Revue Italique

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Les Exempla dans les Triumphi et la culture oratoire de Pétrarque

Volker Kapp

Les Triumphi sont moins appréciés par la plupart des critiques que le Canzoniere de Pétrarque. Le poète n’a pu les achever, d’où le statut différent des nombreuses variantes par rapport à celles non moins nombreuses du Canzoniere1et les disputes infinies des éru­dits sur leur évaluation. On constate quelques répétitions comme par exemple la double évocation de Didon dans le Triumphus Pudicitie2ou les deux formules quasi identiques de la disparition du temps dans le Triumphus Eternitatis (v. 32et vv. 67-68). Plus ardues encore sont les hésitations sur la collocation du Triumphus Cupidinis II ou l’interprétation des deux fragments Ia et IIa du Triumphus Fame dont on ne peut décider avec certitude s’il s’agit de deux variantes contemporaines dues à des principes différents de composition ou bien de deux versions reflétant un procès de maturation.3Au moment de corriger le Triumphus Fame le 19janvier 1364, le poète souligne par ailleurs l’ambiguïté de son esprit.4Rien d’étonnant dès lors que les spécialistes n’adoptent des attitudes opposées vis-à-vis de cette problématique : Carl Appel, qui a fourni en 1901 la seule édition critique des Triumphi, toujours valable quoique aujourd’hui en partie dépassée d’un point de vue philologique à la suite de la découverte de nouveaux manuscrits, insiste sur le manque d’un travail de lime. Bien différente est l’opinion de Guglielmo Gorni qui s’accorde mieux avec les données historiques mises en évidence par les spécialistes de Pétrarque. En étudiant la versification, il souligne la conscience des valeurs stylistiques culminant dans le paradoxe que les corrections du Triumphus Eternitatis négligent la métrique, qui perd son importance face au thème de l’éternité.5Emilio Pasquini, qui prépare une nouvelle édition critique, affirme que la structure du texte n’y changera pas véritablement mais que cette édition, toujours non parue bien que promise pour 2004, contiendra une partie importante illustrant le processus d’élaboration des ces poésies. 6Selon ce connaisseur des manuscrits, on ne pourra pas trancher le nœud gordien. Contentons-nous donc d’éclairer simplement quelques détails de la facture de cette œuvre.

Le travail du style est une des multiples similitudes rapprochant les Trium­phi des Rerum vulgarium fragmenta. C’est pourquoi on aime comparer ces deux ouvrages, mais rares sont ceux qui partagent la conviction de Marco Ariani selon lequel « i Triumphi appaiono anche piú arditi del libro­canzoniere ». 7Ces hardiesses, s’il y en a vraiment, résultent aux yeux d’un grand nombre de spécialistes tout au plus d’une comparaison avec la Divina Commedia, dont le cadre théologique est marginalisé selon les uns, et même définitivement écarté selon les autres ; on reconnaît par conséquent aux Triumphi une plus grande modernité, due à la substitution du christianisme par le paganisme. Ce mérite est évidemment bien ambigu. Il relève d’une perspective humaniste. Les jugements de valeur révèlent une partialité qui incite à réfléchir sur les présupposées des différentes prises de position des interprètes.
Les réserves des lecteurs du XXIe siècle contrastent avec le succès fulminant des Triumphi au Quattrocento dans les domaines littéraire et artistique. Le nombre élevé de manuscrits, les contenant seuls ou associés au Canzoniere, confirme la haute estime dont ils jouirent pendant la Renaissance. Les enlu­minures précieuses de quelques manuscrits illustrent cette vénération, pour ne pas parler des tableaux consacrés au thème du triomphe et influencés, plus ou moins, par Pétrarque. Pour expliquer ce changement surprenant des paramè­tres de la réception, on peut invoquer les divergences qui nous séparent de la civilisation humaniste. L’actuelle préférence du Canzoniere est cependant loin de se réduire à un épiphénomène de la désaffection par rapport aux œuvres latines pétrarquiennes, très en vogues aussi longtemps qu’on composa des poésies néo-latines, mais éclipsées maintenant par l’œuvre poétique en langue vernaculaire. Et n’est-il pas légitime de renvoyer à la rhétorique qui caractérise l’humanisme européen précisément depuis Pétrarque dont on connaît l’ambition de se détacher par-là de la littérature et de la philosophie médiévales ? Cette culture oratoire n’est évidemment pas ignorée des spécialistes du poète qui l’évoquent toutefois dans des contextes dont il faudra évaluer la pertinence.

Nous proposons d’analyser cette problématique en insistant sur la figure rhétorique de l’exemplum. Afin de saisir l’impact de ce procédé à l’intérieur de la culture oratoire de Pétrarque, il faudra identifier quelques figures dans cette poésie, situer celle-ci parmi les formes du discours et évaluer ce qu’on a qualifié de « passion archéologique » de notre auteur, passion, dont relèvent les exempla tant dans son œuvre historique que dans les Triumphi.Cepro-gramme, qui risque de dépasser les limites d’une conférence, ne permettra pas de présenter une lecture des Triumphi dans l’optique de ses nombreux exem­pla. Je m’en excuse mais je m’efforcerai du moins de dissiper quelques malen­tendus à leur propos et de montrer que les exempla servent à mettre en scène le théâtre de la mémoire dans lequel le je lyrique explore les présupposées et les enjeux de son éloge lyrique de Laure.

Toute réflexion sur la rhétorique de Pétrarque doit partir de l’affinité entre l’art oratoire et la philosophie morale qu’il ne cesse de postuler. Cette convic­tion qu’il tire de Cicéron8marque le dialogue intitulé De eloquentia du De remediis utriusque fortune. La personnification de la Joie y vante son éloquence tandis que la personnification de la Raison nuance ces propos trop affirmatifs. Toute sceptique qu’elle soit en ce qui concerne l’art oratoire, la Raison insiste sur ce lien entre éloquence et sagesse.9Pétrarque aurait pu renvoyer à saint Augustin10mais il préfère alléguer la fameuse formule de Quintilien qualifiant l’orateur de « vir bonus dicendi peritus »11et de la compléter par l’adage cicéronien « nichil est [...] aliud eloquentia nisi copiose loquens sapientia ».12Il conclut ce développement en invitant à s’attacher à la vertu et à la sagesse pour acquérir la vraie gloire de l’éloquence.13Des bonnes intentions ne suffisent toutefois pas pour parvenir à l’éloquence. C’est pourquoi la Raison avertit que la sagesse doit être complétée par la « peritia », terme que Christophe Carraud traduit par « technique éprouvée »14mais qui rappelle également la notion d’« expérience », primor­diale dans le concept pétrarquien de l’exemplum auquel nous reviendrons. Le poète a conscience, et il suffit pour l’instant d’insister sur le fait, que la sagesse de l’éloquence se base sur une technique nécessaire pour la faire valoir. Grâce à la « peritia », la sagesse recourt avec préméditation aux procédés oratoires tant dans la prose que dans la poésie. Cherchons à cerner quelques résultats de cette « peritia ». Carlo Ossola s’est penché sur cette problématique en rapprochant une médi­tation biblique sur le Psaume 137 « Super flumina Babylonis » dans De otio religioso du sonnet 148 du Canzoniere. Il souligne qu’il « faut lire en parallèle les traités latins et le Canzoniere, non seulement pour retrouver la continuité d’un univers, dont les hiérarchies [...] sont si bien dépeintes dans les Triumphi, mais aussi pour mieux comprendre les contrastes, les ruptures, les tensions ».15La première strophe de ce sonnet recourt à la figure oratoire de l’enumeratio. Le je lyrique s’y contente de juxtaposer des noms de fleuves :

Non Tesin, Po, Varo, Arno, Adige e Tebro,
Eufrate, Tigre, Nilo, Hermo, Indo e Gange,
Tana, Istro, Alpheo, Garonna, e ’l mar che frange,
Rodano, Hibero, Ren, Sena, Albia, Era, Hebro ;16

