L’histoire du livre en Italie : entre histoire de la bibliographie, histoire sociale et histoire de la culture écrite
Lodovica BRAIDA
Université de Milan
NdA : Ce texte, mis à jour pour sa bibliographie, a été présenté au Colloque de Lyon/Villeurbanne en 2008 (« Cinquante ans d’histoire du livre : de L’Apparition du livre (1958) à 2008. Bilan et perspectives d’une discipline scientifique »).
L’APPORT DE LUIGI BALSAMO, MARINO BERENGO ET ARMANDO PETRUCCI
En 1982, Robert Darnton réfléchissait sur l’état de l’histoire du livre et soulignait comment d’un petit « champ », elle s’était transformée en « jungle tropicale » avec des orientations et des voies de recherche fort diverses1. Il faisait allusion aux deux traditions dominantes dans la culture occidentale, l’« histoire du livre » à la française, inaugurée par l’Apparition du livre de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, et la tradition anglaise qui s’appuyait sur la Bibliographical Society, fondée en 1892. Il s’agissait de deux parcours, fruits de deux traditions très différentes : l’histoire du livre française est ouverte aux sciences sociales, quand son homologue anglaise est plus empirique, engagée, comme Donald McKenzie l’a souligné, surtout dans l’activité du catalogage, et attentive aux modalités techniques de la production typographique pour résoudre des problèmes d’ordre philologique et de transmission des textes2.
En 1988, Roger Chartier, en présentant la spécificité française de l’histoire du livre, mettait en évidence comment elle avait été caractérisée, à partir du « livre fondateur » de Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, par le « primat donné à l’étude sociale ». L’historien français soulignait ainsi :
L’histoire de l’imprimé n’a fait que refléter une tendance majeure de l’historiographie française à partir des années 60 (...). De ce privilège donné au découpage social, l’histoire française du livre a été doublement tributaire. D’une part, elle a proposé une histoire sociale de ceux qui fabriquaient les livres : marchands-libraires, maîtres imprimeurs, ouvriers typographes et pressiers, fondeurs de caractères, relieurs (...). D’autre part, l’histoire du livre à la française s’est voulue histoire de l’inégale répartition de l’imprimé dans la société. Pour ce, il fallait pouvoir reconstituer les bibliothèques possédées ou constituées par les différents groupes sociaux et professionnels3.
La tradition de l’histoire du livre en Italie est tout à fait différente : elle n’a pas de « livre fondateur » et l’on ne peut y envisager la primauté d’une orientation méthodologique. Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une érudition très active avait fourni des bibliographies et des répertoires (annales, catalogues), et avait entamé des études sur la production typographique, mais sans s’ouvrir à une réflexion méthodologique susceptible d’impliquer les différentes disciplines convergeant dans l’histoire du livre4. Une certaine ouverture aux études étrangères, en matière de bibliologie et de bibliographie, a été apportée par la revue La Bibliofilia. Celle-ci a été fondée en 1899 et s’est enrichie, à partir des années 1970 et 1980, grâce à la médiation de Luigi Balsamo (directeur de 1983 à 2010), de nombreuses contributions de chercheurs provenant du monde anglo-saxon, essentielles pour faire connaître en Italie les méthodes de l’analytical bibliography5. Pourtant, comme l’a observé Luigi Balsamo, il a manqué à l’histoire du livre en Italie un lien entre les différentes approches méthodologiques : technique, philologique ou historique,
de sorte que les multiples démarches restent séparées sans qu’il y ait aucune tentative d’interaction (...). C’est bien là une des raisons pour lesquelles, en Italie, on n’a pas encore élaboré un projet de synthèse critique d’histoire du livre, par rapport à ce qui a été réalisé et à ce qui se réalise actuellement dans d’autres pays6.
On pourrait dire, en reprenant la métaphore de Robert Darnton, qu’il n’existe pas encore, dans « la jungle tropicale » des études sur l’histoire du livre, un sentier qui unisse tous les arbres. Mais il est incontestable que certains spécialistes, plus que d’autres, ont contribué à orienter les recherches dans des directions particulières. Trois notamment, chacun à sa manière, ont joué un rôle significatif pour contribuer du point de vue méthodologique à sortir d’une perspective érudite plutôt étroite : le bibliographe et historien du livre Luigi Balsamo, l’historien de l’époque moderne Marino Berengo et le paléographe Armando Petrucci. Nous ne pouvons ici approfondir l’apport riche et diversifié que ces auteurs ont donné, et nous limiterons donc à rappeler qu’ils ont contribué à une histoire du livre ouverte aux sollicitations méthodologiques provenant d’autres savoirs7.
En 1984, Luigi Balsamo publiait La Bibliografia. Storia di una tradizione, une réflexion de longue haleine qui, pour la première fois en Italie, ne s’adressait pas seulement au public restreint des spécialistes, mais s’ouvrait à une perspective historique, littéraire, politique et économique. Dans un essai publié en 2000, il décrivait son approche comme visant à « une histoire globale du livre » :
D’une part, l’histoire de la bibliographie offre des documents essentiels pour reconstruire les événements de la production éditoriale et de la diffusion des livres ; de l’autre, elle se révèle indispensable pour l’histoire des idées, autrement dit des architectures du savoir dans une certaine société et à une certaine époque8.
À côté de cette réflexion sur l’histoire de la bibliographie comme histoire culturelle au sens large, Balsamo a souligné le caractère d’entreprise de l’activité éditoriale, à partir de l’essai pionnier Tecnologia e capitali nella storia del libro (1973) et jusqu’à ses différents portraits d’imprimeurs. Si son parcours apparaît concentré sur « tout le spectre des branches de la Buchwissenschaft »9, l’intérêt de l’historien vénitien Marino Berengo portait sur les imprimés et sur les professions du livre dans la première moitié du XIXe siècle, sujets au centre de son travail Intellettuali e librai nella Milano della Restaurazione (Turin, Einaudi, 1980). Comme l’a observé Mario Infelise, l’attention que Berengo consacrait aux problèmes de l’édition ne provenait pas d’une curiosité pour les fonctions du livre ou pour les systèmes de communication, mais de la centralité donnée aux éléments qui rendent possible la coexistence civile : le rôle des classes dirigeantes et le rapport entre intellectuels et pouvoir10.
L’historien vénitien considérait l’essor du marché éditorial milanais des premières décennies du XIXe siècle comme un élément capital pour l’histoire économique, sociale et culturelle de toute la Péninsule. Prenant la place de Venise, qui avait dominé la production du livre pendant tout l’Ancien Régime, Milan devenait un point de repère pour les intellectuels italiens : beaucoup d’entre eux avaient décidé de gagner le chef-lieu lombard, attirés par la possibilité – accrue durant la période napoléonienne – d’occuper une place dans l’administration publique ou avec l’espoir de collaborer, d’une façon ou d’une autre, avec le monde de l’édition. Quand la domination autrichienne fut restaurée en 1814, plusieurs hommes de lettres perdirent leur emploi ou durent limiter leurs ambitions littéraires ; le développement du marché éditorial leur donna une alternative et permit à certains de survivre grâce à leur travail intellectuel.
La reconstruction de Berengo faisait émerger une fresque extrêmement diversifiée des métiers du livre et, pour la première fois, l’attention portée au problème de la propriété littéraire et du droit d’auteur, aux caractéristiques générales de la production de livres et journaux, et aux modalités de la distribution. L’ouvrage de Berengo a influencé les travaux suivants, son livre étant un exemple très réussi d’une histoire de la culture dans laquelle l’attention aux problèmes économiques et à la complexe articulation des professions du livre coexistait avec l’histoire sociale et avec l’histoire des institutions. Dans ses pages on peut envisager non seulement une attention aux livres et journaux les plus prestigieux, mais aussi aux genres à grande diffusion, comme les livres de dévotion, les almanachs, les petits livres de vulgarisation agronomique, présents dans presque tous les catalogues des libraires-éditeurs.
Ce fut toutefois la médiation d’Armando Petrucci qui créa les conditions grâce auxquelles une histoire du livre plus attentive aux méthodes étrangères a pu se développer en Italie. En 1977, Petrucci présenta au public italien la traduction de L’Apparition du livre (chez Laterza) et, la même année, il édita une anthologie dont le titre, Libri, editori e pubblico nell’Europa moderna, donnait l’idée d’une ouverture européenne. Il y faisait connaître la contribution d’Henri-Jean Martin, et notamment un chapitre de son Livre, pouvoirs et société (1969), ainsi que deux essais de Geneviève Bollème et de François Furet, parus dans Livre et société (1965), la célèbre enquête sur les bibliothèques privées en France au XVIIIe siècle. Cette enquête, coordonnée par Furet, se penchait pour la première fois sur la présence du livre dans les différents groupes sociaux, grâce aux sources sérielles (inventaires après décès) et en faisant une distinction
entre les familiers du livre et ceux qui demeurent étrangers à la culture de l’imprimé, révélant des clivages à l’intérieur même des élites lettrées : entre clercs et laïques, nobles et bourgeois, gentilshommes et gens d’offices, hommes de talents et hommes de négoce11.
