert a pu être conservé à La Brède jusqu’à la grande vente des manuscrits de 1939 – mais ce fonds est riche de copies autographes (voire de brouillons scrupuleusement conservés), qui devaient permettre à Montesquieu de tenir à jour sa correspondance ; l’authenticité de ce document n’a aucune raison d’être contestée.
9 Roger Marchal, Madame de Lambert et son milieu, Oxford, Voltaire Foundation, 1991, p. 217-221.
10 Ibid., p. 162-167.
11 Ibid., p. 175-178.
12 Voir Lettres persanes (en ligne sur le site « Montesquieu. Bibliothèque & éditions »), Introduction, « Lettres publiées dans Le Fantasque ».
13 Il meurt dans la misère en 1746. Voir la notice « Saint-Hyacinthe », due à Élisabeth Carayol, dans le Dictionnaire des journalistes (1600-1789) (Jean Sgard dir., Oxford, Voltaire Foundation, 1999, en ligne sur le site de l’IHRIM, UMR 5317).
14 Cette lettre figure dans les Pensées, mais n’a pas été publiée en 1758 dans l’édition posthume des Lettres persanes au sein de Œuvres de Montesquieu (« Amsterdam et Leipzick », « Arkstée et Merkus » [Paris, Huart et Moreau]), qui inclut onze lettres nouvelles et de nombreuses corrections.
15 Recueil de pièces fugitives de différents auteurs, Rotterdam, François Bradshaw, 1743, p. 249-258.
16 Pensées, no 1655 (copié entre 1748 et août 1750 ; Mes pensées, t. XIV et XV des Œuvres complètes, à paraître).
17 Voir son article en ligne, « Anne-Thérèse de Lambert “paraphrase” Montesquieu ? Une recomposition du Traité de la considération » (1er mai 2017, « Le blog des têtes chercheuses », Hypotheses.org) : les objectifs des deux écrivains ne sont en fait pas les mêmes, Mme de Lambert affirmant des convictions personnelles « pour donner sa propre réponse à un sujet à la mode, qui la touche de près. » Sur l’originalité de Montesquieu (notamment son ironie et une lecture « sociale » d’un monde qui ne se réduit pas à celui de la bonne société, le primat du bonheur qui ouvre la perspective, etc.), voir Catherine Volpilhac-Auger, Montesquieu, Gallimard, Folio Biographies, 2017, p. 131-132.
18 Continuation des mémoires de littérature [de M. de Sallengre], II/2, 1726, p. 265-317. Desmolets, bibliothécaire de l’Oratoire, est en lien avec tout un réseau de savants : c’est lui qui entre 1709 et 1713 a fait connaître l’immense érudit Nicolas Fréret à celui qui n’est encore que « M. de La Brède » ; ce ne peut être qu’en tant qu’ancien élève de l’institution oratorienne de Juilly que Montesquieu a été mis en relation avec lui. Leurs relations ont continué, Desmolets pourvoyant Montesquieu en livres et lui servant de relais auprès de certains correspondants parisiens (voir les deux lettres du 19 avril 1716). Desmolets s’est chargé de toutes les démarches pour la publication du galant, voire licencieux Temple de Gnide en 1725 (voir sa lettre à Montesquieu du 23 avril 1725) : ce janséniste sert d’intermédiaire avec un imprimeur lui aussi janséniste, Simart (également imprimeur de la Continuation des mémoires), afin de préserver l’anonymat de l’auteur, mais aussi parce que Montesquieu est étranger au milieu de la librairie : il ne sera directement en contact avec des libraires qu’en 1749, pour les republications parisiennes de L’Esprit des lois.
19 R. Marchal, Madame de Lambert (cité ci-dessus, n. 9), p. 167-172.
20 Ibid., p. 173.
21 Étienne Ganeau obtient en septembre 1727 une approbation pour d’anonymes Avis d’une mère à son fils et à sa fille, et les publie en 1728 ; c’est un succès, puisqu’il en paraît sous la même adresse des réimpressions en 1729, 1734, 1739. La parution de ce premier manuscrit prélude à d’autres publications, avec les Réflexions nouvelles sur les femmes par une dame de la Cour de France que Le Breton donne le premier en 1727 à Paris et qui suit la même voie que les Avis ; l’ouvrage est republié à La Haye par Gosse et Néaulme sous le titre de Métaphysique de l’amour, par madame la marquise de L***. Voir la bibliographie, non exhaustive cependant, qu’en donne R. Marchal, Madame de Lambert (cité ci-dessus, n. 9), p. 768 ; voir aussi l’édition des Œuvres de Mme de Lambert par Robert Granderoute, Paris, Champion, 1990.
22 Cette lettre n’était jusqu’à présent connue que par sa première édition (Gébelin-Morize, 1914 : voir ci-dessus note 2) ; le manuscrit en a été acquis par la bibliothèque municipale de Bordeaux en novembre 1998 (Ms 3171).
