Book Title

Stephen Rawles, Denis Janot (fl. 1529-1544), Parisian Printer and Bookseller. A Bibliography

Leyde-Boston, Brill (Library of the Written World 54, The Handpress World 41), 2018 : XX, 749 pages, ill. 15,5 x 23,5 cm [186 €] ISBN : 978-90-04-33052-8

Romain MENINI

Université Gustave-Eiffel

C’est un nouveau monument bibliographique que fournit Stephen Rawles aux spécialistes et aux amateurs du livre français de la Renaissance. Parmi les premiers d’entre eux, nombreux savaient déjà toute l’utilité de la thèse dactylographiée (Ph.D, University of Warwick, 1976) de Stephen Rawles sur l’imprimeur-libraire Denis Janot, dont, par exemple, la Réserve de la Bibliothèque nationale de France mettait depuis longtemps à disposition un indispensable exemplaire. Le livre imprimé par Brill constitue l’achèvement de ce travail de longue haleine consacré à Janot, labeur complété par plus de quarante ans de recherches depuis cette thèse qui avait fait date. L’ouvrage rejoint sur les rayonnages les autres bibliographies de première importance qu’on doit à Stephen Rawles, en particulier sa New Rabelais Bibliography (avec M. A. Screech, 1987) et sa Bibliography of French Emblem Books of the Sixteenth and Seventeenth Centuries (avec Alison Adams et Alison Saunders, 1999 et 2002).

La préface de l’auteur permet d’évaluer le chemin parcouru depuis les recherches doctorales : le nombre de livres connus de Janot a augmenté (il est passé de 350 à 391), tout comme le pourcentage d’exemplaires examinés par le bibliographe livre en main (80 %, soit environ 1300), ce qui lui a permis de progresser dans la connaissance et la reconnaissance du matériel de l’officine. De quoi mesurer au plus juste l’importance de Janot dans l’histoire du livre à la Renaissance : passé de simple libraire à imprimeur-libraire, associé à Lotrian puis lancé dans une carrière indépendante, à la recherche d’un style proprement humaniste qui, de l’utilisation des caractères gothiques aux fontes romaines, lui assurera le succès dans les années 1540, Denis Janot est une figure marquante de l’imprimerie parisienne, dont le rôle dans la publication de livres d’emblèmes ne doit pas faire oublier qu’il s’est illustré aussi dans des domaines aussi divers et variés que les traductions des classiques (surtout latins), la médecine, la fiction narrative, le droit, la religion la poésie ou encore – note le bibliographe – la production littéraire des femmes (chez un homme de l’art réputé « féministe » : voir p. 47-48).

Janot apparaît comme un cas exemplaire et représentatif de l’art typographique de son temps – celui du « beau XVIe siècle » de François Ier –, notamment dans l’importance qu’accorde son catalogue à la littérature en vernaculaire, très majoritaire. On aimerait savoir s’il faut attribuer surtout cette volonté d’« illustration de langue française » à un opportunisme commercial ou à une ligne éditoriale convaincue : Stephen Rawles, qui ne néglige pas l’enjeu économique dans l’entreprise Janot, non plus que l’évidente émulation dans un monde du livre en pleine mutation, ne craint pas pour autant de mentionner de réels « impératifs artistiques » (p. 48) pour expliquer le soin apporté par l’imprimeur à ses éditions illustrées. Il en va peut-être de même pour le choix sinon exclusif, du moins très dominant, du français – à moins que l’histoire ait effacé à jamais le rôle en la matière d’un ou plusieurs correcteurs-éditeurs, dans quelque staff putatif que Stephen Rawles n’évoque, sauf erreur, jamais (faute de documents). Y avait-il chez Denis Janot l’équivalent d’un Rabelais ou d’un Dolet chez le lyonnais François Juste, ou bien sa stature intellectuelle de libraire humaniste lui permettait-elle faire l’économie d’un tel « directeur de collection » avant l’heure ?

