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Le Livre & la mort : XIVe-XVIIIe siècle

Paris, Éditions des Cendres-Bibliothèque Sainte-Geneviève & Bibliothèque Mazarine, 2019 : 524 pages, ill. coul., cart., 21 × 27 cm. [48 €] ISBN : 978-2-86742-288-1

Guillaume FLAMERIE DE LACHAPELLE

Université Bordeaux Montaigne

L’ouvrage ici recensé a été publié à l’occasion d’une exposition tenue conjointement à la bibliothèque Mazarine et à la bibliothèque Sainte-Geneviève, mais rien ne serait plus faux que d’y voir un banal catalogue d’exposition. Par sa forme même, il s’élève bien au-dessus de la moyenne du genre : un cartonnage solide, une élégante couverture noire (chacun comprend aisément le choix de cette couleur) qu’illustre une discrète vignette macabre, une impression soignée, des marges généreuses… Les bibliophiles seront comblés. Mais c’est surtout le contenu même du livre qui suscite l’admiration et qui retiendra à présent notre attention.

Passé l’avant-propos de Xavier Darcos (lui-même auteur d’une thèse consacrée à la mort chez Ovide) et l’introduction des directeurs des deux établissements organisateurs, l’ouvrage est conçu selon un diptyque composé I) d’une série d’études monographiques et II) du catalogue à proprement parler.

I. Dans « Écrire la mort à la fin du Moyen Âge », D. Quéruel rappelle la hantise de la mort caractérisant les œuvres des xive et xve siècles dans les cours du royaume de France. Elle s’exprime selon différentes modalités mais passe souvent par des images saisissantes de la camarde ou de ses victimes. – D. Vanwijnsberghe (« Le livre d’heures et la mort ») examine les fréquentes allusions textuelles et figurées à la mort dans les livres d’heures. À l’inverse de ce que pourraient laisser croire des images du trépas et de l’au-delà souvent impressionnantes, ces volumes délivrent un message plutôt optimiste : la mort se passera en douceur, l’âme du défunt pourra gagner les cieux et y connaître la béatitude. – I. Hans-Collas explore deux thèmes fréquents dans l’iconographie tardomédiévale. La Rencontre des trois morts et des trois vifs met en scène trois jeunes nobles et trois cadavres qui les interpellent et les avertissent : ils connaîtront un jour (peut-être proche) la même condition. Cette rencontre laisse la possibilité aux vivants de s’amender pour s’assurer du salut. La Danse macabre, motif moins répandu en France et moins ancien, montre des personnages de toute condition sociale emportés par la mort dans un défilé de couples constitués d’un squelette et d’un vivant : les enlumineurs ont rivalisé d’ingéniosité pour illustrer cette scène d’ampleur dans l’espace réduit des marges de livres d’heures. Aucune Danse n’est la simple imitation d’une autre : les artistes ont su conférer à chacune des propriétés uniques. L’article se clôt sur la mention de quelques illustres possesseurs de livres spécifiquement consacrés à la danse macabre. – M.-D. Leclerc et A. Robert retracent minutieusement « Quatre siècles d’impressions troyennes de la Danse macabre » : la fameuse « Bibliothèque bleue » assura en effet une longue pérennité à cet ouvrage. Après s’être penchés sur les imprimeurs, les auteurs s’interrogent prudemment sur les acquéreurs : des lettrés désireux de s’édifier ? Des amateurs d’illustrations ? La réponse varie selon les époques et les personnalités : les pages de Ch. Nisard s’indignant contre les bibliophiles et revendiquant une éducation fondée sur la pensée de la mort ont ici toute leur place. – C’est à une instructive visite du cimetière des Saints-Innocents, sis près des halles de Paris, et de ses représentations gravées que nous convie J. Bouquillard. Sur ses murs était peinte la célèbre danse macabre (détruite en 1669), mais les activités commerciales, les trafics en tous genres qui s’y pratiquèrent longtemps paraissent bien loin d’une méditation sur l’au-delà. – P. Choné s’interroge : « La Mort et les recueils d’emblèmes : l’ère du soupçon ? ». En dépit de la grande stabilité des symboles associés à la mort, l’étude de différents emblèmes depuis les débuts de l’époque moderne fait apparaître l’introduction de motifs nouveaux, réconfortants ou perturbants. Les représentations de corps en décomposition, elles, laissent une impression étrange ou effrayante, alors que beaucoup d’emblématistes engagent à se préparer à la mort, volontiers vue comme libératrice. – Fabienne Le Bars s’intéresse aux « Reliures funèbres et macabres en France du xvie au xviiie siècle ». On n’en trouve guère avant le dernier tiers du xvie siècle : ce sont les reliures exécutées pour Catherine de Médicis après la mort de Henri II (1559) qui marquent le véritable début du genre en France. Elles sont décorées d’un semis de larmes et d’un monticule de chaux vive. Dans les deux dernières décennies du xvie siècle se ré-pandent les tombeaux littéraires en l’honneur d’un défunt qui donnent lieu à des reliures funèbres ou bien ornées d’emblèmes macabres. Ceux-ci sont disposés en semé sous le règne de Henri III où la vogue ce type de décor, souvent agrémenté d’un médaillon central, atteint son apogée. À la même époque, des reliures réalisées pour la Congrégation des confrères de la mort exhibent des décors spectaculaires où squelettes et tibias abondent. Puis reparaissent les motifs moins saisissants évoquant la Passion : croix, éponge, lance, suaire, coq… Au début du xviie siècle les semis funèbres subissent une désaffection, tout comme le motif des larmes, au profit de la tête de mort. Les oraisons funèbres de la fin du xviie, quant à elles, reçoivent tantôt une reliure janséniste de maroquin noir, tantôt (avant de disparaître au début du xviiie) certains des motifs macabres que nous avons déjà rencontrés. – Chr. Vellet envisage « La mort et l’héraldique : une relation particulière ». Le macabre se fait rare dans l’héraldique médiévale et l’auteur s’attache donc dans un premier temps aux armoiries de la Mort de Dürer (1503) et de Hans Holbein le Jeune (1523-1525). Par la suite, quelques blasons de famille ou de communautés (0,3 % tout au plus) comportent un motif macabre : crâne, tibias, sablier, faux, parfois selon le principe des armes parlantes. Le squelette, la tombe, le cadavre sont eux inusités. Dans le domaine de l’ex-libris, ce sont les professions médicales qui arborent les symboles macabres. L’article se conclut par des armoiries (imaginaires) spectaculaires (p. 179) : dans « L’Empire de la Mort » (1679), la Mort tenant une faux et un sablier trône en haut d’un escalier dont les degrés sont incrustés de crânes de souverains, de prélats, de notables et de simples particuliers. Le blason est lui-même entouré de rameaux morts. – V. Hayaert évoque « Le rituel d’Ancien Régime et ses images face à la mort » à travers divers aspects comme l’épée de justice ou l’exécution en effigie pratiquée au moyen d’un portrait, d’une sculpture, d’un mannequin en cas de fuite ou de mort préalable du justiciable. – A. Adeline se livre à une troublante méditation autour de « La bibliophilie et la mort » : quelques collectionneurs ont choisi la Danse macabre ou la mort en général pour thème de prédilection ou afin d’illustrer leur ex-libris. Les cas des reliures macabres et anthropodermiques (faites en cuir humain) sont également abordés.

