Virgil Cândea, Mărturii româneşti peste hotare: creaţii româneşti şi izvoare despre români în colecţii din străinătate / Patrimoine culturel roumain à l’extérieur des frontières : productions culturelles roumaines et sources y relatives. Nouvelle série
Bucureşti, Biblioteca Bucureştilor, 2010-2011. Ier tome : Albanie – Éthiopie – 2010 ; IIe tome : Finlande – Grèce – 2011 ; IIIe tome : Inde – Pays-Bas – 2011
Mihaela Bucin
Université de Szeged
L’académicien Virgil Cândea (1927-2007) a travaillé comme éditeur, traducteur, professeur, historien de la culture roumaine, philosophe et enfin théologien. Membre de l’Académie roumaine des Sciences en 1994, il en a été le vice-président de 1998 à 2002. Parmi ses mérites figure d’abord celui d’avoir renouvelé les conditions de la documentation scientifique. C’est le sujet de son ouvrage, écrit en collaboration avec Aurel Averescu, publié en 1960 et intitulé Introducere în documentarea ştiinţifică /Introduction dans le processus de la documentation scientifique. Il s’agit d’une étude pionnière, qui n’est précédée mondialement que par celle de Paul Otlet (Bruxelles, 1930). Grand érudit qu’il fut, Candea produisit en outre d’importants résultats dans le domaine de l’orientalistique et de la byzantinologie. Dans une seconde phase, après 1963, il s’est consacré à la recherche sur l’histoire culturelle roumaine, étudiée dans le contexte sud-européen. Il a donné notamment Les Études sud-est européennes en Roumanie. Guide de documentation, 1966, ainsi que des travaux sur la modernisation de la pensée culturelle et du réseau institutionnel aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Virgil Cândea a consacré trois décennies à la recherche dans les bibliothèques et musées roumains et étrangers, avec comme objectif l’identification des éléments majeurs du patrimoine national conservés en dehors du pays. La première publication des résultats a été donnée dans son Répertoire général des monuments culturels du peuple roumain conservés à l’étranger (Repertoriul general al bunurilor culturale externe ale poporului român, 1962), dans lequel il décrit 62 000 objets en rapport avec la culture roumaine : manuscrits, documents imprimés, œuvres d’art, monuments construits par des roumains en pays étranger, etc. Les découvertes de Cândea dans les collections, bibliothèques et musées sont très importantes pour la culture et l’histoire roumaines. C’est lui qui avait repéré les manuscrits de Dimitrie Cantemir aux États-Unis, en Syrie, au Liban et en France ; la version arabe de la Chronique de Valachie (1292-1664) ; plusieurs manuscrits de langue arabe, qui sont autant de traductions de livres valaques conservés en Syrie, au Liban, à la Bibliothèque Vaticane, au Caire ou à Paris, etc.
Une synthèse de ces recherches est présentée ensuite, dans Mărturii româneşti peste hotare. Mică enciclopedie de creaţii româneşti şi de izvoare despre români în colecţii din străinătate, Bucureşti, Editura enciclopedică, 1991-1998, 2 vol. (Richesses culturelles roumaines à l’extérieur de nos frontières. Petite encyclopédie des productions et sources culturelles roumaines conservées en pays étranger). Il s’agit de la documentation et de la description d’environ un million d’objets ayant rapport avec le peuple roumain. Le premier volume regroupe dix-neuf et le second vingt pays. Le caractère pionnier de cette publication est indiscutable, et on peut affirmer avec certitude qu’elle constitue un point de départ obligé de toute recherche portant sur le patrimoine national. On y trouve aussi l’histoire de la diffusion mondiale des productions intellectuelles roumaines, chapitre très important de la formation de l’image du peuple roumain dans l’esprit des autres nations.
Le grand érudit s’est éteint en 2007, laissant à sa postérité environ 10 000 feuillets de notes et de manuscrits à des phases variées d’élaboration. Il avait étudié toutes les sources disponibles en rapport avec des œuvres produites par des Roumains, et les sources repérées dans les archives, bibliothèques, collections ou musées du monde entier, ont été complétées avec des éléments culturels venant d’autres nations, mais en rapport avec la civilisation et la culture roumaines. La base de données ainsi établie permet la reconstruction plus ou moins exacte de l’image que la nation roumaine a donnée d’elle-même dans le monde.
Après la mort de Cândea, les deux volumes ont été réédités dans le cadre d’une collection dont l’objectif est la présentation des monuments culturels dispersés dans le monde. La collection se compose de cinq volumes : les quatre premiers renferment les références, le dernier, les index permettant l’orientation du lecteur dans le corpus. Les tomes I et II présentent les résultats des travaux de Virgil Cândea entre 1991 et 1998, mais par ordre alphabétique des pays : A-E (t. I), puis F-G (t. II). Le troisième volume porte sur dix-huit pays supplémentaires – de l’Inde aux Pays-Bas –, dont trois – la Grande-Bretagne, Israël et l’Italie – ont bénéficié d’une attention particulière. Il donne en outre les notes des deux premiers volumes de la première édition (1991-1998), et les suppléments et ajustements au t. II. La réédition de la documentation accumulée par Virgil Cândea se conclut avec le chapitre du t. III consacré au Pays-Bas. Dans les volumes IV et suivants seront publiés les notes personnelles du savant, conservées dans ses archives : on y trouve de nombreux renvois aux ouvrages utilisés par le groupe de travail responsable de la nouvelle collection et par les collaborateurs appartenant à l’Institut des Études d’Europe Sud- orientale.
