Book Title

Voltaire, Corpus des notes marginales de Voltaire, 9A : Spallan-zani-Zeno-9B : annexes-notes éditoriales, Natalia Elaguina (dir.)

Oxford, Voltaire Foundation-Bibliothèque nationale de Russie, 2018 : deux volumes, lii, 750 pages, cart., 16 × 24 cm (œuvres complètes de Voltaire, 144A-144B). [140 £] ISBN : 9780729408899.

Alain SANDRIER

Université de Caen Normandie

Ce volume clôt la série du Corpus des notes marginales intégré aux Œuvres complètes de Voltaire (OCV) pour ce qui concerne les volumes conservés à Saint-Pétersbourg. Le Corpus sera complété (OCV, t. 145) par le recueil des marginalia de Voltaire sur des exemplaires extérieurs à la Bibliothèque de Russie : disons donc que ce volume achève une entreprise commencée il y a précisément un demi-siècle (1969) et qui visait à rendre de compte de toutes les traces de lecture de Voltaire présentes dans sa bibliothèque, en exceptant les annotations de Voltaire sur ses propres livres. Cette entreprise s’est déroulée en plusieurs étapes, dans plusieurs pays et sous plusieurs régimes. Les péripéties de cette longue aventure sont utilement rappelés de manière synthétique en « Avant-propos » (et en trois langues : russe, français et anglais) par la directrice de la publication (p. xxxix-l). Pour ce dernier volume consacré aux exemplaires annotés conservés à Saint-Pétersbourg, le protocole éditorial, savant et complexe, présente tout d’abord, dans un premier tome (t. 1441A), les marques de lecture sur 163 œuvres de la bibliothèque de Voltaire (nos 1525-1687), ainsi que six ouvrages découverts dans le fonds des imprimés en langues étrangère (nos 1-6). Les passages annotés sont reproduits pour favoriser la compréhension des réactions de Voltaire. Le second tome (t. 144B) contient outre trois annexes (respectivement sur les annotations au t. 3 du Nouveau théâtre italien de 1733, dont l’origine est douteuse – Voltaire ou, peut-être, madame du Châtelet ? – ; sur des livres corrigés par Voltaire ; sur des ouvrages reçus par Voltaire et annotés par d’autres, notamment leurs auteurs), l’ensemble des notes éditoriales permettant de situer, d’analyser et d’interpréter le travail d’annotation de Voltaire. Elles sont l’œuvre de contributeurs réguliers des OCV et fournissent un commentaire éclairant et précieux par les liens qui sont tissés entre plusieurs œuvres, par les aperçus des habitudes et usages de Voltaire lecteur, etc. : en un mot ce sont les guides nécessaires de cette déambulation qui pourrait s’avérer sinon austère et fastidieuse.

Les dernières lettres de l’alphabet permettent de faire défiler quelques noms d’importance dans les curiosités de Voltaire : ne serait-ce que les deux premiers, Spallanzani et Spinoza (nos 1525 et 1527), si décisifs dans son appréciation du matérialisme athée, malgré le peu de marques dont on puisse faire état. Cela invite à remarquer la forte présence des critiques de la révélation ou de son interprétation orthodoxe, notamment britanniques avec Synge (La Religion d’un honneste homme, n° 1542), Tindal (nos 1586-1588), Toland (nos 1595-1596), Trenchard (nos 1604-1605), Warburton (nos 1665-1666) ou, de manière plus massive et radicale encore, Woolston qu’il avait rencontré pendant son voyage d’Angleterre (Discours sur les miracles de Jésus-Christ en version originale ou en traduction, dont la page de titre porte la mention « livre dangereux » : nos 1674-1681). La dimension religieuse n’est donc jamais loin, qu’on combatte frontalement la religion comme imposture avec le fameux Traité des trois imposteurs (n° 1603 : autre signalement comme « livre dangereux ») ou qu’on n’en élague que les « superstitions » (Thiers, Traité des superstitions, n° 1573), voire qu’on la défende de manière plus ou moins éclairée (Jacob Vernes, Confidence philosophique, n° 1635) et parfois de manière très dévote (Villefore, Les Vies des SS Pères du désert, n° 1651 : un signet résume « ce livre qui est d’un bout à l’autre l’excès de la sottise »). On n’oubliera pas cependant le grand nombre de titres relatifs aux lettres classiques (Suétone, Tacite, Térence, Théocrite, Thucydide, Virgile, Xénophon), ainsi qu’à la littérature dans ce qu’elle peut avoir parfois de plus proche de l’esprit voltairien (notamment le Tristram Shandy de Sterne, n° 1533, où un signet annoté montre l’intérêt de Voltaire pour un long développement du roman en français intégrant un avis supposé de la Sorbonne sur la possibilité du baptême dans le ventre de la mère).

Ces marques de lecture permettent de surprendre Voltaire en train de réagir, de manière souvent familière et épidermique, ou en train de faire provision d’anecdotes ou d’informations qui alimentent son immense production : elles sont donc, tout autant que le témoignage d’une culture phénoménale et variée, avec ses affinités déclarées et ses réticences allergiques, les prolégomènes d’une création, et c’est à ce titre qu’elles sont souvent les plus intéressantes. À l’achèvement de ce chantier colossal, il convient de saluer la grande qualité scientifique et la grande rigueur philologique de cette entreprise érudite, qui est devenue un outil indispensable des études voltairiennes.