Puritanisme et politique en Angleterre dans la première moitié du XVIIe siècle
Au milieu du XVIIe siècle, le rôle politique des puritains a été considérable en Angleterre. Ils participèrent activement à la révolution de 1640 et y jouèrent un rôle important, mais ils furent surtout décisifs lors de la guerre civile permettant au camp parlementaire de l’emporter sur le roi. Ayant accédé au pouvoir grâce à la victoire obtenue sur les champs de bataille, ne pouvant s’entendre avec le souverain, ils agirent d’une manière inouïe pour l’époque en faisant comparaître Charles Ier devant un tribunal exceptionnel qui le condamna à mort. Il en résulta, après l’exécution du roi, en janvier 1649, l’instauration du Commonwealth d’Angleterre dont les difficultés de fonctionnement aboutirent à l’accès au pouvoir suprême de leur principal chef militaire, Olivier Cromwell, qui devint en 1653 Lord Protector1 du royaume d’Angleterre. Mais Cromwell et son entourage ne réussirent pas à mettre sur pied un régime durable : le décès en septembre 1658 du premier Lord Protector fut suivi par une désintégration progressive du régime avec pour inévitable issue la restauration en mai 1660 du fils aîné du « roi martyr », Charles II.
Cette très brève présentation des événements que connut alors l’Angleterre fait naître aussitôt plusieurs questions fondamentales qui structurent toute analyse de ces événements : a) qui étaient ces puritains ? b) Pourquoi ont-ils pu jouer un tel rôle, d’abord dans la révolution puis dans la guerre civile ? c) Pourquoi, après avoir été si efficaces durant les luttes des années 1640, ont-ils été dans l’incapacité d’organiser durablement le nouveau régime politique qu’ils avaient créé, et donc de le préserver ?
1. Connaître les puritains anglais du milieu du XVIe au milieu du XVIIe siècle
a. Définition du puritanisme anglais à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle
Le terme lui-même est dérivé du mot anglais « pure » qui signifie « pur » et par extension « vrai ». Employé de cette manière, il désigne le retour à la véritable Église, l’Église des apôtres, pure de tout ce qui est venu s’y ajouter2. Les puritains sont donc ceux qui veulent que la réforme de l’Église d’Angleterre la délivre de toutes les impuretés que lui ont surajoutées les siècles, et notamment la hiérarchie ecclésiastique qui est absente dans l’Église primitive. Ils sont aussi « la frange la plus active d’un évangélisme protestant qui cherchait à vaincre les insuffisances de l’Église sur le plan du prosélytisme, de la discipline3 et de la lutte contre les résidus du catholicisme »4. Ils réclament pour la société comme pour les individus une vie pleinement en accord avec les principes de la religion. Chrétiens convaincus, ils veulent instituer sur la terre le règne de la Parole Divine, donc faire triompher la Godly Cause [La Sainte Cause], ce qui les conduit à la fois à un véritable prosélytisme et à ne pas accepter des comportements qui scandalisent les croyants, par l’instauration de la « discipline » qui permet le respect de la morale sur le plan social comme au niveau des individus. En fait, ce sont leurs adversaires qui les ont dénommés ainsi. Eux-mêmes se désignaient par d’autres termes tels que « the godly »5, « the true gospellers »6 ou encore « the elect »7. Plusieurs historiens, comme Geoffrey Elton ou Christopher Hill, ont donc émis des réserves sur l’emploi du terme puritain qui aux yeux d’Elton n’a pas d’intérêt car il n’apporte rien, notamment parce qu’il n’y a aucune définition générale du puritain et qu’on regroupe ainsi sous ce terme des personnes très dissemblables. C. H. George est allé encore plus loin en proposant de renoncer à l’employer car pour lui c’est « un concept qui obscurcit la réalité »8.
Utiles pour prémunir contre certains excès ou facilités, ces points de vue critiques méconnaissent l’usage courant et fréquent des termes puritains et puritanisme. S’il ne faut surtout pas chercher une vision trop réductrice du puritanisme, s’il est évident qu’un puritanisme global et cohérent n’a jamais existé, et qu’il y avait parmi les puritains de considérables différences, il n’empêche que le mot désigne bien une part importante des protestants anglais entre les années 1560 et les années 16609, et que d’excellents spécialistes qui font autorité dans ce domaine, comme Patrick Collinson, en font régulièrement usage10. D’ailleurs, un pamphlétaire élisabéthain, souligne P. Collinson, emploie sans hésiter le terme : « la plus ardente catégorie de protestants sont appelés puritains »11. Et il en va de même de Jacques Ier qui écrit dans son Basilicon doron : ces « Puritanes sont de vrais pestes dans l’Église et dans le Commonwealth »12. On peut encore citer Joseph Bentham, ministre de Broughton dans le comté de Northampton : en 1630 il publie The Societies of the Saints, ouvrage dans lequel il emploie fréquemment le mot. Comme l’a écrit Nicolas Tyacke, « jusqu’aux années 1620, c’est un terme pratique, habituellement employé pour définir les membres de l’Église d’Angleterre qui veulent des réformes protestantes plus profondes dans la liturgie et l’organisation de l’Église »13. Ils le font avec une intensité et un militantisme très poussés, d’autant plus vigoureux que les histoires personnelles de puritains que nous connaissons montrent qu’ils se comportent ainsi parce qu’ils ont éprouvé, à l’intérieur du protestantisme, une conversion récente, en ce sens qu’ils sont devenus des chrétiens plus profonds, parfois au prix de crises religieuses et mystiques très rudes14. Plus globalement, beaucoup de protestants anglais de la fin du XVIe siècle sont des convertis récents qui viennent d’abandonner le catholicisme. Il en résulte un engagement d’une force exceptionnelle : les puritains sont parmi les protestants anglais ceux qui ont un tempérament et une attitude plus intensément religieux que ceux des autres protestants. Cela compense largement le fait qu’ils ne sont qu’une minorité puisqu’on estime qu’ils ne représentaient que 10 à 15 % des Anglais.
Or la Réforme anglaise, telle qu’elle a été mise en place par Élisabeth Ire15, n’a fait qu’une partie du chemin sur la voie du calvinisme, l’anglicanisme16 n’étant pas une rupture totale avec les traditions religieuses anglaises. Le puritanisme en est, nous allons le voir, une conséquence directe. Il est largement le résultat de l’interaction entre les éléments politiques et les modifications religieuses. On doit d’abord se rappeler que c’est uniquement pour des raisons personnelles et politiques (la question de son divorce et de son mariage avec Anne Boleyn, l’opposition avec la Papauté, l’aubaine que représentaient les biens de l’Église d’Angleterre17) et non pas pour des raisons simplement religieuses que Henry VIII – que le pape avait peu de temps auparavant désigné sous le beau titre de « défenseur de la foi » – rompt avec le catholicisme18. La nouvelle église qu’il crée est incontestablement nationale et il en est le chef ; mais elle n’est que très partiellement protestante et surtout bien davantage luthérienne que calviniste19. En fait, il n’a jamais voulu fonder une Église réellement protestante, encore moins une Église calviniste. Certes, son fils et successeur, Édouard VI, imposa un système ecclésiastique totalement protestant et surtout d’obédience calviniste, ce dont le responsable réel fut son oncle Somerset qui gouvernait le royaume, Édouard n’ayant que dix ans lorsqu’il monta sur le trône20. Mais le noyau protestant qui avait réussi à prendre en main le gouvernement ne put aller très loin car Édouard VI ne régna que très peu de temps : de 1547 à 1553, avec deux entourages successifs fort peu appréciés par les Anglais. C’est pourquoi sa sœur Mary Ire put ramener sans réelle difficulté son royaume à la religion traditionnelle, mais elle ne régna elle aussi que trop peu de temps : de 1553 à 1558, et malgré la dureté de sa politique religieuse – il y eut autour de 282 bûchers21 et plusieurs centaines de protestants partirent en exil – elle ne put en finir avec le protestantisme auquel adhérait sa sœur Élisabeth qui lui succéda.
b. Élisabeth Ire et la création de l’Église « établie »
On s’est beaucoup interrogé sur les sentiments religieux d’Élisabeth Ire mais l’historiographie récente, prenant le contrepied des positions présentées au début du XXe siècle par A. F. Pollard qui la considérait comme sceptique ou indifférente en matière religieuse, met l’accent sur la sincérité de ses sentiments religieux, soutenant qu’elle priait tous les jours et écoutait attentivement les sermons de carême22. Mais on ne peut pas dire qu’elle s’est vraiment exprimée à ce sujet. Ce qui est certain, c’est qu’elle était très opposée au catholicisme par tradition familiale (la famille de sa mère Anne Boleyn était favorable à la Réforme), parce qu’elle abhorrait la Papauté qui n’avait cessé de la fustiger comme bâtarde puisque Rome ne reconnaissait pas le divorce de Henry VIII, et enfin parce qu’elle avait le sentiment que les puissances catholiques, en particulier l’Espagne, étaient une menace pour son royaume. Par ailleurs, les évêques et dignitaires promus par Mary lui avaient été très hostiles et il est certain qu’une partie de l’entourage de sa sœur n’avait cessé de constituer une menace pour elle. Elle décida donc, en conformité avec ses penchants, de revenir au protestantisme, mais le calvinisme dans ses versions les plus poussées, celle de Genève ou celle du presbytérianisme écossais23, ne lui convenait pas, ne serait-ce que par suite de l’hostilité qu’il manifestait envers la hiérarchie ecclésiastique et de son refus de mettre le pouvoir royal au-dessus de l’Église. Par ailleurs, elle appréciait le cérémonial religieux, la musique lors des offices, n’aimait pas les pasteurs mariés et était horripilée par les leçons que prétendaient lui donner les prédicateurs calvinistes. Elle choisit donc ce que l’on a appelé « la via media », l’Église d’Angleterre redevenant protestante –calviniste même du point de vue doctrinal24 – mais gardant des caractères essentiels étrangers aux églises véritablement calvinistes25. C’est ainsi qu’il y a à la tête de l’Église le souverain de l‘Angleterre26, et qu’elle conserve une organisation très structurée, avec des évêques, une hiérarchie ecclésiastique, une discipline du clergé. Les cérémonies religieuses sont allégées et épurées mais le cérémonial ne disparaît pas. Le « rituel de la communion est plus proche de celui des catholiques que de celui des réformés »27. En outre, dans la pratique, une souplesse – que l’on peut aussi qualifier de flou – est conservée à l’intérieur de l’Église de façon à éviter de lancer des persécutions envers des protestants qui n’observeraient pas avec une stricte exactitude les principes et réglementations de l’Église d’Angleterre. Les manifestations de catholicisme sont au contraire de plus en plus l’objet de poursuites ; surtout, les prêtres et les missionnaires catholiques sont pourchassés, arrêtés et condamnés, nombreux étant ceux qui furent exécutés28.
Le protestantisme de la reine n’est jamais mis en cause dans le royaume, et cela d’autant plus que la mise en place de l’Église d’Angleterre s’accompagne d’un ferme soutien aux protestants néerlandais en lutte contre l’Espagne de Philippe II, championne du catholicisme en Europe, ce qui amène très vite à faire d’Élisabeth Ire la championne du protestantisme, sa politique étant valorisée par de nombreux succès contre les Espagnols, surtout maritimes (cf. le sac de Cadix par Drake en 1585 et l’échec de l’Invincible Armada en 1588). Pourtant, une partie en fait très minoritaire des protestants anglais montre très vite son mécontentement devant les « impuretés » que conserve toujours l’Église d’Angleterre : sans parler des questions de dogme, on continue dans les années 1560 de s’agenouiller lors de la communion, de faire résonner les orgues et les chants, de pratiquer le signe de croix, de célébrer des fêtes de saints et de porter des vêtements sacerdotaux, cependant que l’office continue à ne laisser qu’une place réduite au sermon, que la prédication qui est considérée par l’ensemble des puritains comme un moyen essentiel d’atteindre le salut reste insuffisante, et que l’absolution est toujours pratiquée, soit un ensemble d’habitudes et de comportements qui s’opposent à l’évidence à la liturgie pratiquée à Genève ou en Écosse. Des griefs plus profonds existaient également : alors que les puritains mettaient l’accent sur la prédestination, les anglicans restaient attachés à la grâce dispensée par l’intermédiaire de l’Église ; les sacrements comptaient beaucoup pour eux car ils conféraient la grâce dans le cadre d’une religion du salut alors que pour les puritains ils ne bénéficiaient qu’aux convertis et que pour ces derniers ce qui était essentiel dans l’office, ce n’était pas les sacrements mais le ministère de la Parole, c’est-à-dire la prédication, laquelle d’ailleurs devait se multiplier et être fréquente, y compris en dehors des offices. Au départ, il s’agit de simples croyants qui adhèrent plus ou moins totalement au calvinisme ; ce sont les membres de familles mais aussi de groupes amicaux, peu nombreux le plus souvent. « Les godly se sentaient plus liés les uns aux autres qu’à leur paroisse officielle, et formaient de petits groupes à la conscience inquiète, demandant que l’Église cessât de tolérer ce qui n’était pas exactement conforme à l’Écriture », en particulier le cérémonial et « les cérémonies hérités du catholicisme »29.