Le volume édité par Petrucci en 1977 avait beaucoup de mérite parce qu’il donnait une idée de ce qu’on faisait en France dans un domaine qui était encore complètement marginal en Italie. Il ouvrait aux chercheurs une voie de l’histoire du livre caractérisée par la primauté de l’histoire sociale. Ce n’était pas un choix neutre puisque le premier tome de Livre et société, paru en 1965, avait été suivi en 1966 par la réaction critique de Furio Diaz, pour lequel l’enquête coordonnée par Furet ne rendait pas l’originalité des idées au moment de leur naissance, mais au moment le moins intéressant – selon Diaz –, lorsqu’elles deviennent « mentalité courante »12.
En 1977, les éditions Laterza publièrent donc la traduction du livre de Febvre et Martin ; bien que partielle, et sortie presque vingt ans après la première édition13, elle fut très significative car caractérisée par une acclimatation particulière, due à l’introduction du grand paléographe qui, dans les années suivantes, allait renouveler sa discipline avec les études sur la culture écrite, et en particulier sur « la culture graphique » comme analyse entre les différentes formes et matérialités de l’écriture (manuscrite, épigraphique, imprimée) et la pluralité des usages auxquels elle est soumise (religieux, politiques, littéraires, bureaucratiques)14. Petrucci reconnaissait à Febvre et à Martin le mérite d’avoir enfin fait sortir l’histoire du livre de l’érudition, en l’ouvrant à une analyse économique, sociale et culturelle dans la longue durée de l’Ancien Régime. Mais il ne cachait pas ses réserves. La principale concernait le fait que, dans cette œuvre magistrale, les auteurs avaient insisté plus sur la nouveauté que sur la continuité dans la transition du manuscrit au livre typographique. Au contraire, Petrucci soulignait que le passage d’une technique à l’autre avait été caractérisé par la continuité, tant dans le choix des textes imprimés par les premiers typographes que dans les choix matériels : le livre imprimé était toujours un codex, comme le livre manuscrit, et les caractères typographiques imitaient les écritures manuscrites les plus en vogue et s’adaptaient aux typologies textuelles, comme dans les manuscrits.
Deuxièmement, Petrucci soulignait que le manuscrit survivait après l’invention de l’imprimerie. L’affirmation de Martin, selon lequel après 1550 les manuscrits n’auraient été consultés que par les érudits, lui apparaissait « hâtive et inexacte »15. De plus, il mettait en question les considérations concernant le public. Les prototypographes,
loin de changer d’orientation par rapport au passé, loin de s’adresser à un nouveau public, s’adressaient au contraire (...) au public traditionnel du livre manuscrit, notamment aux ecclésiastiques, aux dottori, aux husmanistes16.
Petrucci s’en prenait aussi aux choix de l’espace et du temps : selon lui, les auteurs de L’Apparition du livre avaient privilégié certaines zones géographiques au détriment d’autres (il déplorait le peu de place accordée à l’Italie), et avaient concentré leur attention sur le XVIe siècle, le siècle de la Renaissance et de la Réforme, « en tant que (...) moments et facteurs déterminants pour l’histoire du livre imprimé, en laissant dans l’ombre le Grand Siècle »17.
L’introduction de Petrucci ouvrait des pistes nouvelles pour l’histoire du livre, en révélant ce qui sera l’intérêt majeur de ses études : l’attention pour toutes les expressions de la culture écrite et l’usage des différentes formes matérielles où s’inscrit le texte. Parmi les effets les plus visibles que l’imprimerie a produit sur l’objet livre, il y avait le fait de contribuer « puissamment à canoniser pour toujours la séparation entre livre savant et livre populaire », sur le plan textuel comme matériel, s’agissant de la mise en page, de l’illustration et du choix des caractères. Ces distinctions existaient déjà pour le livre manuscrit, mais l’imprimerie les aurait accentuées « en les répétant d’une façon fixe et en un grand nombre d’exemplaires, et en les diffusant partout »18.
Depuis la fin des années 1970, l’histoire de l’édition a fait de grands pas en Italie aussi, notamment en ce qui concerne l’Ancien Régime. Si nous n’avons pas encore une histoire de l’édition italienne sur la longue durée, il faut souligner le fait que la Letteratura italiana, publiée par Einaudi au début des années 1980, réservait un espace très important aux changements culturels apportés par l’invention de Gutenberg, avec un essai d’Amedeo Quondam sur la Letteratura in tipografia19. L’attention nouvelle pour l’histoire du livre a été impulsée par les savants que nous avons cités, mais aussi par l’historiographie française et américaine : il s’agit en particulier des études lancées à la suite de L’Apparition du livre, puis développées dans l’Histoire de l’édition française sous la direction de Henri-Jean Martin et de Roger Chartier. Il s’agit aussi des études de Robert Darnton, notamment en ce qui concerne le XVIIIe siècle. Ainsi que l’a souligné Renato Pasta, nombre de travaux des années 80 et 90 du XXe siècle témoignent d’un effort de recherche tout autre qu’épisodique, capable de rattraper au moins en partie le grand retard de notre historiographie20.
On peut dire que les recherches sur l’Ancien Régime typographique et surtout sur le XVIIIe siècle se sont placées, dans les trente dernières années, dans une perspective socio-économique et socio-culturelle, attentive à l’analyse des conditions de production, de diffusion et de consommation du livre. Elles se sont révélées sensibles au contexte urbain ou au contexte d’un État, à la reconstruction des métiers du livre, à la naissance d’une censure laïque, aux différentes formes d’imprimés, à la diffusion du livre prohibé et à sa circulation sous le manteau21.
LES ÉTUDES SUR LES LIVRES DE LARGE CIRCULATION
Je me propose maintenant de faire quelques considérations sur un domaine particulier de l’histoire du livre, qui a connu un essor significatif dans les années récentes, sous l’impulsion de la recherche dans d’autres domaines : il s’agit des études sur les genres de large circulation. Développées à partir des années 1980, elles ont bénéficié aussi bien de l’apport méthodologique des historiographies française et anglo-saxonne, que des études italiennes sur l’alphabétisation, la lecture et l’écriture dans les sociétés d’Ancien Régime. À partir de l’important colloque de Perugia (1977) organisé par Armando Petrucci et Attilio Bartoli Langeli22, les études sur l’alphabétisation conduites dans les années 70 et 80 ont souligné comment, dans un contexte où l’on distingue trois phases d’apprentissage pour l’enseignement primaire (lecture, signature et écriture), chaque étape acquiert sa propre autonomie. Dans cette perspective, comme l’a écrit Armando Petrucci, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, les différenciations géographiques et sociales, le repérage des caractéristiques de l’usage passif de la culture écrite deviennent déterminants23. À partir de ces considérations, de nombreuses études ont souligné combien il était nécessaire de distinguer entre l’alphabétisation proprement dite – c’est-à-dire la capacité de lire et écrire – et l’instruction la plus élémentaire, limitée au simple fait de savoir signer son nom, et déchiffrer des textes. Ces recherches ont été fondamentales pour les études sur les genres de grande diffusion. L’existence de niveaux de compétence pour la lecture et pour l’écriture créait les conditions pour mieux comprendre l’extrême diversification des genres éditoriaux et la présence massive de petits livres, pour lesquels il n’était pas nécessaire d’avoir une maîtrise totale de la lecture.
Le cas d’un meunier frioulan étudié par Carlo Ginzburg en a donné témoignage. Dans son Il formaggio e i vermi. Il cosmo di un mugnaio del ’500, publié en 1976 (Turin, Einaudi), il y avait plusieurs anticipations relatives à un domaine qui s’affirmera dans l’historiographie française des années 1980 : l’histoire de la lecture. Ginzburg parlait pour la première fois de la nécessité d’une « analyse qualitative et interne » tenant compte de la variabilité historique et sociale du lecteur. Pendant un procès de l’Inquisition, Domenico Scandella dit Menocchio avouait des lectures et des connaissances qui n’étaient pas seulement typiques de sa provenance sociale. À travers ses déclarations, se dessinait
un ensemble d’idées extrêmement clair et conséquent, qui allait du religieux à un naturalisme à tendance scientifique, et à des aspirations utopiques de rénovation sociale24
qui pouvaient faire penser à des lectures savantes, élaborées d’une manière tout à fait personnelle. Cet exemple mettait l’accent sur la faiblesse de l’opposition « culture savante/culture populaire », liée à une conception de la culture écrite comme un patrimoine clos, alors que le cas de Menocchio était la preuve de la circularité entre différents niveaux culturels. Il en ressortait donc la nécessité de surmonter une dichotomie qui avait opposé – par exemple dans les études de Robert Mandrou et de Geneviève Bollème25 – d’une part l’originalité et la créativité de la culture savante, de l’autre, au contraire, la répétitivité de la culture populaire.
