Revue Italique

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Poétiques de la « vive représentation » de Marco Girolamo Vida (1527) à Jacques Peletier du Mans (1555)

Agnès Rees

La notion de « vive représentation »,1 empruntée aux textes théoriques français de la Renais­sance, est souvent reprise par la critique moderne pour désigner une certaine pratique de la description vivante et détaillée dans la poésie du XVIe siècle :2 portraits ou paysages, palais et œuvres d’art, scènes mythologiques et guerrières. Elle recouvre une réalité complexe, qui s’élabore dans les arts poétiques italiens et français dès la première moitié du XVIe siècle. Nous nous attacherons dans les pages suivantes à définir plus précisément cette notion, toujours liée à un idéal de « clarté », d’« évidence » et de vivacité. Si les modes et les enjeux varient d’un auteur à l’autre, les textes que nous étudions se rejoignent en effet autour d’une même recherche d’expressivité et de visibilité du texte poétique, fondée sur un ensemble de procédés rhétoriques et poétiques visant à rendre sensible la réalité décrite en poésie. Du De arte poetica de Marco Girolamo Vida (1527)3 à l’Art Poétique de Jacques Peletier du Mans (1555),4nous cherchons à montrer comment une telle poétique se met en place et se précise dans les traités italiens puis français, aboutissant vers le milieu des années 1550 à caractériser une pratique proprement française de la « vive représentation », liée à la volonté conjointe d’illustrer la langue et d’élever le langage poétique.

Notre étude se limitera pour l’essentiel à un corpus d’arts poétiques publiés entre l’Italie et la France de 1527 à 1555, rédigés en latin (Vida), en italien (Girolamo Muzio, Dell’arte poetica, 1551)5ou en français (Peletier). D’une part, la poétique de la « vive représentation » y est traitée de manière privilégiée : elle trouve une première formulation dans le De arte poetica de Vida, et un premier aboutissement dès 1555 dans l’Art Poétique de Peletier qui s’efforce de définir la « représentation la plus prochaine entre les choses et les mots ».6D’autre part, l’unité générique de ces trois « arts poétiques », et le caractère normatif suggéré par leurs titres mêmes, détermine l’importance des passages traitant d’une telle poétique ; la notion même d’art poétique, outre qu’elle signale une référence commune à Horace, 7met en avant la vocation didactique de ces traités et oriente le lecteur vers une pratique poétique, à l’horizon de laquelle s’inscrit toujours, dans ces trois textes, un idéal de poésie héroïque. La vive représentation apparaît donc autant comme un modèle de langage poétique proposé au futur poète que comme un moyen d’élever la poésie vers un idéal héroïque. Nous reviendrons sur ces deux points. Nos réflexions se situent enfin au croisement de deux perspectives distinctes et complémentaires ; la première est celle du choix même de la langue poétique, entre latin et langue vulgaire. Nourrie des lectures de Cicéron, Quintilien et Horace, la poétique de la vive représentation apparaît chez Vida dans un texte latin saturé de références virgiliennes, mais elle se développe ensuite dans des arts poétiques en langue vulgaire, italiens puis français, toujours détermi­née par le même modèle virgilien. A une époque où se pose avec acuité, en Italie puis en France, la « question de la langue » rappelons que les Proses de la langue vulgaire de Pietro Bembo sont publiées en 1525, soit deux ans avant l’édition princeps de la poétique de Vida8la vive représentation apparaît liée à des enjeux linguistiques majeurs, qu’il s’agisse de défendre la poésie néo-latine ou au contraire d’affirmer l’expressivité de la langue vulgaire. D’une poétique à l’autre, la persistance même du modèle virgilien traduit la volonté d’égaler la force descriptive de la poésie latine, dans sa plus haute expression. La deuxième perspective dans laquelle s’inscrit cette étude est celle du rapport entre les arts poétiques italiens et français. Il s’agit de mettre en évidence l’originalité de la réflexion italienne, puis française, sur la vive représentation. On sait ce que l’Art Poétique de Jacques Peletier doit à ses prédécesseurs italiens, même si l’identification des sources reste encore en partie à établir ;9on sait du moins que le texte de Vida en constitue l’une des sources directes, particulièrement dans le chapitre consacré aux « ornements de poésie » (I, 9) où Peletier développe l’essentiel de sa théorie de la vive représentation.10Moins connu et moins diffusé, le Dell’arte poetica de Muzio compte parmi les autres sources possibles de Peletier. 11L’importance des sources italiennes, qu’on pourrait vérifier dans d’autres textes théoriques français de la même période, confirme la primauté de la réflexion italienne sur la poétique de la vive représentation. Celle-ci tient à des raisons désormais bien connues et sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Rappelons simplement que les traités italiens constituent tout au long du XVIe siècle un élément de diffusion majeur des textes antiques en France, et que les textes théoriques français sont largement tributaires des commentaires humanistes italiens de l’Epître aux Pisons d’Horace ou, plus tardivement, de la Poétique d’Aristote. Du premier, les commentateurs italiens et à leur suite les théoriciens français retiennent, entre autres, l’idée que « la poésie est comme la peinture » ;12au second, ils empruntent la conception de l’œuvre littéraire comme mimesis, entendue comme imitation de la nature. La Poé­tique d’Aristote tend elle-même à être lue à la lumière de l’épître horatienne et les deux textes sont réinterprétés à travers le filtre des traités de rhétorique de Cicéron et de Quintilien,13qui lèguent aux théoriciens du XVIe siècle deux notions essentielles, celles d’« évidence » et de « clarté ».14A cela s’ajoute une réflexion naissante sur la peinture qui rend compte en partie du besoin qu’éprouvent alors certains théoriciens italiens de définir les moyens rhétoriques et poétiques de « donner à voir » ou à entendre par les mots. 15

Si nous nous en tenons essentiellement, pour les raisons déjà évoquées, aux seuls arts poétiques de la période retenue, nous serons amenée à évoquer plus ponctuellement d’autres textes théoriques, qu’ils soient désormais reconnus comme des sources de l’Art Poétique de Peletier ou qu’ils proposent à leur manière une théorie de la vive représentation qui nous a semblé éclairer les enjeux des textes étudiés.

Représenter « au vif »

Expressions et variantes de la « vive représentation »

Encore faut-il justifier le recours à une telle notion. On la trouve dans quelques textes théoriques ou poétiques français du XVIe siècle, en partie imités des poétiques italiennes. Telle quelle, elle n’apparaît pourtant pas dans l’Art Poétique de Peletier, et ni le De Arte Poetica de Vida, ni l’art poétique de Muzio n’en proposent une expression équivalente. Un bref parcours de quelques-unes de ses occurrences ou de ses variantes dans les textes français nous servira de point de départ pour préciser le sens de cette expression. Peu employée, celle-ci recouvre en revanche un certain nombre d’autres dési­gnations qui parcourent les textes de la période étudiée, sans pour autant s’y confondre ; ainsi des « vives descriptions » dont la Deffence, et illustration de la langue françoyse fait brièvement l’éloge en 1549 : il s’agit d’inciter le futur poète à enrichir sa langue de mots savants et techniques pour « tyrer de là ces belles comparaisons, et vives descriptions de toutes choses ».16La vivacité d’une description y est avant tout affaire de richesse lexicale, donnant d’autant mieux à voir le sujet traité qu’elle le désigne de manière précise et variée. L’Art Poétique de Peletier, en 1555, préfère à cette désignation celle d’« ex­pression vive des choses par les mots » : il désigne ainsi le moyen de réaliser, par l’harmonie imitative, une « représentation » plus sonore que visuelle.17Nous reviendrons plus longuement sur cette désignation. Dans un premier temps, ces deux exemples suffisent à illustrer la complexité et l’indétermination d’une poétique du « vif » qui englobe les qualités visuelles d’une description détaillée, et l’expressivité d’une imitation sonore. Quant à la « vive représentation », elle apparaît sous sa forme littérale dans un commentaire de Marc Antoine de Muret à l’élégie « à Janet » de Ronsard :

Il prie en cette Elegie Janet peintre tres excellent (qui pour representer vivement la nature a passé tous ceux de nostre aage en son art) de pourtraire les beautez de s’amie dedans un tableau. Je pense qu’il aura beaucoup à faire de la pourtraire aussi bien par couleurs comme le Poete par la seule couleur de l’encre l’a icy pourtraite. Au reste ce ne sont que belles descriptions, vives representations et douces mignardises d’amour prises des beautez de la mesme Venus. 18

Cet extrait laisse entrevoir toute l’ambivalence de la vive représentation. Les deux occurrences de l’expression « representer vivement » et « vives représen­tations » mettent en rapport l’activité du peintre et celle du poète. Le rapprochement en lui-même n’a rien d’original ; la référence picturale intervient régulièrement dans la poésie de la Pléiade et particulièrement dans celle de Ronsard pour désigner l’activité poétique ou pour lui servir de comparant. Dans ce contexte, elle permet cependant de préciser le sens de « vive représen­tation » : elle souligne d’abord la capacité commune au peintre et au poète de portraire ou de peindre « au vif », ou au naturel, le sujet qu’ils représentent ;19mais elle désigne aussi, avec l’adverbe « vivement », la vivacité de la représen­tation, ou encore « la vigueur du trait ».20Plus encore, elle englobe l’idée de naturel et celle de vivacité dans une qualité qui donne sens à l’émulation entre les arts et à la notion même de vive représentation, et qui est de savoir animer l’objet décrit, de lui donner vie. La fin de l’élégie confirmerait ce point : le portrait fini donne à voir si « vivement » la femme représentée qu’elle semble prête à parler. « Vif » signifie alors « vivant », traduisant ainsi son équivalent italien, « vivo, viva », qui apparaît presque systématiquement dans les traités italiens traitant de la vive représentation. Entre « vive description » et « expression vive », la notion de « vive représen­tation », par son indéfinition même, apparaît donc comme la mieux à même de rendre compte d’un ensemble complexe de procédés poétiques et rhétoriques qui concourent à susciter cette illusion de vie, ou encore, comme l’indique le terme même de « représentation », à créer une « illusion de présence ».21Aussi l’expres-sion est-elle souvent employée pour désigner indifféremment deux procédés bien distincts qui visent à créer cette illusion : d’une part, l’ekphrasis ou description détaillée du tout par les parties ; de l’autre, l’hypotypose, figure qui consiste à décrire avec vigueur et vivacité le sujet ou l’objet traité en jouant davantage d’un « effet de réel ». L’opposition n’est pas si tranchée, on le verra, dans les textes du XVIe siècle.22C’est alors dans le mot « vif » que cette poétique trouve son unité ; on ne saurait donc en étudier les caractéristiques sans partir de cet italianisme fondateur qui désigne les qualités d’une poétique capable non seulement de représenter avec naturel et vivacité son objet, mais encore de lui « donner vie ».

