Revue Italique

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À propos de la bibliothèque aux cotes brunes des Laubespine-Villeroy : les livres italiens chez les secrétaires du roi dans la seconde moitié du XVIe siècle

Isabelle Conihout

J’ai donné en juin 2003, avec Pascal Ract-Madoux, une conférence intitulée ni grolier, ni mahieu : laubespine, dans laquelle nous annoncions notre découverte d’un grand amateur de livres du XVIe siècle, inconnu jusqu’ici, Claude III de Laubespine (1545-1570). Cette conférence devant être prochainement publiée, je n’en donne ici qu’un bref résumé,1sans lequel mon propos serait incompréhensible.

1. ni grolier, ni mahieu : laubespine

il y a onze ans, en 1993 – j’étais alors conservateur à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale – j’entrepris une campagne systématique de relevé “sur les rayons” des reliures françaises à décor de la Réserve. Très vite, je remarquai deux volumes rangés à peu de distance l’un de l’autre, deux grands livres d’architecture du XVIe siècle, dans des reliures à grand décor exécutées à la fin des années 1560. Les deux volumes étaient absolument dépourvus de tout signe d’appartenance – ni ex-libris ni armes – mais ils portaient tous les deux une cote ancienne à l’encre brune, un numéro noté d’une écriture large entre deux traits sur la garde volante. Pascal Ract-Madoux et moi poursuivîmes ensemble les recherches, et c’est au total 34 reliures, inédites pour la plupart, portant toutes une cote ancienne à l’encre brune, que nous trouvâmes à la Réserve, presque toutes exécutées dans les années 1560 par différents ateliers qui sont les meilleurs existant à Paris à cette date. Tous ces volumes hélas étaient obstinément muets quant à leur propriétaire initial, à l’exception de ces mystérieux numéros tracés à l’encre sur les gardes, que nous baptisâmes très vite les « cotes brunes ». Des explorations menées les années suivantes sur les rayons des autres bibliothèques parisiennes permirent la découverte d’une trentaine de nouveaux volumes, principalement conservés à la Bibliothèque Mazarine et à la Bibliothèque Sainte Geneviève – où nous trouvâmes notre livre le plus « récent », une édition de 1569. Cette chasse était fascinante : repérer des candidats possibles, c’est à dire des volumes anonymes luxueusement reliés vers 1560-70 ; puis ouvrir le volume en espérant que les feuillets de gardes anciens avaient été conservés, et, ensuite, qu’ils porteraient notre cote. Cet espoir a souvent été récompensé, et le nombre de volumes augmentait – il atteint aujourd’hui 90 –, conservés en France et à l’étranger, notamment à la British Library, à la Pierpont Morgan Library de New York, et dans quelques collections particulières. Mais les nouveaux volumes découverts étaient toujours aussi muets sur le possesseur ou commanditaire des reliures. C’est sur un manuscrit que nous trouvâmes enfin une piste. En 1997, ouvrant un important manuscrit littéraire, les amours de Philippes Desportes, luxueusement relié au chiffre c et considéré traditionnellement comme un volume offert au roi Charles IX, Pascal Ract-Madoux eut la surprise de trouver notre « cote brune » inscrite sur la garde. A la fin du manuscrit, dans un Sonnet de l’année 1570, Desportes pleure son « seul amy, sage, heureux et parfait » et se lamente sur l’inconstance de sa maîtresse. Le « seul amy » est le brillant secrétaire d’Etat Claude de Laubespine, mort à 25 ans en septembre 1570. Et la dame est sa sœur Madeleine, épouse du ministre Nicolas de Villeroy, que Desportes surnommait Callianthe. Le manuscrit des amours, qui n’a jamais appartenu à Charles IX, est évidemment celui que Desportes avait destiné à Claude de Laubespine ou à « Callianthe », le c de la reliure pouvant désigner aussi bien le frère que la sœur. C’est donc chez les Laubespine qu’il fallait chercher notre amateur.

Le père de Claude et Madeleine, Claude II de Laubespine, l’un des quatre secrétaires d’Etat entre lesquels fut réparti le gouvernement à la mort de François Ier, joua un rôle politique important et devint après 1560 le principal conseiller de Catherine de Médicis. Il s’enracina en Berry, où il acquit le château de Châteauneuf-sur-Cher et le célèbre Hôtel Jacques Cœur à Bourges, sa résidence principale : il ne possédait pas d’hôtel parisien et résidait au Louvre, où il mourut en novembre 1567, trop tôt pour être le commanditaire de nos reliures dont la plus récente recouvre une édition de 1569.

Claude III avait 16 ans en 1560, lors de sa nomination en survivance à la charge de secrétaire d’Etat de son père. Très proche de Charles IX, il fut très tôt chargé de missions de confiance, en Espagne notamment, en 1566-1567. Il semble avoir mené une vie fastueuse entre les différentes résidences qu’il tenait de sa jeune épouse, riche et unique héritière de l’ambassadeur à Rome Henri Clutin : une maison dans la rue à la mode, la rue des Bourdonnais dans le quartier des Halles, une seigneurie à l’Est de Paris, à Villeparisis, et une maison de plaisance baignée par la Seine qui sera évoquée par Ronsard :

De ton trespas les fleuves ont pleuré,
et seine large au grand cours séparé,
qui ta maison entournoit de ses ondes,
en a gemy sous ses vagues profondes.

cette vie brillante fut brutalement interrompue. Le 12 septembre 1570, le jeune homme mourait au cloître Notre-Dame.

