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Bibliothèques port-royalistes : 
la retraite et le combat

Anne-Claire VOLONGO

Université du Luxembourg

anneclairejosse@hotmail.com

Après la dispersion des Solitaires de Port-Royal des Champs en mars 1656, sur ordre du roi, Antoine Le Maistre écrit à son élève Jean Racine, demeuré sur place au château de Vaumurier :

Mon fils, […] mandez-moi si tous mes livres sont au château, bien arrangés sur des tablettes, et si tous mes onze volumes de saint Chrysostome y sont, et voyez-les de temps en temps pour les nettoyer. Il faudrait mettre de l’eau dans des écuelles de terre, où ils sont, afin que les souris ne les rongent pas. […] Bonjour, mon cher fils, aimez toujours votre papa comme il vous aime. Écrivez-moi de temps en temps. Envoyez-moi aussi mon Tacite in-folio1.

Ce court extrait suffit à exprimer l’attachement d’un maître à son élève, autant qu’à sa bibliothèque, pour laquelle Antoine Le Maistre manifeste la même sollicitude qu’à l’égard d’un être cher, à travers les recommandations qu’il transmet au jeune Racine pour la protection et l’entretien de ses livres. Il dut en coûter au premier des Solitaires de laisser derrière lui, fût-ce provisoirement, les centaines d’ouvrages qui alimentaient sa méditation quotidienne et ses travaux de traduction et d’édition de texte. Quoique retirés du monde et fuyant les vaines conversations, les Solitaires s’entretenaient de leurs travaux d’exégèse ou fourbissaient leurs armes pour la controverse dans ce lieu stratégique qui incarnait à la fois la retraite et le combat à Port-Royal : leur bibliothèque.

La présente étude est née de la confrontation de deux inventaires après-décès, celui d’Antoine de Rebours, connu de longue date, et celui d’Antoine Singlin, plus récemment découvert. Les deux prêtres ont en commun leur attachement à Port-Royal, où ils furent tous deux confesseurs des religieuses et des Messieurs de Port-Royal pendant plus de vingt ans, conformément à la volonté de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, leur maître spirituel. Durant tout leur sacerdoce, ils partagèrent en outre le même logement dans les dépendances de Port-Royal de Paris. Face à une telle symétrie de parcours, nous imaginions retrouver les mêmes similitudes dans leurs inventaires après-décès respectifs, qui contiennent tous deux la liste des ouvrages en leur possession. Or point n’est besoin d’une lecture approfondie pour remarquer les différences entre les deux bibliothèques, celle d’Antoine Singlin, pasteur accaparé par sa triple charge de directeur, prédicateur et confesseur, et celle d’Antoine de Rebours, prêtre dévoué à la maison de Port-Royal mais suivant aussi de près la controverse avec les protestants et passionné par le progrès scientifique. Quoique dévoués à la même communauté – on pourrait aller jusqu’à dire à la même cause, tant Port-Royal incarne alors le camp des Augustiniens dans la controverse théologique – les deux compagnons apparaissent bien éloignés l’un de l’autre dans leurs lectures.

Cette rapide observation a éveillé notre curiosité et suscité plusieurs questions : à l’intérieur de la sphère port-royaliste, aux personnalités et aux motivations si diverses, que peuvent nous révéler les bibliothèques des « amis de la vérité » ? Peut-on déterminer les contours d’une bibliothèque « janséniste » en parcourant les inventaires de livres des amis de Port-Royal2 ? Précisons d’emblée que ce questionnement concerne le premier Port-Royal, celui du xviie siècle, qui commence avec la réforme du monastère par la mère Angélique Arnauld, à partir de 1609, et prend fin en 1709 avec la destruction du monastère des Champs et plus encore avec la promulgation de la bulle Unigenitus en 1713, où la controverse déserte le terrain théologique au profit du seul terrain politique3. Précisons encore que le terme « janséniste » utilisé plus haut sera délaissé dans la suite de cette étude. Les historiens réservent désormais ce terme à la frange des théologiens la plus militante et engagée dans la controverse doctrinale ou aux acteurs de la lutte politique que mènent les héritiers de Port-Royal après 1713. En lui substituant les termes « augustinien » ou « port-royaliste », on embrasse la sphère plus large des dévots proches de Port-Royal et de sa lecture augustinienne de la théologie, de la spiritualité et de la morale.

Nous avons pour cette étude limité notre recherche au Minutier central des Archives nationales, considérant que la plupart des proches de Port-Royal vivaient à Paris ou y passèrent leurs dernières années, les derniers Solitaires des Champs ayant été contraints de quitter leur retraite à la fin du xviie siècle. Nous avons rassemblé treize inventaires après-décès comportant la description de la bibliothèque du défunt4. Certains étaient déjà identifiés comme celui déjà cité d’Antoine de Rebours ou l’exceptionnelle bibliothèque d’Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, qui a fait l’objet d’une édition méticuleuse par Odette Barenne5. La description de la bibliothèque de Pierre Nicole fait partie de son volumineux inventaire après-décès conservé à la réserve des Archives nationales mais ne semble pas avoir fait l’objet d’une étude spécifique jusqu’ici. Deux autres bibliothèques importantes mais méconnues sont à mentionner, car elles dépassent en nombre d’ouvrages les collections de Sacy et de Nicole : celle de la famille Sainte-Marthe, qui compte plus de 2000 volumes et celle de Charles-Nicolas Garson, syndic de la faculté de théologie de Paris, avec plus de 6 000 volumes.

La figure n. 1 présente les possesseurs et le nombre de volumes par bibliothèque. Nous avons choisi de les classer par ordre chronologique de la date du décès, afin de mettre en évidence les générations successives. Le premier, M. de Rebours, est mort en 1661 et le dernier, Charles-Nicolas Garson, disparaît en 1718. On compte neuf prêtres (Antoine de Rebours, Antoine Singlin, Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, Claude Grenet, Joseph Petit, Gabriel de Flésselles, Louis Marcel, Nicolas Mabille et Claude de Sainte-Marthe), trois théologiens (Noël de Lalane, Pierre Nicole et Charles-Nicolas Garson), un gentilhomme (Charles d’Albert, duc de Luynes). Afin de ne pas alourdir l’exposé, nous avons placé à la fin de cet article la référence de l’inventaire après-décès de chaque possesseur et une présentation sommaire de la bibliothèque décrite.

Fig. 1. Nombre total de titres et nombre de titres identifiés par possesseur.

Un premier aperçu de la taille de ces bibliothèques les situe d’emblée dans les collections importantes, eu égard à l’origine de leurs possesseurs, essentiellement des ecclésiastiques et des théologiens si l’on excepte le duc de Luynes. La plus petite collection est celle d’Antoine Singlin avec 188 volumes, la plus importante celle de Charles-Nicolas Garson avec 6 594 volumes. Notons que cette collection, comme celle de Sacy et celle de la famille Sainte-Marthe est le fruit d’au moins deux générations d’enrichissements et qu’à ce titre, la bibliothèque du duc de Luynes (1 164 volumes) et celle de Pierre Nicole (1 652 volumes) sont plus remarquables dans la mesure où elles ont été constituées ex nihilo par leur propriétaire. En ce qui concerne la bibliothèque de M. de Flesselles (1 238 volumes), nous ne disposons pas d’information sur sa constitution. Les autres collections, comprises entre 200 et 500 ouvrages, se placent dans la moyenne élevée des bibliothèques de clercs, si l’on en croit le relevé fait par Henri-Jean Martin à partir de deux cents inventaires après-décès de la même époque6.

Ces inventaires totalisent 16 351 volumes, dont 3 581 sont identifiés, soit 20 % du total. Notre étude n’a pu se soustraire au principal défaut de ces actes notariés, à savoir leur caractère lacunaire : soucieux de recenser uniquement les biens de valeur, c’est-à-dire, s’agissant de livres, les in-folio et certains in-quarto, les inventaires dressés par les huissiers assistés de marchands libraires négligent la plupart du temps les petits formats, dénombrés en paquets d’où émergent parfois quelques titres. Notons toutefois que notre échantillon dispose de plusieurs descriptions exceptionnellement détaillées, dont la bibliothèque de Sacy, décrite de manière exhaustive, celle de Joseph Petit, faisant une large place aux in-8° et in-12° comme celle de Charles-Nicolas Garson. Malgré la présence de ces exceptions intéressantes, c’est sur les in-folio et les in-quarto que notre étude devra se reposer pour l’essentiel de ses conclusions, c’est-à-dire sur les ouvrages de référence et de travail davantage que les livres de chevet de leur possesseur7.

