Book Title

Jean-Claude Drouin (1937-2019)

Antoine LEBÈGUE

Jean-Pierre POUSSOU

Bernard LACHAISE

Jean-Claude Drouin, ancien président de la Société des bibliophiles de Guyenne, nous a quittés en mai 2019. Pour lui rendre hommage, nous donnons la parole à Antoine Lebègue, au Recteur Jean-Pierre Poussou et au professeur Bernard Lachaise qui furent pour les uns ses élèves, pour les autres ses collègues (parfois de façon successive) et pour tous ses amis.

Jean-Claude Drouin, la force du « simple », par Antoine Lebègue

En juin 1907, lors de la révolte des vignerons du Languedoc, le marquis de Vogüé qui assiste à une manifestation à Montpellier demande à son voisin « mais qui est cet homme ? – un simple » lui répond le vigneron. Et l’académicien écrit dans Le Figaro : « On appelle un simple une pauvre herbe qui a la vertu de guérir des maladies terribles. Il y a de ces herbes parmi les hommes. »

Jean-Claude Drouin méritait largement ce beau titre de « simple », même si, brillant universitaire il avait soutenu en 1967 une thèse novatrice sur « les élections législatives du 13 mai 1849 dans l’Aquitaine occidentale », un de ces travaux qui montraient que les recherches locales pouvaient éclairer l’histoire générale. Une démarche qu’il entendait poursuivre avec une thèse d’état sur Charles Chesnelong. Député et sénateur d’Orthez, celui-ci fut l’un des chefs du parti légitimiste au xixe siècle et joua un rôle essentiel dans les relations avec le comte de Chambord.

Pour creuser cette piste de recherche Jean-Claude Drouin disposait de sources abondantes. Il aurait pu en tirer de précieux enseignements s’il n’avait pas préféré se consacrer à d’autres recherches destinées à apporter des informations utiles aux candidats des concours du CAPES et de l’agrégation. Ces renseignements tirés de derrière les fagots grâce à des heures passées dans les bibliothèques ont permis à de nombreux étudiants d’être reçus.

Jean-Claude Drouin aurait pu exploiter ces informations pour écrire des articles ou des livres. Mais il préféra toujours rester dans le monde de la recherche. Il était en effet profondément attaché à l’université, n’hésitant pas même à prendre des responsabilités pour faciliter son fonctionnement. Maître assistant, puis maître de conférences, et directeur de l’UFR d’histoire à l’Université de Bordeaux III/Michel-de-Montaigne, il a joué un rôle de « simple », au sens où l’entendait le marquis de Vogüé. Anne-Marie Cocula, ancienne présidente de l’Université, peut témoigner à quel point sa gentillesse et son sens du dialogue ont été utiles pour désamorcer des conflits qui auraient pu nuire au fonctionnement de l’établissement.

Son action ne s’est pas limitée au seul monde universitaire. Passionné par les Landes et l’Aquitaine, sa région d’adoption, il s’est impliqué dans la vie culturelle et associative. Avec les Amis du lac d’Hossegor, dont il a été l’une des chevilles ouvrières, il a rappelé le rayonnement littéraire de la station landaise. Mais aussi à Bordeaux où il a accepté, dans une période difficile, de prendre la présidence de la Société des bibliophiles de Guyenne qu’il a contribué à sauver. De même sa générosité l’a amené à participer au redressement de la Société Philomathique.

Oui, le discret Jean-Claude Drouin était bien un « simple ». Et sa discrétion constituait une force. Pour guérir des sociétés savantes malades mais aussi pour son travail de chercheur. Insensible aux modes et aux médias, il n’entrait pas dans les querelles d’école. Mettant à profit son sens de l’humour, il n’hésitait pas à sortir des sentiers battus et à avancer des hypothèses audacieuses.

