Revue Italique

Conférence Barbier-Mueller 2016

OJ-italique-442

Autour de forma et materia dans la poésie de Pietro Bembo et de ses contemporains

Simone Albonico

Une version de ce texte avec des exemples en bonne partie différents a été présentée à l’Université de Fribourg le 9 juin 2016 à l’occasion du colloque La lirica in Italia 1494-1535. Esperienze ecdotiche e profili storiografici, et sera publiée dans les actes. Je remercie Amelia Juri, qui a amélioré la première rédaction française de ce texte.

Célébré de son vivant, Bembo poète n’a pas joui de la même estime à travers les siècles, et, au-delà de son rôle historique, il demeure aujourd’hui plutôt méconnu. À titre d’exemple, l’on peut citer Nicola Gardini qui, après avoir consacré des études de quelque utilité au langage poétique de Bembo, en a récemment fait l’emblème d’une “mauvaise attitude” littéraire: autoritaire, conformiste, répressive, normative, etc.1

Toutefois ce jugement négatif ne concerne pas seulement son rôle et sa figure, devenus très tôt “officiels”, mais aussi ses vers, souvent interprétés d’une façon très restreinte, comme une simple application des principes énoncés dans les Prose della volgar lingua, et réduits à leurs composantes strictement stylistiques, voire linguistiques. On peut voir un reflet de cette attitude chez Carlo Dionisotti lui-même: malgré son magnifique portrait littéraire, intellectuel et humain de Bembo, sa sous-évaluation de la production poétique l’a amené à négliger des aspects philologiques fondamentaux des Rime, si bien que, suivant la ligne éditoriale établie par l’édition Hertzhauser de 1729, il a déterminé (avec l’autre éditeur moderne Mario Marti) une connaissance très imparfaite de leur ordonnance et une impasse à en évaluer le profil réel. Cette situation éditoriale a renforcé l’idée persistante que, dans ses textes, Bembo ne pensait qu’à des problèmes “ponctuels” de style, et par conséquent ses Rime ont été ignorées jusqu’à il y a une dizaine d’années par ceux qui se sont occupés de la structure des livres de poésie:2 ce qui est surprenant, s’agissant du prince des écrivains en vers vulgaires de la première moitié du XVIe siècle.

Ce n’est qu’une des différentes facettes de notre auteur oubliées par les modernes (une autre, par exemple, est celle de l’écrivain bilingue), mais elle nous permet déjà de mieux saisir l’étroite intrication d’opinions reçues et de conditionnements inaperçus qui a engendré et transmis une image si rigide et simplifiée de Bembo poète.

Heureusement pour nous et pour lui, ces dernières années, le paradigme critique prédominant a subi une certaine évolution. Le pétrarquisme italien du XVIe siècle n’est plus vu comme largement centré sur un modèle principal et presque unique, soucieux seulement de la grammaire, de l’elocutio et du thème de l’amour dans la droite ligne de Pétrarque. Il n’est donc plus perçu comme un mouvement condamné à une simple et éternelle variation complètement dépourvue d’originalité et de nouveautés remarquables (et, par conséquent, de véritable intérêt poétique pour nous aujourd’hui). On commence enfin à considérer le panorama de cette tradition comme bien plus varié et composé de différentes attitudes. La formule “petrarchismo plurale”, proposée par Roberto Gigliucci et développée par d’autres chercheurs comme Giorgio Forni, a aidé à dépasser une opinion longtemps partagée, et qui s’était probablement renforcée avec les recherches d’Amedeo Quondam, lequel semble avoir pensé au pétrarquisme comme à une sorte de système fermé, grammaticalisé et solide mais dans lequel il n’est plus possible d’aller au-delà de variations rhétoriques sur la base de Pétrarque et de Bembo.3 L’idée d’un “petrarchismo plurale” bien plus varié, élaborée pendant la préparation de vastes anthologies de qualité remarquable, constitue sans doute un progrès, même si sa formulation semble s’être davantage développée dans un contexte et une perspective critiques qu’au contact des textes et des reconstructions historiques plus larges.

2. Si le profil de Bembo poète est aujourd’hui bien plus riche qu’auparavant, on le doit en premier lieu à Guglielmo Gorni et son commentaire des Rime 1530 (2001), et bien sûr aussi à Andrea Donnini, docteur ès lettres à Genève, et son admirable édition critique et commentée de 2008. Gorni, entre autres choses, a découvert et utilisé le commentaire que Sertorio Quattromani avait élaboré à la finduXVIe siècle, un texte aujourd’hui publié par Pietro Petteruti Pellegrini dans sa thèse lausannoise.4 Les annotations du grand érudit de Cosence ont montré une profondeur “classique”, en particulier horatienne, que les exégètes modernes n’avaient pas reconnue, et nous ont appris une fois de plus combien le regard que nous portons sur ces textes – et ce que nous y voyons et trouvons – est toujours déterminé par nos attentes, nos intentions et nos capacités. Le regard de Quattromani, également décisif pour la lecture séculaire de della Casa, nous confirme nos limites et notre posture inadéquate face à ces textes. Il témoigne d’une manière de les aborder plus respectueuse de l’objet, et plus vraie, dirais-je. En particulier, il nous montre combien d’images et d’idées devaient être cherchées ailleurs que dans le canzoniere de Pétrarque, et nous enseigne ainsi quelque chose sur l’imagination d’un poète de la Renaissance.

3. Mais malgré ces progrès et ces changements de perspective, le profilde Bembo poète semble rester encore en grande partie calqué sur, et conditionné par, les déclarations contenues dans les Prose nelle quali si ragiona della volgar lingua. Comme on le sait, au début du deuxième livre du dialogue, Carlo Bembo, sollicité par Ercole Strozzi qui n’accepte pas d’être renvoyé à ce qu’il devrait déjà bien connaître à propos du latin, se voit devoir illustrer «le parti tutte delle scritte cose [...] che da considerar sarebbono» par ceux qui veulent se faire un jugement sur l’écriture de Pétrarque et de Boccace. Après avoir répondu que les parties générales sont «la materia o suggetto, che dire vogliamo, del quale si scrive, e la forma o apparenza che a quella materia si dà, e ciò è la scrittura», Bembo se concentre exclusivement sur la forma («Ma perciò che non della materia dintorno alla quale alcuno scrive, ma del modo col quale si scrive s’è ragionato ieri e ragionasi oggi tra noi, di questa seconda parte favellando...»):5 il est donc évident que l’autre composante de la poésie, la matière, n’est pas oubliée ou considérée négligeable (même si l’opposition matière/forme pourrait être reconduite à une hiérarchie philosophique), mais simplement laissée de côté, dans un traité qui se préoccupe uniquement de problèmes de style et, surtout, de grammaire.

Avant de revenir sur la materia, je voudrais d’abord attirer l’attention sur une question plus large, la composante narrative et (auto)biographique des Rime de Bembo. J’essaierai ici de réduire à de justes proportions un discours qui devrait au moins aborder les anciens poètes latins et Pétrarque. Même si une recherche consacrée à ce sujet n’existe pas, la critique a déjà insisté sur la valeur exemplaire de Pétrarque et sur son rôle de modèle pour Bembo, jusque dans les choix ponctuels de sa vie. Toutefois, un aspect de grande importance, bien souligné par Luigi Baldacci il y a soixante ans, a été plutôt négligé dans les études plus récentes, à savoir la lecture fortement biographique des Rerum vulgarium fragmenta effectuée à plusieurs occasions, dans les commentaires du XVe siècle, de qualité médiocre mais sûrement connus par Bembo (Francesco Filelfo et le pseudo Antonio da Tempo), et dans ceux du XVIe siècle, en premier lieu celui d’Alessandro Vellutello.6 Ce commentaire, paru en 1525 et très largement diffusé, quoiqu’en fort contraste avec la solution éditoriale de Bembo pour l’Aldina de Pétrarque, pourrait avoir été le modèle de l’organisation en trois parties des Rime du Vénitien dans leur version finale de 1548, selon une hypothèse avancée il y a quelques années.7 Un des effets de l’interprétation de Vellutello a été que pour la plupart des lecteurs de Pétrarque, jusqu’au dix-neuvième siècle, il était parfaitement normal de projeter l’œuvre sur la biographie, ou vice-versa, quitte à adopter souvent des positions apparemment très naïves d’un point de vue critique. Francesco De Sanctis et, plus tard, Benedetto Croce ont contribué à réduire fortement l’attention et la considération pour les aspects biographiques, et en général “historiques”, des textes de Pétrarque (à savoir les connexions avec la biographie et la chronologie). Ils ont valorisé une perspective esthétique (et souvent plus psychologique qu’ils ne pensaient).8 Fort différente est, comme on le sait, la position de Giosue Carducci, bien plus sensible aux aspects historico-critiques.9 Cependant une réelle et importante réaction à Croce (et à De Sanctis), en ce qui concerne l’aspect de la langue vulgaire de Pétrarque, a été lente. Vers la fin du XXe siècle les recherches et le commentaire de M. Santagata ont replacé les études dédiées aux Rerum vulgarium fragmenta dans un cadre pleinement littéraire et historico-critique, et non plus strictement philo-logique ou principalement linguistique et stylistique, et ont montré comment la lecture et la compréhension du canzoniere exigent de croiser une approche à la fois historique, structurelle et philologique.