Le mot « vif »

Dans le corpus étudié, en italien comme en français, le mot « vif » témoigne ainsi de l’importance accordée au pouvoir poétique d’animer le sujet ou l’objet décrit.

Dans le traité de Muzio, l’épithète « vivo/a » et plus précisément l’expres-sion de « viva image » apparaissent de manière récurrente. L’activité du poète est d’abord comparée à celle d’un peintre : il s’agit de « faire le portrait des vives passions » (rittrar i vivi affetti). Cependant, la référence picturale, fréquente dans le traité, n’éclaire qu’imparfaitement cette conception de la vive représentation :

Non sia de lo scrittor l’ultima cura
D’accompagnar ai fatti le parole,
Sì che la vera, propria, e viva image
Scorga e oda ’l lettor di quel ch’ei legge. 23

Muzio salue la capacité de la poésie à faire surgir chez le lecteur une image « vive », c’est-à-dire « vivace » et « vivante » ; les qualités mises en avant sont aussi visuelles (scorga)que sonores (oda). La formule selon laquelle le poème doit faire « entendre une image » au lecteur condense ainsi les exigences de la « vive représentation » telle que l’envisagent les théoriciens italiens et, à leur suite, Peletier. Chez ce dernier, les expressions « image vif » ou « vif portrait » apparaissent à plusieurs reprises et dans des contextes assez différents. Dès les premières lignes de l’Art Poétique, la grandeur de la poésie est associée à sa capacité de « dépeindre au vif » l’objet ou les personnages qu’elle représente :

Je viens à l’excellence de la Poésie. Les poètes ont été jadis les maîtres et les réformateurs de la vie. [...] Car les poètes ont à introduire toutes sortes de personnes : Rois, Princes, Capitaines, Magistrats : et de chacun dépeignent au vif les façons, grâces et offices, pour l’image de la vie. 24

Le traité s’achève sur une injonction faite au futur poète d’aller contempler « les vives images de la nature » :

Et après avoir appris en étude privé : la première chose qu’il fera, soit d’aller voir par effet ce qu’il n’a vu qu’en écriture. Aille contempler les vives images de la Nature. Autrement, il n’écrira jamais de hardiesse : et ne fera dire de soi autre chose, sinon qu’il parle par la bouche d’autrui, par cœur et à crédit.25

D’une occurrence à l’autre, le mot « vif » traduit ainsi l’idéal d’une poésie capable de représenter au naturel (« dépeindre au vif ») les personnages ou les objets qu’elle représente, puis la vie même de la nature dont elle entend s’inspirer. L’expression « image vif » apparaît alors comme l’équivalent exact de la formule « viva image » employée par Muzio. Cependant, Peletier lui attribue encore d’autres sens ; au début du traité, la même expression est utilisée pour inciter le poète à se former par la lecture directe des textes poétiques, afin d’y « reconnaître en l’image vif, la subtilité des traits qu’on lui a baillés par avertissement ».26La discrète référence picturale opposant « l’image vif » de la poésie aux « traits » dessinés par l’œuvre théorique place alors la poésie à mi-chemin entre la réalisation d’un idéal théorique auquelle elle donne corps, et l’imitation de la nature qu’elle rend vivante. On trouvait une expression similaire dans le traité de Muzio, qui invitait le lecteur à représenter les passions en s’inspirant des « vifs exemples » donnés par les écrits des poètes :

Di questi e d’altri affetti i veri segni
Ti daran le scrittureeivivi esempi.27

Le mot « vif » prend dès lors une valeur normative ; on ne s’étonne donc pas de le retrouver, dans L’Art Poétique, associé aux meilleures réalisations poéti­ques, qu’il s’agisse de l’Enéide où Virgile « a si vivement décrit la pauvre amante Didon », ou même des sonnets de Pétrarque, « vive expression des passions amoureuses ».28Les écrits que Peletier propose comme modèles au futur poète sont ainsi toujours liés à un idéal de vive représentation. Ce sont donc les modalités de cette poétique qu’il nous faut à présent dégager.

Eléments de définition et enjeux théoriques de la vive représentation

Enargeia et « vividezza »

Pour rendre compte d’une telle importance du mot « vivo » ou « vif » dans les arts poétiques, un passage par les textes latins s’impose. Les traités italiens font en effet de la « vividezza », c’est-à-dire de la vivacité ou plus exactement de la qualité qui consiste à donner vie, l’équivalent de l’euidentiaenargeia en grec – mise en avant par les traités rhétoriques de Cicéron (De Oratore) et surtout de Quintilien (Institution oratoire) :

Ce que les Grecs appellent phantasia (nous pourrions bien l’appeler uisio), la faculté de nous représenter les images des choses absentes au point que nous ayons l’impression de les voir de nos propres yeux et de les tenir devant nous, quiconque aura pu bien le concevoir sera très efficace pour bien faire naître les émotions [...]. De là procédera l’enargeia, que Cicéron appelle inlustradio et euidentia, qui semble non pas tant raconter que montrer, et nos sentiments ne suivront pas moins que si nous assistions aux événements eux-mêmes. 29

L’enargeia est une qualité du discours qui tend à faire surgir une image mentale (uisio)dans l’esprit de l’auditeur. Elle suppose une forte implication de l’orateur dans son propre discours et engage sa capacité à représenter l’objet ou la scène décrits de façon détaillée ; elle vise à susciter auprès de l’auditeur une illusion de présence de l’objet ou de la scène décrits. L’enargeia vient ainsi renforcer l’efficacité du discours de l’orateur. Les traités de la Renaissance retiennent de cette définition l’idée d’une repré­sentation « efficace », d’un pouvoir « illusionniste » de la parole ;30l’enargeia devient alors un idéal stylistique, ce vers quoi doit tendre toute poésie soucieuse d’agir sur son lecteur. Le passage de l’enargeia rhétorique à l’enargeia littéraire est facilité par Quintilien lui-même, qui tout en définissant une qualité du discours, propose comme modèle d’enargeia la poésie virgilienne et plus particulièrement l’Enéide. 31Ainsi, le De arte poetica de Vida (1527),32nettement influencé par le modèle virgilien,33recommande au futur poète le recours à l’enargeia.Le passage se trouve dans le livre II, consacré à la dispositio ; Vida y encourage l’usage modéré des digressions descriptives, qui suscitent du plaisir et créent un effet d’attente. Si l’enargeia n’est pas explicitement nommée, le passage n’en constitue pas moins une amplification des propos de Quintilien :

An memorem, quandoque omnes intendere nervos
Quum libuit, verbisque ipsam rem aequare canendo,
Seu dicenda feri tempestas horrida ponti,
Ventorum et rabies, fractaeque ad faxa carinae
Aut Siculo angusto, aut impacato Euxino ? [...]
Vidisti quum bella canunt horrentia, et arma
Arma fremunt, miscentque equitum, peditumque ruinas.
Ante oculos, Martis se se offert tristis imago,
Non tantum ut dici videantur, sed fieri res ;
Unde ipsis nomen Graii fecere poetis.
Armorum fragor audiri, gemistusque cadentum,
Caedentumque ictus, et inania vota precantum.34

Comme dans le reste de son traité, Vida emprunte ses exemples aux descrip­tions virgiliennes, capables de « placer devant les yeux » – ante oculos ponere : l’expression provient de L’Institution oratoire – mais aussi de donner à entendre la scène représentée. Le passage cité ne constitue donc pas seulement un éloge des pouvoirs de l’ekphrasis. La vive représentation mobi­lise en effet toute une série de procédés rhétoriques, stylistiques et métriques qui concourent à recréer les effets visuels et sonores de la scène représentée, renfor­çant d’autant plus le pouvoir illusionniste de l’enargeia. S’adressant aux sens autant qu’à l’intellect, elle est d’abord saluée pour sa capacité à émouvoir les affects du lecteur et à susciter sa participation mentale à la scène décrite. La suite du passage évoque d’ailleurs l’extrême émotion que ne peut manquer de susciter une telle description : « Quis quoque, quum captas evolvunt hostibus urbes, /Temperet a lacrimis ? ».35La vive représentation participe donc toujours d’une rhétorique de la persua­sion ; mais elle constitue aussi un moment de virtuosité poétique qui vise à susciter l’admiration du lecteur, et où le travail du vers, des images et des sonorités, crée une langue aussi expressive qu’élégante. Dans le passage de l’enargeia rhétorique à l’enargeia littéraire, ou vive représentation, se joue donc l’invention d’un style poétique qui unit les talents du poète au pouvoir de l’orateur, et qui participe de l’élévation du langage poétique. Une telle conception ne fait cependant pas l’unanimité. Vers la même époque, l’enargeia est explicitement mentionnée par un autre poète et théoricien italien, Giangiorgio Trissino, contemporain et rival de Vida, auteur d’une Poetica (publiée à partir de 1529), et d’une épopée en italien, L’Italia liberata da Gotthi (1547-1548).36Ce dernier texte est précédé d’une épître dédicatoire à Charles Quint où Trissino pose explicitement l’équivalence entre l’enargeia et la « vividezza », le pouvoir de rendre « vif » l’objet ou la scène décrite. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un art poétique, nous en citons un passage, qui nous semble éclairer par contraste les approches de la vive représentation que proposent les auteurs étudiés :

ho tentato di seguitarlo [Homero] [...] introducendo quasi in ogni loco persone, che parlino, e descrivendo assai particularità di vestimenti, di armature, di palazzi, di castrametazioni, e di altre cose, perciò, che come dice Demetrio Phalereo, la enargia, che è la efficace rappresentazione, si fa col dire diligentemente ogni particularità de le aczioni, e non vi lasciar nulla, e non troncare, né diminuire i periodi, che vi si dicono. [...] Anchora, per far quella enargia, ho usato, e compa­razioni, e similitudini, e imagini, le quali cose tutte Homero seppe così divina­mente fare, che ad ogniuno, che lo legge per essere quasi presente a quelle aczioni, ch’elji descrive, cosa, che leggendo la maggior parte de i poeti latini, non avviene, perciò, che alcuni di essi per voler fare alteza ne i versi loro, hanno schiffato il dire diligentemente tutte le circonstanze, e le particularità de le aczioni, come cose, che nel vero fanno basseza ; la onde esse aczioni poi manco vive, e manco efficaci si rappresentano a i lettori.37