Un grand historien nous a quittés : Jean-Claude Drouin (1937-2019), par Jean-Pierre Poussou

Jean-Claude Drouin a été une des personnes les plus attachantes qu’il m’ait été donné de connaître. Toujours prêt à se dévouer et à rendre service, ouvert aux autres par-delà toutes différences, je ne saurais mieux dire qu’en exprimant que c’était à mes yeux le plus « chic type » que je connaissais. C’est son dévouement aux autres qui l’amenait à être toujours disponible pour ses étudiants, à être toujours attentif à leur égard, et qui le conduisit soit à œuvrer sans contrepartie pendant de longues années pour la Fédération historique du Sud-Ouest1, soit à accepter d’être membre du conseil d’administration de la société de Borda (1994-1996), de participer de manière continue, à partir de 2001, à l’Association littéraire des Amis du Lac d’Hossegor, et encore de présider à un moment de grande difficulté la Société des bibliophiles de Guyenne (2010-2013). C’est dans le même esprit qu’il siégea à maintes reprises dans les conseils de l’université de Bordeaux III, le faisant de manière continue pour l’UER qu’il dirigea même un temps, sans oublier ses nombreuses participations aux corrections du jury de l’agrégation d’histoire. En outre, ses collègues et amis bénéficièrent très souvent de comptes rendus de leurs travaux qu’il rédigea généreusement, en particulier dans les Annales du Midi.

Né à Paris en avril 1937, il fit ses études à la Sorbonne où il rencontra son épouse Annette Igert, laquelle avait passé toute sa jeunesse au Maroc où exerçait son père, médecin militaire et psychiatre ; elle appartenait à une famille où brillaient déjà des universitaires : son grand-père, le professeur Loiseau, qui enseigna l’allemand à la Faculté des lettres de Toulouse, et son oncle, fils du précédent, Jean Loiseau (1899-1977), grand angliciste qui exerça les fonctions de doyen de la faculté des lettres de Bordeaux à la fin des années 1950. En 1959, Jean-Claude Drouin fut reçu au Capes d’histoire-géographie, se maria début septembre et fut affecté au lycée Victor-Louis de Talence. Il prépara de ce fait l’agrégation d’histoire à la faculté des lettres de Bordeaux2, fut admis en excellent rang en 1961 et affecté à Mont-de-Marsan où il enseigna jusqu’en 1963. Puis il effectua son service militaire à la base aérienne de Mont-de-Marsan, devint assistant au Collège universitaire de Pau, avant d’être rappelé à Bordeaux dans ce même poste par notre maître Georges Dupeux. Il s’installa alors à Talence avec sa famille, Christian étant né en 1960 à Bordeaux et Olivier à Mont-de-Marsan en 1963.

Sur le plan professionnel, il ne quitta plus Bordeaux où il soutint en octobre 1967 sa thèse de Troisième Cycle : Les Élections du 13 mai 1849 dans le Sud-Ouest aquitain3, travail brillant qui lui valut d’obtenir la mention Très bien et d’être considéré désormais comme le meilleur spécialiste de l’histoire politique de l’Aquitaine au xixe siècle, ce qui ne l’empêcha nullement de remonter un peu au-delà, démarche nécessaire tant la période révolutionnaire et impériale eut de l’importance pour les décennies qui suivirent4. Son rayonnement était déjà tel qu’il fut désigné pour être l’un des deux représentants des assistants au conseil de faculté où il eut l’occasion d’exposer à plusieurs reprises la nécessité d’ouvrir davantage l’université et de mieux prendre en compte les aspirations du collège B.

C’est alors qu’il dut faire face à deux grandes difficultés qui vinrent freiner son élan. L’une, ce fut mai 1968 dont les excès et les aspects irresponsables le heurtèrent profondément, lui créant une inquiétude considérable quant au fonctionnement de l’université. L’autre, en grande partie liée à ce qu’il ressentait, fut de graves ennuis de santé qui le handicapèrent pendant longtemps. Il n’en participa pas moins très activement aux combats que menèrent pendant des années ses amis du Syndicat autonome des lettres et sciences Humaines, qu’il représenta au CNU5, et se montra un maître extrêmement attentif pour ses élèves. Tous admiraient l’étendue et l’extrême variété des connaissances dont il savait les faire profiter. Il en venait assez souvent à être un recours et était particulièrement compréhensif pour les situations particulières et les difficultés personnelles.