Mais ce sont les études françaises sur la « Bibliothèque bleue » qui ont été fondamentales pour orienter la recherche sur les genres de grande diffusion. Au cours des dernières années, elles ont apporté de nouvelles contributions à trois niveaux différents : la typologie des textes et leur mise en édition, les modalités de distribution, et le public des lecteurs auxquels ces livres étaient adressés. Elles ont fortement remis en question l’approche de Robert Mandrou qui, dans son important De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles, avait vu dans ces livrets bon marché « la vision du monde », immuable pendant des siècles, des milieux populaires dans la France de l’Ancien Régime26. Les recherches des dernières décennies ont dessiné un tableau beaucoup moins statique et plus mouvementé27 : elles ont aussi permis d’envisager dans la « Bibliothèque bleue » une formule éditoriale où il n’est pas facile d’identifier les éléments en provenance de la culture populaire : s’y rencontrent, en effet, des textes d’origine savante et populaire, dont la coexistence apparaît comme le fruit d’une appropriation culturelle ayant des caractères propres. Dans un essai datant de 1995, Chartier invitait à ne pas sous-estimer les contraintes qui conditionnent la définition et l’usage d’un concept : l’adjectif « populaire », qui qualifie depuis toujours ce type de production, n’est pas neutre, car il s’agit d’une formule de la culture « docte » pour laquelle sont populaires les productions et les comportements qui se situent en dehors d’elle-même28. C’est bien en vertu de la transversalité de ce type d’édition qu’il est préférable de remplacer l’adjectif « populaire », trop marqué sociologiquement, par la définition de « livres de grande diffusion ».
LES STRATÉGIES ÉDITORIALES POUR LES GENRES DE GRANDE DIFFUSION
En France, les livres à grande diffusion ont été assimilés à un type de distribution (littérature de colportage), aux différentes typologies textuelles présentes dans la « Bibliothèque bleue » et à un centre de production, Troyes où se trouvaient les ateliers typographiques des Oudot et des Garnier. En Espagne, une formule désignant la matérialité typographique – un pliego suelto correspond à une feuille d’imprimerie imprimée en format in-quarto29 – a donné aux spécialistes une base cohérente sur laquelle travailler. En Italie, en revanche, la recherche n’a pas trouvé de corpus révélant des éléments d’unification textuelle, matérielle et commerciale, sauf pour des genres bien précis. Elle a été rendue encore plus complexe par le fait que la fragmentation politique recouvrait aussi une fragmentation culturelle, même si les relations commerciales entre les libraires des différentes villes italiennes ne manquaient pas, comme il apparaît dans les catalogues de vente des librairies.
Les difficultés ont été accrues par la rareté des bibliographies et des répertoires consacrés aux livres populaires, à l’exception des contributions importantes de Francesco Novati, Arnaldo Segarizzi et Achille Bertarelli au début du XXe siècle30. Il faut dire toutefois que les caractéristiques bibliographiques de ces catalogues reflétaient les difficultés à établir des limites entre un genre éditorial et le type de textes que ce genre accueillait. Dans la Bibliografia delle stampe popolari italiane della R. Biblioteca Nazionale di S. Marco di Venezia (1913)31, Arnaldo Segarizzi précisait qu’il n’avait inclus que les imprimés présentant « un caractère populaire à la fois pour l’aspect typographique et pour le contenu », mais qu’il n’avait pas été facile de distinguer entre ce qui était « populaire » et ce qui ne l’était pas. Dans des lettres à Francesco Novati rédigées en mars-avril 1909, il manifestait ses doutes quant aux critères à adopter pour le choix des matériaux, et demandait s’il devait « considérer comme imprimés populaires » les prévisions de célèbres astrologues sur les princes et évêques, les églogues, les comédies anonymes et dialectales, les recueils de nouvelles et plaisanteries, et les poèmes de chevalerie32.
La rareté des outils bibliographiques spécifiques pour les genres populaires n’était pas compensée par l’existence de catalogues sur la production typographique de l’Ancien Régime : mis à part le catalogue général des incunables, il n’existait pas encore, à la fin des années 1970, de répertoires sur la production imprimé des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Une situation qui a duré jusqu’à nos jours, exception faite pour Edit16, répertoire en ligne des livres publiés en Italie au XVIe siècle. Vers la fin des années 1970 et dans les années 1980, non seulement on ne disposait pas de bibliographies ni de catalogues adéquats, mais on se heurtait immédiatement à une autre difficulté. Il s’agissait de trouver des documents considérés comme peu importants sur le plan culturel et qui, par conséquent, n’avaient pas été conservés dans les bibliothèques ou bien l’avaient été sans continuité.
À l’époque, les chercheurs italiens qui se lancèrent dans le monde complexe et divers des livres de grande diffusion choisirent deux types d’approche : l’histoire d’une maison d’édition, ou l’analyse d’un certain type de textes33. Mario Infelise choisit la première voie, avec une monographie parue en 1980 sur les Remondini, une famille d’imprimeurs qui, à partir de Bassano del Grappa, a dominé la production de livres de la mi-XVIIe à la mi-XIXe siècle. Au XVIIIe siècle, à l’apogée de leur splendeur, les Remondini disposaient de quatre papeteries, de plusieurs ateliers typographiques qui employaient près d’un millier d’ouvriers, de librairies à Bassano, Venise et Pieve Tesino, et ils avaient des relations commerciales qui s’étendaient de l’Amérique latine à l’Empire russe34. À la différence de la Société typographique de Neuchâtel, étudiée par Robert Darnton35, les Remondini ne misaient que peu sur les grands noms du siècle des Lumières ou sur les nouveaux genres à succès, comme le roman, mais plutôt sur les livrets traditionnels de dévotion, les vies des saints, les manuels scolaires, les almanachs et la production d’imprimés divers, les images de piété et les cartes géographiques qu’ils envoyaient dans le monde entier. Grâce à leur habileté à recueillir des informations sur la dévotion dans les pays avec lesquels ils entretenaient des relations commerciales, ils produisaient des estampes religieuses qui, depuis Bassano del Grappa, atteignaient l’Amérique du Sud et toute l’Europe catholique. Comme ceux de la Bibliothèque bleue, leurs livres étaient distribués dans les villes et les campagnes grâce aux mailles serrées d’un réseau de marchands ambulants, que les imprimeurs de Bassano avaient su créer avec le soutien des habitants du Val Gardena, du Frioul oriental et du Val Tesino.
La publication récente du catalogue des Remondini par Laura Carnelos permet de reconstruire leur production en « rames » (risma) de 1650 à 185036 : 632 titres, dont 75 % de nature religieuse et dévotionnelle, ce qui montre combien l’influence de la Contre-Réforme est encore présente. Comme les pliegos sueltos espagnols, les livres de grande diffusion des Remondini étaient décrits dans leurs catalogues par une définition matérielle, « livres en rames » (« libri da risma ») : ils étaient vendus en feuilles, au prix de 12 lires de Vénétie par rame, soit 500 feuilles. Que signifiait vendre une production imprimée à la rame ? Le terme de rame avait un sens péjoratif dans l’édition savante, comme on peut le lire dans l’Encyclopédie :
Rame, mettre à la – (terme de Librairie). Mettre un livre à la rame signifie ranger par rame une partie de l’impression d’un livre dont on a eu peu ou point de débit, pour le vendre de la sorte à vil prix aux épiciers & aux beurrières, & à tous ceux qui en ont besoin, pour envelopper leurs marchandises, ou en faire autre usage. Richelet dit qu’Amelot pensa devenir fou, lorsqu’il apprit qu’on alloit mettre son Tacite à la rame37.
Pour un genre érudit, « mettre un livre en rames » signifiait le brader pour un usage différent de celui pour lequel il avait été conçu. Mais les Remondini surent utiliser la rame comme un outil commercial qui permettait d’avoir des prix bas et de diffuser au maximum leurs produits. Ils ont ainsi inversé, du moins sur le plan économique, la caractéristique négative sensible dans l’Encyclopédie. Par ailleurs, il est fort probable que les Remondini n’aient pas été les seuls à tirer profit de cette modalité matérielle de la distribution : d’autres imprimeurs, comme les Soliani de Modène et les Marescandoli de Lucques, l’exploitaient également, ainsi que le révèlent les inventaires de librairie38.
Dans le courant des années 1980, d’autres chercheurs se sont penchés sur des textes ayant une fonction sociale précise ou sur un genre bien défini, par ex. les livres pour apprendre à lire, ou les almanachs. En analysant les livres utilisés pour l’instruction élémentaire sous l’Ancien Régime, Piero Lucchi a reconstruit un monde de l’instruction où lire, écrire et compter ne s’apprenaient pas à l’école, et n’étaient pas considérés comme de la compétence des maîtres : on allait en effet à l’école pour apprendre le latin39. L’expérience des écoles d’arithmétique, de lecture et d’écriture, répandue du XIVe au XVIe siècle et poursuivie dans les écoles religieuses populaires, ne parvint pas à détrôner les écoles de grammaire latine, tout en laissant des traces profondes dans la production de nombre de livrets d’instruction populaire. Ces derniers étaient souvent le fruit de l’activité de maîtres qui, en privé, ne se limitaient pas à apprendre à lire et à écrire, mais enseignaient aussi la science et pratique de l’arithmétique et de la géométrie, et la tenue de comptes en partie double40.
