Revue Italique

La poésie et les arts

OJ-italique-480

Pictura versus Poësis

Frédérique Dubard de Gaillarbois

O poeta, taci che non sai ciò che ti dica1

La différence de Léonard

Évoquer Léonard et ce qu’il ne paraît pas abusif d’appeler son réquisitoire contre les poètes en guise d’introduction à ce numéro d’Italique consacré au dialogue entre la « poésie et les arts » relève-t-il de la provocation ? Léonard serait-il l’exception qui confirme la règle, une voix dissonante dans le chœur policé des arts et des lettres, un furieux égaré sur le Mont Parnasse ?

Si Léonard n’a guère écrit de vers2, il a écrit sur la poésie ou plutôt contre la poésie. Et c’est à ce titre paradoxal qu’on lui accordera une place inaugurale dans ce recueil d’articles promis à de plus riantes perspectives. De toute antiquité, l’art et la poésie semblent avoir fait bon ménage collaborant à des degrés et à des moments divers, que la poésie intervînt en amont (comme source d’inspiration, pourvoyeuse de sujets et d’inventions, selon Alberti) ou en aval de l’œuvre d’art, (comme pourvoyeuse d’éloges – lode e nome –, d’ekphraseis, toujours selon Alberti).

Longtemps, la « querelle » fut l’apanage des lettrés (de Simonide de Céos à Castiglione en passant par Francesco Puteolano) et des poètes (à commencer par Homère, Dante et Pétrarque). Au XVIe siècle, les artistes, descendent dans l’arène prosaïque et poétique. Le phénomène est à la fois connu et méconnu, puisqu’il constitue l’un des champs de prospection les plus prometteurs d’actuelles études à la croisée de l’histoire de l’art et de la littérature3.

Cependant, l’écriture léonardesque diffère sensiblement dans ses motivations, sa forme et même son contenu des écritures des autres artistes, qu’ils soient écrivains et/ou écrivants ; une différence qui n’est pas réductible à la chronologie.

Si l’écriture artiste obéit le plus souvent à une stratégie d’intégration et d’adhésion à des rites socio-culturels dominants et utiles, ces gestes la prise de parole, la prise de la plume , ces lieux l’Académie plutôt que l’atelier dénotent une aspiration au décloisonnement professionnel : un idéal d’éclectisme qui est aussi une ambition sociale.

Mais l’écriture artiste relève aussi d’une prise de conscience de la dimension mentale de l’art qui est indiscutablement tributaire du précédent léonardesque4. Les carnets de Léonard font office de nec plus ultra d’une certaine typologie d’écriture artist5: diaristique, solipsiste, non destinée à la publication. Personne n’ira aussi loin que Léonard dans une investigation si radicale qu’elle permet de départager les artistes entre ceux qui écriraient « pour eux » et ceux qui le feraient pour « la galerie ». Si les polyphoniques Deux leçons de Varchi incarnent l’un des moments les plus réussis d’une attraction réciproque entre lettrés et artistes fascination du théoricien pour la praxis des artistes, tension à l’écriture des praticiens , la position extrême de Léonard désobligeante, intransigeante, coupante brille, cependant, d’un étrange éclat. Un pavé dans la mare des affinités électives entre la poésie et les arts ? Avec Léonard l’ut pictura poësis deviendrait-il pictura versus-poësis6 ?

Cette position n’engage-t-elle que Léonard ? Faut-il l’attribuer à une idiosyncrasie caractérielle, à la rancœur de l’homo qui se voulait senza lettere ou aurait-elle le mérite de défier l’évidence trompeuse du paragone7 et d’interroger la formule passe partout, mais en réalité équivoque et controversée de l’ut pictura poësis8 ?

Ruptures

La critique de la poésie chez Léonard peut apparaître comme un effet collatéral de la mise en cause de l’incontournable Paragone. Or, le Paragone souffrait de vices de fond et de forme, s’il reposait sur un certain nombre de présupposés qu’aucun artiste avant Léonard ne semblait avoir questionné9. En contestant la meccanicità de la peinture et en la qualifiant de philosophique et/ou scientifique, Léonard délégitimait non seulement l’outillage en vigueur (arts mécaniques et libéraux, trivium et quadrivium [...]), mais une axiologie qu’il ne semblait solliciter que pour mieux les subvertir.

D’autre part, le Paragone reposait sur ce qu’on pourrait décrire en termes quasi-journalistiques comme un abus de pouvoir doublé d’un conflit d’intérêt : le fait que la querelle se fût toujours déroulée dans le medium des lettrés (ou des poètes) qui avaient choisi les armes et les avaient imposées aux artistes.

Léonard s’inscrivait également en faux contre deux autres loci communes de l’ut pictura poësis : la moindre fragilité des écrits au regard des œuvres d’art et la prétendue « noblesse des lettres ». Sans même invoquer une perspective encore plus radicale, bien présente chez Léonard, selon laquelle « ogni cosa ha la sua morte »10 renvoyant dos à dos les antagonistes et frappant la querelle d’une dérisoire inanité, Léonard est, peut-être, le seul des artistes qui écrivent à ne pas croire dans l’écriture.

Alors que Vasari dirait tirer plus de gloire personnelle de ses Vies d’artistes et des qualificatifs « d’historien, poète et philosophe »11 que lui avait prodigués dès 1537 son célèbre concitoyen arétin que de ses œuvres, d’autres contemporains et non des moindres (Cellini, Bronzino, Bandinelli, Michel-Ange lui-même) semblent recourir à l’écriture la leur ou celle des autres pour dorer leur palette ou lustrer leur burin. Or, si le mot de « noblesse » et la question du statut socio-culturel de l’artiste sont sensibles dans les écrits de Léonard, celui-ci ne comptait nullement sur la réception littéraire pour conférer quelque noblesse que ce fût à une Nature qui la tenait d’elle-même et n’avait besoin ni des langues ni des lettres pour revendiquer ses « lettres de noblesse ».

veramente non senza cagione non l’hanno nobilitata, perche per se medesima si nobilita senza l’aiuto delle altrui lingue, non altrimenti che si facciano le eccellenti opere di natura. E se i pittori non hanno di lei descritto e ridottala in scienza, non e colpa della pittura. Perche pochi pittori fanno professione di lettere, perche la lor vita non basta ad intendere quella, per questo avremo noi a dire che essa e meno nobile? Avremo noi a dire che le virtu delle erbe, pietre e piante non sieno in essere perche gli uomini non le abbiano conosciute? Certo no, ma diremo esse erbe restarsi in se nobili senza l’aiuto delle lingue o lettere umane.12

Celui qui s’auto-qualifierait orgueilleusement (et trompeusement) d’omo senza lettere ne semblait pas dupe d’une des plus belles réussites idéologiques de l’Humanisme: la noblesse conférée par les lettres. Léonard mise sur une promotion intellectuelle celle de la peinture au statut de « philosophie » et de « science » qu’il dissocie rigoureusement d’une promotion littéraire, rompant les amarres entre les sciences et les lettres : ce qui a une valeur en soi se passe aisément d’un support ou d’une reconnaissance littéraire.

Cette position antilittéraire13 visait de toute évidence l’édifice et le positionnement albertiens ; point de départ, mais aussi de butée de la réflexion vincienne14. Rebelle ou ombrageux, Léonard n’entendait certes pas faire siens les conseils d’Alberti :

Pertanto consiglio ciascuno pittore molto si faccia famigliare ad i poeti, retorici e agli altri simili dotti di lettere, già che costoro doneranno nuove invenzioni, o certo aiuteranno a bello componere sua storia, per quali certo acquisteranno in sua pittura molte lode e nome. Fidias, più che gli altri pittori famoso, confessava avere imparato da Omero poeta dipignere Iove con molta divina maestà. Così noi, studiosi d’imparare più che di guadagno, dai nostri poeti impareremo più e più cose utili alla pittura.15

Léonard réfutait l’idée que les peintres pussent devoir quoi que ce soit aux poètes, allant jusqu’à renverser la charge de la dette. La perspective conciliatrice et utilitariste d’Alberti selon laquelle les peintres avaient tout intérêt à fréquenter les poètes et leurs textes, à se mettre à leur école, est répudiée. Non seulement les peintres n’avaient pas besoin des poètes, mais c’étaient les poètes qui dépendaient des peintres, rétorquait Léonard, à l’instar de la vue, ce sens capital métonymie sensuelle des peintres , dont la perte serait très supérieure à celle de l’ouïe équivalent sensuel des poètes dans le dispositif léonardesque.