Parmi eux, nous avons un nombre important de ministres du culte et de prédicateurs-conférenciers religieux – les lecturers – qui sont de fervents partisans de la théologie calviniste ; ils tiennent une place essentielle dans le puritanisme dès le début de celui-ci, et sont particulièrement « convaincus que la Réforme a échoué », que l’Angleterre n’est pas encore convertie30. On ne doit pas oublier à cet égard que si certains des puritains ont une tradition religieuse familiale calviniste qui remonte aux années 1530-1550, la plupart relèvent d’une conversion récente, ce qui signifie une foi très vive. Celle-ci se retrouve au niveau de membres aisés de l’élite artisanale et commerçante, ou encore de familles de la gentry qui ont choisi par conviction profonde l’adhésion au calvinisme ; on se rappellera à cet endroit que celui-ci est une religion du livre et que le niveau d’alphabétisation est déjà élevé dans l’Angleterre de la deuxième moitié du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle31 ; le contact avec les Écritures est donc souvent tout à fait direct ce qui a pour conséquence que le contrôle clérical est mal supporté, surtout lorsque les structures ecclésiastiques paraissent accepter la persistance de défauts et impuretés que la réforme de l’Église aurait dû faire disparaître. Enfin, certains théologiens ou ministres se sont prononcés en ce sens. Ce fut en particulier le cas de Thomas Cartwright qui donna en 1570 à Cambridge des lectures32 devenues aussitôt célèbres sur les Actes des Apôtres. C’était une critique directe et forte de l’Église d’Angleterre qui venait d’être instituée et une revendication du presbytérianisme tel que l’avait défini à Genève Théodore de Bèze. En 1572, dans ses Admonitions to the Parlement il appelle la reine à réformer l’Église en faisant retour aux principes en vigueur à l’époque des Apôtres, soit la pure prédication, l’administration de l’eucharistie telle qu’ils la pratiquaient et l’exercice de la discipline ; il prône le presbytérianisme, c’est-à-dire la suppression de la hiérarchie ecclésiastique, en particulier l’épiscopat, remplacée par la mise en place au niveau de chaque communauté du conseil presbytéral ou consistoire ; au niveau régional, l’assemblée des représentants des consistoires forme un synode ; un synode national – ou général – regroupe les synodes régionaux. Il a seul pouvoir de décision pour tout ce qui concerne l’Église. Bien entendu, cette structure ecclésiastique est totalement indépendante du pouvoir royal. Les anglicans répondaient à ces critiques qu’il faut distinguer entre « les éléments essentiels au salut et ceux qui ne le sont pas, les adiaphora33, que l’Évangile ne prescrit ni n’interdit ; si les premiers doivent être conformes à l’Écriture, les seconds peuvent aussi être dictés par la tradition de l’Église… C’est le cas notamment des vêtements sacerdotaux, de l’agenouillement pour la communion, et aussi de l’épiscopat », l’épiscopalisme étant « tout aussi légitime que les consistoires genevois ou les assemblées presbytériennes, de par son ancienneté… De même, l’Écriture, surtout l’Ancien Testament, permettait à un prince séculier d’exercer un pouvoir spirituel s’il n’était ni persécuteur ni impie ; d’ailleurs, les puritains ne contestaient pas en général l’autorité d’Élisabeth »34.
Au plus haut niveau de la monarchie ou du Parlement, le puritanisme résulta également des décisions d’individus ou de familles qui le choisirent ou qui éprouvèrent de la sympathie pour les puritains. Ces choix apparurent dès les années 1530 et eurent pour résultat que sous Élisabeth puis dans la première moitié du XVIIe siècle il y eut un groupe de pairs puritains ou favorables à ceux-ci, tel le comte de Leicester qui joua un grand rôle dans l’Angleterre d’Élisabeth, les lords Russell, Saye and Sele, Warwick, Brooke, Manchester, Essex. Non seulement ils protégeaient les godly mais encore ils finançaient des tracts35 et autres publications destinées à défendre leurs idées. Jacqueline Eales a souligné l’importance du patronage exercé par les chefs de familles puritaines appartenant à l’aristocratie, à la gentry ou à de riches familles de commerçants et d’artisans. Dès la deuxième moitié du XVIe siècle ils constituent un socle social d’une grande importance pour les idées puritaines36. Tous ces puritains partagent un même souci de défendre la Réforme contre la papauté et le papisme ; ils prônent donc une politique étrangère active, dirigée contre l’Espagne de Philippe II et appuient avec force la politique d’aide aux Néerlandais révoltés, ce qui les amène fréquemment à critiquer l’attentisme et la volonté de la reine d’éviter d’être entraînée dans un grand conflit européen. À l’opposé, ils soutiennent fermement la politique de reconquête de l’Irlande et entendent bien que le protestantisme soit imposé à ses habitants, quitte à en massacrer un grand nombre s’ils offrent une trop grande résistance.
c. Être puritain
Sur un plan personnel et social, leur souci de revenir au vrai christianisme leur faisait repousser aussi bien les déviances que les distractions impies ; ils étaient donc partisans d’une stricte observation du sabbat37 et étaient très attachés à la décence sociale, qui passait notamment par celle des habits et de la tenue en public. Leurs épouses et les femmes en général devaient faire montre d’une grande réserve, ce qui ne valait au demeurant qu’à l’extérieur du foyer familial. Mais on a souvent trop simplifié leurs positions. Edmund Leites a remarquablement montré qu’ils relèvent d’une « morale de la constance », c’est-à-dire qu’ils veulent « une constance affective et morale à toute épreuve dans les différents domaines de la vie »38 et qu’à cet égard l’éducation est fondamentale car cette morale de la constance doit être inculquée dès l’enfance39. C’est pourquoi « ils exigent la fermeté et le contrôle de soi tant dans le mariage, la vie publique, le commerce, l’éducation des enfants, le comportement religieux, que dans la guerre même »40. C’est à tort que l’on a voulu voir dans cela un refus du monde alors qu’il ne s’agit que d’une « ascèse sociale » qui était naturelle chez des personnes que Dieu avait choisies pour être les témoins du vrai Évangile car, en bons calvinistes, ils croyaient à la prédestination. Les « élus » qu’ils étaient devaient se comporter comme des « saints », c’est-à-dire respecter scrupuleusement les préceptes des Écritures ; ceux qui ne le faisaient pas ou qui s’en écartaient ne méritaient donc que d’être punis. Parmi les conséquences qui en découlaient, il y avait la vertu travail, la réussite dans la vie ne pouvant qu’être agréable à Dieu puisqu’elle était celle des « élus ». On sait que Max Weber en a tiré une théorie d’ensemble de la réussite des nations protestantes et souligné le lien très étroit entre la réussite des marchands anglais ou hollandais et leur calvinisme. Mais on peut largement renverser ses points de vue : c’est parce qu’ils avaient connu la réussite que nombre de marchands passèrent au calvinisme qui leur apportait la parfaite justification morale de cette réussite. En même temps, et par contrepoint, les puritains sont pour la discipline sociale des pauvres qui le sont à la fois parce qu’ils n’ont pas été « choisis » et parce qu’ils n’ont pas respecté les principes divins. L’homme puritain fait donc du travail une valeur première. Il se défie extrêmement des pauvres et des marginaux, et en particulier des femmes qui ne maîtrisent pas leurs humeurs et sensibilités. D’où la vive hostilité qu’ils manifestent envers les sorcières.
On a déduit souvent de cette défiance envers une partie des femmes un puritanisme sexuel qui vaut effectivement pour les comportements sociaux mais qui ne s’applique nullement à l’intérieur du couple. Edmund Leites a montré qu’au contraire « les puritains réclamaient le plaisir au sein du mariage » et prônaient à l’intérieur du couple « une intimité affective entre hommes et femmes, et une intimité physique qui supposait le plaisir érotique de part et d’autre », encore que cela dût s’accompagner d’une maîtrise permanente « non parce que les puritains pensaient que le sexe était mauvais en soi, mais parce que les plaisirs de la vie érotique, lorsqu’ils sont à leur paroxysme, comportent passion et agitation »41. C’est d’ailleurs à ses yeux le thème profond du célèbre roman de Richardson, Pamela ou la vertu récompensée, paru en 1740. Les « puritains rejettent donc l’admiration de l’automortification sexuelle, telle qu’on la trouvait aux XVIe et XVIIe siècles dans l’Église romaine catholique, chez des auteurs aussi différents qu’Ignace de Loyola ou Pascal »42. Il y a chez les puritains une importance fondamentale accordée au couple et au fonctionnement du mariage : « les époux doivent être spirituellement attachés l’un à l’autre… L’amour lui-même est réconfortant : quelqu’un s’occupe de vous, y prend plaisir… »43. Pour eux, « l’un des buts essentiels, voire le but essentiel du mariage, consistait dans l’entraide et le réconfort mutuels, et le plaisir sensuel et sexuel était indispensable à ce bien-être »44.
Néanmoins, avec l’évolution de la société, par suite également de l’emprise sociale que les puritains réussirent à exercer partiellement en Angleterre et de manière plus totalisante en Écosse, l’image du puritain se limita de plus en plus aux apparences extérieures. Le mot en vint à désigner les seuls caractères d’austérité, de rigidité et de pruderie qu’on associe souvent aux sociétés de la Nouvelle-Angleterre et de l’Angleterre victorienne, sans oublier l’Écosse presbytérienne. Le puritain cessa d’être un personnage historique, vivant dans l’Angleterre de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, pour devenir une personnalité rigide, étroite, faisant peser une chape de plomb sur la société, que dénoncèrent Samuel Butler dans Ainsi va toute chair, paru en 1903, ou André Gide qui avait subi une éducation protestante particulièrement étroite. C’est l’image qu’avait retenue Voltaire dans un passage bien connu de ses Lettres philosophiques :
Devant un jeune et vif bachelier français criaillant le matin dans les écoles de théologie, et le soir chantant avec les dames, un théologien anglais est un Caton, mais ce Caton paraît un galant devant un presbytérien d’Ecosse. Ce dernier affecte une démarche grave, un air fâché, porte un vaste chapeau, un long manteau par-dessus un habit court, prêche du nez et donne le nom de la prostituée de Babylone à toutes les églises où quelques ecclésiastiques sont assez heureux pour avoir quinze mille livres de rente, et où le peuple est assez bon pour les souffrir, et pour les appeler Monseigneur, Votre Grandeur ou Votre Éminence.
Ces messieurs, qui ont aussi quelques églises en Angleterre, ont mis les airs graves et sévères à la mode en ce pays. C’est à eux qu’on doit la sanctification du dimanche dans les trois royaumes ; il est défendu ce jour-là de travailler et de se divertir, ce qui est le double de la sévérité des églises catholiques ; point d’opéra, point de comédies, point de concerts à Londres le dimanche ; les cartes même y sont si expressément défendues qu’il n’y a que les personnes de qualité et ce qu’on appelle les honnêtes gens qui jouent ce jour-là. Le reste de la nation est au sermon, au cabaret ou chez les filles de joie45.
2. La place des puritains dans l’évolution politique de l’Angleterre des années 1560 à la réunion du Long Parliament
a. La progression du puritanisme
Sous Élisabeth Ire, les relations entre les milieux puritains et la Couronne ou l’Église d’Angleterre ne furent pas bonnes, les critiques visant l’Église d’Angleterre apparaissant dès les années 1560 et amenant la reine et l’archevêque Parker à sévir dès ce moment-là, comme le montre la suspension en mars 1566 de trente-sept pasteurs londoniens, mais jamais les puritains ne furent en situation de pouvoir réellement influer sur la politique du royaume, si ce n’est par leur hostilité vigilante contre le papisme et par leur appui ouvert à la cause protestante en Europe, notamment pour le soutien à apporter aux protestants néerlandais : les bills qu’ils déposèrent devant le Parlement contre les ornements ou contre la discipline ecclésiastique n’aboutirent pas. Au demeurant, jusqu’au début de la Révolution de 1640, ils ne furent en rien un mouvement organisé. Dans un premier temps, la reine et son gouvernement intervinrent peu contre les puritains. Il est vrai que leur préoccupation première était l’éradication du catholicisme qui autour de 1580 semble avoir encore été majoritaire, en particulier parce que les fidèles restaient profondément attachés à leurs traditions religieuses. Mais, sans organisation, sans prêtres désormais46, soumis à la pression parfois très dure des autorités, le catholicisme était en perdition et ne cessait de reculer. Au contraire, grâce à l’appui que leur apportaient des hommes du gouvernement ou proches de celui-ci, comme Walsingham ou le comte de Leicester, les tendances puritaines paraissaient se développer à la fin des années 1570. Nommé en 1583 archevêque de Canterbury, John Whitgift (vers 1530-1604), qui était un adversaire résolu de Cartwright, décida d’engager la lutte contre les puritains en les obligeant à se soumettre aux idées et pratiques de l’Église d’Angleterre47. En 1586 la reine lui accorda le pouvoir de diriger l’imprimerie, c’est-à-dire de contrôler et d’autoriser les publications. Il interdit de prêcher à certains puritains et en 1590 il fit arrêter et emprisonner Cartwright. D’autres pasteurs ou théologiens moins connus subirent également les foudres de l’Église établie. Dans quelques cas, on alla même jusqu’à la peine capitale, ce qui arriva en avril 1593 aux brownistes John Greenwood et Henry Barrowe, exécutés pour séparatisme48. Néanmoins, au total les mesures répressives furent limitées.