Il ne cessa d’aborder le champ défriché lors de sa thèse, publiant tout un ensemble d’articles ou de chapitres de volumes sur les élections en Gironde et dans le département des Landes, allant pour celui-ci, dans sa contribution au volume dirigé par Serge Lerat dont il sera question plus loin, jusqu’aux élections de la Ve République6. Mais les années 1970 furent aussi l’époque où il manifesta plus particulièrement un double intérêt pour les légitimistes aquitains du xixe siècle7 et pour les mouvements ésotériques de l’époque, notamment Martinès de Pasqually et les Rose-Croix8. Le spiritisme et la gnose retinrent aussi son attention comme le montrent plusieurs textes9. Certes, il continua à étudier la vie politique du siècle, notamment pour répondre aux sollicitations de son collègue et ami Jean Bernard Marquette, en publiant plusieurs articles sur le Bazadais. Mais ce sont les légitimistes et en même temps journalistes : Julien Dupuy10à la réputation nationale, Pierre-Sébastien Laurentie, Charles de Charencey11, Henry Ribadieu12, qui le retinrent surtout. Il faut y ajouter un article sur « L’anglophobie des légitimistes bordelais au début de la monarchie de Juillet », paru en 197413, qui est un petit chef-d’œuvre ; on les voit sous sa plume condamner à la fois l’expansionnisme anglais, sa brutalité aussi bien en Inde qu’en Irlande, et le développement de la société industrielle. Cet intérêt qui tenait à l’attention qu’il portait au souci qu’il trouvait si fréquemment chez les élites aquitaines du xixe siècle de la préservation des éléments des sociétés traditionnelles, voire de leur mise en valeur14, s’accompagnait de celui porté aux langues régionales et en particulier au basque – ce qu’il exposa en étudiant les œuvres de Charencey et de Chaho15 –, intérêt qui s’explique notamment par celui « que le problème de la langue et de la race basques suscitaient dans le milieu scientifique français sous le Second Empire et au début de la IIIe République »16. Il y avait en effet chez ce Parisien d’origine qu’était Jean-Claude Drouin, un réel attachement non seulement au régionalisme culturel auquel il croyait profondément, comme Maxime Leroy qui a joué un si grand rôle dans la vie d’Hossegor, mais aussi à la vie provinciale et à ses diverses formes, ce qu’il manifesta à travers ses recherches sur la presse régionale et plus encore autour d’Hossegor et des pays landais, dont il ne cessa de scruter l’histoire17, avec un souci permanent de dégager les éléments de continuité historique à côté des ruptures et bouleversements qui, comme ailleurs, ne manquèrent pas d’y survenir mais avec une spécificité propre qui ne cessa de retenir son attention18.

Le lien est né de la villa « Vent coulis » que possédait sa belle-famille à Hossegor19. Il n’y avait pas d’endroit où il se plaisait davantage et il put le manifester en fondant en 2001 avec Éric Gildard l’Association littéraire des Amis du Lac d’Hossegor. Ce fut dès lors sa principale activité à partir de sa retraite des fonctions universitaires en 1997. Avec Éric Gildard, ils organisèrent dix-huit colloques, créèrent la maison d’édition Lac et Lande, mirent sur pied de nombreuses manifestations et fondèrent une Lettre info qui dépasse aujourd’hui les 360 numéros.