Ainsi la qualification philosophique et scientifique de la peinture qui équivaut bien à un anoblissement intellectuel (mais non littéraire) n’a certainement pas pour objet de resserrer les liens entre les arts et les lettres, d’en faire des « sœurs »16, selon une métaphore aussi diffuse que répulsive17 pour Léonard. Celui-ci n’aura de cesse de battre en brèche l’édifice bâti par Alberti auquel les trattatisti ajouteront leur pierre au fil des siècles.

La poésie démasquée

La poésie, terme que Léonard utilise tantôt de façon générique au point qu’elle paraît interchangeable avec toute forme d’écriture18, tantôt de manière plus spécifique19, en particulier dans son analyse de la poésie didactique, fait l’objet d’un réquisitoire méthodique occupant une quinzaine de « chapitres »20 du Libro della pittura, dont il importera peu, ici, qu’il ait été plus ou moins remanié par Francesco Melzi. Le fait est qu’on dispose d’un matériel quantitativement et qualitativement considérable au point qu’on pourrait presque se demander si un autre artiste a autant écrit contre ou sur la poésie que Léonard.

Si Léonard connaît de toute évidence les positions et certains des textes constitutifs de la querelle (Simonide de Cleos, Horace, Pline, Dante, Pétrarque, Alberti...), s’inscrivant par là dans une continuité tacite, son positionnement constitue un tournant majeur par sa radicalité et son originalité. Non seulement un artiste fait irruption dans cette querelle indiscutablement monopolisée par des gens de plume, mais la confrontation entre peinture et poésie est poussée jusqu’à la rupture. Léonard n’écrit-il pas pour prouver que la peinture est supérieure à la poésie, qu’elle n’a cure ni besoin des poètes et dénoncer les abus et les impostures qui les discréditent ?

La Poésie est contestée à deux titres principaux: gnoséologique et fonctionnel. Selon Léonard, tout dire s’enracine dans un voir, lequel voir est plus proche du savoir que n’est, structurellement un dire qui sera toujours de deuxième main. Le savoir poétique n’est jamais qu’un bric à brac ; les poètes, au mieux, des vulgarisateurs, au pire, des faussaires contrairement aux peintres-philosophes, détenteurs d’un savoir de première main, résultant de leur accès direct à la nature. Dans cette configuration cognitive, les poètes font figure de charlatans ou de chiffonniers qui recyclent, abrègent, distillent le savoir des autres.

Le second grief concerne la communicabilité de la poésie, très inférieure à celle d’une peinture « universelle ». L’exemple de la poésie didactique21 privilégié par Léonard lui permet de distinguer l’art proprement poétique de l’art oratoire et des savoirs divulgués pour arguer du fait que les éventuels effets rhétoriques et cognitifs ne reviennent pas à la poésie :

Al quale si risponde che nessuna di queste cose di che egli parla è sua professione propria, ma che s’ei vuol parlare ed orare, è da persuadere che in questo egli è vinto dall’oratore e se parla d’astrologia, che lo ha rubato all’astrologo, e di losoa, al losofo, e che in eetto la poesia non ha propria sede, né la merita altrimenti che di un merciaio ragunatore di mercanzie fatte da diversi artigiani.22

Dans ce réquisitoire contre les « poètes » Léonard recycle un argumentaire anti-sophistique et anti-rhétorique qu’il rénove par l’identification décisive du peintre au philosophe et/ou scientifique opposé aux poètes-lettrés, dont la seule compétence serait langagière et formelle, mais également par la transposition dans la sphère économique, sorte d’acclimatation florentine, de cette psychomachie. En vertu d’une nemesis socio-professionnelle, les poètes sont identifiés par Léonard à une catégorie d’intermédiaires peu prisée – merciaio (chiffonnier), sensale (revendeur) , tandis que la poésie est assimilée à l’emprunt (s’impresta)23, au vol (cose rubate), à la transmutation alchimique ; autant d’associations péjoratives, dont ressort le caractère parasitaire et/ou frauduleux de l’activité littéraire.

L’autre pan de cette démystification concerne la démonstration de la manualité de l’écriture et la dénonciation du matérialisme des lettrés. Dans un passage mémorable, obéissant à cette même loi du renversement des loci communes sociaux, Léonard argue que la plume ne requiert pas moins que le pinceau une main pour la tenir :

Se voi la chiamate meccanica perché è prima manuale, ché le mani gurano quello che trovano nella fantasia, voi scrittori disegnate con la penna manualmente quello che nell’ingegno vostro si trova. E se voi diceste essere meccanica perché si fa a prezzo, chi cade in questo errore, se errore può chiamarsi, più di voi? Se voi leggete per gli studi, non andate da chi più vi premia? Fate voi alcuna opera senza premio?24

Comme les marchands d’Alberti, les poètes ont les doigts tachés d’encre : malgré leurs prétentions « libérales », ils ne sont pas moins « mécaniques » que les peintres.

L’écriture poétique n’est qu’un outil susceptible de distorsions que les poètes ont cyniquement instrumentalisé pro domo. Dans un registre moral25 entre satire et sociologie, Léonard arrache le voile (ou l’aura) que les gens de lettres ont ourdi. Loin de planer dans le ciel des idées, les plumitifs ont des besoins et des intérêts.

Si, d’un côté, Léonard ancre les lettrés dans un contexte économique le jeu de l’offre et de la demande, la nécessité de gagner sa vie, la légitimité des rétributions , de l’autre, il promeut les arts mécaniques au rang de disciplines scientifiques et philosophiques. En vertu de ce chassé croisé, l’écriture se trouve matérialisée, la peinture conceptualisée : opérations spéculaires de démasquage, « déclassement », d’un côté, promotion et réhabilitation, de l’autre.

Les gens de lettres ne sont donc pas moins mercenaires que les artistes. Ce ne sont pas des créatures éthérées, détachées des contingences matérielles. Non seulement les lettrés se vendent (comme tout à chacun) au plus offrant, mais ils ont un corps à nourrir et des mains pour écrire. On songe aux propos décapants que prêtera peu après l’Arioste à l’évangéliste Saint- Jean dans son Roland furieux sur la nature constitutionnellement servile de l’écriture, l’intérêt qu’ont par conséquent les puissants à soigner leur image poétique et à graisser la plume des historiens26.

De la joute au concours

Malgré ces prémisses peu engageantes, la confrontation entre peinture et poésie fait l’objet d’une exceptionnelle et paradoxale élaboration littéraire dans le libro di pittura. L’argumentaire monologique du trattatista est plaisamment mis en scène dans des saynètes (« Disputa del poeta col pittore... » (I, 21), « Arguizione del poeta contro il pittore » (I, 22)), tandis que le chapitre 23 intitulé « Risposta del re Mattia ad un poeta che gareggiava con un pittore » ore une mise en scène quasi théâtrale des deux chapitres précédents.

Léonard substitue à la disputatio théorique une confrontation expérimentale entre peinture et poésie « il cimento delle cose » , même si cette pseudo-compétition se déroulera sur le papier. Poésie et Peinture croiseront les armes et confronteront leurs prestations respectives dans le traitement de trois sujets l’amour charnel, l’amour divin, la fureur guerrière – ; sujets qui pourraient correspondre à trois genres le portrait, la peinture d’histoire, l’iconographie religieuse ou la peinture d’histoire sacrée bien connus de Léonard.