Après la transcription des inventaires – tous inédits à l’exception de la bibliothèque de Sacy – nous avons classé les 3581 titres identifiés en prenant pour référence le classement Brunet-Parguez pour les livres anciens8.

Le graphique n. 2 présente la répartition des ouvrages identifiés selon leurs grandes disciplines :

Fig. 2. Répartition des ouvrages identifiés par disciplines.

Pour les besoins de cette étude, nous avons regroupé dans une catégorie distincte de la religion les ouvrages en relation avec Port-Royal, qu’ils soient l’œuvre de ses partisans ou de ses détracteurs. Si on additionne ces deux catégories, on obtient 1 670 ouvrages religieux, soit pratiquement la moitié des titres analysés. L’histoire constitue le deuxième grand massif de ces collections, avec un millier de titres, soit près du tiers des titres identifiés. Précisons que cette catégorie regroupe aussi bien l’histoire religieuse (histoire ecclésiastique, recueils conciliaires, hagiographie) que profane, ce qui ne fait que renforcer le poids écrasant du domaine religieux dans les bibliothèques étudiées. Dans ces collections très monochromes, les autres disciplines telles que les sciences et les arts, les belles-lettres et le droit ne représentent que 22 % du corpus, avec 802 titres. Ce sont donc la religion et l’histoire qui mobiliseront d’abord notre attention.

1. Les ouvrages religieux

Sans surprise, les Messieurs de Port-Royal comptent surtout des livres religieux parmi les lourds in-folio qui garnissent leurs « tablettes », ainsi que l’on désigne dans les inventaires les rayonnages des bibliothèques. Plus les collections sont restreintes, plus la présence des livres religieux tend à l’exclusivité : c’est le cas chez les pasteurs ayant charge d’âmes comme Singlin, Marcel, Grenet, ainsi que chez les théologiens Lalane et Nicole. Lorsque les collections dépassent le millier de volumes, il semble que leurs possesseurs aient nourri d’autres centres d’intérêts que le seul domaine religieux : la bibliothèque du duc de Luynes est de ce point de vue la plus équilibrée et ménage une large place aux belles-lettres et surtout à l’histoire dans ses grands volumes. L’immense bibliothèque de Charles-Nicolas Garson témoigne aussi d’une répartition égale des ouvrages religieux, historiques, littéraires et scientifiques, ce qui confirme l’hypothèse d’une bibliothèque en partie héritée ou reçue, tant semble démesurée la tâche de rassembler autant d’ouvrages sur des sujets aussi variés.

Les bibles sont naturellement présentes dans toutes les collections étudiées. La bibliothèque de Sacy se distingue toutefois avec plus de quarante volumes consacrés à la Bible ou à des livres particuliers : les grandes entreprises du xvie siècle comme la Polyglotte d’Anvers, la traduction de la Vulgate par Tremellius et celle de Vatable, la Bible hébraïque de Robert Estienne, la Polyglotte d’Antoine Vitré (1645), autant d’outils de travail pour la grande entreprise de traduction de la Bible par les Messieurs de Port-Royal, lancée par Antoine Le Maistre et poursuivie par son frère Sacy après la mort de son aîné en 1658. Le Nouveau Testament paraît en 1667, suivi des livres de l’Ancien Testament publiés les uns après les autres jusqu’en 1696. On remarque également dans la bibliothèque de Sacy un arsenal de concordances et de dictionnaires, accessoires indispensables du traducteur et de son équipe : l’Historia et concordia evangelica de Buissonius (1609), celle de Conrad Kircher (1607), de Pierre de Besse (1611), de Jansenius de Gand (1612) et celle d’Antoine Arnauld publiée en 1653 ; plusieurs lexiques et concordances hébraïques, en particulier ceux de Buxtorf (Concordantiae hebraicae, Bâle, 1632 ; le Thesaurus grammaticus linguae sanctae, 1620 ; Lexicon chaldaicum, talmudicum et rabbinicum, Bâle, 1639) et de Pagnino (Lexicon hebraicum, Cologne, 1614).

Dans les autres collections, on note l’omniprésence de la Vulgate, édition latine de la Bible par saint Jérôme, chez toutes les générations de possesseurs, depuis M. de Rebours jusqu’à Garson. Chacun dispose d’au moins une édition de ces « biblia vetera » ainsi que les désignent les inventaires, souvent accompagnée d’un exemplaire de la Polyglotte d’Anvers (Singlin, Luynes, Flesselles). On est davantage surpris par l’absence du Nouveau Testament de Mons, paru en 1667, et des traductions de l’Ancien Testament qui suivirent, dans les inventaires contemporains : aucun exemplaire de la Bible de Port-Royal chez Grenet, Nicole (qui participa pourtant à son élaboration), Flesselles et Garson. Cette lacune s’explique par le profil de ces clercs, familiers de la langue latine et attachés aux textes de référence, c’est-à-dire à la Vulgate et aux autres versions grecque et hébraïque de la Bible, alors que des personnalités comme celle du duc de Luynes, laïc, gentilhomme et courtisan, sont visiblement plus ouvertes aux entreprises de traduction en langue vernaculaire. Une constatation s’impose malgré tout : la possession d’une « Bible de Port-Royal » n’est pas une marque d’appartenance au cercle de Port-Royal.

Dans le domaine de l’exégèse biblique, c’est-à-dire des commentaires philologiques et doctrinaux de l’Écriture Sainte, plusieurs auteurs se distinguent, en premier lieu les jésuites. Ce sont en effet les écrits de théologiens espagnols et italiens de la Compagnie de Jésus, qui se diffusent dans toute l’Europe de la Contre-Réforme au début du xviie siècle et sont imprimés notamment à Paris. Citons ceux que l’on retrouve du début à la fin de la période dans au moins quatre bibliothèques : les jésuites espagnols Maldonado (In Evangelia, In Psalmos, In Sacram Scripturam) et Pineda (In Job, In Ecclesiasten, In Salomonem). Autre jésuite, cette fois d’origine flamande, Cornelius van Steene, latinisé en Cornelius a Lapide, figure dans les collections de Rebours, Lalane, Grenet et Mabille. Maître de l’abbé de Saint-Cyran au collège des jésuites de Louvain, Cornelius a Lapide connut un grand succès en France où ses ouvrages furent régulièrement réimprimés. Excellant dans l’art d’exprimer le sens allégorique des textes sacrés, ce théologien rendait par ses ouvrages de grands services aux prêtres désireux de faire entrer plus avant les fidèles dans la compréhension des Écritures. On note encore la forte présence d’un autre flamand, Cornelius Jansen, évêque de Gand (à ne pas confondre avec Cornelius Jansen, évêque d’Ypres et auteur de l’Augustinus). Figure majeure du concile de Trente, Cornelius Jansen a laissé de nombreux commentaires dont celui sur les Évangiles et le Pentateuque, présent dans dix des collections étudiées. Citons encore le douaisien Estius formé à Louvain et le hollandais Grotius : comme les auteurs précédemment cités, tous actifs durant la première moitié du xviie siècle, leurs écrits figurent encore dans les bibliothèques d’un Flesselles ou d’un Garson, à la fin du siècle. Seul commentateur français présent dans la moitié des bibliothèques étudiées, Antoine Godeau publie ses Paraphrases sur les Psaumes et ses Paraphrases sur les épîtres de S. Paul. Après 1670, on voit apparaître à plusieurs reprises des ouvrages de Bossuet : Apocalypse avec une explication (1689) et les Instructions sur le Nouveau Testament (1702) et une seule occurrence d’un ouvrage de l’oratorien Michel Mauduit, l’Analyse de l’Évangile (1697). Curieusement les Réflexions morales sur le Nouveau Testament, de l’oratorien et ami de Port-Royal Pasquier Quesnel (1671), ne sont mentionnées que dans une bibliothèque, celle de Louis Marcel. En résumé, dans le domaine des commentaires bibliques, on ne décèle aucune originalité dans les bibliothèques port-royalistes, qui se montrent ouvertes à l’offre contemporaine des libraires parisiens, promoteurs des auteurs phares de la Contre-Réforme.