C’est dans ce cadre qu’il publia en 2003 un ouvrage qui rappelle la mémoire de Maxime Leroy (1873-1957), ami de Rosny jeune et fondateur avec celui-ci, en 1909, de l’Association des Amis du Lac. Le livre20, qui avait été précédé en 1999 d’un article consacré à ce « groupe d’Hossegor »21, composé de membres extérieurs aux Landes, parmi lesquels Paul Margueritte, membres unis par leurs perspectives post-dreyfusistes, et militant « dans des cercles de la libre pensée, du pacifisme et de l’internationalisme », fourmille de renseignements non seulement sur cet important personnage que fut Maxime Leroy, qui fédéra le groupe, mais aussi sur le développement exceptionnel de la vie culturelle d’Hossegor. Jean-Claude Drouin y montre au passage sa maîtrise de l’histoire landaise qu’il a également illustrée en en donnant une vue synthétique dans l’ouvrage Landes22, publié en 1991 par les éditions Bonneton, et surtout en retraçant le déroulement de cette histoire au xixe siècle dans le tome II de l’ouvrage Landes, Chalosse23. Sa participation, forte de 209 pages, est une véritable histoire politique, religieuse et culturelle du département des Landes de 1789 à 1981. Elle est sans équivalent, montre parfaitement ses méthodes et toute l’étendue de ses connaissances et de son talent. Il a dépouillé toutes les revues parues du début du xixe siècle à nos jours, lu les mémoires de maîtrise et les études locales, sans oublier la littérature des contemporains. Il a donc de manière très fréquente la capacité d’illustrer ses propos d’ensemble par des exemples précis toujours très éclairants, par exemple lorsqu’il présente la vie municipale sous la révolution à Roquefort et Arengosse24. Les éléments de continuité et les ruptures sont parfaitement soulignés mais la particularité de son texte est de faire une place très importante aux questions religieuses et culturelles ; celles-ci sont analysées à plusieurs reprises et l’on sent à quel point elles l’intéressent25 : le lecteur prend de ce fait un grand plaisir à lire notamment son « Bilan du patrimoine landais »26.

Bien sûr, il faut aller plus loin : il fut un remarquable spécialiste de toute l’histoire de l’Aquitaine au xixe siècle. L’histoire politique fut son champ d’étude principal, en englobant dans celle-ci les études de presse qu’il pratiqua fréquemment27, et il avait des connaissances extraordinaires à cet égard mais, comme il le montra souvent, l’histoire économique ne lui était nullement étrangère28. C’est d’ailleurs dans ce domaine que se situe un autre texte très achevé : « La chambre de commerce au xixe siècle », paru dans l’Histoire de la chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux, ouvrage dirigé par Paul Butel, un autre de ses collègues et amis, qui avait tenu à juste titre à sa collaboration.

Il nous laisse ainsi une œuvre considérable – plus de 160 publications – et d’une valeur tout à fait remarquable, dans laquelle la qualité des recherches et publications est le juste pendant des exceptionnelles qualités humaines qui étaient les siennes.

Un maître, un ami : Jean-Claude Drouin, par Bernard Lachaise

« Adieu à tout cela » : ces mots manuscrits de Jean-Claude Drouin en marge de sa bibliographie en 2008 sont émouvants29. Le chercheur semblait désormais mettre un point final à son œuvre d’historien, onze ans après avoir pris sa retraite d’enseignant. En réalité, il a poursuivi une activité scientifique et exercé, parmi d’autres responsabilités dans des sociétés savantes, la présidence de la Société des bibliophiles de Guyenne, tant que sa santé l’a permis.

Avec sa collègue Jacqueline Herpin, Jean-Claude Drouin fut le professeur dont je fus, sans discontinuité, le plus proche durant une quarantaine d’années, des premiers enseignements reçus d’eux en 1973 jusqu’à leurs derniers mois, elle en 2018 et lui en 2019. Je leur dois beaucoup. Il a été un maître puis un collègue et un directeur et surtout, au fil des années, un ami fidèle.