Les recherches sur les almanachs ont été plus minutieuses. Portant sur différentes réalités locales (les États de la Maison de Savoie, la Lombardie des Habsbourg, la Vénétie, la Toscane, les États de l’Église), elles permettent de faire des comparaisons entre les types de textes, et de reconnaître les éléments stéréotypés et de ceux plus innovants. Il apparaît que les almanachs n’ont pas constitué un genre immobile durant l’Ancien Régime, mais qu’ils ont acquis – notamment dans les dernières décennies du XVIIIe siècle – des caractéristiques qui en faisaient quelque chose de plus qu’un guide du temps ; leurs multiples formules semblaient les destiner à différentes couches sociales de lecteurs, ayant des intérêts, une culture et des attentes très diversifiés. Vers le milieu du XVIIIe siècle apparurent ainsi de nombreux almanachs de vulgarisation historique, géographique et scientifique, où l’on peut saisir aussi bien la multiplication des thèmes que la complexité des usages que suggèrent ces nouveaux livrets. Ils sont désormais devenus de véritables manuels pratiques, et parfois même de petites encyclopédies qui, au fil des ans, tentent de couvrir tous les domaines du savoir41.
Dans ces dernières années, certains chercheurs, utilisant des méthodes variées, se sont attachés à étudier d’autres genres de grande diffusion : les livres religieux en langue vulgaire42, la littérature astrologique du XVe au XVIIIe siècle43, les poèmes chevaleresques44, et un genre de très grande circulation mais qui, paradoxalement, à cause de ses caractéristiques matérielles, n’a laissé que peu de traces dans les bibliothèques italiennes : les feuilles volantes. Les Flugschriften ont eu une grande importance dans le monde allemand pour diffuser la propagande de la Réforme, et les feuilles volantes furent aussi massivement utilisées en Italie. Il s’agissait d’un bon investissement pour les imprimeurs et les libraires. Comme l’a souligné Ottavia Niccoli, leur succès est lié aux différents niveaux de lecture auxquels se prêtaient les textes en langue vulgaire et en latin45. Les feuillets volantes et les différentes sortes d’opuscules religieux ont permis – du moins jusque dans les années 1540 – la propagande de la Réforme, où les descriptions de créatures monstrueuses et les prophéties les plus diverses jouaient un rôle important en dénonçant les péchés des chrétiens et du clergé et en annonçant le châtiment divin. Mais une bonne part de ces matériaux a échappé à l’attention des bibliographes, parce qu’ils étaient difficiles à trouver – ils étaient souvent joints à des documents d’archives –, et surtout parce qu’on ne leur accordait que peu d’intérêt culturel, qu’on ne les conservait pas, ou encore qu’on les détruisait s’ils étaient jugés hétérodoxes. Dans certains cas, ils disparaissaient et il n’en subsistaient que des traces orales (chansons ou comptines), comme l’a récemment montré Ugo Rozzo46. Le succès des feuilles volantes au cours des siècles dépend de l’usage qu’on en faisait : pour l’administration et pour l’information, pour la propagande religieuse, pour les annonces des librairies informant des nouveautés, ou, au contraire, les nouvelles interdictions. C’est encore le cas pour la propagande politique des trois années jacobines (1796-1799)47, puis jusqu’à la mi-XIXe siècle, pendant le Risorgimento48. L’apport de Luciano Guerci a été fondamental pour ce qui est des opuscules républicains qui circulaient en Italie après l’arrivée de l’armée française en 1796. En réaction à l’atmosphère négative qui entourait ce genre de production destiné aux couches populaires, Guerci a su démontrer qu’il s’agissait d’une production imprimée qui allait bien au-delà du cliché de
superficialité, répétitivité, rhétorique républicaine ampoulée (...), abstraction49
qu’on lui appliquait. Les formes éditoriales majeures (dialogues et catéchismes) et les thèmes politiques abordés montraient au contraire un genre qui n’avait pas que du répétitif ou d’abstrait. Il permettait en effet à ceux qui voulaient s’en faire une idée de comprendre les différentes orientations républicaines, avec une stratégie de communication très efficace utilisant une langue où se mêlaient la culture orale et la culture écrite, et destinée souvent à une lecture collective. La force d’attraction de ces opuscules n’a pas échappé aux contre-révolutionnaires qui dénoncèrent le danger que cachaient ces « infinis petits livrets », ces véritables « ruisseaux empoisonnés »50.
L’HISTOIRE RELIGIEUSE ET LES ÉTUDES SUR LA CENSURE
Les études d’histoire religieuse et les recherches sur l’Inquisition et sur la censure en Italie ont connu un renouveau depuis une dizaine d’années grâce à l’ouverture au public des archives de la congrégation pour la Doctrine de la foi (Archivio della Congregazione per la Dottrina della Fede). On pourrait dire que l’étude de la censure a déplacé son centre d’intérêt des œuvres interdites vers le fonctionnement de l’institution et vers les contraintes imposées aux lecteurs en Italie51 : ainsi, l’histoire du livre a été invitée à se poser de nouvelles questions. Ces recherches ont tout d’abord permis de mieux comprendre quelles avaient été les conséquences de la tentative de l’Église romaine de mettre de l’ordre dans la production typographique et la circulation des livres, soit grâce aux Index, soit en pratiquant d’autres formes de contrôle. Deux questions se sont alors posées : de quels livres et de quelles lectures les Italiens ont-ils été privés par la Contre-Réforme catholique ? Quelles furent les conséquences de cette soustraction sur le manque de familiarité avec la lecture qui a caractérisé les classes sociales les plus populaires ? L’histoire du livre a pu établir deux éléments fondamentaux. Premièrement, à eux seuls les Index ne représentent pas correctement les véritables dimensions d’une action qui fut beaucoup plus minutieuse et agressive, et qui dépendait souvent du bon plaisir des censeurs locaux et des institutions centrales. Deuxièmement, ce furent surtout les genres de grande diffusion en langue vulgaire qui furent touchés, des œuvres littéraires comme les romans de chevalerie mais, plus encore, les livres de dévotion, les psaumes, les méditations de la Passion, les traductions de la Bible, ce qui a eu de très graves répercussions sur l’alphabétisation et sur l’unification de la Péninsule. L’interdiction de la Bible en langue vulgaire, introduite par le premier Index romain (1559) et maintenue pendant deux siècles, ainsi que celle de nombreuses versions abrégées, éloigna tous ceux qui ne connaissaient pas le latin de la lecture directe de la Bible et de la littérature de dévotion qui avait jusqu’alors alimenté la piété italienne. Dans la mentalité collective, « l’Écriture équivalait en substance à hérésie »52.
Mais au-delà de la soustraction de toute une série d’œuvres en langue vulgaire à la lecture et à l’écoute de ceux qui ne maîtrisaient pas le latin, il y a eu aussi – comme l’a montré Gigliola Fragnito – une volonté précise de la congrégation de l’Inquisition et de l’Index de
contourner les obstacles créés par les lecteurs, les imprimeurs, les autorités civiles ; en effet, la Congrégation occultait ses propres orientations derrière des normes volontairement obscures et accessibles uniquement à quelques initiés53.
C’est d’ailleurs l’attention pour les modalités faisant exclure de la lecture des œuvres jugées dangereuses qui a permis de retrouver des interdictions beaucoup plus vastes et variées que les interdictions officielles des Index, dont les éditions sont trop espacées dans le temps pour pouvoir suivre le rythme de la production des imprimés. La présence simultanée de listes d’interdictions provenant des institutions centrales et de décrets diffusés par les agents locaux de l’Inquisition, et le caractère générique de la désignation des œuvres prohibées – notamment si elles étaient en langue vulgaire – ont alimenté une grande incertitude quant aux normes des prohibitions, qui s’est traduite par un grand malaise chez les libraires d’abord, puis dans la tête des lecteurs54.