Il est donc certain que les points de vue sur le pétrarquisme, et sur Bembo en particulier, sont encore conditionnés par les positions très limitatives de De Sanctis, qui, au-delà de son jugement toujours sévère à propos du poète, voyait «il lato positivo di questo movimento» (la littérature et l’art du Cinquecento) dans «l’ideale della forma, amata e studiata come forma», et «il lato negativo» dans «l’indifferenza del contenuto».10 Cet «ideale della forma», qui a été indiqué comme caractéristique de l’époque et a ainsi empêché, par la sous-estimation des contenus, une appréciation des aspects pleinement artistiques, évoque à mes yeux une position proche de celle d’Amedeo Quondam. Celle-ci, déterminante pour une nouvelle évaluation du phénomène pétrarquiste, bien qu’elle ait été réactive par rapport à la dévaluation de De Sanctis et Croce,11 a en effet déplacé la question sur un plan concernant surtout les paradigmes d’une historiographie soucieuse des phénomènes de longue durée, dans une perspective sociologique, et qui s’est donné pour but, entre autres, de mener la critique littéraire à un dialogue complet avec les autres disciplines grâce à une vision historique plus large. Pour se déployer, ce point de vue, bien que toujours très attentif aux traditions et aux genres littéraires, s’est fondé de préférence sur une ’dévitalisation’ des aspects textuels, stylistiques et artistiques individuels, et a élevé au rang de principe un idéal formel collectif, sans déclinaisons ponctuelles en soi décisives pour l’interprète moderne.12 La nouvelle attention au pétrarquisme et à la tradition lyrique qui s’est développée depuis les années soixante-dix en Italie a souvent (mais heureusement pas toujours) omis la liaison des textes avec l’histoire individuelle des auteurs singuliers, considérés parfois comme des figures presque dépourvues d’une identité au-delà de celle stylistique, c’est-à-dire privés d’une identité historique et d’un caractère ou d’une personnalité qu’il est aujourd’hui encore possible, et pour nous intéressant, de reconnaître dans leurs textes (on peut voir ici un reflet de la longue et silencieuse influence, voire même inaperçue, d’un Croce simplifié et quelque peu trahi sur nos études). On a donc privilégié les composantes sociales et économiques par rapport à l’imprimerie et au commerce du livre, la sérialité de la production et de l’édition, le synolon style-langue-aspects formels (pensons aux études de métrique), et bien sûr aussi la tradition des textes et les aspects philologiques. Dans tous ces domaines, les résultats fréquemment obtenus sont très importants, mais dans la plupart des cas avec l’inconvénient de considérer les individus comme les variables d’un système, faisant ainsi prévaloir celles qu’on réputait être, au fil du temps, les règles générales sur les interprétations ponctuelles et littérales du texte même.

4. Croce, il est vrai, avait de bonnes raisons pour se réjouir d’avoir vu disparaître, «almeno in Italia, non pochi concetti e metodi errati di critica e storia della poesia e letteratura (come [...] le consuete contaminazioni e confusioni tra la biografia privata dell’uomo poeta e quella ideale dell’opera sua)»,13 et aujourd’hui il ne s’agit pas, évidemment, de ressusciter ce recours à la reconstruction plate, et presque toujours fausse, d’une correspondance rêvée plus que réelle entre événements de la vie – ou, encore pire, des amours – et succession des textes, comme cela a souvent été le cas, aussi bien sur le plan philologique qu’éditorial, entre le XVIIIe et le XXe siècle: mais, à vrai dire, déjà à partir du XVIe, du vivant même de Bembo, comme le montre le travail de Rinaldo Corso autour des rime de Vittoria Colonna, bien illustré par Monica Bianco dans le premier volume d’«Italique».14 Ce qui semble surtout nécessaire est de ne pas négliger ce que nous trouvons dans les canzonieri et les recu e ils d’auteur au-delà des mètres et du style, et d’essayer de les comprendre et les interpréter à partir de ce qu’ils disent et non sur la base seule des aspects formels qui peuvent être reconduits à différents paradigmes, ou des rapports intertextuels avec la tradition, souvent très limités et prédéterminés par les connaissances véhiculées par la tradition érudite, et, pour des raisons d’histoire culturelle récente, fortement pré-orientés dans la perspective de la tradition vulgaire. Les véritables canzonieri sont d’habitude – toujours lorsqu’il s’agit de personnalités littéraires remarquables – un lieu où l’auteur projette sa figureetse représente. Sans mélanger arbitrairement littérature et vie, auteur historique et figure du poète, il ne faut cependant pas penser à une “mort de l’auteur” – une position critique qui, en Italie, en raison de la forte influence de la France et peut-être inconsciemment, me semble avoir fortement conditionné les recherches dans ce domaine à partir des années ’70 du siècle passé. Il faudrait apprendre, au contraire, à reconnaître les traces de l’expérience personnelle que chaque auteur a insérées dans ses textes, sans assumer des simplifications postromantiques mais sans oublier que, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, même les auteurs les plus attentifs aux aspects formels comme notre Bembo ont toujours cru à la “vérité” de ce qu’ils écrivaient, ou ont voulu dessiner “la”, ou si l’on préfère “une”, vérité de leur propre vie. Penser que Bembo ait considéré ses rimes uniquement comme une occasion pour vérifier ses principes stylistiques, comme cela a souvent été dit, est absolument inacceptable, voire même ridicule. Sur ce point je n’insiste pas, néanmoins, et je renvoie aux pages de Claudio Giunta, sur la poésie du Moyen âge mais qui peuvent s’appliquer aussi à l’interprétation de la plus grande partie de la poésie de la Renaissance.15 Le conventionnalisme et la conséquente “fausseté” de la poésie lyrique semblent être une belle découverte de la critique postromantique (et déjà en partie du rationalisme du XVIIIe siècle), lorsque cette dernière est devenue moins capable de comprendre les raisons plus subtiles et profondes de pratiques intellectuelles et littéraires différentes des nôtres. L’hypertrophie actuelle des études formelles risque ainsi de devenir la compensation, pour ainsi dire, de l’adoption d’un point de vue limité sur ces textes.

5. Examinons donc le cas des Rime de Bembo, parues en 1530 et en 1535, et que je considère ici dans leur dernière rédaction telle qu’elle apparaît dans l’édition posthume publiée par Dorico à Rome en 1548. Pour les raisons éditoriales déjà mentionnées, l’identification d’un véritable canzoniere (textes 1-134), suivi d’une section de correspondance (136-155) et d’une autre de textes funèbres, a manqué dans les études du XXe siècle, qui ont encore moins apprécié la structure interne du canzoniere. Dans ce dernier on peut en effet reconnaître facilement une trame biographique, qui permet de comprendre le sens premier de cette poésie, mais qui a été également négligée. Le sonnet 108 Dorico (111 Donnini) est une prière à la Vierge pour être sauvé «da l’eterno danno» s’achevant sur la déclaration de l’âge de l’auteur, «Homai de la mia vita / Si volge il terzo e cinquantesim’ anno». La composante autobiographique est donc déterminante: il faudra interpréter la projection de l’auteur sur les textes, mais on ne pourra pas ignorer que leur disposition suit le canevas de la vie.

Pour des raisons évidentes, de nombreuses références aux différentes femmes aimées ou admirées (Maria Savorgnan, Lucrezia Borgia, Elisabetta Querini) restent couvertes, même si, grâce aux senhals, elles devaient être transparentes aux yeux des lecteurs mieux renseignés. La multiplicité des personnages féminins loin de constituer un élément de fragmentation du recu e il, comme il a été suggéré, souligne au contraire la centralité du sujet poétique, qui à partir d’un certain point, on le verra plus loin, oriente sa position par rapport à une seule femme, suivant donc les événements de sa propre vie. De plus, tout au long du canzoniere nous retrouvons plusieurs textes qui affichent des destinataires illustres, et qui, au-delà de leur contexte originel, laissent aujourd’hui reconnaître un fil chronologique donnant aux lecteurs l’idée d’une progression dans le temps historique et dans l’espace géographique qui furent ceux de la vie de l’auteur.16 Mais, surtout, Bembo a plongé son livre des rime dans une chronologie à la fois absolue et relative à son propre amour: amour réel, comme les autres, né en 1513 avec la Morosina, âgée alors de 16 ans, et devenue ensuite, entre 1523 et 1528, la mère de ses enfants. Il s’agit d’une chronologie fournie avec le plus grand souci par rapport à la mort de la femme (comme les autres, jamais nommée): dans le sonnet 172, à une année de distance, est indiquée la date de la mort (le 6 août 1535), dans le 173, la durée de l’amour – 22 ans – est indiquée (ce qui permet de déduire son commencement, 1513), dans le numéro 174 Bembo fournit même l’âge de la femme au moment de sa mort, 38 ans, et nous permet ainsi de connaître son jeune âge en 1513. On peut alors fixer à rebours en 1528 le moment auquel renvoie le poème 133, avant-dernier texte du canzoniere, qui déclare la volonté du poète, après quinze ans, d’abandonner l’amour, et la difficulté qu’il rencontre à le faire. Il s’agit de l’année de la naissance d’Elena, la dernière des trois enfants, et cela signifie placer les vicissitudes amoureuses du vrai canzoniere (avec leurs conséquences historiques) entre des bornes bien définies, avant 1530, date de la première parution des Rime. Ce que Bembo désire est sans doute d’ordonner plusieurs moments de son expérience (littéraire, amoureuse, familiale) pour détourner – dans les deux premières éditions – les critiques qui pourraient nuire au cardinalat poursuivi, mais sans renoncer – dans ses dernières années – en aucune façon à représenter dans l’œuvre sa vie réelle, ou, si l’on préfère, historique. Des détails aussi précis et nullement génériques (même s’ils imitent certaines solutions des Rvf) montrent que la tendance critique qui prétendrait nous convaincre du caractère conventionnel et impersonnel de cette poésie trouve des objections substantielles. Il n’yaeneffet rien d’abstrait et de gratuit, mais bien au contraire de nombreuses références à sa propre biographie, aux dates, aux amours et à l’amour de sa vie, à une femme qui a été la mère de ses enfants: cette information n’est pas fournie, mais nous savons que Bembo était un personnage de grande renommée, et qu’il doit avoir calculé a priori dans quelle mesure ses lecteurs auraient pu saisir les allusions cachées de ses textes. À ce propos il faut toujours rappeler la volonté si bien déterminée de Bembo d’assurer la diffusion posthume de sa correspondance privée, un choix qui nous empêche de douter de l’intégration entre littérature et vie qu’il imaginait pour ses œuvres. Les résultats artistiques pourront être, bien sûr, évalués différemment, mais il faudrait mettre fin une fois pour toutes à la fable, qui apparaît de temps à autre, d’un Bembo styliste hors du temps, intéressé seulement à une imitation stérile de Pétrarque. Les sources de cette attitude critique sont multiples: l’on peut évoquer les déclarations comme celles de De Sanctis, qui à propos de notre auteur affirmait que «Le rime sue sono l’anatomia del Petrarca; tutte le frasi, tutti i pensieri, tutte le parole del Petrarca vi sono accozzate, vi è lo scheletro senza l’anima»; c’est de l’autorité de telles déclarations que proviennent en grande partie les idées reçues dé-historicisées qui encore aujourd’hui, me semble-t-il, s’imposent, souvent aussi chez les spécialistes.17 Anima ou non, il est au contraire vrai, et traditionnellement négligé voire ignoré, que les rime de Bembo s’organisent selon un parcours biographique, qui a, quoi qu’il en soit, un fondement historique et est, par là-même, très personnel et identitaire.