Madeleine, sa cadette d’un an, avait été mariée en 1559 à Nicolas de Neuville de Villeroy, lui aussi secrétaire d’Etat. Il succéda à son beau-père en 1567, et il allait devenir le principal ministre de quatre rois, de Charles IX à Louis XIII. Villeroy fut aussi, comme l’a souligné Pierre Champion dans son Ronsard et villeroy, le protecteur des poètes, et l’on connaît plusieurs poèmes de Ronsard qui lui sont adressés, dont les très beaux vers de dédicace des amours diverses, chantant l’un des châteaux de Nicolas, Conflans, sa galerie d’orangers et « sa belle librairie » :

Prens ce livre pour gage, et luy fais, je te prie,
ouvrir en ma faveur ta belle librairie
où logent sans parler tant d’hostes estrangers :
car il sent aussi bon que font tes orangers.

nous avons assez vite compris que les cotes brunes étaient non des cotes de bibliothèque, mais des numéros portés lors d’un inventaire. Nous avons longtemps pensé qu’il s’agissait de l’inventaire dressé à la mort de Claude de Laubespine le Jeune en 1570. La découverte de deux ouvrages respectivement datés de 1575 et de 1586, portant notre « cote brune », nous a fait comprendre qu’il s’agissait d’un inventaire plus tardif, celui de l’un de ses deux héritiers, sa sœur Madeleine de Villeroy, morte en 1596, ou son jeune frère Guillaume de Laubespine, mort en 1629. Une autre découverte, celle d’un manuscrit relié pour Nicolas de Villeroy portant lui aussi notre « cote brune », nous a conduits à trancher en faveur de Madeleine.

Je me suis donc lancée à la recherche des livres des Villeroy. Intriguée par cette « belle librairie » de Conflans chantée par Ronsard, j’ai, dans une communication au colloque henri iiide juillet 2003, présenté un recensement des livres ayant appartenu à Nicolas de Villeroy. A ma grande surprise, je n’en ai trouvé que treize, pour la plupart des cadeaux d’étrennes offerts au puissant secrétaire d’Etat. Treize livres, même magnifiques, ne font pas une « belle librairie ». Or il existe une description peu connue du château de Conflans, donnée en 1619 par Jean-Baptiste Masson. Je renvoie aux actes à paraître du colloque henri iiipour le reste, et me borne à donner la traduction d’un passage de cette description :

La bibliothèque contient environ deux mille volumes, œuvres de genres divers et dont le choix est excellent. elle mesure 6 pas de large sur 24 de long. le plafond, ravalé en plâtre et cintré, est orné de reliefs et de peintures figurant des sujets variés.

les cotes brunes s’étagent entre 5 et 1481. Deux mille volumes notés par Masson – au moins 1481 « cotes brunes » : les ordres de grandeur sont très proches. Je terminai donc ma communication au colloque henri iiien émettant l’hypothèse que la bibliothèque aux cotes brunes et la bibliothèque « évanouie » de Conflans ne faisaient qu’un. Quelques mois plus tard, un chercheur en histoire de l’art, Mickaël Szanto, qui m’avait entendu proposer l’hypothèse Conflans, m’a, avec une très grande générosité, fait part de sa découverte d’un inventaire des livres de monseigneur de villeroy qui sont en sa bibliothèque de conflans. Rédigé vers 1618, après la mort de Villeroy, et donc postérieur d’une vingtaine d’années à l’inventaire aux « cotes brunes », il décrit une bibliothèque encore augmentée contenant près de 3000 volumes. Tous les livres aux « cotes brunes » y figurent, notamment le manuscrit des amours de Desportes. Tous les livres Villeroy que j’avais recensés pour le colloque henri iiiy figurent également. Les conclusions auxquelles Pascal Ract-Madoux et moi étions parvenus à partir de la découverte des « cotes brunes », premièrement que ces magnifiques reliures avaient été exécutées pour Claude de Laubespine le Jeune, deuxièmement que les livres étaient passés chez sa sœur Madeleine de Villeroy, où ils avaient constitué le noyau de la belle bibliothèque de Conflans, se sont donc trouvées confirmées.

2. les livres en italien dans la bibliothèque aux « cotes brunes »

au lendemain de la conférence de juin 2003 annonçant la découverte des livres au « cotes brunes », Jean Balsamo m’a signalé l’existence d’un volume particulièrement intéressant de la Collection de poésie italienne de la Fondation Barbier-Mueller. Il s’agit d’une édition des dialoghi di M. Speron Speroni, Venise, in casa de’ figliuoli di Aldo, 1546, in-8°. Ce volume, que grâce à la courtoisie de Monsieur Jean Paul Barbier j’ai pu examiner à loisir à Paris, est recouvert d’une reliure en veau brun à décor d’entrelacs (fig. 1). Il présente la particularité d’avoir fait l’objet, lors d’une restauration au XIXe siècle, d’une “amélioration” : en pied du dos a été dorée la mention « io. grol./et amic. ». Cet impossible ex-libris de Grolier, qui n’a jamais marqué ses livres de cette manière, ne pouvait plus tromper personne,2et M. Barbier acquit le volume pour ce qu’il était, une reliure contemporaine de l’intéressante édition qu’elle recouvrait, maquillée en faux Grolier. Personne jusque là n’avait attaché d’importance à la cote ancienne 501 (fig. 2) qui figure sur la garde, et qui fait du Speroni le 89e volume retrouvé de la bibliothèque aux « cotes brunes ». À la suite de la dispersion de la bibliothèque de Conflans dans les années 1640, le volume fut acquis par Claude de Sallo,3prieur de Moustiers, frère du fondateur du journal des savants, qui en fit don à son monastère, comme en témoigne l’ex-dono manuscrit qui figure sur la page de titre : « Monachorum Cellensium/Ex dono Dni de Sallo/Prioris ». Vendu à Paris le 17 novembre 1815 (annotation au crayon sur la garde), passé en angleterre (découpage de catalogue à prix marqué « 15 guineas » joint au volume – il était alors déjà maquillé en Grolier),4 il appartint ensuite à la collection Van der Elst.5Le Speroni n’est pas, loin de là, le seul livre italien de la bibliothèque aux « cotes brunes ». Sur les 90 volumes que nous connaissons, quarante-trois, près de la moitié, sont imprimés en Italie. Je ne traiterai dans le cadre de cet article que de ceux qui sont en langue italienne, quinze, tous, sauf un, regroupés sous des « cotes brunes » voisines qui s’échelonnent entre 467 et 546 en deux séries : les volumes in-folio d’abord, les petits formats ensuite. Le Speroni coté 501 prend ainsi place entre les lettere de Bembo, trois volumes cotés 489 à 491, et les asolani de 1544, un exemplaire coté 507, conservé à la Bibliothèque Mazarine (fig. 3). Voici la liste de ces quinze volumes en langue italienne, avec des précisions concernant les dates d’exécution de leurs reliures, toutes parisiennes (sauf indication contraire, les exemplaires ne sont pas réglés, les titres sont dorés sur le dos et les tranches sont simplement dorées, sans ciselure). Ces livres en italien relèvent tous, à l’exception du traité d’escrime d’Agrippa, de la littérature et de l’architecture. Tous sont imprimés en Italie, à Venise précisément, sauf deux : le Vignole, imprimé à Rome, et le Pétrarque de 1475, imprimé à Bologne.

