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La censure française, la liberté anglaise et le « catéchisme moral » pour Catherine II

Sergueï KARP

Institut d’histoire universelle de l’Académie des sciences de Russie, Moscou

serguei.karp@gmail.com

Pour Catherine II de Russie, la belle saison de 1775 a commencé à Kolomenskoe, la vieille résidence d’été des tsars près de Moscou. Elle n’aimait pas cette ville, mais était plus ou moins obligée de s’y rendre de temps en temps. L’ancienne capitale, haut lieu de l’orthodoxie russe, était incontournable dans les cérémonies religieuses les plus importantes. Cette fois, il fallait bien célébrer en grande pompe la victoire sur la Porte Ottomane et la conclusion de la paix de Kutchuk-Kaïnardji, mais l’impératrice trouvait toujours le temps pour la lecture, et pour l’activité qu’elle-même appelait la « législomanie », manie d’établir de nouvelles lois. Le premier jour de mai, elle était assise à son bureau, en train d’écrire à Friedrich Matthias (Matveï Metveevitch) von Eck, directeur des postes à Saint-Pétersbourg, en mélangeant, comme d’habitude, les mots français et allemands : « Den Code de la raison […] habe heute empfangen… »1 (« [J’ai] reçu aujourd’hui le Code de la raison… »). Elle accusait ainsi réception d’un livre dont elle avait appris l’existence un an auparavant.

Le livre en question était le Petit code de la raison humaine écrit par Jacques Barbeu Du Bourg (ou Dubourg). Sa première version (courte) est sortie à Paris en 1768, puis à Londres en 1770, en traduction. Étant donné les restrictions imposées par la censure royale, la version développée a d’abord vu le jour en Angleterre (décembre 1772, la page de titre est datée de 1773), puis en Hollande (1774), sous une fausse adresse. Enfin, un exemplaire de l’édition hollandaise fut commandé par Catherine II de Russie en vue de la réforme de l’éducation nationale. Cette histoire semble paradoxale : un fruit des Lumières européennes, interdit en France, a suscité l’intérêt de l’autocrate de toutes les Russies. Toutefois, ce cas n’est pas exceptionnel. En 1769, en pleine crise parlementaire, le chancelier Maupeou interdit l’entrée en France du Nakaz de Catherine II (son Instruction à la Commission législative chargée de dresser le nouveau code de lois), un ouvrage fondé sur les textes de Montesquieu, Beccaria, etc.2 Nous allons essayer de reconstruire le réseau qui a favorisé la diffusion du Petit code et son parcours vers l’impératrice, sa lectrice.

Mais commençons par une brève présentation de son auteur, Jacques Barbeu Du Bourg. Né en 1709, fils d’un marchand toilier de Mayenne, docteur admis à la faculté de médecine de Paris en 1748 et devenu plus tard son médecin-régent, membre associé de la Société royale des sciences de Montpellier, de l’Académie des sciences de Stockholm, de la Société royale de médecine de Londres, il fut élu, en 1771, membre de la Société philosophique de Philadelphie et, en 1779, associé ordinaire de la Société royale de médecine de Paris. Botaniste, physiocrate et traducteur, collaborateur des Éphémérides du citoyen, Barbeu Du Bourg s’est également fait remarquer par la richesse de ses relations dans les milieux philosophiques. Alfred Owen Aldridge, son premier biographe, commence son étude par la caractéristique suivante :

Very few gentlemen in the eighteenth century could claim the distinction of an acquaintance with three such literary mentors as Lord Bolingbroke, Jean Jacques Rousseau, and Benjamin Franklin3.

En effet, Barbeu Du Bourg a fait la connaissance de Bolingbroke lors de son exil en France entre 1734 et 1743 ; c’est à lui que ce dernier a donné la permission, en 1741, de traduire en français ses Lettres sur l’étude et l’usage de l’histoire, à la condition qu’elles ne paraîtront pas avant sa mort. Barbeu Du Bourg a respecté cette condition, et n’a publié sa traduction qu’en 1752. Selon Aldridge, la traduction de cet ouvrage lui a appris comment exprimer les idées radicales dans une forme inoffensive, qui les rendait acceptables aux yeux des grands de ce monde. Quant à Jean-Jacques Rousseau, il paraît que ses relations avec Barbeu Du Bourg ont commencé au début des années 1750. Rousseau, généralement, se méfiait des médecins, mais il en faisait appeler chaque fois que sa femme était indisposée4. En revanche, Barbeu Du Bourg était à la fois le médecin et l’ami intime de Diderot. Quand, le 2 août 1774, Caroillon de Vandeul et son épouse Angélique, fille de Diderot, ont emprunté à Barbeu Du Bourg 10 000 livres, ce dernier n’était qu’un prête-nom : le prêteur était Diderot5.

