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Un carré de best-sellers érotiques. L’enseignement des archives liégeoises 
du XVIIIe siècle

David ADAMS

Professeur émérite à l’Université de Manchester

david.adams@manchester.ac.uk

Daniel DROIXHE

Professeur émérite (Université libre de Bruxelles/Université de Liège) et membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique

daniel.droixhe@uliege.be

À la différence d’autres centres d’activité typographique, Liège n’a guère laissé d’archives concernant l’importante production éditoriale qui s’est développée au xviiie siècle. On possède un répertoire manuscrit des ouvrages complétant le catalogue des ouvrages vendus par l’imprimeur Desoer en 1774, où figurent, à côté de titres sans caractère provocateur, une littérature libertine de nature philosophique ou morale1. Margot la ravaudeuse y voisine avec la Collection complette des œuvres de Diderot, les œuvres de Rousseau, le Traité sur la tolérance ou l’Histoire des deux Indes. L’imprimeur en question ne paraissant guère avoir donné dans l’édition d’ouvrages susceptibles d’attirer la censure ou la répression de la part des autorités religieuses d’une principauté ecclésiastique, cet inventaire n’offre qu’une information indirecte sur une éventuelle production liégeoise. Mais en ce qui concerne des ateliers notoirement voués à la contrefaçon, voire à l’édition originale, d’ouvrages prohibés, les archives n’ont pas laissé – comme à Neuchâtel, Genève ou Amsterdam – les livres de compte ou la correspondance d’imprimeurs tels que les Bassompierre, Clément Plomteux ou Denis de Boubers2. La bibliographie matérielle visant l’identification du travail clandestin s’est construite et développée dans l’espace vide constitué par ce défaut de mémoire.

On possède néanmoins deux documents jusqu’ici peu exploités, même si leur existence est connue depuis longtemps. En premier lieu, U. Capitaine (1828-1871), pionnier de l’histoire du livre à Liège, a publié en 1851 un article où il rapporte3 :

Dans les premiers mois de 1851 mourut subitement à Liège dans un âge avancé, Mme veuve Huet, bien connue des bibliophiles liégeois. Cette dame avait la monomanie des livres ou, pour mieux dire, du papier imprimé. Pendant plus de trente ans elle assista régulièrement aux ventes qui se firent dans la province, achetant indistinctement ce qui n’excédait pas le prix du papier et entassant le tout dans une vaste maison qu’elle possédait rue Table de pierre. Non contente de ces accroissements en quelque sorte journaliers, elle acquit encore plusieurs fonds de librairies. Huit grandes chambres, où les livres étaient superposés du plancher au plafond, donneront une idée de la masse de volumes, pour la plupart tachés ou incomplets, enfouis dans ce dédale.

« Cette singulière bibliothèque » avait son enfer : « un petit grenier fermé à clef où personne n’avait été admis du vivant de Mme Huet ». « Nous fûmes » raconte U. Capitaine, « assez heureux pour y pénétrer le premier, mais grand a été notre désappointement de n’y trouver que quelques centaines d’exemplaires de quatre des ouvrages les plus infâmes enfantés par les dérèglements de la dernière moitié du xviiie siècle ». Pour Capitaine, l’origine des exemplaires ne faisait aucun doute. « Ces ouvrages, publiés sous une rubrique fausse, sortaient clandestinement des presses du sieur B… imprimeur liégeois qui exploita la licence révolutionnaire pour répandre dans le public ces livres ignobles et les annoncer en vente dans un catalogue qu’il publia en août 1793 ».

Par ailleurs ont été mises en vente, dans les années 1980, Deux notes curieuses d’ouvrages libres et philosophiques imprimés par Bassompierre à Liége. Don de F. H. 8 novembre 1847 (acquis par D. Droixhe). Les initiales renvoient vraisemblablement à l’historien Ferdinand Henaux, qui s’apprêtait à publier en 1851 son Histoire du pays de Liège. On peut penser que Capitaine fut le bénéficiaire du don et que les enseignements de celui-ci furent recoupés par la mise au jour de la collection Huet. Un papier collé sur le document affecte d’un point d’interrogation la référence à des ouvrages « imprimés par Bassompierre », mais chaque Note porte, manuscrite, l’inscription « Imprimerie de Bassompierre ».

La référence à « Bassompierre » demande un essai d’explication. Le fondateur de l’entreprise, Jean-François l’aîné, décède à l’âge de soixante-sept ans au début de 17704. La succession paraît tendue. La Gazette de Liège annonce dès le 20 janvier que « la demoiselle Anne-Catherine Bassompierre sa fille » continuera « de faire imprimer et de commercer sur le même pied » – en tant que « seule propriétaire de toute l’imprimerie de son père et du privilège de Son Altesse ». Elle fera donc « son commerce sous sa seule signature ». Anne-Catherine est alors âgée d’environ quarante-cinq ans5. Mais elle a un aîné, Jean-François-Gérard, né en 17326. Il a été rapporté comment celui-ci, jeune homme, a jeté sa gourme en agitant la chronique locale7. Son père n’en fut-il pas quelque peu irrité ? Cela expliquerait l’immédiate prise en main du commerce par sa sœur, une « demoiselle » apparemment plus solide. C’est elle, en tout cas, que mentionne, à côté de « Bassompierre », l’Almanach de la librairie de 17818.

On se posera dès lors la question de savoir qui tenait réellement le commerce dans les années précédant la Révolution et, partant, qui est responsable de la publication des Notes proposant les ouvrages prohibés. Jean-François Bassompierre fils meurt à soixante-neuf ans le 3 août 18029. Il habite toujours, rue Neuvice, la maison du Moriane dont il semble avoir pris possession en février 177610. Durant les années 1775 à 1783, un « Jean-François Bassompierre », « de Liège », est actif en tant qu’imprimeur à Genève11. Mais comme l’expose de manière détaillée M. Collart, cet homonyme – allié au célèbre peintre genevois Jean-Étienne Liotard – appartient à une autre branche de la famille car il est le fils, né en 1745, de Louis Bassompierre, frère du fondateur de l’entreprise12. Quant à Anne-Catherine, elle meurt en 1783. Selon J. Brassinne, « après sa disparition, ce fut sa sœur cadette, Marie-Josèphe, qui avait épousé Mathieu-Joseph Monens, avocat et conseiller, qui, assistée de son mari, continua le commerce d’imprimerie et de librairie, pour le moins jusqu’en 1791 »13. Marie-Josèphe meurt en 1794.

1. L’Académie des dames

R. Darnton a écrit qu’au xviiie siècle, « les ouvrages érotiques les plus populaires comprenaient certains classiques – La Putain errante, L’Académie des dames, Vénus dans le cloître – aussi bien que les inévitables Fanny Hill (La fille de joie en français) »14. Sade mentionnait aussi ce dernier ouvrage dans l’Histoire de Juliette (1797), parmi ceux qui constituaient l’essentiel d’une « librairie galante ».

L’Académie des dames est le premier titre cité dans les Notes de Bassompierre15. Il se présente sous deux formes. La première qualifie l’ouvrage de « gr. in-8vo » comportant « 35 figures libres » qui forment une « belle édition ». Une autre édition est décrite comme suit : « Académie des dames, ou les entretiens galans d’Aloïsia, avec 12 fig. en taille-douce ; 2 vol. petit in-12, jolie éd. Paphos, 1776 ». On n’insistera pas ici sur l’histoire d’un traité d’éducation sexuelle remontant au xviie siècle16. Il suffit ici de considérer les éditions de l’Académie des dames parues au siècle suivant, notamment à partir de celles conservées à la BnF. Aucune édition n’est antérieure à 1770. Deux éditions intéressent particulièrement notre propos.