Ma io non voglio da questi tali altro che un buon pittore, che guri il furore di una battaglia, e che il poeta ne scriva un’altra, e che sieno messe in pubblico di compagnia. [...] Tolgasi un poeta che descriva le bellezze di una donna al suo innamorato, e tolgasi un pittore che la guri; vedrassi dove la natura volgerà più il giudicatore innamorato. Certo, il cimento delle cose dovrebbe lasciar dare la sentenza alla sperienza. [...] Poni in iscritto il nome d’Iddio in un luogo e ponvi la sua gura a riscontro, e vedrai quale sarà più riverita.27

« Tolgasi ... poni ...vedrai » : l’écriture impérieuse et icastique de Léonard, la « descrizione partecipe » (C. Scarpati) convertissent insensiblement le lecteur en un spectateur qui n’a plus qu’à ouvrir les yeux. L’opération est aussi captieuse (faire passer des mots pour des choses) qu’audacieuse si l’on songe aux noms (canoniques) et aux titres poétiques que Léonard ne cite pas. Certes, il n’évoque pas non plus ses propres toiles qui viennent non moins spontanément à l’esprit du lecteur d’aujourd’hui. Les portraits de Ginevra Benci, Cecilia Gallerati, Lucrezia Crivelli, Lisa del Giocondo n’offraient-elles pas une galerie de portraits de l’aimée ? La fresque de la bataille d’Anghiari n’était-elle pas un défi aux descriptions de batailles de la poésie épique (d’Homère à l’Arioste en passant par les populaires cantari chevaleresques),28 tandis que la production sacrée de l’artiste eût, certes, pu déposer en faveur de l’enargeia spirituelle et religieuse de la peinture.

On croit retrouver dans ces affrontements virtuels, l’irrévérence de Léonard pour auctores et canons, ici, poétiques. Dante et Pétrarque ne peuvent pas ne pas être les cibles tacites de Léonard quand il évoque la supériorité du peintre sur le poète par sa capacité à susciter le désir amoureux, la ferveur ou la terreur religieuse. Si Carlo Vecce dans sa reconstitution de la bibliothèque perdue29 de Léonard de Vinci ne peut pas ne pas citer Dante (la Divine Comédie et le Convivio mais aussi des ouvrages comme le Commentaire de Landino), ni le Canzoniere et les Trionfi de Pétrarque30, la possession et connaissance de ces ouvrages très répandus pourrait n’être pas des plus significatives. Plus révélateurs quant aux goûts poétiques de Léonard seraient les noms des Pulci ou de Burchiello, attestant un penchant pour la parodie qu’on retrouve dans les caricatures, dont Dante comme Pétrarque31 firent, au reste, les frais.

La critique léonardesque de la poésie reposait, en outre, sur deux postulats fonctionnels à sa démonstration de la supériorité de la peinture-philosophie : d’une part, l’association exclusive de la poésie au sens de l’ouïe, de l’autre, l’assignation comme sujet des seules « opere umane »32 pour mieux attribuer à la peinture la physique et la métaphysique. Cette répartition discutable permettait de barrer la Divine comédie du champ poétique ; une censure qu’il est tentant de rattacher à une malicieuse caricature de Dante33 ainsi qu’à l’anecdote relatée par l’auteur de l’Anonimo Gaddiano34 où un Léonard, habituellement, si compétitif, avait préféré laisser à Michel-Ange l’étiquette du dantista et se retirer de la course.

L’anniversaire du Roi ou le primat du plaisir

L’apologue hongrois, petit bijou occupant le chapitre 23 du livre I offre une facétieuse mise en scène du duel abstrait proposé au chapitre 15. La contextualisation chronotopique est inhabituellement généreuse : l’anniversaire du Roi de Hongrie est l’occasion de cadeaux de diverses natures : poétique et circonstancielle, d’un côté (« un’opera fattagli in laude del giorno ch’esso re era nato a benefizio del mondo ») ; picturale et érotique, de l’autre (« un ritratto della sua innamorata »). Même si Léonard ne s’attarde pas sur la cornice exotique (la cour de Buda ?) ni sur l’identité de la femme représentée par le peintre (épouse, amante ?), le nom de Mathias Corvin, roi de Hongrie, destinataire de célèbres cadeaux artistiques les fameux portraits d’Alexandre et Darius en bas-relief de Verrocchio35 offerts par Laurent de Médicis, voire d’une Madone de Léonard, offerte par Ludovic le More amateur d’art mais aussi bibliophile réputé, permet d’ancrer l’anecdote dans un horizon de vraisemblance historique.

Le scénario du meilleur cadeau d’anniversaire permet de confronter les mérites respectifs de l’écriture et de la peinture en fonction d’un critère hédoniste : qu’est-ce qui, du texte ou de l’image, fera le plus plaisir au roi? Qu’est-ce qui l’emportera d’un plaisir narcissique (l’éloge de sa personne) ou érotique (la représentation de l’aimée) ? La réponse ne fait pas l’ombre d’un doute, même pour un collectionneur de manuscrits enluminés comme le Roi de Hongrie :

Portando il dí del natale del re Mattia un poeta un’opera fattagli in laude del giorno ch’esso re era nato a benezio del mondo, ed un pittore presentandogli un ritratto della sua innamorata, subito il re rinchiuse il libro del poeta, e voltossi alla pittura, ed a quella fermò la vista con grande ammirazione [...]. Dammi cosa ch’io la possa vedere e toccare, e non che solamente la possa udire, e non biasimar la mia elezione dell’avermi io messa la tua opera sotto il gomito, e questa del pittore tengo con ambo le mani, dandola a’ miei occhi, perché le mani da lor medesime hanno tolto a servire a piú degno senso che non è l’udire;36

Dans un premier récit au discours indirect, Léonard reconstitue la gestuelle éloquente du Roi de Hongrie. Le découpage de la séquence a l’expressivité d’une pantomime. Matthias Corvin37 referme (rinchiuse) le livre qu’il était en train de lire à la vue (presentandogli) d’une peinture qui le détourne de l’ouvrage (voltossi) et captive toute son attention (fermò la vista con grande ammirazione). Dans le deuxième récit au discours direct, le Roi reformule et commente l’expérience qu’il vient de vivre : le texte encomiastique et/ou narcissique (un éloge du jour de sa naissance et indirectement de sa personne) est littéralement et figurativement mis sous le coude (sotto il gomito), pour permettre aux mains d’empoigner le tableau (tengo con ambo le mani) et aux yeux (dandola a’ miei occhi) de se river sur la toile. Malgré la préséance chronologique et/ou statutaire du livre qui pourrait jouir d’un droit du premier occupant et d’un prestige socio-culturel majeur, le tableau s’impose avec autant de force que d’immédiateté (subito), induisant des actions qui ne sont pas qu’oculaires mais physiques et tactiles: refermer le livre, l’écarter de son champ visuel en le mettant sous le coude, empoigner des deux mains le tableau pour se livrer à une contemplation exclusive, prolongée et intense jusqu’à la fixation.

Si le scénario agonistique et la joute verbale rappellent la structure de certaines favole et facéties léonardesques, le trio formé par le Roi, le poète et l’artiste évoque au moins deux célèbres triangulations : celle que Vasari mettra en scène dans sa biographie où le Duc de Milan fait office d’arbitre entre un commanditaire insatisfait (le Prieur du Couvent de Santa Maria delle Grazie) et l’artiste38 dont il se fait l’avocat.

Un autre trio, plus structurel, est également convoqué par cet apologue hongrois : celui formé par Pétrarque, Laura et Simone Martini. Or, Léonard s’inscrit à nouveau en faux contre un autre totem, le point de vue selon lequel personne ne se souviendrait de Simone Martini ni de son portrait de Laura s’ils n’avaient été immortalisés par les vers de Pétrarque39. Selon Vasari, le triangle paradigmatique célébrait, en effet, le triomphe posthume du poète sur l’artiste. Or, le remake léonardesque démontre exactement le contraire.

L’apologue hongrois met en scène le fascinum de l’image, décomposé en enargeia : capacité de mettere inanzi, rapresentare, dimostrare40 et de muovere : mobiliser, en particulier les autres sens : « muove più presto i sensi la pittura che la poesia »41. La vue active d’autres sens (le tact) et d’autres actions (baiser, parler...), concaténation sensuelle dont Léonard donne une description aussi minutieuse que suggestive42.