sperone speroni, Dialoghi, venise, alde, 1546. in-8o. reliure

genève, coll. barbier-mueller

sperone speroni, Dialoghi, venise, alde, 1546. in-8o.

cote brune 501 genève, coll. barbier-mueller

467
giacomo barozzi da vignola, Regola delli cinque ordini d’architettura, [rome, 1564 (date de la planche supplémentaire qui figure dans cet exemplaire)]. in-fol.
new york, pierpont morgan library, 51314.
reliure en maroquin brun à décor proche des fanfares, exécutée entre 1567 et 1570.6

478
Francesco petrarca, Triumphi col commento di bernardo glicino, bologne, malpigli, 1475. in-fol.
bibliothèque mazarine, inc. 109.
reliure en maroquin brun clair, à décor de fanfare à compartiments vides, exécutée entre 1567 et 1570 (fig.4).7

479
pietro cataneo, I quattro primi libri di architettura,venise, alde, 1554. in-fol.
bnf, rés. v 722.
reliure en veau brun, entrelacs peints, exécutée entre 1567 et 1570.

480
sebastiano serlio, Libri I-V d’architettura, venise, sessa, 1562. in-fol.
coll. de feu sir paul getty, wormsley (uk).
reliure en maroquin olive, exécutée entre 1565 et 1567.8

Pietro Bembo, Gli Asolani, Venise, Trino di Monferrato, 1544. in-8o. reliure

paris, bibliothèque mazarine (cliché s. nagy)

francesco petrarca, Triumphi, bologne, malpigli, 1475. in-fol.

cote brune 478 paris, bibliothèque mazarine. (cliché s. nagy)

483
francesco colonna, Hypnerotomachia Poliphili, venise, alde, 1499. in-fol.
coll. particulière.
reliure en maroquin brun clair poudré d’or, à décor de fanfare à compartiments vides, exécutée entre 1567 et 1570.9

489 à 491
pietro bembo, Il Primo (-terzo-) volume delle lettere, venise, g. scotto, 1562-1563.
in-12, 3 volumes.
bibliothèque sainte-geneviève, réserve 8° z 724(3) inv 2735-2737.
reliure en veau brun à décor argenté, exécutée en 1563 ou peu après, titre argenté sur le plat supérieur. exemplaire réglé, tranches argentées et ciselées.
le volume ii, manquant, a été anciennement remplacé à la bibliothèque sainte-geneviève par un volume issu d’un autre exemplaire.

501
sperone speroni, Dialoghi [...] nuovamente ristampati e con molta diligenza riveduti e corretti [per daniel barbaro], venise, « in casa de’figliuoli di aldo », 1546. in-8°.
coll. barbier-mueller.
reliure en veau brun à décor argenté, exécutée vers 1550, titre argenté sur les deux plats (dialog.di.m/speron speroni). exemplaire réglé, tranches primitivement argentées (redorées) et ciselées (fig. 1 et 2).

507
pietro bembo, Gli Asolani di Monsignor P. Bembo, venise, trino di monferrato, 1544. in-8°.
bibl. mazarine 22522 rés.
veau blanc, décor argenté, reliure exécutée vers 1550. titre argenté sur le plat supérieur : gli asolani del bembo. exemplaire réglé, tranches argentées et ciselées (fig. 3).

510
lodovico ariosto, Le Rime di M. Lodovico Ariosto, venise, j. modanese, 1546.
in-8°.
bnf, rés. yd 1207.
reliure en veau exécutée vers 1550, exemplaire imprimé sur papier bleu.

516
francesco petrarca, Il Petrarca, con l’espositione d’alessandro vellutello, venise, n. bevilacqua, 1563. in-4°.
bnf, rés. yd 567.
reliure en maroquin olive, exécutée en 1563 ou peu après, décor de soleils sur le dos (modifié).

517
francesco petrarca, Il Petrarcha, con la spositione di m. giovanni andrea gesualdo, venise, d. giglio, 1553. in-4°.
bnf, rés.yd 565.
reliure en maroquin olive, exécutée en 1563 ou peu après, décor de soleils sur le dos (modifié).

529
camillo agrippa, Trattato di scientia d’arme, rome, a. blado, 1553. in-4°.
bnf, rés. v 1401.
reliure en veau brun, entrelacs peints, exécutée entre 1567 et 1570.

546
francesco petrarca, I Trionfi del Petrarcha, con la spositione di m. giovanni andrea gesualdo, venise, d. giglio, 1553. in- 4°.
bnf, rés. yd 566.
reliure en maroquin olive, exécutée en 1563 ou peu après, décor de soleils sur le dos (modifié).

un seul volume se trouve « rangé » sous une cote brune éloignée, il s’agit du volume coté