1.1. L’Académie des dames, Venise, Pierre Arretin, 
sans date (après 1770 ?)

La BnF possède sous la cote Enfer 277 une édition dont la page de titre, entièrement gravée, se présente comme suit : « L’Académie des dames. a Venise Chez Pierre Arretin », sans date. La Bayerische StaatsBibliothek en conserve également un exemplaire17. La BnF date l’édition « après 1770 ». Une des gravures fournit une indication discrète : « 1775 » (pl. 5). En deux volumes, l’ouvrage compte 35 planches non signées. La notice donne l’indication suivante : « Fausse adresse ; publié en Hollande d’après Gay, à Liège, chez Bassompierre, d’après De Le Court ; en fait, d’après le matériel typographique, vraisemblablement publié à Liège, mais pas chez Bassompierre, postérieurement à 1770. » J.-D. Mellot veut bien nous informer que la notice a été rédigée par M. Orieux et F. Beylerian18. Mais dans sa forme manuscrite, elle « montre des hésitations autour de la restitution de la fausse adresse », en dehors d’une référence à un article qui ne mentionnait du reste pas l’Académie des dames, et a fortiori la possibilité d’exclusion d’une intervention de Bassompierre19.

La première Académie des dames vendue par Bassompierre a bien les 35 « figures libres » que comporte celle conservée à la BnF. La liste des ouvrages trouvés chez la veuve Huet n’apporte pas de confirmation particulière en ce qui concerne l’identification liégeoise. En tête du palmarès figure : « 1°. Académie des Dames. Venise, l’Aretin (sans date). In-8° de 420 pages ». Il est, au stade actuel, impossible de conjecturer si cette édition peut être liée à l’une de celles dont R. Darnton fait état20. Mais s’il fallait privilégier un rapport, on songerait plutôt à « l’élégante édition de Hollande avec 37 illustrations », dans un « grand octavo », que mettaient à leur catalogue en 1780 Chappuis et Didier de Genève.

1.2. Académie des dames, Paphos, 1776

Concernant l’autre édition mentionnée dans les Notes de Bassompierre, un rapprochement s’impose avec une édition conservée à la Bayerische Staatsbibliothek, qui se présente sous le titre ancien d’Académie des dames, ou les entretiens galans d’Aloysia, avec l’adresse de « Paphos » et la même date de 177621. La BnF possède deux autres éditions remontant à la même décennie. La première, cotée Enfer 272-273, est datée de 1775 et se présente, en deux volumes, sous le titre de Nouvelle traduction du Mursius, connu sous le nom d’Aloïsia ou de l’Académie des dames, avec l’adresse « A Cythere, Dans l’Imprimerie de la Volupté »22. La seconde, cotée Enfer 274-275, porte le même titre et la même adresse, mais avec la date de 177623.

Quels rapports unissent éventuellement ces éditions ? Celles de la BnF comportent une « Lettre de M. l’abbé de T… » – c’est-à-dire de l’abbé Jean Terrasson – qui se réfère à la « nouvelle traduction » du texte. L’édition de « Paphos » s’ouvre également par la « Lettre » mais donne une version du texte à peu près telle qu’elle se présente dans l’édition portant l’adresse « A Cologne, Chez Ignace le Bas, 1691 »24. L’ouvrage proposé par Bassompierre a recyclé un texte dépassé sous l’apparence de la nouvelle traduction !

Qui pouvait être l’auteur des deux éditions de la BnF ? Celle de 1776 montre au titre un bois gravé que Passe-Partout, banque d’ornements typographiques, enregistre comme largement utilisée par la Société typographique de Neuchâtel25. Ce motif de barque – obtenu par modèle en fonte ou en bois ? – figure notamment dans des impressions de 1776 du Voyage en Sicile et à Malte de Brydone, la Collection complète des œuvres de M. Gessner et celle de Dorat. On remarquera que ces titres sont mentionnés dans une commande d’ouvrages envoyés en 1776 par la STN au libraire liégeois Orval-Demazeau26. On voit que, dans le genre risqué, la production de la STN dépassait peut-être largement les ouvrages qu’on vient de citer. Par ailleurs, la base Passe-Partout offre plusieurs exemples du bandeau qui figure en tête de la p. [1] du tome I (or0543) ainsi que celui de la p. [3] du tome II (or0549). Dans l’un et l’autre cas, elle montre que ces ornements furent largement diffusés en Suisse et dans les Pays-Bas. Cependant, seuls trois imprimeurs genevois semblent avoir possédé les trois ornements : Bonnant, Grasset et Nouffer. Il y a donc lieu de croire que ces volumes pourraient être d’origine genevoise.

L’origine de l’édition de « Paphos » nous intéresse davantage. Elle comporte à la fin du troisième entretien une vignette qui offre une forte ressemblance – mais le modèle a été souvent copié – avec un ornement que la base Môriåne enregistre comme figurant dans une édition des Nouvelles expériences sur la résistance des fluides publiées par d’Alembert, Condorcet et l’abbé Bossut en 177727. Cet ouvrage porte l’adresse du Parisien Claude-Antoine Jombert, « Libraire du Roi pour le Génie et l’Artillerie », fils aîné de Charles-Antoine, avec lequel il travaille « parfois en association à partir de 1770 », son père s’étant démis de son imprimerie dix ans plus tôt « en faveur de son gendre Louis Cellot » (notice de la BnF). En tout état de cause, Charles-Antoine « ne semble pas avoir publié après 1775 ».

Que nous apprennent les gravures figurant dans l’édition de Paphos ? Peu de chose, finalement. On peut s’y attendre dans la mesure où elles sont censées accompagner un texte différent de la nouvelle version revue par l’abbé Terrasson. L’annonce du volume vendu à Liège mentionne « 12 figures en taille-douce ». On en a compté 11, non signées, à quoi s’ajoute le « Frontispis ». Comme celui-ci, elles sont de facture assez grossière et assez répétitives, bien qu’elles offrent l’un ou l’autre modèle inconnu des Nouvelles traductions de 1775 et 1776. Une de ses planches correspond plus ou moins à la gravure qui montre, dans celles-ci, comment « Tallie endoctrine Octavie, en prenant et procurant tous les plaisirs des sens, dont deux femmes à tempérament sont capables »28. On notera aussi que, si le décor des « figures » des Nouvelles traductions est relativement similaire, celui de l’édition de Paphos est tout différent et que celle-ci voile moins les attributs masculins. Mais le trait le plus saillant des illustrations de l’édition Paphos (en dehors de telle innovation un peu cavalière29) réside dans l’intervention de moines ou de moniales, dans des gravures qui présentent des différences frappantes de facture entre le premier et le second tome30. Aurait-on réutilisé des « figures » employées dans d’autres ouvrages, en recyclant l’illustration comme c’est le cas du texte ? On comprend qu’une telle production, faite de bric et de broc, même annoncée comme « jolie », ne se vende que six livres, quand l’autre édition proposée par Bassompierre en coûtera dix à l’amateur.