Dans la glose, le Roi, alter ego et prestigieux porte-parole de Léonard, revendique son choix (elezione) moins sur la base du plaisir que d’une hiérarchie entre les sens : la supériorité de la vue sur l’ouïe, mieux, la supériorité de la vue et du toucher, association atypique et périlleuse, mais hardiment revendiquée par Léonard, sur l’ouïe. Le fait que le Roi ne puisse s’empêcher de saisir des mains le tableau, la nécessité d’un contact physique qui pourrait apparaître comme sacrilège sont au contraire allégués par Léonard comme preuve de l’effet bien supérieur, parce que synesthésique produit par l’image, alors que le texte et/ou la poésie sont bornés au seul sens de l’ouïe.

Le sex appeal des images

Dans ce duel sur le papier entre des mots et des choses, l’arbitrage sera laissé au public (un ou plusieurs spectateurs). La valeur d’une œuvre se mesurera à l’effet qu’elle fait ; critère cohérent avec une approche « expérimentale », riche en implications morales et politiques43. Dans l’appréciation des mérites de l’œuvre, c’est le spectateur, royal ou populaire, le tiers ou les tiers, bref, le public qui tranche. Ni les maîtres ni les experts n’ont l’apanage du goût. C’est le destinataire du tableau qui sera juge, et, contrairement au cliché qui associait l’amour à la cécité, le meilleur « giudicatore » sera « innamorato »44.

Loin d’être suspect ou entaché (de facilité ou de vulgarité), le plaisir suscité par l’œuvre est, selon Léonard, un critère fiable et discriminant : plus ce plaisir sera immédiat45, partagé et intense, meilleure sera l’œuvre : « Certo, la pittura, di gran lunga più utile e bella, più piacerà »46, l’excellence s’imposant d’elle-même et faisant l’unanimité.

Dans le cas d’un portrait d’aimé/ée, l’effet produit par l’image sur le spectateur/amant est de nature érotique. Loin de censurer cet épiphénomène, Léonard exploite le sex appeal des images dans sa bataille contre la poésie et défie les poètes d’exciter sexuellement leur lecteur comme le ferait le tableau d’un peintre.

Et d’alléguer une extraordinaire47 et rare anecdote personnelle, relatant la relation troublante entre un des ses clients (dont il tait le nom) et l’une de ses toiles représentant une divinité :

E già intervenne a me fare una pittura che rappresentava una cosa divina, la quale comperata dall’amante di quella volle levarne la rappresentazione di tal deità per poterla baciare senza sospetto, ma inne la coscienza vinse i sospiri e la libidine e fu forza ch’ei se la levasse di casa. Or va tu, poeta, descrivi una bellezza senza rappresentazione di cosa viva, e destagli uomini con quella a tali desideri.48

La nature libidineuse et fétichiste de la relation est énoncée sans détour, mais les grilles de lecture n’étaient ni l’indignation suscitée par la toile du scandale ni le rire pour exorciser cette irruption de la sexualité dans la sphère sacrée. L’anecdote illustrait des considérations antérieures et plus générales sur les actions et interactions déclenchées et enclenchées par la vue d’une belle femme peinte: les actes de baiser et de parler avec l’effigie de la femme aimée (« baciandola, e parlando con quella [...] »)49. Au-delà de la contemplation oculaire, le portrait supérieurement réussi d’une femme ou d’une déesse se prolongera irrésistiblement dans une interaction verbale, tactile, sexuelle. Loin d’être tabou, le désir de tangere, voire d’aller outre, est pour Léonard un critère d’excellence ; le gage d’une rivalité mimétique avec la nature poussée jusqu’à ses dernières extrémités. L’anecdote attestait et assumait une réception sexuelle de l’œuvre d’art : une jouissance au sens propre et fort.

Outre adapter et retourner en faveur de la peinture un topos sculptural, Léonard revisitait deux topoi pliniens pour les enrôler dans sa bataille contre la poésie: le mythe de Pygmalion50 était croisé avec celui de la Vénus de Cnide, célèbre objet de scabreux hommages51.

Le fait que l’image soit plus érotique que l’écrit devient un atout et un révélateur: la preuve de la supériorité de l’image sur les mots. Entre un portrait de Laura et un sonnet de Pétrarque, il n’y pas photo, oserait-on dire. Le quasi-viol de Vénus serait plutôt un hommage qu’un outrage dans l’optique léonardesque, l’effet tangible du réalisme et du pouvoir de l’image induisant (comme le tableau de l’innamorata du roi de Hongrie) un geste, un passage à l’acte, le franchissement d’une limite entre la fiction et la vie.

L’excitation et le mimétisme induits par des images luxurieuses était argué techniquement par Léonard, comme un titre de supériorité sur la poésie : « Altri hanno dipinto atti libidinosi, e tanto lussuriosi, che hanno incitati i risguardatori di quelli alla medesima festa ; il che non farà la poesia »52.

La pornographie sert ici la cause picturale. Ces variantes érotiques de trompe l’œil illusionnistes font l’objet d’une appropriation réelle et théorique de la part d’un Léonard moins prude que Freud, censément expert en la matière, ne l’aurait cru53. On remarquera que cette rare contribution léonardesque54 à un pygmalionisme ou une amalgatophilie picturale, a des accents résolument anti-savonaroliens55. Ce qui outrera Savonarole la vis erotica des images et alimentera les bûchers des vanités est aux yeux de Léonard un titre de supériorité.

L’iconographie religieuse sera, de fait, irrévérencieusement, mise sur le même plan que l’iconographie amoureuse, Léonard proposant une approche quasi ethnosociologique du pouvoir qu’ont les images sacrées d’émouvoir et de mobiliser : du culte suscité par certaines figures religieuses aux rites, superstitions, pèlerinages dont elles sont l’objet, le prétexte ou la destination. Jamais une créature ou une divinité de papier ne produira de tels effets :

E se tu scriverai la gura di alcuni dèi, non sarà tale scrittura nella medesima venerazione che la idea dipinta, perché a tale pittura sarà fatto di continuo voti e diverse orazioni, ed a quella concorreranno varie generazioni di diverse provincie, e per i mari orientali, e da tali si dimanderà soccorso a tal pittura, e non alla scrittura.56

L’élitisme poétique

La fascination épidermique exercée par le tableau fait l’objet d’une analyse en profondeur et a tutto tondo. La confrontation avec la poésie permet de mettre en évidence les spécificités de l’image picturale dans son rapport aux sens (œil, toucher versus ouïe), à la temporalité57 (instantanéité et simultanéité versus discontinuité et segmentation), à l’harmonie (globalité versus partialité), à l’universalité, (communicabilité versus partialité), au plaisir (facilité versus difficulté). L’universalité du logos pictural (opposé aux cloisonnements vernaculaires et à l’élitisme du langage poétique et/ou littéraire) se prête latéralement à une lecture socio-politique rendant la peinture plus « démocratique » qu’une poésie « oligarchique », apanage d’un petit nombre de lecteurs et d’amateurs. Au regard de ce public vaste, ouvert et infiniment diversifié, contenant potentiellement tous les peuples, races, espèces, sexes, âges, puisque Léonard n’hésite pas à inclure dans les rangs du public potentiel d’un tableau les animaux et les nourrissons, catégories extra ou infra-linguistique58, les destinataires de la poésie apparaissent d’unhappy few, triés sur le volet. Les théoriciens de la Contre-Réforme exploiteront cette universalité et vis communicativa propres à l’image dans une direction à laquelle Léonard n’eût sans doute pas souscrit.

Outre les limites propres à la nécessaire alphabétisation et aux langues vernaculaires, la poésie est structurellement pénalisée par une saisie différée et étalée dans le temps, par opposition à l’instantanéité et à la facilité de la saisie picturale, une appréhension forcément analytique contrairement à l’harmonieuse synthèse offerte d’emblée par la peinture. La confrontation du tableau et de la poésie sub specie temporis ne fait, partant qu’aggraver la position de la tediosa59 poésie qui requiert, non seulement un effort mais un temps d’appréhension plus long. Ce temps en plus se solde par autant de plaisir en moins.