1202
vitruve, I Dieci libri dell’Architettura di M. Vitruvio, tradutti et commentati da monsignor barbaro, venise, f. marcolini, 1556. in-fol.
coll. part.
reliure en maroquin olive à décor proche des fanfares, exécutée entre 1567 et 1570.10

j’ai dit plus haut que les reliures aux « cotes brunes » avaient été, sauf exception, exécutées au milieu des années 1560. Ce sont précisément les livres en italien (sauf un Cicéron relié pour Grolier et un Cesar relié pour Mahieu, probablement des cadeaux de ces grands amateurs) qui constituent l’exception. On distingue en effet trois périodes différentes de reliure pour ces livres en italien. Le premier groupe se situe vers 1550 et réunit trois volumes de littérature, tous imprimés entre 1544 et 1546 à Venise : les 501 (Speroni), 507 (asolani de Bembo) et 510 (rime de l’Arioste). Deux d’entre eux, le Speroni de la collection Barbier et le Bembo de la Mazarine, ont des caractéristiques communes : le titre doré (en l’occurrence, argenté) sur le ou les plats, des tranches ciselées et argentées. Ce sont tous deux des exemplaires réglés. A ce groupe il faut peut-être ajouter un volume que je n’ai pas encore eu en main, conservé à Wolfenbuttel, relié vers 1550 en veau brun à décor d’entrelacs et présentant un titre doré sur le plat : DELLE RIME DEL BEMBO.11un second groupe de reliures est exécuté en 1563 ou peu après. La reliure des lettere de Bembo de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, quoique réalisée quinze ans plus tard, reprend exactement, comme si on avait voulu copier un modèle original, les caractéristiques des reliures du premier groupe : titre en italien argenté sur les plats, tranches argentées et ciselées, réglure de l’exemplaire.

Un troisième groupe, relié lui aussi vers 1563 ou peu après, réunit les trois Pétrarque de la Réserve de la BNF (cotés 516, 517 et 546). Il a fait l’objet de « spécifications » particulières, comme si le commanditaire de ces trois reliures en maroquin olive, à décor presque identique, s’était soucié de définir un type de reliure précis (titre doré au dos, fer à motif de soleil, tranches dorées et non ciselées, exemplaires non réglés). Ce commanditaire a même fait modifier immédiatement les dos, qui n’étaient sans doute pas conformes à ses instructions.

Les reliures du premier groupe datent de 1550 environ, celles des deuxième et troisième groupes de 1563-65 environ. Pour qui ont été exécutées ces trois séries de reliures ? Les plus anciennes ne peuvent l’avoir été pour Claude le Jeune, né en 1545. Son père n’a fait qu’une brève incursion en Italie, accompagnant Henri II en Piémont en 1548. Son beau-père, Henri Clutin, qui déclarait en 1564 être « estimé comme sachant le latin, l’italien et autres langues étrangères »,12mort en fonctions dans son ambassade de Rome en 1566 et dont la tombe est la plus imposante de celles de Saint-Louis-des-Français,13ferait un meilleur candidat. Mais si sa fille et seule héritière Marie, qui épousa Claude de Laubespine en 1567, lui apporta des livres en italien, ils ne peuvent pas avoir rejoint la bibliothèque aux « cotes brunes », puisque, restée veuve sans enfants, elle se remaria dès 1572 avec un protestant, Georges de Clermont-Gallerande. En revanche, l’oncle maternel de Claude, Jean de Morvillier, fut ambassadeur à Venise d’octobre 1546 à septembre 1550.14Il sut y faire alterner obligations politiques et délassements lettrés – en compagnie de Jacques Amyot, alors précepteur de ses neveux Bochetel, qui l’y rejoignit. On sait que Morvillier intervint pour obtenir un privilège français pour les epistole ad atticum de Ciceron15qu’édita Paul Manuce en 1547. En remerciement de son aide, Paul Manuce lui dédia en 1549 une version latine des philippiques de Démosthène.16Les éditions vénitiennes des années 1544-46, reliées à Paris vers 1550, c’est à dire au moment du retour d’ambassade de Morvillier, ne pourraient-elles avoir été ensuite données par lui à son neveu, dont on sait qu’il prit grand soin ? Et le jeune homme se serait soucié, au début de sa carrière d’amateur, que nous situons vers 1565, de faire relier d’abord de la même manière, puis différemment, les textes de littérature italienne ?

On ne peut exclure cependant que ce soit Morvillier lui même qui ait fait exécuter les deux premiers groupes, restant fidèle au type élaboré à son retour de Venise. En effet à sa mort en 1577, il laissait sa maison de Paris, « avec les meubles estant dedans », à ses neveux Nicolas de Villeroy et Guillaume de Laubespine. Il est possible qu’à ce moment là une partie au moins de ses livres aient rejoint la bibliothèque des Villeroy. Le quatrième et dernier groupe, le plus important, est celui des reliures réalisées entre 1565 et 1570, sans aucun doute possible pour Claude de Laubespine le Jeune.17

Il réunit livres de littérature et d’architecture, plus le traité d’escrime d’Agrippa. On peut le diviser en plusieurs “sous-groupes” : le grand Serlio de la collection Getty (480) est relié parmi les premiers, en même temps que d’autres livres d’architecture en français ou en latin, confiés au même relieur baptisé « Le dernier relieur de Grolier ». Le Cataneo (479) et l’Agrippa (529) sont reliés dans un autre atelier et selon des modèles proches. Le Vignole (467) et le Vitruve « égaré » sous la cote brune 1202 (il a rejoint les livres d’architecture en latin et en français, rangés sous des cotes avoisinant 1200) ont le même décor et semblent des volumes jumeaux. Deux fanfares à compartiments vides clôturent triomphalement la série : le magnifique Pétrarque incunable de la Mazarine (478) et le célèbre Poliphile (483) des anciennes collections Rahir et Esmerian.

J’ai évoqué en introduction la découverte récente de l’inventaire de la bibliothèque des Villeroy au château de Conflans. Cet inventaire passionnant décrit tous les volumes de la bibliothèque, sans céder à l’habitude qui consiste à traiter les petits formats en paquets : les moindres in-12 y figurent au même titre que les grands in-folio, et l’on sait que les textes littéraires sont souvent publiés en petit format. Cette bibliothèque est remarquablement riche en poésie et littérature françaises, mais j’y reviendrai ailleurs. La section « Livres en italien », qui seule nous intéresse ici, contient 200 titres (35 in folio, 83 in-4° et 82 livres de format plus petit), dont les quinze livres aux « cotes brunes » détaillés plus haut, et beaucoup d’autres, confirmant ainsi ce que nous avions compris, que les « cotes brunes », un inventaire topographique, rendaient compte du cadre de classement de la bibliothèque. Certains rangements ont été faits depuis l’inventaire qui a donné lieu à l’apposition des « cotes brunes » : le Vitruve coté 1202 a rejoint son volume jumeau, le Vignole 467 ; le Poliphile et le Pétrarque incunable sont rangés côte à côte, et les deux Pétrarque in-4° cotés 517 et 546 sont réunis. Evidemment, l’inventaire de Conflans ayant été dressé vers 1618, une partie des livres est postérieure à la période qui nous occupe et a été acquise après la mort de Madeleine de Villeroy en 1596. Un sondage sur les in-folio montre cependant que la part des livres récents est relativement faible, et que le gros de la collection était constitué dans les années 1570-80. Je renvoie là aussi à l’édition que nous préparons de cet inventaire, me bornant à constater que 200 titres en italien sur un total de 2000 titres en 3000 volumes représentent 10 %.