Si les amis de Port-Royal lisent volontiers les exégètes contemporains, les commentateurs de l’Écriture Sainte par excellence, presque ses continuateurs, demeurent les Pères de l’Église, latins et grecs. L’abbé de Saint-Cyran y avait enraciné sa doctrine ; ses ouvrages comme sa correspondance sont imprégnés de cette familiarité acquise avec les textes patristiques. Rappelons que Paris devient au xviie siècle la capitale de la patrologie, tant par le nombre que la qualité des éditions imprimées. Ainsi que le faisait observer Henri-Jean Martin, « les traditions patrologiques sont peut-être une des constantes de la religion en France »9. Qu’en est-il dans les bibliothèques augustiniennes ?

Nous avons effectué le relevé systématique des œuvres des Pères présents dans les bibliothèques étudiées. Les textes patristiques faisant toujours l’objet de publications en grand format, la présence exhaustive des in-folio et de beaucoup d’in-quarto dans les inventaires garantit des résultats vraiment fiables pour cette discipline.

AugustinAugustin
Cyprien13
Bernard13
Tertullien12
Grégoire le Grand11
Basile de Césarée10
Hilaire8
Jean Chrysostome7
Ambroise7
Léon le Grand7
Jérôme7
Prosper d’Aquitaine7
Denis l’Aéropagite7
Athanase7
Épiphane7
Irénée de Lyon6
Justin6
Théodoret de Cyr6
Clément d’Alexandrie5
Grégoire de Nazianze5
Grégoire de Nysse5
Jean Damascène5
Optatus5
Origène5
Cyrille d’Alexandrie4
Jean Climaque4
Grégoire de Tours3
Cassien3
Fulgence3

Une nouvelle fois, la bibliothèque de Sacy fait exception, rassemblant quarante-cinq Pères latins et vingt et un Pères grecs. Elle est comparable dans ce domaine à la grande bibliothèque d’Antoine Godeau, évêque de Vence, dont le catalogue publié en 1666 recense plus de 3 200 volumes, dont soixante-dix pour la patristique10. Augustin, Cyprien et Bernard sont présents dans les treize bibliothèques étudiées. Tertullien est également lu par tous, à l’exception de Singlin. Arrêtons-nous sur ce dernier : peu instruit, Antoine Singlin ne correspond pas au profil des autres ecclésiastiques proches de Port-Royal. Sa bibliothèque le confirme, et en particulier le peu d’ouvrages patristiques qu’il possède : six en tout, alors que ses homologues disposent de vingt titres en moyenne. Il possède les trois auteurs en tête du classement, en latin pour Augustin et Bernard mais Cyprien est traduit en français. La pauvreté de sa collection en ouvrages patristiques vient renforcer la thèse selon laquelle Antoine Singlin n’est pas l’auteur des Instructions chrétiennes qu’on lui attribue, et qui étaient plus probablement préparées par Antoine Le Maistre ou Antoine Arnauld. Parsemées de citations des Pères de l’Église, les homélies imprimées sous le nom de Singlin nécessitaient une bibliothèque bien plus fournie que ne l’était celle du directeur de Port-Royal.

Revenons aux Pères les plus en faveur auprès des lecteurs augustiniens. Saint Augustin est naturellement le mieux représenté. D’après les informations recueillies dans les inventaires, l’édition utilisée par les port-royalistes de la première génération, c’est-à-dire ceux actifs entre 1640 et 1670, est celle des docteurs de Louvain, sortie des presses de Plantin, puis réimprimée à Paris par la Compagnie du Navire à partir de 1603 jusqu’en 1651. C’est l’édition de 1635-1637 que l’on retrouve chez Rebours, Lalane, Sacy, celle de 1651 pour Nicole et Marcel. Le même Marcel possède également l’édition des œuvres d’Augustin par les mauristes (publiée entre 1679 et 1700), comme les autres amis de Port-Royal de la seconde génération, tels Mabille et Garson qui ne disposent que de l’édition bénédictine. Concernant Bernard de Clairvaux, tous possèdent la même édition de 1645, élaborée par Horstius et imprimée par la Compagnie du Navire. Les œuvres de Cyprien sont quant à elles lues dans l’édition du flamand Pamelius imprimée à Anvers à la fin du xvie siècle et que l’on retrouve imprimée chez Nivelle à Paris en 1616 pour Nicole et 1643 pour le duc de Luynes. La bibliothèque de Sacy, quant à elle, contient cette première édition anversoise (1589) ainsi que la nouvelle édition des œuvres de Cyprien établie par Nicolas Rigault en 1648. Comme pour Cyprien, l’édition des œuvres de Tertullien établie par Pamelius à la fin du xvie siècle est remplacée en 1634 par celle de Nicolas Rigault et c’est cette édition dont disposent les possesseurs des bibliothèques que nous étudions, à l’exception de Lalane, en possession de l’édition de Pamelius.

Si l’on compare ce fragment des collections consacré à la patristique avec des statistiques contemporaines, on constate que saint Augustin demeure l’auteur le plus lu durant tout le siècle, même hors du cercle de Port-Royal, ainsi que Tertullien qui supplante même Augustin à certaines périodes du siècle. Bernard de Clairvaux et Cyprien sont en revanche moins représentés dans les collections du temps qu’ils ne le sont dans les inventaires port-royalistes. Concernant Bernard, cette faveur particulière s’explique par l’organisation quasi monastique qui régit la communauté des Solitaires, attirés par les écrits du fondateur de Clairvaux sur la retraite et la prière, et surtout par la proximité du monastère de Port-Royal, à l’intention duquel les Messieurs préparèrent des traductions de certains traités de Bernard. L’exigence de la réforme de Port-Royal, menée par Angélique Arnauld, passait par un retour aux sources de l’esprit cistercien à travers les écrits de son fondateur. Cyprien fut quant à lui l’objet de lectures approfondies en raison du conflit qui l’opposa au pape de son temps et chez lequel le camp augustinien puisa des arguments pour sa propre justification.

Le contraste est saisissant lorsqu’on passe au domaine de la théologie, où le nombre de volumes est inférieur à dix dans la plupart des bibliothèques, y compris celle du théologien Lalane et celle de Sacy, et le catalogue se resserre autour de quelques auteurs. Ainsi tous possèdent la Somme théologique de Thomas d’Aquin, à l’exception de Singlin, plusieurs la Summa ou les Opuscula du jésuite Becanus et la moitié d’entre eux les œuvres de Gerson. Ce sont le duc de Luynes et surtout Pierre Nicole qui possèdent le plus d’ouvrages de référence dans ce domaine, notamment en théologie morale : la Theologia moralis de Caramuel (1637), les Disputationes theologicae de Gonzalez (1677) ou les œuvres des pères Petau et Raynaud et la célèbre Theologia moralis du père Bauny (1640). Les deux seuls exemplaires des œuvres de Bérulle ne figurent également que chez Luynes et Nicole. Seule exception, Charles-Antoine Garson rassemble plus de 40 titres de théologie, qui balaient tout le siècle, de Claude d’Espence à Thomassin, en passant par les œuvres de Pierre le Chantre ou d’Hugues de Saint-Victor.