Le rapport établi entre Liège et l’Académie des dames vendue par Chappuis et Didier à Genève donnerait à penser que ceux-ci reçurent également de Bassompierre les « 2 volumes avec illustrations, duodecimo » qu’ils proposaient par ailleurs, et qu’ils vendaient seulement trois livres alors que les autres éditions vendues en Suisse coûtaient quatre voire huit fois plus. L’édition « Paphos » était proposée à six livres, contre dix pour celle avec 35 figures.

2. Thérèse philosophe

Le deuxième titre mentionné par U. Capitaine lors de l’inventaire de la « Chambre secrète » de la veuve Huet concerne l’ouvrage qui fut peut-être le plus célèbre des écrits pornographiques publiés au xviiie siècle31. Il s’agit de Thérèse philosophe ou mémoires pour servir à l’histoire de Dirrag et de mademoiselle Eradice, présenté « sans nom de ville », avec une interrogation sur la date – « 1786 ? » – en « 2 vol. in-8°, t. I, 182 p. » et « t. II, 87 p. », « plus l’Histoire de madame Bois-Laurier » et « 28 planches y compris les frontispices et les titres gravés ». Les Notes de Bassompierre mentionnent de manière assez brève deux éditions : « Thérèse philosophe ; éd. plus correcte que les précédentes, gr. in-8vo, avec 19 fig. en taille-douce » et le même ouvrage en « 2 vol. pet. in-12, belle édit., avec toutes les fig. 1776 ».

« L’histoire de la publication de cet ouvrage interdit et souvent pourchassé est compliquée et passablement mystérieuse », résume parfaitement R. Trousson32.

En octobre 1748, Bonin et Lamarche, imprimeurs au service du lieutenant de police Berryer, qui infiltrait volontiers les milieux suspects en y plaçant des mouchards, informent leur patron que Joly et Boscheron, deux garçons-imprimeurs récemment revenus de Liège, se proposent d’imprimer divers ouvrages illicites, dont Thérèse, et donnent à entendre « qu’une personne de la première distinction [est] à la tête de cette entreprise ». Le 14 novembre, ils font savoir que l’impression sera bientôt terminée, qu’on présume que l’auteur est à Liège, qu’un seigneur est « l’âme de cette affaire », qu’il est bien avec le maréchal de Saxe et qu’il a fait « nombre de parties avec le prince de Conti ! ».

En bref, « le 1er février 1749, la police met la main au collet de Boscheron et d’un certain François-Xavier d’Arles de Montigny » qui s’avère être la « personne de la première distinction ». Aux prises avec la justice dans les années 1740, cet aventurier avait néanmoins pu rejoindre les armées du maréchal de Saxe au titre de commissaire des guerres et se trouver à Liège lors de la fameuse bataille de Rocour, qui eut lieu près de la cité principautaire en 1746. Il y faisait aussi, dit-on, office d’espion chargé de traquer les agents prussiens infiltrés. On sait combien les lectures libertines ou « philosophiques » pouvaient occuper le « repos du guerrier ». Ainsi serait-il entré en contact avec Jacques de Lorme ou Delorme de La Tour, que les archives françaises de l’époque désignent comme l’éditeur, à Liège, de Thérèse et du Portier des Chartreux33. Ce personnage s’avère désormais la figure centrale de la question d’une édition liégeoise de Thérèse.

D’après J.-D. Mellot et É. Queval, Jacques Delorme de La Tour, d’origine parisienne, « marchand de vins et liqueurs », a exercé « la librairie à Liège de 1742 à 1750 au moins »34. Dès 1743, son nom apparaît à côté de celui de Bassompierre dans une édition, en huit volumes, de la Pamela de Richardson35. Il s’y présente comme « Marchand Libraire, près du Palais » (c’est-à-dire aujourd’hui près du palais de Justice). Le 18 février 1744, l’Oprechte Haerlemsche Courant annonce que les deux hommes vont mettre sous presse une nouvelle édition des Actions chrétiennes du P. Simon de la Vierge qui paraissent effectivement en 1744-174536. Delorme de La Tour y est donné à l’adresse de la « rüe des onze mille Vierges », autrement appelée rue Sainte-Ursule. Cette dénomination populaire ne manqua pas de donner lieu à quelques plaisanteries37. Bassompierre mentionne la rue des Onze Mille Vierges quand il met le nom de son confrère Jean Dessain, qui y tenait établissement, au titre des Éclaircissemens présentés au Roi, par le Maréchal d’Etrées en 1758, avec celui du Parisien Simon38. L’année suivante, Pierre Rousseau, qui venait d’y fonder le Journal encyclopédique, s’en amuse également quand il publie à l’adresse de Dessain et d’un autre Parisien, Prault fils, des Lectures amusantes comportant des éditions de Zadig et du Monde comme il va39

L’année 1744 marque une rupture. Le prince-évêque Georges-Louis de Berghes meurt en décembre 1743. Il a eu l’étrange idée de léguer sa fortune aux pauvres de la ville – à quoi ne manquent pas de s’opposer les autorités religieuses, arguant que le testament léserait tous les indigents à venir, par la liquidation du capital… Bassompierre publie un provocateur Éloge du prince signé « J.F.B. » dont l’adresse l’associe à nouveau à Delorme de La Tour40. L’amorce d’un nouveau ré-gime stimule l’esprit d’entreprise des deux hommes, que l’on imagine sensibles à un progrès de la liberté de pensée. Le 22 avril 1745, l’imprimeur-libraire Everard Kints, à qui succédera Clément Plomteux, autre figure de proue de la contrefaçon liégeoise, adresse au nouveau prince-évêque, Jean-Théodore de Bavière, une protestation rappelant l’octroi qui lui a été attribué pour l’édition de la Gazette de Liège, le principal périodique de la ville41. C’est que Bassompierre et Delorme de La Tour ont déposé une Supplique très humble en vue de publier une gazette sous le titre de Recueil de nouvelles42. Édouard Poncelet (1865-1947) reproduit la protestation de Kints. Celui-ci relate comment, après qu’il est sorti de certaines difficultés rencontrées dans la vente de ses ouvrages, « certains libraires de cette ville, jaloux du train favorable que reprend son commerce, s’unissent pour le traverser et pour lui causer de jour en jour de nouveaux chagrins ». Une « passion toute opposée a perverti leur jugement » : « l’envie qui, avec des yeux louches, ne manque jamais de multiplier les objets, leur fait regarder Evrard Kints comme un homme qui réuniroit en sa seule personne une masse de privilèges, au grand préjudice de tous ses confrères ». Bref, « Bassonpiére et Delorme ont monté leur supplique très humble sur ce ton […] pour soulever, s’ils pouvoient, tout le corps de la librairie et associer toute une ville à leur animosité particulière ». Ils ont même promis au prince-évêque une augmentation de sa « mense », de sa taxe sur la presse, « d’une somme de 700 florins Brabant », en le pressant « de vouloir écouter ses propres intérêts ». En vain.

Un mois après que Kints eut revendiqué ses droits par la réponse à la Supplique très humble, Delorme de La Tour faisait baptiser son fils Jean Marie Claude, le 20 mai 1745, à la paroisse Sainte-Ursule43. On observera que l’un des témoins de la cérémonie, Jean Marie Claude de Pichard, est qualifié d’« enseigne dans les troupes de Son Altesse Celsissime » et de « noble et généreux seigneur » sur une dalle funéraire de la famille44. Ceci devait faciliter les rapports avec un pouvoir qui, pour être ecclésiastique, n’en montrait pas moins, à ce qu’en disent les contemporains, une certaine tolérance en matière de morale. Le prince-évêque Jean-Théodore de Bavière, vivant surtout à sa cour bavaroise, ne sera-t-il pas réputé pour réserver ses séjours lié-geois à la visite des femmes de mauvaise vie45 ?