Il est difficile d’apprécier dans le détail la progression du puritanisme durant le long règne de « la reine vierge ». Il est évident néanmoins que tout en restant très minoritaire, il s’est consolidé et a progressé en profondeur, profitant notamment des contacts avec les calvinistes européens, surtout hollandais, et de la venue en Angleterre d’exilés protestants parmi lesquels de nombreux Flamands et Français qui fuyaient les persécutions religieuses, encore qu’en France ce mouvement de départs se soit tari dans les années 1590 lorsque Henri IV consolida son trône et décida l’édit de Nantes. Mais ce développement a été surtout lié à l’action incessante des pasteurs et lecturers puritains qui ne cessèrent de labourer le terrain49. Ils tiraient parti du rapport direct des fidèles aux Écritures, facilité par le niveau élevé de l’alphabétisation, tout particulièrement à Londres. En outre, on trouvait dans de nombreux villages une vie spirituelle intense50. La bible en langue vernaculaire fut imprimée à des dizaines de milliers d’exemplaires. La littérature dévote d’inspiration calviniste était également très répandue : ainsi, en 1627 le Pensive Mans Practice de John Norden en était à sa quarantième édition51. Il se développa un radicalisme universitaire qui influença beaucoup de jeunes pasteurs lesquels, par ailleurs, avaient une formation bien supérieure à ce qu’elle était jusque-là, au point qu’entre les années 1580 et les années 1630 la professionnalisation du clergé fut accompagnée d’une nette amélioration de sa qualité52. Le radicalisme des théologiens et ministres concerna majoritairement l’université de Cambridge mais le collège le plus radical fut Magdalen College à Oxford, cette université connaissant des luttes doctrinales très vives car globalement elle fut le haut lieu de l’anglicanisme puis de l’arminianisme. Mais il faut aussi ne pas oublier que la très grande majorité du peuple anglais n’adhérait pas à de nombreux aspects du calvinisme, tels que l’absence de tout cérémonial ou l’accent mis sur la prédestination. C. Haigh écrit même à ce sujet « qu’il y avait une forte demande populaire pour une religion non calviniste ». Au niveau des paroisses, la rupture avec l’église ancienne fut donc très variable et beaucoup de ministres trop zélés durent composer avec leurs paroissiens au point que dans la pratique l’Église établie « devint de moins en moins calviniste »53. La colère des puritains n’en était que renforcée.
Sur le plan géographique, le puritanisme concerna surtout Londres, le Kent, l’East Anglia, les comtés de Buckingham54 et de Northampton, mais pratiquement pas l’ouest et le nord du royaume, le catholicisme restant bien présent dans la partie septentrionale du pays. Encore faut-il se garder de généralisations trop simplistes : si dans le comté de Cambridge le puritanisme fut avant tout urbain, au contraire en Suffolk il était largement dispersé à travers le comté ; par ailleurs, même en East Anglia où ses positions étaient très fortes, il y avait des zones où, au contraire, il était très mal représenté. Il en allait de même sur le plan social : si à Terling le puritanisme est le fait de la riche élite villageoise55, à Kelvedon, dans l’Essex, ce n’est pas le cas56. Un aspect particulier de cette évolution, ce fut l’apparition des premières congrégations57 séparatistes à Londres à la fin des années 1570. L’Église d’Angleterre réussit à les contrôler, à l’exception de quelques personnes qui s’enfuirent en Hollande, comme Robert Harrisson qui avait développé avec Robert Browne58 une théologie exprimant pour la première fois les principes du congrégationnalisme et prônant la séparation d’avec l’Église établie puisqu’à leurs yeux chaque église est une assemblée indépendante de croyants. En province, les traces de séparatisme sont ténues même si le puritanisme comptait quelques points forts, ce qui aurait pu le permettre. Ainsi, dans le diocèse d’Ely il y avait un nombre élevé de prédicateurs puritains et également de fidèles qui les appréciaient. Mais tous restaient à l’intérieur de l’Église d’Angleterre, y compris les presbytériens qui constituèrent un mouvement souterrain très actif à partir des années 1570. Ils réclamaient moins une Église sur le modèle de la Kirk écossaise qu’un clergé paroissial autonome, appuyé sur les Anciens – The Ruling Elders – chargé de mettre en œuvre la discipline dans la paroisse, et étaient prêts à accepter le maintien d’un épiscopat à condition que sa place et son rôle soient limités.
b.Le règne de Jacques Ier : une grande déception pour les puritains
La plupart des puritains pensaient donc qu’il était possible d’installer en Angleterre une véritable Église – a true Church – « à l’intérieur de la coque de l’église existante, corrompue et papiste »59. Malgré cette progression des puritains, « la politique de Whitgift de renforcement de la discipline [au sein de l’Église] fut un succès, mais elle ne le fut que partiellement »60 en ce sens que les puritains n’allèrent pas au-delà d’une conformité qui n’était nullement une adhésion aux principes et règlements de l’Église établie. Ils étaient certes fortement minoritaires mais ils n’en étaient pas moins nombreux comme on put le constater dès le début du règne de Jacques VI d’Écosse qui devint Jacques Ier d’Angleterre lorsqu’il succéda à Élisabeth sur le trône d’Angleterre en 1603. Comme il venait du royaume voisin, de religion presbytérienne, les puritains plaçaient en lui de grands espoirs qu’ils exprimèrent par la Millenary Petition qui fut remise au nouveau souverain dès avril 1603. Signée par environ un millier de ministres, essentiellement du sud et du sud-est du pays, ils y exposent qu’ils ne sont « ni des factieux ni des schismatiques »61, réclament la « dissolution » des structures de l’Église d’Angleterre, et veulent voir supprimer « les différents abus » qui affectent celle-ci. Parmi les autres principales demandes figurent une place accrue du sermon aux dépens du chant et de la musique, l’interdiction du cumul des bénéfices, le refus du signe de la croix dans les baptêmes et du port du surplis ; enfin, ils mettent en cause la trop grande place des évêques.
Jacques Ier n’avait nullement l’intention de leur donner satisfaction. Il réunit une conférence à Hampton Court en janvier 1604. Des commissions furent créées qui établirent une liste des réformes à accomplir mais rien ne fut mis en œuvre, si ce n’est une nouvelle traduction de la Bible à laquelle il tenait beaucoup par suite de son vif intérêt pour la théologie. Il est vrai que les commissions étaient dominées par les évêques qui étaient presque tous hostiles à ces réformes, notamment parce qu’elles remettaient en cause les structures de l’Église d’Angleterre, et donc leurs pouvoirs ; ils firent en sorte qu’aucune application ne suive. On peut ajouter que beaucoup de vicars (curés) ou de lecturers godly rencontraient une réelle résistance de la part des paroissiens dans plusieurs domaines. L’accent mis sur la prédestination effrayait ; la demande populaire pour le cérémonial restait forte, les fidèles préférant de très loin des services religieux avec cérémonial à la prédication. De même l’attachement aux anciennes pratiques restait profond : par exemple, à Derby en 1614 le ministre déclencha l’opposition vigoureuse des fidèles lors d’un baptême en refusant le signe de croix alors qu’ils considéraient que « le baptême n’était pas accompli sans le signe de croix ». Dans de nombreux endroits on recommença à sonner les cloches « et la communion elle-même devint plus fréquente »62. Il y eut des affrontements et des échanges verbaux particulièrement vigoureux : ainsi, à Stanford-le-Hope en 1591 un lecturer puritain, Tristram Blaby, traita le recteur Martin Clipsam de dumb dog (chien idiot) et « d’assassin des âmes »63.
Le règne de Jacques Ier constitua donc dès le début une grande déception pour les puritains. Leur action politique fut cependant très réduite dans la mesure même où le protestantisme du souverain ne pouvait être mis en cause ; au sein du Parlement leurs revendications proprement religieuses et l’expression de celles-ci furent donc limitées. Néanmoins, en profondeur les puritains gagnèrent du terrain même si le nombre de ceux qui choisirent l’exil aux Pays-Bas et en Amérique s’accrut. En fait, on assista à une transformation profonde du puritanisme dont on peut dire qu’il perdait en quelque sorte toute unité. D’un côté, il est évident qu’au début des années 1620 les Puritains sont nettement plus nombreux qu’auparavant. Il faut souligner à cet endroit que depuis la mort de Whitgift en 1603 ils n’ont plus été pourchassés soit parce que son successeur Richard Bancroft, archevêque de Canterbury de 1603 à 1610, était certes un anglican convaincu64 mais n’avait pas l’âme d’un persécuteur de protestants zélés, soit plus encore parce que George Abbot, qui lui succéda en 1611, était lui-même un puritain convaincu qui fut au demeurant mis à l’écart par Charles Ier entre 1627 et son décès en 1633. Beaucoup de ministres n’hésitent donc pas à montrer leur zèle calviniste, tout comme de nombreux lecturers. Au niveau des corporations (municipalités), on voit des groupes de puritains accéder aux fonctions municipales et dans de nombreux cas faire régner l’ordre moral auquel ils sont attachés. Mais l’évolution est lente, tout comme les progrès des « saints ». C’est pourquoi, d’un autre côté, de plus en plus de puritains perdent espoir dans la purification de l’Église d’Angleterre. Il en résulte le développement de sectes65.
On assiste ainsi à un changement qui a pour conséquence que le puritain anglais ne peut plus se définir à partir des années 1610-1620 seulement comme un calviniste zélé qui entend que l’Église d’Angleterre aille jusqu’au bout du calvinisme. La religion que veut désormais instaurer une partie des puritains n’est plus simplement l’Église d’Angleterre rénovée. Ils proposent de nouvelles définitions de la religion, se divisant à cet égard en deux groupes : les uns veulent créer une église d’Angleterre presbytérienne, les autres proposent des définitions beaucoup plus variées de la religion et des structures religieuses, certains voulant d’ailleurs quasiment abolir celles-ci. Jusqu’à la révolution de 1640 le nombre de ceux qui se situaient en dehors de l’église nationale resta réduit mais dans les années 1640 il y eut une véritable explosion sectaire.
Jusqu’en 1625 les sectes sont surtout présentes à Londres, et très peu en province. Le nombre de ceux qui y participent est réduit : Murray Tolmie a estimé qu’en 1646 il y en a seulement trois douzaines, organisées de différentes manières et ne réunissant au total à Londres qu’un millier environ de personnes66. La base en est des foyers puritains qui se réunissent, de façon plus ou moins secrète, autour d’un « saint », qui peut être un ministre ou un prédicateur, mais qui peut être aussi une personnalité plus forte que les autres. Les membres échangent des idées, prient ensemble, lisent et chantent des psaumes. Le conventicule qu’ils forment pratique donc une vie religieuse exemplaire qu’ils opposent aux pratiques dissolues de l’Église nationale67. Mais une partie d’entre eux en viennent à considérer qu’ils ne pourront pas promouvoir le règne de l’Évangile en Angleterre. Après avoir pendant longtemps trouvé refuge aux Provinces-Unies, profitant de leurs liens avec les milieux commerciaux et maritimes, ils se tournent désormais vers le nouveau continent et gagnent l’Amérique. L’aventure des Pères Pèlerins – 41 chefs de famille d’une congrégation browniste séparatiste débarquent le 26 novembre 1620 sur la côte américaine à l’endroit qu’ils appellent Plymouth68 – est bien évidemment tout à fait significative de cette évolution. Surtout, et ce sera capital pour le passage après 1660 du puritanisme au Dissent, de plus en plus nombreux sont parmi eux ceux qui renoncent à transformer l’Église d’Angleterre et se tournent vers une autre structure religieuse.
En Angleterre même, à partir du milieu des années 1610 le comportement et la politique extérieure de Jacques Ier suscitent de plus en plus d’hostilité parmi les puritains. L’ostentation avec laquelle le souverain exhibe ses favoris, d’abord Robert Carr, puis George Villiers qu’il fait duc de Buckingham, suscite hostilité et réprobation, celles-ci étant encore accrues par le fait que Buckingham apparaît très proche des tendances arminiennes que les puritains ont en horreur. L’arminianisme était né aux Provinces-Unies. On peut le définir comme une forme modérée du calvinisme avec en particulier une opposition à la prédestination. En Angleterre, il s’accompagne d’un accent mis sur la hiérarchie ecclésiastique et sur le retour à une plus grande place du cérémonial religieux. Les accusations de crypto-catholicisme surgirent aussitôt. Or, depuis les premières années du règne la paix avec l’Espagne puis le rapprochement avec celle-ci suscitaient maintes critiques qui s’accentuèrent lorsqu’apparut à partir de 1615 le projet de marier le prince de Galles avec une infante espagnole. Jacques Ier ne se revendiquait plus comme le champion du protestantisme en Europe mais comme un monarque pacifique qui voulait de bonnes relations avec l’Espagne afin de développer les intérêts anglais en Méditerranée, et qui refusa de soutenir par les armes son gendre, l’électeur palatin, « le roi d’un hiver », vaincu en Bohême le 8 novembre 1620 à la Montagne Blanche, qui prétendait non seulement régner sur ce pays mais ceindre la couronne impériale. La défiance des puritains était donc très grande ; elle augmenta encore lorsqu’on apprit que le prince Charles était parti en février 1623 en Espagne, en compagnie de Buckingham et de quelques jeunes membres des plus grandes familles aristocratiques, pour enfin conclure le mariage espagnol. Ce fut un échec mais, à sa grande surprise, le prince de Galles fut accueilli à son retour en octobre par une très grande liesse, ce qui a l’intérêt de nous montrer que l’hostilité envers la politique royale allait bien au-delà des seuls milieux puritains, et il en était de même pour l’impopularité du favori.