Le mouvement va du plus proche au plus lointain et il se conforme aux principes d’euphonie. Cette énumération sert à « enraciner de haute pensées [...] dans les ondes d’un temps qui tout emporte »17et à rendre sensible par l’abondance des noms l’ampleur du phénomène. Le premier vers de la strophe suivante varie ce principe par l’énumération de noms d’arbres. La figure oratoire de l’enumeratio est bien plus présente dans les Triumphi que dans le Canzoniere, sans changer de structure. Elle se révèle très pertinente puisqu’elle suit un ordre clair. 18Pourquoi lui reproche-t-on de nos jours de manquer de qualité poétique ? Marco Ariani qui semble la viser en parlant de « modulo elencativo »,19ne thématise pas son impact sur la poétique du poète ; il aurait dû noter autrement que ce procédé s’accorde bien avec l’éloge poétique dont relèvent les Triumphi. L’enkômium préexiste dans la poésie avant de passer à la prose. Les traités de rhétorique et de poétique connaissent divers types de cet éloge qui entrent tous dans le genre du discours démonstratif. La poétique des Triumphi « mi-lyriques (au sens du lyrisme amoureux et courtois du Canzoniere) mi-hymniques »20consacrés successivement à l’Amour, à la Chasteté, à la Mort, à la Renommée, au Temps et à l’Éternité, justifie largement l’application des figures oratoires de l’enumeratio ainsi que de l’exemplum dont la fonction ornementale est soulignée par la Rhetorica ad Herennium.21La grande autorité de ce traité, attribué à l’époque à Cicé­ron, est connue, et sa diffusion au Moyen Age risque tout au plus de faire tort à la prétention de Pétrarque d’innover par rapport à la rhétorique médiévale. L’identification d’un procédé rhétorique ne garantit pas forcement la qualité des vers, il faudrait toutefois en tenir compte avant de formuler un jugement de valeur. Cela vaut également la peine de confronter l’art oratoire pétrarquien avec l’érudition impressionnante de ses commentateurs. Aussi méritoires et utiles que soient les matériaux réunis par eux à la compréhension des Triumphi,22ils ne dispensent pas de réfléchir sur les principes d’écriture dans lesquels ces relevés s’inscrivent. Prenons un exemple marginal à première vue : la présence de Prudence dans ces capitoli. Enrico Proto a qualifiéen 1903 la Psychomachia de ce poète de l’Antiquité chrétienne de modèle de la bataille entre la Chasteté et la Concupiscence, 23en suggérant par un certain nombre de parallèles avec les Triumphi que toute la genèse de cette bataille chez Pétrarque est liée à Prudence.24Depuis cette époque, les commentaires du Triumphus Pudicitie renvoient à l’étude de Proto, basée sur la méthode positiviste. Cette longévité de mémoire, par ailleurs admirable et typique des commentateurs du poète, devrait être complétée par une réflexion sur la nature et la postérité du projet littéraire réalisé par la Psychomachia. Cette pro­blématique est complètement ignorée, si je ne me trompe, des spécialistes bien que le procédé littéraire de la psychomachie se retrouve aussi dans les Confes­siones de saint Augustin25dont on connaît l’importance primordiale pour Pétrarque. Bernhard Teuber situe la forme de la psychomachie en tant que conversation à l’intérieur de l’âme, entre les formes plus diffusées du monologue et du dialogue.26 Dès qu’on tient compte de la contiguïté de la psychomachie et du dialogue dans l’économie de la communication spirituelle, il n’apparaît plus surprenant du point de vue de la forme d’énonciation, que le poète fasse dialoguer dans le Triumphus Mortis II le je lyrique avec Laure, sa bien-aimée morte. Il est même hors de doute qu’il s’y réfère également au Som­nium Scipionis de Cicéron, mais il combine les deux prétextes pour créer la forme d’énonciation appropriée à son projet poétique. Nous ne pourrons approfondir cet aspect sans déborder les limites de cette conférence mais nous ne renoncerons pas à signaler encore un autre élément qui dérive de la situation communicative mise en évidence par Teuber.

Marco Ariani qualifie à juste titre de « psychomachie »la chaîne des victoires et des défaites dans les Triumphi.27Ces épisodes s’inscrivent dans un cadre de communication spirituelle évoquée au début du Triumphus Cupidinis I où le je lyrique situe toute l’action à l’intérieur du sommeil : « vinto dal sonno, vidi una gran luce » (v. 11). Le songe et la vision, distingués nettement par Pétrar­que, 28déterminent tous les Triumphi. Quoique le Triumphus Mortis II parle de « sogni confusi » (v. 6), il faut situer le concept du songe chez Pétrarque à l’intérieur des fantasmes, par lesquels la parole littéraire devient un témoi­gnage, une tension vers la vérité. Ce monde onirique, dont l’importance dans les Triumphi n’est bien sûr pas ignorée par les spécialistes, rapproche évidem­ment la Psychomachia de Prudence du Somnium Scipionis de Cicéron, dont le commentaire par Macrobe nourrit la réflexion du poète.29On retrouve la problématique des exempla dès qu’on tient compte du fait que la psycho­machie et le songe relèvent du monde onirique et déterminent par conséquent « la passion archéologique »30de l’auteur explorant sa mémoire nourrie de lectures. Cet aspect, pourtant primordial, est rarement évoqué pour juger l’univers livresque qui fascine Pétrarque en tant que collectionneur infatigable de manuscrits et des literae antiques aussi bien qu’en lecteur cherchant à saisir le plus précisément possible les vestiges d’un passé glorieux et ses réper­cussions dans les œuvres des poètes. La « passion archéologique » détermine les exempla qui ne sont que leur autre volet. Précisons cette facette de sa rhétorique. Un des centres du monde onirique est identifié dans le Triumphus Pudicitie à « la città sovrana » (v. 178), Rome, capitale de l’Empire romain et de l’Église où le Pape Benoît XII est invité dans deux épîtres latines pétrarquiennes en vers à revenir de l’exil d’Avignon.31Dans l’épopée Africa, le personnage d’Hasdrubal entonne un panégyrique de l’Urbs. 32Cette glorification de Rome perce dans la description du séjour à Vaucluse où Pétrarque avoue à Zanobi da Strada qu’ilya« fait sa Rome, son Athènes et sa patrie » puisque des hommes qui ne lui sont connus que par les livres se réunissent autour de lui dans la vallée.33Il faut souligner la formulation « mente constituo » puisqu’elle caractérise également le monde onirique des Triumphi que le poète fabrique en faisant remonter de sa mémoire les fruits de ses lectures transfor­mées en situations ou en personnages caractérisant et illustrant ses énoncés. La projection d’un paysage et de ses habitants dans le monde gréco-romain focalise l’attention sur la dimension imaginaire présente dans l’esprit de l’épistolier et du poète. Une lettre à son frère Gherardo transforme par contre cette vallée en théâtre bucolique pour justifier l’artifice oratoire de la poésie profane par une évocation de la rhétorique divine des livres bibliques. 34Suivant cette lettre, le poète fabrique des formes exquises grâce auxquelles la Création divine renaît dans l’univers langagier. On pourrait multiplier les témoignages afin de carac­tériser cette mentalité archéologique qui interprète la réalité concrète à travers une clé d’interprétation fournie par l’étude historique. Pétrarque perçoit par ce biais la profondeur symbolique d’un épisode ou d’un lieu et il dépasse ainsi la surface éphémère pour arriver à une dimension de la réalité enrichie des vestiges d’un passé prestigieux cristallisé dans une multi­tude d’échos littéraires. Il prend tellement l’habitude de voir, de penser et de s’exprimer suivant ces principes que ce patrimoine symbolique l’accompagne pendant ses voyages et orne les lieux insignifiants de son séjour d’un surplus de significations. C’est ainsi qu’une lettre au cardinal Giovanni Colonna carac­térise Capranica par l’évocation du séjour que le pape Silvestre Ier y a fait, à en croire une légende, et par des réminiscences tirées des poésies d’Horace et de Virgile.35L’épistolier fait semblant d’accéder quasi spontanément à cette dimension symbolique dont la découverte résulte toutefois d’une érudition que les éditeurs sont obligés de rendre accessibles par des notes sans lesquelles les lecteurs d’aujourd’hui ne comprendraient pas les développements de l’auteur. Cette érudition n’est pas une fin en soi mais un moyen d’accéder à l’énoncé juste. La recherche érudite a son corollaire dans l’expression élégante de la poésie. Pétrarque évoque dans l’Africa le vieil adage selon lequel les grands hommes doivent bénéficier d’un poète qui illustre la beauté de leur vertu.36C’est ainsi que la poésie et l’histoire s’enrichissent mutuellement. Ce programme est appliqué à Laure et à ses suivantes dans le Triumphus Mortis I :