Cette définition de l’enargeia est empruntée pour partie à Quintilien et pour partie au traité grec de Demetrius de Phalère, seule source explicitement mentionnée. Retenant surtout de Quintilien qu’« on dit moins en indiquant l’ensemble qu’en donnant les détails »,38Trissino place toute l’efficacité de l’enargeia dans la seule ekphrasis, 39non sans une pointe de polémique envers la poétique de Vida ;40l’auteur envisage une poésie essentiellement descriptive, qui cherche davantage à produire l’illusion de présence par la prolifération des détails que par l’expressivité du langage poétique. Le modèle de Trissino est résolument un modèle grec, homérique, considéré comme plus « efficace » et plus « vif » que l’élégante poésie virgilienne, vers laquelle tend précisément toute la poétique de Vida. Le modèle ekphrastique et visuel de l’enargeia homérique (Trissino) est ainsi mis en concurrence avec le modèle visuel et sonore de la vive représentation virgilienne (Vida), que développent les arts poétiques de Muzio et surtout de Peletier. Dans ce contexte théorique, la poétique de la vive représentation proposée par l’Art Poétique de Peletier ne laisse que mieux apparaître, en effet, sa fidélité au modèle virgilien et « vidien », en même temps que son originalité. Peletier l’évoque dans son chapitre sur les « ornements de poésie » : il s’agit moins d’une figure que d’une qualité du style et elle peut être associée aussi bien aux descriptions, « comme de Tempêtes, de paysages, d’une Aurore, d’une minuit, d’une Fame, et telles singularités » qu’aux comparaisons, qui ont pour but d’« éclaircir, exprimer et représenter les choses comme si on les sentait ».41A la suite de Quintilien et de ses prédécesseurs italiens, Peletier souligne donc aussi « l’illusion de présence » suscitée par la « vive représentation » ; comme Vida, il insiste moins sur les qualités visuelles de l’enargeia que sur sa capacité à rendre plus généralement « sensible » la réalité décrite. Aussi la figure la plus significative de la vive représentation est-elle l’hypotypose, terme que Peletier reprend à Quintilien mais en insistant davantage sur ses propriétés sonores que sur ses qualités visuelles :

Comme, entre autres l’expression vive des choses par les mots : savoir est, les pesantes et hâtives, par mots brefs et légers : et les pesantes ou de travail, par mots longs et tardifs. En quoi notre Virgile est souverain [...]. Et en nos œuvres der­niers, avons imité la rencontre des deux premiers rangs de la bataille, par ce vers qui est en notre Mars, Poussant, ferme plantés en leurs places pressées. Et en même lieu avons fait sonner le Tabourin, la Trompette, l’Artillerie : Et bref, avons gardé en tout le Chant une représentation la plus prochaine entre les choses et les mots, que nous avons su chercher en la langue Française : Comme en notre Rossignol, avons rendu quelque chose du chant de l’Oiseau [...]. Cette Figure se peut dire être celle que les Grecs appellent Hypotypose : combien que Quintilien ne l’induise pas bonnement à cela, mais à une représentation des choses advenues, laquelle les donne à voir quasi mieux qu’à ouïr. 42

Alors que Quintilien mettait essentiellement en avant le caractère visuel de l’hypotypose, 43Peletier en fait un synonyme de l’harmonie imitative ou « expression vive des choses par les mots », qui vise à produire, par le rythme des vers et par le recours à l’allitération, une mimesis sonore de l’objet représenté.44L’emploi du terme « hypotypose » n’en est pas moins significatif : en choisissant cette désignation tout en revendiquant la nouveauté de sa défi­nition, Peletier en fait basculer le sens du visuel vers le sonore, tout en restant dans le cadre de la vive représentation. On retrouve là, réinterprétés, les propos de Vida, qui attribuaient déjà à l’enargeia des qualités visuelles et sonores. De fait, Peletier semble fusionner dans le même chapitre deux passages bien distincts du De arte poetica : le premier, déjà cité, où Vida recommande au futur poète la pratique digressive de la « vive représentation » comme moyen d’apporter un surcroît de plaisir et d’émotion au lecteur ; le second, emprunté au livre III, où le poète définit l’harmonie imitative comme marque distinctive de l’élocution poétique :

Haud satis est illis utcumque claudere versum,
Et res verborum propria vi reddere claras :
Omnia sed numeris vocum concordibus aptant,
Atque sono quaecumque canunt imitantur, et apta
Verborum facie, et quaesito carminis ore. 45

En rapprochant ces deux passages, Peletier tend ainsi à définir la « vive représentation » comme une partie de la seule elocutio, et à la confondre avec ce qui n’en était, chez Vida, qu’une des composantes : une imitation de la réalité décrite visant à produire une « illusion de présence » non plus visuelle, mais sonore. La disproportion entre le bref passage consacré aux « descrip­tions » et le long développement sur l’« expression vive des choses par les mots » témoigne de l’importance de ces recherches sonores chez Peletier. En recher­chant la plus parfaite coïncidence entre les mots et les choses représentées, entre « l’expression » et l’invention, les réflexions de Peletier mettent ainsi en avant deux qualités étroitement rattachées à la vive représentation, qu’évoquaient déjà, quoique de manière plus diffuse, les traités italiens : la « clarté » et la « propriété ».

Clarté et propriété

Quintilien, déjà, associait la qualité de l’enargeia à celle de la clarté :

L’enargeia [...] doit être rangée parmi les ornements, parce qu’elle est évidence (euidentia) ou, comme d’autres disent, repraesentatio plutôt que clarté (perspicuitas) d’un exposé [...]. C’est une grande qualité que de présenter les choses dont nous parlons avec une telle clarté (clare) qu’elles semblent être sous nos yeux.46

La clarté consiste à mettre en lumière, en évidence (euidentia), l’objet ou la scène décrits par l’orateur qui les rend mentalement « présents » au lecteur ; elle implique la perspicuitas : l’orateur doit recourir à une expression claire, qui désignera de la manière la plus précise, et en même temps la plus convenable, la réalité représentée (proprietas).47

Dans les arts poétiques de la Renaissance, la clarté et la propriété s’imposent comme des éléments majeurs du style poétique et plus particulièrement de la vive représentation. Suivant d’assez près Quintilien, le traité de Vida donne comme premier conseil au futur poète de rechercher la clarté et de fuir l’obscu-rité.48Le désir de clarté conduit l’auteur à rejeter la conception allégorique traditionnelle de la poésie comme obscur « manteau » qui enveloppe de récits fabuleux des vérités inaccessibles au commun des hommes ; le langage poétique doit au contraire briller de sa « clarté propre » (lumine clara suo).49L’exigence de clarté guide d’abord le poète dans la disposition de l’œuvre : il s’agit de dévoiler le sujet, tout en gardant une part de mystère pour mieux le mettre en valeur et pour lui donner plus d’éclat :

[...] Inde tamen, ceu
Sublustri et nebula, rerum tralucet imago,
Clarius et certis datur omnia cernere signis. 50

Les digressions descriptives surtout doivent se plier à cette exigence, afindene pas obscurcir le propos en égarant le lecteur, mais d’éclairer le reste de l’œuvre. Virgile est ainsi déclaré supérieur à Homère, pour avoir su accommoder ses descriptions au sujet traité.51La clarté implique donc la propriété : celle-ci se voit soumise à une exigence horatienne de convenance ou de decorum, qui régit tant la disposition que le contenu poétique des descriptions. De même que la digression descriptive doit respecter la disposition d’ensemble du poème, de même les figures doivent être appropriées au sujet traité : ainsi les comparaisons concourent à la clarté de la description sans déroger à la « convenance » entre le comparant et le comparé, entre le sujet traité et sa représentation imagée ;52on retrouvera chez Muzio et chez Peletier cette idée que la comparaison doit être « propre et bien accommo­dée ».53De même, enfin, l’expression doit être adaptée au sujet traité. C’est à propos de l’élocution (livre III) que Vida développe plus particulière­ment le rapport entre clarté et propriété. Comme Quintilien, Vida encourage d’abord l’usage du mot propre ; cette exigence détermine le choix des mots, auxquels le poète assigne « une tâche adéquate » (proprium laborem) dans le vers, 54en fonction de leur sens, de leur registre de langue et de leurs sonorités. Il s’agit de donner le plus d’« éclat » possible au sujet représenté :

Res humiles ille interea non fecius effert
Splendore illustrans alieno, et lumine vestit.55

Quant au langage figuré, il ne peut naître que d’une « pénurie de mots appropriés » (propriae paenuriae vocis).56Toutefois, Vida reconnaît au poète inspiré une plus grande liberté d’expression, qui lui permet de recourir à des figures poétiques à condition que leur usage reste mesuré et, surtout, qu’elles accroissent la clarté de la description :

Nonne vides, verbis ut veris saepe relictis
Accertant simulata, aliundeque nomina porro
Transportent, aptenque aliis ea rebus, ut ipsae
Exuviasque novas, res, insolitosque colores
Indutae, saepe externi mirentur amictus
Unde illi, laetaeque aliena luce fruantur [...]
Nam diversa simul datur e re cernere eadem
Multarum simulacra animo subeuntia rerum.57