c. Les puritains et la défense du calvinisme anglais durant le règne de Charles Ier
Ce qui est important dans tout cela, c’est qu’un nombre très élevé d’Anglais ne tiennent pas réellement compte des positions religieuses précises des puritains qu’ils ne partagent pas, mais ils voient en eux les meilleurs champions de la défense du protestantisme anglais et les meilleurs adversaires de la corruption de la cour. Leur rectitude de conduite ajoute à leur popularité car ils apparaissent comme plus exemplaires que les autres. Ils sont ainsi de véritables leaders d’opinion. Or on oublie trop, lorsque l’on considère l’histoire d’autrefois, qu’il y avait tout comme aujourd’hui de véritables débats publics, que les luttes d’opinion, les conflits d’idées et les controverses n’étaient pas limités au cercle restreint des élites sociales, tout particulièrement en Angleterre où, d’une part, il existait un Parlement avec une chambre des Communes dont les députés étaient élus et où, d’autre part, les niveaux d’alphabétisation urbains étaient déjà élevés, ce qui s’accompagnait de la diffusion de brochures de propagande et de combat, aussi bien politiques que religieuses. Elles n’avaient cessé de se multiplier à partir de l’invention et du développement de l’imprimerie. Il faut ajouter qu’un même texte pouvait être connu par de nombreuses personnes, soit par une lecture directe, soit parce que l’une d’entre elles faisait cette lecture à voix haute, par exemple dans un cabaret, et que l’usage des textes imprimés n’a cessé de s’étendre car le prix des livres a nettement baissé entre le début du XVIe et le milieu du XVIIe siècle69, au moment même où le pourcentage de personnes alphabétisées ne cessait de s’accroître. Déjà, dans les années 1530, lors de la crise avec la papauté et de la création de l’Église d’Angleterre, Henry VIII et ses ministres avaient multiplié les brochures destinées à conquérir l’opinion publique et à lui faire adopter fidèlement les points de vue du souverain. Pour l’essentiel, ce sont des libelles et pamphlets qui peuvent prendre la forme de brochures ou n’être que de simples broadsides70 d’un coût très faible, ce qui leur permet d’atteindre un très large public. On peut y trouver de simples nouvelles ou des informations destinées à satisfaire les curiosités du public : par exemple, sur les événements criminels et sur les châtiments des coupables, ou sur le passage de tel ou tel grand personnage. Mais elles font aussi une très grande place aux questions politiques et religieuses71 et sont donc une arme essentielle dans le combat d’idées. Les puritains y étaient d’autant plus incités que leurs conceptions religieuses reposaient sur les Écritures, donc sur la lecture. Les pamphlets leur donnaient tout à la fois le moyen d’exposer leurs conceptions religieuses, de les défendre si nécessaire, mais aussi de dénoncer les mauvaises pratiques ou conceptions de leurs adversaires. Leur engagement étant total, leur combat par l’écrit fut incessant et une part importante de la littérature pamphlétaire anglaise de la première moitié du XVIIe siècle leur est due. Dans de nombreux cas la rédaction du texte écrit et la dépense qu’il fallait assumer pour l’imprimer et le diffuser étaient le fait de particuliers ou de simples conventicules. Mais elles pouvaient être aussi le fait de grands aristocrates ou grands nobles puritains72. Leur fortune leur permettait d’exercer le rôle de « patrons » ayant à leur service des écrivains et autres libellistes, et donc de faire paraître – voire de multiplier – des pamphlets qui critiquaient et attaquaient la politique des ministres, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan extérieur, tout autant sur leur comportement à la cour ou même dans Londres que sur les questions religieuses. Parfois, cela avait pour but de dévaluer ou déstabiliser les ministres et conseillers en place avec pour dessein de les remplacer ; plus souvent – et c’est essentiellement le but des pairs puritains – il s’agissait d’attaquer la politique extérieure et la politique religieuse.
À partir de 1625 les attaques devinrent de plus en plus nombreuses et de plus en plus dures. La première raison en était le maintien auprès du nouveau roi, comme favori, de Buckingham dont la nouvelle richesse, la vie luxueuse et le rôle considérable qu’il jouait auprès du roi étaient d’autant plus insupportables à la plupart des autres aristocrates qu’il accaparait pour lui, ses amis et ses proches, l’essentiel des faveurs royales. Les critiques le visant étaient d’autant plus populaires parmi les puritains – mais aussi parmi un très grand nombre d’Anglais – que son comportement paraissait absolument contraire à la décence et à la retenue. Il représentait donc le type même du mauvais conseiller et chaque fois que Charles Ier réunit un parlement non seulement son départ fut réclamé avec vigueur, mais encore le Parlement refusa d’accorder au roi l’ensemble des subsides demandés, et il y eut donc conflit. Les échecs de la politique royale dans les conflits avec l’Espagne puis avec la France aggravèrent encore les choses, d’autant plus qu’ils lui furent imputés.
Pour les puritains, le plus grave de tout était ses liens avec l’arminianisme dont il protégeait les partisans, en particulier le chapelain royal, Richard Montague73. L’arminianisme était un courant théologique protestant né aux Provinces-Unies à la fin du XVIe siècle lorsque Jacobus Arminius (1560-1609) exposa ses idées qui entraînèrent de nombreuses adhésions. Il se développa au sein d’une église calviniste mais s’il y a des points communs entre les deux systèmes théologiques, les différences sont également très fortes. L’une des plus importantes porte sur la prédestination qui est inconditionnelle chez Calvin : seul Dieu choisit les élus, alors qu’elle est seulement conditionnelle pour Arminius, ce qui signifie tout à la fois que « l’élection » peut être perdue, mais aussi retrouvée, et que surtout elle va à ceux qui ont la foi : tous ceux qui croient en Jésus par la foi peuvent être justifiés, donc sauvés. La justification est sola fide, c’est-à-dire par la foi seule : ceux qui se repentent et croient en Christ sont régénérés et entrent en union avec Christ. Mais, pour demeurer assuré du salut, il faut rester en Christ, ce qui donne à nouveau un rôle majeur à la foi. En Angleterre, l’arminianisme connut une coloration particulière : il fut en effet choisi par des dignitaires de l’Église et par de jeunes théologiens qui rompirent également avec plusieurs principes calvinistes que nous avons déjà rencontrés, comme le refus d’une hiérarchie ecclésiastique ou le dépouillement du cérémonial. L’accroissement de leur nombre à partir de la fin des années 161074, l’appui que leur apportait Buckingham au moment où Jacques Ier se montrait favorable à un rapprochement avec l’Espagne et refusait de soutenir par les armes son gendre, inquiétèrent beaucoup les puritains qui exprimaient ce que pensait une large partie de l’opinion publique anglaise. En 1624, la controverse entre les puritains et les arminiens prit une tournure violente lorsque Richard Montague publia son célèbre tract : A Gagg for the New Gospell ? No. A New Gagg for an old Goose75 dans lequel il exposait que plusieurs propositions de l’église anglicane constituaient une erreur théologique. Montague fut mis en accusation aux Communes puis la Chambre des Lords déféra l’ouvrage devant l’archevêque Abbot qui lui-même demanda au roi d’intervenir, ce à quoi se refusa Jacques Ier. Il est vrai que Montague était fermement soutenu par le prince de Galles et par Buckingham. Pour le protéger, le prince de Galles en fit l’un de ses chapelains.
Devenu roi en 1625, il manifesta aussitôt son soutien aux arminiens en choisissant comme principal conseiller en matière ecclésiastique William Laud qui était très proche de Buckingham. Devenu évêque de St David’s au pays de Galles en 1621, puis de Bath and Wells en 1626, Laud fut nommé en septembre de la même année Dean (« Doyen ») de la Chapelle Royale puis en juillet 1628 évêque de Londres. La politique royale, la place auprès du souverain de Buckingham ne cessèrent pas d’être attaquées et il n’y eut pas de réunion des Communes lors des trois premiers parlements de Charles Ier (1625-1629) où les attaques ne furent violentes. Elles visaient nommément la politique religieuse et étaient d’autant plus virulentes que nombre de députés étaient certains que l’ensemble des conseillers ecclésiastiques du nouveau roi étaient de tendance arminienne. C’est ainsi que se fit connaître un des partisans les plus avérés du presbytérianisme, John Pym (1584-1643), qui était un client des Bedford et qui fut au sein des Communes le grand adversaire de Buckingham76. Le Parlement refusa d’accorder au roi les moyens financiers qu’il lui demandait pour mener la guerre contre l’Espagne (1625-1630) et contre la France (1627-1630) alors que le souverain avait compté sur sa politique extérieure pour regagner l’opinion publique. Ce fut un échec total car la flotte et les troupes anglaises, mal préparées et insuffisamment armées, échouèrent à chaque fois. Deux autres griefs majeurs furent soulevés : le refus du roi de renvoyer son favori aboutit à l’essai des Communes de le mettre en impeachment ; la présence autour de la reine, Henriette-Marie de France, conformément à son contrat de mariage, d’une chapelle et de prêtres catholiques ne cessa d’être dénoncée. Bien entendu, le conflit ne resta pas confiné au sein du Parlement : les années 1620 furent marquées, surtout après 1625, par une lutte violente de pamphlets dont la grande majorité attaquaient la politique royale et sous-entendaient qu’un retour au catholicisme était en préparation. Le luxe de la cour était également mis en cause et les goûts artistiques du souverain, qui était un grand collectionneur77, étaient largement dénoncés.
d. Le rôle et la place des puritains dans l’éclatement de la révolution de 1640
À cet endroit, le rôle politique des puritains est tout à fait évident. Valerie Pearl nous l’a très bien montré pour Londres où le gouvernement de la City est aux mains de partisans du roi jusqu’à la fin de 1641. Les puritains bénéficient de la protection et de l’aide de pairs (Saye and Sele, Warwick, Brooke, Bedford) partageant leurs idées, mais sur le terrain leurs leaders sont des clergymen78 ou des marchands certes riches mais de fortunes moyennes ; ceux-ci jouent un rôle important dans la Providence Island Company ou la Massachussetts Bay Company qui permettent à des puritains de gagner la Nouvelle-Angleterre et de s’y installer ; puis elles assurent les liaisons avec ces implantations coloniales. À Londres, ils ont l’appui de tout un peuple de petits boutiquiers et artisans, et ont également l’oreille de nombreux marins. Toujours prompts à souligner ce qu’ils considèrent comme les errements du pouvoir, aussi bien en matière de politique extérieure ou financière que dans le domaine religieux, ils ne cessent de multiplier les pamphlets, comme nous l’avons déjà vu, et agissent également au moyen de nombreuses pétitions79. Parfaitement insérés dans une opinion publique qui partage très majoritairement les critiques envers les différents aspects de la politique royale, ils sont le fer de lance de l’opposition. Certes, ils restent une minorité mais ils ont acquis une audience considérable et peuvent de ce fait se présenter comme les meilleurs défenseurs de la cause protestante et de l’Église d’Angleterre.
Pourtant, pendant une décennie le roi et Laud80 ont réussi à les contenir. C’est le temps fort de « l’Église Caroline » marquée par la répression du puritanisme dans l’Église d’Angleterre. L’affrontement est né non pas des initiatives puritaines mais de la politique religieuse du roi dont « les innovations » ont suscité une radicalisation à la fois politique et religieuse81. Celle-ci a été moins créée par des discussions d’ordre théologique ou sur l’organisation de l’Église d’Angleterre que par le renforcement de la discipline, la répression qui s’en est ensuivie82, et par la remise en vigueur du cérémonial, Laud et ses partisans voulant retrouver l’autorité des évêques et une partie de la pompe liturgique, tout en mettant en cause la prédestination. Ils le firent avec une totale détermination au point qu’on peut considérer « qu’à la fin des années 1630 la restauration laudienne des églises était presque complète […]. La plupart des contestataires puritains avaient été marginalisés et leurs possibilités de s’exprimer étouffées ; il était devenu très difficile d’imprimer des écrits évangéliques, cependant que des visites menées d’une manière à la fois rigoureuse et vigoureuse, et l’usage énergique des tribunaux ecclésiastiques avaient mis en place une carapace de conformité »83. Les ministres puritains sont surveillés ; ils sont condamnés et chassés s’ils apparaissent trop marqués ou trop actifs ; la hiérarchie ecclésiastique est fermement rétablie et les principes arminiens progressivement mis en œuvre, par exemple le respect à observer durant le culte et le retour au cérémonial. En profondeur néanmoins les réalités sont beaucoup moins favorables : l’opinion reste largement hostile aux différents aspects de la politique royale et les puritains sont de ce fait très populaires. On le voit clairement lorsque des pamphlétaires puritains condamnés à l’exhibition au pilori et à l’essorillement public subissent leur peine : c’est au milieu d’une foule hurlante, favorable aux condamnés qui apparaissent comme des martyrs de la cause de l’Évangile84. Certes, il avait fallu longtemps pour imposer l’abandon des rites et pratiques antérieurs à la Reformation comme le montre l’exemple de la paroisse de Morebath, dans le Devon, où les paroissiens réussirent pendant longtemps à défendre pied à pied leurs usages et valeurs traditionnels85. Mais à la fin du XVIe siècle les formes anciennes de piété avaient été très largement abandonnées dans la plupart des paroisses anglaises. Deux générations plus tard, la politique laudienne parut donc une insupportable innovation à la grande majorité des Anglais, y compris à nombre de ceux qui se rangèrent en 1642 dans le camp royal, tel Edward Hyde, fait plus tard Lord Clarendon (en 1660), qui fut le principal ministre de Charles II de 1660 à 1667. Les puritains acquirent dans leur lutte vigoureuse contre les « innovations » une réelle popularité qui légitima leur opposition antérieure.
C’est bien sûr à Londres que leurs actions pouvaient être les plus importantes. D’une manière générale, dès le début du règne de Charles Ier, « la City est marquée par une turbulence croissante et la défiance à l’égard de l’autorité », ce à quoi contribuent les échecs de la politique royale86. L’hostilité grandit lorsqu’éclate le conflit avec l’Écosse où le roi et l’archevêque Laud, qui a succédé en 1633 à Abbot sur le siège de Canterbury, veulent imposer les rites anglicans et substituer à l’Église presbytérienne une Église écossaise sur le modèle anglican revu par les arminiens. Une émeute éclate le 23 juillet 1637 dans la cathédrale St Giles d’Édimbourg, et l’on en arrive à un conflit ouvert entre Charles Ier et les Écossais. Le roi décide de les soumettre par la force, mais ils résistent victorieusement au cours des deux guerres des évêques de 1639-1640, guerres qui suscitent l’hostilité de la grande majorité des Anglais. On voit par là combien la politique ecclésiastique pro-arminienne suivie par le roi joua un rôle décisif dans le déclenchement de la révolution de 1640, Anglais comme Écossais ayant le sentiment bien réel qu’elle avait pour but de lutter contre le véritable calvinisme à la fois par la répression, la surveillance des pasteurs et du culte, mais aussi par le choix d’un épiscopat correspondant aux vues du souverain et de son conseiller, William Laud : dans les années 1630, il n’y a plus en Angleterre que trois évêques non arminiens87.