Il y eut, bien sûr, des formes de résistance qui se traduisirent par des modalités de circulation différentes pour les textes jugés dangereux, grâce à de complexes opérations éditoriales, ou bien sous forme de manuscrit. Ce fut le cas pour des textes religieux en langue vulgaire et de grande diffusion55, comme le Beneficio di Cristo qui, bien que condamné par l’Index vénitien de Giovanni della Casa en 1549, survécut – partiellement, certes – caché sous un genre savant : les anthologies épistolaires que l’on ne considérait pas comme suspectes, du moins jusque dans les années 1570. Il s’agissait d’œuvres savantes, auxquelles collaboraient de célèbres auteurs et dont le principal objectif était de proposer des modèles en bonne langue vulgaire56. Dans d’autres cas, les messages sortaient littéralement des livres. Dans les fresques, commencées dans les années 1540, que Jacopo Pontormo exécuta dans le chœur de l’église des Médicis, à la basilique de San Lorenzo (Florence), l’artiste traduisit en scènes solennelles habitées par de grands personnages, et avec l’approbation du duc Cosme, le message religieux contenu dans le catéchisme de l’exilé espagnol Juan de Valdés : Qual maniera si devrebbe tenere a informare insino dalla fanciullezza i figliuoli de’ christiani delle cose della religione (Comment on devrait informer dès l’enfance les fils des chrétiens sur les choses de la religion) avait été publié en italien à Venise en 1545 et mis à l’Index vénitien de 1549, sans que cela décourage l’artiste et son mécène ; les travaux continuèrent, en effet, jusqu’à la mort de Pontormo, en 155657.
Parfois les textes ont survécu grâce à leur diffusion sous des formes qui n’étaient pas celles de l’imprimé, donc par l’oralité, ou en manuscrit. Les textes magiques, par exemple, devaient circuler sous forme de manuscrit, tout en maintenant une grande vitalité. La Clavicola Salomonis, en particulier, était l’un des titres qui figuraient souvent dans les procès de l’Inquisition à Venise, au XVIIe et au XVIIIe siècles, car elle était répandue dans toutes les classes sociales, aristocratiques comme populaires58. Ces procès mettent aussi en lumière les multiples usages de la Clavicola, qui n’était pas simplement lue mais constituait la base de pratiques magiques en tous genres. S’approprier le texte signifiait en effet « l’exercer » pour en tirer des effets bénéfiques ou maléfiques, ou du moins pour faire croire que l’on était en mesure de le faire59.
Le succès extraordinaire que certains genres connurent fut lié à ce que Marina Roggero a défini comme « un statut fluide », tant pour leurs modalités de transmission que pour leurs pratiques de circulation60. C’est ce qui est arrivé aux poèmes chevaleresques. Ils pouvaient en effet atteindre un vaste public grâce à la lecture à haute voix durant les veillées, grâce à une exécution musicale, ou encore par la transmission écrite, manuscrite ou imprimée. À l’origine de la fortune et de la fluidité de la circulation de ces textes se trouve une typologie rhétorique : nombre d’entre eux, apparus pour la première fois en prose, se sont par la suite transformés en octave rime pour gagner un public plus large. Aux textes autochtones s’ajoutèrent en Italie les romans de chevalerie ibériques, soit par transmission orale et populaire, soit grâce au travail savant d’hommes de lettres italiens : Bernardo Tasso traduisit l’Amadis de Gaule (1560), Lodovico Dolce, le Palmerín de Oliva (1561) et le Primaleón (1562).
Des milliers de petits livres peu soignés, tant matériellement que textuellement, furent mis en circulation à destination d’un large public, débordant les frontières culturelles. La fluidité des pratiques de lecture et la « porosité partielle » des barrières culturelles sous l’Ancien Régime rappellent, comme l’ont souligné les plus récentes études d’histoire socio-culturelle, combien il est difficile d’identifier des lectures socialement exclusives, et combien en revanche, en ce qui concerne les productions imprimées, il peut être profitable de repérer tant les types de textes qui coexistent dans les éditions, que les lectures potentielles que les éditeurs supposent. L’appropriation universelle du Roland Furieux frappait déjà les contemporains, comme Bernardo et Torquato Tasso, qui soulignaient son succès auprès de toutes les classes, âges et sexes, ou Gian Giorgio Trissino, jaloux de cette œuvre qui plaisait « au vulgaire ».
Même si, à partir du XVIIIe siècle, les héros chevaleresques commencèrent à subir la concurrence des personnages de roman, ils n’en eurent pas une moindre importance pour autant : les éditions luxueuses continuèrent à côtoyer les nombreuses éditions à bas prix, et en petits formats, dans les catalogues des Remondini de Bassano et des Marescandoli de Lucca. Il faut ajouter que les illustrations pouvaient acquérir une existence autonome. Les représentations des personnages avaient leur propre circuit de diffusion, hors de la lecture ou même de la présence du texte, comme ce sera le cas plus tard des héros et héroïnes des mélodrames. Les images de Bradamante, Roland, Roger, et de la belle Marfise pouvaient connaître une autre vie dans les gravures, les dessins d’artistes ou encore la décoration des battants d’armoire, des murs, des encadrements de cheminée, et, en format réduit, elles pouvaient décorer pare-feux, soufflets et éventails. Mais les livres et les gravures ne furent pas les seuls supports à travers lesquels les personnages des poèmes chevaleresques pénétrèrent avec force dans l’imaginaire collectif des hommes et des femmes de tous les milieux sociaux.
L’Arioste et le Tasse pouvaient être résumés et simplifiés à travers la récitation et le chant, rencontrant un grand succès au théâtre, ainsi qu’auprès du public cultivé. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, l’opéra remania des épisodes chevaleresques, principalement extraits du Tasse, tandis que le poème de l’Arioste inspirait des tragédies, des tragi-comédies, des romans et des récits en vers, des pantomimes et des œuvres comiques. La transformation des grands poèmes à des fins de divertissement donna lieu à des versions insolites, telles la Jérusalem délivrée masquée de l’abbé Pietro Chiari, des spectacles de marionnettes et de nombreuses versions parodiques. Les « passeurs » des textes de chevaleries étaient variés et pouvaient aussi prendre l’apparence des cantarinaldi, lecteurs-narrateurs qui assuraient la diffusion au moyen de représentations payantes et qui en firent un véritable métier. Le témoignage des commissaires de la police de Naples, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, révèle qu’il ne s’agissait pas de représentations destinées aux seuls touristes, puisque parmi ceux qui accourraient pour écouter les Reali di Francia, le Roland furieux et la Jérusalem délivrée se trouvaient des délinquants, des pécheurs, des soldats et des marins.
Ces formes de résistance ne doivent toutefois pas porter à sous-estimer l’action répressive de la censure ecclésiastique. De récentes études sur les livres prohibés, présents dans les bibliothèques de plusieurs ordres religieux, congrégations de clercs, frères et moines61, ont révélé la tendance à élargir la gamme des ouvrages « susceptibles d’être mauvais ».
Le résultat final demeurait, quoi qu’il en soit, le maintien de l’atmosphère de suspicion qui entourait une bonne part de la production de livres62,
en particulier ceux de littérature en langue vulgaire. Sur les livres en langue vulgaire et sur le simple fait d’en posséder – avant même de les lire – pesait un soupçon qui a eu des conséquences extrêmement graves sur l’accès à la lecture des couches sociales les plus basses63.
Sur le XVIe et le début du XVIIe siècle, beaucoup a été fait, mais il manque encore des études sur le fonctionnement de la censure dans la seconde moitié du XVIIe64 et au XVIIIe siècle. Pour comprendre comment évolua l’offre de livres de grande diffusion en Italie, des recherches chronologiquement plus étendues sont nécessaires, mais il faudra surtout se libérer de l’opposition obscurantisme/Lumières. Elle a dominé l’historiographie du XVIIIe siècle et a fini par mettre l’accent surtout sur les signes de faiblesse de la censure ecclésiastique, alors que de nombreux États d’Italie redéfinissaient, dès les années 1740, le contrôle des livres en organisant une censure laïque indépendante de l’Église de Rome. Il s’agit bien là d’un moment capital qui a parfois fini par compromettre les rapports entre l’État et l’Église – dans le grand-duché de Toscane65 par exemple – en limitant peu à peu le rôle des tribunaux ecclésiastiques, jusqu’à les supprimer. Ce processus a toutefois été lent et très variable selon les contextes66 : certains États, comme la République de Venise, n’ont jamais délégué à l’Église, même aux débuts de l’imprimerie, le contrôle sur l’édition. La République a toujours défendu l’autonomie de la censure laïque, tout en cherchant à éviter le conflit sur un terrain aussi délicat et, par conséquent, en faisant un usage massif de permis d’imprimer portant une fausse adresse typographique. Ce système permettait de publier des œuvres qui n’avaient pas la faveur de l’Inquisition, sans impliquer ouvertement l’État. À la longue, il est toutefois devenu dangereux, au point qu’on en a proposé l’abolition en 176567. Ailleurs, dans l’État piémontais par exemple, une censure laïque a été organisée dans les années 1740, mais elle n’a aucunement supprimé la censure ecclésiastique ; il s’est même créé une synergie entre les deux, du moins pour ce qui est des livres parus dans le pays68.