Hormis quelques spécialistes comme Garson, syndic de la faculté de théologie, ou le moraliste Nicole, l’intérêt de nos port-royalistes ne réside pas dans la théologie pour elle-même. En nous plongeant à présent dans l’impressionnant massif d’ouvrages de controverse et de discipline ecclésiastique, on s’aperçoit que ces pasteurs ou ces dévots laïcs étaient surtout préoccupés de la réforme des pratiques sacramentelles à l’intérieur de l’Église catholique, et de la lutte contre l’hérésie protestante, qui remettait en cause l’autorité de cette même Église. À ces préoccupations caractéristiques de la Contre-Réforme catholique s’ajoute un intérêt, certes plus ou moins marqué selon les bibliothèques, pour la question des prérogatives de l’Église de France face au Saint-Siège, en un mot du gallicanisme. Tous ces questionnements institutionnels, doctrinaux et spirituels ont préparé et nourri la réponse originale apportée par Port-Royal dans les débats contemporains : quelles traces nous en laissent les bibliothèques des « amis de la vérité » ?

La controverse anti-protestante est un sujet omniprésent dans les bibliothèques augustiniennes, durant tout le siècle. On doit aux bibliothèques de Sacy et de la famille Sainte-Marthe, résultat de plusieurs générations d’acquéreurs, de connaître les lectures qui précédèrent le premier Port-Royal, c’est-à-dire avant 1640. Déjà les ouvrages d’apologétique dirigés contre la doctrine protestante ou les ouvrages de protestants eux-mêmes se distinguent par leur nombre : côté catholique, les Controverses de Bellarmin (1613), le Rabelais réformé de Garasse (1619), la Calvini nova effigies de Romaeus (1622), le Stratagème ou la ruse de Charles IX, roy de France, contre les Huguenots de Capilupi (1574) ; côté protestant, les œuvres de Calvin, Zwingli et Melanchton dans leurs éditions du xvie siècle, les Plaintes du sieur Du Moulin, présentées au Roy, par Honorat de Meynier (1618), les ouvrages du pasteur protestant André Rivet, mais aucun ouvrage du pasteur Philippe Duplessis-Mornay. L’intérêt de M. de Rebours pour ce sujet ne se dément pas tout au long de sa vie : il possède la Méthode pour convertir les hérétiques de Richelieu. À vrai dire, c’est auprès de l’ensemble des prêtres chargés d’âmes que l’on retrouve ce souci d’apologétique pour consolider la foi des fidèles ou convertir les réformés : plusieurs possèdent des ouvrages de Théophile Brachet de La Milletière, ce protestant converti au catholicisme en 1645. Bossuet est bien représenté dans cette catégorie d’ouvrages (Histoire des variations des protestants, Conférence avec M. Claude, ministre de Charenton en 1682), ainsi que Pellisson (Réflexions sur les différends de la religion ou Chimères de M. Jurieu, 1690) ou les Motifs invincibles pour convaincre ceux de la Religion Prétendue Réformée (1682) de Jacques Lefebvre. Seul Singlin, une nouvelle fois, semble extérieur à cette préoccupation, sans aucun ouvrage s’y rapportant.

En se penchant sur la controverse anti-protestante, on rejoint inévitablement les grands thèmes de la Contre-Réforme que sont la défense et la valorisation de l’Eucharistie, de la messe et des sacrements en général. Les ouvrages concernant l’enseignement du catéchisme, la pédagogie des sacrements et la discipline ecclésiastique sont de loin la catégorie la plus fournie dans le corpus global des bibliothèques étudiées (250 titres). C’est de nouveau la préoccupation pastorale qui affleure ainsi que le souci d’être et de susciter de bons prêtres, respectueux de l’autorité épiscopale et exemplaires pour leurs fidèles. Pour ce type d’ouvrages, deux remarques s’imposent : une grande partie nous échappe certainement, étant donné le petit format qu’adoptait le plus souvent cette littérature. On note par ailleurs que ces ouvrages sont toujours contemporains de leurs possesseurs et qu’aucun d’entre eux ne conserve d’ouvrages de la génération précédente, exception faite encore une fois des bibliothèques transgénérationnelles comme celle de Sacy ou Sainte-Marthe. La première génération (1640‑1670) est portée sur des ouvrages plus théoriques que vraiment pratiques : L’idée du sacerdoce de Condren, Le directeur spirituel désintéressé (1631) et L’usage de la pénitence et de la communion (1644) de Camus, L’Eucharistie paisible de Du Bosc (1647), Le Sacerdoce de saint Jean Chrysostome, imprimé par Mgr Potier (1651), enfin les œuvres du cardinal Du Perron qui figurent dans presque toutes les bibliothèques. La deuxième génération (1670-1700) a largement recours aux manuels et traités proposant des conseils concrets et personnalisés : les Devoirs des maîtres et domestiques de Fleury (1688), la Méthode dans l’usage du sacrement de pénitence de Huygens (1678), le Devoir des mères avant et après la naissance de leurs enfants de Le Roy (1675), pour n’en citer que quelques-uns. Précisons que si Bossuet figure dans plusieurs bibliothèques pour son Traité de la communion sous les deux espèces (1682), ce sont Rancé (De la sainteté des devoirs de la vie monastique, 1683) et l’oratorien Thomassin (Discipline ecclésiastique, Traité historique de la célébration des fêtes, Traité des jeûnes) qui sont les plus représentés.

Les mêmes observations s’appliquent aux ouvrages de spiritualité : très représentés (240 titres), ils sont certainement encore plus nombreux que ce que les inventaires acceptent de nous en dire, ignorant les in-12 et in-24 qui sont justement l’apanage du livre de spiritualité. Comme pour la rubrique précédente, l’effet de génération se fait sentir : M. de Rebours et Singlin possèdent un ouvrage de Ruysbroeck, représentant de la mystique rhéno-flamande, que l’on ne retrouve plus dans les autres collections. En revanche La perfection du chrétien du jésuite Rodriguez ou le Combat spirituel de Scupoli figurent dans toutes les bibliothèques étudiées. De même François de Sales et Thérèse d’Avila sont présents dans la plupart des bibliothèques, la réformatrice du Carmel dans la traduction de Robert Arnaud d’Andilly (1670). Le Traité de l’oraison de Pierre Nicole (1679) est présent seulement dans les bibliothèques de Sacy et du duc de Luynes, la seconde édition intitulée Traité de la prière figure chez Joseph Petit.

Pour les besoins de cette étude, nous avons réservé une catégorie particulière à ceux des ouvrages religieux qui émanent du cercle de Port-Royal ou de ses pourfendeurs. La liste ci-dessous rassemble les ouvrages figurant dans au moins trois des inventaires étudiés. Le chiffre précise le nombre de collections concernées pour chaque titre.

Cornelius Jansenius, Augustinus, 1640 ou 1643 (11)

Antoine Arnauld, De la Fréquente Communion, Paris, 1643 (9)

Jean Duvergier de Hauranne, Lettres chrestiennes et spirituelles, 1645 (8)

Louis Gorin de Saint-Amour, Journal, 1662 (7)

Antoine Arnauld, Pierre Nicole, Perpétuité de la foi de l’église catholique touchant l’Eucharistie, défendue contre le livre du sieur Claude, ministre de Charenton, Paris, 1669-1674 (6)

Blaise Pascal, Lettres provinciales (6)

Antoine Arnauld, Tradition de l’Église sur le sujet de la pénitence, 1644 (5)

Pierre Nicole, Essais de morale et continuation, 1687- (5)

Robert Arnauld d’Andilly, Vies de plusieurs saints illustres, Paris, 1664 (5)

Antoine Arnauld, Apologie pour les catholiques contre les faussetés d’un livre intitulé La Politique du Clergé de France, Liège, 1681-1682 (4)

Antoine Arnauld, Apologie pour les saincts Pères de l’Église, Paris, 1651 (4)

Martin de Barcos, Grandeur de l’Eglise romaine établie sur l’autorité de S. Pierre et S. Paul, Paris, 1645 (4)

Antoine Arnauld, Renversement de la morale de Jésus-Christ par les erreurs des calvinistes touchant la justification, Paris, 1672 (4)

Antoine Arnauld, Autorité de S. Pierre et S. Paul, Paris, 1645 (4)

Antoine Le Maistre, Plaidoyers, Paris, 1655 (4)

Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, Lettres chrestiennes et spirituelles, Paris, 1690 (4)

Godefroy Hermant, Vie de S. Athanase, Paris, 1671 (4)

Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, Histoire des empereurs, Paris, 1690-1697 (4)

Thérèse d’Avila, Œuvres, trad. par Robert Arnauld d’Andilly, 1670 (3)

Antoine Arnauld, Apologie de M. de Saint-Cyran, Paris, 1645 (3)

Nicolas Filleau de la Chaise, Discours sur les pensées de M. Pascal, 1672 (3)

Godefroy Hermant, Défense de la foi de l’Eglise catholique contre les mensonges de Jean Labadie apostat, Paris, 1651 (3)

Louis de Pontis, Mémoires, Paris, 1676 (3)

Pierre Nicole, Préjugés légitimes contre les calvinistes, 1671 (3)

Blaise Pascal, Pensées, 1670 (3)

Denis Petau, De la pénitence publique et de la préparation à la communion, Paris, 1644 (3)

Jean Duvergier de Hauranne, Œuvres, Paris, 1679 (3)

Claude de Sainte-Marthe, Défense de la foi des religieuses de PR et de leurs directeurs, Paris, 1667 (3)

Claude de Sainte-Marthe, Traités de piété, Paris, 1703 (3)

Antoine Singlin, Instructions chrétiennes, Paris, 1671 (3)

Jean Claude, Réponse aux deux traités de la Perpétuité de la foy, 1665 (3)

Godefroy Hermant, Vie de S. Bazile et de S. Grégoire de Nazianze, Paris, 1674 (3)

Godefroy Hermant, Vie de S. Ambroise, Paris, 1678 (3)

Antoine Le Maistre, Vie de S. Bernard, Paris, 1648 (3)

Isaac-Louis Le Maistre de Sacy, Vie de dom Barthélemy des Martyrs, Paris, 1663 (3)

Pierre Thomas du Fossé, Histoire de Tertullien et Origène, Paris, 1675 (3)

Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, 1693-1712 (3)

La présence de l’Augustinus dans presque toutes les bibliothèques est une marque éclatante de l’attachement des possesseurs à la doctrine du Docteur de la grâce et à ses défenseurs, plus qu’un instrument de travail. Il est en effet peu probable que les proches de Port-Royal aient réellement lu et utilisé ce lourd in-folio. Même symbolique, la présence de l’ouvrage par qui le scandale arriva est une spécificité des bibliothèques augustiniennes car les statistiques réalisées sur des inventaires contemporains comptabilisent à peine cinq exemplaires de l’Augustinus pour 200 collections. Au contraire la pénétration des ouvrages de Saint-Cyran et plus encore d’Antoine Arnauld est un phénomène général qui dépasse les seules bibliothèques augustiniennes : dans son étude, Henri-Jean Martin insiste sur la rapidité de pénétration de ces ouvrages (trente-cinq ouvrages d’Arnauld et dix-huit ouvrages de Saint-Cyran sur 200 inventaires étudiés entre 1670 et 1700)11. Pour ce qui concerne les bibliothèques que nous étudions, il convient de faire la part des générations successives et d’observer les permanences des publications les plus anciennes : après l’Augustinus, c’est la Fréquente Communion que l’on retrouve jusqu’aux années 1700 dans les collections. L’ouvrage d’Antoine Arnauld, écrit en français et portant sur la question concrète de la fréquentation du sacrement de l’Eucharistie, avait en effet entraîné de nombreuses conversions de fidèles et déclenché le débat que l’Augustinus seul n’aurait su provoquer dans l’opinion. Après les ouvrages d’Arnauld, ceux de Saint-Cyran sont également présents dans toutes les bibliothèques augustiniennes : l’Oracle de Notre-Dame demeure le directeur spirituel par excellence à Port-Royal, même si cette direction s’exerça surtout par correspondance, depuis la prison de Vincennes où Saint-Cyran passa les cinq dernières années de sa vie, de 1638 à 1643, d’où la présence de ses lettres dans les bibliothèques augustiniennes. Antoine Arnauld, le combattant, et Saint-Cyran, le reclus, ne représentent-ils pas la figure originale, quoique paradoxale, de Port-Royal ?

Les autres ouvrages du classement appellent encore quelques commentaires. La préférence accordée aux grands formats pour les inventaires entraîne certainement une vision faussée des collections : ainsi le Journal de Saint-Amour a été systématiquement inventorié car il s’agit d’un in-quarto, de même que les Plaidoyers de Le Maistre, plus nombreux mais certainement moins lus que la Vie de S. Bernard par le même auteur. Il faut consulter l’inventaire exhaustif de la bibliothèque de Sacy pour mesurer l’importance des libelles et ouvrages de controverse en petit format qui échappent à bien des inventaires. Notons tout de même la présence des Provinciales et des Pensées de Pascal, présentes dans tous les inventaires contemporains de leur publication. Il en va de même pour les Essais de morale de Pierre Nicole, jugés assez précieux par les marchands-libraires chargés des inventaires pour y figurer malgré leur petit format.

Concluons le domaine religieux en entrant déjà dans l’histoire avec la catégorie très fournie de l’histoire de l’Église, recueils conciliaires et hagiographie. Deux collections se détachent nettement, celles de Sacy et de Garson, décrites de manière exhaustive et qui rassemblent 400 titres d’histoire religieuse. La bibliothèque de Sainte-Marthe est aussi bien fournie dans ce domaine et c’est probablement la mise à l’écart des petits formats dans l’inventaire qui l’empêche de se hisser à la hauteur des deux précédentes. C’est dire si l’ensemble de la production du xviie siècle est représenté dans les bibliothèques augustiniennes. Aussi nous bornerons-nous à signaler les titres présents dans d’autres bibliothèques en plus de ces trois bibliothèques de référence : les Annales et le Martyrologe de Baronius, les De rebus sacris et ecclesiasticis exercitationes cardinalis XVI, ad Baronii prolegomena (1614), l’ouvrage de chronologie universelle du jésuite Petau, Rationarium temporum (1633 et 1641), les Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, de Tillemont, publiés de 1693 à 1712, une Histoire de l’Église par Louis Cousin (1676) et surtout l’Historia ecclesiastica d’Eusèbe de Césarée présente dans neuf bibliothèques dans sa version latine ou française. Pour l’histoire des conciles, on retrouve plusieurs exemplaires des Concilia generalia de Labbe et les Concilia antiqua Galliae de Sirmond (1629). Pour ce qui regarde, l’histoire du clergé et des ordres religieux, c’est l’ordre de Cîteaux qui suscite le plus grand intérêt, avec en particulier l’Essai de l’histoire de l’ordre de Cîteaux, par Le Nain (1697), ainsi que les ouvrages relatifs à La Trappe et à Rancé. Les ouvrages de dom Mabillon sont seulement présents dans les collections les plus récentes, étant donné leur date de publication. On compte tout de même son traité De re diplomatica (1681) dans la bibliothèque de Sacy. Concernant l’hagiographie, il faut citer les travaux des port-royalistes Hermant, Le Maistre et Arnauld d’Andilly, mais on trouve autant d’exemplaires d’autres auteurs comme la Vita sancti Augustini de Rivius (1646).

2. Les livres d’histoire profane

Si l’on aborde l’histoire profane, les intérêts varient d’un possesseur à un autre. La bibliothèque de Sacy ne possède, pour l’histoire antique, que les historiens grecs et latins (Pline, Tacite, Hérodote, Tite-Live…) mais est dépourvue de tous les travaux récents des érudits de la République des Lettres sur les inscriptions, monnaies ou médailles, que l’on trouve par dizaines chez Garson. Pour l’histoire de France, tous les possesseurs de collections importantes détiennent les chroniques de Joinville, Monstrelet ou les travaux de leurs contemporains, Baluze, Pasquier, Duchesne, Pithou. Chez Luynes comme chez Sacy, on trouve en outre ces dizaines de généalogies et histoires des grandes lignées de la noblesse française : l’Histoire de la maison de Courtenay de Du Bouchet (1661) ou l’Histoire de plusieurs maisons de Bretagne par Dupas (1619), les histoires de la maison de Chatillon, de Dreux, de Guines, de Béthune, etc. par André Duchesne. La grande collection de Garson ne compte aucune de ces études régionales ou familiales. En-dehors de Sacy, Luynes et Garson, les autres possesseurs comptent peu de livres et toujours les mêmes : l’Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou, les Recherches de la France de Pasquier (1643). Concernant les histoires des autres pays, la collection de Garson est indéniablement plus fournie que celles de Sacy ou de Luynes, très similaires au demeurant. En dehors de ces trois possesseurs, seul M. de Rebours possède quelques ouvrages d’histoire étrangère limités à l’Italie et à l’Angleterre : les travaux de Sarpi et Paruta pour l’Italie et les Rerum Britannicarum scriptores du flamand Commelinus (1587). En résumé, l’histoire profane est l’apanage de quelques grandes collections, la majeure partie des bibliothèques étudiées ne possédant que des ouvrages d’histoire religieuse.