Enfin, Barbeu Du Bourg était un grand admirateur et ami de Benjamin Franklin6. Leur correspondance a commencé probablement en 1767. En 1768, il a publié les réponses de Franklin à la Chambre des Communes britannique dans les Éphémérides du citoyen ; il a écrit la Lettre d’un Philadelphien à un ami de Paris (1769) ; il a préparé l’édition française des Œuvres de Franklin, parue en 1773. Par ailleurs, à peu près à la même époque, son neveu Jean Lair de Lamotte est devenu le secrétaire privé de Franklin.

Mais revenons à son ouvrage reçu par Catherine II. Sa première version, intitulée Code de l’humanité, ou Loix immuables qui servent de base aux devoirs, aux droits & au bonheur de l’Homme, composée de trente-trois articles (ou paragraphes) et datée « A Paris, ce 10 mars 1768. », a vu le jour dans le Mercure de France à la fin de l’année 17687. La même année, elle a paru comme un extrait du Mercure à Paris, chez Lacombe. Deux ans plus tard, ce Code traduit en anglais par Mary « Polly » Stevenson fut publié à Londres par les soins de Franklin8, qui représentait à cette époque les intérêts de la Pennsylvanie, de la Géorgie, du New Jersey et du Massachusetts auprès de la Grande-Bretagne. La brochure a été tirée à 100 exemplaires, dont aucun ne nous est parvenu. Pourtant, Barbeu du Bourg a essayé de la faire connaître à la haute société britannique. Il a demandé à Franklin d’envoyer un exemplaire à Anne Pitt, sœur de William Pitt l’Ancien, comte de Chatam, la privy-purse de la Princesse de Galles en 1751-1771, car il la connaissait personnellement depuis son séjour en France. Quoi qu’il en soit, son Code fut bien accueilli, et Barbeu Du Bourg, encouragé, a étendu son texte, porté à cinquante et un articles, avec le projet de donner une nouvelle édition en France et en Angleterre. En novembre 1770, il a envoyé le manuscrit à Franklin9.

En mai 1771, le Code compte déjà quatre-vingt-douze articles10, mais l’espoir de l’auteur de voir bientôt son ouvrage publié en France, à Paris ou en province, ne s’est pas réalisé. Après plusieurs mois d’attente, on lui a refusé l’approbation. La mauvaise nouvelle communiquée par Du Bourg à Franklin, dans sa lettre du 31 mai 1772, a déterminé ce dernier à accélérer les préparatifs de l’édition du Code à Londres, en version originale française, à partir du manuscrit que Du Bourg lui avait confié11. Cette version en quatre-vingt-onze articles a été imprimée en décembre 1772 à 500 exemplaires, avec une dédicace à Franklin, sous le titre du Petit code de la raison humaine, ou Exposition succincte de ce que la Raison dicte à tous les Hommes pour éclairer leur conduite & assurer leur bonheur. Sa page de titre est datée de 1773, et porte l’adresse « A Londres : Chez Becket & De Hondt, Libraires, dans le Strand » (in-8° : xii, 52 p.). La brochure présentait aux lecteurs les principes élémentaires de la scientia civilis de l’époque, y compris ceux de la doctrine des droits de l’homme, dans une variante assez radicale. Son auteur affirmait que le souverain doit impérativement garantir à chaque citoyen « la jouissance de ses biens propres, & de tous ses droits généralement quelconques », et qu’il est tenu de « repousser avec vigueur toute atteinte qui pourroit être portée soit directement à la liberté des paroles & des actions, soit indirectement à celle des pensées. » Il prétendait également que chaque sujet avait le droit « d’être protégé dans la jouissance de ses biens propres & maintenu dans une honnête liberté de penser, de parler & d’agir » (articles LXVI, LXVII). Franklin a envoyé quelques exemplaires à ses amis et correspondants12. Barbeu Du Bourg a pris soin de faire parvenir des exemplaires de son Code à quelques personnalités importantes. Dans sa lettre à Franklin du 28 novembre 1772, écrite avant la sortie du livre, il mentionne le chancelier Maupeou, le duc d’Aiguillon, la duchesse de Fitzjames, la duchesse de Chartres, le directeur de la Gazette de France, François Marin13. Toutefois, après avoir reçu le volume, il a relevé un certain nombre de coquilles et en a envoyé la liste à Franklin14, ce qui explique sans doute la publication, en juin et septembre 1773, des deux errata que l’imprimeur a fait figurer dans le compte envoyé à Franklin15.