On s’accorde sur le fait que Thérèse philosophe commença à circuler clandestinement en 174846. Comme aucune édition ne porte cette date et qu’une post-datation de l’originale n’aurait aucun sens, Moureau considère qu’il faut chercher celle-ci parmi les quatre éditions non-datées qui portent respectivement à la BnF les cotes Enfer de 402 à 40547. Dans ces conditions, on pourrait éventuellement envisager une édition de Thérèse philosophe par Bassompierre et Delorme, laquelle concorderait avec les exemplaires trouvés chez la veuve Huet, à propos de laquelle on abordera un autre cas non moins célèbre48.

3. La fille de joie

Le célèbre roman de John Cleland, Fanny Hill, constitue le troisième titre mentionné par Capitaine. Celui-ci enregistre : « La fille de joie ou mémoires de Miss Fanny, écrits par elle-même. A Paris, chez madame Gourdan, 1786. In-8° de 235 pages en deux parties et 33 planches ». Dans les Notes de Bassompierre, l’ouvrage apparaît sous le titre de « Nouvelle traduction de Woman of Pleasure, ou la Fille de Joie, de M. Cleland : contenant les Mémoires de Mlle. Fanny, écrits par elle-même, avec figures libres en taille-douce ; 2 part. in-8vo, belle édit., 1777 ».

La Bayerische StaatsBibliothek conserve sous les cotes Rem.IV 2632-1 et 2632-2 deux volumes, en deux « Parties », de l’ouvrage complet49. La première s’ouvre, après l’avant-titre de La fille de joie, par un frontispice non signé suivi de deux pages de titre. La première est gravée, dans un cadre, et porte les inscriptions suivantes : « Nouvelle traduction de Woman of Pleasur [sic] ou Fille de Joye de M. Cleland Contenant Les Mémoires de Melle Fanny écrite par Elle-même Avec des Planches en taille douce Pre Partie [gravure] A Londres 1777 ». Une deuxième page de titre suit immédiatement. Non gravée, elle porte les inscriptions : « La fille de joie ou mémoires de Miss Fanny, écrits par elle-même [vignette] A Paris, Chez Madame Gourdan 1786 ». Le deuxième volume comporte également une page de titre gravée avec le titre de « Nouvelle traduction », etc., « Seconde Partie », une gravure et l’adresse « A Londres 1777 ». On aura compris que ces variations de titre, d’adresse et de date restituent pour ainsi dire l’histoire des deux titres qu’enregistrent, comme s’il s’agissait d’éditions séparées, les archives liégeoises. Ceux-ci ne forment en réalité qu’une seule et même édition, que revêtent des pages de titre diffé-rentes et qui remonte à 1777.

Ceci est confirmé par l’examen auquel H. S. Ashbee soumet un des ouvrages de sa collection50. Celui-ci se présente également en deux parties qui comportent des pages de titre gravées et offrent une pagination continue. Le célèbre bibliographe anglais observe que ces dernières « diffèrent par la forme des lettres » et par le libellé puisque « de M. Cleland » devient « Par Mr. Cleland » et que « Seconde Partie » est donné en entier au lieu de « Pre Partie ». Pour autant qu’on puisse voir, un exemplaire passé en vente chez Christie’s à Paris en décembre 2006 semble identique à celui possédé par Ashbee51.

U. Capitaine fait état, pour l’ouvrage portant en 1786 l’adresse de Madame Gourdan, tenancière de la plus célèbre maison de plaisir parisienne, d’un « in-8 de 235 pages en deux parties et 33 planches ». L’édition conservée à la Bayerische StaatsBibliothek a 116 pages pour la première partie et la numérotation continue porte le volume à 235 pages, en accord avec Capitaine. La numérotation des planches est également continue, de « PL A 1 » à « PL Y 21 », à quoi s’ajoutent deux planches qui marquent la fin des deux parties, numérotées 22 et 33 (« Les joies célestes »), ce qui concorde également avec la description de Capitaine.

La Bibliothèque nationale de France conserve également un exemplaire de l’ouvrage sous la cote Enfer 292. Celui-ci a le titre de La fille de joie, ou mémoires de Miss Fanny, écrits par elle-même, avec l’adresse de Madame Gourdan et la date de 1786. Il ne porte donc pas l’indication de première partie et la seconde fait suite sans page de titre particulière, peut-être pour tromper davantage le lecteur sur sa date réelle. Les gravures, pour autant qu’on ait pu voir, sont aussi celles de l’édition de 1777 (avec la même numérotation « 5bis » de la planche F, p. 38). Bref, le noyau originel que représentait en 1777 le corps de texte des éditions d’Ashbee et de la vente Christie’s a été remis en vente en 1786 sous diverses formes pour l’actualiser : une actualisation que saisissent les témoignages liégeois, dans leur apparente disparité.

Tout ceci invite à se poser la question du caractère mélangé que présentent les volumes mentionnés. On peut formuler au moins deux hypothèses. La première consisterait à envisager que, pour plus de sécurité, les deux volumes ont été expédiés séparément aux clients et que la police en a saisi un certain nombre, comme il arriva en 1777 et en 1786 (voir Darnton dans Corpus of Clandestine Literature, n° 259). Par conséquent, il aurait existé des exemplaires incomplets de l’un ou de l’autre volume, qu’il aurait fallu compléter en ajoutant le tome qui manquait. Dans l’autre hypothèse, l’édition de 1777 se serait vendue assez lentement pour qu’il en restât des exemplaires en chantier – par exemple en feuilles – neuf ans après sa première parution. Quoi de plus naturel que de vouloir les écouler en les liant ou reliant pêlemêle avec une prétendue « nouvelle édition » de 1786, qui n’aurait rien de nouveau en dehors de la page de titre ?

Ashbee note pour terminer que le texte de l’édition de 1777 « est le même que celui du n° 10 », c’est-à-dire une édition de la Nouvelle traduction de Woman of pleasur portant en 1770 l’adresse de Fenton à Londres52. Les parties commencent et se terminent de la même manière, respectivement par « Je vais te donner, ma chere Amie, une preuve indiscutable » / « qui tenoit une bonne hôtellerie, l’épousa » et « Tandis que j’étois embarrassée de ce que je deviendrois »/ « c’est de ne point divulguer mes égaremens, et de me croire, etc. ».

4. Le Portier des Chartreux

C. Duflo écrit :

Si l’on mesurait l’importance d’un livre à son retentissement, au nombre de ses rééditions, à sa circulation, à la fréquence de ses citations dans d’autres ouvrages, à la quantité de ses imitations et de ses continuations, alors l’Histoire de Dom B., portier des Chartreux, écrite par lui-même, de Gervaise de Latouche aurait toutes sortes de raisons de faire partie de l’ensemble très restreint des ouvrages majeurs au xviiie siècle au côté des plus grands et des mieux reconnus53.