3. Les livres politiques

Il nous faut à présent dire un mot des ouvrages politiques, et en particulier ceux d’inspiration gallicane, à la confluence des domaines religieux et historique. L’examen des ouvrages politiques témoigne d’un intérêt inégal pour ce domaine, tant d’un possesseur à l’autre que d’une génération à une autre. Il semble que la génération précédant le premier Port-Royal, celle du premier tiers du xviie siècle, se soit davantage intéressée à la question de la politique et du gallicanisme que la génération suivante. On ne trouve en effet presque plus d’ouvrages politiques dans les bibliothèques étudiées avant la toute fin du siècle ou la lutte se politise, phénomène observable chez Garson en particulier. Les bibliothèques de Sacy et de Sainte-Marthe sont à ce titre caractéristiques de familles de robe, dévouées à la monarchie et friandes de publications juridiques et historiques défendant les droits du Roi face à l’autorité pontificale. Durant les guerres de Religion qui suscitèrent de profondes réflexions sur l’exercice du pouvoir monarchique et sa légitimité, les Politiques menés par le Parlement de Paris l’emportèrent finalement sur les Ligueurs et cet héritage est visible dans les bibliothèques de gens de robe. Citons chez Sacy les Decretorum Ecclesiae Gallicanae… libri VIII (1609), le traité De la souveraineté du Roi de Le Bret (1632). Chez Sainte-Marthe, on note une hostilité particulière contre la Compagnie de Jésus, d’origine moins religieuse que politique au début du siècle : le Passe-Partout des Jésuites (1606), L’Anti-Coton (1610) mais aussi une édition ancienne de la République de Bodin (1578) ainsi que les œuvres de Machiavel. Cette efflorescence d’ouvrages théoriques et de libelles politiques de coloration gallicane connaît une éclipse dans les bibliothèques étudiées entre 1640 et 1670, traduisant la recherche d’une véritable « retraite du monde » de la part des amis de Port-Royal et un désintérêt pour la politique. Ainsi les emblématiques Libertés de l’Église gallicane de Pierre Pithou (1651) ne se trouvent que chez Luynes, Flesselles, Mabille et Garson, c’est-à-dire après 1670 ; aucune trace des ouvrages de Pierre Dupuis tels que les Traités des droits et des libertés de l’Église gallicane (1639) ou du Recueil des droits du Roi (1658). Même la Gallia Christiana des jumeaux de Sainte-Marthe (1626 et 1656) n’apparaît que dans la bibliothèque de Garson : le grand format de ces volumes et le prestige de la publication justifiaient de les faire figurer dans les inventaires, leur absence est donc certaine dans les autres bibliothèques. Si les racines gallicanes de plusieurs des amis de Port-Royal sont indiscutables, en raison de leur appartenance à des familles de parlementaires, les bibliothèques étudiées montrent que ces préoccupations politiques n’habitent plus leurs héritiers, préférant se dédier à la réforme de l’institution ecclésiale et demeurer en retrait des affaires du monde, au mépris de ce que leur coûterait justement cette bruyante retraite perçue comme un affront par le pouvoir royal.

4. Les livres philosophiques

Si l’on se penche sur les ouvrages à caractère philosophique, on retrouve les auteurs répartis d’une façon comparable aux observations générales faites sur les inventaires du temps : Aristote et Cicéron sont présents dans les deux tiers des collections. On retrouve la même édition parisienne d’Aristote dans toutes les bibliothèques, celle de 1619 élaborée par Guillaume du Val. Sénèque est le troisième auteur le plus représenté parmi les anciens, présent dans cinq collections, à égalité avec le moderne Descartes. Viennent enfin Platon et Malebranche, inventoriés dans trois bibliothèques. Précisons que Sacy ne possède aucun ouvrage de Descartes ni de Malebranche mais qu’il est le seul à disposer des Maximes de La Rochefoucauld, tandis que le duc de Luynes est le seul possesseur des œuvres de Gassendi.

5. Les sciences, arts et lettres

Les sciences, les arts et les lettres ne représentent que 22 % du corpus étudié ici. Leur présence se limite à certaines collections et révèle des personnalités aux centres d’intérêts variés. C’est le cas d’Antoine de Rebours, familier du cercle de Mersenne, qui possèdent une trentaine de livres de mathématiques, de sciences physiques et surtout d’astronomie (Kepler, Clavius, Galilée). Le duc de Luynes se distingue quant à lui par son goût des belles-lettres : il est le seul à posséder les œuvres poétiques de Pétrarque, du Tasse et l’Argenis de Barclay. Il dispose aussi de plusieurs ouvrages sur l’art militaire, en particulier les fortifications. Comme Mersenne il collectionne les ouvrages d’astronomie (Kepler, Clavius, Duval, Copernic). La bibliothèque de Sacy, quant à elle, ne contient aucune des catégories précédentes mais est riche d’une dizaine d’ouvrages de sciences naturelles, en particulier ceux d’Aldrovandi (De animalibus insectis, 1638 ; De piscibus, 1638 ; De quadrupedibus solidipedibus, 1639), sans doute destinés à l’enseignement des Petites Écoles et le Mémoire pour servir à l’histoire des plantes, du médecin et ami de Port-Royal, Denis Dodart (1679).

Ce sont presque exclusivement les bibliothèques de Sainte-Marthe et de Garson qui renferment des œuvres littéraires. S’agissant d’une bibliothèque familiale chez Sainte-Marthe, précisons que ces ouvrages ne se trouvent pas dans la partie de l’inventaire décrivant la bibliothèque de travail du confesseur de Port-Royal, ce qui laisse supposer qu’ils alimentaient vraisemblablement les lectures du couple des proches qui l’hébergeaient : les œuvres de Théophile, de Corneille et de Racine, l’Apologie du théâtre de Scudéry (1639), le Barbon de Guez de Balzac (1648), les Satires de Boileau (1668), la Relation de l’île imaginaire de Mlle de Montpensier (1659), le Roman comique de Scarron (1652). Dans la collection de Garson également, on trouve plusieurs auteurs du temps (Scarron, Ménage, Molière) mais là encore, l’absence des petits formats dans la plupart des inventaires fausse inévitablement les résultats observés.

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Au terme de cette étude, peut-on décrire à grands traits la physionomie des bibliothèques augustiniennes ? Ce sont naturellement des bibliothèques d’étude et non d’agrément. L’uniformité des collections, quasi exclusivement religieuses, en témoigne. On connaissait déjà, grâce à l’étude de la bibliothèque de Sacy par Odette Barenne ou celle de Bruno Neveu pour Le Nain de Tillemont, l’exceptionnel outil de travail que s’étaient constitués les Messieurs de Port-Royal pour leurs travaux de traduction et d’érudition. On voit s’ajouter ici la dimension pastorale de l’engagement des amis de Port-Royal à travers leurs collections massives de livres de piété et de spiritualité. Destinés à la formation des fidèles autant qu’à la méditation personnelle, ces ouvrages inscrivent leurs possesseurs dans l’élan de la Contre-Réforme où la lutte contre l’hérésie protestante va de pair avec la réforme des institutions ecclésiales et la conversion intérieure du chrétien. À la figure de l’intellectuel, volontiers associée au groupe des Messieurs, s’adjoint celle du pasteur et plus simplement du dévot, auxquels la bibliothèque offre une retraite temporaire pour mieux revenir vers le « monde », terre de mission et parfois de combat.