Les deux premiers chapitres du livre (« Denis Janot’s Career » et « Denis Janot : Context and Achievement ») reviennent efficacement sur la production de l’imprimeur-libraire dans son contexte parisien ; ils constituent une entrée en matière nécessaire et agréable avant le noyau dur de cette bibliographie : l’étude du matériel typographique de Janot (chapitre 3 : « Janot’s Printing Materials ») et, bien sûr, le catalogue proprement dit, fort de ses 348 numéros classés par ordre chronologique (1529-1545, puis éditions non datées – catalogue augmenté d’un appendice sur les attributions problématiques ou fautives).

Le protocole de présentation du catalogue est un modèle du genre ; Stephen Rawles dit avoir suivi les préconisations de Fredson Bowers (Principles of bibliographical description, 1949), en en simplifiant certaines prérogatives, ce qui rend particulièrement efficaces ses notices, ordonnées selon un même schéma à dix entrées : titre (court puis long), colophon, collation, contenu, typographie, lettrines, bois gravés, exemplaires, note de commentaires et références bibliographiques. Les éditions partagées entre plusieurs libraires parisiens ont fait l’objet d’une attention toute particulière, Janot ayant multiplié les collaborations tout au long de sa carrière avec ses contemporains, qu’ils soient imprimeurs et/ou libraires. Le choix d’imprimer les titres en rouge et noir est aussi agréable que fidèle à la bichromie ancienne ; ce parti pris de fidélité compense le nombre relativement faible de pages de titre reproduites. À l’heure de la multiplication des exemplaires numérisés, et compte tenu du nombre d’éditions à étudier, on comprend que le bibliographe ait renoncé pour des raisons matérielles au choix qui avait été fait par exemple dans sa New Rabelais Bibliography (une édition = une page de titre montrée), pour privilégier la reproduction de certaines lettres ornées, gravures et autres encadrements à la fin du chapitre 3 (quant à lui richement illustré) : « Illustration is therefore restricted to carefully chosen examples of Janot’s printing material », annonce la note qui précède la très utile table des illustrations (p. XIII-XX).

Une bibliographie des ouvrages cités, un index des noms et un index des œuvres anonymes publiées par Janot complètent avec profit le volume, et achèvent de lui donner le statut d’un outil bibliographique de référence.

Devant une réalisation aussi ambitieuse, qui prouve une nouvelle fois le bien-fondé des bibliographies imprimées sur papier, on se prend à rêver de prolongements possibles, d’autant que l’auteur lui-même évoque la possibilité d’un recours aux outils numériques (p. XIII). Une piste à explorer serait d’ajouter des informations spécifiques sur les différents exemplaires examinés (reliure, possesseurs, annotations éventuelles, présence dans un Sammelband, etc.), comme a récemment tenté de le faire, de façon économe, Guillaume Berthon dans sa remarquable Bibliographie critique des éditions de Clément Marot (Genève, Droz, 2019), dont l’un des modèles revendiqués n’est autre… que le travail de Stephen Rawles sur Janot. À l’heure où triomphent les bases bibliographiques accessibles sur la Toile (qu’on pense à l’Universal Short Title Catalogue ou, pour la typographie parisienne, à la conversion-augmentation de l’Inventaire de Renouard dans BP16), l’ouvrage de Stephen Rawles permet de mesurer à quel point les bases digitales et les ressources papier doivent aller de pair, les secondes – lorsqu’elles sont aussi solides que le catalogue Janot – nourrissant alors les premières dans le rôle de méta-catalogues que celles-ci sont aussi (et avant tout ?) appelées à jouer.

Le Denis Janot de Stephen Rawles, dans sa version imprimée, devra désormais figurer parmi les usuels bibliographiques des grandes collections publiques qui comportent un fonds ancien. Aucune enquête sur la typographie parisienne du XVIe siècle n’en pourra faire l’économie.