Les figures, loin d’obscurcir le langage, concourent alors à la plus grande clarté : en faisant miroiter les divers aspects d’un même objet, elles participent d’un pouvoir d’embellissement et de dévoilement propre à la poésie. En assurant la clarté de la description, l’élocution renforce en même temps l’éclat verbal du poème et traduit l’infinie variété de la nature. La même exigence de clarté régit finalement l’emploi des figures et celui des mots à l’intérieur du vers, choisis pour leur aptitude à rendre évidentes les qualités de l’objet décrit, fussent-elles changeantes et variables. On peut ainsi comprendre le rôle de l’harmonie imi­tative chez Vida, figure privilégiée d’une poésie qui tend à faire voir et à faire entendre la réalité des choses qu’elle laisse affleurer jusque dans les sonorités du vers, se donnant comme une lecture possible de la nature et du monde.58

Si de telles considérations tendent à s’estomper dans le traité plus normatif de Muzio, les notions de clarté et de propriété n’en gardent pas moins une réelle importance. La propriété devient même une qualité maîtresse de la poésie. Elle relève comme chez Vida d’une convenance esthétique et morale, et régit aussi bien la disposition du poème que l’élocution. Elle est particulièrement impor­tante dans les descriptions, où elle détermine le choix des figures ; c’est d’elle que dépend la clarté d’une comparaison bien assortie, où le comparant met en lumière les qualités du comparé :

Tal lo dei prender che possa far chiaro
Il tuo concetto, e non in cieca notte
Ir le menti involvendo dei lettori.59

C’est encore la propriété qui détermine le choix des mots dans le vers ; les mots doivent « accompagner les faits » (accompagnar ai fatti le parole) et accom­moder leurs sonorités au sujet représenté, qu’elles font « résonner » dans le vers, à condition toutefois que les recherches sonores ne nuisent pas à la clarté de l’expression : la recherche du mot propre s’oppose notamment à la trop grande et artificielle richesse des rimes. 60Pour la question des figures, Muzio encou­rage aussi le choix du mot propre, tout en reconnaissant une certaine valeur poétique à l’impropriété, facteur de variété et donc de plaisir pour le lecteur :

Il che bene averrà s’or proprie voci,
Or traslate, or novelle e or antiche
Userà con giudicio, e se tal volta
Farà sì ch’a l’improprio il proprio ceda.61

De tels préceptes s’inscrivent pour la plupart dans une perspective horatienne qui était déjà celle de Vida. Mais les qualités de clarté et de propriété relèvent chez Muzio d’une conception de la convenance qui recouvre tant le decorum horatien qu’une forme de vraisemblance aux échos plus aristotéliciens : une des préoccupations majeures du poète doit être en effet d’écrire des vers « simiglianti al vero ». 62Aussi, dans le traité de Muzio, le « propre » est-il souvent associé au « vrai », pour suggérer la possibilité de créer, par les mots, une copie semblable à la « vraie » nature des choses ; c’est pourquoi la vive représentation doit viser à reproduire une « vera, propria e viva image ».63La propriété apparaît donc comme un élément essentiel d’une poésie qui se veut d’abord imitation vraisem­blable de la nature. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la récurrence de la référence picturale et artistique dans le traité,64qui ne figure pas tant l’idéal d’une représentation visuelle que l’ensemble des capacités mimétiques de la poésie. Les notions de clarté et de propriété, telles que les entend Muzio, infléchissent donc la poétique de la vive représentation non plus, comme chez Vida, vers une relecture du monde, mais dans le sens de la plus fidèle imitation de la nature. L’Art Poétique de Peletier se situe en partie dans le prolongement des théories italiennes ; il s’en distingue cependant en ce qu’il redéfinit l’étendue et la nature de la clarté et de la propriété.65La clarté y est désignée comme la qualité première de la poésie :

La première et la plus digne vertu du Poème est la Clarté : ainsi même que le Parler commun nous témoigne, quand on dit par singularité de louange, cette chose ou celle-là avait été éclairée et illustrée par un tel ou un tel, ou en tel temps ou en tel. [...] Et cette-ci est la beauté universelle, laquelle doit apparaître par tout le corps du Poème : accompagnée d’une certaine majesté, qui ne rende point l’œuvre intraitable : et d’une gravité, qui ne le fasse point trouver trop superbe.

Comme ses prédécesseurs italiens, Peletier conçoit d’abord la clarté comme claritas et perspicuitas : elle met en valeur le sujet représenté et l’exprime clairement ; mais elle est aussi ramenée à l’« illustration », qui peut se compren­dre tant comme mise en « évidence » du sujet traité, au sens de l’inlustratio chez Quintilien, que comme recherche d’une langue claire et élégante. La clarté régit donc toute la composition du poème ; elle se manifeste jusque dans le choix des ornements, « rares et entreluisants », et des comparaisons, qui « donnent une grande lumière au poème » et « éclairci(ssent) » le sujet traité. La clarté est liée à la propriété, dont le sens s’approche là encore de celui de la convenance horatienne ; Peletier partage avec ses prédécesseurs l’idée que le registre de lan­gue doit être approprié au sujet traité, que les figures « choisies avec parci­monie » doivent être « propre(s) et bien accommodée(s) », que les mots doivent exprimer au mieux la chose représentée. C’est sur ce dernier point que se distingue l’Art Poétique de Peletier, où se met en place ce qu’on peut considérer comme une théorie du « mot propre ». La propriété occupe dans l’Art Poétique une place non moins importante que la clarté. Elle est liée à l’évidence : elle assure l’efficacité du texte littéraire en mettant en valeur l’invention de l’auteur. Elle vise à renforcer l’adéquation entre le mot et la chose représentée, entre l’elocutio et l’inventio, « parce que l’efficace d’un écrit, bien souvent consiste en la propriété des mots et locu­tions ».66Elle est ainsi nécessaire à toute traduction, où le choix du mot propre permet d’exprimer clairement l’invention de l’auteur traduit, et à lui donner de l’éclat. Mais la propriété doit surtout être recherchée lors de l’élaboration du poème ; les meilleurs auteurs donc Virgile se distinguent par leur habileté à choisir les mots « d’une façon plus propre, plus gracieuse et plus convenable » que les autres. 67Le poète doit fuir toute « impropriété », toute « superfluité » de mots et d’ornements, et rechercher « une magnificence pleine de sang et de force » :68empruntée à Quintilien, cette dernière image traduit bien l’idéal d’un langage qui exprimerait toute la force des choses sans les recouvrir d’un style inadéquat ou trop orné. L’harmonie imitative peut elle-même apparaître comme la recherche du plus haut degré de propriété que puisse réaliser l’écriture poétique : « expression vive » plus encore que « vive représentation », elle vise à laisser entendre jusque dans les mots la nature sonore de l’objet représenté, et participe ainsi de « l’évidence » du style poétique. C’est bien à cette parfaite adéquation du mot et de la chose qu’aspire Peletier, saluant Virgile, « si parfait en la représentation des choses par résonance des mots », ou recherchant dans ses propres poèmes la « représentation la plus prochaine entre les choses et les mots, que nous avons su chercher en la langue Française ».69Cette recherche d’adéquation sonore s’étend jusqu’à la rime : à l’opposé de certains de ses contemporains, français (Du Bellay) ou italiens (Muzio), Peletier voit en la richesse et « propriété de rimes » un moyen de renforcer la « propriété de mots et de sentences ».70La vive représentation devient alors la plus haute manifestation de la clarté, si elle ne se confond pas avec elle ; poursuivant l’idéal d’une parfaite coïncidence entre l’objet représenté et la matière verbale, entre les res et les verba, elle laisse paraître tout l’éclat, non des vers, mais de la nature même des choses qu’ils représentent.

De Vida à Peletier, les exigences de clarté et de propriété, quoique liées à un même modèle rhétorique hérité pour l’essentiel de Quintilien, déterminent ainsi une évolution dans la théorie de la vive représentation. Chez Vida, l’énergie des descriptions reflète de manière éclatante le caractère divin de la poésie : tout en soulignant l’éclat verbal du poème, elle manifeste toute la variété de la nature et participe ainsi d’une fonction herméneutique qui reste attachée à la poésie, malgré les distances prises avec l’écriture allégorique. Dans les traités des années 1550, la vive représentation est toujours associée à une idée de clarté et d’éclat ; il ne s’agit plus de dévoiler la nature, mais de représenter ou d’imiter celle-ci : dans le traité de Muzio, la vive représentation, codifiée par les exigen­ces de la vraisemblance, traduit les capacités mimétiques d’une poésie orientée vers le plaisir du lecteur. Enfin, les recherches sonores de Peletier poussent à l’extrême ce mimétisme poétique : la vive représentation n’est plus seulement imitation mais expression d’une nature avec laquelle elle tend à se confondre, laissant entendre les qualités sonores des choses représentées en même temps qu’elle manifeste l’expressivité et la poéticité de la langue française. C’est donc aussi toute une conception de la poésie et de la langue poétique, toujours liée à la question de l’illustration, que déterminent ces différentes approches de la vive représentation.