À l’instar de la hiérarchie entre arts libéraux et mécaniques, Léonard subvertit, par conséquent, celle entre prose et poésie, traditionnellement plus prisée, parce que plus ardue et plus élitiste que la première. L’écrivant Léonard était bien placé pour savoir qu’il était plus aisé à un autodidacte d’écrire en prose qu’en vers, mais dans sa dénonciation de l’élitisme poétique et/ou littéraire, Léonard semble plus songer au destinataire qu’à l’auteur60.

Ainsi la poésie sort-t-elle vaincue de ces multiples confrontations, dont la finalité semble de mettere a fuoco les caractéristiques structurelles de l’image picturale. Mais si Léonard a souvent besoin d’un adversaire pour penser, on arguera, pour conclure, que la pars construens, fût-elle implicite, de ce réquisitoire contre la poésie, pourrait être un idéal de prose, dont la poésie serait, sinon le repoussoir, un faire valoir.

Un idéal de prose ?

Les positions très critiques de Léonard à l’égard de l’écriture en général, de la poésie en particulier posent un certain nombre de questions. Pourquoi écrire dès lors que le dessin et la peinture intrinsèquement véridiques seraient bien plus à même que l’écriture de remplir les missions philosophico-scientifiques qui sont les leurs ? Dans quelle mesure l’écriture pourrait-elle rivaliser avec un logos figuratif qui lui serait très supérieur sur le plan cognitif et mimétique ? Comment penser la contradiction flagrante entre cette dépréciation du medium littéraire et la réalité et pratique des sept mille feuillets d’un Léonard graphomane ? Faut-il considérer cette écriture comme retorse ou, pour le moins, contorsionniste puisqu’il s’agirait de démasquer l’écriture par l’écriture, de retourner les armes verbales et rhétoriques de l’écriture contre la « poésie » ou ce que Léonard appellerait poésie ?

On fera l’hypothèse que Léonard se servirait de la « poésie » pour critiquer un certain type d’écriture et proposer de facto et a contrario une écriture alternative, légitime et utile ; une écriture qu’on pourrait qualifier, au moyen d’une litote, de non poétique. La première fonction de cette prose idéale serait critique, polémique, engagée. Elle relèverait de la rhétorique judiciaire : défendre et illustrer les arts mécaniques, élaborer un argumentaire, rédiger un réquisitoire à l’égard des arts libéraux et de leurs thuriféraires, dénoncer la malhonnêteté intellectuelle des scrittori :

Con debita lamentazione si duole la pittura per essere scacciata lei dal numero delle arti liberali; conciossiacché essa sia vera gliuola della natura, ed operata da più degno senso; onde a torto,o scrittori, l’avete lasciata fuori del numero di dette arti liberali, conciossiaché questa, non che alle opere di natura, ma ad innite attende che la natura mai creò.61

Léonard ne va-t-il pas jusqu’à se définir « avocat » des artistes sans paroles et sans porte-parole ?62

Ma per non sapere i suoi operatori dire la sua ragione, e restata lungo tempo senza avvocati, perche essa non parla, ma per se si dimostra e termina ne’ fatti; e la poesia nisce in parole, con le quali come briosa se stessa lauda.63

La deuxième fonction serait philosophique et/ou scientifique, au sens léonardesque du terme et correspondrait à l’écriture du trattatista, fût-il velléitaire. La « poésie » en tant que langue élitiste, codée, artificieuse, antiréaliste, mais aussi (rhétoriquement) manipulatrice et (intellectuellement) parasitaire serait aux antipodes de cette idée d’une prose alter- native ; idée que Léonard met à l’essai et en pratique dans ses feuillets, ostensiblement dépourvus d’ambitions ou de prétentions stylistiques.

Dans ses carnets Léonard oscille entre un logos prosaïque, scientifique et/ou philosophique, que ce soit dans son exigence de vérité socio-culturelle et scientifique, et cette écriture sui generis64, diaristique, fulgurante et obscure, si singulière qu’il est plus aisé de qualifier négativement comme anti-poétique et anti-littéraire que de la rattacher à des modèles existants :

La sua scrittura resterà per sempre sospesa tra una dimensione potenziale di comunicazione pubblica (la forma del trattato e della divulgazione scientica, losoca, artistica letteraria), e una situazione reale di produzione assolutamente privata, un «libro di ricordi» intimo, segreto, fondato su una dettatura interiore continua, innita, senza limiti e senza gerarchie. In vita, Leonardo sarà un Autore, ma solo per se stesso.65

Aussi l’écriture poétique finit-elle par incarner pour Léonard tout ce qui est « mauvaise écriture » et s’identifier à la rhétorique des sophistes (vulgarisateurs, manipulateurs, intellectuels mercenaires...) par opposition au logos léonardesque. La confrontation entre poésie et peinture se transforme insensiblement en confrontation entre écriture prosaïque et poétique, id est, écriture véridique versus fallacieuse. Léonard retourne l’écriture (la bonne) contre la poésie (la mauvaise), démontrant qu’elle peut servir la cause de la peinture et/ou vérité, qu’un bon usage de l’écriture est possible.

De même que la confrontation entre poésie et peinture permet à Léonard d’élaborer son idéal esthétique, le rejet de la poésie lui permet de mettre en œuvre (plus qu’en théorie) une prose novatrice dans son exigence de vérité sociale et intellectuelle (la prose de l’avocat) et scientifique (la prose du trattatista).

La mise en œuvre d’une prose anti-poétique et anti-littéraire serait, partant, l’issue effettuale de la critique léonardesque de la poésie.

Pour voir en Léonard un « versificatore e poeta », doublé d’un « filosofo » et « metafisico », il faudra attendre un critique d’exception comme Benedetto Varchi. Premier éditeur des Rimes de Michelangelo Buonarroti, dont il fit un commentaire hautement philosophique66, mais aussi fauteur d’une poésie conceptuelle, Varchi réconcilia post mortem les deux rivaux au nom d’une commune vocation poétique et philosophique 67. L’insertion de Léonard dans l’Oraison funèbre de Michel-Ange de 1564, dont il devenait un précurseur et un alter ego, associait la profondeur intellectuelle de Michel-Ange à l’exigence scientifique de Léonard. Varchi faisait de ces deux artistes hors pair les symboles d’une polyvalence exceptionnelle, sans commune mesure avec les « doubles talents » de leurs émules ou sectateurs. Quant à l’ut pictura poësis, elle apparaissait comme une formule dépassée et frelatée, incapable d’appréhender la complexité de cette « monstrueuse » typologie artistique.

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1 Leonardo Da Vinci, Trattato della pittura, Ettore Camesasca (a cura di), Milano, TEA, 1995, p. 23.

2 Sur l’hypothèse d’un Léonard poète, jadis soutenue dans Giuseppina Fumagalli, L’omo sanza lettere e la poesia, « Raccolta Vinciana », XVII, Milan, (1954), pp. 39-62, est revenue plus récemment, Pietro Montorfani, Leonardo poeta, una provocazione ?, « Testo », XXXI (luglio-dicembre 2010), pp. 7-16. Intéressante la position conciliatrice de Martin Kemp, soucieux de mettre en évidence les passerelles entre la culture littéraire (que la critique en quête des sources et des titres de la bibliothèque léonardesque n’a eu de cesse de mettre en évidence ces dernières décennies) et la production artistique de Léonard : M. Kemp, Leonardo da Vinci : Science and the Poetic Impulse, « Journal of the Royal Society of Arts », CXXXIII (1985), pp. 196-214.