Le premier cours en amphithéâtre que j’ai suivi en arrivant à l’Université en 1973 était celui de Jean-Claude Drouin sur « le monde dans l’entre-deux-guerres ». J’y ai découvert les caractéristiques de l’enseignant qu’il était, confirmées par la suite en licence et dans la préparation des concours : une immense culture et une pédagogie basée sur un usage de la craie qu’il utilisait sans modération pour recouvrir le tableau des innombrables noms cités dans le cours. À vrai dire, l’érudition impressionnait les étudiants de première année qui se sentaient ignares en écoutant évoquer autant de personnages et d’événements mais elle était de plus en plus appréciée en approchant de la fin des études car elle donnait – plusieurs des agrégés bordelais des années 1970 peuvent en témoigner – le supplément indispensable à une bonne copie d’agrégation. Quant à la pédagogie de la craie, elle déroutait au début. Elle fut remplacée plus tard par les listes de noms et dates, toujours manuscrites mais photocopiées, distribuées en début de cours, comme lors des colloques scientifiques ou conférences dans lesquels Jean-Claude Drouin intervenait.

Durant sa carrière, Jean-Claude Drouin enseigna à tous les niveaux du cursus d’histoire, assurant fort longtemps aussi bien les cours et travaux dirigés en L1, L2 et L3 que les préparations aux concours. L’immense variété de ses enseignements, de l’histoire du xixe siècle, en France mais aussi en Angleterre ou dans les Balkans à celle de la France contemporaine, de la presse, de l’Europe après la Première Guerre mondiale ou du Sud-Ouest est louable car elle nécessitait beaucoup de travail de préparation. Elle était rendue possible par l’érudition du maître, encore enrichie par une telle expérience. À ces enseignements en histoire à l’Université s’ajoutaient les cours assurés à l’IEP de Bordeaux ou à l’École nationale de la magistrature.

Jean-Claude Drouin était un maître exigeant mais bienveillant. Certes, son exaspération à la lecture d’une copie indigente sur le fond et très déficiente sur la forme pouvait se traduire par une formule écrite en grosses lettres rouges : « Indigne de l’enseignement supérieur ! ». Mais avec les étudiants, il était abordable, disponible, jamais blessant, cherchant toujours à encourager. Certes, à la fin de sa carrière, il ressentait la différence de culture entre l’étudiant qu’il avait été à la Sorbonne dans les années 1950 et le public auquel il s’adressait dans les années 1990. Et il en était triste : « Je ne les comprends plus et j’ai l’impression qu’ils ne me comprennent plus ».

L’investissement de Jean-Claude Drouin dans l’enseignement est d’autant plus remarquable qu’il s’est accompagné, une fois encore durablement, d’une grande participation à l’administration de l’Université à Bordeaux – dans les conseils jusqu’à la direction de l’UFR – et au-delà – dans les jurys de concours à Paris, au CNU et dans ses activités syndicales – et dans sa participation à plusieurs sociétés savantes régionales. Dans toutes ces activités, Jean-Claude Drouin a fait preuve d’une grande – trop grande ? – modestie mais il a su, avec discrétion être un passeur. Ainsi, ce grand lecteur de livres et de journaux aimait donner généreusement et sans modération des livres, des articles de presse, des tirés-à-part choisis en fonction des centres d’intérêts. Combien d’étudiants et de collègues ont-ils reçu de tels dons, réguliers, parfois volumineux ?