Pour ajouter un témoignage concernant la fréquence de ses citations, parmi ceux qui sont généralement invoqués, on mentionnera la Correspondance de Madame Gourdan, dite la Comtesse, qui intéresse plus particulièrement notre propos puisque l’ouvrage est vendu par Bassompierre. Un courrier est adressé à celle-ci par « M. D**, Colporteur », le 22 juin 1780, annonce :

Je viens, Madame, de recevoir d’Hollande, d’une superbe édition, avec des gravures en taille-douce : la Pucelle, le Portier des Chartreux, Margot la ravaudeuse, les postures de l’Arétin, le Laurier ecclésiastique, la Fille de joie, les Délices du cloître, le Chapitre des Cordeliers, l’entretien de deux Nonnes, pour servir d’instruction aux jeunes demoiselles qui entrent dans le monde, l’ode à Priape, la foutromanie54.

Le Portier des Chartreux est le dernier ouvrage cité par U. Capitaine lors de la visite de la « chambre secrète » de la veuve Huet. Il se présente d’abord, ici, sous le même libellé que dans les catalogues de Bassompierre : « Histoire de Gouberdom, portier des Chartreux. Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée sous les yeux du St-Père. […] A Rome, 1788. In-8° ». Cette « belle édition, avec figures », annoncent les Notes, se compose de deux parties qui comptent respectivement, précise Capitaine, « 179 pages et 12 planches » et « 123 pages et 11 planches ».

P. Pia, invoquant « le n° 91 du catalogue de la vente Peyrefitte du 31 janvier 1977 », mentionne une « très belle et rare édition ornée de 2 frontispices et de 20 figures hors texte, libres, non signés », inconnue des bibliothèques publiques55. Pia ajoute opportunément :

Cette édition est probablement celle dont la B.N. ne possède que le tome II, sous la cote Enfer, 1258, car si cette cote recouvre bien deux volumes, le titre de son tome I est différent du titre de son tome II. Un ancien collectionneur aura complété l’un par l’autre deux tomes dépareillés appartenant à deux éditions différentes.

La Bibliothèque nationale d’Autriche possède également ces deux « parties » ou tomes, reproduits par Google56. Les titres de deux tomes ne sont pas seulement « différents », dans cet exemplaire. Le premier a une sorte de premier titre, entièrement gravé, sans date, avec l’adresse « A Grenoble De l’Imprimerie de la Gde Chartreuse », et un second titre avec vignette daté de 1786, avec l’adresse « A Rome ». La page de titre du second tome offre la même mise en page, les mêmes caractères typographiques, la même adresse et la même date, 1786, que la page de titre du premier, avec une autre vignette.

Le bandeau composé qui ouvre le tome II est exactement identique à celui figurant au tome II de la Fille de joie, qui porte la date de 1777 [Fig. 1]. Tous montrent la double caractéristique de la partie centrale : une asymétrie des fleurons en croix (4 à gauche, 5 à droite) et une autre asymétrie des fleurons qui constituent le cadre intérieur (homogènes au-dessus, interrompus par une croix en bas). Les compositeurs étaient en général assez respectueux de la combinatoire des éléments agrégés. La malfaçon signale une composition des bandeaux réalisée non seulement dans le même atelier, mais à des dates très proches. Bref, la Fille de joie, tant dans le volume de 1777 que dans celui de 1786, et l’Histoire de Gouberdom ont vraisemblablement été composés et imprimés en 1786 [Fig. 3 à 5].

Fig. 1. Bandeau présent dans le t. II de La Fille de joie (1777) et dans le t. II du Portier des chartreux (1786).

Fig. 2. Page de titre du t. 2 de l’Histoire de Gouberdom, portier des chartreux (1786) [Österreichische Nationalbibliothek].

Fig. 3. Histoire de Gouberdom, portier des chartreux (1786), t. 2, p. 1 [Österreichische Nationalbibliothek].

Fig. 4. Titre gravé de La Fille de joie (1777) [Bayerische StaatsBibliothek, Rem.IV 2632-2].

Fig. 5. La Fille de joie (1777), p. 117.

Qu’en est-il des illustrations ? La différence entre le nombre relevé par U. Capitaine (12 + 11) et celui des planches dans l’exemplaire de la Bibliothèque de Vienne (12 + 9) étonnera moins si l’on considère que la série du tome II est moins homogène que celle du tome I. En effet, si celui-ci a des « figures » numérotées de PL 2 à PL 12, sans compter le frontispice, quatre planches du tome II (PL 17-20) portent des indications de pages qui ne correspondent pas au texte (p. 258 à 260 et p. 304). Ces dernières illustrations ont sans doute été empruntées à une autre édition : pour suppléer l’absence ou la perte de certaines « figures » ? À nouveau, l’éditeur a usé librement du réemploi de réalisations précédentes. La gravure du premier titre, à l’adresse de « Grenoble », a dû lui sembler suffisamment attractive pour qu’il redouble ainsi la page de titre.

Les Notes de Bassompierre ne font pas état des suites données au Portier des Chartreux, mentionnées par C. Duflo : La tourière des Carmélites de Meusnier de Querlon (1745, 1774), les Mémoires de Suzon, sœur de D. B. (1778, 1783 ?), Histoire de Marguerite, fille de Suzon, nièce de D. B. (1784)57. Élément matriciel de cette chaîne de lectures, le Portier dut entretenir dans une principauté ecclé-siastique un singulier ébranlement des valeurs traditionnelles « en substituant la norme naturelle aux commandements religieux », conclut Duflo, tandis que l’ouvrage trouvait sa place « dans l’histoire de la circulation comme de l’élaboration des idées hétérodoxes des Lumières »58.

Conclusion provisoire

À la fin de la notice sur l’édition de Fanny Hill correspondant à celle trouvée chez la veuve Huet et annoncée par Bassompierre, Ashbee note à propos des gravures, qui « ne sont certainement pas de Borel et Eluin » : « elles sont dans le même style, et possiblement dues au même artiste, que celles figurant dans la grande édition in-8, sans date, de Thérèse philosophe, dans L’Académie des dames. Venise chez Pierre Arretin, sans date, de même que dans Le Portier, Grenoble de l’Imprimerie de la Grande Chartreuse ». On vient de voir que l’édition supposée liégeoise du Portier des Chartreux comportait dans l’exemplaire de Vienne une première page de titre gravée qui a précisément cette adresse de « Grenoble ». En faut-il beaucoup plus, outre les concordances d’ornementation composée, pour croire que les éditions mentionnées par Ashbee proviennent effectivement du même atelier – qu’il ne désigne pas ?

On a aussi toutes les raisons de croire qu’elles sont dues à la collaboration probable de Bassompierre et de Delorme de La Tour. Le duo nous est apparu décidé, dès 1743-1744, à faire flèche de tout bois. Le séjour des troupes françaises à Liège à la fin de la guerre de Succession d’Autriche ouvrira largement le commerce du livre prohibé, ainsi qu’en témoigne tel édit liégeois de février 1749 illustré par les travaux pionniers de P.-P. Gossiaux59. Les circulations du conflit fournirent-elles aux imprimeurs l’occasion de donner la première édition de Thérèse philosophe ? Ce n’est pas encore assuré. C. Duflo n’a sans doute pas tort de se limiter à écrire, dans l’édition donnée par C. Seth, et Cl. Blum, que l’ouvrage fut d’abord « imprimé à Liège en 1748 »60. Que la première édition de Thérèse vendue sous la Révolution par la maison Bassompierre remonte à près d’un demi-siècle plus tôt et ait été aussi longtemps conservée ne surprendra que si l’on ne tient pas compte de l’entreprise que représentait l’impression, et particulièrement le coût des gravures, d’où le prix élevé de l’ouvrage – dix livres – en 1793. Il n’est d’ailleurs concurrencé, au catalogue, dans le même genre, que par… L’Académie des dames, L’Histoire de Gouberdom et Fanny Hill. En outre, l’absence de censure pendant la première période de la Révolution favorisait la publication (et partant la circulation) de toute sorte de livres graveleux, voire pornographiques, et surtout de ceux qui s’attaquaient à la monarchie et à l’Église.