Mais Charles Ier n’avait pas les moyens nécessaires pour imposer ses choix, comme l’avaient montré ses tentatives écossaises. En situation d’échec et sans moyens financiers, le roi, qui avait pourtant déclaré en 1629 qu’il gouvernerait désormais sans Parlement, est obligé d’y recourir à nouveau en avril 1640. Mais le résultat des élections lui est très défavorable et il le renvoie aussitôt, au bout de trois semaines. C’est pourquoi on l’appelle The Court Parliament. La situation n’évolue pas mieux durant l’été pour Charles Ier dont l’échec est tout aussi grave durant ce que l’on a appelé la deuxième guerre des évêques. Il choisit donc de convoquer pour le 3 novembre 1640 un nouveau Parlement, que l’on a appelé le Long Parliament car, officiellement, il ne s’acheva qu’en 1660. Les élections furent désastreuses pour ses partisans : on a calculé que les quinze seizièmes des députés aux Communes lui étaient hostiles. Dès l’ouverture des débats, le pouvoir lui échappe : les députés se succèdent à la tribune pour exposer leurs griefs et en quelque sorte le pouvoir royal disparaît. C’est la révolution. À l’évidence, les puritains ont joué un rôle décisif dans cette défaite du souverain : bien qu’ils restent une minorité dans le pays, on estime que plus de 200 députés pouvaient être définis comme tels. Pourquoi une telle situation ? Il faut se rendre compte qu’à partir du moment où le roi a décidé de faire de nouveau appel à un Parlement, les puritains ont été maîtres de la propagande politique tant leur agitation ne cessa d’être importante, la politique religieuse des années 1630 ayant transformé ces militants religieux en activistes politiques. L’hostilité envers la politique royale était devenue telle que la fermeté ancienne de leur opposition en avait fait les plus sûrs garants que la politique menée serait revue. C’est ainsi qu’ils ont gagné les élections et se sont retrouvés en situation majoritaire à la chambre des Communes : sans regrouper pour autant la majorité des députés, ils sont devenus en position de pouvoir imposer leurs idées, tout le monde étant d’accord sur la nécessité de rompre avec la politique suivie et de mettre en place de profondes réformes. Parmi les griefs si longuement énumérés, les questions religieuses tenaient une place considérable. Pour une partie d’entre eux déjà le terme de puritain ne convient plus guère pour les caractériser : au cours du « gouvernement arbitraire », ils ont pris conscience que l’Église d’Angleterre serait difficilement réformable et c’est pourquoi, une fois la liberté de la presse installée de facto et le pouvoir de l’Église évanoui en même temps que disparaît l’autorité royale, on assiste au cours des années 1640 puis durant l’Interrègne à une multiplication des sectes, autrement dit d’églises calvinistes, de natures très différentes, qui n’ont plus rien à voir avec l’Église installée par Élisabeth Ire, Église que d’ailleurs ils combattent avec énergie.
3. De la victoire politique et militaire des puritains à leur incapacité à fonder un nouveau Commonwealth
a. La victoire des « saints »
Appuyée sur des manifestations multiples, parfois violentes88, la majorité parlementaire dépossède progressivement le roi de ses pouvoirs sinon en droit du moins en fait. Symboliquement, il doit accepter l’arrestation puis le procès et l’exécution de son plus proche conseiller politique, le comte de Strafford (12 mai 1641). En fait, à partir du 3 novembre 1640 il ne gouverne plus ; l’Assemblée détricote une à une les mesures qu’il a décidées. Elle le fait en particulier sur le plan religieux, poussée par des mouvements d’opinion dans lesquels les puritains jouent un rôle primordial. Par exemple, en décembre 1640 la pétition Root and Branch qui réclame l’abolition du gouvernement de l’Église tel qu’il existe, « avec toutes ses dépendances, racines et branches », et la suppression immédiate de l’épiscopat, est signée par quinze mille Londoniens. En effet, le roi a gardé ses liens avec les très riches marchands qui gouvernent la City mais il a totalement perdu le contrôle de la rue. Manifestations et pétitions se succèdent ; de nombreux cabarets sont des foyers permanents d’agitation. Et tout cela finit par la victoire des puritains : non seulement ils ont gagné les quatre sièges de la City au Parlement89, mais encore les élections du 21 décembre 1641 leur permettent de s’emparer de la Court of Common Council de la City90, ce qui assure au camp parlementaire le contrôle de la capitale et celui des Trained Bands (ou milices urbaines)91 dont le rôle fut essentiel car elles furent la première ossature des troupes parlementaires et réussirent à bloquer l’armée royaliste à Edgehill même si elles perdirent la partie sur le terrain.
Aussi bien dans le domaine politique que dans l’administration ou la politique religieuse, le Parlement se prononce pour des mesures qui vont à l’évidence très au-delà des souhaits de la majorité des Anglais qui voulaient simplement faire disparaître les abus et excès de la politique royale par rapport aussi bien au fonctionnement de la monarchie qu’à celui de l’Église d’Angleterre. On le voit bien lorsqu’en septembre 1641 les Communes décident que la table de communion ne sera plus dans la partie est de l’église, qu’elle ne sera plus entourée de grilles, que disparaîtront toutes les images de la Vierge Marie, tous les crucifix et peintures de la sainte Trinité, mais les Lords refusent le transfert de la table de communion et également l’interdiction de s’incliner lorsque le nom de Jésus est prononcé92. Nombre de députés désapprouvent que le Parlement aille aussi loin93 et progressivement les rapprochements avec le roi, voire les ralliements, se multiplient lorsqu’en octobre 1641 la révolte des catholiques irlandais vient redonner aux puritains la maîtrise de l’opinion et leur permet de reprendre le contrôle de l’assemblée, ce qu’ils affermissent en faisant voter le 22 novembre – difficilement il est vrai : 159 votes pour, 148 contre – la Grande Remontrance94, suivie très vite de l’arrestation de Laud. En profondeur, Charles Ier regagne du terrain dans l’opinion publique. À la fin de l’année 1641 il estime à la fois que ne pas réagir serait s’exposer à une situation de plus en plus dangereuse et en même temps que l’évolution du pays lui permet désormais d’espérer reprendre le pouvoir. Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1642 il quitte donc Londres, établit son quartier général à Oxford et en août il lève son étendard à Nottingham, ce qui signifie qu’il entend dompter ses sujets rebelles. C’est le début de la guerre civile dans laquelle le rôle des puritains est absolument essentiel : le camp parlementaire leur doit sa victoire.
En fait, la chambre des Communes où avaient été élus 513 députés, ne compte plus qu’un nombre réduit de présents : autour de 300, beaucoup ayant regagné leurs domiciles effrayés par la tournure des débats et lassés de la longueur des événements, certains au demeurant ne pouvant plus en supporter le coût. Bien entendu les députés puritains, soutenus par leur profonde conviction, restèrent et ne quittèrent jamais leur siège. Lorsqu’on se tourne vers l’analyse de ceux qui organisent la lutte du côté parlementaire et dirigent celui-ci, certes quelques-uns sont seulement des opposants à la politique suivie par le roi, mais la plupart appartiennent effectivement au courant puritain. Et c’est parmi leurs partisans qu’ils recrutent une part considérable des troupes parlementaires. Un bon exemple en est fourni par une des figures les plus intéressantes du XVIIe siècle anglais : Richard Baxter, qui a souligné que ce furent les menaces pesant sur la godliness qui l’amenèrent à prendre les armes95. C’est pourquoi John Morrill a pu écrire qu’à son avis, « la Guerre civile anglaise ne fut pas la première révolution européenne, ce fut la dernière des Guerres de religion »96, sans oublier pourtant que pour la plupart des membres de l’armée parlementaire, comme pour Baxter, ce fut d’abord « non pas une guerre de religion mais une guerre pour la religion »97.
Un peu partout d’ailleurs des groupes de puritains s’efforcent de saisir les pouvoirs dans les comtés ou la direction des villes. C’est très clair en 1642-1643. Parmi eux émerge progressivement la personnalité d’un simple squire du comté de Cambridge, Olivier Cromwell, dont le nom était cependant bien connu grâce au rôle qu’avait joué auprès de Henry VIII son grand-oncle, Thomas Cromwell. Lors des sessions du Parlement, en 1628 comme en 1640, il n’était pas apparu comme une personnalité de premier plan même si tout le monde avait pu remarquer son zèle exceptionnel animé par une foi calviniste à toute épreuve, ce qui l’amenait, lorsqu’il prenait la parole, à parsemer ses discours de citations religieuses, parfois excessivement longues, sans oublier la lecture de passages de la Bible et les psaumes qu’il n’hésitait pas à chanter. C’était un homme sur lequel le camp parlementaire pouvait compter, comme le montrait son assiduité au travail en commission. Mais ce fut la lutte contre les forces royalistes qui le fit émerger. Revenu dans son comté durant l’été de 1642, il leva sur ses propres fonds une troupe de soixante cavaliers qui étaient essentiellement des yeomen puritains et avec ses lieutenants, qui étaient deux de ses beaux-frères, il les amena rejoindre l’armée parlementaire et participa avec eux à la première bataille de la guerre : celle d’Edgehill, le 22 octobre 1642, au cours de laquelle les troupes parlementaires réussirent à empêcher l’armée royale de marcher sur Londres. Il en sortit en colère car il avait pris conscience qu’une bonne partie des troupes du Parlement n’avaient pas une grande valeur militaire cependant que leur faisait défaut une bonne cavalerie. Il se consacra à remédier à ces défauts au niveau de son comté de Cambridge, faisant construire des fortifications et lever grâce à l’Association des comtés de l’Est98 d’autres volontaires. Il mit ainsi sur pied un régiment de 2 000 hommes puis agit au sein de cette Eastern Association qui finit par disposer de onze régiments d’infanterie et de 6 500 cavaliers, lui-même jouant un rôle décisif dans l’entraînement et l’équipement de ces troupes. Ce sont toujours essentiellement des yeomen puritains, encadrés par des squires puritains comme lui. Ils prouvent leur valeur militaire lors de la bataille de Marston Moor du 2 juillet 1644 au cours de laquelle les régiments de cavalerie de Cromwell, « les côtes de fer » (ou Ironsides), furent décisifs pour la victoire du camp parlementaire. Il en fut de même lors des autres grandes batailles de la guerre civile et notamment lors de la bataille de Naseby, le 14 juin 1645, qui marqua la défaite finale du camp royaliste, mais il s’agissait alors d’une armée parlementaire entièrement transformée comme l’avait voulu Cromwell : la New Model Army organisée à partir de janvier 164599.
Les régiments commandés par Cromwell n’étaient pas formés de simples combattants mais de militants religieux. Pratiquement, tous les membres des régiments de Cromwell avaient chacun leur Bible portative. Aucun combat ne s’engageait sans des prières au Seigneur et il en allait de même de tout mouvement important. La victoire donnait lieu à une action de grâces et tous avaient le sentiment profond d’être l’armée « des Saints » dont le but était « de défendre la liberté de l’Évangile et du pays ». Les fervents calvinistes avaient bien été le fer de lance de l’armée parlementaire et ils le restèrent après la réforme de celle-ci qui donna naissance à la New Model Army ; leur rôle avait certes été d’abord militaire mais il était aussi, par-là même, totalement politique.
b. Les ruptures durant l’Interrègne
Le camp parlementaire put donc l’emporter. Mais depuis 1644 de nombreuses fractures s’étaient fait jour. En réalité, elles avaient commencé à se manifester dès 1642 aussitôt que les députés se tournèrent vers l’organisation à venir des structures religieuses de l’Angleterre qu’il leur revenait de mettre en place puisqu’ils s’étaient opposés à l’Église d’Angleterre telle qu’avaient voulu la modeler Charles Ier et Laud. Il apparut alors que parmi les députés opposés à la politique royale, on pouvait distinguer trois groupes. Les uns étaient des partisans de l’Église d’Angleterre telle que l’avait mise sur pied Élisabeth Ire qui rejetaient toute évolution vers l’arminianisme. D’autres, qui appartenaient déjà à des sectes ou qui y adhérèrent au cours des événements, étaient hostiles à une organisation ecclésiastique nationale et de ce fait on allait bientôt les appeler « Indépendants » ; peu nombreux en 1640, ils avaient considérablement augmenté leur nombre dès 1641 et dans les années suivantes avec l’effondrement des structures de l’Église consécutif à la révolution100. Enfin, le groupe le plus important, à commencer par le grand leader des Communes, John Pym, était favorable à l’organisation, comme en Écosse d’une Église presbytérienne. Il s’y ajouta des visions différentes de la société, les éléments les plus radicaux, qui étaient nombreux parmi les Indépendants mais n’en représentaient néanmoins qu’une minorité, mettaient en cause non seulement toute hiérarchie religieuse mais aussi la hiérarchie sociale, les plus connus et les plus importants en nombre étant les Levellers (ou Niveleurs) dont le plus emblématique était John Lilburne ; en 1647, ils posèrent de grands problèmes dans l’Armée101.