6. On pourrait même sortir du genre lyrique – qui, entre Catulle, Horace et les poètes élégiaques, apparaît fondé sur des situations autobiographiques affichées (même s’il faut souvent les considérer comme des composantes littéraires) – , pour rappeler que, même dans une tradition ultra formelle et ultra codée comme celle bucolique, les références historiques, politiques et biographiques caractérisent ce genre dès sa parution durant l’Antiquité. Pour rester dans le cadre pastoral italien, une nouvelle attention à ces aspects a conduit à des acquisitions importantes, à propos de Sannazaro ou de Boiardo.18 Cependant je préfère m’arrêter un instant sur le cas d’un grand poète lyrique, Giovanni della Casa, considéré non seulement comme l’héritier de Bembo, mais qui a, effectivement, avec quelques dizaines de poèmes, déterminé un des courants principaux du langage poétique italien jusqu’à Ugo Foscolo. Plusieurs critiques ont insisté sur les références biographiques de cette poésie, et les motifs principaux de son canzoniere si bien étudiés par Silvia Longhi – la recherche de l’amour, de la gloire poétique ainsi que du succès mondain dans la carrière ecclésiastique, suivie de la désillusion et d’un repli – sont tous les trois, et non seulement le dernier, en liaison étroite avec la biographie de l’auteur.19 Un lecteur idéal devrait donc avoir connaissance des événements de la vie de l’auteur, une condition normale dans la lyrique d’à peu près tous les âges, même si elle n’est presque jamais remplie. Ce qui se révèle particulièrement intéressant est que, au-delà des nombreux textes de correspondance compris dans son canzoniere, Casa, comme l’a montré récemment Italo Pantani, tout au long de sa “carrière” de fonctionnaire de l’Eglise et de poète, s’est servi de textes envoyés aux amis, en langue vulgaire comme en latin, selon des critères différenciés, pour tracer une image de soi qui, plus encore que platement fidèle, doit être considérée “nécessaire” à la compréhension de son parcours intellectuel et littéraire, et par conséquent de sa poésie, telle qu’il voulait la représenter publiquement (même sans imprimer ses écrits...).20 Une véritable stratégie politique, quoique avec l’habituelle “sprezzatura”, qui confirme la centralité de la biographie (une biographie construite et représentée, bien sûr) pour une parfaite appréciation des textes, et aujourd’hui pour leur interprétation. Le débat entre ceux qui refusent un caractère d’authenticité, pour ainsi dire, aux motifs personnels et affirment leur statut de mythe littéraire, et ceux qui voient dans les Rime du Monsignore un document privé très intime, pourrait probablement se résoudre en reconnaissant que l’“authenticité” est le résultat d’un choix littéraire et d’une représentation attentivement finalisée.21

7. Après ces considérations sur certains aspects généraux des choix thématiques, la recherche devrait se déplacer sur un terrain plus spécifique, et aborder la grande question de la définition de “thème”, dans le cas examiné ici en rapport d’autant plus étroit avec les topoi. La problématique des sujets, ou thèmes, ou encore arguments des textes littéraires en général, et des poèmes en particulier, est très vaste, théoriquement difficile, et ne parvient que très rarement à retenir l’attention des chercheurs. En Italie, il faut le comprendre sans doute comme une conséquence de l’hostilité de Croce, mais cette situation résulte aussi de la difficulté qu’on rencontre à définir ce qu’est un thème, au niveau des micro-et macrostructures (je me limite à rappeler que dans la bibliographie assez maigre sur ce sujet la Suisse figure au premier rang avec Giovanni Pozzi et son école).22 La question essentielle, très délicate et plus large, qu’il est impossible d’aborder ici, réside en effet dans notre ignorance des idées sur la poétique concernant la lyrique qui pouvaient être retenues comme valables dans la période qui précède le grand essor théorique du XVIe en Italie.

J’espère donc que les considérations et les exemples présentés dans ce qui suit pourront apparaître représentatifs d’une situation générale et, dans l’attente d’une réflexion théorique mieux ciblée, utiles pour comprendre certains aspects et les raisons de la circulation des thèmes. À partir du cas de Bembo, il faut d’abord rappeler que grâce à Fulvio Orsini nous avons connaissance, même si malheureusement de façon incomplète, des zibaldoni élaborés par le Vénitien au cours de ses travaux sur les auteurs classiques, et il faudrait toujours garder à l’esprit que pour un poète humaniste qui écrivait en langue vulgaire l’accumulation de fiches de lecture presque systématique, et plutôt complète sur les auteurs majeurs (comme nous savons que cela a été fait aussi par della Casa, sur Cicéron et d’autres auteurs), était la règle.23 Dans la délicate question des thèmes, il faudrait donc considérer quels étaient les instruments habituels des humanistes et les taxonomies employées, et évaluer ainsi comment ils peuvent nous aider aujourd’hui à mieux reconstruire les parcours d’élaboration et de définition d’un sujet, pour éviter d’adopter des perspectives théoriquement pointues, ou intellectuellement suggestives, mais peu probables d’un point de vue historique.24 En ce sens, il faudrait s’efforcer de récupérer une façon de lire les textes très attentive à leur sens littéral et aux mots mais aussi à l’argumentation et, par conséquent, à l’identification de “ce que le texte dit” ainsi qu’à une perception exacte de sa chaîne argumentative. Pour acquérir une telle approche des textes, il faudrait faire recours, avec une conscience critique, bien entendu, mais aussi avec une certaine adhésion intellectuelle, à la méthode utilisée au XVIe siècle par Ludovico Castelvetro pour Pétrarque – et adoptée par Sertorio Quattromani déjà cité plus haut – , méthode qu’il serait utile d’appliquer également à la lecture des classiques et des auteurs de la tradition vulgaire.25

8. Prenons le sonnet d’ouverture des Rime de Bembo:26

Piansi et cantai lo stratio et l’aspra guerra
Ch’i’ hebbi a sostener molti et molti anni,
Et la cagion di così lunghi affanni,
Cose prima o non mai vedute in terra.

Dive, per cui s’apre Helicona et serra,
Use far a la morte illustri inganni,
Date a lo stil, che nacque de’ miei danni,
Viver quand’io sarò spento et sotterra.

Ché potranno talhor gli amanti accorti,
Queste rime leggendo, al van desio
Ritoglier l’alme col mio duro essempio;

Et quella strada ch’a buon fine porti
Scorger da l’altre, et quanto adorar Dio
Solo si dee nel mondo, ch’è suo tempio.

Après avoir présenté son expérience humaine et poétique et en avoir énoncé le caractère extraordinaire, l’auteur demande aux Muses d’accorder à sa poésie la possibilité de continuer à vivre après la mort. La requête se justifie par le fait que les amants, en lisant ses poésies et en considérant son exemple, pourront ainsi se soustraire à l’amour et trouver le droit chemin qui mène à l’adoration de Dieu.

Ce texte, toujours méprisé au fil des siècles, est cependant à la source d’une tradition, avec en première ligne les Tasso, père et fils, qui en reprirent, avec des nuances personnelles, l’idée de la valeur exemplaire de l’expérience amoureuse du poète pour les autres amants.27 Dans sa belle lecture consacrée au sonnet de Bembo parue dans le douzième volume d’«Italique» (2009), en marge d’une interprétation sub specie rhetorica, Giovanni Ferroni a justement critiqué les manifestations de surprise face à la requête d’immortalité aux Muses dans un contexte lyrique-amoureux (critiquée déjà par Castelvetro) et, sur la base d’une note de Donnini, a renvoyé aux Amores d’Ovide, à la quinzième et dernière élégie du premier livre (une position donc sensible). 28

Ergo, cum silices, cum dens patientis aratri
Depereant aevo, carmina morte carent.

Cedant carminibus reges, regumque triumphi,
Cedat et auriferi ripa benigna Tagi!

Vilia miretur vulgus; mihi flavus Apollo
Pocula Castalia plena ministret aqua,

Sustineamque coma metuentem frigora myrtum,
Atque ita sollicito multus amante legar!

Pascitur in vivis Livor; post fata quiescit,
Tunc suus ex merito quemque tuetur honos.

Ergo etiam cum me supremus adusserit ignis,
Vivam, parsque mei multa superstes erit.29

Dans les vers conclusifs (31-42), au terme d’une longue revue, s’opposant à l’Invidia et exaltant la poésie – qui, contrairement à la pierre et au métal, ne connaît pas la mort («carmina morte carent») – , Ovide demande pour son inspiration érotique l’aide non pas des Muses (évoquées au contraire dans la première élégie du livre III) mais d’Apollon; il imagine être lu par les amants inquiets (37-38) et déclare sa conviction qu’il survivra après la mort (41-42). Il y a effectivement des rapports avec le sonnet de Bembo, mais si on vérifie parmi les elegiaci latins on trouve que les éléments qui composent son texte sont présents ailleurs sous une forme plus complète. En particulier, dans l’œuvre de Properce, la septième élégie du premier livre semble être bien plus proche des idées du sonnet:

Cum tibi Cadmea dicuntur, Pontice, Thebæ
Armaque fraternæ tristia militiæ,

Atque, ita sim foelix, primo contendis Homero
(Sint modo fata tuis mollia carminibus),

Nos, ut consuemus, nostros agitamus amores,
Atque aliquid duram quærimus in dominam;

Nec tantum ingenio quantum servire dolori
Cogor, et ætatis tempora dura queri.

Hic mihi conteritur vitae modus, hæc mea fama est,
Hinc cupio nomen carminis ire mei.

Me laudent doctæ solum placuisse puellæ,
Pontice, et iniustas saepe tulisse minas;

Me legat assidue post hæc neglectus amator,
Et prosint illi cognita nostra mala.

Te quoque si certo puer hic concusserit arcu,
Quod nolim nostros eviolasse deos,

Longe castra tibi, longe miser agmina septem
Flebis in æterno surda iacere situ;

Et frustra cupies mollem componere versum,
Nec tibi subiciet carmina saevus Amor.

Tunc me non humilem mirabere sæpe poetam,
Tunc ego Romanis præferar ingeniis.

Nec poterunt iuvenes nostro reticere sepulchro
“Ardoris nostri magne poeta iaces”.