Enjeux poétiques : le modèle héroïque de la « vive représentation »

D’un texte à l’autre, la persistance du modèle virgilien, et plus particulière­ment celui de l’Enéide, constitue en effet la vive représentation en élément privilégié d’élévation de la poésie et, de façon plus ou moins manifeste selon les auteurs étudiés, d’illustration de la langue. Elle participe en effet d’un modèle et d’un style héroïque auxquels aspirent les auteurs de ces traités. Vida lui-même est aussi l’auteur d’une épopée chrétienne, la Christiade, dont les points de convergence avec le De arte poetica et surtout avec l’Enéide ont déjà été soulignés, 71et Peletier évoque dans l’Art Poétique son espoir déçu d’écrire une Herculéide. 72Le projet épique est donc bien à l’horizon de ces arts poétiques, même si les enjeux diffèrent du traité latin aux textes en langue vulgaire. S’il s’agit pour Vida d’égaler en latin les plus belles réalisations épiques des anciens, Muzio et Peletier encouragent à l’inverse les poètes à écrire une épopée dans une langue où ce genre ne s’est encore jamais illustré, l’italien ou le français. Dans tous les cas, il s’agit d’orienter le lecteur vers la pratique toujours souhaitée, et rarement réalisée, du poème épique.73Tant pour sa force expressive que pour ses qualités illustratives, la poétique de la vive représentation apparaît comme une composante essentielle d’une poésie héroïque renouvelée. Dès l’introduction du De arte poetica, Vida annonce que son enseignement poétique privilégiera le genre héroïque : « Nam licet hic divos, ac dis genitos heroas / In primam doceam canere, et res dicere gestas ».74Virgile est l’émi-nent représentant du genre héroïque : « vocem, animumque deo similis »,75il doit constituer pour le futur poète l’unique modèle à suivre, à l’exclusion même d’Homère.76Cette préférence affichée pour Virgile n’est pas sans conséquence, on l’a vu, sur la définition théorique de la vive représentation, qui devient le modèle d’une pratique digressive et descriptive, propre à laisser s’exprimer le naturel exceptionnel d’un poète inspiré, mais modéré et tempéré par l’art et par le respect des convenances. La vive représentation devient alors le lieu par excellence où se laisse voir toute la virtuosité et tout le talent du poète ; moins que le spectacle de la nature, c’est finalement l’éclat d’une poésie inspirée et parfaitement maîtrisée qu’elle donne à voir à ses lecteurs. Aussi est-elle toujours associée à un modèle héroïque ; les deux principaux passages où Vida examine les modalités de cette poétique empruntent leurs exemples à l’Enéide. Le passage déjà cité du livre II, qui définit la pratique de la vive représentation, est ainsi illustré par des descrip­tions virgiliennes de tempête ou de combat : « Arma fremunt, miscentque equitum, peditumque ruinas ».77Dans ses composantes visuelles et sonores, la vive représentation apparaît particulièrement adaptée à une pratique épique, comme si, dans le passage du champ de bataille au vers héroïque, le bruit des combats et le fracas des armes avaient trouvé leur plus parfaite expression. La vive représentation constitue dès lors le lieu héroïque par excellence, offrant à l’admiration de ses lecteurs le double spectacle d’une action guerrière prestigieuse et d’une exceptionnelle maîtrise poétique.78Elle constitue enfin un appel à l’émulation poétique, dont le traité versifié de Vida se fait le premier modèle : les passages du De arte poetica consacrés à la vive représentation sont eux-mêmes des exemples de description vive et détaillée ; ils mettent à contribution tous les éléments stylis­tiques, métriques et sonores de la langue latine pour donner à voir et à entendre les scènes les plus caractéristiques de l’épopée virgilienne.79Plus qu’un simple exercice de style, la vive représentation constitue donc chez Vida l’aboutissement d’un long apprentissage poétique marqué par une fidé­lité sans faille au modèle virgilien. Les passages consacrés aux digressions descriptives et à l’harmonie imitative, où l’imitation de la poésie virgilienne tend vers l’identification, laissent apparaître la valeur exemplaire que Vida accorde à la « vive représentation » : il s’agit moins d’imiter par elle la nature que de poursuivre un idéal poétique sans doute inaccessible, mais auquel une description réussie peut momentanément « donner vie ». Dans ce traité marqué par la nostalgie d’un âge d’or poétique, la vive représentation vise moins à donner l’illusion d’une présence que celle d’une survivance des plus hautes expressions de la poésie.

Les enjeux sont un peu différents dans les traités de Muzio et de Peletier, qui entretiennent un autre rapport au poème héroïque. Les deux auteurs déplorent en effet l’absence de modèle épique italien ou français. Ainsi Muzio :

Né infino ad ora a la tromba di Marte
Post’ha la bocca alcun con pieno spirto,
E chiunque de’ nostri al suon de l’arme
Volto ha la mente, parmi essere intento
Al dilettar le femine e la plebe. 80

On retrouve chez Peletier l’idée que « notre poésie française n’est point encore en sa grandeur. [...] Ce qui se fera par l’entreprise de l’Œuvre Héroïque, et non point plus tôt ».81La poésie héroïque est moins liée au désir de faire revivre les anciens temps de la poésie qu’à celui d’égaler les œuvres les plus prestigieuses des anciens, et d’illustrer ainsi les possibilités d’une langue vul­gaire encore soupçonnée de ne pouvoir prétendre à la gravité et à l’expressivité du latin.

Dans le traité de Muzio, la prédilection pour la poésie héroïque est moins explicite que chez Vida et chez Peletier. L’auteur entend traiter la poésie italienne au même titre que les œuvres des anciens, fustigeant même la tendance de certains modernes à vouloir pratiquer une poésie à l’antique, comme l’ode, ou à vouloir retrouver dans leurs vers le « nombre » latin.82Pourtant, le poème épique n’en reste pas moins à l’horizon de son art poétique, et c’est à l’Enéide de Virgile plus qu’aux poètes italiens que Muzio emprunte ses exemples, particulièrement pour les descriptions. La fureur de Didon est ainsi érigée en parangon de vive représentation :

Ma vòi veder, lettor, novo ritratto ?
Nova figura, nova, viva, e vera ?
Va, vedi Dido sbigottita e cruda
Con sanguigni occhi e con tremanti gote,
Di pallor e di macchie il viso tinta,
Da furor tratta sopra l’alta stipa
Stringer l’amata spada, e, ne la vista
De le spoglie troiane, il duol rinchiuso
Al doloroso umor negar il corso. 83

L’admiration de Muzio pour un tel exemple témoigne du statut particulier de la description héroïque : alors que la poésie « à l’antique » est dans l’ensemble considérée comme inadaptée à la langue italienne, la poésie héroïque, grâce à la richesse et à l’expressivité de ses descriptions, semble dépasser les clivages linguistiques et temporels ; pleine d’« illustres artifices » (artefici illustri) qui la distinguent des « simples peintures » (semplici ritratti) poétiques, 84elle peut alors être proposée comme modèle au poète soucieux d’enrichir et d’illus-trer une poésie en langue vulgaire. Les vers de Muzio, qui se substituent à ceux de Virgile pour décrire le passage de l’Enéide, entendent servir d’exem-ple pour une pratique italienne de la vive représentation. Celle-ci devient avant tout un moyen d’élévation et d’illustration de la langue ; elle rend digne de louange une œuvre poétique en langue vulgaire, manifestant, précisément comme dans la poésie virgilienne, le talent et l’art autant que la divine inspiration du poète :

Or a voler ritrar i vivi affetti
Non ponga mano a cui l’alme de’ cieli
Non spargon lor virtù con larga mano. 85

La vive représentation laisse ainsi entrevoir la capacité d’une langue vulgaire à imiter la nature, mais aussi à égaler la poésie virgilienne. A la suite de ces réflexions, l’Art Poétique de Peletier aborde de façon particulière les enjeux de la vive représentation. Celle-ci apparaît nettement comme un élément caractéristique de « l’Œuvre héroïque ». Plus que Muzio, Peletier considère le poème héroïque comme l’aboutissement de la poésie, si bien « qu’une Langue n’est pour passer en célébrité vers les Siècles : sinon qu’elle ait traité le Sujet Héroïque ». Le modèle épique est ainsi explicitement ramené à la question de l’illustration et de l’élévation de la langue.86Pour les descriptions comme pour la plupart des figures poétiques, Peletier se réclame de l’exemple virgilien, envers lequel il professe la même admiration que Vida. C’est toujours à l’Enéide qu’il emprunte ses exemples. 87De manière significative, la plupart des analyses de l’Enéide sont concentrées dans trois chapitres de l’Art Poétique : « De l’imitation » (I, 5) ; « Des ornements de poésie » (I, 9), où se trouve le passage consacré à la vive représentation ; « De l’Œuvre héroïque » (II, 8). Les références virgiliennes tracent ainsi, à travers le traité de Peletier, un parcours poétique qui mène à la réalisation du poème héroïque, depuis le choix du modèle à imiter jusqu’au travail du style poétique, fondé précisément sur l’imitation du modèle virgilien. Or, on a vu combien, dans ce travail du style, importait pour Peletier « l’expression vive des choses par les mots ». De chapitre en chapitre, Peletier propose donc à ses lecteurs un programme descriptif, placé sous la figure tutélaire de Virgile. Le chapitre sur les orne­ments donne comme exemple d’« expression vive » la métrique virgilienne, capable de restituer le mouvement des « tireurs d’aviron » ou le battement des ailes d’un oiseau. Le chapitre sur l’œuvre héroïque y fait écho : il loue l’Enéide pour sa tendance à « la représentation des choses par résonance des mots » et pour son pouvoir « singulier » de « mettre les faits devant les yeux », concluant sur l’ensemble de l’œuvre :

Voilà d’où sortent les vives voix du Poète. Voilà comment se bâtit l’Œuvre héroïque et immortel. Voilà comment d’une idée de sagesse et de vertu conçue par le grand esprit Poétique, se forme le grand et parfait Image de la vie. 88

Illustrée par Virgile, la vive représentation dépasse le seul impératif d’imiter la nature ; elle contribue à créer « l’Image de la vie », réalisant l’idéal d’une poésie héroïque telle que la conçoit Peletier, « forme et image d’Univers »,89voire l’idéal de toute poésie : rappelons que, dès le début de l’Art Poétique, le pouvoir de représenter « l’Image de la vie » définissait précisément l’excellence de la poésie.90Au-delà d’un modèle de poésie héroïque, les descriptions virgi­liennes constituent donc une incitation pour le futur poète ; l’Art Poétique se présente lui-même comme une vive représentation de la poésie héroïque virgi­lienne, donnée comme exemple au lecteur :

Nous viendrons au Poème de Virgile [...] pour montrer l’image et la face du Poème Héroïque, le mieux au vif que nous pourrons, par ses membres plus spectables : et afin que mieux s’en puisse juger l’étendue, la grandeur et la capacité.91

Quelle place accorder alors, dans cette poétique tendue vers la réalisation de l’œuvre héroïque, à l’harmonie imitative si prisée par Peletier ? Outre qu’elle contribue à la clarté de la description, elle est particulièrement adaptée au style héroïque : en témoignent, dans le chapitre sur les ornements, les exemples tirés de l’Enéide, tout comme le vers emprunté aux propres poèmes de Peletier :

Et en nos œuvres derniers, avons imité la rencontre des deux premiers rangs de la bataille, par ce vers qui est en notre Mars, Poussant, ferme plantés en leurs places pressées.