En fait, « la disparition totale de l’autorité [à partir du début de novembre 1640] avait rendu possible un très large débat sur la religion, la politique et la morale, et avait encouragé les idées utopiques les plus optimistes », parmi lesquelles le millénarisme tint une grande place, nombreux étant par exemple les soldats qui croyaient que « le Christ allait revenir et détruire le roi Charles »102. Le groupe le plus emblématique à cet égard fut composé des partisans de la Cinquième Monarchie entre 1649 et 1661 ; ils croyaient qu’il y avait déjà eu quatre monarchies ayant réuni le monde sous leur commandement et que la Cinquième était toute proche ; elle sera établie par Jésus lui-même, le rôle des Saints étant de l’aider à la réaliser103. Le nombre croissant de ceux qui partageaient les idées millénaristes s’explique aussi par le rapport direct avec la lecture à la lettre de la Bible, tout particulièrement de l’Apocalypse, et surtout par l’incroyable bouleversement que représenta la guerre civile104, relayé d’ailleurs par l’exécution du roi qui était l’Antéchrist pour beaucoup de ses adversaires105. Mais en fait il y eut toutes sortes de sectes tels les Muggletoniens, petit groupe londonien existant à partir de 1651, dont les membres pensent que la matière existe avant la création, qu’il n’y a pas d’esprit sans corps, que le diable n’existe pas et qu’il ne doit y avoir ni culte ni prédication ; Jésus va revenir très vite pour régner sur la terre106. Ou encore les Ranters qui déniaient toute autorité aussi bien de l’Église que des Écritures, étaient panthéistes, et utilisaient souvent la nudité pour exprimer leurs protestations107. Deux de ces sectes se développèrent alors très fortement et furent appelées à un très grand avenir : les Baptistes108 et les Quakers109. Leur point commun était le refus de toute structure ecclésiastique nationale.
Avant cette poussée sectaire, la majorité du Parlement, en raison notamment de ses liens avec les Écossais, avait réuni l’Assemblée de Westminster qui siégea à partir du premier juillet 1643 jusqu’en février 1649, et fut réunie quelques fois jusqu’en 1652. Comprenant 121 théologiens – chaque comté en ayant désigné deux –, plus à titre d’observateurs des membres du Parlement et des représentants de l’Église d’Ecosse, elle abolit l’épiscopat, adopta pour remplacer le Book of Common Prayer un Directory for Public Worship, proposa une Confession de la Foi et décida la mise en place d’une église de type presbytérien. L’Église d’Ecosse adopta ces propositions et le Directory fut observé mais huit comtés anglais seulement sur quarante mirent en place le nouveau système de l’Église d’Angleterre, car la majorité presbytérienne du Parlement se heurta à deux difficultés majeures. D’un côté, l’ensemble de la population refusa d’adhérer aux nouvelles dispositions sans pour autant être capable la plupart du temps de s’y opposer ouvertement. Comme l’avaient fait les congrégationnalistes avant 1640, ceux qui restaient attachés à l’anglicanisme se réunissaient dans des maisons privées pour prier ensemble et l’attachement au Prayer Book resta très majoritaire. D’un autre côté, une très grande majorité des officiers et soldats, à commencer par Cromwell lui-même, refusèrent d’adhérer à l’instauration d’une Église d’Angleterre, ce qui déboucha sur un conflit entre l’Armée et les députés. Si les Presbytériens dominaient parmi ces derniers, il n’en allait nullement ainsi dans l’Armée où les Indépendants étaient au contraire particulièrement forts. Il en résulta un débat sur la liberté de conscience avec notamment la parution de l’Aeropagitica de Milton en 1644 qui défend et réclame la liberté de la presse. Certes, l’Armée avait elle aussi des problèmes d’unité, ses éléments radicaux s’opposant aux colonels qui la commandaient et suscitant des mutineries auxquelles Cromwell fut obligé de mettre fin, mais il y réussit assez facilement. À l’opposé, il ne put régler le conflit entre l’Armée et le Parlement. Deux questions fondamentales étaient au cœur de leur conflit. D’un côté, Cromwell et l’Armée ne voulaient pas, contrairement à la majorité des députés, que l’Église d’Angleterre soit organisée sur le modèle presbytérien. D’un autre côté, les députés trouvaient que le poids financier de l’Armée était trop lourd et qu’il n’était plus nécessaire de le supporter puisque le roi avait été vaincu ; ils voulaient donc le retour à la vie civile avec une force armée nettement réduite et soumise au pouvoir civil. Mais comment organiser celui-ci ? Les révolutionnaires de 1640 étaient en fait des conservateurs qui avaient voulu non pas créer un autre régime politique mais revenir à ce qu’ils estimaient être le véritable fonctionnement des institutions anglaises qu’à leurs yeux Charles Ier n’avait pas respecté. Après sa défaite, le roi s’était réfugié chez les Écossais qui le rendirent aux Anglais en 1646. De longues négociations s’engagèrent alors qui furent en fait tripartites, le roi négociant à la fois avec les représentants du Parlement et avec ceux de l’Armée, sans oublier ses négociations avec les Écossais. Cromwell et ses lieutenants finirent par être lassés de ce jeu très compliqué et eurent le sentiment qu’ils allaient en être les perdants. Ils imposèrent donc le procès de Charles Ier. Le 28 décembre 1648 le Rump vota la constitution d’un tribunal spécial. Le 27 janvier 1649, le roi fut condamné à mort, et exécuté le 30.
Le même jour le Rump110 décida qu’aucun successeur de Charles Ier ne pourrait être proclamé, ce qui donna lieu à la naissance, le 19 mai 1649, du Commonwealth and Free State of England111. Ainsi commençait ce que l’on a appelé l’Interrègne. Les problèmes restaient nombreux, notamment la situation en Irlande et les rapports avec les Provinces-Unies, ce qui explique pourquoi ni l’Armée ni le Parlement n’allèrent jusqu’au bout du conflit qui les opposait. La situation changea brusquement au printemps de 1653 lorsque la majorité du Rump voulut passer un acte par lequel les députés se prorogeaient. Cromwell entra dans une violente colère et les fit expulser le 20 avril 1653. Il lui paraissait clair désormais que Dieu l’avait désigné pour défendre la Godly Cause et donc diriger l’Angleterre. Il décida de donner la responsabilité d’organiser le royaume à une assemblée de « Saints ». La solution parut être de faire proposer par les congrégations d’Indépendants de chaque comté des listes de personnes « craignant Dieu, d’une probité et d’une fidélité éprouvées » ; ensuite, sur avis du Conseil des Officiers, Cromwell nommerait le nouveau Parlement. Celui-ci fut assemblé le 4 juillet 1653. Il est connu sous le nom de Parlement Barebone du nom du premier de ses membres par ordre alphabétique. Ce fut un désastre : ses membres manquaient totalement d’expérience politique, furent incapables de s’entendre, mais décidèrent de réaffirmer la primauté du pouvoir civil sur l’Armée. Les heurts avec Cromwell se multiplièrent. Il les renvoya donc le 12 décembre 1653. Le 16 fut institué le Protectorat, mais si Cromwell obtint de réels succès en jetant notamment les bases de la puissance navale de l’Angleterre, il fut incapable d’obtenir un large consensus sur une nouvelle structure ecclésiastique malgré l’appel de deux Parlements, l’un de septembre 1654 à janvier 1655, l’autre de septembre 1656 à février 1658. On en resta donc aux dispositions décidées par Cromwell en mars et août 1654 : libre conscience pour les chrétiens, à condition qu’ils ne soient pas épiscopaliens, catholiques ou sectaires radicaux ; maintien des paroisses et des dîmes ; création d’un comité national de Triers chargé de choisir les nouveaux ministres du culte et de comités locaux ; et de comités locaux d’Ejectors pour renvoyer les ministres « insuffisants »112. Ces mesures ne purent néanmoins entraîner l’adhésion de la plupart des Anglais car elles s’accompagnaient d’un contrôle moral de la population qui se voulait très strict (interdiction des bals, des fêtes et autres divertissements ; contrôle voire interdiction des cabarets), ce à quoi s’ajoutait la disparition de tout cérémonial et souvent l’arrivée de nouveaux ministres que les paroissiens n’acceptaient pas. « En fait, les structures paroissiales en place depuis des siècles restaient en place et la très grande majorité des Anglais – probablement plus de 90 % – continuaient à prier régulièrement dans leurs églises paroissiales comme ils le faisaient avant la guerre civile »113. La politique ecclésiastique « puritaine » commencée à partir de 1645 et rénovée en 1654 fut donc un échec. Il ne fut pas non plus possible d’asseoir de manière durable le nouveau régime et l’on aboutit ainsi au printemps de 1660 à la restauration de la monarchie en la personne du fils de Charles Ier sous le nom de Charles II.
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L’hostilité qu’avait suscitée l’ensemble de la politique de Charles Ier avait donc débouché sur une révolution de grande ampleur puis sur une guerre civile. Alors que pour les historiens du XIXe siècle, tels Guizot et Gardiner, les aspects religieux avaient été le cœur du problème, au XXe siècle d’autres interprétations de la Révolution furent proposées, les unes donnant la primauté à l’évolution socioéconomique (la montée de la gentry pour Tawney ; l’interprétation marxiste des événements pour Dobb et à un degré moindre pour Hill), d’autres mettant l’accent sur les erreurs politiques du roi qui avaient en quelque sorte paralysé le fonctionnement politique de la monarchie et qui en créant la question écossaise l’avaient acculé au rappel catastrophique du Parlement en 1640, catastrophique parce que le souverain était encore moins capable de le « manager » qu’il ne l’avait été entre 1625 et 1629 (Conrad Russell). En réalité, les graves fautes politiques du souverain et sa politique religieuse avaient joué de concert pour déboucher sur la révolution de 1640. Mais l’opposition à la politique royale n’aurait pas eu tant de force s’il n’y avait eu le militantisme des puritains. Leur rôle fut considérable, et ils l’emportèrent en s’assurant la majorité au Parlement, puis en obtenant la défaite des armées royales sur les champs de bataille de la guerre civile. Mais si l’adhésion au calvinisme leur était commune, ils n’avaient aucune unité. C’est pourquoi, dès qu’à partir de 1643 la question d’une réorganisation religieuse fut posée, les conflits internes éclatèrent au sein du camp parlementaire. Au sein des Communes, une forte majorité émergea aussitôt en faveur d’une transformation de l’Église établie en église presbytérienne, sur le modèle écossais. Au contraire, au sein de l’Armée, ceux qui refusaient une organisation nationale furent de plus en plus nombreux. L’opposition devint aussitôt si vive que de 1644 à 1660 les vainqueurs de la guerre civile furent incapables de s’entendre sur de nouvelles structures ecclésiastiques et s’affrontèrent. Mais en réalité, à partir de 1643 est-il encore possible de parler de puritains si ce n’est à propos de manières d’être et de se comporter qui marquèrent fortement la société britannique ainsi que la société américaine ?
En effet, parmi les puritains de 1630-1640, ceux qui sont toujours conformes à ce qu’étaient les puritains des années 1560 à 1640, qui voulaient une Église d’Angleterre calviniste restant proche de celle qu’avait établie Élisabeth Ire, ne sont plus qu’une minorité qui, très vite, est incapable d’imposer ses idées et peut-être même de simplement les défendre. Parmi ceux qui avaient milité pour les idées puritaines, si beaucoup sont devenus presbytériens, beaucoup d’autres sont opposés à toute organisation nationale ecclésiastique et se divisent en congrégations ou sectes, cependant que la plus grande partie des Anglais restent attachés à l’Église établie. Ce sont les partisans de celle-ci qui finalement l’emportent au moment de la Restauration, les presbytériens et les sectaires étant désormais considérés comme des Dissidents dont le souci n’est plus que l’Église d’Angleterre devienne tout à fait calviniste. Ce qu’ils veulent maintenant, c’est ne plus être inquiétés pour leur religion et ne plus être discriminés socialement à cause d’elle ; si leur premier souhait se réalisa avec la révolution de 1688, il fallut longtemps pour que le second soit satisfait.
Autrement dit, la victoire des puritains à l’occasion de la révolution de 1640 et de la guerre civile a eu pour conséquence que, n’ayant pas réussi à faire de l’Église établie une église qui soit à leurs yeux réellement calviniste, la plupart la quittèrent et de puritains devinrent des Dissidents114. Historiquement l’histoire des puritains se situe donc entre les années 1560 et les années 1650115.
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1 Littéralement « Seigneur Protecteur ».
2 Le terme « aurait d’abord été appliqué par le pamphlétaire catholique Thomas Stapleton aux protestants anglais qui refusaient les vêtements sacerdotaux, dans les années 1560 » : voir Viviane BARRIE-CURIEN, « La Réforme anglicane », dans Marc VÉNARD (dir.), Le Temps des confessions (1530-1620/30), t. VIII de Jean-Marie MAYEUR et al. (dir.), Histoire du Christianisme, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 502.
3 Le mot est employé aussi bien pour désigner la discipline morale que doit observer chaque chrétien que la discipline que doit respecter chaque membre du clergé par rapport au dogme et aux prescriptions de l’Église établie.
4 V. BARRIE-CURIEN, « La Réforme anglicane », art. cit. [n. 2].
5 Aussi bien « les hommes ou les femmes pieux » que « les saints ».
6 « Les véritables évangélisateurs », ou encore « les véritables témoins (ou prédicateurs) de l’Évangile ».
7 « Les élus ».
8 « Puritanism as History and Historiography », Past and Present 41, 1968, p. 104.
9 Excellente mise au point de Christopher DURSTON et Jacqueline EALES, « The Puritan Ethos 1560-1700 », dans The Culture of English Puritanism 1560-1700, dir. Chr. Durston et J. Eales, Basingstoke [Hamps.] et Londres, Macmillan Press Ltd, 1996, p. 1-31, spécialement p. 1-5.
10 Par exemple dans son ouvrage fondamental The Elizabethan Puritan Movement, Oxford, Clarendon Press, 1967.
11 Il s’agit de Percival Wiburn dans A checke or reproose of M. Howlet’s untimely schreeching (1581).
12 Cité par John Morgan, dans « Henry Jacob, James I and Religious Reform 1603-1609 : From Hampton Court to Reason of State », Church History 86/3, p. 695-727.