Un mot sur les livres d’architecture. J’ai dit que ce sont des livres d’architecture qui m’ont d’abord mis sur la piste des « cotes brunes ». Non que l’architecture soit la seule spécialité de cette bibliothèque, qui offre aussi des visages plus classiques, humanités et auteurs de l’Antiquité, médecine et histoire naturelle, histoire et géographie, théologie. Mais architecture et perspective y tiennent une place inhabituelle à cette date. Aux cinq traités d’architecture en italien déjà décrits, il faut ajouter, en latin ou en français : le Vitruve de Fra Giocondo de 1511, l’Alberti de 1553 et le Vitruve de 1547 traduits en français par Jean Martin, le livre de perspective de Jean Cousin de 1560. A ces neuf volumes, l’inventaire de Conflans permet d’ajouter les suivants, en latin ou en français, que je n’ai pas encore pu localiser : cinq éditions de Vitruve, « Architecture de Antonio Labacco folio relié en maroquin doré, Architecture de Cerlio (sic) folio relié en maroquin doré, Architecture de Du Cerceau folio relié veau, deux volumes, Architecture de Philibert Delorme tome premier in folio relié veau, Architecture de Serlio en francois folio relié en veau, Instructions pour bien bastir de Philibert de Lorme folio un exemplaire relié veau et deux en parchemin » et un volume en italien : les « Fortificatione di Girolamo Maggi folio relié veau ». Vingt et quelque livres d’architecture, c’est peu à l’aune des bibliothèques du XVIIe siècle. Mais c’est beaucoup par rapport à d’autres bibliothèques d’amateurs du XVIe siècle.

3. de quelques autres bibliothèques d’amateurs contenant des livres en italien

quinze volumes en italien sur 90 « cotes brunes » connues, cela représente environ 16 %. Comment se situe la bibliothèque aux « cotes brunes » par rapport à d’autres bibliothèques contemporaines ? On sait le fort accroissement des éditions françaises en langue italienne à partir de 1550 environ, qui ne fléchira que vers 1590,18et le mouvement parallèle concernant les traductions de l’italien en français.19

Dans quelle mesure cet intérêt pour la langue et la culture italiennes, si vif à la cour de Henri III qu’il suscite des réactions bien connues,20se reflète-t-il dans la composition des bibliothèques ? Curieusement, les études dont on dispose sur les bibliothèques françaises du XVIe siècle ne permettent pas d’avoir une idée très claire de la place qu’y tient le livre italien, même s’il semble communément admis que cette place – que personne n’a tenté véritablement de mesurer – est plutôt faible.21

Esquissons quelques comparaisons, tant pour les livres en italien que pour les livres d’architecture, à partir des quelques grands inventaires de bibliothèques publiés. Dans la bibliothèque de Jean Le Feron,22dont l’inventaire de 1547 – qui décrit 670 titres – est le plus riche de ceux publiés par R. Doucet, un seul livre en italien, un Dante de grand format. Pétrarque est en français ou en latin. Le Feron possède deux livres d’architecture, le Grapaldi et un Vitruve, tous deux en latin.

Dans celle de l’aumônier de Henri II, Gaston Olivier, mort en 1552, trois livres en italien seulement dans une bibliothèque qui en compte plus de 700, « le Poliphile en vulgaire italien » (no 756), un « Hisolario » (no 757, probablement l’isolario de Benedetto Bordone) et « Platine, de l’honneste volupté, aussi en italien » (no 758), ainsi que trois livres d’architecture qui ne semblent pas être en italien.23

Dans la bibliothèque d’Antoine Duprat, fils aîné et unique héritier du chancelier, qui possède près de 1200 volumes à sa mort en 1557, répartis entre son hôtel parisien et son château de Nantouillet, on trouve une courte rubrique Livres en italian, six volumes dont un Vitruve en velours violet in-folio de Venise (l’édition de 1535 ?). A Nantouillet, les rime de Bembo, un livre de voyages et un Justin en italien « doré sur la tranche et sur le cuyr ». Sous la rubrique livres de portraiture, deux volumes d’architecture non précisés et un autre « livre de portraiture » en italien.24

Pour la seconde moitié du siècle, on dispose de l’inventaire du parlementaire Claude Dupuy, qui naît en 1545, comme Claude III de Laubespine. A sa mort en 1594, sa bibliothèque compte 2000 livres, dont près de la moitié ont été retrouvés. Jérome Delatour a réalisé un remarquable travail sur ces livres, qu’il a identifiés en croisant les informations de l’inventaire après décès avec celles que fournissent les exemplaires, en grande partie conservés grâce à l’entrée en bloc de la bibliothèque Dupuy à la Bibliothèque Royale au XVIIe siècle.25 Sur ces livres, trois volumes d’architecture seulement, mais la proportion des livres en langue italienne est de 6 %.

Intéressons-nous maintenant à quelques bibliothèques exemplaires ou inédites.26 On conserve environ 500 titres luxueusement reliés pour Grolier, le « phénix » des amateurs francais de livres, mort – très âgé – en 1565. Sur ces quelque 500 titres,27 une cinquantaine – soit environ 10 % – sont des éditions en langue italienne. Grolier possède seulement quatre livres d’architecture : le Grapaldi (en latin) et trois titres en italien, le Terzo libro de Serlio de 1540 (2 exemplaires, dont l’un sur papier bleu), le Vitruve de 1521 et celui de 1535. Les autres livres en italien – dont cinq exemplaires du Poliphile – relèvent presque tous du domaine littéraire, sauf quelques livres d’histoire ou de médailles.