Tu cave nostra tuo contemnas carmina fastu:
Sæpe venit magno fænore tardus Amor.
30

La conquête de la renommée est exprimée comme un souhait («Hinc cupio nomen carminis ire mei»), et l’image du poète qui sera lue par les amants («Me legat assidue post hæc neglectus amator») est insérée dans une perspective exemplaire d’apprentissage («Et prosint illi cognita nostra mala»), reprise par Bembo mais absente de l’élégie ovidienne (il s’agit en tous cas d’un élément élégiaque, pour lequel il n’est pas nécessaire d’évoquer le début du Décameron de Boccace, qui révèle simplement les mêmes sources).31 De même, l’évocation de la mort («quand’io sarò spento et sotterra») rappelle l’image plus directe «Nec poterunt iuvenes nostro reticere sepulcro». Aux détails du lexique («duro esempio» qui reprend «aliquid duram quærimus in dominam» et «ætatis tempora dura quaeri»)32 s’ajoute la référence de Properce à la tradition épique fréquentée par son destinataire Ponticus («dicuntur [...] / Armaque fraternæ tristia militiæ» présente chez Bembo, dans sa première rédaction, «Dirò la grave et pirigliosa guerra»), un élément, ce dernier, qui a toujours constitué un des “problèmes” rhétoriques, pour ainsi dire, du texte de Bembo, mais qui en effet est déjà largement présent dans l’élégie ancienne, même s’il est opposé à l’inspiration proprement amoureuse (dans notre cas quaerimus et queri). Dans le sonnet ces deux éléments fusionnent dans le vers «Piansi e cantai lo strazio e l’aspra guerra», où aspra guerra, présente chez Pétrarque (Rvf 264, 111), est aussi propercienne («Stant mihi cum domina dura prælia mea», III 5, 2).33 Le tissu propercien du texte (que les variantes d’élaboration montrent être plus abouti dans les dernières années) est confirmé en particulier par une reprise telle que «ritoglier l’alme col mio duro exempio» de «Tu nunc exemplo disce timere meo» (Properce III 11, 8), expression non attestée dans les Rvf – bien que presque superposable de façon équivoque à «’l mio duro scempio» de Rvf 23, 10 (en rime avec esempio au vers précédent) – mais présente dans la tradition entre le XVe et le XVIe siècle. Le recours initial au syntagme (mio [...] exempio) semble souligner assez clairement la composante (auto)biographique de ce qui suivra dans le canzoniere et la lignée littéraire élégiaque dans laquelle il veut s’inscrire.34 Une confirmation de la présence de certains motifs n’appartenant pas à des textes littéraires vient du fait que cette idée de la valeur exemplaire de l’expérience amoureuse, avant les Rime, encore considérée positivement avait déjà nourri les échanges épistolaires de Pietro avec Maria Savorgnan, à laquelle dans une lettre du 3 mars 1500 il avait écrit: «E se da voi non rimarrà, veggo che ancora potremo essere essempio a gli amanti, che doppo noi verranno». On pourra se demander, dans le futur, si la vie s’inspire de la littérature, plutôt que le contraire, mais en tout cas il est évident que pour Bembo les deux se mêlaient depuis longtemps.

Au terme de cet examen de la provenance de la “matière” de ce sonnet, il est possible de formuler quelques constats. Le premier, banal mais qui semble être toujours considéré comme secondaire dans les recherches, est que, dans cette situation de difficulté que nous vivons par rapport à l’Antiquité classique, il est nécessaire d’entreprendre une étude générale des rapports de la poésie latine avec la poésie italienne de la Renaissance (et la thèse lausannoise actuellement en cours d’Amelia Juri pourra constituer un pas dans cette direction). Le deuxième constat est que, s’il faut inévitablement toujours se référer à Pétrarque, il ne faut jamais oublier qu’il y a d’autres auteurs dont l’importance n’est nullement mineure pour l’inventio (rappelons que la centralité de Properce pour l’imagination pétrarquiste des Rvf a été pleinement reconnue récemment). Le troisième (pensons à Pétrarque et à son abstinendum verbis) est qu’il est impossible de tout résoudre en considérant simplement “les mots” et le style, et qu’il est nécessaire de lire les textes avec d’autres instruments et un regard différent.

9. Une autre réflexion concerne la façon d’évaluer les rapports intertextuels et, à cette fin, je propose de nous attarder sur un autre exemple, le sonnet 49 des Rime qui est, d’après moi, remarquable. Le poète y demande aux éléments de la nature de réaliser les impossibilia: normalement ceux-ci sont associés à un événement pour le déclarer justement impossible et affirmer la durée éternelle de l’amour, mais ici, au contraire, l’amour est fini et le poète représente son bouleversement en ces termes:

Correte, fiumi, a le vostre alte fonti;
Onde, al soffiar de’ venti hor vi fermate;
Abeti et faggi, il mar profondo amate;
Humidi pesci, et voi gli alpestri monti.

Né si porti depinta ne le fronti
Alma, pensieri et voglie inamorate;
Ardendo ’l verno agghiacci homai la state,
E ’l sol là oltre, ond’alza, inchini et smonti.

Cosa non vada piú come solea,
Poi che quel nodo è sciolto, ond’io fui preso,
Ch’altro che morte scioglier non devea.

Dolce mio stato, chi mi t’ha conteso?
Com’esser pò quel ch’esser non potea?
O cielo, o terra, et so ch’io sono inteso.

Anton Federigo Seghezzi dans ses annotations à l’édition de 1729 avait brièvement noté «Imitta Ovvidio nell’elegia VII del libro I Tristium, e duolsi di essere venuto in disgrazia della sua donna» (t. II, p. 199).35 Par la suite, le sonnet a été considéré comme un développement du topos des adynata (Berra, cité par Donnini). Gorni, en relevant l’indication de Seghezzi, a montré comment le rapport avec Ovide était plus étroit dans la première rédaction, et a reconnu «una linea che da una base liricamente effusa conduce l’elegia ovidiana a un disciplinato petrarchismo».36 Cependant il n’a pas encore été relevé jusqu’ici que le choix d’imiter le texte d’Ovide a une raison thématique et que l’adoption de la même solution rhétorique des adunata renversés en est une simple conséquence. Dans Tristia I 8 nous trouvons une lamentation intense et prolongée sur la trahison d’un ami, et Bembo avait évidemment mémorisé, plutôt qu’une solution de style ou de rhétorique, une situation émotive et discursive (dans un zibaldone, on pourrait l’imaginer sous l’étiquette “trahison”), qui était clairement décrite dans d’autres vers exprimant l’idée de fond du texte moderne et qu’il faudrait citer dans un commentaire au-delà de l’adynaton.

Omnia naturæ præpostera legibus ibunt
Parsque suum mundi nulla tenebit iter,

Omnia iam fient fieri quæ posse negabam (Com’esser pò quel ch’esser non potea)
Et nihil est de quo non sit habenda fides.

Bembo a donc adapté l’idée, et cette solution rhétorique si particulière, à une situation amoureuse qui exigeait d’être fortement soulignée à cause du rôle du texte dans la structure du canzoniere;37 néanmoins il a voulu conserver toute la suggestion du texte ancien et de la situation qu’il présentait. Ce sonnet, qui remonte au moins au début des années quatre-vingt-dix, offre aussi l’opportunité de vérifier comment les élégiaques anciens restent centraux dans les premières épreuves de jeunesse jusqu’au moment, presque quarante ans après, où Bembo doit organiser son recu e il et lui fournir un début adéquat.

Les exemples d’une mémoire poétique qui a derrière elle des raisons thématiques pourraient se multiplier; je me limiterai à deux autres cas. Le premier concerne Ludovico Ariosto et les sources latines, et nous mène une fois encore aux élégies de Properce; l’autre, nous reconduit de nouveau à Bembo et à l’écriture en langue vulgaire.

10. Dans sa première satire (et nous sommes ici dans un genre autobiographique par excellence) Ariosto écrit à son frère et à ses amis qui sont en voyage vers la Hongrie avec le cardinal Ippolito, pour avoir des nouvelles de la cour et justifier, par la même occasion, sa décision de rester à Ferrare. Piero Floriani a relevé un fait qui avait jusque-là échappé à la plupart des lecteurs, à savoir que le début de la satire est une réécriture d’Horace, qui dans la troisième épître du premier livre s’adressait à Iulius Florus parti pour l’Orient avec le cortège de Tiberius Claudius Nero: une situation similaire, et donc la même forme de discours, de sorte que l’inventio puisse s’appuyer sur une solution déjà existante et pourvue d’une autorité suffisante.38 Toutefois, un autre texte, la sixième élégie du premier livre de Properce, adopte également cette posture discursive (une épître adressée à Tulle qui part pour l’Orient) et se signale en outre par le fait que, comme Arioste et contrairement à Horace, elle énonce la raison qui a empêché le poète de partir: il s’agit d’une seule raison, ouvertement déclarée par Properce, l’amour pour sa femme.39

Cette même raison se cache derrière la décision de l’Arioste, mais l’auteur ne la révèle pas, et il dresse une liste presque caricaturale de motivations, qui toutefois trahissent leur faible vraisemblance. Nous avons donc deux textes anciens, assez proches l’un de l’autre, qui sont concernés par la satire d’Arioste en premier lieu parce que la situation (historique) dans laquelle le poète ferrarais s’est trouvé était la même que celle qui ressortait de ces textes: je ne vois pas d’autres possibilités pour expliquer ces rapports.

Un autre détail peut renforcer le contact direct avec le texte de Properce et témoigner des modalités et des raisons de la présence dans un texte de ce qui, à première vue, pourrait paraître une simple allusion érudite de goût alexandrin, gratuite. Au troisième vers le poète élégiaque latin rappelle les montes Riphaei, cités aussi par Arioste en relation avec le climat hongrois qu’il affirme être dangereux pour sa santé.40 Le commentaire de Cesare Segre sur ce détail dans la satire ne signale qu’un passage du troisième livre des Géorgiques de Virgile, nécessaire effectivement pour l’idée du vent qui tourmente («Gens effrena virum Riphaeo tunditur Euro»), mais qui ne semble pas suffisant pour expliquer les montagne [...] rifee, qui trouvent une correspondance exacte dans les Riphæos [...] montes de Properce. Le mélange des deux éléments, qu’on pourrait justifier différemment, a une explication simple: la citation de Virgile est disponible dans le commentaire propercien de Filippo Beroaldo, paru en 1487, etque l’humaniste Arioste a très probablement utilisé pour sa lecture (comme Edoardo Fumagalli nous l’a appris à propos du Furieux).41 Il est vrai que pour se rappeler Virgile la suggestion de Beroaldo n’était pas nécessaire et il est également vrai qu’à partir des Géorgiques, Arioste aurait trouvé dans le commentaire de Servius la glose: «Riphæo euro] Scythico vento. Riphæi autem montes sunt Scythiæ, ut iam diximus, a perpetuo ventorum flatu nominati»;42 mais l’autre hypothèse explique bien mieux le parcours de la savante allusion ariostesque et a l’avantage d’être plus économique, étant donné la nécessité de la suggestion propercienne (qui déclare la motivation qui l’empêche de partir) pour l’argumentation générale de la satire. Pour appuyer mon propos sur les thèmes, on peut ajouter que le passage plus ample de Géorgiques III, à partir de la connexion établie par les montagnes Riphæae, semble être récupéré en raison des détails qu’il donne sur les habitudes de vie des peuples habitant les régions froides; et il faudra donc le citer plus largement dans les futurs commentaires de la première satire.