3 S’il constitue le champ de prospection de deux des contributeurs de ce numéro : Diletta Gamberini et Antonio Geremicca. Cf. Diletta Gamberini, I colloqui poetici degli artisti della corte orentina con Benedetto Varchi, « LaRivista », V (2017), pp. 61-69. Cf. Intrecci virtuosi. Letterati, artisti e accademie tra Cinque e Seicento, Carla Chiummo et al. (a cura di), Roma, De Luca Editori D’Arte, 2017. On mentionnera le cycle de conférences récemment organisé par Giovanna Rizzarelli à la Scuola Normale Superiore de Pise : « Doppio talento e doppia creatività. Scrittori artisti e artisti scrittori italiani tra XVI e XVIII secolo. Giovedì, 5 Ottobre 2017 », dont l’objectif était précisément de rompre avec une hiérarchisation entre les différentes cordes expressives des artistes et de valoriser au contraire la complémentarité et fécondité de ces doubles langages. https://www.sns.it/it/evento/doppio-talento-doppia-creativita (date de consultation 13 juillet 2019).

4 Cf. Marco Collareta, « Le “arti sorelle”. Teoria e pratica del “paragone” » in Giuliano Briganti (a cura di) La pittura in Italia. Il Cinquecento, Milano, Mondadori Electa, 1988, II, pp. 569-580.

5 Cf. Gerarda Stimato, Autoritratti letterari nella Firenze di Cosimo I. Bandinelli, Vasari, Cellini e Pontormo, Bologna, Bononia University Press, 2008.

6 On opposera l’optique large de Claire Farago rattachant la polémique léonardesque à un large éventail de disputes scolastiques, dialectiques platoniciennes, controverses sur les sens, tenzoni diverses et variées, propres et figurées – Claire Farago, Leonardo da Vinci’s Paragone. A Critical Interpretation with a New Edition of the Text in the Codex Urbinas, Leiden-NewYork-Copenhagen-Köln, Brill, 1992 – à des lectures plus milanaises et plus ciblées : du défi lancé par Francesco Puteolano dans l’épître de la traduction en vulgaire des Commentarii (1490) de Simonetta (Carlo Dionisotti, Leonardo uomo di lettere, Appunti su arti e lettere, Milano, Jaca Book, 1995) au « scientifico duello » (1498) évoqué par Luca Pacioli dans De divina proportione. cf. Monica Azzolini, « Anatomy of a dispute : Leonardo, Pacioli, and Scientific Court Entertainment in Renaissance Milan », Early Science and Medicine, 9 (2) 2004, pp. 113-135.

7 Sur les enjeux d’une question faussement académique et les dernières contributions critiques, voir Marco Collareta, « Nouvelles études sur le paragone Frédérique Dubard de Gaillarbois entre les arts », Perspective, 1 (2015), mis en ligne le 31 janvier 2017, URL : http://journals.openedition.org/perspective/5812;DOI:10.4000/perspective.5812

8 La descente de Léonard dans l’arène paragonienne est singulière par sa précocité, sa radicalité, mais aussi par les vicissitudes de sa réception. L’opacité des sources en amont et de la réception en aval fit du libro della pittura, publié posthume, une bombe à retardement. Sur le manque de visibilité sur les sources de Léonard (en matière artistique) mais aussi sur la manière dont les idées et textes de Léonard ont pu circuler et irradier la réflexion artistique du XVIe siècle jusqu’en 1651 cf. C. Farago et al. (éd.) The Fabrication of Leonardo da Vinci’s “Trattato della pittura”, Leiden-Boston, Brill, 2018.

9 « Quale scienza è meccanica, e quale non è meccanica », L. Da Vinci, cit., (I,29).

10 L. Da Vinci, Scritti, Carlo Vecce (a cura di), Milano, Mursia, 1992, p. 240.

11 Pietro Aretino, Lettere, Paolo Procaccioli (a cura di), Roma, Salerno, 1997, I, lettera 313, pp. 288-289.

12 L. Da Vinci, Trattato della pittura, cit., (I, 30), p. 32.

13 Néologisme que nous empruntons à Sefy Hendler qui l’a forgé pour désigner un corpus d’œuvres traitant des problématiques méta-artistiques. Sefy Hendler, La Guerre des arts : le Paragone peinture-sculpture en Italie, XVe-XVIIe siècle, Roma, L’Erma di Bretschneider, 2013. Privilégiant la querelle entre peinture et sculpture, qui mettait Alberti-Léonard-Castiglione sur la même longueur d’onde, le brillant essai d’Hendler gomme, cependant, la différence léonardesque sur l’ut pictura poësis.

14 Pour une synthèse équilibrée des relations entre Léonard et Alberti, voir : Anna Sconza, Leonardo lettore di Alberti. Due autori a confronto, in Nodi, vincoli e groppi leonardeschi, Journée d’étude organisée par Frédérique Dubard de Gaillarbois et Olivier Chiquet, 22 I 2018, ICI, à paraître aux éditions Spartacus IDH en 2019.

15 Leon Battista Alberti, De pictura, (III, 54).

16 Léonard instaure au contraire une différence essentielle entre la peinture qui dans son propre système métaphorique familial, sera qualifiée de « fille » de la nature, alors que les autres ne seront jamais que des petits-fils, arrière-petit-fils, des parents très éloignés et substantiellement discrédités. L’opposition entre la peinture et des arts et techniques prolifiques comme la sculpture ou, pire, l’imprimerie, susceptibles de reproduire et calquer l’œuvre permet de valoriser l’unicité du geste et de l’œuvre picturale. La polémique à l’égard de l’imprimerie peut apparaître comme une variante technologique de l’ut pictura poësis. Léonard retourne le comparatisme en faveur de la peinture.

17 À propos de phobies familiales et de la nécessité d’élargir aux Libri della famiglia la confrontation avec Alberti, on se permettra de renvoyer à Frédérique Dubard de Gaillarbois, « Il ritratto del padre di famiglia », Nodi, vincoli e groppi leonardeschi, cit. supra.

18 « Se voi storiogra o poeti o altri matematici non avessi con l’occhio viste le cose, male le potresti riferire con le scritture; e se tu, poeta, gurerai una storia con la pittura della penna, el pittore col pennello la farà di più facile sadisfazione e men tediosa ad essere compresa. Se tu dimanderai la pittura muta poesia, ancora il pittore potrà dire del poeta orba pittura. Or guarda quale è più dannoso morso, o cieco o muto? [...] », L. Da Vinci, cit., (I, 15), p. 12.

19 La poésie était rangée soit dans le trivium soit dans le quadrivium des arts libéraux, selon qu’elle était associée à la rhétorique ou à la musique. Nul doute que Léonard l’associât à la musique, également minorée au regard de la peinture : « Come la musica si dee chiamare sorella e minore della pittura », L. Da Vinci, cit., (I, 25), p. 26.

20 « Esempio e dierenza tra pittura e poesia » (I, 2) ; « Del poeta e del pittore » (I, 10) ; « Esempio tra la poesia e la pittura » (I, 11), « Pittore che disputa col poeta » (1, 14) ; « Come la pittura avanza tutte le opere umane per sottili speculazioni appartenenti a quella » (1, 15); « Dierenza che ha la pittura con la poesia » (I, 16), « Che dierenza è dalla pittura alla poesia » (I, 17); « Dierenza infra poesia e pittura » (I, 18) ; « Della dierenza ed ancora similitudine che ha la pittura con la poesia » (I, 19) ; « Disputa del poeta col pittore, e che dierenza è da poesia a pittura » (I, 21) ; « Arguizione del poeta contro il pittore » (I, 22), « Risposta del re Mattia ad un poeta che gareggiava con un pittore » (I, 23); « Conclusione infra il poeta ed il pittore » (I, 25) ; « Conclusione del poeta, del pittore e del musico » (I, 28) ; « Della pittura e della poesia » (I , 40), Ibid.

21 Genre que Léonard goûtait, cependant, comme l’attestent plusieurs titres de sa bibliothèque poétique : l’Acerbo, le de re militari de Cornazzano, le Manganello. Sa version des fables d’Esope était également en vers : « Isopo in versi ».