La naissance d’une censure laïque a certes influencé l’édition, la circulation des livres et l’élargissement du public des lecteurs, comme l’ont montré plusieurs études et comme on peut le déduire de l’offre importante telle qu’elle apparaît dans les catalogues des libraires-éditeurs, qui présentaient non seulement des ouvrages imprimés en Italie, mais aussi les nouveautés transalpines, y compris les genres prohibés, philosophiques et littéraires69. Face à ces changements, l’Église n’est pas restée immobile. Comme l’a récemment montré Patrizia Delpiano, elle a progressivement modifié sa stratégie en passant des « techniques de répression » aux « techniques de persuasion », un ajustement qui lui a permis de continuer à contrôler livres et lectures70. C’est ainsi que les positions de la hiérarchie romaine en matière de religion, d’éthique, de politique, de justice et d’éducation, se sont transformées en un torrent de normes officielles qui prirent la forme d’encycliques, d’instructions pastorales, de catéchismes, et en une avalanche de livres sur le comportement du bon chrétien. On y informait les fidèles sur les dangers de la lecture. Cette littérature permet d’ailleurs de réfléchir sur l’attention que l’Église a accordé aux genres qui s’apprêtaient a être largement diffusés, le roman en particulier, et aussi à un nouveau type de lecteurs en pleine croissance : le public féminin, auquel les éditeurs italiens – en retard par rapport à leurs collègues européens – se préparaient à offrir une gamme de plus en plus riche de livres, gamme qui sera encore élargie au siècle suivant. Loin d’être immobile dans le temps, l’Église s’est donc adaptée aux transformations en cours, et est parvenue à surmonter les attaques de la censure laïque, en persuadant – c’était le but des manuels de comportement –, ou bien en produisant elle-même des livres à même de répondre aux idées des Lumières, quelles que soient leurs formes d’expression. C’est ainsi que l’Église est à l’origine de romans anti-philosophiques, et qu’elle a fait un usage massif et agressif des comptes rendus dans la presse catholique.
Il reste encore beaucoup à faire dans la recherche sur les genres de grande diffusion. Une connaissance plus approfondie du fonctionnement de la censure, laïque et ecclésiastique, des mécanismes de contrôle et des différences entre la norme et la pratique permettra de mieux évaluer les changements de stratégie dans l’édition. Il est toutefois nécessaire que les nouvelles études ne négligent pas un problème que les historiens perçoivent avec difficulté, car il ne laisse que peu ou point de traces : l’autocensure des auteurs et des éditeurs. En effet, les transformations de l’édition, notamment dans les dernières décennies du XVIe siècle et au siècle suivant, ne furent pas seulement le résultat de la créativité et de la capacité des éditeurs et des auteurs à trouver de nouveaux lecteurs. Elles ont aussi été fortement conditionnées par les procès de l’Inquisition et par le climat de répression, en particulier en ce qui concerne les œuvres en langue vulgaire pour le grand public. De récentes études ont mis en évidence le fait qu’au XVIIIe siècle, dans une situation complètement différente, la réorganisation de la censure, voulue par Benoît XIV avec la bulle Sollecita ac provvida (1753) et avec l’Index de 1758, était une tentative pour proposer de nouvelles stratégies visant à encourager la pratique de l’autocensure chez les gens de lettres, et donc à créer un outil moderne et apte à combattre les erreurs de l’époque71.
Quelles que soient les méthodes adoptées, la nouvelle recherche ne pourra faire abstraction du dialogue entre les disciplines historiques, littéraires et bibliographiques. Il faudra d’une part reconstruire le corpus des titres des livres interdits, officiellement et officieusement ; il faudra d’autre part mieux comprendre par quels titres ils ont été remplacés, et comment les expurgations ont transformé les textes et les bibliothèques. Pour actualiser vraiment les connaissances sur les « livres pour tous », il sera tout d’abord nécessaire de reconstituer les catalogues historiques des éditeurs ou bien, dans le cas des libraires, de retrouver leur offre commerciale à partir des inventaires et des catalogues imprimés72. Un objectif qui peut sembler modeste – reconstruire les catalogues d’édition et de vente – pourra s’avérer comme une grande ressource dans la recherche sur les genres de grande diffusion, et permettra des études plus ciblées sur les textes dans leurs différentes éditions, sur la discordance entre les textes ayant déjà circulé en éditions prestigieuses et sur leurs simplifications dans une nouvelle édition, ou encore sur l’usage des images.
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1 Je cite d’après Robert Darnton, « Qu’est-ce que l’histoire du livre ? », dans Id., Gens de lettres, gens du livre, Paris, Odile Jacob, 1992, ici p. 192.
2 Donald F. McKenzie, What’s past is prologue. The Bibliographical Society and history of the book, [London ?], Hearthstone Publications, 1993 (« The Bibliographical Society Centenary Lecture », 14 VII 1992).
3 Roger Chartier, « De l’histoire du livre à l’histoire de la lecture : les trajectoires françaises », dans Archives et bibliothèques de Belgique, 1989, t. LX, no 1-2, p. 161-189, ici p. 164.
4 Voir la réflexion critique de Conor Fahy sur les études bibliographiques italiennes, du début du XXe siècle jusqu’aux années 1960 : C. Fahy, « La Bibliofilia e gli studi bibliologici in Italia », dans Cento anni di Bibliofilia. Atti del Convegno internazionale (Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, 22-24 aprile 1999), sous la direction de L. Balsamo, P. Bellettini, A. Olschki, Firenze, Olschki, 2001, p. 13-26.
5 La contribution de Conor Fahy a joué ici un rôle fondamental. Plus récemment, il faut ajouter celle de Neil Harris.
6 Luigi Balsamo, « Postfazione », dans Cento anni di Bibliofilia, ouvr. cité, p. 395-400, ici p. 397 : « cosicché una pluralità di indirizzi restano separati tra loro senza alcun tentativo di interazione (...). Questo è certo uno dei motivi per i quali l’Italia si trova attardata nell’avviare un progetto di sintesi critica della storia del libro rispetto a quanto è stato fatto, e si va facendo, in altri paesi ». Sur l’ampleur des intérêts de Balsamo, voir aussi les témoignages de Dennis E. Rhodes, « Presentazione », dans Libri, tipografi, biblioteche. Ricerche storiche dedicate a Luigi Balsamo, Firenze, Leo S. Olschki, 1997, 2 vol., ici I, p. VII-VIII.
7 Parmi les études bibliographiques, voir aussi les travaux de Alfredo Serrai, et en particulier sa Storia della bibliografia, Roma, Bulzoni, 1988-1999, 10 vol.
8 Luigi Balsamo, « Verso una storia globale del libro », dans Intersezioni, XVIII, 1998, p. 389-402, rééd. dans Per la storia del libro. Scritti di Luigi Balsamo raccolti in occasione dell’80o compleanno, Firenze, Leo S. Olschki, 2006, p. 105-127, citation p. 124 : « da una parte la storia della bibliografia offre una documentazione essenziale per ricostruire le vicende della produzione editoriale e della diffusione dei libri, dall’altra parte essa risulta indispensabile anche ai fini della storia delle idee ossia delle architetture del sapere in una determinata società e in una determinate epoca ».
9 Edoardo Barbieri, « Postfazione », dans Per la storia del libro, ouvr. cité, p. 162.
10 Mario Infelise, « Intellettuali, editori, libri », dans Tra Venezia e l’Europa. Gli itinerari di uno storico del Novecento : Marino Berengo, dir. G. Del Torre, Padova, Il Poligrafo, 2003, pp. 158-159 ; et, du même auteur, l’introduction à la réédition de M. Berengo, Intellettuali e librai nella Milano della Restaurazione, Milano, Franco Angeli, 2012, p. 7-20.
11 R. Chartier, De l’histoire du livre à l’histoire de la lecture, ouvr. cité, p. 165.
12 F. Diaz, « Metodo quantitativo e storia delle idee », dans Rivista Storica Italiana, LXXVII, 1966, p. 933-947. Id., « Le stanchezze di Clio. Appunti su metodi e problemi della recente storiografia della fine dell’Ancien Régime in Francia », ibid., LXXXIV, 1972, p. 683-745. Sur l’œuvre coordonnée par Furet (Livre et société dans la France du XVIIIe siècle, Paris, La Haye, Mouton, 1965-1970, 2 vol.) et sur le débat qu’elle provoqua, voir L. Braida, « La storia sociale del libro in Francia dopo Livre et société. Gli studi sul Settecento », dans Rivista Storica Italiana, CI (1989), p. 412-467, notamment p. 412-418.
13 L. Febvre, H.-J. Martin, La Nascita del libro, Roma, Bari, Laterza, 1977 (avec l’introduction d’Armando Petrucci). Il s’agissait de la traduction de la deuxième édition française, parue en 1971, et non de celle de 1958. Elle fut publiée en 1977 dans la collection « Universale Laterza », éditée par Armando Petrucci. Une note de la rédaction avertissait que ce n’était pas une traduction intégrale : « le chapitre d’introduction sur le livre manuscrit, dû à Marcel Thomas, a été omis ; la brève traduction sur le prétendu précédent chinois de M. R. Guignard ainsi que toute la section consacrée au livre pendant la Réforme ont également été éliminées », p. [2] (la citation vient de la réimpression de 1985).