23 Madame de Lambert, p. 164.
24 Ganeau ayant déjà écoulé la majeure partie de son stock lorsque la proposition de la marquise lui parvint, l’affaire ne se fit pas (ibid., p. 174).
25 Et peut-être une autre : le chevalier de Saint-Jory ne semble pas être un familier de la marquise, et s’il en est inconnu, le mal est moins grand ; mais désigner ainsi l’auteur d’un larcin, surtout auprès d’une dame unanimement respectée, paraît à la fois inélégant et risqué.
26 Autre difficulté possible : Mme de Lambert envoie un manuscrit à Montesquieu fin juillet 1726, et l’approbation de ce volume de la Continuation des mémoires, signée « Leroy », date du 4 juin 1726. Néanmoins Michel Gilot écrit dans la notice « Continuation des mémoires » du Dictionnaire des journaux (1600-1789) (Jean Sgard dir., Oxford, Voltaire Foundation, 1991) : « Dans le t. II, apparemment “approuvé” tout entier, “le 4 juin 1726”, la dissertation de Chansierge sur la rime est datée du 7 juillet. Dans la seconde partie du t. III, apparemment “approuvé le 29 décembre 1726”, les “Nouvelles littéraires” sont datées du 18 février 1727. » On ne fera donc pas fond sur cet argument.
27 Bibliothèque française, 1727, t. IX/1, art. ii, p. 29-69.
28 Mme de Lambert, Œuvres, 1990, Introduction, p. 41.
29 Cette reprise et ses raisons étaient annoncées dans la présentation que donnait la Bibliothèque française de cette publication dans la Continuation (novembre-décembre 1726, p. 337-338).
30 Items 6, 8, 11, 14, 15, 20, 21, 28, 30, 33, 36, 37, 41, 42, 46, 49, 56, 59, 62, 63, 64, 65, 70, 71, 72, 73, 77, 78, 80, 81 (voir ci-après, p. 140-149).
31 Items 10, 12, 13, 22, 32, 38, 44, 61, 66, 73, 76, 79, et peut-être 7. On remarquera que des notions aussi fondamentales que la « vraie gloire » (item 75) et l’« honnête homme » (item 76) n’apparaissent pas dans la Continuation.
32 Louvois.
33 Item 18. R. Marchal, Madame de Lambert (cité ci-dessus, n. 9), p. 44-45, avait relevé cette différence (mais seulement avec les éditions séparées), et conclu que les libraires avaient édulcoré le texte ; c’est beaucoup leur prêter.
34 En 1710, Fénelon disait dans une lettre en avoir entendu parler par d’anciens officiers (Mme de Lambert, Œuvres, Paris, Ganeau, 1748, t. II, p. 284) ; elle était exposée en détail dans les Mémoires de Puységur (Paris, 1690, 2 volumes : t. I, p. 248-249).
35 Ce texte n’est pas pour autant le plus intéressant sur le plan des idées, le critère d’autorité devenant secondaire (ou plutôt complémentaire) quand l’auteur tend à s’autocensurer. En témoigne un autre exemple, plus récent, à propos de la campagne de Barcelone, lors de la guerre de Succession d’Espagne, à laquelle avait participé le fils de Mme de Lambert. Une formulation particulièrement amère figure dans les deux premières publications : « la terre ensevelit les morts ; les ennemis publient les fautes des vivants ; la Renommée se tait, & ne parle plus de ceux qui restent » (item 9) ; elle s’adoucit à partir de l’édition Ganeau de 1728 : « la terre ensevelit les morts & les fautes des vivants ; & la Renommée se taît, & ne parle plus des services de ceux qui restent » ; le raccommodage n’est trahi que par la répétition maladroite de la coordination.
36 Montesquieu possédait ce volume de la Bibliothèque française à La Brède (voir l’édition en ligne du catalogue de sa bibliothèque, no 2580, sur le site « Montesquieu. Bibliothèque & éditions »), mais aucun tome de la Continuation des mémoires.
37 Ici comme pour d’autres passages, je remercie Nadège Landon de sa relecture et de ses suggestions.
38 En témoigne la succession rapide des éditions en 1726-1728, ou encore le compte rendu de la Continuation des mémoires dans le Journal des savants de janvier 1727, p. 80.
39 Traité des devoirs ; De la considération et de la réputation ; Discours prononcé à la rentrée du parlement de Bordeaux ou Discours sur l’équité qui doit régler les jugements et l’exécution des lois ; Discours sur les motifs qui doivent nous encourager aux sciences, prononcé pour la rentrée de l’académie royale de Bordeaux – tous, sauf le premier, assez brefs, puisqu’ils sont lus en public (nous revenons dans l’édition de « De la politique », en ligne sur le site « Montesquieu. Bibliothèque & éditions », sur les raisons pour lesquelles, selon nous, ce développement ne constitue pas une œuvre autonome).