L’édition suivante (in-8° : [8], 54 p.), toujours composée de quatre-vingt-onze articles, a paru en 1774 sous le même titre et la même adresse. Dépourvue des coquilles signalées, elle est conforme aux usages typographiques hollandais, notamment en ce qui concerne les signatures ; les caractères typographiques semblent également hollandais. L’adresse était fausse, cette édition a paru à Amsterdam, chez le célèbre Marc-Michel Rey, un des éditeurs les plus importants des Lumières16. En février 1774, Rey s’est rendu en Angleterre pour ses affaires, et s’est présenté à Franklin avec une lettre de recommandation de Charles Guillaume Frédéric Dumas, agent des colonies américaines dans les Pays-Bas17. Je suppose qu’il est reparti pour Amsterdam avec l’exemplaire du Petit code accompagné des errata.

L’engagement de Rey n’est pas passé inaperçu auprès de Diderot, qui a pris connaissance d’une des versions précédentes du Petit code bien avant son départ pour la Russie. Avant de quitter Saint-Pétersbourg en mars 1774, il a laissé à Catherine II un gros volume manuscrit qui faisait le point sur leurs discussions concernant l’avenir de la Russie et les perspectives de sa « civilisation » : les Mélanges philosophiques, historiques. etc. Répondant à un projet de l’impératrice (« Votre Majesté s’est proposé deux choses dignes de sa grande sagesse… ») dans le « feuillet » 47 (« De la morale des rois »), Diderot insiste sur la nécessité de confectionner un petit catéchisme de morale qui serait associé au catéchisme sacerdotal18. Il suggère que « la notion du bonheur » soit « la base fondamentale » de ce catéchisme civil ; ce dernier pourrait être préparé à partir d’un « petit code de morale » qui « est presque fait » et qui « s’imprime actuellement chez Rey à Amsterdam ». Et il ajoute :

L’auteur, qui est un de mes amis, le retoucherait volontiers d’après les vues de Votre Majesté ; lorsqu’il l’aurait retouché, j’y ajouterais mes observations ; quelques gens de bien ne refuseraient pas d’y mettre la main, et le tout serait envoyé à Votre Majesté pour en obtenir la dernière perfection19.

Sur son chemin de retour de Russie, Diderot revient au « catéchisme moral » dans trois lettres écrites à La Haye. La première de ces lettres a été adressée à Ivan Ivanovitch Betskoï (Betski), président de l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, personnage proche de l’impératrice et auteur des Plans et statuts des différents établissements ordonnés par sa Majesté Impériale Catherine II publiés en 1775 chez Rey, par les soins de Diderot, dans la traduction française du docteur Clerc20. Le 31 mai 1774, Diderot écrit à Betskoï : « Je vous ai envoyé un petit livret dont tous les paragraphes peuvent entrer dans le catéchisme moral que Sa Maj. Imp. désire »21. Dès le 15 juin, il lui écrit de nouveau : « Vous avez reçu l’esquisse du petit catéchisme moral […] »22. Enfin, le 13 septembre 1774, Diderot s’adresse directement à Catherine II en parlant d’elle à la troisième personne :

Elle a reçu le petit code moral dont je lui avois parlé. Je souhaite qu’elle n’en ait pas été mécontente. Il y a de la simplicité dans le stile et de la suite dans les idées. Il est fondé sur l’existence d’un Être qu’elle reconnoît. Votre Majesté veut un grand spectateur qui s’incline vers la terre et qui la regarde marcher. Elle ambitionne au haut de l’atmosphère un aprobateur digne d’elle. Pour moi, chétive créature, je m’esquive et je vais comme si personne ne me regardoit23.

En 2013, Olga Kocheleva et Sergueï Zanine ont découvert à Moscou, aux Archives russes d’État des actes anciens, un billet autographe non daté de Diderot qui accompagnait son envoi :

Pour Sa maj. Imper.