11. L’autre cas se situe entièrement dans le domaine de la poésie en langue vulgaire et il peut être utile pour prendre conscience du fait que même dans cette tradition il faut sortir d’une dimension purement lexicale ou syntagmatique (actuellement prépondérante), et prêter attention au sujet général, ou, autrement dit, à l’idée de fond d’un texte. Je suis toujours surpris que les études et les commentaires consacrés à la production poétique majeure d’Ugo Foscolo (douze sonnets et deux odes) ne se soient jamais aperçus43 que le sonnet

Così gl’interi giorni in lungo incerto
Sonno gemo! ma
poi quando la bruna
Notte gli astri nel ciel chiama e la luna,
E il freddo aer di mute ombre è coverto;

Dove selvoso è il piano e più deserto
Allor lento io vagando, ad una ad una
Palpo le piaghe onde la rea fortuna,
E amore, e il mondo hanno il mio core aperto.

Stanco mi appoggio or al troncon d’un pino,
Ed or prostrato ove strepitan l’onde,
Con le speranze mie parlo e deliro.

Ma per te le mortali ire e il destino
Spesso obbliando, a te, donna, io sospiro:
Luce degli occhi miei chi mi t’asconde?

qu’on pourrait définir un “nocturne”, descend de Rvf 223, à son tour un texte nocturne:

Quando ’l sol bagna in mar l’aurato carro,
et l’
aere nostro et la mia mente imbruna,
col
cielo et co le stelle et co la luna
un’angosciosa et dura notte innarro.

Poi, lasso, a tal che non m’ascolta narro
tutte le mie fatiche, ad una ad una,
et col mondo et con mia cieca fortuna,
con Amor, con madonna et meco garro.

Il sonno è ’n bando, et del riposo è nulla;
ma sospiri et lamenti infin a l’alba,
et lagrime che l’alma a li occhi invia.

Vien poi l’aurora, et l’aura fosca inalba,
me no: ma ’l sol che ’l cor m’arde et trastulla,
quel pò solo adolcir la doglia mia.

dont il reprend les mots de la rime B, le lexique, les expressions, mais surtout la situation et les articulations syntactiques. Entre ces deux extrêmes si éloignés, il existe un autre épisode exactement du même type, et également ignoré. Dans la première édition des Rime, Bembo insère un diptyque de deux sonnets funèbres, sous-évalués jusqu’ici, et à mon avis un de ses résultats les plus remarquables. Les deux textes, probablement de composition récente, montrent la douleur causée par la mort d’une femme mystérieuse, peut-être un hommage posthume à Maria Savorgnan successivement appliqué à la Morosina;44 le premier, Quando, forse per dar loco a le stelle, est nocturne, le deuxième, Tosto che la bell’Alba, solo et mesto, diurne.

Quando, forse per dar loco a le stelle,
Il sol si parte e ’l nostro cielo imbruna
Spargendosi di lor, ch’ad una ad una,
A diece, a cento, escon fuor chiare e belle,

I’ penso e parlo meco: in qual di quelle
Hora splende colei, cui par alcuna
Non fu mai sotto ’l cerchio de la luna,
Benché di Laura il mondo assai favelle?

In questa piango; e poi ch’al mio riposo
Torno, più largo fiume gli occhi miei,
E l’imagine sua l’alma riempie

Trista; la qual mirando fiso in lei
Le dice quel ch’io poi ridir non oso:
O notti amare, o Parche ingiuste et empie!

Dans le premier sonnet, Bembo s’inspire indiscutablement lui aussi de Rvf 223, mais il était parfaitement conscient du fait qu’avant lui, l’autre grand médiateur entre Pétrarque et la tradition, Giusto de’ Conti, en avait déjà tiré un sonnet.45

Quando la sera per le valli aduna
Del velo della terra la sparsa ombra,
E ’l giorno a poco a poco da noi sgombra
Il sol, che fugge, et dà loco alla luna,

Pensoso io dico allor: – Così Fortuna,
Lasso, di mille doglie il cor mi ingombra,
Così la luce mia che l’altre adombra,
Celandosi, mia vita e ’l mondo imbruna – .

E maledico il dì, ch’io vidi in prima
Tanta durezza, e quel fallace sguardo,
Che al cor mi impresse la tenace speme;

Così i miei danni mi ramento al tardo,
Quando più mi arde l’amorosa lima,
Che ’l resto del mio cor convien che sceme.

Giusto, avec une habileté allusive extrême, reprend Pétrarque et en même temps ajoute des détails tirés d’autres textes nocturnes des Rvf (les sextines 22 et 237),46 confirmant ainsi que le parcours imaginatif qu’il a suivi n’a pas été formel mais avant tout thématique; de plus, il nous apprend quelle était l’importance de Giusto pour Bembo à une date qui devrait être assez tardive. Bembo, de son côté, reprend trois innovations sur quatre de Giusto, et il en ajoute une tirée de la même sextine 22 (les stelle; d’autres éléments sont insérés dans le sonnet diurne),47 montrant ainsi avoir bien compris le jeu: sa prouesse consiste dans la réduplication, à savoir l’écriture d’un sonnet pour la nuit et un pour le jour.

12. En raison des noms impliqués et de l’abondance des études, cet exemple me paraît particulièrement révélateur de notre façon de lire ces textes sans prêter une attention suffisante à ce qu’ils disent. On considère en effet souvent les textes comme des objets purement formels ou comme de simples symptômes de phénomènes historiques et culturels plus généraux, qui participent à la définition d’un code poétique, mais qui sont dépourvus d’un intérêt et d’une intention expressifs individuels: une solution pratique et facilement reconductible qui ne semble pas tout à fait acceptable d’un point de vue historique et esthétique.

Dans un cas comme celui de Bembo il est possible – et même nécessaire – de suivre la mise au point, ou dans certains cas la découverte, des thèmes pendant l’élaboration, et d’observer comment un thème, soit classique soit de la tradition romane, prend corps dans un texte avec les éléments du langage pétrarquéen, qui prévalent mais n’arrivent pas à dominer complètement; cela nous aiderait aussi à comprendre comment les différentes composantes s’organisent. Une reconstruction détaillée des parcours de l’inventio exige une attention aux textes, anciens et modernes, mais aussi aux arts et à l’imaginaire quotidien. La lyrique amoureuse, même si elle s’explique en termes très littéraires et réfléchis, se construit en dialoguant constamment avec le quotidien, toujours à la recherche d’un équilibre entre le domaine de l’éros, son élaboration selon la tradition, et une inévitable censure. En ce sens, le rôle des textes anciens et des poèmes élégiaques est celui d’ouvrir un espace, même s’il est le plus souvent visible seulement par pures allusions, sur des aspects que, en langue vulgaire, seuls certains poètes tels qu’Arioste arrivent à traiter pleinement. Pour conclure, je souhaiterais attirer l’attention sur un des témoignages les plus vifs de ce mélange de littérature et de vie quotidienne, témoignages que l’on tend à oublier et qu’il serait néanmoins profitable de recueillir et observer plus attentivement. Il s’agit d’un des textes à juste titre les plus connus de la littérature italienne, la lettre de Machiavelli à Vettori du 10 décembre 1513. Toujours évoquée pour parler de l’attitude politique de l’auteur, dans sa première partie, elle illustre ses occupations quotidiennes pendant la période de retraite forcée à l’Albergaccio. Ici, après avoir suivi le travail des bûcherons, il s’adonne à la lecture:

Partito dal bosco, vado ad una sorgente e di qui in un mio boschetto preparato con le panie per la caccia. Ho con me un libro, o Dante o Petrarca o uno di questi poeti minori come Tibullo, Ovidio e simili: leggo le loro amorose passioni e quei loro amori mi fanno ricordare dei miei: e sono felice per un po’ in questo pensiero.

Une fois sorti de ce presque parfait locus amoenus où il a pratiqué une sorte d’otium, il se rend à l’auberge pour des activités plus triviales:

Mi porto poi sulla strada maestra e vado all’osteria [...] Dopo aver mangiato ritorno all’osteria: qui di solito ritrovo l’oste, il macellaio, il mugnaio e due fornaciai. Con questi m’ingaglioffo [...] Così mi volto e rivolto tra queste occupazioni grossolane e volgari...

Il est inutile de citer la suite du passage, une des pages inoubliables sur ce que signifie avoir une vie intellectuelle: il est bien plus nécessaire, au terme de cette enquête, de rappeler que dans ce cas également il s’agissait d’un topos bien établi.48

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1 De Nicola Gardini, v. Le umane parole. L’imitazione nella lirica europea del Rinascimento da Bembo a Ben Jonson, Milano, Bruno Mondadori, 1997 vs Rinascimento, Torino, Einaudi, 2010 (cité par Claudio Vela, Bembo e le lettere, dans Pietro Bembo e le arti, a cura di Guido Beltramini, Howard Burns e Davide Gasparotto, Venezia, Marsilio -Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, 2013 , pp. 5-21: 9).

2 Pour suivre l’histoire des recherches de Dionisotti sur Bembo, voir Carlo Dionisotti, Scritti sul Bembo, a cura di Claudio Vela, Torino, Einaudi, 2002. Sur la structure des Rime, voir Simone Albonico, Come leggere le «Rime» di Pietro Bembo, «Filologia italiana», 1 (2004), pp. 159-80. Après la biographie pour le DBI et l’introduction à l’édition UTET de Dionisotti, un excellent profil de l’auteur a été tracé par Tiziano Zanato, Pietro Bembo, dans Storia letteraria d’Italia. Il Cinquecento,a cura di Giovanni Da Pozzo, tomo I, La dinamica del rinnovamento (1494-1533), Padova, Piccin Nuova Libraria-Vallardi, 2006 , pp. 335-444.