Pour son émule Thomas Mahieu, qui appartient à la génération intermédiaire – il a quarante ans de moins que Grolier et 15 ans de plus que le jeune Laubespine – on connaît près de 120 titres, tout aussi luxueusement reliés que ceux de Grolier, pour la plupart entre 1550 et 1570.28 Sur ces 120 titres, une trentaine, soit 25 %, sont en italien, mais leur contenu est assez différent de ceux de Grolier : aucun livre d’architecture (Mahieu n’en possèderait d’ailleurs qu’un, le Vitruve de 1511 en latin, dans une exceptionnelle reliure à décor architectural), des livres de littérature, mais aussi beaucoup de livres d’histoire et d’érudition.

Le Feron, Olivier, Du Prat, Grolier, Mahieu et Dupuy appartiennent tous aux milieux du Parlement et de la chancellerie, à cette noblesse de robe dont le rôle intellectuel a été souligné par Hélène Michaud dans son livre de 1967. Elle y est revenue dans un article spécialement consacré aux bibliothèques des secrétaires du Roi au XVIe siècle, paru l’année suivante.29 En dépit de ses actives recherches, elle y constatait que la liste des secrétaires du Roi pour lesquels elle disposait d’un inventaire de bibliothèque ne comprenait aucun des amateurs connus (ni Grolier, ni Mahieu, ni – dans un genre moins « bibliophilique » – les Du Tillet ou Pierre de Lestoile). Cette liste ne comprenait non plus aucun des ténors de la profession et notamment aucun des quatre secrétaires du Roi qui deviennent sous Henri II les quatre premiers secrétaires d’Etat, Guillaume Bochetel, Côme Clausse, Jean Duthier et Claude de Laubespine, ni aucun de leurs successeurs. Elle concluait – je cite : « la nomenclature des possessions de Bochetel, qui traduisit une tragédie d’Euripide, de Duthier qui composa en italien une parodie d’Erasme, de Bourdin qui après son beau-père Jean Brinon recevait les poètes dans sa maison de Médan, de Villeroy célébré par Ronsard nous échappe totalement ».

Le plus intéressant des inventaires découverts par Hélène Michaud est celui d’un amateur qui meurt en 1578, le secrétaire du Roi Jacques Perdrier. J’ai transcrit cet inventaire et constaté que, comme chez le jeune Laubespine, l’architecture et les beaux arts sont exceptionnellement riches pour l’époque avec plus d’une vingtaine d’in-folio : « Libro estraordinario de Serlio, Primo libro de Cataneo, deux Topographiae romae, Primo libro de Serlio, Alberti en italien, Fortifications de Maggi, Vignole en italien ». Hélène Michaud avait donc parfaitement raison de souligner le caractère inhabituel de la bibliothèque de Perdrier. Ce qu’elle a omis de signaler, c’est la forte présence des livres en italien dans cette bibliothèque qui contient aussi un Poliphile, « Les Triumphes de Petrarca en Italien, folio, Descriptione di Guichardini en italien, folio », et dans laquelle on trouve, parmi les in-4°, « Orlando Furioso, un Decameron de Boccace, Morgante Pulci », et un « paquet de plusieurs livres en italien ».

L’inventaire de l’un des secrétaires d’Etat avait curieusement échappé à H. Michaud. C’est celui de Florimond Robertet de Fresne, petit-neveu du fondateur de la dynastie, qui succède à Côme Clausse, son beau-père, en 1558 et meurt en octobre 1567. Les liens de Robertet de Fresne avec les Villeroy et les Laubespine sont étroits puisque son beau-frère, Henri Clausse, a épousé la sœur unique de Nicolas de Villeroy, Denise. L’inventaire dressé par le libraire parisien Pierre Drouart, cité par Schutz mais resté inédit (je compte le publier), comporte 17 pages et décrit une bibliothèque d’environ 700 volumes dont la moitié sont en français, et qui comporte plus de livres en italien (150 environ, soit 20 % de la bibliothèque) que de livres en latin (une centaine). Poussons chronologiquement notre enquête, en nous intéressant à des personnages à peu près contemporains de Claude de Laubespine, mais qui ont vécu plus longtemps. Qu’en est-il chez le poète tellement proche de Claude et Madeleine, le représentant majeur du pétrarquisme en France, Philippe Desportes, qui meurt en 1606 ? J’ai publié une liste de 286 volumes portant son ex-libris, qui comporte 45 titres en italien.30 Depuis cette publication, j’ai pu identifier 16 nouveaux volumes en italien, ce qui fait 61 titres en italien sur environ 330, soit 18 %.

C’est un pourcentage très voisin, 16 %, que les recherches de Jacqueline Boucher ont fait apparaître dans une bibliothèque évidemment hors-norme, celle du roi Henri III dont elle a recensé quelque 150 livres.31

Pour résumer : 15 volumes en italien sur les 90 « cotes brunes » actuellement connues de nous, voila qui fait environ 16 %. Chez Grolier, qui a passé plus de dix ans à Milan, le pourcentage est de 10 %. Il est plus élevé chez Mahieu, 25 %, mais Mahieu était d’origine italienne, probablement fils d’un commis de Grolier à Milan et d’une mère italienne. Chez Forimond Robertet de Fresne, le pourcentage atteint 20 %. Chez Perdrier, 16 volumes sur un total de 92 volumes (sans compter les « paquets »), voila qui nous donne un pourcentage de 17 % environ, très voisin des 18 % de Desportes.