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Ebauche

D’un Cateschisme moral.

Si Sa maj. Imp. veut se donner La peine d’Intercaller dans ce Petit ouvrage, quelques articles tres courts de la religion Nationale, avec l’oraison Dominicale et Le simbole Des apotres, Je crois que son projet sera rempli.

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Il ne sera plus question que de mettre Le tout en Russe et que de Le faire aprouver du Clergé.

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Peutetre faudroit-il encore rediger ce cateschisme par demandes et par Réponses

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Si Sa Maj. Imp. me l’ordonnoit et qu’elle m’en crut Capable, J’obeirois ; car Je serai toute ma vie devoué a Ses ordres.

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Il faudroit seulement m’envoyer Le petit cateschisme Russe traduit en francois.

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ce seroit une occupation fort agreable pour moi, tandis que Je suis ala haye24.

Une question s’impose : si Diderot a envoyé le Petit code à Catherine II pendant son séjour à La Haye, c’est-à-dire bien avant le 15 septembre 1774, date de son départ pour Paris, car il pense avoir encore suffisamment du temps pour le retravailler, pourquoi l’impératrice l’a-t-elle reçu seulement en mai 1775 ? La seule réponse possible est que Diderot lui a envoyé un autre texte. On se rappelle que dans le « feuillet » 47 des Mélanges philosophiques, sans doute écrit en novembre ou décembre 1773, il avait promis une version aménagée de l’ouvrage, qu’il mentionnait comme à paraître chez M.-M. Rey, à Amsterdam. Il a donc pu adresser à Catherine un « catéchisme » manuscrit, préparé à partir du Petit code de la raison qui venait de paraître. On sait à quel point il aimait compléter et modifier les ouvrages d’autrui.

Il faut cependant avouer que l’épisode reste obscur, notamment parce que nous manquent les lettres de l’impératrice au philosophe. On sait que Mme de Vandeul, fille de Diderot, a détruit les correspondances venues de Russie, jugées compromettantes à l’époque de la Révolution25. Ainsi, quelques questions restent sans réponse : Catherine a-t-elle daigné donner son avis sur l’ouvrage que Diderot lui avait adressé ? Quelqu’un l’a-t-il retouché « d’après les vues » de l’impératrice ? Où sont les observations de Diderot et les contributions de ses amis, annoncées dans les Mélanges philosophiques ?

En 2018, j’ai publié dans la revue « Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie » un manuscrit26 qui représente le début du texte que Diderot avait envoyé à Catherine II depuis La Haye, ou bien le début de la version complètement retravaillée, par lui, ou par un de ses amis, ultérieurement, qui tient déjà compte des suggestions de l’impératrice. Ce manuscrit intitulé « Catéchisme moral » ne comporte que son premier chapitre, et il est rédigé sous forme de demandes et réponses, comme Diderot l’avait envisagé. Il est conservé à Moscou, aux Archives des actes anciens, parmi les papiers de Catherine II, et dans le dossier27 où se trouvent plusieurs documents joints par Grimm à ses lettres à l’impératrice, ainsi qu’une quinzaine de « feuillets » des Mélanges philosophiques retrouvés jadis par Émile Lizé28. Le manuscrit est de la main de Roland Girbal, ancien domestique de Mme d’Épinay, un des copistes de la Correspondance littéraire qui allait devenir le copiste préféré de Diderot29. Il est écrit sur le même papier D & C BLAUW que le Plan d’une université, dont la copie, de la main de ce même Girbal avec les additions et corrections autographes de Diderot, est conservée dans les mêmes archives30. Le format de papier est identique (22,5 x 18 cm) ; le style de pagination est aussi le même : les chiffres arabes sont placés entre parenthèses, en haut et au milieu de la page. Ces similitudes matérielles peuvent faire envisager une certaine proximité dans le temps d’élaboration des deux manuscrits. Le Plan d’une université a été achevé probablement vers la fin juillet 177531, mais le « Catéchisme moral », beaucoup plus court, a pu être rédigé bien plus rapidement. Par conséquent, Girbal a pu faire cette copie dans la première moitié de 1775, ou même à la fin de 1774, peu de temps après le retour de Diderot de La Haye.