Poche eran, perché rara è vera gloria, ma ciascuna per sé parea ben degna di poema chiarissimo e d’istoria.
(Triumphus Mortis I, 16-18)

Ces vers confirment les liens déjà évoqués entre la rhétorique et la sagesse. L’accent est mis ici, dans l’optique de la philosophie morale, sur la valeur authentique de ceux qui méritent une renommée digne d’être soustraite à l’oubli grâce à l’effort réussi d’un poète ou d’un historien. Le Triumphus Pudicitie varie cet énoncé en évoquant « Calliope e Clio » (v. 129) pour passer immédiatement aux femmes pudiques dont Lucrezia inaugure la suite des Romaines illustres (que tout visiteur à partir de la Renaissance retrouve dans les grandes collections de tableaux). La poésie onirique des Triumphi nous conduit donc, selon le niveau d’information très élevé et la vision du monde propre à Pétrarque, à travers la galerie de la mémoire culturelle de la civili­sation renaissante. Une des idées directrices de ces capitoli est en fait le désir d’accéder à la sphère de la gloire, administrée et distribuée par l’histoire et la poésie. La gloire range parmi les valeurs inaltérables qui permettent de surmonter la mêlée des forces antagonistes et d’accéder à la quiétude bienheureuse, but envisagé par toute la suite des Triumphi et exalté dans la glorification de la poésie du Triumphus Eternitatis. Un prélude à cette apothéose se manifeste quand le je lyrique voit dans le Triumphus Temporis des gens dont la tranquillité présuppose l’intervention des deux Muses de l’histoire et de la poésie :

vidi una gente andarsen queta queta,
senza temer di Tempo o di sua rabbia,
ché gli avea in guardia historico o poeta.
(Triumphus Temporis, 88-90)

Ceux dont s’occupent les historiens ou les poètes peuvent se rassurer : leur renommée sera soustraite aux ravages du temps et de la mort. Poème et histoire s’assemblent au service de la vraie gloire, programme que Pétrarque situe parmi les principes essentiels de la poésie, thématisés dans son discours sur le Capitole lors de son couronnement comme poète.37Le Privilegium laureationis le qualifiede« poeta et historicus » (3, 1),38après avoir souligné le mérite des poètes et des historiens ainsi que leurs bienfaits dans l’ancienne Rome républicaine.39Ses études historiques qui sont nourries de ce rêve humaniste marquent profondément les Triumphi grâce à sa culture oratoire qui jette un pont entre son érudition et sa poésie. Tant la Collatio que le Privilegium laureationis alignent l’univers mental du poète sur la « Ville souveraine »,40centre symbolique où aboutit le cortège triomphal de celle qui a subjugué la puissance d’Amour dans le Triumphus Pudicitie et qui va bientôt être vaincue par la Mort pour rentrer dans son rang primordial par le mérite de l’éloge poétique de son ami fidèle qui lui donne accès au domaine de l’Éternité en la glorifiant. Réalité historique et vision globalisante qui s’imbriquent inextricablement, nécessitent le recours aux exempla, qui témoignent de l’enracinement du discours dans la réalité. Cette vision du monde présuppose une conscience historique qui nous fait défaut et qui semble entraver de nos jours la réception des Triumphi. Recon­naissons franchement que l’Antiquité nous est nettement moins familière qu’aux lecteurs du Quattrocento qui reconnaissaient plus facilement que nous les personnages et les épisodes évoqués dans la narration de ces capitoli réduits en bien des parties à un assemblage incompréhensible de noms dès que les exempla perdent leur signification. La poésie amoureuse pétrarquienne peut se passer des données d’un savoir livresque dans la mesure où elle se base sur les qualités émotives du je lyrique. Celles-ci sont plus accessibles bien qu’elles présupposent le même arrière-fond érudit et les mêmes habitudes culturelles que les Triumphi. Soulignons avec Carlo Ossola que le titre Rerum vulgarium fragmenta, « loin d’évoquer simplement la condition d’‘inachevé’ d’un projet [...] nous montre dans sa structure profonde le discidium d’un homme [...]. Cette bataille n’a pour théâtre que l’âme, la mémoire, la volonté de l’homme ; combat de désirs, de passions, qui se resserre et se replie sur lui-même ».41Quoique l’évocation des situations d’un drame amoureux et l’exploration systématique de ses présupposés ou ses implications se nourrissent d’expériences provenant d’ouvrages poétiques précédents, le Canzoniere est regardé comme supérieur dans la mesure où il n’a pas besoin des personnages et des épisodes historiques qui servent à articuler ou à illustrer le drame décrit dans les Triumphi. C’est donc par la cristallisation de la narration dans les exempla que les deux ouvrages se distinguent. Aussi l’utilisation des exempla dans les Triumphi nourrit-elle les soupçons d’un manque de poéticité. A ce point de notre réflexion, il faut insérer une remarque sur notre termino­logie. J’utilise la notion d’exemplum au lieu du mot français exemple pour me conformer, d’une part, à la terminologie du poète qui dérive de la rhétorique latine et d’autre part pour pouvoir profiter des travaux récents dont l’intérêt pour l’exemplum en tant qu’élément de la prédication et de la narration médiévales semble avoir provoqué des malentendus sur la signification des exempla dans la poésie de Pétrarque. Je peux me contenter de constater avec Jean-Yves Tilliette qu’il « paraît abusif d’opposer un exemplum rhétorique qui reproduirait de façon non critique les modèles fossilisés de l’Antiquité, et un exemplum homilétique, créateur de nouvelles formes ».42Il faudra tou­tefois réserver la formulation « reproduire de façon non critique les modèles fossilisés de l’Antiquité » à l’exemplum médiéval puisque Pétrarque cherche à éviter toute reproduction non critique des modèles antiques qu’il soumet à un examen historique. Cette ambition d’historien constitue un des points cru­ciaux de la culture oratoire pétrarquienne. Les exempla ont évidemment perdu leur prestige dans notre civilisation, et le fameux complexe d’Œdipe qui fait exception à cette règle confirme la problé­matique envisagée. Personne n’ose protester contre le renvoi inflationniste et souvent banal à ce complexe, dans la mesure où il a été mis à la mode par la psychanalyse, science nettement préférée aux lettres humanistes. Le recours aux exempla pour renforcer l’argumentation risque de nos jours d’occulter le sens d’un texte, particulièrement dans le domaine de la poésie, où le jeu avec les différents registres de l’intertextualité vise le vaste champ littéraire mais exclut par-là même la référence à l’histoire dont le monde onirique des Triumphi déduit sa signification primordiale. Dans notre civilisation pourtant inondée d’images exigeant en permanence leur décodage, leur juxtaposition rebute. Ces séries d’images remplacent toute référence à un savoir livresque par l’appel aux idées courantes du moment. La difficulté de la lecture des Triumphi vient de la nécessité de confronter la conscience contemporaine à des données historiques qui en diffèrent.