On retrouvera plus tard chez Ronsard cette idée que l’harmonie imitative, par le caractère martial de certaines allitérations, rend plus expressif le style héroïque.92L’harmonie imitative n’est donc pas seulement un élément de l’efficacité d’une description ; elle est aussi et surtout un moyen privilégié d’illustrer la langue par l’invention d’un style épique imité des plus grands auteurs latins, mais fondé sur les ressources propres au français. Le chapitre sur les ornements suggère lui-même un passage de relais du latin au français : il substitue progressivement aux exemples virgiliens, fondés sur l’expressivité du nombre, les descriptions sonores, allitératives, de Peletier : d’abord une traduc­tion de Virgile, puis l’une de ses propres inventions poétiques.

Puis pour le vol d’un Oiseau, il use de Dactyles, avec toutefois un Spondée entre les deux, pour exprimer l’étendue de l’aile sans bat, Illa leviem fugiens raptim secat aethera perennis ; passage que nous avons autrefois essayé d’exprimer, le traduisant au premier des Géorgiques, Et de la part que Nise en l’air vole, elle fuyant le sol, fend subit l’air de l’aile. Et en nos Œuvres derniers, avons imité la rencontre des deux premiers rangs de la bataille [...]. Comme en notre Rossignol, avons rendu quel­que chose du chant de l’Oiseau ; en notre Foudre, l’éclat du Tonnerre : en notre Vénus, les danseurs ; en notre Eté, les batteurs de blé : pour montrer que notre langue est capable de beaucoup d’ornements, en les cherchant studieusement.93

On ne pouvait mieux suggérer l’expressivité d’une langue française capable de rivaliser avec celle du latin, non par une imitation servile, mais par une mise en valeur de ses propres ressources et de ses richesses. Entre l’imitation de Virgile et la démonstration éloquente des pouvoirs de la langue française, la poétique descriptive de Peletier semble ainsi réaliser l’idéal d’une imitation toujours animée par un désir de réinvention. Le même constat pourrait aussi bien valoir pour son rapport à la nature, imitée et recréée dans le cadre du vers : « car la Nature des choses ne souffre jamais perfection de ressemblance. Par seule imitation rien ne se fait grand ».94Dans les arts poétiques du XVIe siècle, italiens ou français, de langue latine ou vernaculaire, la vive représentation constitue donc un élément essentiel du renouvellement poétique marqué par l’imitation des anciens, qui s’impose dans les textes théoriques au cours du XVIe siècle en Italie puis en France. La mise en perspective d’un art poétique français avec des traités italiens de langue latine ou vernaculaire permet de mieux dégager l’apport des sources italiennes à la poétique française de la vive représentation, tout en soulignant l’originalité de celle-ci. De Vida à Peletier se met en place une poétique descriptive qui accompagne l’évolution de la conception même de la poésie et du statut de l’image. La fiction allégorique cède la place à une poésie conçue comme repré­sentation ou mimesis ; l’écriture poétique se fait dévoilement (Vida), imita­tion (Muzio) ou même « expression » (Peletier) de la nature, qu’elle restitue dans tout son éclat visuel et même sonore. Les recherches sonores de Peletier marquent un aboutissement de cette évolution, poussant le mimétisme jusqu’à la plus parfaite coïncidence entre le mot ou le vers et la chose représentée. Le pouvoir poétique de « redonner vie » devient ainsi un élément d’élévation et d’illustration de la langue, dont la richesse et l’expressivité peut alors se mesurer aux plus grandes productions poétiques des anciens. La mimesis à laquelle vise toute tentative de vive représentation apparaît en effet indissociable d’un travail d’imitation ; elle se prête à un dialogue perma­nent entre la description poétique et sa source ancienne, presque toujours héroïque. Forme essentiellement digressive, la vive représentation devient dans ces textes le lieu par excellence où peut s’élaborer une poétique de l’imitation fondée sur la double volonté d’élever la poésie à la hauteur des plus beaux poèmes de l’antiquité, et d’illustrer la langue en éprouvant ses possibilités expressives. Entre mimesis et imitation, « mimesis parce qu’imitatio »,95elle rend la poésie capable d’égaler, voire de surpasser les plus grandes œuvres antiques dans leur propre domaine d’excellence, la représentation de la nature. Si la vive représentation, dans le traité en latin de Vida, apparaît surtout comme un moyen de retrouver l’inspiration des anciens dans leur propre langue, elle devient alors, chez Muzio et chez Peletier, un élément d’enrichissement de la poésie en langue vulgaire. C’est encore l’Art Poétique de Peletier qui va le plus loin dans l’émulation descriptive avec les anciens, suggérant la possibilité d’atteindre à la plus haute expressivité en jouant des ressources mêmes de la langue française. La vive représentation s’inscrit bien là dans un programme d’illustration de la langue : tendue vers la réalisation du poème héroïque, elle prend une valeur nettement incitative, exaltant le prestige d’une épopée nationale tout en illustrant les richesses d’une langue française capable de rivaliser avec celle des anciens. La préface de la Franciade ne dira pas autre chose : « Tu imiteras les effets de la nature en toutes tes descriptions [...]. Car en telle peinture, ou plustost imitation de la nature consiste toute l’ame de la Poesie Heroïque ».96

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1 Les réflexions qui suivent sont liées à un travail de thèse en cours sur « la poétique de la ‘‘vive représentation’’ et ses origines italiennes à la Renaissance ». Je tiens à remercier Jean-Charles Monferran pour ses conseils lors de l’élaboration de cet article, ainsi que Perrine Galand-Hallyn, par laquelle j’ai pu consulter, avant sa publication, la traduction française (Jean Pappe) du De arte poetica de Vida.

2 Sur la notion de « vive représentation » au XVIe siècle, on pourra se référer, pour le domaine néo-latin, aux travaux de P. Galand-Hallyn, plus particulièrement Le Reflet des Fleurs. Description et métalangage poétique d’Homère à la Renaissance, « Travaux d’humanisme et de Renaissance », Genève, Droz, 1994 et Les Yeux de l’éloquence. Poétiques humanistes de l’évidence, Caen, Paradigme, 1995 ; pour une étude plus ponctuelle de la vive représentation dans la poésie française de la deuxième moitié du XVIe siècle, nous renvoyons à l’article de C.-G. Dubois, Itinéraires et impasses de la ‘‘vive représentation’’ au XVIe siècle, dans La Littérature de la Renaissance. Mélanges offerts à Henri Weber, Genève, Slatkine, 1984, pp. 405-25.

3 MARCO GIROLAMO VIDA, De arte poetica (1527), éd. et trad. anglaise par R.G. Williams, New York, Columbia University Press, 1976 ; éd. et trad. italienne par R. Girardi, Bari, 1982. Nous suivons ici la traduction française de Jean Pappe, à paraître aux éditions Champion (Paris).

4 JACQUES PELETIER DU MANS, Art poétique (1555) ; nous suivons l’édition de F. Goyet, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Le Livre de Poche classique, 1990, pp. 219-315 (avec graphie « normalisée »).

5 GIROLAMO MUZIO, Dell’arte poetica, 1551, éd. B. Weinberg, Trattati di poetica e di retorica del Cinquecento, vol. II, Bari, Laterza, 1970, pp. 163-211.

6 PELETIER, Art poétique, I, 9 p. 255.

7 Sur la façon dont les humanistes des XVe et XVIe siècles relisent, à la suite de Quintilien, l’Epître aux Pisons d’Horace comme un « manuel d’art poétique », voir l’article de P. Galand-Hallyn, Quelques coïncidences paradoxales entre l’Epître aux Pisons d’Horace et la poétique de la silve, dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, Genève, Droz, 1998, n° 60, 3, pp. 609-39.

8 Sur cette question, voir l’introduction de R.G. Williams au De arte poetica de Vida, p. XLV.

9 Sur la question des sources latines et italiennes de Peletier, voir l’édition de l’Art Poétique par André Boulanger (1930) et celle de Francis Goyet, cit. ; l’ouvrage de J. Lecointe, L’Idéal et la différence, Genève, Droz, 1993, particulièrement les pp. 487 à 523 ; ainsi que l’article de M. Jourde et J.-C. Monferran, Jacques Peletier, lecteur de Giason Denores : une source ignorée de l’Art Poétique, dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 66, 2004, pp. 119-32, qui commence par un examen synthétique des diverses sources, établies ou supposées, de l’Art poétique de Peletier. L’étude de J. Lecointe souligne l’appartenance de ces textes, y compris celui de Peletier, et d’autres comme le De arte poetica libri septem de Scaliger (publié en 1561), à une même « poétique padouane ». Dans une perspective un peu différente, nous cherchons à montrer comment, dans les traités français et particulièrement (ici) dans celui de Peletier, les apports des diverses poétiques italiennes contribuent à une réflexion originale sur les modes et les enjeux de la vive représentation.

10 PELETIER, Art poétique, éd. citée, pp. 252-57.

11 Le rapprochement entre Muzio et Peletier est suggéré par G. Demerson, La Mythologie dans l’œuvre lyrique de la Pléiade, Genève, Droz, 1972, et par G. Lote, Histoire du vers français, t. V-2, Université de Provence, 1990, p. 4. Voir aussi M. Jourde et J-C Monferran, Jacques Peletier lecteur, article cité, p. 119.

12 Selon la célèbre formule horatienne « ut pictura poesis » (Epître aux Pisons,v. 361). Voir par exemple PELETIER, Art poétique, I, 3 p. 230 : « La Poésie bien proprement est comparée à la Peinture, pour beaucoup de convenances qu’elles ont ensemble... ».