22 L. Da Vinci, cit., (I, 22), passim.

23 « Ma s’esso poeta toglie in prestito l’aiuto delle altre scienze, potrà comparire alle ere come gli altri mercanti portatori di diverse cose fatte da più inventori. E fa questo il poeta quando s’impresta l’altrui scienza, come dell’oratore, losofo, astrologo, cosmografo, e simili, le quali scienze sono in tutto separate dal poeta. Adunque questo è un sensale che giunge insieme a diverse persone a fare una conclusione di un mercato. E se tu vorrai trovare il proprio uicio del poeta, tu troverai non essere altro che un adunatore di cose rubate a diverse scienze, colle quali egli fa un composto bugiardo, o vuoi, con più onesto dire, un composto nto ; ed in questa tal nzione libera esso poeta s’è equiparato al pittore, ch’è la più debole parte della pittura », Ibid., (I, 29), p. 30.

24 Ibid., (I, 14), p. 13. Léonard ne saurait couper le cordon ombilical entre l’écrit et la main qui l’a engendré. On retrouvera cette sensibilité à la matérialité et à l’action de l’écriture (dans son cursus plus que dans sa finalité) chez Cellini, qui pourrait la tenir comme Léonard de Burchiello. Si la plume est un pinceau, le pinceau est plume.

25 Sur le Léonard moraliste, voir Matteo Residori, « Appunti su Leonardo “morale” : il tema dell’ingratitudine fra parole e immagini » in Nodi, vincoli e groppi leonardeschi, cit., passim.

26 « Non fu sì santo né benigno Augusto / come la tuba di Virgilio suona » (L. Ariosto, Orlando furioso, XXXV, 26, 1-2). [...] « Nessun sapria se Neron fosse ingiusto / [...] se gli scrittor sapea tenersi amici », Ibid., XXXV, 26, 5-8).

27 L. Da Vinci, cit., (I, 15), p. 13. 28.

28 Ibid., (I, 21), p. 22.

29 Parmi les autres titres poétiques, Carlo Vecce recense « l’Acerba di Cecco d’Ascoli, il Quadriregio di Federico Frezzi, il Morgante di Luigi Pulci, il Driadeo del fratello Luca, le Eroidi di Ovidio, Petrarca e Burchiello, e il misogino Manganello (poème anonyme misogyne en terza rima) », Carlo Vecce, La biblioteca perduta : i libri di Leonardo, Roma, Salerno, 2017, p. 71. Ailleurs, seront mentionnés le Ciriffo Calvaneo ; le De re militari d’Antonio Cornazzano, atypique traité militaire en vers, les Rithimi (1493) de Gasparo Visconte. Le corpus poétique de Léonard compte également les Métamorphoses d’Ovide ; Trionfo d’Amore, une traduction en vers des Fables d’Esope (1479) « Isopo in versi » ; Burchiello que Léonard appréciait suffisamment pour qualifier certaines de ses propres poésies comme « sonetti alla burchia » ; enfin, « Gieta e Bira » (poème en huitains), Cf. Marco Versiero, La Biblioteca di Leonardo. Appunti e letture di un artista nella Milano del Rinascimento, Guida alla mostra (Milano, Biblioteca Trivulziana, 30 ottobre-22 novembre 2015), Milano, Civica Stamperia, 2015, en particulier « Gli interessi letterari di Leonardo ».

30 Bien connu, mais toujours éclairant le jugement de Dionisotti : « D’altra parte, se [...] si dovesse scegliere un testo per eccellenza impermeabile agli interessi e gusti di Leonardo, non esiterei, specie per le Rime sparse, a indicare il Petrarca », C. Dionisotti, Leonardo uomo di lettere, Appunti su arti e lettere, Milano, Jaca Book, 1995, p. 30.

31 Mémorable et spietato, le jeu de mot gastronomique, digne de Pulci, sur le laurier pétrarquesque : « Se ‘l Petrarcha amò sì forte i’ laur[o], fu perch’egli è bon fra la salsicia e ‘l tor[do]. I’ non posso di lor giance far tesauro », L. da Vinci, Scritti, cit., p. 231.

32 « Per questo diremo la pittura, la quale solo s’estende nelle opere d’Iddio, essere più degna della poesia, che solo s’estende in bugiarde nzioni delle opere umane », L. Da Vinci, Trattato della pittura, cit., (I, 23), p. 24. « Solo il vero uicio del poeta è ngere parole di gente che insieme parlino, e sol queste rappresenta al senso dell’udito tanto come naturali, perché in sé sono naturali create dalla umana voce ; ed in tutte le altre conseguenze è superato dal pittore », Ibid., (I, 11), p. 10.

33 Un profil parfaitement identifiable de Dante figure sur un feuillet de 1490 comportant cinq figures grotesques et illustre un Léonard ludens. Des copies par Francesco Melzi des originaux léonardesques ont subsisté. Cf. Léonard de Vinci, L’œuvre graphique, Johannes Nathan et Franz Zöllner (dir.), Cologne, Taschen, 2014, p. 261. Une autre caricature des trois colonnes est attribuée tantôt à Léonard tantôt à F. Melzi.

34 « Et passando ditto Lionardo insieme col G. da Gavine da Santa Trinita dalla pancaccia dellj Spinj, dove era una ragunata d’huominj da bene, et dove si disputava un passo di Dante, chiamaro(n) detto Lionardo, dicendogli che dichiarassj loro quel passo. Et a caso a punto passò di qui Michele Agnolo, et chiamato da uno di loro rispose Lionardo : Michele Agnolo ve lo dichiarerà egli. Di che parende (sic) a Michele Agnolo l’havessj detto per sbearlo, con ira gli rispose : dichiaralo pur tu che facestj un disegnio di uno cavallo per gittarlo di bronzo, et non lo potestj gittare, et per vergogna lo lasciastj stare. Et detto questo, voltò loro le rene et andò via ; dove rimase Lionardo che per le dette parole diventò rosso », http://vinciana.blogspot.fr/2014/05/1893-c-de-fabriczy-il-codice.html (date de consultation 13 juillet 2019). Le contraste avec le Michel-Ange dont Varchi et Giannotti feront à des titres divers un dantista aussi bien dans sa peinture que sa poésie ne saurait être plus flagrant.

35 L’anecdote pourrait être un clin d’œil à Verrocchio, ce maître que Léonard ne cita jamais ou bien une allusion à la toile, disparue, de Léonard, offerte par Ludovic le More au Roi de Hongrie.

36 L. Da Vinci, cit., (I, 23), p. 23.

37 Sur le règne de M. Corvino (1440-1490) et les incidences politiques, économiques et culturelles du rapprochement entre Florence et la Hongrie. cf. Florio Banfi, Mattia Corvino e Firenze. Arte e umanesimo alla corte del re di Ungheria, Catalogo della mostra, Firenze, Museo di San Marco, Biblioteca di Michelozzo, 10 ottobre 2013-6 gennaio 2014. Farago recense une liste imposante de lettrés (Lorenzo de’ Medici , Ficino, Poliziano, P. Bracciolini) et d’artistes orentins (Mantegna, Desiderio da Settignano, Benedetto da Maiano, Bertoldo di Giovanni, Antonio Pollaiuolo, Antonio Verrocchio) impliqués. Selon la critique américaine, l’anecdote serait « a tongue-in-cheek embroidery based on the fame of the Hungarian ruler’s acumen in both visual and literary arts correspondants », C. Farago, Leonardo da Vinci’s Paragone, cit., p. 318.

38 Giorgio Vasari, Le Vite, G. 4, p. 26. http://vasari.sns.it/consultazione/Vasari/ricerca.html (date de consultation 13 juillet 2019).

39 « E invero questi sonetti e l’averne fatto menzione in una delle sue lettere famigliari, nel quinto libro che comincia : Non sum nescius, hanno dato più fama alla povera vita di maestro Simone che non hanno fatto né faranno mai tutte l’opere sue, perché elleno hanno a venire, quando che sia, meno, dove gli scritti di tant’uomo viveranno eterni secoli », Ibid., G2, p. 192. ; un point de vue qui sous-tendait le grand œuvre des Vies : seule l’écriture pouvait arracher les artistes à cette seconde mort qu’était l’oubli, corroborant la supériorité de la poësis sur la pictura.