3 D’après Stefano Jossa-Simona Mammana, Petrarchismo e petrarchismi. Forme, ideologia, identità di un sistema, dans Nel libro di Laura. La poesia lirica di Petrarca nel rinascimento, hrsg. v. Luigi Collarile u. Daniele Maira, Basel, Schwabe, 2004, pp. 91-116, voir Roberto Gigliucci, Appunti sul petrarchismo plurale, «Italianistica», XXXIV (2005), 2 , pp. 71-76, et Id., Antipetrarchismo interno o petrarchismo plurale?, dans Autorità, modelli e antimodelli nella cultura artistica e letteraria tra Riforma e Controriforma, Atti del Seminario internazionale di studi (Urbino-Sassocorvaro, 9-11 novembre 2006), a cura di Antonio Corsaro, Harald Hendrix e Paolo Procaccioli, Manziana (Roma), Vecchiarelli, pp. 91-102 (sur la base de La lirica rinascimentale,a cura di Roberto Gigliucci, scelta e introduzione di Jacqueline Risset, Roma, Istituto poligrafico e Zecca dello Stato, 2000), Giorgio Forni, Pluralità del petrarchismo, Ospedaletto (Pisa), Pacini, 2011 , pp. 7-17, avec Domenico Chiodo, Più che le stelle in cielo. Poeti nell’Italia del Cinquecento, Manziana, Vecchiarelli, 2013 , pp. 9-17. Il n’est pas possible de résumer ici l’apport exceptionnel d’Amedeo Quondam au développement de ce secteur de la critique et de la recherche, qui se voit nécessairement simplifié et réduit à certains aspects privilégiés de son parcours; pour quelques indications voir la note 12.

4 Guglielmo Gorni, Un commento inedito alle Rime del Bembo da attribuire a Sertorio Quattromani, dans Il commento al testo lirico, Atti del Convegno (Pavia, 25-26 ottobre 1990), a cura di Bruno Bentivogli e Guglielmo Gorni, «Schifanoia», 15-16 (1995), pp. 121-32 (avec Id., «Né cal di ciò chi m’arde». Riscritture da Orazio a Virgilio nell’ultimo Bembo, «Italique», I (1998), pp. 26-34, pour les rapports avec Horace); Poeti del Cinquecento, tomo I [le seul publié], Poeti lirici, burleschi, satirici e didascalici,a cura di Guglielmo Gorni, Massimo Danzi e Silvia Longhi, Milano-Napoli, Ricciardi, 2001 , pp. 51-189; Pietro Bembo, Le Rime, a cura di Andrea Donnini, Roma, Salerno, 2008; Pietro Petteruti Pellegrino, Quattromani lettore di Bembo. Studio e edizione dei Luoghi delle rime, tesi di dottorato, Università di Losanna, 2015, dir. Alberto Roncaccia (avec Id., La negligenza dei poeti. Indagini sull’esegesi della lirica dei moderni nel Cinquecento, Roma, Bulzoni, 2013 , pp. 11 ss., et passim).

5 Pietro Bembo, Prose e rime, a cura di Carlo Dionisotti, Torino, UTET, 1966, pp. 135-36; Prose della volgar lingua. L’editio princeps del 1525 riscontrata con l’autografo Vaticano latino 3210, edizione critica a cura di Claudio Vela, Bologna, Clueb, 2001, pp. 60-61. A ma connaissance, il n’existe pas de recherches dédiées au problème de la «materia» dans Bembo et la poésie de son époque.

6 Luigi Baldacci, Il Petrarchismo italiano nel Cinquecento, Milano-Napoli, Ricciardi, 1957, qu’on cite de la Nuova edizione accresciuta, Padova, Liviana, 1974 , pp. 49 ss. On peut utiliser Luca Marcozzi, Commenti del Quattrocento [2004]et Commenti del Cinquecento [2010], dans L. M., Petrarca platonico. Studi sull’immaginario filosofico del canzoniere, Roma, Aracne, 20112 , pp. 173-98 et 199-235, avec bibl.: 181-82, 197-98 et 206-7.

7 Pour Vellutello, voir Gino Belloni, Alessandro Vellutello [1980, avec un titre différent], dans Id., Laura tra Petrarca e Bembo. Studi sul commento umanisticorinascimentale al «Canzoniere», Padova, Antenore, 1992 , pp. 58-95 et Monica Bianco, fiche IX.20, dans Petrarca e il suo tempo, catalogo della mostra, Padova, 8 maggio-31 luglio 2004, Milano, Skira, 2006 , pp. 529-31, avec bibl.; Simone Albonico, Osservazioni sul commento di Vellutello a Petrarca, dans Il poeta e il suo pubblico. Lettura e commento dei testi lirici nel Cinquecento, convegno internazionale di studi (Ginevra, 15-17 maggio 2008), a cura di Massimo Danzi e Roberto Leporatti, Genève, Droz, 2012, pp. 63-100. Pour l’influence sur Bembo, Albonico, Come leggere le «Rime», cit.

8 Francesco De Sanctis, Saggio sul Petrarca, a cura di Benedetto Croce, Napoli, Morano, 1907 (1869-1883). Pour apprécier le rôle déterminant de Croce dans la fortune de De Sanctis, voir Benedetto Croce, Scritti su Francesco de Sanctis, a cura di Teodoro Tagliaferri e Fulvio Tessitore, Napoli, Società nazionale di Scienze lettere e arti in Napoli-Giannini, 2007, et en particulier à propos du rapport forma/contenuto , pp. 205-22 (un écrit du 1912),àp. 219;pp. 425-32 (du 1948), à p. 428; une vibrante défense de De Sanctis face aux critiques de la scuola storica,de De Lollis et de Carducci, aux pp. 137-71 (du 1898). Il ne faut pas oublier, bien entendu, les grandes mérites de Croce dans la connaissance, même historique, des écrivains et des poétiques de la Renaissance, comme elle se manifeste dans les trois volumes des Poeti e scrittori del pieno e del tardo Rinascimento, 1942-1952; emblématique de sa position, son livre Poesia popolare e poesia d’arte. Studi sulla poesia italiana dal Tre al Cinquecento, Napoli, Bibliopolis, 1991 (1933-1952) rassemble des écrits des années 1929-1932, parmi lesquels La lirica cinquecentesca , pp. 301-87 (sur Bembo p. 373, avec un jugement très sévère quoique modéré dans la forme et disponible à reconnaître son rôle historique).

9 Roberto Tissoni, Carducci umanista: l’arte del commento dans Carducci e la letteratura italiana. Studi per il centocinquantenario della nascita di Giosue Carducci, Atti del Convegno di Bologna, 11-12-13 ottobre 1985, a cura di Mario Saccenti con la collaborazione di Maria Grazia Accorsi, Padova, Antenore, 1988 , pp. 47-113, et Id., Il commento ai classici italiani nel Sette e nell’Ottocento (Dante e Petrarca), Padova, Antenore, 1993 , pp. 6-10, 204-19.

10 Francesco De Sanctis, Storia della letteratura italiana, a cura di Gianfranco Contini, Torino, UTET, 1968 (1870), p. 430 (mais il faut également lire les pp. 426-31: «Fioccavano i rimatori...»).

11 On peut voir en particulier Amedeo Quondam, Petrarca, l’italiano dimenticato, Milano, Rizzoli, 2004 (avec Id., Introduzione, dans L’identità nazionale. Miti e paradigmi storiografici ottocenteschi, a cura di A. Q. e Gino Rizzo, Roma, Bulzoni, 2005, pp. iii-xix: xiii-xiv).

12 Quondam vise toujours à encadrer les tendances fondamentales des sociétés de l’Ancien Régime dans leur ensemble, un souci qui explique son niveau de généralisation. Une réflexion critique sur un des principaux filons de la production du chercheur se trouve dans Uberto Motta, Dal «gran secolo» al «Grand siècle». Codificazione e fortuna del modello rinascimentale italiano in «La conversazione» di Amedeo Quondam, dans Venticinque anni di italianistica. Dodici libri da rileggere, «Nuova Rivista di Letteratura Italiana», XVIII (2015), 2 , pp. 57-75; pour sa riche bibliographie voir Bibliografia generale di Amedeo Quondam, dans Per civile conversazione. Con Amedeo Quondam, a cura di Beatrice Alfonzetti, Guido Baldassarri, Eraldo Bellini, Simona Costa, Marco Santagata, Roma, Bulzoni, 2014, vol. II, pp. 1349-64. Pour ses positions sur le petrarchismo, voir en particulier Id., Petrarchismo mediato. Per una critica della forma “antologia”, Roma, Bulzoni, 1974; Il naso di Laura. Lingua e poesia lirica nella tradizione del Classicismo, Ferrara, Istituto di studi rinascimentali -Modena, Franco Cosimo Panini, 1991 (l’essai sur le Petrarchismo come sistema della ripetizione date de 1973), et les essais: Petrarchisti e gentiluomini [1], in Petrarca a jednosc kultury europejskiei. Petrarca e l’unità della cultura europea, pod red./a cura di Monica Febbo e Piotr Salwa, Varsavia, Wydawnictwo Naukowe Semper, 2005 , pp. 31-76; Petrarchisti e gentiluomini. 2. Ladri di parolette: per non essere mai più Tebaldei, dans Petrarca: canoni, esemplarità, a cura di Valeria Finucci, Bulzoni, Roma 2006, pp. 21-71;et Sul Petrarchismo, dans Il petrarchismo. Un modello di poesia per l’Europa, vol. I, a cura di Loredana Chines, Roma, Bulzoni, pp. 27-92 (qui constituent un discours unique sur le Petrarchismo).

13 Benedetto Croce, Ancora del modo di trattare la storia della letteratura, dans Id., Poeti e scrittori del pieno e del tardo Rinascimento, vol. secondo, Bari, Laterza, 1945, pp. 245-58: 251.

14 Monica Bianco, Rinaldo Corso e il “canzoniere” di Vittoria Colonna, «Italique», I (1998), pp. 35-45. Il ne faut pas oublier qu’une perspective similaire à celle-ci a inspiré des exploits scientifiques de premier ordre (comme l’édition des Rime de Dante par Barbi).

15 Claudio Giunta, Versi a un destinatario. Saggio sulla poesia italiana del Medioevo, Bologna, il Mulino, 2002, en particulier les deux derniers chapitres.