13 Anti-Calvinists : The Rise of the English Arminianism c. 1590-1640, Oxford, Clarendon Press, 1987.
14 Olivier Cromwell en est un excellent exemple : dans les années 1620 il vécut toute une série de crises mystiques et d’angoisses, avec une crise plus forte qui se situa en 1629-1631, ou peut-être même dès 1627-1629 : voir John MORRILL, Oliver Cromwell and the English Revolution, Londres, Longman, 1990. – Nous pouvons également prendre l’exemple de John Bunyan dont le Pilgrim’s Progress (Le Voyage du Pèlerin), paru en 1678, est un des livres majeurs de la culture britannique ; il traversa dans les années 1650 une profonde crise religieuse dont il a laissé le récit dans une autobiographie spirituelle : Grace Abounding, publiée en 1666, dans laquelle il veut « convaincre les élus qu’ils seront sauvés, quels que soient leurs doutes et tentations » lui-même ayant eu « la conviction autour de 1653 qu’il faisait partie des élus ». – Christopher HILL, A Turbulent, Seditious and Factious People : John Bunyan and his Church, Oxford, Oxford University Press, 1989, p. 63-74.
15 Les décisions essentielles sont les Actes de Suprématie et d’Uniformité de 1559 qui font de la reine The Supreme Governor of the Church, les 39 Articles de 1563 qui sont la fondation doctrinale de l’Église établie et les canons ecclésiastiques de 1571 qui organisent la discipline à l’intérieur de l’Église étable ; par ailleurs le Prayer Book (« Livre de prières », mais on traduit aussi par missel) calviniste de 1552 redevient l’ouvrage qui règle la liturgie de l’Église.
16 L’usage du terme « anglicanisme » – et de l’adjectif « anglican » – est tout à fait habituel et commode pour les historiens tout en constituant un anachronisme puisqu’il ne semble pas avoir été utilisé avant 1635 et qu’il n’a jamais été d’un usage courant aux XVIIe et XVIIIe siècles, au point de ne pas se rencontrer dans les dictionnaires. Son usage n’a vraiment commencé que dans les années 1840, et il n’a vraiment fait partie du vocabulaire anglais que dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque les Tractariens (il s’agit du Mouvement d’Oxford qui rénove dans la première moitié du XIXe siècle la théologie de la High Church anglicane) ont popularisé le mot. – Voir à ce propos Julian DAVIES, The Caroline Captivity of the Church : Charles I and the Remoulding of Anglicanism 1625-1641, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 5, ainsi que Charles GIRY-DELOISON, « Entre politique intérieure et politique étrangère : les fondements de la religion anglicane 1529-1571 », dans L’Identité anglicane, dir. A. Joblin et J. Sys, Arras, Artois Presses Université, 2004, p. 25-58.
17 Ce fut particulièrement le cas pour les biens des monastères après leur dissolution en 1536.
18 Certains historiens comme Arthur Geoffrey DICKENS (The English Reformation, New York, Schocken Books, 1964 ; Lollards and Protestants in the Diocese of York, Oxford, Oxford University Press, 1959) ou Claire CROSS (Church and People 1450-1660, Atlantic Islands [NJ], Humanities Press, 1976) ont estimé que la Réforme henricienne ne se serait pas mise en place aussi facilement s’il n’y avait pas eu en Angleterre un mouvement ancien, que d’aucuns font remonter aux Lollards, mouvement qui réclamait déjà que l’Église d’Angleterre soit réformée, que l’on revienne à l’Église primitive, et qui critiquait l’emprise trop forte de la Papauté, sans oublier la mise en cause de la richesse de l’Église nationale. Il est sûr que ces sentiments existaient et qu’ils ont facilité la mise en place des choix de Henry VIII mais, par ailleurs, à aucun moment on ne les voit jouer un rôle moteur et encore moins décisif. En Angleterre, la réforme de l’Église a bien été imposée d’en haut, pour des raisons qui étaient loin d’être purement religieuses.
19 Excellente présentation de la réforme henricienne et des controverses historiques concernant ses origines et son développement dans V. BARRIE-CURIEN, art. cit. [n. 2].
20 Très bonne démonstration à cet égard de Charles GIRY-DELOISON, « Les affrontements religieux dans les îles Britanniques au XVIe siècle », dans Les Affrontements religieux en Europe du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, dir. M. Figeac, Paris, SEDES/CNED, 2008, p. 265-267.
21 Ce qui lui valut le surnom de Bloody Mary.
22 William P. HAUGAARD, Elizabeth and the English Reformation : the struggle for a stable settlement of religion, New York, Barnes & Noble, 1968 ; Susan DORAN, Elizabeth I and Religion 1558-1603, Londres-New York, Routledge, 1994, p. 6-9.
23 Calvin avait préconisé le presbytérianisme comme étant le seul système religieux conforme aux Écritures. Il repose sur des communautés de fidèles placées sur un strict pied d’égalité, donc sans aucune organisation hiérarchique. À la base, on a des assemblées locales, les synodes paroissiaux, dont les représentants se réunissent à l’échelon régional ou national pour fixer les règles communes. Les ministres, ou presbyters, n’ont aucune supériorité hiérarchique ; ils sont associés dans les synodes aux conseillers presbytéraux ou « Anciens » (Elders), élus par la communauté. Dans l’Angleterre des années 1570 à 1650, l’intérêt pour le presbytérianisme venait largement de son existence en Écosse où John Knox l’avait imposé à partir de 1560 et où il fonctionnait, ce qui évidemment pour de nombreux Anglais paraissait en faire un système possible et même souhaitable.
24 Ce qui ne lui posait sans doute aucun problème puisque pour de très nombreux auteurs elle « embrassait sincèrement la doctrine protestante du Prayer Book de 1552 » (V. BARRIE-CURIEN, art. cit. [n. 2], p. 211).
25 Viviane Barrie-Curien a excellemment synthétisé tout cela en écrivant que « l’Église d’Angleterre avait une liturgie inspirée de la liturgie catholique, une hiérarchie qui combinait la tradition et le luthéranisme avec des éléments purement anglais, et un dogme à tendance calviniste » (art. cit. [n. 2], p. 215). Le caractère très compliqué de la Réforme élisabéthaine est que ne cessent de se mêler des éléments appartenant aux églises catholique, luthérienne et calviniste. Par exemple, si la reine impose effectivement un dogme calviniste, elle n’en garde pas moins dans sa chapelle privée un crucifix en argent et des cierges, ce que lui reprochent plusieurs évêques !
26 L’idée qu’une femme pouvait devenir le chef suprême de l’Église d’Angleterre créait un réel malaise. C’est pourquoi fut choisi le titre de « Gouverneur ».
27 À la communion l’officiant doit porter les mêmes vêtements qu’à une messe catholique, donc la chasuble et non pas un surplis. – V. BARRIE-CURIEN, art. cit. [n. 2], p. 215.
28 Il est vrai que c’est en lien avec plusieurs complots catholiques et/ou espagnols. L’exécution en 1587 de Mary Stuart fait partie de ce contexte.
29 V. BARRIE-CURIEN, art. cit. [n. 2], p. 502.
30 Christopher HAIGH, « Success and Failure in the English Reformation », Past and Present 173, 2001, p. 28-49.
31 En 1600, 80 % des boutiquiers et artisans londoniens sont capables de signer de leur nom et l’on en est à 52 % en East Anglia : David CRESSY, Literacy and the social order. Reading and writing in Tudor and Stuart England, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 146.
32 Les lectures sont des conférences, que l’on pourrait aussi définir comme des prédications, que donnent des prédicateurs qui réunissent autour d’eux un groupe plus ou moins important de « croyants » ; ils traitent un thème théologique ou religieux sur lequel ils donnent une conférence-prédication, ou lecture, autour d’un passage de la Bible. Les lecturers vont d’un point à un autre, à l’initiative de pasteurs mais aussi de groupes locaux de fidèles. Ils vont en particulier « dans les villes-marchés où leurs lectures atteignent une large audience les jours de marché grâce à l’afflux de ceux qui viennent des campagnes environnantes » (Keith WRIGHTSON, English Society 1580-1680, Londres, Hutchinson, 1982, p. 209).
33 Adiaphoron (au pluriel adiaphora, c’est-à-dire les choses indifférentes) est un concept stoïcien, repris par le christianisme, utilisé pour indiquer les choses neutres moralement, c’est-à-dire celles qui ne sont ni prescrites ni interdites.
34 V. BARRIE-CURIEN, art. cit. [n. 2], p. 504.
35 Le mot désigne une petite brochure qui peut parfois être un bref traité. On emploie aussi le terme de pamphlet qui désigne également une brochure ou un livre de peu de pages.
36 Jacqueline EALES, « A Road to Revolution : The Continuity of Puritanism 1559-1642 », dans The Culture of English Puritanism, op. cit. [n. 9], p. 184-209. – Un excellent exemple de la solidité provinciale de la gentry puritaine est fourni par John Trevor CLIFFE, The Puritan Gentry : The Great Puritan Families of Early Stuart England, Londres, Routledge-Kegan Paul, 1984.
37 Les controverses sur le respect du sabbat ne cessèrent d’être vives, les puritains protestant en particulier contre le Book of Sports publié par Jacques Ier en 1618 qui autorisait certaines distractions dominicales, puis contre celui de Charles Ier en 1633 reprenant pour l’essentiel les dispositions du précédent ; le Parlement ordonna de brûler le livre au début de mai 1643. – La question du sabbat est analysée en profondeur dans Kenneth L. PARKER, The English Sabbath : A study of doctrine and discipline from the Reformation to the Civil War, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
38 Edmund LEITES, La Passion du bonheur : conscience puritaine et sexualité moderne, Paris, Les Éditions du Cerf, 1988, p. 23.
39 E. LEITES, La Passion du bonheur, op. cit. [n. 38], p. 55, souligne que c’est un principe fondamental des préceptes éducatifs de Locke « aux yeux [duquel] le développement du contrôle moral de soi dès l’enfance était une propédeutique à la liberté et à l’indépendance caractéristiques de l’âge adulte ».
40 Ibid., p. 24.
41 Ibid., p. 35.
42 Ibid., note 23, p. 99.
43 Ibid., p. 105 et p. 110.
44 Ibid., p. 114.
45 Lettres Philosophiques, éd. R. Naves, Paris, Garnier Frères, « coll. Classiques Garnier », 1964, Lettre VI : « Sur les presbytériens », p. 27-28.
46 La papauté essaya d’y remédier en envoyant des missionnaires, ce qui commença en 1574, les deux premiers jésuites arrivant peu après, en 1580. En 1600, ils sont au nombre de 800 et en 1630 d’un millier (V. BARRIE-CURIE, art. cit. [n. 2], p. 493).
47 On est ici devant l’application de l’Acte d’Uniformité qui permet de poursuivre ceux qui contestent les règles et croyances de l’Église d’Angleterre. Pour une vue d’ensemble, John COFFEY, Persecution and Toleration in Protestant England 1558-1689, Harlow [Essex], Pearson Education, 2000. Le Book of Common Prayer est au cœur du respect de l’Uniformité : voir Judith MALTBY, Prayer Book and People in Elizabethan and Early Stuart England, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
48 Robert J. ACHESON, Radical Puritans in England 1550-1660, Londres-New York, Longman, 1990, p. 10-12.
49 Ogbu A. KALU, « Bishops and Puritans in Early Jacobean England. A Perspective on Methodology », Church History 45, déc. 1976, p. 469-489.
50 Voir les nombreux travaux de Patrick Collinson.
51 Léon CAHEN et Maurice BRAURE, L’Évolution politique de l’Angleterre moderne 1485-1660, Paris, Albin Michel, « coll. L’Évolution de l’Humanité »,1960, p. 539-541.
52 Rosemary O’DAY, The English Clergy : The Emergence of a Profession, Leicester, Leicester University Press, 1979.
53 Cristopher HAIGH, « The Taming of Reformation : Preachers, Pastors and Parishioners in Elizabethan and Early Stuart England », History 85, 2000, p. 572-588.
54 Ainsi John Hampden qui fut tout autant que Pym une grande figure de commoner (membre de la chambre des Communes) sous Charles Ier faisait partie des nombreuses familles de la gentry du comté de Buckingham qui étaient de tradition puritaine : John ADAIR, A Life of John Hampden, The Patriot, 1594-1643, Londres, Macdonald-Jane’s, 1976.
55 David LEVINE et Keith WRIGHTSON, Poverty and Piety in an English Village : Terling 1525-1700, Oxford, Clarendon Press, 1995.
56 James A. SHARPE, « Crime and Deliquency in an Essex Parish 1600-1648 », dans Crime in England 1550-1800, dir. J. S. Cockburn, Londres, Methuen, 1977, p. 90-109.
57 Le terme désigne un groupe, dont le nombre est très variable, de fidèles qui se rassemblent pour prier et vivre ensemble leur religion. Elle a à sa tête soit un ministre choisi par les membres soit l’un d’entre eux élu ou désigné par l’ensemble du groupe.
58 Formés à Cambridge, Harrison et Browne développèrent une théologie qui faisait de la séparation d’avec l’Église établie quelque chose de quasiment inévitable. Browne (1550-1631) fut l’un des premiers à adopter le concept de godliness : au sens strict il s’agit de la piété, mais ici il vaut mieux parler de la vraie religion, ou même de la religion tout court. Browne fut emprisonné deux fois, chercha refuge aux Provinces-Unies puis se réconcilia avec l’Église d’Angleterre à partir de 1586. – R. J. ACHESON, Radical Puritans…, op. cit. [n. 48], p. 11.