Un seul exemple suffira pour illustrer ce constat. Si la présentation de César tombé amoureux de Cléopâtre rend douteux le rang poétique du Triumphus Cupidinis I, c’est parce qu’elle est suivie de celle d’Auguste enlevant Livia Drusilla à son premier mari (vv. 88-96). L’épisode d’Auguste et de Livia Drusilla pourrait sembler trivial à une époque où le divorce est courant et se passe de toute évocation des précédents historiques, peu familiers à la plupart des lecteurs. Gardons-nous cependant d’accuser le manque de culture générale de la désaffection vis-à-vis des exempla puisque leur condamnation est pro­noncée par des critiques littéraires qui se sentent amenés à polémiquer contre leur utilisation dans les Triumphi précisément grâce au haut niveau de leurs connaissances. Marco Ariani, dont nous avons signalé tout à l’heure la prédilection pour les Triumphi, associe les exempla aux éléments allégoriques vision­naires, qu’il condamne parce qu’ils lui rappellent ce qu’il qualifie de côté rétrograde de Dante. Il dénonce la dimension visionnaire de ces poésies en se révoltant contre la répétition du verbe « voir » et les énumérations, à son avis, interminables d’exempla. À ses yeux, ces éléments sont objectivement en retard par rapport aux innovations structurales du Canzoniere. 43Aussi qualifie-t-il le Triumphus Fame I de poésie philologique nour­rie des trouvailles d’une mémoire historique produisant des phantasmes de gloire :

Ars suasoria, dunque, come poesia filologica, antiquaria, come irreprimibile mozione degli affetti, quando si siano introiettati cosí radicalmente nell’ingens aula della memoria storica, personalmente assorbita e trasformata in imaginatio pro­duttrice di phantasmata di gloria.44

Le même reproche est articulé d’une manière encore plus provocatrice par Karlheinz Stierle, qui prend vivement à partie la « prétention encyclopédi­que »45des Triumphi. Elle nuirait, selon lui, au plaisir de la lecture puisque les exempla se réduisent simplement à des « noms » évoquant un savoir abstrait au lieu d’élargir la conscience.46Ces attaques méconnaissent la signi­fication structurale et l’intérêt esthétique de ce procédé rhétorique dans ces capitoli. La « prétention encyclopédique » qui caractérise les Triumphi, révèle l’impact des données historiques sur ces poésies. Tout lecteur des œuvres historiques connaît l’importance attribuée par Pétrar­que aux exempla. Pour évaluer sa manière de penser à travers les exempla on trouve un indice dans la préface de la seconde version, plus abondante et plus tardive, 47du recueil De viris illustribus où l’auteur explique le fruit qu’on peut tirer du travail de l’historien : il faut exposer au lecteur grâce à une abondance d’exempla célèbres ce qu’il doit suivre ou fuir. 48L’histoire ren­ferme des leçons, thèse que les critiques aiment rapporter à la célèbre formule cicéronienne « historia magistra vitae »49sans réfléchir sur le sens que Pétrarque lui attribue. Stierle a évoqué ce théorème cicéronien dans un article intitulé en traduction française L’Histoire comme Exemple, l’Exemple comme Histoire50et le confronte, en s’appuyant sur Reinhard Koselleck,51au concept du progrès, cher aux Lumières. Selon lui, le changement du paradigme de l’histoire entraîne le déclin de l’exemplum qui a perdu sa pertinence pour l’historiographie et pour la fiction littéraire. Cette conclusion s’appuie sur une certaine lecture du Decameron de Boccace et des Essais de Montaigne. L’article de Stierle n’est pas passé inaperçu parmi les spécialistes qui travaillent sur l’exemplum dans la littérature médiévale.52Carlo Delcorno y renvoie dans son étude sur la prédication et la prose narrative italiennes où il étudie Pétrarque parmi les trois couronnes florentines53en analysant sa prose aux dépens de sa poésie. Cette focalisation semble tout à fait légitime, mais faut-il aller jusqu’à exclure Pétrarque d’une communication sur les exempla médié­vaux, intitulée Pour une histoire de l’exemplum en Italie ?54On pour­rait réduire cette délimitation à un simple détail de terminologie en distinguant l’exemple rhétorique de l’exemplum de la littérature médiévale, si les œuvres latines de Pétrarque et les interprètes de ses poésies n’utilisaient précisément cette dernière notion, essentielle pour ses Triumphi qui sont mal compris dès qu’on les subsume sous les règles déterminant la prose des exempla médié­vaux. La haute qualité des travaux des médiévistes sur cet argument et les difficultés signalées par Jean-Yves Tilliette à délimiter nettement les exempla des sermonnaires et de la prose narrative du Moyen Age des exempla rhétoriques55risquent dorénavant de faire tort à Pétrarque et de rendre incompréhensible leur fonction dans sa poésie, particulièrement dans ses Triumphi. À en lire l’avalanche d’études sur l’exemplum, thème préféré des médiévistes depuis quelques décennies, on constate avec surprise que Pétrarque est rare­ment mentionné. Il est donc méritoire que Karlheinz Stierle consacre de longs développements à cet argument dans sa monographie où il insiste sur la ‘modernité’ du concept de l’exemplum chez Pétrarque tout en regrettant son insuffisance poétique dans les Triumphi. Comme dans l’article déjà men­tionné, il focalise l’attention sur Montaigne en établissant un parallèle entre l’exploration de l’esprit chez l’auteur des Essais et la méditation poétique dans le sillon de saint Augustin sur les états de la conscience. Montaigne cite au début de l’essai De l’expérience l’adage tiré de Juste Lipse : « Per uarios usus artem experientia fecit : Exemplo monstrante uiam ».56Pétrarque se défend dans une lettre adressée à Giovanni Colonna contre le reproche de trop recourir aux exempla. Il y repousse cette accusation en rappelant ce qu’il doit lui-même à la connaissance des hommes illustres. 57Selon notre épistolier, rien ne suscitera tant l’émulation de ses lecteurs que le plaisir de les découvrir et de suivre leur exemple. Stierle a raison de déduire de ce propos que l’analyse du particulier est au premier plan chez Pétrarque comme elle le sera plus tard chez Montaigne. Selon lui, cette focalisation de l’attention sur le particulier entraîne chez les deux auteurs une crise de la pensée par exempla parce qu’elle rend impossible de remonter au général grâce à l’exemplarité d’un individu.58Cette doctrine se détache des exempla médiévaux, progrès qui se manifeste à travers la variation de la formule cicéronienne historia magistra vitae en « preter experientiam que certissima magistra rerum est » (Fam. VI, 4, 4). Stierle qualifie ce concept de l’exemplum de prolongation de l’expérience, preuve de la modernité du poète, 59mais il polémique en même temps contre l’idée courante d’un Pétrarque humaniste fasciné par l’Antiquité et contre le recours abondant aux exempla dans les Triumphi, prise de position que nous voudrions contester en cherchant le dénominateur commun entre les deux faces de la pensée pétrarquienne. Stierle commente abondamment la lettre écrite à Venise le 9avril 1363à Francesco Bruni, dont l’éloge de l’éloquence60l’intéresse moins que la critique de l’imitation servile des Anciens. En effet, Pétrarque y avertit son ami contre la pusillanimité de ceux que l’autorité des Anciens paralyse.61Il relègue l’idée du progrès au seul domaine où il lui semble souhaitable et incontestable, celui des sciences et particulièrement de la technique de la navigation62en citant la sentence d’Aristote « experientia [...] artem fecit » (Sen. II, 3, 17)63 qui permet à Stierle d’évoquer la Querelle des Anciens et des Modernes. 64 Cette interprétation peut être mise en doute.

Pétrarque répète dans la suite de sa lettre l’adage de l’expérience, mère des arts, en l’illustrant par un récit mythologique (fabulam) et par deux vers tirés, à travers Aulu Gelle, du poète Afranius qu’il explique par une citation non identifiée de saint Augustin d’après lequel l’art est la mémoire des choses expérimentées et approuvées. 65Il se garde pourtant de désavouer les Anciens au nom de l’idée du progrès technique puisque son programme s’inscrit dans la logique d’une réflexion sur la prépondérance de l’art oratoire par rapport à la sculpture. Le paragone par lequel commence cette lettre s’accorde mieux avec l’aveu que Pétrarque fait en 1359à Giovanni Boccaccio :

J’ai lu Virgile et Horace, Boèce et Cicéron, non pas une seule fois, mais mille fois ; je ne les ai pas parcourus, mais couvés ; je m’y suis attardé avec tout l’effort de mon esprit. Le matin je mangeais ce que je digérais le soir : comme enfant j’avalais ce que je ruminerais étant plus âgé. Leurs écrits se sont si intimement imprimés en moi, se fixant non seulement dans ma mémoire, mais dans mes moelles [...] à force de les fréquenter si longtemps et de les posséder sans interruption, j’ai l’impression de les avoir écrits moi-même et les prends pour mes propres paroles. 66