16 Albonico, Come leggere le «Rime»;Bembo, Le Rime, cit., pp. lxxvi-lxxvii.

17 Francesco De Sanctis, La poesia cavalleresca e scritti vari, Bari, Laterza, 1954, p. 10 (il s’agit des leçons zürichoises de 1858-1859 enregistrées par Vittorio Imbriani, et déjà publiées par Croce en 1898; elles sont citées par Luigi Russo, Pietro Bembo e la sua fortuna storica, «Belfagor», XIII (1958), pp. 257-72: 264, et le texte continue ainsi «e’ somiglia l’imperatore romano che si credeva pari ad Alessandro perché vestiva come lui»). Sur ce point voir Marcello Aurigemma, I giudizi di Francesco De Sanctis su Pietro Bembo, dans Da Malebolge alla Senna. Studi letterari in onore di Giorgio Santangelo, Palermo, Palumbo, 1993 , pp. 3-16, qui souligne même une duplicité de jugement dans De Sanctis. En raison de sa grande fortune critique, il faut aussi rappeler que l’ascendance intellectuelle du critique napolitain a été disputée entre pensée libérale (Croce), culture fasciste (Gentile), et plus tard, en relation à Gramsci, la gauche du parti communiste (comme l’a bien montré Umberto Carpi, Il Partito Comunista Italiano e De Sanctis negli anni Cinquanta. Classe operaia ed egemonia nazionale, dans Francesco De Sanctis (1817-1883). La storia della letteratura, ancora?, «Quaderns d’Italià», 16 (2011), pp. 67-84; pour la grande nouveauté de la position critique de Dionisotti face à De Sanctis, voir Roberto Antonelli, De Sanctis e la storiografia letteraria, dans la même revue, pp. 31-51).

18 Marina Riccucci, Il «neghittoso» e il «fier connubbio». Storia e filologia nell’Arcadia di Jacopo Sannazaro, Napoli, Liguori, 2001; Marco Santagata, Pastorale modenese. Boiardo, i poeti e la lotta politica, Bologna, il Mulino, 2016.

19 Silvia Longhi, Il tutto e le parti nel sistema di un canzoniere (Giovanni Della Casa), «Strumenti critici», XIII (1979), 39-40 , pp. 265-300, qui considère la recherche du succès mondain et la désillusion plus pertinentes à un autre genre que la poésie lyrique, c’est-à-dire la satire. Les données offertes par Vittorio Anelli, Per l’edizione critica delle «Rime» di Giovanni Della Casa, «Rendiconti» dell’Istituto Lombardo, Classe di Lettere e Scienze Morali e Storiche, 97 (1963), 2 , pp. 395-420, montrent que pour la vingtaine de poésies datables la disposition des textes dans le canzoniere semble correspondre à l’ordre chronologique de composition qu’on peut établir d’après les témoignages externes.

20 Italo Pantani, Gli autoritratti di Giovanni Della Casa [2006, avec titre différent], aujourd’hui dans Id., Responsa poetae. Corrispondenze poetiche esemplari dal Vannozzo a Della Casa, Roma, Aracne, 2013 , pp. 173-221.

21 Giuliano Tanturli, dans son importante édition, s’oppose à une interprétation “biographique”-intimiste de la poésie de Casa, et en souligne la destination publique (Giovanni della Casa, Rime, a cura di G. T., Milano, Fondazione Pietro Bembo -Parma, Guanda, 2001 , pp. xxxvi-xxxvii). Cependant, destination publique et intention d’offrir un portrait qui soit aussi biographique ne sont pas inconciliables. Il ne faut pas oublier que la succession chronologique de l’écriture (comme Anelli l’a montré pour Casa) représente inévitablement un des critères fondamentaux de la première rédaction des textes, et qu’elle a pu ainsi suggestionner les auteurs et suggérer un ordre des éléments du texte selon la chronologie de composition – qui bien sûr n’est pas encore une biographie – même pour leur diffusion publique. On peut rappeler deux exemples, dont l’importance est décroissante. Le premier est celui du manuscrit de Pesaro (Oliveriana, 1399) avec rime et d’autres textes de Bernardo Tasso, un vrai “zibaldone” dans lequel le père de Torquato a rassemblé des textes, des annotations et des extraits de textes d’autres auteurs anciens et modernes. Dans la première partie nous trouvons 66 textes lyriques, plus tard corrigés et différemment sériés pour entrer dans le Terzo libro de gli amori publié en 1537: il témoigne donc à la fois d’une phase du travail dans laquelle l’ordre était encore chronologique, et d’une phase successive de l’élaboration qui, dans ce cas, a amené à en changer l’ordre (Vercingetorige Martignone, Per l’edizione critica del terzo libro degli «Amori» di Bernardo Tasso, dans Sul Tasso. Studi di filologia e letteratura italiana offerti a Luigi Poma, a cura di Franco Gavazzeni, Roma-Padova, Antenore, 2003 , pp. 387-413). Complètement chronologique (nous sommes ici à un niveau plus bas de conscience littéraire) est l’ordre des 318 textes que la poétesse Ippolita Clara, liée à la cour milanaise de Francesco II Sforza, a adressés au Duc et à d’autres personnages de son entourage entre 1529 et 1535, conservés dans un manuscrit aujourd’hui à l’Escorial (Simone Albonico, Ippolita Clara,in Veronica Gambara e la poesia del suo tempo nell’Italia Settentrionale, Atti del convegno internazionale [Brescia-Correggio, 17-19 ottobre 1985], a cura di Cesare Bozzetti, Pietro Gibellini, Ennio Sandal, Firenze, Olschki, 1989 , pp. 323-83: 327-35). Il faudra chercher d’autres exemples.

22 Giovanni Pozzi, Codici, stereotipi, topoi e fonti letterarie, dans Intorno al “codice”, Atti del III Convegno della Associazione Italiana di Studi Semiotici (AISS), Pavia 26-27 settembre 1975, Firenze, La Nuova Italia, 1976 , pp. 37-76; Id., Sul luogo comune [1984, avec titre différent], aujourd’hui dans Id., Alternatim, Milano, Adelphi, 1996 , pp. 449-526,avecun Poscritto 1996; pour l’application à des cas concrets voir en particulier La rosa in mano al professore, Friburgo, Edizioni universitarie, 1974 et Il ritratto della donna nella poesia d’inizio Cinquecento e la pittura di Giorgione [1981], aujourd’hui dans Id., Sull’orlo del visibile parlare, Milano, Adelphi, 1993, pp. 145-71, suivi d’une Nota additiva alla «descriptio puellae» , pp. 173-84, et les études de son école (Ottavio Besomi, Alessandro Martini, Antonio Rossi, Cesare Luraschi et Beatrice Rima entre autres). Une tentative de classification large a été expérimentée par Ottavio Besomi dans son ATLI (Archivio tematico della lirica italiana), 5 volumes publiés entre 1991 et 2000 chez Olms (avec Janina Hauser et Giovanni Sopranzi). Pozzi part d’un intérêt principalement rhétorique (moderne) etviseà ladéfinition des stéréotypes. Intéressantes, et importantes pour la poésie du XVIe siècle, l’application de Stefano Carrai, Ad somnuM. L’invocazione al sonno nella lirica italiana, Padova, Antenore, 1990, et plus récemment, avec un point de vue tout autre, celle de Roberto Gigliucci, Contraposti. Petrarchismo e ossimoro d’amore nel Rinascimento, Roma, Bulzoni, 2004. En général, voir Cesare Segre, Tema/motivo, dans Id., Avviamento all’analisi del testo letterario, Torino, Einaudi, 1985, pp. 331-59 (paru en 1981); Daniele Giglioli, Tema, Milano, La Nuova Italia, 2001; Dizionario dei temi letterari, a cura di Remo Ceserani, Mario Domenichelli, Pino Fasano, Torino, UTET, 2007, p. vii, avec bibl. Encore fondamental aujourd’hui le point de vue de la rhétorique ancienne, peu utilisé: on peut voir cependant Giovanni Ferroni, A margine di «Piansi e cantai» del Bembo, «Italique», XII (2009), pp. 73-91, cité plus loin. Le livre de Marco Praloran, La canzone di Petrarca. Orchestrazione formale e percorsi argomentativi, a cura di Arnaldo Soldani, Roma-Padova, Antenore, 2013, montre de façon magistrale comment on peut combiner une observation très pointue des thèmes avec l’analyse des formes; à l’autre extrémité de la tradition on peut citer les essais dédiés par Luigi Blasucci à Leopardi.

23 Vittorio Cian, Contributo alla Storia dell’enciclopedismo nell’età della Riforma. Il Methodus studiorum del Card. Pietro Bembo, dans Miscellanea di studi storici in onore di Giovanni Sforza, Lucca, Baroni, 1920 , pp. 289-330, et Carlo Vecce, Bembo e Poliziano, dans Agnolo Poliziano poeta scrittore filologo, Atti del Convegno internazionale di studi, Montepulciano 3-6 novembre 1994, a cura di Vincenzo Fera e Mario Martelli, Firenze, Le Lettere, 1998 , pp. 477-503 (utile le rappel de Zanato, Pietro Bembo, cit., pp. 343-44). Déjà Bernardo père de Pietro avait utilisé des Zibaldoni (comme, naturellement, aussi le grand Poliziano, bien connu des Bembo); Vecce a illustré le cas de Sannazaro.

24 Dans la description des matériaux de Bembo, on peut lire: «POIKÍLA. Hic varia loca in litterarum ordinem redegit: hoc est nomina materiae de qua tractatur, ut puto: Amor, Artifex, Animus, Bellum, Corpus, Color etc. In singulis autem multa insunt: in Animo enim iustos, iniustos, fortes, timidos, abstinentes, effoeminatos, laetos, tristes, severos, invidos collegit. Sed de his postea latius. In his locis colligendis, nihil visus est recentium Scriptor libris adiutus: nihil temere et inepte collocavit: omnia visa sunt legendis veteribus libris utriusque linguae, ut omnium optuma coacta» (Cian, Contributo, p. 324). En relation à la diffusion de l’écriture poétique “nell’epoca del Concilio di Trento” et au delà de ce terme, il ne faut pas oublier que les instruments de ce type, comme les Epitheti (1518)etl’Officina (1520)de Ravisius Textor, sont imprimés assez tôt et à la disposition de quiconque: il faudra donc les avoir toujours sur la table de travail, c’est-à-dire sur notre desktop. Avec la lignée humaniste d’œuvres d’auteurs tels que Niccolò Perotti et Raffaele Maffei, on peut rappeler la Polyanthea de Domenico Nani Mirabelli, imprimée en 1503.