Naturellement, j’ai essayé de comparer ce chapitre avec le livre de Barbeu Du Bourg, pour comprendre si Diderot peut en être l’auteur, et dans quelle mesure il est adapté aux réalités russes. Toutefois, on ne peut comparer ces deux textes que sous certaines réserves. D’une part, il n’est pas très cohérent de mettre en parallèle un premier chapitre, dont on ne connaît pas la suite, et un ouvrage entièrement achevé. D’autre part, ce chapitre ne traite que des principes les plus généraux et abstraits du catéchisme moral, et l’on ne peut trouver des développements analogues que dans les trente et un premiers articles du Petit code, qui ne sont pas particulièrement originaux. Les auteurs des deux textes sont persuadés que la morale doit être fondée sur le droit naturel, qui règle les rapports des hommes entre eux et leurs relations avec Dieu. Ils affirment que la vocation de l’homme est d’être heureux, qu’il doit vivre en société, aider ses semblables, être juste et vrai, suivre les lois de la société où il vit, faire le bien, fuir le mal, etc. Il s’agit de lieux communs qui ne permettent pas de conclure que le premier chapitre de ce catéchisme a été rédigé par Diderot à partir du Petit code. En outre, ce chapitre présente avec insistance une conception providentialiste de la Création, qui paraît tout à fait étrangère à Barbeu Du Bourg, et encore plus étrangère à Diderot. Cependant, il n’est pas exclu que la rédaction du chapitre anonyme tienne peut-être déjà compte de l’opinion de l’impératrice et de ses exigences, voire des articles du catéchisme russe traduits en français, que Diderot a suggéré de lui adjoindre. Quoi qu’il en soit, cet épisode comporte trop d’éléments obscurs pour qu’on puisse attribuer ce début de catéchisme à Diderot.

A priori, il n’y a que deux autres candidats possibles, Grimm et Mme d’Épinay, car, à ma connaissance, Roland Girbal n’a pas travaillé pour les autres auteurs. Pourtant, parmi ses employeurs, Diderot est, selon mes informations, la seule personne qui traite dans sa correspondance avec Catherine II d’un projet de « catéchisme moral ».

Voilà où nous en sommes : ces recherches suscitent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Pourtant, deux choses sont certaines. D’abord, la version développée de l’ouvrage de Barbeu Du Bourg, censurée en France et publiée en Angleterre par les soins de Benjamin Franklin, puis en Hollande par Marc-Michel Rey, fut recommandée et présentée par Diderot, sous une forme adaptée, en Russie. Deuxièmement, les idées radicales de ce livre sur les droits de l’homme n’ont pas empêché son auteur, ses amis et éditeurs de chercher le moyen, non seulement de diffuser ce livre, mais de faire connaître son contenu aux élites dirigeantes de l’Europe de l’Ouest et de l’Est.

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1 Cборник императорского русского исторического общества [Recueil de la Société impériale russe d’histoire], Saint-Pétersbourg, Imprimerie de l’Académie impériale des sciences, 1880, t. XXVII, p. 38.

2 Наказ о сочинении проекта нового уложения Екатерины II [Instruction pour la Commission chargée de dresser le projet d’un nouveau code de lois de Catherine II], La première ébauche du Nakaz, sources, traductions, textes, édition critique par Nadezda PLAVINSKAYA, Moscou, Monuments de la pensée historique, 2018, chapitre « Interdiction du Nakaz en France », p. 268-276.

3 Alfred OWEN ALDRIDGE, « Jacques Barbeu-Dubourg, a French Disciple of Benjamin Franklin », Proceedings of the American Philosophical Society 95/4, 1951, p. 331.

4 A. O. ALDRIDGE, art. cit. [n. 3], p. 336, 338.

5 Émile LIZÉ, « Notes bio-bibliographiques sur Diderot », SVEC 241, 1986, p. 287.

6 Voir l’article de A. O. ALDRIDGE cité [n. 3], et celui que lui consacrent Jeanne CARRIAT et Michel GILOT dans le Dictionnaire des journalistes, 1600-1789, dir. J. Sgard, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, t. I, p. 38-40.

7 Mercure de France, décembre 1768, p. 52-66.

8 Voir la lettre de Franklin à Mary Stevenson envoyée avant le 10 juillet 1770, et celle de Barbeu Du Bourg à Franklin du 25 novembre 1770, dans The Papers of Benjamin Franklin, éd. W. B. Willcox, New Haven-Londres, Yale University Press, 1973, vol. 17, p. 185-186, 291-293.

