Book Title

Nathalie Preiss (dir.), Le XIXe siècle à l’épreuve de la collection

Reims, ÉPURE, 288 pages, ill. couleur et N&B. 15 x 21 cm. [25 €] ISBN : 978-2-37496-066-1

Guillaume FLAMERIE de LACHAPELLE

Université Bordeaux Montaigne

L’ouvrage ici recensé est le fruit d’un colloque international tenu à Reims les 19 et 20 novembre 2015. Il comprend une introduction de N. Preiss, quatorze contributions rédigées en français et réparties en deux volets ; une table des illustrations et un index des noms cités ferment le volume.

La première partie, baptisée « De la geste de la Révolution au geste de la collection », s’ouvre sur un article de J.-Y. Mollier (« De l’Encyclopédie de Diderot au musée de C.-L. F. Panckoucke à Meudon : naissance et développement d’une collection au XIXe siècle »). Celui-ci se penche sur un important éditeur et collectionneur de la Restauration et de la monarchie de Juillet, Charles-Louis Panckoucke (1780-1844). Ce dernier conçut un projet d’aspect excentrique, mais représentatif en réalité d’un attachement à l’héritage des Lumières, puisqu’il s’agissait de diffuser chez tous les citoyens des objets de connaissance, notamment en relation avec l’Antiquité. Ce projet, qui ne vit finalement jamais le jour à cause de la contestation du testament de Charles-Louis par son fils Ernest, c’était la création d’un musée à Meudon, abritant ses collections et devant ouvrir un siècle après sa mort. – S. Maffre (« Diancourt, bibliophile révolutionnaire ») revient sur les pratiques de collection de Victor Diancourt, sénateur, maire de Reims et auteur d’un Goût des livres qui légua plus de vingt mille volumes à sa ville. – J.-L. Haquette (« Un siècle mis en livre : l’anthologie Douze poèmes du XIXe siècle de Victor Diancourt ») s’intéresse à un ouvrage du fonds précédemment évoqué : un unicum, offrant douze poèmes sélectionnés par Diancourt à la fin de sa vie puis calligraphiés et illustrés d’aquarelles originales par E. Auger. Certains traits se dégagent : intérêt pour la poésie philosophique à tendance désespérée ou pessimiste, mais aussi tonalité idyllique et familière. Les opinions républicaines de Diancourt transparaissent également dans le choix des pièces et des illustrations. – M. Le Pavec (« Le département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et les collections d’autographes au XIXe siècle ») s’attache à la constitution et au développement du département mentionné dans le titre de son article, mais aussi d’une façon générale aux débuts et aux principes de la collection des autographes chez les particuliers. – J.-J. Gautier (« Le meuble de collection ou l’invention du XVIIIe siècle à usage du XIXe siècle ») s’attache au marché des meubles précieux d’Ancien Régime, son fonctionnement et ses tendances à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe. – Y. Le Pape (« Au péril de Ninive : ambitions, rivalités et polémiques autour des premières collections assyriennes [1842-1900] ») montre en quoi les découvertes de vestiges assyriens sont emblématiques d’une époque, par les rivalités qu’elles suscitent entre deux États, la France et l’Angleterre, mais aussi par l’accent mis sur l’ornement plutôt que sur la restitution scientifique dans la muséographie. Par surcroît les acquisitions sont à la fois modiques et désordonnées ; du point de vue esthétique enfin, ces restes sont souvent mis en rapport avec l’Antiquité classique, soit pour les déprécier, soit au contraire pour en faire une source d’inspiration des artistes grecs. – C. Faivre d’Arcier (« Lovenjoul et l’invention du XIXe siècle romantique ») retrace la vie et les principes de collection du célèbre bibliophile belge. Le fonds qu’il rassembla nourrit de nombreuses recherches sur le romantisme et lui-même montra la voie par ses recherches bibliographiques et son attention à la génétique des textes. – C. Reynaud (« La réception de Berlioz à la fin du XIXe siècle : la collection musicale de Charles Malherbe ») expose quelques aspects de la riche collection de Malherbe et notamment la façon dont l’examen de la partition originale de la Symphonie fantastique a permis de remettre en cause la légende d’une « Marche au supplice » écrite en une nuit d’exaltation.