Que tous ces ouvrages s’y présentent aussi avec les dates de 1776 ou 1777 ne peut rendre indifférent le fait que Thérèse soit aussi proposé par Bassompierre en « 2 vol. pet. in-12, belle édit. avec toutes les fig. » en 1776, au prix plus modeste de six livres. La vieille École des filles de 1655, que l’on dit « le premier roman libertin du xviie siècle », apparaît aussi en 1776 au catalogue de Bassompierre61. À l’époque, un nouveau prince-évêque a accédé au trône de saint Lambert. François-Charles de Velbruck n’offre pas une figure de libertin, mais tout de même celle de penseur assez libre et de francmaçon. Jean-François Bassompierre le père avait-il retrouvé les circonstances favorables qui avaient, comme dans les années 1740, excité son audace en matière de « curiosa » ? Son fils, qui travaillait officiellement avec lui depuis une vingtaine d’années, depuis que leurs noms se trouvaient accolés à l’adresse de la maison, aurait-il décidé de donner plus libre cours à une production érotique vers laquelle l’inclinait son tempérament ? Anne-Catherine ne montrait pas une main moins ferme pour conduire le business. Mais, comme on l’a vu, c’est toute une équipe, toute une famille avec ses ramifications, qui devait pousser sans états d’âme trop moraux ou religieux la machine aux bénéfices.

L’atelier de la rue Neuvice a été quelquefois qualifié d’« égouts de l’Europe ». R. Darnton nous fait observer qu’à la différence de la « Maison Bassompierre », la Société typographique de Neuchâtel « n’imprimait pas de livres érotiques » et qu’elle les « tirait surtout de Genève, notamment d’éditeurs pauvres diables tels que les frères Téron »62. Les tableaux qu’il a dressés, concernant trente-cinq best-sellers commandés à la Société par une trentaine de « grands » et « petits » libraires français, entre 1769 et 1789, montrent cependant que l’atelier neuchâtelois n’en était pas moins sollicité pour la même littérature « dégoûtante »63. La Fille de joie, Thérèse philosophe, l’Histoire de dom B… figurent respectivement à la 14e, 15e et 35e places64. D’autres ouvrages érotiques sont aussi au palmarès : l’Arrétin de Dulaurens, la Putain errante, l’École des filles, dont il a également été question65 sans parler d’un ouvrage dont les avatars cachent parfois, comme les meubles à secret, un compartiment soustrait aux regards66. La « méthode liégeoise » d’adresser des ouvrages en feuilles, magistralement mise en évidence par Darnton, devait savoir exploiter la pratique du « lardage » ou de la « farce » qui consistait à « bourrer les feuilles d’un ouvrage par celles d’un autre », le premier titre cachant à la censure ou à la douane le contenu moins honorable du second. Charmet de Besançon commandait ainsi en 1775 les feuilles d’un ouvrage de Madame Riccoboni où se nichaient celles de la Chandelle d’Arras de Dulaurens – par parenthèses, un livre typiquement édité ou contrefait à Liège, Dulaurens ayant aussi les faveurs de Jean-Edme Dufour, ancien prote de Bassompierre, à Maastricht67. Malherbe de Loudun, l’année suivante, faisait glisser une École des filles dans la rubrique de la Liturgie des Protestants en France et la Fille de joie dans… le Nouveau Testament.

Le calvinisme de Neuchâtel ne voulait donc pas se compromettre en imprimant ce genre d’ouvrages, mais ceci ne l’empêchait pas de le mêler aux productions plus dignes dont il inondait la France. À côté des 436 et 426 volumes de la Pucelle d’Orléans et des voltairiennes Questions sur l’Encyclopédie, les 372 et 365 exemplaires de la Fille de joie et de Thérèse philosophe font peut-être tache, mais ne font pas mauvais chiffre en matière de ventes. Liège, on le répétera, ne s’embarrassait pas de ces scrupules, à la mesure d’une autorité cléricale qui savait fermer les yeux quand il était question d’intérêt commercial et quand le prince-évêque donnait la note, dans le genre d’un rapport relâché aux idées toutes faites et au traditionalisme de ses ouailles. Qui dira quel écart sépare ici la librairie catholique de celle d’autres centres typographiques réformés, comme ceux de Hollande à laquelle Liège sert de relais vers la France ? Pourquoi la librairie liégeoise n’en aurait-elle pas fait ses choux gras, après tout ?

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1 Daniel Droixhe, « Répertoire de “dessous le comptoir” des ouvrages vendus par la Maison Deoser, à Liège et à Spa », dans Le siècle des Lumières dans la principauté de Liège. Catalogue de l’exposition, Liège, Musée de l’Art wallon, 1980, notice 259, p. 135-136. Nous remercions R. Darnton pour l’aide apportée.

2 Almanach de la librairie 1781, p. 103.

3 Ulysse Capitaine, « Madame veuve Huet, bibliomane liégeois », Bulletin du bibliophile belge 8, 1851, p. 484-488.

4 Daniel Droixhe, Une histoire des Lumières au pays de Liège. Livre, idées, société, Liège, Éd. de l’Université de Liège, 2007, p. 93.

5 Ibid., p. 91.

6 Guy Philippart de Foy, Arbre généalogique de Jean-François-Gérard Bassompierre – https://gw.geneanet.org/gphilippartdefo?lang=fr&pz=silvie&nz=philippart+de+foy&p=jean+francois&n=bassompierre&oc=2 (s.d.).

7 Philippe Vanden Broeck, « Jean-François-Gérard Bassompierre et les “infortunes de la vertu”. À propos d’un mariage manqué », La vie wallonne 55, 1981, p. 233-238.

8 Almanach de la librairie 1781, p. 103.

9 G. Philippart de Foy, Arbre généalogique…, op. cit. [n. 6].

10 D. Droixhe, Une histoire des Lumières…, op. cit. [n. 4], p. 93. À l’ancien numéro 958.

11 Répertoire des imprimeurs et éditeurs suisses actifs avant 1800, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, art. « Jean-François Bassompierre ».

12 Robert Darnton, Un tour de France littéraire. Le monde du livre à la veille de la Révolution, Paris, Gallimard, 2018, p. 48, 262 ; Muriel Collart, « Un imprimeur liégeois à Genève. L’autre Jean-François Bassompierre (1745-1821) » (à paraître).

13 Joseph Brassinne, « L’imprimerie à Liège jusqu’à la fin de l’Ancien Régime », dans Histoire du livre et de l’imprimerie en Belgique. Cinquième partie, Bruxelles, Le Musée du Livre, 1929, p. 40.

14 Robert Darnton, The Forbidden Best-Sellers of Pre-Revolutionary France, New York-Londres, Norton & Company, 1996, p. 72, 86, etc.