Mais la transmission n’est pas seulement matérielle. Elle passe par l’élégance avec laquelle Jean-Claude Drouin acceptait de partager ou d’abandonner un de ses cours pour confier à un nouveau collègue de l’UFR d’histoire un enseignement qui ne se limite pas à des TD… Elle passe, dans un domaine plus privé, par la satisfaction de Jean-Claude Drouin quand sa petite-fille, Diane, est admise à l’École normale supérieure – en anglais – (« le flambeau a été repris ») : le grand-père était si fier d’avoir pu l’aider le plus longtemps possible grâce à sa culture et à son exceptionnelle bibliothèque, lui l’homme toujours resté fidèle à l’écriture manuscrite à l’heure du numérique et capable de rivaliser, disait-il en riant, avec Internet ! La transmission passe par la force de persuasion de Jean-Claude Drouin pour entraîner vers des activités dont il croit qu’elles sont utiles à l’historien. Ainsi, le professeur est attaché à l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) et à sa revue Historiens-géographes et il incite – avec bonheur – les jeunes professeurs à y adhérer, notamment en cette fin des années 1970 où la place de la discipline est menacée dans l’enseignement secondaire. Il apprécie les bouquinistes qu’il fréquente régulièrement et il transmet cette pratique. Il fait connaître la Fédération historique du Sud-Ouest dont il a été vice-président et des sociétés savantes comme la Société des bibliophiles de Guyenne dont il est membre depuis le milieu des années 1960, à l’initiative de Raymond Darricau. Un jour, les archives de cette Société diront l’assiduité de Jean-Claude Drouin, son investissement jusqu’à la limite de ses forces pour qu’elle continue à vivre dans les années 2000. Elles ne pourront peut-être pas complètement montrer le rôle de Jean-Claude Drouin pour y amener de nouveaux membres et éviter un certain « divorce » qu’il regrettait entre cette Société et les universitaires bordelais.

« Adieu à tout cela ». Laissons à Jean-Claude Drouin les derniers mots quand il revient sur son parcours d’historien, l’expliquant à la fois par son milieu familial et un contexte :

Ma mère était chargée de l’état-civil du 1er arrondissement de Paris, juste en face de la colonnade du Louvre et près de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et je crois que ce fait a eu une influence sur mon orientation (…). Pourquoi suis-je devenu historien entre 1954 et 1961 ? Je suis tenté de répondre que c’est parce que j’ai voulu rechercher dans le passé proche et lointain les origines de ce qui me semble être une période de déclin à la suite des deux grandes tragédies humaines de la première moitié du xxe siècle (…). L’Église catholique et l’Université laïque ont été les milieux fréquentés dans ma jeunesse, j’ai tenté de trouver un équilibre entre ces deux grandes institutions. En même temps, une réflexion plus personnelle m’a permis de conserver une indépendance d’esprit, loin j’ose l’espérer, de tout dogmatisme avec l’aide des œuvres de A. Huxley et de C.G. Jung30.

Dogmatique, Jean-Claude Drouin ne l’a pas été : tous ses étudiants et collègues peuvent en témoigner. Modeste, discret, il n’a jamais mis ses intérêts de carrière au premier plan préférant se dévouer pour son métier et transmettre. Il a marqué durant plus de trois décennies le département d’Histoire de l’Université de Bordeaux et peut-être le mieux incarné un modèle d’enseignant assurant la transition entre deux époques de l’Université.

____________

1 Très nombreuses ont été ses contributions aux congrès annuels de la Fédération ; en outre, il aida à maintes reprises à leur organisation et à leur déroulement.

2 C’est ainsi que je le connus : avec Michel Goubet et lui, nous préparâmes ensemble l’agrégation et nous fûmes admis cette année-là.

3 Elle fut publiée la même année par Microédition Hachette.

4 Voir, par exemple, « Le Journal du Club National de Bordeaux (messidor-thermidor an II) », dans Révolutions en Aquitaine de Montesquieu à Bastiat, Actes du XLIIe Congrès d’Études régionales, Bordeaux, Fédération historique du sud-Ouest, 1990, p. 127-142 ; ou encore « Le nouvel ordre des choses dans les Landes (avril-juin 1794) », dans Michel Papy (dir.), Autour de l’ancien Marsan, Mont-de-Marsan, Éditions interuniversitaires, 1997, p. 245-255. À partir de l’activité et de la correspondance de Jean Dyzes, ex-baron de Brassempouy rallié au jacobinisme le plus exalté, il souligne combien ces deux mois furent marqués par une lutte intense contre le catholicisme, mais aussi par les soucis liés au conflit avec l’Espagne ; particulièrement intéressante est l’analyse montrant combien Robespierre fut délaissé dès sa chute, à laquelle échappa Dyzes qui devint sénateur et comte d’Empire et réussit en 1815, quoique régicide, à échapper à l’exil !