Rappelons que la part de l’italien est encore presque nulle vers 1550 chez les Le Feron, Olivier ou Duprat (entre un et six livres dans des bibliothèques comptant 700 à 1200 volumes). Aussi la forte présence de la littérature italienne en langue « vulgaire » chez les secrétaires du Roi en général et dans la bibliothèque aux « cotes brunes » en particulier mérite-t-elle d’être relevée. Est-elle révélatrice d’une augmentation générale de la présence des livres italiens dans les bibliothèques françaises pendant la seconde moitié du XVIe siècle ? Dans la récente liste publiée par G. de Botton et F. Pottiée-Sperry de 99 livres ayant appartenu à Montaigne, 16 sont en italien, un pourcentage très voisin de ceux observés chez nos secrétaires, chez Desportes et chez Henri III. Mais on s’étonne de voir que la proportion des livres en italien n’est que de 6 % chez Claude Dupuy, l’ami de Pinelli, qui a pourtant passé une année en Italie. C’est exactement la même proportion, 6 %, que l’on observe dans la célèbre bibliothèque de Jacques-Auguste de Thou.32

Ces quelques notations ne peuvent se substituer à un travail systématique sur la place du livre italien dans les bibliothèques françaises du XVIe siècle et du premier XVIIe siècle. Mais il est probable que le très haut niveau atteint dans quelques bibliothèques d’amateurs, dont celle de Laubespine, sous les derniers Valois, est exceptionnel et reste l’apanage de quelques milieux choisis, dont celui des secrétaires du Roi. On sait le rôle qu’ils ont joué dès le règne de François Ier, possesseur lui-même d’une importante “bibliothèque italienne” évaluée dans la récente étude de T. Kimball Brooker à près de 150 volumes,33 en réalisant eux-mêmes (ainsi Jacques Colin, le premier traducteur du Cortegiano) ou en parrainant des traductions de la littérature italienne. Le fait que l’italien reste la langue diplomatique par excellence, la familiarité des principaux secrétaires avec Catherine de Médicis, leur présence permanente dans une cour italianisée suffisent à expliquer la disparité observée entre leurs bibliothèques (10 à 20 % de livres en italien) et celles de parlementaires comme Claude Dupuy et Jacques-Auguste de Thou (6 % chacun).

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1  Pour l’annotation de la première partie de cet article, je renvoie au texte de la conférence du 5juin 2003, sous presse : I. de Conihout et P. Ract-Madoux, Ni Grolier, ni Mahieu : Laubespine, « Bulletin du Bibliophile », 2004, no1, ainsi qu’à celui de ma conférence complémentaire du colloque Henri III : I. de Conihout, La belle librairie évanouie de Nicolas de Villeroy, dans Henri III mécène : les lettres, les sciences et les arts sous le règne du dernier Valois, actes du colloque tenu à la Fondation Singer-Polignac et à l’Institut de France, 3-5juillet 2003, à paraître à la fin de l’année 2004. Ces deux publications seront suivies, en 2005, d’un livre consacré par Pascal Ract-Madoux et moi-même à Claude et Madeleine de Laubespine, accompagné d’une exposition à la Bibliothèque Mazarine. L’ensemble du dossier Conflans (inventaires de la bibliothèque et du château) fera l’objet d’une publication séparée, donnée par M. Szanto, P. Ract-Madoux et moi-même.

2  Le volume figure sous le numéro 494dans Gabriel Austin, The Library of Jean Grolier, a preliminary catalogue, New York, Grolier Club, 1971, avec la mention « Fake » et un renvoi à la vente Sotheby du 20décembre 1954.

3  « Claude, conseiller au Parlement de Paris, était prieur commendataire du prieuré de Moustiers, et reçut comme tel un aveu le 22juillet 1666[...] Il était le fils de Jacques de Sallo, sieur de Beauregard, marié à Marguerite Viole », H. Filleau, Dictionnaire historique, biographique et général des familles de l’ancien Poitou, Paris, t. II, 1854, p. 670.

4  A. -J. -V. Leroux de Lincy, Researches concerning Jean Grolier, his life and his library [...] translated and revised by Carolyn Shipman, New York, The Grolier Club, 1907, p. 308, no 494. C. Shipman signale que le volume (qui n’est pas décrit dans l’édition originale de Leroux de Lincy en 1866) a figuré dans deux catalogues Quaritch, en 1883et 1888.

5  Indication fournie par l’ex-libris collé au contre-plat ; le volume n’a figuré au catalogue d’aucune des deux ventes Van der Elst.

6  Reproduction dans Paul Needham, Twelve centuries of bookbindings, 400-1600, New York, Londres, 1979, no 81, et dans notre article sous presse du « Bulletin du bibliophile ».

7  Reproduction dans M. Piquard, Reliures parisiennes du XVIe siècle conservées à la Bibliothèque Mazarine, dans Bibliothekswelt und Kulturgeschichte, eine internationale Festgabe für Joachim Wieder, Munich, 1977, pp. 147-54, et dans notre article sous presse du « Bulletin du bibliophile ».

8  Reproduction dans le catalogue de l’exposition de la Pierpont Morgan Library, The Wormsley library : a personal selection by Sir Paul Getty, New York, Londres, 1999, no 32.

9  Reproduction dans Manuscrits à peintures, livres des XVe et XVIe siècles, reliures ornées et mosaïquées,... Bibliothèque Raphaël Esmerian, 1re partie, Paris, 1972, no 19.

10  Reproduction dans E. Rahir, Livres dans de riches reliures, Paris, 1910, no 51, dans le catalogue de la vente La Baume Pluvinel, Paris, 18-19juin 1981, no 49, et dans notre article sous presse du « Bulletin du bibliophile ».

11  Cette reliure recouvre un recueil de quatre pièces imprimées à Venise et à Rome entre 1526et 1535, dont la première est un Specchio di Esopo, Rome, 1526. La pièce dont le titre figure sur la reliure, « Delle Rime di Bembo », Vinegia, Giovanni Antonio Nicolini da Sabbio, 1535, ne vient qu’en troisième position. La reliure est reproduite par Mirjam Foot, Studies in the History of Bookbinding, Aldershot (G.B.), 1993, p. 411.

12  M.-N. Baudouin-Matuszek, Un ambassadeur en Ecosse au XVIe siècle, Henri Clutin d’Oissel, « Revue historique », 569(1989), pp. 77-132.