15 Colas Duflo, Philosophie des pornographes, Paris, Seuil, 2019, p. 25.

16 Pascal Pia, Les livres de l’Enfer. Bibliographie critique des ouvrages érotiques dans leurs différentes éditions du xvie siècle à nos jours, Paris, Fayard, 1998, p. 197, col. 345-346.

17 BnF, NUMM-1520381 ; BSB 36602315610019 – https://books.google.be/books/about/L_Académie_des_Dames.html?id=7cRNAAAAcAAJ&redir_esc=y .

18 Communication du 10 avril 2019.

19 Daniel Droixhe, « Systèmes ornementaux. Le cas liégeois », Études sur le xviiie siècle 14, 1987, p. 39-74.

20 R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers, op. cit. [n. 14], p. 15.

21 BSB, Rem.IV 844-1/2 – https://books.google.be/books/about/Académie_des_dames_ou_les_entretiens_ga.html?id=jctNAAAAcAAJ&redir_esc=y

22 BnF, Enfer 272-273 – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1513939j

23 BnF, Enfer 274-275 – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1513757sBSB, OPACplus, Rem.IV 2812-1 – https://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10781797.html et Rem.IV 2812-2 – https://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10781798.html. Voir le Müchener Digi-talisierungszentrum (MDZ). Nous remercions vivement Madame Nicole Ledl de la BSB pour l’aide apportée.

24 https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30240283m

25 Or008 – http://db-prod-bcul.unil.ch/ornements/scripts/Ornement.html?NoClassement=Or0008.

26 Simon Burrows, Enlightenment Bestsellers. The French Book Trade in Enlightenment Europe II, Londres et al., Bloomsbury Academic, 2018, p. 2-3.

27 Acad. des dames, Paphos, p. 51 ; Nouv. Môr., n° 768 ; Nouv. exp., p. 159. Ce modèle avec chérubin tenant un long bâton, à côté d’une grande coquille, a été souvent copié ; on le trouve à Liège sous une forme également sommaire chez de Boubers (no 233) et Plomteux (no 288).

28 Nouv. trad., 1775, t. I, p. 20 ; Nouv. trad., 1776, t. I, p. 16 ; Acad. des dames, Paphos, t. I, p. 30.

29 T. II, p. 13.

30 T. I, p. 214 ; t. II, p. 195.

31 C. Duflo, Philosophie des pornographes, op. cit. [n. 15], p. 20-27, 105-106, 143, etc.

32 Raymond Trousson, « Textes établis, présentés et annotés », dans Romans libertins du xviiie siècle, Paris, Club France Loisirs,1993, p. 560-561. Voir aussi François Moureau, « Texte établi, présenté et annoté », dans Thérèse philosophe ou Mémoires pour servir à l’histoire du père Dirrag et de mademoiselle Éradice, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2000.

33 Jean-Paul Belin, Le Mouvement philosophique de 1748 à 1789, Paris, Belin frères, 1913, p. 42-43 ; Archives de la Bastille, XII, 296, 344 et 428 ; Nouv. Acq. de la BnF, 1755, 1214, 153 et 1761, 1214, 345, 350.

34 Jean-Dominique Mellot et Élisabeth Queval, Répertoire d’imprimeurs-libraires (vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004, p. 187.

35 Paris, Bibl. de l’Arsenal, 8-BL-29925 (1-8).

36 Xavier de Theux de Montjardin, Bibliographie liégeoise. Deuxième édition, augmentée, Nieuwkoop, De Graaf, 1973, col. 536-537.

37 Théodore Gobert, Liège à travers les âges. Les rues de Liège. Nouvelle édition du texte original de 1924-1929, Bruxelles, Éditions Culture et civilisation, 1977, t. XI, p. 14-suiv.

38 https://books.google.be/books?id=vG8-AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

39 Jean Leduc, « Problèmes bibliographiques du dix-huitième siècle », Dix-huitième siècle 4, 1972, p. 367-373.

40 X. de Theux de Montjardin, Bibliographie liégeoise, op. cit. [n. 36], col. 538.

41 Daniel Droixhe, Le Marché de la lecture dans la Gazette de Liège à l’époque de Voltaire, Liège, Vaillant-Carmanne, 1995.

42 Édouard Poncelet, « Les imprimeurs de la “Gazette de Liège” au xviiie siècle », Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois 5, 1892-1895, p. 78-91, qui écrit que le mémoire de Bassompierre fut imprimé sous le titre de Supplique très humble pour J.-F. Bassompierre et Jacques Delorme de la Tour, libraires en cette ville, in-fol. de 4 pages (inconnu à de Theux).

43 Registres paroissiaux, Naissances, Par. Sainte-Ursule, 1745, p. 225. Il a pour épouse Else Annie Clerc. Son fils sera lui-même imprimeur-libraire, imprimeur du roi, de monseigneur l’évêque et du clergé (1768 ?-1799).

44 Ainsi le mentionne la dalle funéraire de sa famille, qui le dit « chevalier du Saint-Empire romain, ancien officier de Sa Sérénissime Éminence, décédé le 22 juillet 1754 » (Bulletin des Commissions royales d’art et d’archéologie 70, juillet-déc. 1931, Bruxelles, Hayez, 1931, Rapport de l’assemblée générale de la Commission royale des monuments et des sites, p. 305-306).

45 D. Droixhe, Une histoire des Lumières…, op. cit. [n. 4], p. 49-50.

46 P. Pia, Les Livres de l’Enfer, op. cit. [n. 16], p. 741, col. 1424 ; C. Duflo, Philosophie des pornographes, op. cit. [n. 15], p. 105.

47 Moureau propose ses observations à partir des « exemplaires conservés à l’Enfer de la BnF et qui sont la collection la plus vaste d’éditions anciennes connues » (p. 59). Comme lui, on ne tient pas compte ici des autres éditions que signalent H. Cohen et J. Gay, qu’on n’a pas vues. Pia y ajoute trois éditions non conservées à la BnF qui ont chacune l’adresse de « La Haye ».

48 Nous ne comprenons pas l’expression d’Emmanuel Boussuge, « Histoire de la première édition de Dom Bougre (1740) », Dix-huitième siècle 49, 2017, p. 415, quand il évoque, à propos de Thérèse philosophe, « l’imprimerie initiale située près de Liège ». Sur la « distribution parisienne », les « réseaux » et la circulation des ouvrages dangereux à Paris, voir Daniel Droixhe, « Un essai de topographie et d’économie du livre prohibé. La rafle des colporteuses parisiennes de 1766 », dans La Communication en Europe. De l’âge classique au siècle des Lumières (avec 72 cartes), éd. Pierre-Yves Beaurepaire, Paris, Belin, 2014, p. 265-292. Sur la liaison entre les Pays-Bas et la librairie rouennaise, particulièrement celle de Machuel, voir Jean Quéniart, L’Imprimerie et la librairie à Rouen au xviiie siècle, Paris, Klincksieck, 1969, p. 157, 167, etc. ; Marie-France Gérard, Aspects de l’édition et de la librairie à Liège sous le règne de Charles-Nicolas d’Oultremont (1763-1771), Université de Liège, Mémoire de licence en philologie romane, 1969, p. 92-suiv.

49 https://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10781729.html; https://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10781730.html.

50 Henry Spencer Ashbee, Catena Librorum Tacendorum: Being Notes BioBiblio-Icono-Graphical and Critical, on Curious and Uncommon Books, by Pisanus Fraxi, London, Privately Printed, 1885, p. 76-78.