Cette appropriation des grands auteurs de l’Antiquité n’a rien de commun avec le culte du progrès mais elle fait preuve, suivant la belle formule de Nicholas Mann, « de sa volonté de faire se conformer son passé avec une idée de lui-même qu’il est en train d’élaborer à l’intention de ses lecteurs présents et futurs ».67La rumination des literae ne s’arrête pas au monde livresque mais elle constitue une manière efficace d’explorer le réel de sorte que l’exemplarité englobe l’expérience et qu’en revanche la prise en considération du particulier éclaire le général. Le concept d’expérience dans la lettre à Bruni mérite d’être confronté avec celui de la lettre déjà citée à Francesco Colonna écrite plus d’une dizaine d’années auparavant. Eckhard Kessler, qui souligne le lien intime entre rhétorique et historiographie, démontre que Pétrarque fait valoir vis-à-vis de Colonna l’expérience quand il transforme l’adage cicéronien historia magistra vitae en experientia magistra rerum, sentence qui remplace encore le terme de vita par celui de res. D’après Kessler, res signifie « réalité ». Par ces deux substitutions, la perspective englobée par l’exemplum s’élargit afin d’embras-ser non seulement le passé mais également le présent, le monde intérieur aussi bien que le monde extérieur, l’action et la pensée.68Les analyses nuancées de Kessler contredisent l’explication de l’exemplum dans l’article supra men­tionné de Stierle et elles corroborent notre effort pour cerner la fonction des exempla dans les Triumphi. La préface à la version plus longue de De viris illustribus souligne l’impor-tance du particulier, en reconnaissant qu’il semble en contradiction avec l’exigence d’exemplarité, puisque la nature ne permet jamais à un beau visage de réunir toute la beauté ou à un esprit excellent d’être sans défaut. Pétrarque préfère le présent au passé puisqu’il met la vie au-dessus de la lecture, 69mais, selon lui, les défauts du monde actuel nécessitent de retrouver les coordonnés de la réalité dans un passé plus glorieux. C’est pourquoi la réalité cristallisée dans les exempla et les bons mots le réjouissent, et il espère divertir ses lecteurs en les insérant dans ses propres ouvrages. 70Les faits et les dits mémorables dont il est question ici rappellent le titre du recueil homonyme de Valère Maxime qui annonce le but de son projet en insistant sur les « facta » et « dicta » dignes d’être conservés par la mémoire.71La compilation de Valère n’importe pas seulement dans notre enquête par sa grande diffusion mais également à cause des différentes possibilités de l’exploiter. Elle est très présente dans l’œuvre de saint Augustin, particulièrement dans De civitate Dei, et dans le Policraticus de Jean de Salisbury, autre­ment dit chez un des maîtres admirés du poète et dans un ouvrage médiéval qui lui est familier. Le Père de l’Église se sert du recueil de Valère selon les principes établis par la rhétorique de l’époque impériale qui insiste sur la fonction ornementale de l’exemplum. En tant qu’ornement les exempla nécessitent l’application du principe de la variation en vue de laquelle Valère avait collectionné ses matériaux. Toutefois la Rhetorica ad Herennium enregistre en plus le poids d’autorité inhérente à l’exemplarité : « Exemplum est alicuius facti aut dicti praeteriti cum certi auctoris nomine propositio » (IV, 49, 62). L’autorité historique des exemples, qui détermina également la vision médiévale des exempla, provoqua la contradiction des apologistes de l’Église ancienne qui critiquaient les présupposés païens par leur érudition historique. Saint Augustin érigea même l’analyse critique des modèles païens en principe d’argumentation du De civitate Dei, en distinguant nettement entre l’exemplum et l’événement historique.72Sa démarche encourage Pétrarque à métamorphoser la structure de l’exemplarité. Sa position, qui se détache autant de l’ancien concept médiéval73que des futurs artes memoriae renais­sants, 74consiste à adopter une perspective où le particulier exemplaire actua­lise d’une manière analogique l’universel grâce à l’histoire qui s’en porte garant.75C’est dans cette optique que ses écrits historiques révèlent l’enjeu de la philosophie morale dans ses Triumphi. La polémique contre leurs exem­pla méconnaît cette fonction poétique. Le poète a lu le recueil de Valère avec assiduité et l’exploite systématiquement dans ses Triumphi. 76Évoquons une des multiples allégations enregistrées par les commentateurs pour illustrer sa manière de s’en servir. Pindare entre dans le Triumphus Cupidinis IV parmi les poètes d’amour77sur la base d’une notice de Valère.78Mais Pétrarque écarte la simple reproduction d’exempla79et substitue Ibico à Pindare dans le Triumphus Fame IIa, en s’appuyant probablement sur Cicéron.80Cette attitude critique le caractérise bien. Une lettre à Giovanni d’Andrea témoigne de ses réserves vis-à-vis du compilateur romain puisqu’il y reproche à Andrea d’accorder à Valère la priorité sur les philosophes, de Platon à Sénèque.81Sans érudition historique, on risque de méconnaître la pertinence de l’exemplarité affichée. Le travail de l’historien consiste précisément à trier l’important pour le mettre en relief. Ce programme est illustré dans la préface mentionnée de De viris illustribus par une anecdote tirée de la biographie d’Auguste par Suétone. Cet empereur se contente de rendre visite au tombeau d’Alexandre à Alexandrie et refuse de faire de même pour le roi d’Égypte en justifiant sa démarche par la sentence qu’il faut voir les rois, non les morts. La première version plus brève de cette préface se contente d’esquisser le travail de l’historien invité à transmettre les res au lieu des verba82et d’appliquer l’art oratoire pour éviter les deux extrêmes d’une abondance bavarde et de la brièveté obscure. L’œuvre historique élabore les paramètres pour la poésie et pour les écrits moraux ou les lettres de Pétrarque. Les Rerum memorandarum libri, structurés par la juxtaposition ou l’opposition d’exempla, se basent d’une part sur les matériaux historiques collectionnés entre autres par Valère Maxime, 83d’autre part sur un programme de philosophie morale dérivée du De inventione de Cicéron.84Leur duplicité structurale se retrouve dans les Triumphi. Le monde historique se cristallise dans les exempla qui consti­tuent pour ainsi dire le côté iconique par lequel la réflexion morale se concrétise en s’incarnant dans des êtres humains et dans leurs actions. L’évocation des lieux de mémoire culturelle et morale passe par ces exempla déduits d’une recherche menée dans les literae en vue de trouver des bases solides et concrètes pour interpréter l’expérience humaine d’où ces capitoli prennent leur point de départ et à laquelle elles veulent aboutir. Ce projet hardi se distingue radica­lement tant de la Divina Commedia que de l’Amorosa Visione de Boccace auxquelles on aime rapprocher les Triumphi. L’idée du triomphe crée une finalité intra-terrestre de l’action qui substitue une perspective historique à l’optique métaphysique du voyage dans les trois parties du monde supraterrestre chez Dante. Pétrarque remplace la visio beatifica qui détermine les derniers chants de la Divina Commedia par l’attente de la résurrection. Selon Maria Cecilia Bertolani, le Triumphus Eternitatis85est marqué par l’espérance de revoir le corps béatifiant de la bien-aimée.86Il glorifie en effet « quelle anime che ’n via / sono o seranno di venire al fine » (vv. 85-86). C’est une insistance sur la corporalité qui met en relief l’historicité de l’être humain et de son univers mental. Pétrarque retrouve cette historicité dans les exempla qui opèrent dans les Triumphi le transfert des idées aux choses, de l’expérience cristallisée dans les literae des poètes et des historiens anciens aux res. L’expérience qu’ils véhiculent jette un pont du monde oniri­que dans la vie du je lyrique et transpose ainsi son histoire personnelle sur un plan universel. Le parcours des Triumphi commence au moment fatal de sa rencontre avec la bien-aimée et aboutit à l’apothéose de son travail de poète du Canzoniere afin de mettre en évidence, en les vantant, les idées directrices de son œuvre poétique. Les exempla en tant que garants historiques de la communauté entre le je lyrique et les hommes illustres, communiquent immédiatement les pulsions dans l’imaginaire du poète sans nécessiter le truchement du peintre que Boccace fait intervenir dans son Amorosa Visione par son invocation de Giotto.87Le procédé oratoire de la description acquiert par-là un statut différent. L’ekphrasis se rapporte chez Pétrarque aux actions des personnages exem­plaires tandis que Boccace évoque le plus souvent des tableaux représentant leurs actions. Un grand nombre d’exempla est sans doute commun aux deux ouvrages, mais leur fonction à l’intérieur de la poésie diffère du fait que les Triumphi en font les acteurs du théâtre de la mémoire qui prolonge les Rerum vulgarium fragmenta en éclaircissant leur enjeu.