40 Voir ce que Mme de Lambert dit de Montesquieu à Morville le 5 août 1726 : « souvent il nous aporte des manuscrits de sa façon infiniment approuvée [lire : approuvés] par Ms de Fontenelle et de la Mote » (lettre publiée avec la correspondance en ligne de Montesquieu dans l’annexe « Morville protecteur de l’académie de Bordeaux »).
41 Voir la lettre de Berwick du 28 juin 1726 : « Vous croyés monsieur, en etre quitte pour faire un complimt tourné avec grace, croyés vous de bonne verité que cella suffit pour reparer le tort que vous aves eu en faisant un trou a la lune sans dire gare a personne, il faloit du moins avoir laissé quelque petit signe de vie ».
42 La date traditionnelle (1717) repose sur une série de conjectures que les recherches récentes sur les manuscrits de Montesquieu ont beaucoup fragilisées.
43 Montesquieu l’a fait recopier par la suite, puisque la seule copie existante date de 1735-1739.
44 Les deux journalistes, qui sont unis par des liens d’amitié (Bel comme Montesquieu a été pensionnaire au collège oratorien de Juilly, et Desmolets ne l’oublie pas dans ses lettres), appartiennent l’un au monde érudit, l’autre à des réseaux plus ouverts aux idées nouvelles : la Bibliothèque française est d’ailleurs interdite en France.
45 C’est surtout par la Bibliothèque française qu’on connaît le Traité des devoirs, dont un résumé est fourni en mars 1726 ; en mai-juin, c’est De la considération et de la réputation ; nul autre que Montesquieu n’a pu fournir ces extraits (Bel ne sera élu à l’académie de Bordeaux qu’en 1736). En 1725 (volume daté de 1724), c’est Le Temple de Gnide qui avait été ainsi diffusé hors de France.
46 Montesquieu transmet à Desmolets, qui le publie dans un autre périodique, les Nouvelles littéraires, en date du 15 janvier 1724, un résumé d’un mémoire sur le mouvement.
47 Même s’il ne faut pas surestimer la diffusion de la Bibliothèque française, sur laquelle on a peu de données, on doit constater que les collections conservées en sont nombreuses, et que les volumes en ont été réimprimés (voir la notice, due à Jean Sgard, du Dictionnaire des journaux). De plus il arrivait que d’autres périodiques largement reçus en France en reprennent les articles les plus intéressants, comme c’est le cas avec une critique écrite par Bel des Réflexions critiques sur la poésie et la peinture d’un habitué du salon de Mme de Lambert, l’abbé Dubos (juillet-août 1726, art. V, p. 216-252 ; elle est saluée par Montesquieu dans sa lettre à Bel du 29 septembre 1726) ; par un effet de chassé-croisé avec la « Lettre sur la vraie gloire », Desmolets republie ctte critique de Bel dans la Continuation des mémoires (t. III, 1re partie, 1727, p. 3-42), ce qui vaut à cet article un retentissement important puisque le très estimé Journal des savants se fait l’écho de cette reprise (mars 1727, p. 157-160).
48 Il n’y a pas lieu de voir là une « intrigue » (R. Marchal, cité ci-dessus, n. 9, p. 141) : Mme de Lambert est parfaitement dans son rôle d’intermédiaire discrète, Montesquieu ne voulant pas écrire directement à Morville ; si cette place ne lui convenait pas, il faudrait, dit-il que « nous puissions l’offrir toute neuve a un autre » (lettre du 29 juillet 1726 à Mme de Lambert).
49 Voir dans l’édition en ligne de la Correspondance « Sully à Bordeaux ». La surprise et la reconnaissance de l’horloger Sully, dont les lettres de remerciement ont été conservées, montrent bien toute l’importance de l’initiative de Montesquieu.
50 Sans doute Montesquieu a-t-il moins bien réussi sur ce plan puisqu’aucune des suggestions qu’il avait faites pour obtenir de l’argent (revenus d’un bois, profits des appels comme d’abus, etc.) n’a été retenue ; mais le projet de loterie a le mérite d’impliquer les Bordelais eux-mêmes, tout en présentant les activités de l’Académie comme un objet d’utilité publique.
51 Dans leur édition de 1998, Louis Desgraves et Edgar Mass (OC, t. XVIII) ont révélé cette lettre autographe conservée à Princeton, adressée « à un inconnu » et datée du 25 juin 1727 (lettre no 272).
52 Saint-Aulaire aurait peut-être contracté avec Mme de Lambert un mariage secret.
53 Il a été sollicité en ce sens par l’académicien Valincour, qui lui a envoyé un extrait des Lettres persanes : voir C. Volpilhac-Auger, Montesquieu (ci-dessus note 17), p. 155-157.