14 Sur l’importance de la notion de « culture graphique », cf. R. Chartier, « Culture écrite et littérature à l’âge moderne », dans Annales. Histoire, Sciences sociales, LVI, 4-5, 2001, p. 783-803, avec une particulière attention pour (p. 785) deux livres de Petrucci, La Scrittura. Ideologia e rappresentazione (Torino, Einaudi, 1986) et Le Scritture ultime. Ideologia della morte e strategie dello scrivere nella tradizione occidentale (Torino, Einaudi, 1995).
15 Petrucci, « Introduzione » à L. Febvre, H.-J. Martin, La Nascita del libro, ouvr. cité, p. XXXVI (« affrettato e inesatto »).
16 Ibid., p. XX.
17 Ibid., p. XXXIX.
18 Ibid., p. XXXI.
19 A. Quondam, « La letteratura in tipografia », dans Letteratura italiana, II, Produzione e consumo, Torino, Einaudi, 1983, p. 555-685.
20 Renato Pasta, « Produzione, commercio e circolazione del libro nel Settecento », dans Un Decennio di storiografia italiana sul secolo XVIII. Atti del convegno della Società italiana di studi sul secolo XVIII (Vico Equense, 24-27 ottobre 1990), dir. A. Postigliola, Napoli, Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, 1995, p. 355-370, Id., « Towards a Social History of Ideas : the Book and the Booktrade in Eighteenth-Century Italy », dans Histoires du livre. Nouvelles orientations. Actes du colloque des 6 et 7 septembre 1990, Göttingen, dir. H. E. Bödeker, Paris, IMEC Éditions-Éd. de la MSH, 1995, pp. 101-138.
21 Sur les études italiennes d’histoire du livre, je renvoie aux articles cités de Renato Pasta.
22 Alfabetismo e cultura scritta nella storia della società italiana, Perugia, Università degli Studi, 1978. La bibliographie des études sur l’alphabétisation est très étendue : je revoie au volume de M. Roggero, L’Alfabeto conquistato. Apprendere e insegnare nell’Italia tra Sette e Ottocento, Bologna, Il Mulino, 1999.
23 A. Petrucci, « Per la storia dell’alfabetismo e della cultura scritta : metodi, materiali, quesiti », dans Alfabetismo e cultura scritta, ouvr. cité, p. 34.
24 C. Ginzburg, Le Fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle, Paris, Flammarion, 1980, p. XV.
25 R. Mandrou, De la culture populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles. La Bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Stock, 1964 (nouv. éd., ibid., 1975, avec une préf. inédite). Une perspective analogue a caractérisé les études de G. Bollème, Les Almanachs populaires aux XVIIe et XVIIIe siècles. Essai d’histoire sociale, Paris, Mouton, 1969 ; La Bibliothèque bleue. Littérature populaire en France du XVIIe au XIXe siècle, Paris, Julliard, 1971 ; La Bible bleue. Anthologie d’une littérature « populaire », Paris, Flammarion, 1975.
26 Mandrou, De la culture populaire, ouvr. cité.
27 R. Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1987, chapitres VII et VIII. Colportage et lecture populaire. Imprimés de large circulation en Europe XVIe -XIXe siècles, dir. R. Chartier, H.-J. Lüsebrink, Paris, IMEC-Éd. de la MSH, 1996 ; Les Lectures du peuple en Europe et dans les Amériques du XVIIe au XXe siècle, dir. H.-J. Lüsebrink, Y. G. Mix, J. Y. Mollier, P. Sorel, Bruxelles, Complexes, 2003. Cf. aussi Lesen und Schreiben in Europa 1500-1900, dir. R. Chartier, A. Messerli, Basel, Schwabe, 2000. La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage, dir. T. Delcourt, E. Parinet, Paris, Troyes, École des chartes, La Maison du Boulanger, 2000, et en particulier R. Chartier, « La Bibliothèque bleue en son histoire », p. 11-21.
28 R. Chartier, « Popular Appropriation : the Readers and their Books », dans Id., Forms and Meanings. Texts, Performances, and Audiences from Codex to Computer, Philadelphia, Univ. of Pennsylvania Press, 1995, p. 83-97.
29 Pour une mise à jour de la bibliographie sur les pliegos sueltos, cf. A. Castillo Gómez, « Testi di larga circolazione in Spagna tra antico regime ed età contemporanea », dans Libri per tutti. Generi editoriali di larga circolazione tra antico regime ed età contemporanea, dir. L. Braida, M. Infelise, Torino, Utet, 2010, pp. 293-310.
30 F. Novati, Scritti sull’editoria popolare nell’Italia di Antico Regime, dir. E. Barbieri, A. Brambilla, Roma, Archivio Guido Izzi, 2004. Sur Novati et son intérêt pour les imprimés populaires, cf. E. Barbieri, « Francesco Novati e l’editoria popolare bresciana fra Quattro e Seicento », dans Produzione e circolazione del libro a Brescia tra Quattro e Cinquecento, dir. V. Grohovaz, Milano, Vita e Pensiero, 2006, p. 133-164.
31 Arnaldo Segarizzi storico, filologo, bibliotecario. Una raccolta di saggi, dir. G. Petrella, Trento, Provincia Autonoma di Trento, Soprintendenza per i beni librari e archivistici, 2004.
32 J’ai résumé le contenu de trois lettres adressées à Novati les 20 et 26 mars, et le 18 avril 1909, citées par G. Petrella, Arnaldo Segarizzi : bibliografia, storia e filologia tra Otto e Novecento, ibid., pp. XIX-LXX (et en particulier p. LX).
33 Je ne veux pas proposer ici un aperçu des études italiennes sur les livres de grande diffusion, études extrêmement fragmentées en de nombreux essais, actes de colloques, articles de revues historiques, littéraires et bibliographiques, etc. Il s’agit, plus modestement, d’une réflexion sur les caractéristiques générales de ces recherches, sur les études qui depuis les années 80 les ont influencées, et sur les instances qui proviennent d’études extérieures à l’histoire du livre.
34 M. Infelise, I Remondini di Bassano. Stampa e industria nel Veneto del Settecento, Bassano, Tassotti Editore, 1980 ; nelle éd., 1990, révisée et mise à jour. Sur les Remondini : L’Editoria del ’700 e i Remondini, dir. Mario Infelise, P. Marini, Bassano, Ghedina e Tassotti, 1992 ; et l’important catalogue de l’exposition Remondini. Un editore del Settecento, dir. M. Infelise, P. Marini, Milano, Electa, 1990, p. 304-309.
35 Robert Darnton, Édition et sédition. L’univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1991.
36 L. Carnelos, I Libri da risma. Catalogo delle edizioni Remondini a larga diffusione (1650-1850), Milano, Angeli, 2008. Voir aussi L. Carnelos, « Con libri alla mano ». L’editoria di larga diffusione a Venezia tra Sei e Settecento, Milano, Edizioni Unicopli, 2012.
37 Article de L. de Jaucourt, dans Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettre, Paris, Briasson, David l’ainé, Le Breton, Durand, 1765, t. XIII, p. 783.
38 G. Montecchi, Aziende tipografiche, stampatori e librai a Modena dal Quattrocento al Settecento, Modena, Mucchi, 1988, p. 32-33. L. Matteucci, « Brevi cenni sulla tipografia in Lucca dal sec. XV al sec. XVIII », dans Rivista delle biblioteche e degli archivi, 31, 1920, p. 17-32.
39 P. Lucchi, « La Santacroce, il Salterio e il Babuino : libri per imparare a leggere nel primo secolo della stampa », dans Quaderni storici, 38, 1978 (numéro monographique Alfabetismo e cultura scritta, dir. A. Bartoli Langeli, A. Petrucci,), p. 593-639 ; Id., « Leggere, scrivere e abbaco : l’istruzione elementare agli inizi dell’età moderna », dans Scienze, credenze occulte, livelli di cultura, Olschki, Firenze, 1982, p. 101-119. P. F. Grendler, « Come Zuanne imparò a leggere : scolari e testi in volgare nelle scuole veneziane del ’500 », ibid., p. 87-99. P. Lucchi, « La prima istruzione. Idee, metodi, libri », dans Il Catechismo e la grammatica, dir. G. P. Brizzi, Bologna, Il Mulino, 1985, I, p. 225-285 ; Id., « Nuove ricerche sul Babuino. L’uso del sillabario per insegnare a leggere e scrivere a tutti in lingua volgare (sec. XV-XVI) », dans Lesen und Schreiben, ouvr. cité, p. 201-34.
40 « La Brieve risolutione di Aritmetica universale in qualsivoglia negotio dove intervenga numero, peso et misura », dans Vinegia, al poggio delle grida in Rialto, 1553, cité par Lucchi, « Leggere, scrivere e abbaco », art. cité, p. 115.