II. Un préambule de N. Rollet-Bicklin et A. Weber présente chacun des trois grands aspects du catalogue : A. « Memento mori », comprenant différents traités préparant à la mort ; B. « Figures de la Mort dans le livre » ; C. « Célébrer les morts », incluant notamment les livres de fête illustrés, qui donnent à voir des pompes funèbres différentes selon qu’on se situe dans les espaces français, germanique ou italien. Puis vient le catalogue à proprement parler, riche de 97 numéros (sans compter des bis) impeccablement décrits, savamment commentés et magnifiquement illustrés. Chaque notice est accompagnée d’une bibliographie. Au fil de la lecture, on découvre parmi les squelettes désarticulés et grimaçants, au milieu des faux et des sépulchres, l’origine de l’adjectif « macabre » (p. 249-250), les notes manuscrites d’un député italien rapprochant tels personnages d’une danse macabre du xviiie siècle de Cavour ou Garibaldi (p. 292-293), les chevaliers Accident et Débile qui assistent la mort (p. 340-344). Anges arrachant l’âme du défunt aux démons, Lazare ressuscité, moines en prière pour l’âme du défunt donnent une vivante idée (si l’on peut dire) de ce que fut la dévotion chrétienne aux époques médiévales et modernes et le secours qu’elle apporta contre l’angoisse de la mort ; quant aux gravures évoquant les pompes funèbres de défunts illustres, elles offrent à ceux-ci un second tombeau qui perpétuera leur mé-moire.

Les dernières pages contiennent une bibliographie et deux indices.

Les Éditions des Cendres publient de superbes ouvrages qu’on a plaisir à offrir. Dans le cas présent, voilà qui manquerait peut-être de tact et c’est bien dommage tant l’érudition, la beauté, la clarté, sans oublier quelques touches d’humour discrètes et bienvenues ont de quoi captiver. C’est du moins un présent que le bibliophile ne manquera pas de se faire à lui-même.