13  La veuve de Henri Clutin, Jeanne de Chasteigner de la Rocheposay, commanda en 1586 à Germain Pilon un second monument, destiné à abriter le tombeau de cœur du défunt ambassadeur, qu’elle fit ériger dans l’église de Nanteuil le Haudouin, fief de son second époux Gaspard de Schomberg. E. Coyecque, La documentation de l’histoire de l’art français, dans Bulletin de la Société de l’Association de l’art français, 1930, p. 94et seq.; H. Zerner, Germain Pilon et l’art funéraire, dans Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, éd. G. Bresc-Bautier, Paris, 1993, notamment p. 205, 206et 211.

14  G. Baguenault de Puchesse, Jean de Morvillier, Paris, 1869, pp. 13-61notamment.

15  A. -A. Renouard, Annales de l’imprimerie des Alde, tome I, Paris, 1803, p. 247, 1547/2.

16  Renouard, Annales cité, p. 254, 1549/1.

17  Pour des précisions sur les ateliers de reliure ayant travaillé pour Claude de Laubespine, je renvoie à l’article sous presse du « Bulletin du bibliophile ».

18  N. Bingen, Philausone (1500-1660), répertoire des ouvrages en langue italienne publiés dans les pays de langue française de 1500à 1660, Genève, Droz, 1994, notamment p. 24et table chronologique pp. 521-22.

19  P. Chavy, Traducteurs d’autrefois, Moyen Âge et Renaissance, Paris-Genève, 1988, 2vol., notamment p. 1513-1516, la liste chronologique des éditions traduites de l’italien.

20  J. Boucher, Société et mentalités autour de Henri III, thèse soutenue à Lyon-II en 1977, Lille, Paris, 1981, notamment p. 985et suivantes (Une cour italianisante...). J. Balsamo, Les Rencontres des Muses. Italianisme et anti-italianisme en France à la fin du XVIe siècle, Genève, 1992.

21  La principale étude sur la question, A. H. Schutz, Vernacular books in Parisian private libraries of the Sixteenth Century, Chapel Hill, 1955, ne tire pas de conclusions bien nettes, en dépit de l’importance du matériel archivistique utilisé. Voir aussi R. Doucet, Les bibliothèques parisiennes au XVIe siècle, Paris, 1956 ; Histoire des bibliothèques françaises, T. 2, dir. C. Jolly, Les bibliothèques sous l’Ancien Régime, 1530-1789, Paris, 1988, passim. J. Balsamo, Les Rencontres des Muses cité, notamment pp. 206-07, et, du même, une très intéressante étude sur le cas de Pétrarque : Quelques remarques sur les collections d’éditions anciennes de Pétrarque conservées en France, dans Pétrarque en Europe, XIV-XXe siècle, actes du XXVIe congrès internationale du CEFI, 1995, à la mémoire de Franco Simone, études réunies et publiées par Pierre Blanc, Paris, 2001, pp. 87-97.

22  Doucet, Les bibliothèques parisiennes cité, pp. 105-64.

23  Françoise Lehoux, Gaston Olivier, aumônier du roi Henri II (1552). Bibliothèque parisienne et mobilier du XVIe siècle, Paris, 1957.

24  M. Connat et J. Mégret, Inventaire de la bibliothèque des Du Prat, « Bibliothèque d’humanisme et de Renaissance », III (1943), pp. 72-128.

25  J. Delatour, Une bibliothèque humaniste au temps des Guerres de religion : les livres de Claude Dupuy d’après l’inventaire dressé par le libraire Denis Duval (1595), Lyon, 1998.

26  Dans les quelques cas présentés ici, les comptages sont de nature différente, effectués soit à partir d’inventaires, soit à partir d’exemplaires conservés. Pour simplifier, mais aussi parce que le taux de conservation des bibliothèques luxueusement reliées (Grolier, Mahieu, Laubespine, de Thou) et de celles dans lesquelles l’amateur porte son nom sur la page de titre (Desportes, Montaigne) est très supérieur à celui des bibliothèques ordinaires, je n’ai pas essayé de les distinguer.

27  Voir Austin, The Library cité, pour le recensement des éditions, et la récente mise au point d’A. Hobson, Renaissance book collecting : Jean Grolier and Diego Hurtado de Mendoza : their books and bindings, Cambridge, 1999.

28  Geoffrey D. Hobson, Maioli, Canevari and others, Londres, 1926 ; J. Veyrin-Forrer, Notes sur Thomas Mahieu, dans Bookbindings and other bibliophily, Essays in honour of Anthony Hobson, D. Rhoddes éd., Verone, 1994, pp. 321-49.

29  Hélène Michaud, La grande chancellerie et les écritures royales au seizième siècle, 1515-1589, Paris, 1967 ; Hélène Michaud, Les Bibliothèques des secrétaires du roi au XVIe siècle, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, t.126, 1968, pp. 333-76 ; Plus récemment, la belle étude de Sylvie Charton-Le Clech, Chancellerie et culture au XVIe siècle, les notaires et secrétaires du roi de 1515à 1547, Toulouse, 1993, a fourni pour la première partie du siècle des précisions passionnantes sur leurs stratégies culturelles et leur rôle de constructeur.

30  Isabelle de Conihout, Du nouveau sur la bibliothèque de Philippe Desportes et sur sa dispersion, dans Philippe Desportes (1546-1606), un poète presque parfait entre Renaissance et Classicisme, éd. Jean Balsamo, Paris, 2000, pp. 121-60.

31  Boucher, Société et mentalités cité, pp. 853-92, notamment les p. 877et suivantes, qui contiennent d’intéressantes comparaisons avec d’autres bibliothèques.

32  A. Coron, Ut prosint aliis, Jacques-Auguste de Thou et sa bibliothèque, dans Histoire des bibliothèques françaises, t.2, ouvr. cité, pp. 100-25, notamment p. 107.

33  T. Kimball Brooker, Bindings commissioned for Francis I’s Italian library with horizontal spine titles dating from the late 1503s to 1540, “Bulletin du Bibliophile”, 1997, n 1, pp. 33-91. Voir aussi U. Baurmeister, D’Amboise à Fontainebleau : les imprimés italiens dans les collections royales aux XVe et XVIe siècles, dans Passer les monts : Français en Italie-l’Italie en France, 1494-1525, Actes du 10e colloque de la Société française d’étude du xvie siècle, éd. J. Balsamo, Paris, 1998, pp. 375-81.