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1 Bien avant l’invention de la critique génétique, Gianfranco Contini a noté que « il poeta reagisce contro il proprio linguaggio meccanico », Saggio d’un commento alle correzioni del Petrarca volgare (1943), in Varianti e altra linguistica. Una raccolta di saggi (1938-1968), Torino, Einaudi, 1970, p. 17.

2 FRANCESCO PETRARCA, Trionfi, Rime estravaganti, Codice degli abbozzi a cura di Vinicio Pacca e Laura Paolino. Introduzione di Marco Santagata, Milano, Mondadori, 20002. Je cite d’après cette édition en indiquant le vers, ici Triumphus Pudicitie, 10-12 et 154-59.

3 Francisco Rico, « Fra tutti il primo » (sugli abbozzi del Triumphus Fame), in I Triumphi di Francesco Petrarca, a cura di Claudia Berra, Bologna, Cisalpino, 1999, pp. 107-21, p. 121 : « [...] il nostro sintomatico primo colloca Nel cor pien d’amarissima dolcezza (Ia) e Poi che la bella e glorïosa donna (IIa) in uno stesso stadio nell’elaborazione del Triumphus Fame, uno stadio prelimi­nare e notevolmente diverso dalla incompiuta vulgata del poema ».

4 PETRARCA, Trionfi, p. 350 : « Dum quid sum cogito pudet haec scribere sed dum quid fieri cupio animum subit [...] crevit pudor torporque omnis abscedit, scribo enim non quasi ego sed quasi alius nescio quis unquam pretransformari studeo ».

5 Guglielmo Gorni, Metrica e testo dei Trionfi, in I Triumphi di Francesco Petrarca, cit., pp. 79-103,

p. 105 : « Qui, nel trionfo dell’eterno, non hanno più luogo le consuete convenienze di lingua e di stile [...]. Se il Tempo è morto, morta anche la metrica [...]. Il sommo letterato Francesco Petrarca si è congedato dalle rime cosí, in uno spaccio ideale di regole o conve­nienze retoriche vane ».

6 Emilio Pasquini, Il testo : fra l’autografo e i testimoni di collazione, in I Triumphi di Francesco Petrarca, cit., pp. 11-37, p. 37 : « Nulla di nuovo, forse, dal punto di vista della struttura [...] la prima parte includerà l’intero processo elaborativo ».

7 Marco Ariani, Petrarca, in Storia della letteratura italiana diretta da Enrico Malato, vol. II Il Trecento, Roma, Salerno, 1995, p. 701.

8 CICERO, De inventione I, 1 : « Sapientiam sine eloquentia parum prodesse civitatibus, elo­quentiam vero sine sapientia nimiam obesse plerumque, prodesse numquam ».

9 PÉTRARQUE, Les remèdes aux deux fortunes De remediis utriusque fortune. 1354-1366. Texte et traduction. Texte établi et traduit par Christophe Carraud, Grenoble, Millon, 2002, vol. I p. 48 : « Verus enim orator, hoc est eloquentie magister, nisi vir bonus esse non potest ».

10 Par exemple à De doctrina christiana IV, 5, 7 et 25 que Christophe Carraud mentionne dans son commentaire du dialogue, PÉTRARQUE, Les remèdes aux deux fortunes, cit., vol. II p. 203.

11 PÉTRARQUE, Les remèdes aux deux fortunes, p. 48. Le livre XII, 1 de l’Institutio oratoria de Quintilien d’où Pétrarque tire cette sentence range d’après Maria Accame Lanzilotta parmi ceux le plus commentés par l’auteur, M. Accame Lanzilotta, Le postille del Petrarca a Quinti­liano (Cod. Parigino lat. 7720), « Quaderni Petrarcheschi », V (1988), p. 7.

12 CICERO, Partitiones oratoriae, 79. Voir Alexander Arweiler, Cicero rhetor : die Partitiones oratoriae und das Konzept des gelehrten Politikers, Berlin, de Gruyter, 2003.

13 PÉTRARQUE, Les remèdes aux deux fortunes, cit., p. 48 : « Tu ergo, si oratoris nomen et eloquentie verum laudem queris, virtuti et sapientie primum stude ».

14 PÉTRARQUE, Les remèdes aux deux fortunes, cit., p. 49.

15 Carlo Ossola, Présence de Pétrarque, in Pétrarque et l’Europe. Textes de Yves Bonnefoy, Marc Fumaroli, Michel Zink, Guglielmo Gorni, Michael Edwards, Christophe Carraud, Carlo Ossola. Sous la direction de Carlo Ossola, Grenoble, Millon, 2006, pp. 133-71, p. 149.

16 FRANCESCO PETRARCA, Canzoniere. Testo critico e introduzione di Gianfranco Contini. Annotazioni di Daniele Ponchiroli, Torino, Einaudi, 1964, p. 204.

17 Ossola, Présence de Pétrarque, cit., p. 149.

18 Voir Dennis Dutschke, Le figure bibliche ‘in ordine’, in I Triumphi di Francesco Petrarca, cit., pp. 135-52.

19 FRANCESCO PETRARCA, Triumphi, a cura di Marco Ariani, Milano, Mursia, 1988, p. 279.

20 Olivier Millet, L’éloge lyrique dans les tragédies de Robert Garnier lues à la lumière de la Poétique de Scaliger, in L’éloge lyrique. Sous la direction d’Alain Génetiot, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2008, pp. 107-22, p. 119.

21 Voir Rhetorica ad Herennium IV, 49, 46. Elle utilise même le terme d’exornatio (II, 18, 28).

22 Le commentaire de Bernardo di Pietro Lapini de Montalcino, dit Illicino (Bologna 1469) dépasse déjà par son abondance l’espace réservé aux vers des Triumphi, voir De Dante à Chiabrera. Poètes italiens de la Renaissance dans la Bibliothèque de la Fondation Barbier-Mueller. Catalogue établi par Jean Balsamo avec la collaboration de Franco Tomasi, Genève, Droz, 2007, vol. II pp. 47-51.

23 Enrico Proto, Il Petrarca e Prudenzio, in « Rassegna critica della letteratura italiana », VIII (1903), pp. 206-13, p. 207 : « uno degli originali [...] di cosifatte battaglie ».

24 Proto, Il Petrarca e Prudenzio, cit., p. 213 : « a me sembra che tutta la genesi della battaglia petrarchesca sia appunto in queste due lotte descritte da Prudenzio ».

25 Voir Günter Niggl, Rede und Gespräch in Augustins Confessiones, in Béatrice Jakobs / Volker Kapp (éd.), Seelengespräche, Berlin, Duncker & Humblot, 2008, pp. 41-56.

26 Bernhard Teuber, Selbstgespräch, Zwiegespräch Seelengespräch. Zur Ökonomie spiritueller Kommunikation, in Jakobs / Kapp (éd.), Seelengespräche, cit., pp. 57-80.

27 Ariani, Petrarca, cit., p. 701 : « le sostanze allegoriche progressivamente chiamate a reci­tare nella catena del vinto-vincitore-vinto [...] danno vita a una psychomachia ».

28 Voir Mario Santagata, Introduzione, inPETRARCA, Trionfi, Rime estravaganti, cit., p. XXIII.

29 Voir Maria Cecilia Bertolani, Il corpo glorioso. Studi sui Trionfidel Petrarca, Roma, Carocci, 2001, pp. 29-31.

30 PETRARCA, Triumphi, cit., p. 282 : « la passione antiquaria ».

31 FRANCESCO PETRARCA, Epystole metrice I, 2, 5. Voir Maria Cecilia Bertolani, Petrarca e la visione dell’eterno, Bologna, Mulino, 2005, pp. 99-126.