41 Je ne cite que les principales contributions des années 1980 et 1990. M. Cuaz, « Almanacchi e “cultura media” nell’Italia del Settecento », dans Studi storici, 25, 1984, p. 353-361. A. P. Montanari, « Gli almanacchi lombardi del XVIII secolo », dans Annali della Fondazione L. Einaudi, XXII, 1988, p. 43-95. L. Braida, Le Guide del tempo. Produzione, contenuti e forme degli almanacchi piemontesi nel Settecento, Torino, Deput. Subalpina di Storia Patria, 1989. G. Solari, Almanacchi, lunari e calendari toscani tra Settecento e Ottocento, Milano, Giunta region. toscana-Bibliografica, 1989. T. Plebani, « Gli almanacchi veneti del Settecento », dans L’Editoria del ’700 e i Remondini, ouvr. cité, p. 207-220. M. Formica, « Tra cielo e terra. Gli almanacchi romani del XVII e del XVIII secolo », dans Studi settecenteschi, XV, 1995, p. 115-62.
42 Très important pour les études sur le livre religieux a été le répertoire de A. Jacobson Schutte, Printed Italian Vernacular Religious Books 1465-1550, Genève, Droz, 1983. Sur l’importance de la Bible dans les éditions italiennes avant la prohibition de la Bible en langue vulgaire par l’Index de 1559, E. Barbieri, « Dai manoscritti alle stampe : lo status quaestionis », dans Le Bibbie italiane del Quattrocento e del Cinquecento. Storia e bibliografia ragionata delle edizioni in lingua italiana dal 1471 al 1600, Milano, Bibliografica, 1992, I, p. 1-184 ; sur les éditions religieuses, U. Rozzo, Linee per una storia dell’editoria religiosa in Italia (1465-1600), Udine, Arti Grafiche Friulane, 1993. Pour une bibliographie des études sur la littérature de dévotion, M. Rosa, « L’“Arsenal divoto” : libri e letture religiose nell’età moderna », dans Libri per tutti, ouvr. cité, p. 79-105.
43 E. Casali, Le Spie del cielo. Oroscopi, lunari e almanacchi nell’Italia moderna, Torino, Einaudi, 2003.
44 M. Roggero, Le Carte piene di sogni. Testi e lettori in età moderna, Bologna, Il Mulino, 2006.
45 O. Niccoli, « Un aspetto della propaganda religiosa nell’Italia del Cinquecento : opuscoli e fogli volanti », dans Libri, idee e sentimenti religiosi nel Cinquecento italiano, dir. A. Prosperi, A. Biondi, Ferrara, Modena, ISR-Panini, 1987, p. 29-38 ; et : Profeti e popolo nell’Italia del Rinascimento, Roma, Bari, Laterza, 1987.
46 U. Rozzo, La strage ignorata. I fogli volanti a stampa nell’Italia dei secoli XV e XVI, Udine, Forum, 2008.
47 L. Guerci, Istruire nelle verità repubblicane. La letteratura politica per il popolo nell’Italia in Rivoluzione (1796-1799), Bologna, Il Mulino, 1999.
48 S. Mori, Fogli volanti toscani. Catalogo delle pubblicazioni della Biblioteca di storia moderna e contemporanea di Roma (1814-1849), Milano, Angeli, 2008.
49 L. Guerci, Istruire nelle verità repubblicane. La letteratura politica per il popolo nell’Italia in Rivoluzione (1796-1799), Bologna, Il Mulino, 1999, p. 10.
50 Ibid., p. 12.
51 E. Bonora, « L’archivio dell’Inquisizione e gli studi storici : primi bilanci e prospettive a dieci anni dall’apertura », dans Rivista storica italiana, CXX, 2008, pp. 968-1002.
52 G. Fragnito, La Bibbia al rogo. La censura eclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologna, Il Mulino, 1997, p. 20. G. Caravale, L’Orazione probita. Censura ecclesiastica e letteratura devozionale nella prima età moderna, Firenze, Olschki, 2003.
53 G. Fragnito, Proibito capire. La Chiesa e il volgare nella prima età moderna, Bologna, Il Mulino, 2005, p. 17.
54 Sur les conséquences d’un double système de prohibitions et sur les abus au niveau local, cf. Fragnito, La Bibbia al rogo, ouvr. cité, p. 246-273 et p. 290-311. Voir aussi E. Rebellato, La Fabbrica dei divieti. Gli Indici dei libri proibiti da Clemente VIII a Benedetto XIV, Milano, Sylvestre Bonnard, 2008.
55 Sur la publication et circulation d’écrits hétérodoxes à Venise dans les années 40, cf. S. Cavazza, « Libri in volgare e propaganda eterodossa a Venezia 1543-1547 », dans Libri, idee, ouvr. cité, p. 9-28.
56 L. Braida, Libri di lettere. Le raccolte epistolari del Cinquecento tra inquietudini religiose e « buon volgare », Roma, Bari, Laterza, 2009, p. 85-88.
57 M. Firpo, Gli Affreschi di Pontormo a San Lorenzo. Eresia, politica e cultura nella Firenze di Cosimo I, Torino, Einaudi, 1997.
58 F. Barbierato, Nella stanza dei circoli. Clavicola Salomonis e libri di magia a Venezia nei secoli XVII e XVIII, Milano, Sylvestre Bonnard, 2002.
59 Id., « Scritti da essercitare : diffusione e usi dei libri di magia in età moderna », dans Libri per tutti, ouvr. cité, p. 42-56.
60 Roggero, Le carte piene di sogni, ouvr. cité.
61 R. Rusconi, « Le Biblioteche degli ordini religiosi in Italia intorno all’anno 1600 attraverso l’inchiesta della Congregazione dell’Indice. Problemi e prospettive di ricerca », dans Libri, biblioteche e cultura nell’Italia del Cinque e Seicento, dir. E. Barbieri, D. Zardin, Milano, Vita e Pensiero, 2002, p. 63-84. Id., « Frati e monaci, libri e biblioteche alla fine del ’500 », dans Libri, biblioteche e cultura degli ordini regolari nell’Italia moderna attraverso la documentazione della Congregazione dell’Indice, dir. R. M. Borraccini, R. Rusconi, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 2006, p. 13-36. G. Fragnito, « L’Indice clementino e le biblioteche degli Ordini religiosi », ibid., p. 37-62.
62 Rusconi, « Frati e monaci », art. cité, p. 21.
63 Sur certains procès de l’Inquisition et sur les sentences qui invitaient les lecteurs à peine alphabétisés à ne pas lire de « livres en vulgaire de n’importe quelle sorte », cf. S. Seidel Menchi, Erasmo in Italia 1520-1580, Torino, Bollati-Boringhieri, 1988, p. 289.
64 Sur la censure au XVIIe siècle : M. Cavarzere, La prassi della censura nell’Italia del Seicento. Tra repressione e mediazione, Roma, Ed. di storia e letteratura, 2011.
65 S. Landi, Il Governo delle opinioni. Censura e formazione del consenso nella Toscana del Settecento, Bologna, Il Mulino, 2000. La Censura nel secolo dei Lumi. Una visione internazionale, éd. Edoardo Tortarolo, Torino, Utet, 2011 (en particulier les essais de S. Landi et G. Imbruglia).
66 Pour une bibliographie des études sur la censure laïque, cf. L. Braida, « Censure et circulation du livre en Italie au XVIIIe siècle », dans Journal of Modern European History, 3, 2005, p. 81-98.
67 M. Infelise, L’Editoria veneziana nel ’700, Milano, Angeli, 1989, chap. II.
68 L. Braida, Il Commercio delle idee. Editoria e circolazione del libro nella Torino del Settecento, Firenze, Olschki, 1995, chap. II.
69 Sur les catalogues des libraires italiens, cf. R. Pasta, Editoria e cultura nel Settecento, Firenze, Olschki, 1997, chap. III. L. Braida, Il Commercio delle idee, ouvr. cité, chap. V.
70 P. Delpiano, Il Governo della lettura. Chiesa e libri nell’Italia del Settecento, Bologna, Il Mulino, 2007. Sur la censure ecclésiastique au XVIIIe siècle, A. Del Col, L’Inquisizione in Italia, Milano, Mondadori, 2006, chap. III et IV.
71 P. Delpiano, Il Governo della lettura, ouvr. cité.
72 Pour l’analyse d’un magasin de librairie à Venice au XVIIe siècle à partir d’un inventaire, voir S. Minuzzi, Il Secolo di carta. Antonio Bosio artigiano di testi e immagini nella Venezia del Seicento, Milano, Angeli, 2009. Sur les catalogues de vente des libraires voir M. Callegari, « Un prodotto tipografico a larga circolazione : i cataloghi di vendita libraria », dans La Fabbrica del libro. Bollettino di storia dell’editoria in Italia, XV, 2009, p. 2-8. Libri in vendita. Cataloghi librari nelle biblioteche padovane (1647-1850), dir. S. Bergamo, M. Callegari, Milano, Angeli, 2009.