40 L. Da Vinci, cit., (1, 14), p. 12.

41 Ibid., (I, 21), p. 22.

42 « Pare che la bocca se la vorrebbe per sé in corpo, l’orecchio piglia piacere d’udire le sue bellezze, il senso del tatto la vorrebbe penetrare per tutti i suoi meati, il naso vorrebbe ricevere l’aria che al continuo da lei spira. Ma la bellezza di tale armonia il tempo in pochi anni la distrugge: il che non accade in tal bellezza imitata dal pittore », Ibid., (1, 19), p. 18.

43 On se souvient de la foule mêlée (du point de vue de l’âge, du sexe, de l’extraction sociale), décrite par Vasari et capable d’apprécier une œuvre préparatoire, « expérimentale », comme le carton de la Sainte Anne : « [...] ma finita ch’ella fu, nella stanza durarono due giorni d’andare a vederla gl’uomini e le donne, i giovani et i vecchi, come si va a le feste solenni, per veder le maraviglie di Lionardo, che fecero stupire tutto quel popolo », G. Vasari, cit., T4, p. 29 et de plusieurs passages des biographies léonardesques (de Giovio à la fameuse lettre dédicatoire de la nouvelle prêtée à Léonard par Matteo Bandello. Cf. M. Bandello, Tutte le opere, Francesco Flora (a cura di), Milano, Mondadori, volume 1, 1934, pp. 649-652), mais, plus substantiellement encore, du libro della pittura où Léonard argue de l’utilité des critiques : « Come il pittore dev’esser vago di udire nel fare dell’opera, il giudizio di ognuno », L. Da Vinci, Trattato della pittura, cit., (II, 72), p. 63. Alors que Léonard se méfie des maîtres et conteste les auctoritates artistiques ou littéraires, il se fie aux éloges et critiques des spectateurs.

44 Ibid., (I, 15), p. 13.

45 Ibid., (I, 28), p. 29.

46 « Vedrai dove più si fermeranno i veditori, dove più considereranno, dove si darà più laude, e quale satisfarà meglio. Certo, la pittura, di gran lunga più utile e bella, più piacerà. Poni in iscritto il nome d’Iddio in un luogo e ponvi la sua gura a riscontro, e vedrai quale sarà più riverita », Ibid., (I, 15), p. 13.

47 « E se il poeta dice di fare accendere gli uomini ad amare, che è cosa principale della specie di tutti gli animali, il pittore ha potenza di fare il medesimo, tanto più ch’egli mette innanzi all’amante la propria eigie della cosa amata, il quale spesso fa con quella, baciandola, e parlando con quella, quello che non farebbe con le medesime bellezze postegli innanzi dallo scrittore. E tanto più supera gl’ingegni degli uomini ad amare ed innamorarsi di pittura che non rappresenta alcuna donna viva », Ibid., passim.

48 Ibid., (I, 21), p. 22.

49 Castiglione rédigera une version conjugale et filiale des affects suscités par son propre portrait par Raphaël auprès de sa femme et de son fils ; un parallèle qui ne fait que faire ressortir l’audace de Léonard : B. Castiglione, « Elegia qua finxit Hippolyten suam ad se ipsum scribentem », cf. Lina Bolzoni (a cura di), Poesia e ritratto nel Rinascimento, Roma-Bari, Laterza, 2008, p. 137.

50 Version prosaïque ou mercantile du mythe de Pygmalion : ce n’est pas l’auteur de l’œuvre (le sculpteur), mais son acquéreur (peut-être le commanditaire ?) qui s’éprend de la figure peinte.

51 Pline, NH, (XXXVI, 4, 9-10).

52 L. Da Vinci, cit., (I, 21), p. 22.

53 « Léonard donna l’exemple d’un froid éloignement de toute sexualité [...] Ses écrits posthumes [...] chastes, abstinents, [...] Ils éludent tout ce qui est sexuel », Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Gallimard, Paris, 1983, pp. 21-22.

54 Nelson mentionne un précédent pictural : une scène de l’Eunuque (III, 56), pièce de Térence où un viol était induit par la vue d’une fresque représentant les ébats de Jupiter et de Danae. Cf. Jonathan K. Nelson, Leonardo e la reinvenzione della gura femminile : Leda, Lisa e Maria. 46° Lettura vinciana, Firenze, Giunti, 2007 ; « désordres » d’autant mieux connus qu’ils furent condamnés par Saint Augustin dans la Cité de Dieu (II, 6).

55 Sur Léonard et Savonarole cf. Marco Versiero. “La nota del Stato di Firenze”. Leonardo e Savonarola : politica, profezia, arte, « Raccolta Vinciana », XXXV, (2013), pp. 1-46.

56 Sur la temporalité, cf. Simona Selene Scatizzi, Ut pictura poesis. La descrizione di opere d’arte fra Rinascimento e Neoclassicismo : il problema della resa del tempo e del moto, « Camenae »,10, (2012), pp. 1-23.

57 L. Da Vinci, cit., (I, 3), p. 3. 58.

58 Ibid., (I, 15), p. 12.

59 « Ed ancorché le cose de’ poeti sieno con lungo intervallo di tempo lette, spesse sono le volte che le non sono intese, e bisogna farvi sopra diversi comenti, ne’ quali rarissime volte tali comentatori intendono qual fosse la mente del poeta ; e molte volte i lettori non leggono se non piccola parte delle loro opere per disagio di tempo. », Ibid., (I, 18), p. 17.

60 L. Da Vinci, cit., (I, 24), p. 24.

61 « Voi avete messa la pittura fra le arti meccaniche. Certo, se i pittori fossero atti a laudare con lo scrivere le opere loro come voi, credo non giacerebbe in così vile cognome », Ibid., (I, 14), p. 13.

62 Ibid., (I, 40), p. 46.

63 Carlo Vecce, La crisi dell’Autore nel Rinascimento, « California Italian Studies », (2010), 1 (2), p. 14.

64 Claudio Scarpati, Leonardo scrittore, Milano, Vita e pensiero, 2001, p. 263.

65 Mais aussi auteur du premier traité d’esthétique de la Renaissance avec ces Deux leçons (1550). Sur ce point on se permettra de renvoyer à notre édition bilingue et critique des Deux leçons de Benedetto Varchi, à paraître aux Classiques Garnier.

66 « Questi non so come chiamar lo mi debbia; formosissimo, robustissimo, e destrissimo del corpo haveva l’animo piu che magnico, piu che liberale, piu che regio. Haveva un intelletto elevatissimo, e sempre ad altissime cose intento; e in mirabilissime, e quasi impossibili imprese occupato; benche alla profondita del suo ingegno o non era cosa nessuna, o non pareva impossible. Haveva oltra l’Architettura, oltra la scultura; per sua principale Arte, e professione diro, o sollazzo, e intertenimento, la Pittura. Era costui Arimetico, era Musico, era Geometro, e cosmografo; era Astrologo, e Astronomo; era Versicatore, e Poeta; era Filosofo, e Metasico: Dilettavasi, oltra la Notomia, e oltra la Medicina, cosi sica, o naturale, come chirugica, o Manuale; e oltra la Mulo medicina, o vero Mascalcia, di tutti i Minerali, e mezzi minerali: di tutte l’herbe, di tutti i fruttici, e surutici; di tutte le piante, e di tutti gl’Animali di tutte le ragioni, e in ispezielta de’ cavagli; e per ridurre le mille in una, di tutte l’eccellenze, e di tutte le meraviglie: cosi dell’Arte, come della Natura; per le quali doti, e virtu fu non solamente havuto in pregio, e tenuto caro, ma quasi adorato, e inchinato, come come cosa venerabile, e santa non pure dagl’inmi, e da’ mediocri huomini, ma da’ maggiori, e da’ migliori Prencipi: [...] », Benedetto Varchi, Orazione funerale di m. Benedetto Varchi fatta, e recitata da lui pubblicamente nell’essequie di Michelagnolo Buonarroti in Firenze, nella chiesa di San Lorenzo, in Firenze, appresso i Giunti, 1564, p. 55.