13 L’ouvrage de référence sur ces questions reste l’imposante étude de B. Weinberg, A History of literary criticism in the Italian Renaissance, University of Chicago Press, 1963, 2 vol. ; voir aussi The Cambridge History of Literary Criticism, vol. 3 : The Renaissance, éd. G. P. Norton, Cambridge University Press, 1999.

14 CICÉRON, Orator, éd. et trad. A. Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964 ; QUINTILIEN, L’Institution oratoire, éd. et trad. J. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 1978 ; pour une analyse de ces deux notions en rapport avec la poétique de la vive représentation à la Renaissance (domaine néo-latin), voir P. Galand-Hallyn, Les Yeux de l’éloquence, op. cit.

15 Sur la réflexion humaniste autour du paragone (ou « parallèle ») entre les arts, et sur l’interprétation de l’« ut pictura poesis » horatien par les commentateurs italiens, voir notamment R. W. Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture, XVe-XVIIIesiècles, trad. Maurice Brock, Paris, La Littérature artistique, 1998 ; voir aussi J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, ouvrage cité, p. 517.

16 JOAQUIM DU BELLAY, La Deffence, et illustration de la Langue Françoyse (1549), II, 11.

17 PELETIER, Art poétique, I, 9, p. 254-55.

18 M.-A. DE MURET, Commentaires au premier livre des Amours de Ronsard (1553), texte de 1623, p. 119, éd. J. Chomarat, M-M. Fragonard et G. Mathieu-Castellani, Genève, Droz, 1985 ; passage cité dans l’article de C.G. Dubois, Itinéraires et impasses de la ‘‘vive représentation’’ au XVIe siècle, p. 406.

19 Selon la traduction que donne Huguet (Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle)à l’expression « au vif ».

20 C.G. Dubois, Itinéraires et impasses, article cité, p. 406.

21 Selon le sens du terme latin repraesentatio, chez Quintilien par exemple ; voir l’article de F. Goyet, De la rhétorique à la création : hypotypose, type, pathos, dans La Rhétorique. Enjeux de ses résurgences, dir. J. Gayon, Bruxelles, Ousia, 1998, pp. 46-69.

22 Sur la notion d’ekphrasis, voir, outre les travaux de P. Galand, l’article de K. Csüros, La fonction de l’ekphrasis dans les longs poèmes, dans Nouvelle Revue du XVIe siècle, pp. 169-85 ; sur la notion d’hypotypose et sur sa différence avec l’ekphrasis, voir F. Goyet, De la rhétorique à la création, article cité. Nous suivons une définition de l’ekphrasis plus large que celle de « description détaillée d’une œuvre d’art » qui lui est communément attribuée ; comme le rappelle P. Galand, la définition antique de l’ekphrasis ne réduit pas cette figure aux descrip­tions plastiques.

23 « Ce qui doit être une des grandes préoccupations de l’écrivain, c’est d’accompagner les faits par les mots, de telle sorte que le lecteur puisse apercevoir et entendre la vraie, propre et vive image de ce qu’il lit », G. MUZIO, Dell’arte poetica, III, 1459-1463, éd. citée, p. 206. Nous soulignons.

24 PELETIER, Art poétique, I, 1, p. 225.

25 PELETIER, Art Poétique, « Conclusion de l’œuvre », p. 296.

26 PELETIER, Art Poétique, I, 2, p. 229.

27 « De ces passions, et d’autres encore, les écrits [des poètes] te donneront les vrais signes et les vifs (vivants) exemples. », MUZIO, Dell’arte poetica, II, 592-593, éd. citée, p. 181. Nous soulignons.

28 PELETIER, Art poétique, II, 8 p. 290 et II, 4 p. 270.

29 QUINTILIEN, Institution oratoire, VI, II, 29-32, trad. J. Cousin, éd. citée. Sur la question de l’ « enargeia » de l’Antiquité à la Renaissance, voir Perrine Galand, Les Yeux de l’éloquence, op. cit., pp. 99-104.

30 Nous empruntons l’idée d’un pouvoir « illusionniste » de l’enargeia à Perrine Galand, Les Yeux de l’éloquence, op. cit., p. 99

31 QUINTILIEN, Institution oratoire, VI, II, 32.

32 Vida avait rédigé une première version restée manuscrite de son De arte poetica en 1517 ; la seconde version, considérablement remaniée et « actualisée », n’est parue qu’en 1527. Sur ces questions et sur la diffusion du De arte poetica, voir M. Di Cesare, Bibliotheca vidiana, a Bibliography of Marco Girolamo Vida, Florence, Sansoni, 1964.

33 La prédominance du modèle des Géorgiques de Virgile dans la disposition même et dans l’écriture du traité de Vida a souvent été soulignée : voir par exemple l’introduction de R.G. Williams à son édition du De arte poetica et l’étude de S. Rolfes, Die lateinische Poetik des Marco Girolamo Vida und ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger, München-Leipzig, K.G. Saur, 2001.

34 M.G. VIDA, De arte poetica, livre II, vv. 367-71 et 377-83. J. Pappe propose la traduction suivante : « Faut-il citer les cas où il plaît au poète de tendre tous ses nerfs / Et de produire un chant qui égale les mots à la chose elle-même ? / Il peut avoir à dire la tempête effroyable d’une mer déchaînée / Et la rage des vents, et les coques venant se briser sur les flots tumultueux. / [...] Juste devant tes yeux se présente de Mars la figure sinistre, / Si bien que l’action semble n’être pas seulement dite, mais se produire. / De là provient le nom que les Grecs ont créé pour eux-mêmes : poète. / Ce qui se fait entendre, c’est le fracas des armes, les cris de ceux qui tombent, / Les coups de ceux qui tuent, et les vœux de ceux qui prient inutilement ».

35 VIDA, De arte poetica,vv. 384-85 : « Qui donc, lorsqu’ils déroulent le spectacle des villes prises par l’ennemi, / Maîtriserait ses larmes ? » (trad. J. Pappe).

36 G.TRISSINO, Poetica, livres I-IV, 1529 ; livres V-VI, 1562 (rédigés en 1549), in Weinberg, Trattati..., éd. citée, vol. 1 et 2 ; L’Italia liberata da Gothi del Trissino, stampata in Roma per Valerio e Luigi Dorici, 1547.

37 G.TRISSINO, L’Italia liberata, éd. citée, f. iij(v°)-iiij (par souci de clarté, nous avons « normalisé » la graphie de Trissino). « J’ai tenté de le suivre [Homère] en introduisant presque en tout lieu des personnes qui parlent, et en décrivant de nombreux détails des vêtements, des armures, des édifices, des campements, et d’autres choses encore, car comme le dit Demetrius de Phalère, l’enargeia, qui est la représentation efficace, consiste dans le fait de dire diligemment le moindre détail des actions racontées, sans rien laisser de côté et sans tronquer, ni diminuer les phrases qui y sont prononcées. J’ai encore, pour produire cette enargeia, utilisé des comparaisons, des métaphores et des images, toutes choses qu’Homère sut faire divinement, si bien qu’il semble à tous ceux qui le lisent qu’ils sont presque présents aux actions qu’il décrit, ce que ne produit pas la lecture de la plupart des poètes latins ; car certains d’entre eux, qui voulaient écrire des choses élevées dans leurs vers, ont refusé avec mépris de dire diligemment toutes les circonstances et tous les détails des actions, parce que de telles choses passent pour basses dans la réalité ; de ce fait, ces actions se présentent aux lecteurs moins vives et moins efficaces ».

38 QUINTILIEN, Institution oratoire, éd. citée, VIII, III, 70.

39 La définition que Trissino donne dans ce texte peut être comparée à celle de la « diatypose », figure proche de l’hypotypose, qu’il définit dans le sixième livre de sa Poetica (1549) et qui consiste aussi en une description détaillée de la réalité représentée : voir G. TRISSINO, La Quinta e la sesta divisione della poetica, in Weinberg, Trattati..., II, p. 85. Toutefois, la différence entre la Poetica et l’épître à Charles Quint, tant dans le choix des modèles (Dante pour la Poetica, Homère pour l’épître) que dans les exemples (une tempête chez Dante ; des vêtements, des armes et des édifices chez Homère), et l’insistance de l’épître sur la nécessité d’une description très détaillée, voire exhaustive, rend plus pertinente la notion d’ekphrasis dans le cadre épique de L’Italia liberata. En tout état de cause, l’opposition de Trissino au modèle défendu par Vida est nette.

40 Sur l’épître dédicatoire à Charles Quint et sur sa portée polémique contre Vida, voir l’article d’E. Musacchio, Il Poema epico ad una svolta : Trissino tra modello epico e modello virgiliano, dans Italica, Journal of the American Association of Teachers of Italian, vol. 80, 3, automne 2003, pp. 333-53. Précisons que si Trissino ne retient du modèle homérique que le pouvoir visuel de l’ekphrasis, les commentateurs d’Homère, comme Denys d’Halicarnasse ou Demetrius de Phalère lui-même, ne négligent pas pour autant l’aspect sonore des descriptions homé­riques. Sur ce point, voir par exemple Perrine Galand, Le Reflet des Fleurs..., op. cit., pp. 50-58.

41 PELETIER, Art poétique, I, 9, pp. 253-54. Nous soulignons. Les exemples de descriptions sont empruntés à l’Enéide de Virgile ; celui des « Tempêtes » apparaissait aussi chez Vida (De arte poetica, II, v. 379 ; passage cité supra).

42 PELETIER, Art poétique, I, 9, p. 255-56.

43 Quintilien définit l’hypotypose comme « une représentation des faits proposée en termes si expressifs que l’on croit voir plutôt qu’entendre » (Institution oratoire, IX, II, 40 ; éd. citée).

44 Pour une étude plus précise de ce passage, et particulièrement pour la question de l’harmonie imitative chez Peletier, nous renvoyons à l’article de J.-C. Monferran, Declique un li clictis : la poésie sonore de Jacques Peletier du Mans, dans A haute voix. Diction et prononciation au XVIe siècle, Paris, Klincksieck, 1998, pp. 35-54.