25 A propos de l’attention de Castelvetro aux thèmes voir Emilio Bigi, L’interesse per le strutture tematiche nel commento petrarchesco del Castelvetro, dans Poesia latina e volgare nel Rinascimento italiano, Napoli, Morano, 1989 , pp. 371-401; en général, Ezio Raimondi, Gli scrupoli di un filologo: Lodovico Castelvetro e il Petrarca [1952], dans Id., Rinascimento inquieto, Nuova edizione, Torino, Einaudi, 1994 , pp. 57-142; Alberto Roncaccia, Il metodo critico di Ludovico Castelvetro, Roma, Bulzoni, 2006; Daniele Ghirlanda, Appunti su Castelvetro commentatore di Petrarca, dans Ludovico Castelvetro. Filologia e ascesi, a cura di Roberto Gigliucci, Roma, Bulzoni, 2007, pp. 115-38; Petteruti Pellegrino, La negligenza dei poeti, cit., pp. 39-72.

26 Les textes reproduits ici sont ceux de la leçon de l’édition Dorico 1548.

27 Bernardo dans le dernier sonnet, le 124, du premier livre de ses Amori (1531), qui dans la deuxième édition de 1534 sera le premier (duro suon déjà dans Trissino, v. note 32). Sa reprise (qui confirme ce qu’il a pu reconnaître dans le sonnet de Bembo) remonte aussi, indépendamment, à Properce (El., I 7): «Se ’l duro suon di que’ sospiri ardenti, / Ch’amoroso dolor trasse dal petto» (1-2) est à confronter avec «Atque aliquid duram quaerimus in dominam; / Nec tantum ingenio quantum servire dolori / Cogor et aetatis tempora dura queri»(6-8); «Almen dimostrarà qual frutto mieta / Chi ne’ campi d’Amore ha sparso ’l seme / Col fero essempio de’ miei lunghi mali»(9-11) avec «et prosint illi cognita nostra mala»(14). Le dernier vers du sonnet également cite le dernier vers du texte d’Ovide mis en évidence par Ferroni: «Vivrò ne le memorie de’ mortali», «Vivam, parsque mei multa superstes erit».

28 Ferroni, A margine di «Piansi e cantai», cit.; sur le sonnet de Bembo, voir aussi Alfred Noyer-Weidner, Lyrische Grundform und episch-didaktischer Überbietungsanspruch in Bembos Einleitungsgedicht, «Romanische Forschungen», LXXXVI (1974), pp. 314-58. Sur les textes initiaux des canzonieri au XVIe siècle autour de Bembo et de Casa, voir Giuliano Tanturli, Dai “Fragmenta” al Libro: il testo di inizio nelle rime del Casa e nella tradizione petrarchesca, dans Per Giovanni Della Casa. Ricerche e contributi, Atti del convegno di Gargnano del Garda, 3-5 ottobre 1996, a cura di Gennaro Barbarisi e Claudia Berra, Milano, Cisalpino, pp. 61-89 (avec des conclusions différentes des miennes, en particulier en ce qui concerne le rapport avec les modèles élégiaques), Zanato, Pietro Bembo, cit., 2006, p. 403; et surtout sur la fin du XVe siècle voir Id., Il «Canzoniere» di Petrarca nel secondo Quattrocento: analisi dei sonetti incipitari, dans Francesco Petrarca. Umanesimo e modernità, a cura di Alfonso De Petris e Giuseppe De Matteis, Ravenna, Longo, 2008 , pp. 53-111.

29 Cité à partir de l’édition des Opera, Venezia, Bernardinus Rizus Novariensis, 1486-87, ISTC io00134000, vol. 2, c.g2v, avec leçons ita pro a, Tunc pro Cum, adusserit pro adederit, normales dans la tradition ancienne.

30 Ici et dans ce qui suit Properce est cité à partir de l’édition Bologna, Franciscus Plato de Benedictis, pour Benedictus Hectoris, 1487, ISTC ip01017000 (dans ce cas cc. a8v-b1r), où ses textes sont accompagnés du commentaire de Filippo Beroaldo.

31 Bembo, Le Rime, cit., p. 5; et déjà Zanato, Pietro Bembo, cit., pp. 403-4.

32 Déjà dans Trissino, Rime, 1.1: «Se ’l duro suon de’ gravi miei sospiri» (et repris par Bernardo Tasso, v. Note 27).

33 À propos des Dive, Properce est le même qui dans le livre III 2, 15-18, déclare directement «At Musæ comites et carmina cara legenti / Et defessa choris Calliopea meis. / Fortunata, meo si qua est celebrata libello! / Carmina erunt formæ tot monumenta tuæ» (éd. 1487, c.i3v, avec Et pro Nec), afin de corriger II 1, 1-4, «Quæritis unde mihi totiens scribantur amores, / Unde meus veniat mollis in ora liber. | Non mihi Calliope, non haec mihi cantat Apollo: / Ingenium nobis ipsa puella facit» (c. c5v,avec Non mihi pro Non haec).

34 Le syntagme mio esempio existait déjà dans la tradition vulgaire sur une base de suggestions élégiaques, comme dans Boiardo, AL,II 2, proche de Bembo: «Alme felice, che di nostra sorte / libere seti e del tormento rio, / fugeti Amor, e per lo exemplo mio / chiudeti al suo valor anti le porte» (avec le commentaire de Zanato); voir aussi Niccolò da Correggio, Rime, 15.9-10: «Però a gli amanti col mio exempio insegno / finger di ceco, senza lingua e sordo»; sa dédicace de la Psiche à Isabella d’Este («mi forzai ... indure gli amanti a vivere in quieta vita per lo exemplo mio», éd. Tissoni Benvenuti p. 49); Pietro Jacopo de Jennaro, Rime éd. Corti, XCVIII 4-6: «Sopporta, amico, el ponderoso peso, / exempio prendi del mio duro incarco, / novizio al fuoco ond’io son tanto accieso»; Serafino Aquilano, stramb. dubbi, éd. Bauer Formiconi 32.1-4 (éd. Firenze, Giunta, 1516, c. 167v): «Venite, inamorati,al mio lamento / et a veder mia morte acerba e dura! / Et pigli exempio dal mio gran tormento / Chi vole in terra amar senza misura»; Ariosto, Rime, cap.V(Meritamente ora punir mi veggio) 9:«chenel mio essempio ogni amator si specchi».

35 Ce numéro correspond à la numération des éditions anciennes; dans celles modernes, il s’agit de la huitième élégie (sans variations textuelles entre les unes et les autres): «In caput alta suum labentur ab aequore retro / Flumina, conversis Solque recurret equis: / Terra feret stellas, coelum findetur aratro, / Unda dabit flammas, et dabit ignis aquas» (vv. 1-4).

36 Poeti del Cinquecento, cit., p. 99.

37 Albonico, Come leggere le «Rime» , pp. 164-65.

38 Piero Floriani, Il modello ariostesco. La satira classicistica nel Cinquecento, Roma, Bulzoni, 1988, p. 79;eneffet déjà signalé dans David Marsh, Horatian Influence and Imitation in Ariosto’s Satires, «Comparative Literature», XXVII (1975), pp. 307-26: 308. On peut comparer Ariosto, Sat.,I 1-3: «Io desidero intendere da voi, / Alessandro fratel, compar mio Bagno, / S’in corte è ricordanza più di noi», avec Horatius, Ep., I 1-2 et 12: «Iuli Flore, quibus terrarum militat oris / Claudius Augusti privignus scire laboro / ... / Ut valet? Ut meminit nostri?».

39 39. «Non ego nunc Adriae vereor mare noscere tecum, / Tulle, neque Egeo ducere vella salo, / Cum quo Ripheos possim conscendere montis / Ulteriusque domos vadere Memnonias; / Sed me complexæ remorantur verba puellæ / Mutatoque graves sæpe colore preces» (vv. 1-6, éd. Bologna, Franciscus Plato cit., c. a8r,avec nunc pro tunc et vella pro vela).

40 Ariosto, Sat., I 40-45: «Né il verno altrove s’abita in cotesto / Paese: vi si mangia, giuoca e bee,/Evisidormeevisifa anco il resto. // Che quindi vien, come sorbir si dee / L’aria che tien sempre in travaglio il fiato / De le montagne prossime Rifee?». Pour Properce, voir la note 39.

41 Edoardo Fumagalli, Presenze di commenti ai classici nell’«Orlando furioso», «Aevum», LXVIII (1994), pp. 551-70. V. le commentaire de Filippo Beroaldo (éd. Bologna, Franciscus Plato cit., c. a8r: «Rhiphei montes sunt Scythie˛, ut meminerunt Geographi Virgilius. Gens effrena...»).

42 Commentaire de III 381-383, «Talis Hyperboreo Septem subiecta trioni / gens effrena virum Riphæo tunditur Euro / et pecudum fulvis velantur corpora saetis» (la leçon velantur pro velatur est celle des éditions entre le XVe et le XVIe siècle).

43 Cas signalé dans Simone Albonico, Nota su Foscolo e Petrarca, «Stilistica e metrica italiana», 4 (2004), pp. 228-39.

44 Bembo, Le Rime, cit., pp. 380-81. Il s’agit des textes 61-62 dans l’édition de 1530,et 165-166 dans D (163-164 dans l’édition Donnini).

45 Je suis le texte fixé par Italo Pantani, que je remercie.

46 Cfr.lev. 4, «Il Sol, che fugge, et dà loco alla Luna», avec Rvf 237, 30, «Che ’l sol si parta et dia luogho a la luna»; v. 5, «Pensoso io dico allor...», avec Rvf 22, 15, «Miro pensoso le crudeli stelle»; v. 9, «Et maledico el dì, che io vidi in prima», avec Rvf 22, 17, «Et maledico il dì ch’i’ vidi il Sole» (et aussi le v. 6, «Lasso, di mille doglie il cor m’ingombra», avec Rvf 10, 12, «d’amorosi penseri il cor ne ’ngombra»).

47 V.le v. 1, «forse per dar loco a le stelle», avec Giusto 3, «dà loco» – mais encore avec Rvf 22, 15, «Miro pensoso le crudeli stelle»; le v. 3 «spargendosi di lor», avec le v. 2, «la sparsa ombra»; le v. 5, «I’ penso e parlo meco», avec le v. 5, «Pensoso io dico allor».

48 Christian Bec, Dal Petrarca al Machiavelli: il dialogo tra lettore ed autore [1976], dans Id., Cultura e società a Firenze nell’età della Rinascenza, Roma, Salerno, 1981, pp. 228-44.