On connaissait l’extraordinaire efflorescence de publications des amis de Port-Royal, on connaît mieux désormais les ouvrages qui nourrissaient leur action. Dans ce vaste continent qu’est l’histoire du livre à Port-Royal, reste à étudier la circulation des livres entre le monastère de Port-Royal et les proches de l’abbaye, entre le « dedans » et le « dehors » car la correspondance des abbesses témoigne que les religieuses pouvaient susciter des publications tout en mettant en garde contre la libido sciendi qui poussait à accumuler les livres. Comme en réponse à la lettre d’Antoine Le Maistre à Jean Racine, qui ouvrait cette étude, on trouve ce billet de la mère Agnès Arnauld au même Antoine Le Maistre, son neveu : « Il se trouve chez les libraires plus [d’ouvrages] que vous n’en pouvez lire de toute votre vie, puisque vous ne faites pas état de dévorer les livres mais de les bien digérer, afin qu’ils vous nourrissent et ne vous accablent pas »12.

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1 Œuvres de Jean Racine, précédées des Mémoires sur sa vie, par Louis Racine, Paris, Firmin Didot frères, 1842, p. 650, lettre du 21 mars 1656.

2 Voir la contribution d’Odette Barenne qui pose les premiers jalons de cette étude : « Les bibliothèques des jansénistes », dans l’Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques françaises sous l’Ancien Régime, 1530-1789, sous la direction de Claude Jolly, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2008, p. 254-257.

3 Signalons l’étude d’un fonds janséniste de la fin du xviiie siècle : Jean de Mathan, « Un fonds janséniste : la bibliothèque de Jean-Pierre Saurine (1733-1813), évêque constitutionnel des Landes, évêque concordataire de Strasbourg », Revue française d’histoire du livre 80-81, 1993, p. 313-336.

4 Voir aussi l’étude de la bibliothèque de Jean Le Nain, incluant vraisemblablement la bibliothèque de son fils, l’historien et ami de Port-Royal Sébastien Le Nain de Tillemont : Bruno Neveu, Un historien à l’École de Port-Royal, Sébastien le Nain de Tillemont, 1637-1698, La Haye, Kluwer, 1966, p. 298-310.

5 Odette Barenne, Une grande bibliothèque de Port-Royal. Inventaire inédit de la bibliothèque de Isaac-Louis Le Maistre de Sacy (7 avril 1684), Paris, Études augustiniennes, 1985.

6 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société au xviie siècle, Genève, Droz, 1999, t. 2, p. 927.

7 Voir à ce sujet Pierre Aquilon, « Petites et moyennes bibliothèques, 1530-1660 », dans l’Histoire des bibliothèques françaises, op. cit. [n. 2], p. 224-252.

8 Classification systématique Brunet-Parguez (livres anciens), Montpellier : ABES, 2001 [http://documentation.abes.fr/sudoc/autres/BrunetParguez.pdf].

9 H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société…, op. cit. [n. 6], t. 2, p. 497.

10 Yves Giraud, « La bibliothèque d’Antoine Godeau, évêque et académicien (1666) », Revue française d’histoire du livre 9, 1975, p. 153.

11 H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société…, op. cit. [n. 6], t. 2, p. 931.

12 Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, éd. P. Faugère, Paris, Duprat, 1858, t. 1, p. 486, lettre du 9 février 1661.

13 Voir sur ce libraire : Juliette Guilbaud, « À Paris chez Guillaume Desprez… » : le livre janséniste et ses réseaux aux xviie et xviiie siècles, thèse de doctorat, Paris, EPHE, 2005.

Notices sur les bibliothèques étudiées

Antoine de Rebours (1595-1661)

L’inventaire après-décès des biens de M. de Rebours est dressé le 20 septembre 1661. Celui-ci demeurait à Port-Royal de Paris, où il avait à sa disposition une chambre et un cabinet de travail. C’est là qu’il conservait sa bibliothèque riche de 452 volumes, dont l’inventaire identifie 332 titres correspondant aux in-folio et aux in-4°, se limitant à dénombrer les in-8, in-12, in-16 et in-24 (120 volumes). Dans la mesure où M. de Rebours avait fait don de ses livres à MM. de Sainte-Marthe et Akakia, l’inventaire se résume à une liste de titres, sans s’embarrasser des précisions d’année, de lieu d’édition ou de valeur marchande. Aussi n’était-il pas utile de faire appel aux compétences d’un libraire, c’est le notaire qui s’est chargé de dresser la liste des titres. Le classement des livres est bien peu rigoureux. Pour les in-folio, dans le domaine de la religion, patristique, histoire ecclésiastique, exégèse forment des massifs homogènes, tandis qu’on voit ensuite se succéder dans le désordre les œuvres de l’Antiquité, les ouvrages de géographie et d’histoire, les écrits humanistes et juridiques, les ouvrages scientifiques, les livres de controverse avec les protestants et les écrits port-royalistes. Le désordre est identique pour les in-4°. La bibliothèque de M. de Rebours témoigne de la grande curiosité d’esprit de son propriétaire, de par la diversité des sujets couverts. La taille suffisamment modeste de la collection et son usage limité à son seul possesseur lui épargnèrent les contraintes d’un classement thématique.

Antoine Singlin (1607-1664)

Son inventaire après-décès est dressé le 16 juillet 1664 par le libraire Savreux, qui publia bon nombre d’écrits port-royalistes. Il dénombre 188 volumes que le prêtre conservait dans ce qui fut sa dernière cachette, une chambre chez la veuve de M. de Sacy, (Mme Vitart ?), rue du Battoir, sur la paroisse Saint-Médard. Quarante volumes seulement sont identifiés, il s’agit d’in-folio, d’in-4° et d’in-8° ; les livres en paquets sont de formats inférieurs. Quoique plus homogène car composée exclusivement d’ouvrages religieux, la bibliothèque d’Antoine Singlin ne suit aucun classement par sujet et les œuvres des Pères s’intercalent entre des bréviaires ou des ouvrages de spiritualité.

Noël de Lalane (1618-1673)

L’inventaire après-décès de ses livres est dressé le 17 mars 1673 par le libraire Desprez, proche des milieux port-royalistes dont il publia de nombreux ouvrages13. Desprez précise que les livres du défunt étaient conservés dans deux lieux distincts : le cabinet du logement qu’il partageait avec sa sœur veuve Madeleine, dans la « première cour du Val-de-Grâce », et « sa maison de campagne au Mesnil ». L’inventaire recense 245 volumes et identifie 55 titres. Tous les in-folio sont décrits, les formats inférieurs étant traités par paquets où certains titres seulement sont précisés.

Isaac-Louis Le Maistre de Sacy (1613-1684)

L’inventaire de la bibliothèque de Le Maistre de Sacy a été achevé le 7 avril 1684 par les marchands-libraires Le Petit et Desprez, amis de Port-Royal. On dénombre 971 titres pour 1 041 volumes. En introduction à l’inventaire, on apprend que les livres ont été trouvés soit à Pomponne où résidait Le Maistre de Sacy, ou au monastère de Port-Royal des Champs, preuve qu’une partie des livres des Solitaires y était entreposée. La bibliothèque de Sacy reflète le mode de travail collaboratif des Solitaires : composée de legs successifs venus enrichir la collection de son possesseur, la collection servait véritablement de fonds d’usuels pour l’équipe des traducteurs et exégètes de Port-Royal. On n’hésitait pas non plus à donner des ouvrages, que l’on retrouve pour certains sur les rayonnages de bibliothèques publiques (Mazarine, Bibliothèque de France…). Pour une présentation détaillée de cette bibliothèque, nous renvoyons à l’introduction de l’édition imprimée du catalogue rédigée par Odette Barenne.

Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes (1620-1690)

L’inventaire des livres est dressé le 2 janvier 1685 par les libraires Pierre Le Petit et Jean Villette, à la requête du duc lui-même, après la mort d’Anne de Rohan, sa seconde épouse. 1 164 volumes sont dénombrés, parmi lesquels 237 sont identifiés, essentiellement les in-folio et d’autres formats au gré des paquets. Cette bibliothèque se distingue par son classement par sujet, que les libraires ont respecté, au sein desquels on trouve d’abord les in-folio puis les autres formats. L’ordre des rubriques rappelle celui des bibliothèques ecclésiastiques contemporaines : viennent d’abord les bibles puis l’exégèse, incluant les Pères de l’Église, l’histoire ecclésiastique et l’histoire profane, le droit civil et le droit canon, la géographie, la philosophie, les mathématiques et l’astronomie, les poètes, les orateurs et enfin les livres de piété où les écrits port-royalistes tiennent une place importante, témoins de l’attachement durable du duc de Luynes à la spiritualité de Port-Royal.

Claude Grenet (1605-1684)

L’inventaire des livres est dressé le 20 juin 1684 par le libraire Arnoul Seneuse, qui dénombre 275 volumes, parmi lesquels 74 titres sont décrits, presque uniquement les in-folio, les autres formats étant évalués par paquets, où seuls 15 titres sont identifiés. Les in-folio se présentent de façon ordonnée : les bibles, les concordances, l’exégèse et les Pères de l’Église. Viennent en ordre plus dispersé les ouvrages d’histoire profane et ecclésiastique et quelques livres de controverse sur la question protestante. Concernant Port-Royal, seul surnage une Apologie de Jansenius dans un paquet d’in-4°, dissimulant certainement d’autres titres parmi les 201 volumes non identifiés.

Pierre Nicole (1625-1695)

L’inventaire des livres de Pierre Nicole a été dressé du 6 au 19 décembre 1695 par l’huissier Arnoul assisté du libraire Desprez. Sur 1 652 livres recensés, 142 sont identifiés, pour la plupart des in-folio rangés selon un ordre traditionnel : bibles et concordances, Père de l’Église, histoire ecclésiastique et théologie, exégèse, auteurs de l’Antiquité et écrits humanistes. Quant aux autres formats répartis en paquets, les titres identifiés témoignent d’un plus grand désordre des matières.

Joseph Petit (?-1700)

L’inventaire est dressé le 2 janvier 1700, par des libraires dont le nom a été barré mais qui ont bien signé à la fin de l’acte, Gandouin et Dourdan. Sur 444 volumes, 329 sont identifiés, fait assez rare pour réjouir l’historien. Le recensement des livres se contente toutefois du titre, du format et de l’estimation du prix de chaque ouvrage, sans précision de date ni de lieu d’édition. Les in-folio sont regroupés en début d’inventaire puis les autres formats se mêlent. Quant au classement des livres par sujet, il est inexistant : comme pour la bibliothèque de M. de Rebours, le nombre modeste des volumes possédés et utilisés par le seul Joseph Petit lui permettait de s’y repérer sans recourir à un classement.

Jean-Gabriel de Flesselles (1621-1695)

L’inventaire de ses livres est dressé le 1er mars 1695 par les notaires Laurent et Courtois. Les dispositions testamentaires de M. de Flesselles à l’égard de sa bibliothèque sont particulières : il souhaite donner 6 livres à son ami le père Huet, puis 100 ouvrages au choix au profit de la bibliothèque de l’abbaye Sainte-Geneviève ; enfin le produit de la vente des livres restants est destiné aux « pauvres honteux » de la paroisse Saint-Étienne-du-Mont. Après la mort de M. de Flesselles, l’abbé Huet renonce à ses six livres et propose un don en argent d’une valeur de 100 livres à l’abbaye de Sainte-Geneviève afin de vendre toute la bibliothèque du défunt au profit des pauvres de Saint-Étienne-du-Mont. L’inventaire recense 1238 volumes et en identifie seulement 56 in-folio, où l’on trouve d’abord les bibles et concordances, l’exégèse, les Pères de l’Église, puis en ordre dispersé, l’histoire ecclésiastique, les vies de saints et les principaux débats contemporains sur la grâce, le gallicanisme ou la polémique contre les protestants.

Louis Marcel (1635-1704)

L’inventaire des livres est dressé le 28 novembre 1704 par l’huissier Arnoul et le notaire Bellanger. Sur 486 volumes recensés, 249 sont identifiés, tous in-folio ou in-4°. Le reste des ouvrages est divisé en paquets par format (in-quarto, in-8° et in-12°) où seuls quelques titres sont précisés.

Nicolas Mabille (1658-1711)

L’inventaire des livres est dressé le 15 septembre 1711 par l’huissier Giroux et le libraire Robineau, qui se sont rendus dans le logement occupé par Nicolas Mabille, « ayant vue sur le cloître Saint-Jacques de l’Hôpital », et qu’il avait dû quitter pour se réfugier chez la famille Bertin à Palaiseau où il mourut. 524 volumes sont recensés, et 70 titres sont transcrits très précisément, nous fournissant le lieu et l’année d’édition. Les in-folio sont intégralement décrits, tandis qu’à partir des in-quarto, les livres sont répartis en paquets avec parfois un titre identifié.

Claude de Sainte-Marthe (1620-1690)

L’inventaire des livres est dressé du 10 au 24 septembre 1714 par l’huissier Barbe et le notaire Boscheron, qui ont travaillé dans le logement parisien de la défunte Marie Héron, veuve d’Abel de Sainte-Marthe, cousin de Claude de Sainte-Marthe, et dans la maison que possédait la famille à Corbeville, dernière demeure de Claude de Sainte-Marthe. Un quart de siècle s’est écoulé entre la mort du prêtre et la rédaction de l’inventaire mais il est aisé d’identifier ce qui fut vraisemblablement la bibliothèque du confesseur de Port-Royal, tant par les sujets que les dates d’éditions des ouvrages conservés dans le cabinet de la maison de Corbeville. Des éditions postérieures à la mort du prêtre sont venues s’ajouter à la collection, qui ne relèvent pas toutes da sphère religieuse, et révèlent l’évolution des goûts et des préoccupations au tournant du siècle. Si l’on considère la collection parisienne, composée en partie d’ouvrages plus anciens (première moitié du xviie siècle), il semble bien que l’on soit face à la bibliothèque de travail des jumeaux Sainte-Marthe, auteurs de la monumentale Gallia christiana : la mention de plus de 80 livres de prières et de plus de 100 « règles de congrégations et ordres de religieux » est révélatrice. C’est aussi malheureusement la partie la plus sommairement décrite dans l’inventaire, signe que la valeur marchande de ces ouvrages vieux d’un siècle ne méritait pas une description titre à titre. Cet inventaire nous offre néanmoins un formidable panorama, sur trois générations, des questions qui préoccupèrent une famille catholique, gallicane et amie de Port-Royal : critique des jésuites et lutte contre l’hérésie protestante au début du xviie siècle, discussions sur la grâce et affirmation du gallicanisme au milieu du siècle, enfin abandon de l’érudition et adoption d’une dévotion pratique, hostile à la mystique et centrée sur la morale, avec une ouverture aux découvertes scientifiques et aux voyages lointains à la fin du siècle. Cette bibliothèque familiale, enrichie au fil des générations, compte 2 121 volumes, parmi lesquels 428 titres ont été identifiés. Les livres sont classés par format mais les sujets se mêlent sur les étagères, témoins de la juxtaposition de collections successives dans le temps comme sur les rayonnages.

Charles-Nicolas Garson ( ?-1718)

L’inventaire de sa bibliothèque est achevé le 22 juin 1718 par l’huissier Dupré et le marchand-libraire Péraud. Pour ce faire, tous les livres avaient été transférés dans la maison du sieur Nolin, exécuteur testamentaire de Garson. Sur 6 594 volumes, 927 sont identifiés, y compris dans de petits formats, ce qui en fait de loin la bibliothèque la plus importante de celles étudiées ici. Nous ne savons malheureusement rien de la constitution de cette collection où exceptionnellement, le nombre de livres d’histoire identifiés (437) excède le nombre des ouvrages religieux (210) et où l’on relève 118 titres pour les sciences et les arts.