45 VIDA, De arte poetica, III, vv. 365-69 : « Il n’est point suffisant à leurs yeux [ceux des doctes poètes] de boucler un vers tant bien que mal / Et d’exprimer les choses clairement en prenant au sens propre les mots. / Ils choisissent toujours des termes dont le rythme s’accorde avec le sens, / Et dans tout ce qu’ils chantent, créent une ressemblance à la fois par le son, / L’aspect approprié des mots et la physionomie raffinée du poème. » (trad. J. Pappe).

46 QUINTILIEN, Institution oratoire, VIII, 3, 61, éd. citée. Pour éviter la confusion avec le passage cité plus haut, nous avons gardé le terme latin de repraesentatio plutôt que celui d’ « hypotypose » que donne la traduction de J. Cousin.

47 Sur le sens de « claritas » et « perspicuitas » chez Quintilien, voir les rappels de K.M. Hall dans son article What did Peletier du Mans mean by clarity ?, dans L’Esprit créateur, vol. XII, no 3, 1976 ; sur la notion de propriété dans les arts poétiques du XVIe siècle, voir J. Lecointe, L’Idéal et la différence..., op. cit.

48 VIDA, De arte poetica, I, vv. 96-101.

49 VIDA, De arte poetica, III, vv. 16-21.

50 VIDA, De arte poetica, II, vv. 40-45 : « De là cependant, comme / D’un nuage éclairé faiblement, transparaît une image des choses, / Et l’on peut distinguer plus clairement l’ensemble, et avec certitude » (trad. J. Pappe).

51 Voir VIDA, De arte poetica, II, vv. 176-78. Les contre-exemples donnés par Vida sont empruntés à Homère.

52 VIDA, De arte poetica, II, vv. 285-306.

53 Selon l’expression de PELETIER, Art poétique, I, 9, p. 254. Peletier comme Muzio donnent le même exemple de comparaison que Vida (Turnus comparé à un âne) pour critiquer « l’inconvenance » de la poétique homérique.

54 VIDA, De arte poetica, III, v. 340.

55 VIDA, De arte poetica, III, vv. 73-74 : « De la même façon il donne aux sujets bas de l’élévation / En les faisant briller d’un éclat emprunté, et les vêt de lumière » (trad.J. Pappe).

56 VIDA, De arte poetica, III, v. 94. Egalement cité par Jean Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 513.

57 VIDA, De arte poetica, III, vv. 44-50 et vv. 62-63 : « Ne vois-tu pas comment souvent ils abandonnent les vocables réels / Pour recourir à des équivalents fictifs, et vont chercher bien loin / Des termes qu’ils appliquent à des choses tout autres, à tel point qu’elles-mêmes, / Se voyant revêtues de costumes nouveaux, de couleurs insolites, / Ces choses, admirant ces habits étrangers, se demandent souvent / Quelle est leur provenance, et jouissent gaiement de cet éclat d’emprunt / Et de ce changement d’aspect : leur propre nom n’a plus leur préférence. [...] / Car une même chose nous donne en même temps divers objets à voir : / Ce sont les simulacres des choses qui, nombreuses, nous viennent à l’esprit » (trad. J. Pappe).

58 Sur le rapport entre l’écriture poétique et la nature chez Vida, voir aussi l’introduction de R. Girardi à sa traduction du De arte poetica, Bari, 1982, ainsi que l’article d’A. Moss, Theories of poetry : Latin Writers, dans The Cambridge History of Literary Criticism, vol. III, éd. citée.

59 MUZIO, Dell’arte poetica, III, 1394-1396, éd. citée, p. 204 : « Tu dois le choisir tel qu’il [le comparant] éclaire le concept, et non pas tel qu’il entoure l’esprit des lecteurs d’une aveugle nuit ».

60 MUZIO, III, 1075-1081 et 1089-1102. Les rimes trop riches conduisent à l’impropriété, à l’inverse des vers non rimés (rime senza rime), « chiare, pure e alte ».

61 MUZIO, III, 1225-1228, p. 199 : « [Cette variété] se réalisera si le poète use avec discerne­ment tantôt de mots propres, tantôt de mots figurés, tantôt de mots nouveaux et tantôt de mots anciens, et s’il fait en sorte que parfois le propre cède à l’impropre ».

62 Muzio, II, 817, p. 188 : « semblables au vrai ». Ce vers et les suivants paraphrasent la Poétique d’Aristote, 1451 b.

63 MUZIO, Dell’arte poetica, III, 1462, p. 206 (expression citée supra).

64 Voir par exemple I, vv. 43-46 (p. 166) ; II, vv. 706-708 et vv. 729-39 (p. 185) ; II, vv. 913-17 (p. 190) ; III, vv. 1479-83 (pp. 206-207).

65 Sur la notion de « clarté » chez Peletier, nous renvoyons à l’article de K.M. Hall, What did Peletier du Mans mean by clarity, cité supra ; plus particulièrement, sur le rapport entre la clarté et l’hypotypose telle que la définit Peletier, voir l’article de J.-C. Monferran, Declique un li clictis, cité supra. Les remarques qui suivent reprennent en partie ces deux études.

66 PELETIER, Art poétique, I, 6, p. 243 (sur les traductions).

67 PELETIER, Art poétique, I, 8, p. 248.

68 PELETIER, Art poétique, I, 10 p. 260 et I, 9 p. 252.

69 PELETIER, Art poétique, respectivement II, 8, p. 289, et I, 9 p. 255.

70 PELETIER, Art poétique, II, 1, p. 265 ; voir aussi DU BELLAY, Deffence, II, 7 et MUZIO, supra, n59.

71 Sur ce point, voir M. Di Cesare, Vida’s Christiad and Vergilian Epic, Columbia University Press, New York-London, 1964.

72 PELETIER, Art poétique, I, 3 p. 233.

73 Voir sur cette question l’article de Françoise Charpentier, Le désir d’épopée, dans Revue de Littérature comparée, 1996/4, pp. 417-26.

74 VIDA, De arte poetica, I, vv. 41-42 : « L’objet premier de mon enseignement, c’est de chanter les dieux/ Ainsi que les héros de naissance divine, de dire leurs hauts faits » (trad. J. Pappe).

75 VIDA, De arte poetica, I, v. 167 : « semblable aux dieux par sa voix et par son esprit ».

76 Voir VIDA, De arte poetica, I, vv. 172-73.

77 VIDA, De arte poetica, II, v. 378 ; cité supra. Plusieurs scènes reprises de l’Enéide (la tempête, le combat de Darus et Entelle, la colère de Didon) constituent aussi des modèles de vive représentation chez Muzio et chez Peletier.

78 Sur le rapport entre enargeia et admiration chez Vida, voir les pages consacrées au De arte poetica dans le livre de V. Denizot, Le Jeune Ronsard. Une poétique de la merveille, Genève, Droz, 2003, pp. 65-72

79 Pour une analyse plus précise du style descriptif de Vida (particulièrement pour l’harmonie imitative) et de son rapport au modèle virgilien, voir le commentaire de R. G. Williams au De arte poetica, éd. citée, pp. 189-93.

80 MUZIO, Dell’arte poetica, I, 359-63, p. 175 : « Et personne encore n’a porté à sa bouche la trompette de Mars, avec assez d’inspiration ; ceux des nôtres qui au son des armes ont consacré leur esprit, me semblent n’avoir recherché que le plaisir des femmes et celui de la plèbe ».

81 PELETIER, Art poétique, I, 3, p. 233.

82 MUZIO, Dell’arte poetica, I, 245-47, p. 172.

83 MUZIO, III, 1470-1478, p. 206 : « Mais veux-tu voir, lecteur, un nouveau portrait ? Une nouvelle figure, nouvelle, vive et vraie ? Va, vois Didon, effarée et cruelle, les yeux sanglants et les joues tremblantes, le visage pâle et maculé de taches, entraînée par sa fureur jusqu’en haut du bûcher, vois-la serrer sur son sein la chère épée, et, à la vue des vêtements troyens, sa douleur retenue empêcher le trajet des douloureuses humeurs ».

84 MUZIO, II, 727-730, p. 185.

85 MUZIO, III, 1484-1486, p. 207 : « Mais que celui qui veut peindre le portrait des vives passions ne s’avise pas d’y mettre la main, si les cieux ne lui ont pas octroyé leurs vertus d’une main généreuse ».

86 PELETIER, Art poétique, II, 8, p. 280. Sur le statut de « l’œuvre héroïque » chez Peletier, voir l’article de J.-C. Monferran et O. Rosenthal, Le poème héroïque dans les arts poétiques français de la Renaissance : genre à part entière ou manière d’illustrer la langue ?, dans R.H.L.F., 2000, n° 2, pp. 201-17.

87 Au point que l’Art poétique peut être lu comme une « glose de l’Enéide » ; sur ce point, voir J.-C. Monferran et O. Rosenthal, Le poème héroïque dans les arts poétiques français, article cité, p. 207 sq.

88 PELETIER, Art poétique, II, 8, p. 287.

89 PELETIER, Art poétique, II, 8, p. 280. L’art poétique de Muzio définissait également le « souverain poème » comme une « peinture de l’univers », mais sans désigner explicitement la poésie héroïque : voir MUZIO, II, 706-10, p. 185.

90 PELETIER, Art poétique, I, 1, p. 225. Voir supra.

91 PELETIER, Art poétique, II, 8, p. 283.

92 « Les rr, vraies Lettres Héroïques, font une grande batterie et sonnerie aux vers » (RONSARD, préface de 1587 de la Franciade) ; cité par F. Goyet dans son édition de l’Art poétique, et par J-C Monferran, Declique un li clictis, article cité, pp. 41-42.

93 PELETIER, Art poétique, I, 9, p. 257.

94 PELETIER, Art poétique, I, 5, p. 238.

95 L’expression est de D. Bjaï, La Franciade sur le métier. Ronsard et la pratique du poème héroïque, Genève, Droz, 2001, p. 66.

96 RONSARD, « Préface de la Franciade, touchant le poëme Heroïque » (1587), Œuvres complè­tes, éd. Laumonier, Paris, S.T.F.M., vol . XVI, p. 245.