5 Le Corps national des Universités est un organisme élu chargé depuis 1970 de gérer la carrière et les modalités d’avancement des universitaires. Il existe toujours malgré des changements de sigles.

6 Voir notamment « Les élections et les députés de Bazas sous le Second Empire », Les Cahiers du Bazadais 18, mai 1970, p. 3-22 ; « Les élections législatives dans l’arrondissement de Blaye », dans Le Blayais, Actes du XXVIe Congrès d’Études régionales, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1988, p. 169-180.

7 En fait il s’était intéressé à eux très tôt : cf. « Les utopies de droite au lendemain de la révolution de 1830 », dans Romantisme et politique 1815-1851, Colloque de l’ÉNS de Saint-Cloud 1966, Paris, Armand Colin, 1969, p. 199-211.

8 Plusieurs de ses publications concernent l’ésotérisme ou des représentants de ce mouvement, tel « L’imaginaire de la nation chez l’ésotériste Grasset d’Orcet 1818-1900 », dans Claude-Gilbert Dubois (dir.), L’Imaginaire de la nation (1792-1992), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1991, p. 369-380. – On en rapprochera : « Les grands thèmes de la pensée messianique en France de Wronski à Esquiros : christianisme ou laïcisme ? », dans Messianisme et Slavophilie, colloque franco-polonais, Cracovie, université Jagellon,1987, p. 55-66.

9 Retenons « Aux débuts du spiritisme, J.-B. Roustaing (1805-1879) à Arbis, à Bordeaux et au Brésil », dans Arbis. À la découverte de l’entre-deux-Mers, Targon, Aspect, 2000, p. 313-340 ; « Lecture historique du tome III : Sol Invictus », dans Antoine Faivre et Jean-Baptiste de Foucauld, Raymond Abellio, Colloque de Cerisy-la-Salle, Cahiers de l’hermétisme, 2004, p. 17-40. Il s’agit d’un texte très important dans lequel J.-Cl. Drouin fait le point à la fois sur le rôle de Georges Soulès qui prit le pseudonyme d’Abellio, à Vichy durant l’Occupation, rôle pour lequel il fut mis en cause, sur le milieu qui fut alors le sien et sur ses liens, et sur son importance pour la pensée gnostique à son époque ; sa connaissance très approfondie de l’ensemble de ces questions étonne le lecteur et la bibliographie finale constitue toujours une base de départ essentielle

10 « Un journaliste et imprimeur bordelais au xixe siècle : Justin Dupuy (1810-1859) », Revue française d’histoire du livre 11, 1976, p. 161-193.

11 « Le comte de Charencey (1832-1916) et la langue basque », Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne 131, 1975, p. 309-315.

12 « Un journaliste et publiciste bordelais du xixe siècle : Henry Ribadieu », Cahiers du Bazadais 57/2, 1982, p. 19-28.

13 « L’anglophobie des légitimistes bordelais au début de la monarchie de Juillet », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde 23 (n.s.),1974, p. 201-222.

14 « Lamarque de Plaisance, un des premiers folkloristes français », Les Cahiers du Bazadais 35/4, 1976, p. iii-vi.

15 « L’ésotérisme d’Augustin Chaho : cosmologie, histoire et politique au xixe siècle », Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne 129, 1973, p. 265-277.

16 « Le comte de Charencey… », art. cit. [n. 11], p. 309-310.

17 Comment ne pas souligner que ses deux premiers articles concernent le département des Landes ? Ce sont « Les candidats landais aux élections législatives du 13 mai 1849 », Bulletin de la Société de Borda 305, 1962, p. 64-67 ; et « Les élections législatives du 13 mai 1849 dans le canton et la commune de Peyrehorade », Ibid. 307, 1962, p. 272-284.