59 Peter LAKE, Moderate Puritans and the Elizabethan church, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 1.
60 R. J. ACHESON, Radical Puritans…, op. cit. [n. 48], p. 18.
61 Cela signifie qu’ils ne sont ni des sectaires ni des presbytériens, ce qui est extrêmement important puisque l’on voit bien par là que la plupart des puritains ne veulent nullement quitter l’Église d’Angleterre mais la réformer de l’intérieur.
62 Chr. HAIGH, « The Taming of Reformation… », art. cit. [n. 53].
63 Cité par William HUNT, The Puritan Moment : The Coming of Revolution in an English County, Cambridge [Mass.], Harvard University Press, 1944, rééd. 1983, p. 147.
64 C’est lui qui supervise la Bible du roi Jacques.
65 On peut citer les premiers Baptistes ainsi que « l’église » fondée en 1616 par Henry Jacob ; « pendant vingt-cinq ans, celle-ci servit d’agence de recrutement et d’école de formation pour plusieurs des importants leaders sectaires de la période révolutionnaire » (Murray TOLMIE, The Triumph of the Saints : The Separate Churches of London 1616-1649, Cambridge, Cambridge University Press, 1977).
66 Ibid.
67 Patrick COLLINSON, « The English Conventicle », dans Voluntary Religion : Studies in Church History, dir. W. J. Sheils et D. Wood, Oxford, Oxford University Press, 1986, p. 111-208.
68 Aujourd’hui dans le Massachussetts.
69 J’ai déjà abordé cet aspect de la question dans mon texte : « De l’importance et du rôle de l’information durant les grandes crises politiques anglaise et française du milieu du XVIIe siècle », Revue française d’histoire du livre 139, 2018, p. 87-103.
70 À l’origine, ce sont de simples feuilles de papier imprimées d’un seul côté ; puis elles peuvent être également une feuille de papier imprimée des deux côtés et pliée en deux.
71 Tessa WATT, Cheap print and popular piety 1550-1640, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
72 Jason PEACEY, Politicians and Pamphleeters : Propaganda during the English Civil Wars and Interregnum, Aldershot, Ashgate, 2004 ; ID., Print and Public Politics in the English Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
73 Son nom est tantôt orthographié ainsi, tantôt comme Montagu, mais cette deuxième forme ne semble pas être la bonne.
74 En fait l’évolution commença plus tôt car dès les années 1590 il y eut un développement croissant des points de vue anti-prédestination aussi bien à Oxford qu’à Cambridge : voir Chr. HAIGH, « The Taming of Reformation… », art. cit. [n. 53].
75 « Un bâillon pour le Nouvel Évangile ? Non. Un nouveau bâillon pour une vieille oie. »
76 Jack H. HEXTER, The Reign of King Pym, Cambridge [Mass.], Harvard University Press, 1941.
77 Desmond SHAWE-TAYLOR (dir.), Charles I, King and Collector, Londres, Royal Academy of Arts, 2018.
78 Il y a plusieurs paroisses où domine l’influence puritaine, par exemple St Anne’s, Blackfriars, St Stephen’s : voir Valerie PEARL, London and the Outbreak of the Puritan Revolution : City Governent and National Politics 1625-1643, Oxford, Oxford University Press, 1961, p. 162-163. – Sur le rôle des clergymen, voir Tom WEBSTER, Godly Clergy in Early Stuart England : The Caroline Puritan Movement c. 1620-1643, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
79 Ibid.
80 Buckingham a été assassiné par Felton le 23 août 1628.
81 C’est une question essentielle. Il est certain que le roi et Laud ont à la fois imposé une politique rigoureuse de l’Église établie, qui n’avait plus cours depuis la mort de Whitgift en 1604, et qu’ils ont pris position contre des points fondamentaux du calvinisme (la prédestination ; la hiérarchie ecclésiastique) ; il est certain également qu’ils ont engagé ce combat et que la réaction puritaine a été défensive. Mais faut-il qualifier leur arminianisme de « révolutionnaire » comme cela a été fait (voir Thomas COGSWELL, Richard CUST et Peter LAKE [dir.], Politics, Religion and Popularity in Early Stuart Britain : Essays in Honour of Conrad Russell, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 1-17) ? C’est tout à fait discutable, de nombreux travaux récents ayant souligné la parenté de la plupart des points de vue du roi avec ceux d’Élisabeth Ire et de Jacques Ier. En fait, les évêques laudiens ont surtout « innové » non pas en rédigeant de nouveaux textes et règlements mais en s’efforçant d’appliquer ceux déjà existants qui remontaient à l’établissement de l’Église d’Angleterre par Élisabeth. Il est vrai qu’à bien des égards l’Angleterre avait changé ente 1560 et 1640 : les sujets du roi ont donc eu le sentiment d’une intrinsèque nouveauté.
82 Elle a beaucoup frappé à l’époque mais pour John Morrill il semble qu’elle ait été surestimée (The Nature of the English Revolution, Londres-New York, Routledge, 1993, p. 55), ce qui s’explique par la forte pression exercée par Laud et la hiérarchie épiscopale sur le clergé (J. DAVIES, The Caroline Captivity of the Church…, op. cit. [n. 16], p. 72-73).
83 The Caroline Captivity of the Church…, op. cit. [n. 16], p. 139.
84 L’épisode le plus célèbre concerne le recteur de l’église londonienne de St Matthew’s, Henry Burton, un de ses paroissiens John Batswick et le pamphlétaire puritain, William Prynne. Pour avoir mis en cause les innovations de Laud et notamment la publication du Book of Sports de 1633 (en fait, Laud n’était pas concerné par celui-ci), ils furent condamnés à de lourdes amendes, à être exposés au pilori et être essorillés (Prynne l’avait déjà été en 1634), ce qui fut exécuté le 30 juin 1637. – Voir K. L. PARKER, The English Sabbath…, op. cit. [n. 37], p. 201-214.
85 Eamon DUFFY, The Voices of Morebath : Reformation and Rebellion in an English Village, New Haven-Londres, Yale University Press, 2001, spécialement p. 65-111.
86 V. PEARL, London and the outbreak of Puritan Revolution, op. cit. [n. 78], p. 76. – Elle cite l’exemple en 1626 de la mutinerie des marins revenus de la désastreuse expédition contre Cadix, auxquels on devait trois mois de gages.
87 V. BARRIE-CURIEN, « La diffusion de l’arminianisme en Angleterre », dans L’Âge de raison (1620/30-1750), dir. M. Vénard (= Jean-Marie MAYEUR et al. [dir.], Histoire du Christianisme, t. IX, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, p. 88-92).
88 Des désordres se produisent un peu partout, en particulier à Londres et dans le sud de l’Angleterre ; ainsi, des églises sont attaquées lors d’offices « laudiens ».
89 Particulièrement importants par suite du rôle politique qu’ils jouèrent à partir de la réunion du Long Parliament dans l’appui de Londres à la cause parlementaire furent deux d’entre eux Isaac Pennington et Captain John Venn qui appartenaient au milieu commercial (Voir V. PEARL, London and the Outbreak of London Puritan Revolution, op. cit. [n. 78], p. 176-196).
90 La corporation (municipalité) de la City est gouvernée par le Lord Mayor entouré de la Court of Aldermen, au nombre de 25 ; ils sont assistés par la Court of Common Council qui représente les 110 Liveries companies (associations et guildes de marchands), laquelle a le pouvoir décisionnel.
91 V. PEARL, London and the Outbreak of London Puritan Revolution, op. cit. [n. 78].
92 Brian MANNING, The English People and the English Revolution, Londres, Penguin Books, 19782 [19761], p. 47.
93 La pétition « Root and Branch » a suscité un fort mouvement d’hostilité.
94 Elle concerne bien évidemment l’ensemble de la politique royale mais elle comporte un volet religieux particulièrement abondant aussi bien pour faire des « papistes, disciples des jésuites… les fauteurs » des desseins visant à renverser les lois et la religion, que pour dénoncer « les évêques et la partie la plus corrompue du clergé qui nourrissent le penchant aux pompes extérieures et à la superstition ».
95 William LAMONT, « Richard Baxter, Popery and the Origins of the English War », History 87/287, juil. 2002, p. 336-352.
96 J. MORRILL, The Nature of the English Revolution, op. cit. [n. 82], p. 38.
97 William J. SHEILS, « Provincial Preaching on the Eve of the Civil War : Some West Riding Fast Sermons », dans Religion, Culture and Society in early modern Britain : Essays in honour of Patrick Collinson, dir. A. Fletcher et P. Roberts, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 290-312.
98 L’Association des comtés de l’Est (notamment les comtés de Cambridge, Norfolk et Essex) fut organisée à partir de juillet 1642 sous la direction du comte de Manchester qui prit comme adjoint Cromwell, lequel s’occupa plus spécialement de la cavalerie. Son armée, formée d’abord pour défendre les comtés de l’Est contre les armées royalistes, devint à partir de 1644 le cœur de l’armée parlementaire, joua un rôle primordial dans la victoire de Marston Moor (2 juillet 1644) et ses troupes tinrent une place essentielle dans la constitution de la New Model Army. En fait, elle avait très vite perdu son recrutement régional de départ pour s’ouvrir beaucoup plus largement à tous ceux qui voulaient combattre avec cœur et enthousiasme pour défendre la cause parlementaire et la « vraie religion » ; les origines sociales des officiers comptaient moins que leur valeur militaire et leur ferveur religieuse ; nombre d’entre eux, mais aussi beaucoup de soldats, étaient des gens qui avaient déjà eu une solide expérience militaire – Clive HOLMES, The Eastern Association in the English Civil War, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.
99 Mark A. KISHLANSKY, The Rise of the New Model Army, Cambridge, Cambridge University Press, 1979 ; Keith ROBERTS, Cromwell’s War Machine : The New Model Army 1645-1660, Barnsley [Yorkshire], Pen and Sword Military, 2005.
100 Il y eut une véritable flambée sectaire dans la capitale mais aussi en province au cours de l’année 1641 ; ensuite les « églises » continuèrent à croître mais aussi à se diversifier, avec de nombreux membres passant de l’une à l’autre : Br. MANNING, The English people and the English Revolution, op. cit. [n. 92], p. 51-58.
101 Olivier LUTAUD, Cromwell, les Niveleurs et la République, Paris, Aubier-Montaigne, 1978 ; Michael MENDLE (dir.), The Putney Debates of 1647 : The Army, the Levellers and the English State, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Christopher HILL, Le Monde à l’envers : les idées radicales au cours de la Révolution anglaise, Paris, Payot, 1977.
102 Chr. HILL, A Turbulent, Seditious and Factious people…, op. cit. [n. 14], p. 56.
103 Bernard S. CAPP, The Fifth Monarchy Men : A Study in Seventeenth-century English Millenarianism, Londres, Faber and Faber, 1972.
104 Chr. HILL, A Turbulent, Seditious and Factious people…, op. cit. [n. 14], p. 56, rappelle qu’en 1643, à Wallingford, petite ville du comté d’Oxford, des soldats de l’armée parlementaire croyaient que « le Christ allait revenir dans ce monde et abattre le roi Charles ».
105 John COFFEY, « The Impact of Apocalypticism during the Puritan Revolution », Perichoresis 4/2, 2006, p. 117-147.
106 Christopher HILL, Barry REAY et William LAMONT, The World of Muggletonians, Londres, Temple Smith, 1983.
107 Chr. HILL, Le Monde à l’envers…, op. cit. [n. 101] ; J. C. DAVIS, Fear, Myth and History : the Ranters and the Historians, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.
108 Leur origine est exceptionnellement ancienne puisqu’ils ont été fondés par John Smyth en 1612. Mais ils ne se sont développés que dans les années 1640 : Mark BELL, « Freedom to form : the development of Baptist movement during the English Revolution », dans Religion in Revolutionary England, dir. Chr. Durston et J. Maltby, Manchester, Manchester University Press, 2006, p. 181-201 ; Stephen WRIGHT, Early English Baptists, Woodbridge, Boydell, 2004.
109 La Société religieuse des Amis a été fondée par George Fox qui a commencé à prêcher publiquement à partir de 1648 ; on a évalué leur nombre à la fin des années 1650 à environ 30.000 (Hugh BARBOUR, The Quakers in Puritan England, New Haven, Yale University Press, 1964).
110 Le 6 décembre 1648 Cromwell envoie le colonel Pride pour mettre hors du Parlement ceux qui s’opposent le plus aux positions de l’Armée. C’est la Pride’s Purgation, qui ne laisse qu’une soixantaine de députés. Ce qui reste du Parlement ainsi tronqué est désigné sous le nom de Rump Parliament ou Parlement Croupion.
111 La bibliographie concernant l’Interrègne est considérable. Pour aller à l’essentiel, Toby BARNARD, The English Republic 1649-1660, Burnt Mill [Essex], Longman, 1982 ; et en français mon « Que sais-je ? », Cromwell, la Révolution d’Angleterre et la guerre civile, Paris, Presses universitaires de France, 1993.
112 Jeffrey R. COLLINS, « The Church Settlement of Oliver Cromwell », History 87/285, janvier 2002, p. 18-40.
113 Christopher DURSTON et Judith MALTBY, « Religion and Revolution in seventeenth-century England », dans Religion in Revolutionary England, op. cit. [n. 108], p. 1-16, ici p. 8.
114 John SPURR, « From Puritanism to Dissent 1660-1700 », dans The Culture of English Puritanism…, op. cit. [n. 9], p. 234-265.
115 Patrick COLLINSON, « Sects and the Evolution of Puritanism », dans Puritanism : Transatlantic Perspectives on a Seventeenth-Century Anglo-American Faith, dir. Fr. J. Bremer, Boston, Massachusetts Historical Society, 1993, p. 147-166.