Un certain nombre de musées, archives et bibliothèques en dehors de la Roumanie s’intéresse de longue date à l’histoire roumaine. Dans l’introduction de son t. I, Virgil Cândea souligne (page VI) que « l’archidapifer Cantacuzino, dans son Histoire de la Valachie, cite au total vingt-six auteurs antiques, médiévaux et modernes ». Dans sa Hronicul vechimii a romano-moldo-vlahilor ou Chronique historique roumano-moldavo-valaque, Dimitrie Cantemir renvoie à une anthologie byzantine gréco-latine. La création des collections humanistes – pensons à celles des familles Cantacuzène, Brâncoveanu ou Mavrocordati – ne vise pas seulement à élargir les horizons culturels, mais répond aussi à la conviction que l’écriture de l’histoire roumaine ne peut ignorer les résultats de l’historiographie étrangère. Des savants comme Andrei Pippidi (qui a réuni et annoté les textes qui composent les trois premiers volumes), puis Andrei Timotin, Daniel Cain, Cristian Luca, Ovidiu Cristea, Daniel Suceava, Ovidiu Olar, Mihai Mitu, Vlad Alexandrescu, Liviu Bordas, George Grigore et bien d’autres ont contribué à la nouvelle édition.
La méthode mise en œuvre par Virgil Cândea est donc celle qui consiste à regrouper les informations par pays. Conformément à cette construction, le premier volume de la nouvelle collection commence par l’Albanie et se termine avec l’Éthiopie, le second volume se clôt avec la Grèce, et le troisième continue jusqu’au Pays-Bas. C’est aussi dans le premier volume qu’est exposée la méthodologie de l’entreprise. Pour chaque institution, l’ordre séquentiel est le suivant : archives, manuscrits, imprimés, périodiques, cartes, projets, œuvres d’art, objets muséologiques (d’ordre archéologique, numismatique, etc.). Les éléments appartenant à ces groupes sont munis de descriptions et de références détaillées. La nouvelle collection intitulée Patrimoine culturel roumain à l’extérieur des frontières a été publiée sous l’égide de l’Institut d’Études Sud-orientales de l’Académie Roumaine (Institutului de Studii Sud-Est Europene al Academiei Române, I.S.S.E.E.).
Pour donner une idée des dimensions du travail exécuté, notons que le chapitre consacré à la Grèce (tome II) renferme la description de plus de 3 400 objets, tandis que le chapitre « francais » en présente 1 400. Dans tous les cas, on peut s’attendre à l’émergence ultérieure de nouveaux documents, de nouvelles ressources et de nouveaux rapports entre eux. Prenons à titre d’exemple le cas du Japon, auquel ne sont rattachés que deux pièces, des œuvres originales de Constantin Brâncuşi, exposées dans deux musées d’État. De même en Lettonie, qui ne signale que deux pièces : les Avva Dorotei Învăţături (Enseignements d’Avva Dorotei), présentant la biographie de Petru Movilă, métropolitain de Kiev (paru en langue slavonienne, en 1628) ; et Sluzebnik (Lvov, 1637), paru avec le soutien et la bénédiction du même Petru Movilă, originaire de Suceava. Les deux volumes sont conservés à la Bibliothèque centrale de l’Académie des Sciences de Lettonie.
L’objectif de l’auteur a été de documenter, dans un registre très large, tous les éléments historiques en rapport avec la Roumanie et les productions artistiques et culturelles roumaines partout dans le monde. Pour les Roumains, la partie orientale de la Méditerranée fut toujours un terrain d’activité privilégié. Plusieurs œuvres d’art qui ornent aujourd’hui des villes situées à l’est du mont Athos – Jérusalem, Istanbul, Athènes et d’autres métropoles d’Europe sud-orientale – viennent d’artistes roumains. En conclusion de ses longues recherches Porfirie Uspenski affirme, d’après Virgil Cândea,
qu’aucun peuple orthodoxe n’a exécuté autant d’œuvres de bienfaisance sur le mont Athos que le peuple roumain.
Selon une autre idée mise en relief par l’auteur,
dans la région située entre les territoires centre-européens et le Proche Orient, les Roumains ont longtemps été presque le seul peuple à pouvoir bénéficier des avantages de l’imprimerie. Ce fait explique les mentions très fréquentes s’y rapportant, sur l’Athos, en Anatolie, à Jérusalem, dans le Sinaï, à Alexandrie, en Yougoslavie, en Ukraine, ainsi que dans les anciens monastères russes de l’Oural à la mer Caspienne. L’imprimerie de langue slavonienne créée (1508) en Valachie par Macarie a servi tous les peuples slaves orientaux qui utilisèrent cette langue liturgique.
On le voit, ce Patrimoine culturel roumain à l’extérieur des frontières peut intéresser non seulement le public roumain, mais aussi les lecteurs européens curieux des cultures de leur continent.