Le deuxième volet (« Collection et révolution du globe ») s’ouvre sur une contribution de J. Balsamo, « Quelques remarques sur le catalogue de livres anciens en tant qu’objet littéraire au XIXe siècle » : après avoir évoqué les systèmes de classement des catalogues de vente et la place que ces derniers accordent en leur sein aux catalogues plus anciens comme objets de collection, l’auteur questionne le rapport du catalogue à la fiction, qu’il en soit le centre comme dans L’Anneau d’améthyste de A. France, ou bien qu’il soit lui-même une fiction, à l’instar de ce celui, fameux, de l’imaginaire comte de Fortsas. – Fr. Schuerewegen (« Au vestiaire avec Chateaubriand ») met en regard le vestiaire dans lequel Chateaubriand ôte ses habits de pair de France au moment de sa démission de cette assemblée en 1830 et le décevant musée, en réalité un vestiaire, qu’Hortense de Beauharnais a installé au château d’Arenenberg en l’honneur de son beau-père Napoléon. L’article se clôt sur des remarques concernant le lien entre mémoires et roman concernant non seulement Chateaubriand, mais aussi Balzac. – D. Sangsue (« Collection et catastrophe ») traite de quelques déboires essuyés par des bibliophiles, qui après avoir pu bénéficier d’un flot de livres mis sur le marché à la suite de la Révolution, sont confrontés à diverses pathologies : folie de l’entassement, à l’instar du célèbre Boulard ou jalousie maladive, la nouvelle d’Asselineau L’Enfer du bibliophile donnant à voir à travers un cauchemar les avanies qui s’abattent sur le collectionneur trop passionné. Au bout du compte la « fin du livre » prophétisée par Uzanne ne serait pas une calamité. – J. Schuh (« Bibliophilie et revues fin de siècle : collection et innovation ») étudie d’abord le lectorat, aristocratique et bourgeois, visé par ces publications avant-gardistes ; elles publient rapidement des inédits à petit tirage ; plusieurs offrent aussi à leurs abonnés la possibilité d’acquérir la revue en exemplaire de luxe (grand papier, numéroté…) et contiennent des estampes, au point qu’elles deviennent elles-mêmes des objets de collection, ainsi que l’illustre l’opuscule de Remy de Gourmont : Les Petites Revues. – M. Le Bail (« Bibliophilie moderniste et modernité littéraire : pour quel XIXe siècle ? ») se penche sur les collections de trois bibliophiles passant pour avoir été, rompant là avec la pratique dominante, particulièrement attentifs à la littérature contemporaine : Asselineau, qui se concentre sur la littérature romantique ; Janin et Uzanne, plus éclectiques. La moindre difficulté n’est pas pour eux de sélectionner au milieu d’une production pléthorique et médiocre des ouvrages dignes d’être rassemblés, qu’ils auront soin de rendre uniques par le papier ou la reliure choisis ou en les truffant de pièces diverses. La personnalité, les goûts de chacun tiennent lieu de critères de réunion. – D. Pety (« L’esprit de collection XIXe-XXIe siècles ») considère que l’essor récent des recherches autour de la notion de collection au XIXe siècle résulte de questions qu’on se pose concernant les collections d’aujourd’hui : fantasme d’exhaustivité et de classement des connaissances ; problèmes d’inventaire et de préservation des archives ; caractère ordinaire des collectionneurs et des thèmes de collection.

En somme voilà un ouvrage qui apporte une contribution notable à un thème devenu important dans la recherche historique, bibliographique et littéraire du XIXe siècle : les différents éclairages qui y sont apportés à partir de points de vue fort différents s’enrichissent mutuellement au lieu de simplement coexister. La qualité matérielle de l’ouvrage est aussi à relever puisque les coquilles y sont rares1 ; la directrice de collection s’est donné la peine de confectionner un index et un avant-propos explicitant la cohérence du recueil sans se limiter à en résumer les chapitres, deux éléments qui manquent trop souvent dans les ouvrages collectifs.

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1 P. 36 : lire mirabilis (et non mirabile) ; p. 258, n. 27 : lire « Giorgio ». Relevons aussi deux lapsus calami : p. 114 : lire « deux siècles » et non « trois » ; p. 193 : lire « Tite-Live » et non Tacite. Enfin J.-L. Burnouf est plutôt latiniste qu’orientaliste (p. 91).