9 Barbeu Du Bourg à Franklin, 25 novembre 1770, ibid., vol. 17, p. 291-293.

10 Barbeu Du Bourg à Franklin, 27 mai 1771, ibid., vol. 18, p. 111.

11 Barbeu Du Bourg à Franklin, 31 mai et 9 octobre 1772, ibid., vol. 19, p. 159-160, 329-330.

12 Voir ses lettres à Anthony Benezet du 10 février et à Samuel Cooper du 4 juin 1773, ibid., vol. 20, p. 40-41, 226.

13 Barbeu Du Bourg à Franklin, 28 novembre 1772, ibid., vol. 19, p. 384-386.

14 Barbeu Du Bourg à Franklin, 11 avril 1773, ibid., vol. 20, p. 159-161.

15 William Strahan’s Account for Printing and Books [13 septembre 1774], ibid., vol. 21, p. 303-305.

16 Quoi qu’il en soit, l’édition de 1774 a été signalée par le Journal encyclopédique (octobre 1774, p. 171-172) parmi les nouvelles littéraires de la Grande-Bretagne.

17 Dumas à Franklin [après le 28 janvier 1774], The Papers of Benjamin Franklin, op. cit. [n. 7], 1978, vol. 21, p. 34-37.

18 À propos du renouveau du catéchisme laïque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, voir Alain SANDRIER, « Les catéchismes au temps des “philosophes” », DHS 27, 1995, p. 319-334 ; ID., « Les catéchismes de l’irréligion », dans Philosophie des Lumières et valeurs chrétiennes, dir. Chr. Mervaud et J.-M. Seillan, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 385-398 ; Marco MARIN, « Catéchismes révolutionnaires : typologies, langages et méthodologies », texte présenté le 15 novembre 2013 dans le cadre du séminaire « L’Esprit des Lumières et de la Révolution », https ://revolution-francaise.net/2014/04/21/572-catechismes-revolutionnaires-typologies-langages-et-methodologies (consulté le 23 novembre 2019).

19 Denis DIDEROT, Œuvres, t. III (Politique), Paris, Robert Laffont, 1995, p. 350.

20 Voir, à ce sujet, Georges DULAC, « Diderot éditeur des Plans et statuts des établissements de Catherine II », DHS 16, 1984, p. 323-344.

21 Denis DIDEROT, Correspondance, t. XIV (Mai 1774-Octobre 1776), publié par Georges ROTH et Jean VARLOOT, Paris, éd. de Minuit, 1968, p. 36.

22 Ibid., t. XIV, p. 44.

23 Ibid., t. XIV, p. 83.

24 Moscou, Archives d’État des actes anciens (RGADA), fonds 17 (Science, Lettres, Art), opis 1, n° 224 (« Projet d’un catéchisme moral »), original autographe de Diderot.

25 Georges DULAC, « Diderot et la Russie : de l’importance de quelques correspondances absentes », Revue de l’Aire 41, 2015, p. 249-260.

26 Sergueï KARP, « Diderot et le “catéchisme moral” destiné à Catherine II : nouvelles questions », RDE 53, 2018, p. 48-53.

27 RGADA, fonds 10 (Cabinet de Catherine II), opis 3, n° 504, fol. 141-144v°, copie.

28 Émile LIZÉ, « Mémoires inédits pour Catherine II », DHS 10, 1978, p. 191-222.

29 Jean DE BOOY, « Diderot et son copiste Roland Girbal », French Studies 16, 1962, p. 224-333 ; Ulla KÖLVING, « Les copistes de la Correspondance littéraire : une première présentation », dans Éditer Diderot, dir. G. Dulac, avant-propos de J. Varloot, SVEC 254, 1988, p. 191. Voir aussi le testament de Mme d’Épinay, du 30 janvier 1783 : « Je donne et lègue au nommé Roland Girbal, qui a été mon domestique pendant cinq ans, une somme de 5 louis une fois payée, en reconnaissance de l’attachement qu’il m’a toujours marqué depuis. » (Émile CAMPARDON, Les Prodigalités d’un fermier général. Complément aux Mémoires de Madame d’Épinay, Paris, Charavay frères, 1882, p. 84).

30 RGADA, fonds 17 (Science, Lettres, Art), opis 1, n° 82.

31 Georges DULAC, « Les manuscrits de Diderot en URSS », dans Éditer Diderot, op. cit. [n. 29], p. 22.