51 https://www.christies.com/lotfinder/Lot/cleland-john-1709-1789-la-fille-de-joie-4839922-details.aspx.

52 H. S. Ashbee, Catena Librorum Tacendorum, op. cit. [n. 50], p. 75-76. Voir https://books.google.co.uk/books?id=AxlOAAAAcAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false. En fait, le nom de « Fenton » déguisait celui de plusieurs imprimeurs, tant anglais que français, remontant jusqu’en 1749, avec la parution de l’originale.

53 C. Duflo, Philosophie des pornographes, op. cit. [n. 15], p. 51. Sur l’attribution à Gervaise de Latouche, voir E. Boussuge, « Histoire… », art. cit. [n. 48]. Nous n’avons pu participer à la journée d’étude dédiée à l’ouvrage.

54 Charles Theveneau de Morande (?), 1784, Correspondance de Madame Gourdan, dite la Comtesse, avec une recueil de chansons à l’usage des soupeurs de chez Madame Gourdan, Londres, Chez Jean Nourse, Libraire, 1784, p. 56.

55 P. Pia, Les Livres de l’Enfer, op. cit. [n. 16], p. 335, col. 621-622.

56 ÖN, https://books.google.be/books/about/Histoire_de_Gouberdom_Portier_Des_Chartr.html?id=cjT2GqbaUmsC&redir_esc=y ; https://books.google.be/books/about/Histoire_de_Gouberdom_Portier_Des_Chartr.html?id=NApVDKeRyCMC&redir_esc=y.

57 Sur la Tourière des Carmélites, voir aussi R. Darnton, Un tour de France littéraire, op. cit. [n. 12], p. 337.

58 C. Duflo, Philosophie des pornographes, op. cit. [n. 15], p. 76.

59 Pol-Pierre Gossiaux, « Notices », dans Les Lumières dans la principauté de Liège. Catalogue de l’exposition, Liège, Musée de l’Art wallon, 1980, p. 109-suiv. ; Id., « Notices », dans Les Lumières dans les Pays-Bas autrichiens et la principauté de Liège. Catalogue de l’exposition, Bruxelles, Bibliothèque roy. Albert Ier, passim ; D. Droixhe, Une histoire des Lumières…, op. cit. [n. 4], p. 32-42.

60 Catriona Seth et Claude Blum, « Édition », Boyer d’Argens, Thérèse philosophe / Gervaise de La Touche, Dom Bougre, Paris, Garnier/Le Monde, 2010.

61 R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers, op. cit. [n. 14], p. 64-65, 86, etc. ; C. Duflo, Philosophie des pornographes, op. cit. [n. 15], p. 25.

62 Courriel de R. Darnton du 23 avril 2019 ; R. Darnton, Un tour de France littéraire, op. cit. [n. 12], p. 113, 133, 297 qui mentionne aussi Pierre Gallay.

63 R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers, op. cit. [n. 14], p. 60-suiv.

64 La Veuve Baritel à Lyon commande à la STN le Portier des Chartreux ; dans la même ville, Regnault commande l’ouvrage ainsi que l’Académie des dames et la Fille de joie ; le commerce avec Matthieu, de Nancy, inclut ce dernier titre et l’Académie des dames, etc. (R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers, op. cit. [n. 14], p. 5, 8, 26-27, etc.).

65 Sur la demande d’envoi à la STN de l’École des filles, des Anecdotes sur Mme la comtesse Du Barry, de la Fille de joie et de la Chandelle d’Arras par Letourmy, d’Orléans, voir R. Darnton, Un tour de France littéraire, op. cit. [n. 12], p. 340.

66 La STN édite L’observateur anglais de Pidansat de Mairobert. Celui-ci en intitula une continuation L’Espion anglais, où il publia en 1784 la « Confession d’une jeune fille », qui deviendra un classique de la littérature érotique, en tant que plaidoyer très détaillé en faveur de l’homosexualité féminine, sous le titre d’Anandria ou Confessions de Mademoiselle Sapho, contenant les détails de sa réception dans la secte anandrine, sous la présidence de Mlle Raucourt, et ses diverses aventures (voir la notice que nous avons consacrée sur le site Digit18 [https://www.swedhs.org /digit18/index.html] à l’ouvrage numérisé par google books : https://books.google.be/books?id=G-1NAAAAcAAJ&hl=fr&sitesec=reviews). On peut se demander ce qui explique la position du périodique, en treizième place, juste avant la Fille de joie et Thérèse philosophe. Voir aussi, sur la commande de L’Espion anglais par les libraires Bergeret, de Bordeaux, et Mossy, de Marseille, R. Darnton, Un tour de France littéraire, op. cit. [n. 12], p. 335. Sur l’identification de l’auteur du Portier des Chartreux avec Gervaise de La Touche dans L’Observateur anglais de 1777, voir E. Boussuge, « Histoire… », art. cit. [n. 48], p. 404. On notera aussi la présence, sur les sommets des échanges entre la STN et les libraires, des Anecdotes sur Mme la comtesse du Barry du même Pidansat de Mairobert. Voir Jean Sgard, « Pidansat de Mairobert, journaliste à deux visages », dans Nouvelles, gazettes, mémoires secrets (1775-18000), Karlstad University Studies 10, 2000, p. 15-25. Nous remercions J. Sgard de nous avoir communiqué cette étude. Voir aussi, sur les Anecdotes et sa demande à la STN par les libraires Bergeret (Bordeaux), Buchet (Nîmes), Letourmy (Orléans) et Pavie (La Rochelle), R. Darnton, Un tour de France littéraire, op. cit. [n. 12], p. 329-340. Sur la commune origine de l’édition de « Londres, 1775 » avec le Recueil nécessaire. Avec l’Évangile de la raison de Voltaire « Londres, 1776 », voir David Adams, Daniel Droixhe et Alice Piette, https://books.google.be/books/about/Anecdotes_sur_M_la_comtesse_Du_Barri.html?id=SVuZ8kIen9cC&redir_esc=y, Almanach de la librairie, 1781, Paris, Moutard (notice figurant sur le site Digit18 précité : 2019).

67 R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers, op. cit. [n. 14], p. 17-18 ; Caroline Kleinermann, L’Abbé Henri-Joseph Dulaurens et le monde de la littérature clandestine au xviiie siècle, mémoire de licence en langues et littératures françaises et romanes, Université de Liège, 2 vol., 1998 ; Caroline Kleinermann et Daniel Droixhe, « Les contrefaçons maastrichoises d’Imirce de l’abbé Dulaurens par Jean-Edme Dufour (1774, 1776) », Le livre et l’estampe 53, 2007, p. 79-101 ; D. Droixhe, « Quand Dulaurens publiait à Liège ses “obscénités” », Bulletin de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises, séance de l’ALLFB du 8 nov. 2008 – http://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/droixhe081108.pdf. Sur les éditions et contrefaçons de Dufour, du point de vue de la bibliographie matérielle, voir Muriel Collart, « Des beaux ornements aux belles bibliothèques. À propos de l’édition clandestine des Œuvres de Brantôme par Jean-Edme Dufour (Maastricht, 1779) », Histoire et civilisation du livre 13, 2017, p. 167-183 (Contrefaçons dans le livre et l’estampe, xve-xxie siècle, éd. Yann Sordet).