32 FRANCESCO PETRARCA, Africa VIII, 992-97.

33 FRANCESCO PETRARCA, Rerum familiarum libri. Edizione critica per cura di Vittorio Rossi, Firenze, Sansoni, 1933-1942, 4 vol. , Fam. XV, 3, 14 : « Interea equidem hic michi Romam, hic Athenas, hic patriam ipsam mente constituo ; [...] hic omnes quos habeo amicos vel quod habui [...] qui multis ante me seculis obierunt, solo michi cognitos beneficio literarum, quorum sive res gestas atque animum sive mores vitamque sive linguam et ingenium miror, ex omnibus locis atque omni evo in hanc exiguam vallem sepe contraho ». Sur ce thème voir également Ugo Dotti, Vaucluse : le primat de la conscience et le mythe de la vie solitaire, in La postérité répond à Pétrarque. Sept siècles de fortune pétrarquienne en France. Études réunis et publiés par Ève Duperay, Paris, Beauchesne, 2006, pp. 279-90.

34 PETRARCA, Fam. X, 4, 1-4 : « theologie quidem minime adversa poetica est. Miraris ? parum abest quin dicam theologiam poeticam esse de Deo. [...] Id sane non vulgari forma sed artificiosa quadam et exquisita et nova fieri oportuit, que quoniam greco sermone ‘poetes’ dicta est ».

35 PETRARCA, Fam. II, 12, 2 : « Locus ignobilis, fama nobilioribus cingitur locis. Est hinc Socrate mons, Silvestro clarus incola, sed et ante Silvestrum poetarum carminibus illustris ; hinc Cimini cum monte lacus, quorum meminit Virgilius ; hinc Sutrium, quod nonnisi duobus passuum milibus abest, sedes Cereri gratissima et vetus, ut perhibent, Saturni colonia. Campus ostenditur non longe a muris, ubi primum in Italia frumenti semen ab advena rege iactum dicunt, primam messem falce desectam », renvoyant à Virgile, Aen. VI, 696 ; XI, 785 et Horace, Carm. I, 9, 1-2.

36 PÉTRARQUE, L’Afrique 1338-1374. Préface de Henri Lamarque. Introduction, traduction et notes de Rebecca Lenoir, Grenoble, Millon, 2002, p. 420,vv. 54-57 : « Non parva profecto / Est claris fortuna viris habuisse poetam, / Altisonis qui carminibus cumulare decorem / Virtutis queat egregie monimentaque laudum ».

37 FRANCESCO PETRARCA, Collatio laureationis, in Opere latine, a cura di Antonietta Bufano, Torino, UTET, 19872, vol. II pp. 1266 et 1272 : « gloriae appetitum non solum communibus hominibus, sed maxime sapientibus et excellentibus viris insitum [...]. Et profecto multi fuerunt in vita gloriosi et memorabiles viri [....] quorum tamen nomina, lapsu temporum, contexit oblivio nullam ab aliam causam nisi quia literati hominis que in animo habuerunt stilo mansuro et stabili committere nesciverunt ».

38 Dieter Mertens, Petrarcas Privilegium laureationis, in Litterae medii aevi. Festschrift für Johanne Autenrieth, hrsg. von Michael Borgolte und Herrad Spilling, Sigmaringen, Thorbecke, 1988, pp. 225-48, p. 241.

39 Petrarcas Privilegium laureationis, 2-5 : « Inter multa nimirum [...] florentissimum atque omni laude dignissimum quondam in nostra re publica historicorum ac praecipue poeta­rum studium fuit [...]. Sane sicut poetarum et historicorum copia multis gloriosae ac diuturnae memoriae causa fuit, sic eorum defectum tractu temporis postea succedentem multis aliis aeternitate nominis non indignis oblivionis tenebras non est dubium attulisse ».

40 Voir Giuliana Crevatin, Roma eterna, in Petrarca e Agostino, a cura di Roberto Cardini e Donatella Coppini, Roma, Bulzoni, 2004, pp. 131-52.

41 Ossola, Présence de Pétrarque, cit., pp. 149-50.

42 Jean-Yves Tilliette, L’exemplum rhétorique : questions de définition, in Les Exempla médiévaux : Nouvelles perspectives. Études réunies et présentées par Jacques Berlioz et Marie Anne Polo de Beaulieu, Paris, Champion, 1998, pp. 43-66, p. 55.

43 PETRARCA, Triumphi, cit., pp. 18-19 : « Bisognera allora ammettere che l’intelaiatura alle­gorica, l’andamento visionistico (con la monotona cadenza sul biblico-dantesco vidi), l’esigenza di interminabili elenchi di exempla, sono obiettivamente in ritardo rispetto all’intemerata audacia struttiva dei Rerum vulgarium fragmenta, nei cui confronti apparirebbero dei veri e propri residuati arcaici, se Petrarca non vi immettesse una materia culturale e immaginaria di assoluta novità ».

44 PETRARCA, Triumphi, cit., p. 285.

45 Karlheinz Stierle, Francesco Petrarca. Ein Intellektueller im Europa des 14. Jahrhunderts, Mün­chen, Hanser, 2003, p. 670 : « Der enzyklopädische Anspruch ».

46 Stierle, Francesco Petrarca, cit., p. 670 : « Der enzyklopädische Anspruch widersetzt sich seiner ästhetischen Vermittelbarkeit, der Gestus des Triumphs wird nicht poetisch vollzo­gen, sondern nur behauptet. Die langen Namenslisten bleiben Bewusstseinsinhalte, statt Momente einer Bewußtseinserweiterung zu werden ».

47 FRANCESCO PETRARCA, De viris illustribus. Edizione critica per cura di Guido Martellotti, Firenze, Sansoni 1964, vol. I p.XI.

48 FRANCESCO PETRARCA, Prose, a cura di G. Martellotti e di P. G. Ricci, E. Carrara e E. Bianchi, Milano-Napoli, Ricciardi, 1955, p. 224 : « Hic enim, nisi fallor, fructuosus historici finis est, illa prosequi que sectanda legentibus vel fugienda sunt, ut in utranque partem copia suppetat illustrium exemplorum ».

49 CICERO, De oratore II, 36 (voir par exemple : Petrarca, hrsg. von August Buck, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1976, p. 9).

50 Karlheinz Stierle, Poétique 3 (1978), pp. 176-98, publié auparavant en allemand Geschichte als Exemplum Exemplum als Geschichte. Zur Pragmatik und Poetik narrativer Texte, in Geschichte Ereignis und Erzählung, hrsg. von Reinhard Koselleck und Wolf-Dieter Stempel, München, Fink, 1973, pp. 347-76.

51 Reinhard Koselleck, Historia Magistra Vitae. Über die Auflösung des Topos im Horizont neuzeitlich bewegter Geschichte, in Natur und Geschichte. Karl Löwith zum 70. Geburtstag, Stuttgart, Kohlhammer, 1967, pp. 196-218.

52 Voir Peter von Moos, Geschichte als Topik. Das rhetorische Exemplum von der Antike zur Neuzeit und die historiae im Policraticus‘‘ Johanns von Salisbury, Hildesheim, Olms, 1988, p. 20 n. 44.

53 Carlo Delcorno, Exemplum e letteratura. Tra Medioevo e Rinascimento, Bologna, Mulino, 1989, pp. 229-64. De même Lina Bolzoni se contente d’analyser une lettre de Pétrarque, in La rete delle immagini. Predicazione in volgare dalle origini a Bernardino da Siena, Torino, Einaudi, 2002, pp. 108-11.

54 Carlo Delcorno, Pour une histoire de l’exemplum en Italie, in Les Exempla médiévaux : Nouvelles perspectives, cit., pp. 147-76.

55 Tilliette, L’exemplum rhétorique, cit., pp. 44-55.

56 MICHEL DE MONTAIGNE, Les Essais. Édition établie par Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin. Édition des Notes de lecture et des Sentences peintes établie par Alain Legros, Paris, Gallimard, 2007, p. 1111, III, 13. C’est une citation de « Manilius I, 61-62, lue chez Juste Lipse, Politicorum libri VI, I, VIII » (p. 1832).

57 PETRARCA, Fam. VI, 4, 3 : « Me quidem nichil est quod moveat quantum exempla clarorum hominum ».

58 Stierle, Francesco Petrarca, cit., p. 181 : « Wenn schließlich allein noch das je Besondere Gegenstand der Erfahrung und der Reflexion sein kann, dann kommt die Denkform des Exemplarischen in eine Krise ».