18 L’un des exemples en est ce bel article : « Observations sur le vote landais 1848-1851 et 1958-1965 » (Bulletin de la société de Borda 113/3,1988, p. 341-350), dans lequel, à partir des résultats électoraux liés à deux périodes de rupture, il nous montre des villes plus sensibles aux nouveautés que les campagnes où se maintiennent les choix politiques traditionnels, qu’ils soient conservateurs ou marqués par des positions politiques volontiers révolutionnaires car, tel celui de Villandraut, il existe en Aquitaine un nombre assez élevé de cantons ruraux où le vote « avancé » est traditionnel.

19 Il a publié souvent sur Hossegor ; plusieurs références placées dans les notes de ce texte le montrent. Il faut leur ajouter : « Les projets de transformations de Cap Breton et d’Hossegor dans la seconde moitié du xixe siècle », Actes du Colloque du IVe centenaire du détournement de l’Adour, no spécial du Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne, 1978, p. 397-412 ; en coll. avec Éric Gildard, Les Écrivains d’Hossegor par Lac et Lande : textes choisis, Hossegor, Association littéraire des Amis du lac d’Hossegor, 2002.

20 Un homme de lettres à Hossegor : Maxime Leroy 1873-1957, Orthez, Association littéraire des Amis du lac d’Hossegor, 2003.

21 « Le groupe d’Hossegor autour de Maxime Leroy au début du xxe siècle », Bulletin de la Société de Borda 124/2, 1999, p. 199-218.

22 « Points clefs de l’histoire des Landes », p. 10-41.

23 Serge Lerat (dir.), Landes, Chalosses, Pau, Société nouvelle d’Éditions régionales et de Diffusion, 1984.

24 Voir p. 644. – Voir à ce propos le Petit guide des écrivains landais, écrit en collaboration avec Éric Gildard, Hossegor, Lac et Lande, 2006 ; et (en coll. avec Monique Marino) « Les débuts littéraires d’Hossegor 1900-1939 », dans Yves Perret-Gentil, Alain Lottin et Jean-Pierre Poussou (dir.), Les Villes balnéaires d’Europe occidentale du xviiie siècle à nos jours, Paris, PUPS, 2008, p. 323-334.

25 Voir les pages 773-775, 804-810, 933-944.

26 Ce sont les pages 941 à 944.

27 « La presse des petites villes aux xixe et xxe siècles », dans Jean-Pierre Poussou et Philippe Loupès (dir.), Les Petites Villes du Moyen Âge à nos jours, Bordeaux, CNRS, 1987, p. 391-400 ; « Un exemple de la presse catholique pendant la Deuxième Guerre mondiale : Monseigneur Feltin, apôtre de la paix (1942-1944) », dans L’Estuaire de la Gironde de Pauillac à Blaye, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1995, p. 237-252.

28 Plusieurs textes le rappellent tels « Remarques sur le vignoble girondin au milieu du xixe siècle », dans Charles Higounet (dir.),Vignobles et vins d’Aquitaine, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1970, p. 307-323 ; « Les problèmes de l’agriculture aquitaine au 28e congrès scientifique de France : Bordeaux 1861 », dans La Modernisation du monde rural en Aquitaine, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1999, p. 173-186 ; « Un projet pour Cap Breton comme port de commerce (1919) », dans L’Adour maritime de Dax à Bayonne, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2001, p. 281-292.

29 Entretien de Jean-Claude Drouin avec Jean-Baptiste Barbier, étudiant de Master d’Histoire (11 décembre 2012) dans le cadre d’une campagne de collecte de témoignages d’universitaires bordelais sous la direction de Bernard Lachaise, professeur d’histoire contemporaine. La transcription intégrale de l’entretien, validée par J.-Cl. Drouin, est déposée aux Archives départementales de la Gironde (Papiers Bernard Lachaise. 138 J. Boîte 30).

30 Ibid. Courrier de Jean-Claude Drouin à Jean-Baptiste Barbier (14 avril 2013).