59 Stierle, Francesco Petrarca, cit., p. 182 : « So wird das Exempel gleichsam zu einer Verlän­gerung der Erfahrung, der »magistra rerum« , der Lehrherrin aller Dinge. [...] Damit ist freilich auch die Autorität des Exempels [...] preisgegeben ».

60 FRANCESCO PETRARCA, Le Senili, traduzione a cura di Ugo Dotti, testo critico di Elvira Nota, Torino, Nino Aragno, 2004, Sen. II, 3, 1 : « Quanta vis esset eloquii, lepore simul et ratione conditi atque hinc verbis hinc sententiis affluentis, sepe re cognitum atque comper­tum est ».

61 PETRARCA, Sen. II, 3, 9 : « Frivolum est soli senio fidere, et qui hec invenerunt homines erant. Si virorum vestigiis deterremur, pudeat [...] ».

62 PETRARCA, Sen. II, 3, 17 : « idque enimvero dicere nulla artium neget, hec presertim quam sub oculos habeo – nauticam artem dico ».

63 Cette citation provient de la Métaphysique aristotélicienne (I, 1).

64 Il la qualifie de « Manifest eines Aufbruchs und des Neuen, dessen Entschiedenheit den Anfangspunkt einer unbekannten Vorgeschichte der Querelle des Anciens et des Modernes setzt und das alle verengenden Klischees von Petrarca als dem Vater eines rückwärts­gewandten Humanismus sprengt », Stierle, Francesco Petrarca, cit., p. 283.

65 PETRARCA, Sen. II, 3, 24 : « Hec horumque similia cogitasse videtur Augustinus ubi artem rerum expertarum placitarumque memoriam diffinivit ».

66 Traduction française dans : Nicholas Mann, Pétrarque : Les voyages de l’esprit, Grenoble, Millon, 2004, pp. 27-27.PETRARCA, Fam. XXII, 2, 12-13 : « Legi apud Virgilium apud Flaccum apud Severinum apud Tullium ; nec semel legi sed milies, nec cucurri sed incubui, et totis ingenii nisibus immoratus sum ; mane comedi quod sero digererem, hausi puer quod senior ruminarem. Hec se michi tam familiariter ingessere et non modo memorie sed medullis affixa sunt [...] qui longo usu et possessione continua quasi illa prescripserim diuque pro meis habuerim ».

67 Mann, Pétrarque : Les voyages de l’esprit, cit., p. 28.

68 Eckhard Kessler, Petrarca und die Geschichte. Geschichtsschreibung, Rhetorik, Philosophie im Übergang vom Mittelalter zur Neuzeit, München, Fink, 20042, p. 247,n. 53 : « An die Stelle der nur auf die Vergangenheit beschränkten und in ihrer pädagogischen Vermittlungsfunktion unbestimmten historia ist der allgemeine, auf Vergangenheit und Gegenwart bezogene Erkenntnisprozeß selbst, experientia, getreten, der auch das Lernen aus der Geschichte mit einschließt, an die Stelle der nur die Praxis betreffenden vita ist als Vermittlungsobjekt die Innen-und Außenwelt, Handeln und Denken umfassende Realität, res, getreten ».

69 PETRARCA, Prose, p. 218 : « Scriberem libentius, fateor, visa quam lecta, nova quam vetera, ut sicut notitiam vetustatis ab antiquis acceperam ita huius notitiam etatis ex me posteritas sera perciperet ».

70 PETRARCA, Prose, p. 224 : « Neque enim infitior me talia meditantem sepe distractum ab incepto longius abscessisse, dum virorum illustrium mores vitamque domesticam, et confa­bulationes ac voces sententiis plenas, brevitate condidas, et verba passim effusa nunc peracuta nunc gravia et meminisse et memorare aliis dulce fuit ».

71 VALÈRE MAXIME, Fait et dits mémorables. Texte établi et traduit par Robert Combès, Paris, Belles Lettres, 1995, vol. I, p. 98 : « facta simul ac dicta memoratu digna ».

72 Robert Honstetter, Exemplum zwischen Rhetorik und Literatur. Zur gattungsgeschichtlichen Sonderstellung von Valerius Maximus und Augustinus, Phil. Diss. Konstanz 1977, pp. 200-201 : « Zentrales Mittel der Neudeutung ist für Augustin die Unterscheidung von Exemplum und historischem Ereignis [...] Augustins Anspruch, auf das historische Ereignis an sich zurückzugreifen, die traditionelle Deutung als nicht schlüssig zu enthüllen und beiseite zu schieben, und schließlich das Beibringen neuer, durch bisher unberücksichtigte Quellen abgesicherter Fakten ermöglichen eine z.T. radikale Umdeutung heidnischer Exempla und damit der römischen Geschichte überhaupt ».

73 Frances A. Yates l’y rattache à tort (The Art of Memory, Harmondsworth, Penguin, 1969, pp. 109-12).

74 Voir Lina Bolzoni, La stanza della memoria. Modelli letterari e iconografici nell’età della stampa, Torino, Einaudi, 1995, p. 248.

75 Sabine Heimann-Seelbach, Ars und scientia. Genese, Überlieferung und Funktionen der mnemo­technischen Traktatliteratur im 15. Jahrhundert. Mit Edition und Untersuchung dreier deutscher Traktate und ihrer lateinischen Vorlagen, Tübingen, Niemeyer, 2000, p. 415 : « Das Beispiel ist in diesem Rahmen [...] als ein Besonderes Material der unvermittelten Analogiebildung zu der Beson­derheit der jeweils aktuellen Situation des Rezipienten ».

76 Fait documenté par l’index de l’édition de Vinicio Pacca (pp. 1004-1005).

77 Voir v. 17 et Bucolicum carmen X, 98-101 ainsi que le commentaire dans : PÉTRARQUE, Bucolicum carmen. Texte latin, traduction et commentaire par Marcel François et Paul Bach-mann, avec la collaboration de François Roudaut, Paris, Champion, 2001, pp. 210-211.

78 Voir Guido Martellotti, Scritti petrarcheschi, a cura di Michele Feo e Silvia Rizzo, Padova, Antenore, 1983, p. 175.

79 Voir Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, Champion, 19652, vol. II pp. 45-46.

80 Selon Martellotti, Scritti petrarcheschi, cit., p. 175 : « Tanto l’omissione di Pindaro quanto l’aggiunta di Ibico rappresentano una conquista dell’erudizione petrarchesca ».

81 PETRARCA, Fam. IV, 15, 5 : « A quot sequitur, te inter morales Valerium preferre, quis non stupeat [...] ? Si enim Valerius primus est, quotus, queso, Plato est, quotus Aristoteles, quotus Cicero, quotus Anneus Seneca, quem in hac re magni quidam extimatores omnibus pretulerunt ? ».

82 PETRARCA, De viris illustribus, cit., p. 5 : « Historiam narrare propositum est : quare scripto­rum clarissimorum vestigiis insistere oportet, nec tamen verba transcribere sed res ipsas ».

83 Martellotti, Scritti petrarcheschi, cit., p. 70 : « il debito verso Valerio Massimo è fortissimo ».

84 FRANCESCO PETRARCA, Rerum memorandarum libri, Edizione critica per cura di Giuseppe Billanovich, Firenze, Sansoni, 1943, p. CXXV : « Col libro secondo inizia veramente l’opera, e subito al principio di quel libro (1,1.4) l’autore denunzia il testo da cui deriva la fonda­mentale impostazione dei suoi trattati : le pagine conclusive del De inventione ».

85 Bertolani, Petrarca e la visione dell’eterno, cit., p. 223 : « Petrarca, rispetto a Dante, tralascia la visione, momentanea e instabile, a favore della resurrezione ».

86 Bertolani, Petrarca e la visione dell’eterno, cit., p. 225-26 : « Al culmine dell’anelito della visione, il Trionfo dell’Eternità si chiude professando la speranza di rivedere il corpo beatifi­cante dell’amata ».

87 Le chant IV justifie l’abondance de descriptions qui se succèdent en vantant le génie de Giotto (Amorosa Visione IV, 10-18), GIOVANNI BOCCACCIO, Tutte le opere, a cura di Vittore Branca, vol. III, Milano, Mondadori, 1974, p. 34.