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L’histoire du livre en Amérique du Nord

Jacques MICHON

Université de Sherbrooke

Depuis une dizaine d’années, les chercheurs américains et canadiens ont fait d’importants efforts pour se doter d’une histoire nationale du livre et de l’imprimé. Après les travaux pionniers de William Charvat et John Tebbel aux États-Unis et de Claude Galarneau et George Parker au Canada, le temps était venu de faire le point sur l’histoire du livre en Amérique du Nord et d’intégrer dans de grands travaux de synthèses les progrès de cette discipline réalisés depuis le début des années 1980. Les trois volumes de l’Histoire du livre et de l’imprimé au Canada / History of the Book in Canada (3 volumes en français et 3 volumes en anglais) et les cinq volumes de l’History of the Book in America, offrent aujourd’hui, pour la première fois, une vue d’ensemble sur l’histoire de l’imprimé dans toutes les provinces canadiennes et les États américains. Ces huit volumes représentent près de 6 500 pages de textes et ont mobilisé plus de 250 rédacteurs. Cet ensemble monumental dresse le portrait d’une aventure dont les origines remontent aux premières années des colonies françaises, britanniques et espagnoles, et fournit tous les éléments pour bien comprendre l’évolution d’une industrie qui s’étend maintenant sur tout le continent.

Le cadre géographique adopté par les éditeurs de ces ouvrages correspond aux espaces nationaux actuels mais ne reflète que partiellement la dynamique continentale de cette industrie. Confinées dans les frontières actuelles, les histoires nationales du livre avaient tendance en général à négliger les dimensions extra-nationales du commerce de l’imprimé. Les histoires du livre au Canada et aux États-Unis, qui mettent l’accent sur les flux commerciaux entre les colonies et leurs métropoles respectives et les échanges extérieurs aux frontières nationales, voire intérieures entre États et provinces, permettent en partie de combler cette lacune.

Les études des volumes consacrés à la période coloniale font entrevoir ce que pourrait être une approche transfrontalière ou transrégionale. Elles aident à mesurer l’impact de l’exportation du modèle américain qui, au XVIIIe siècle, reposait essentiellement sur la publication de journaux et sur les commandes gouvernementales. On le voit notamment après 1763 lorsque, en devenant colonie britannique, la Province de Québec fut de facto considérée comme l’arrière-pays des colonies américaines qui y déversèrent leurs surplus d’imprimés et y exportèrent leur machinerie et leur main-d’œuvre. Après la guerre d’Indépendance (1776-1783), les exportations vers le Canada s’accentuèrent grâce à l’émigration au Canada des populations restées fidèles à la couronne d’Angleterre. Les descendants de ces populations loyalistes furent les principaux clients des produits américains et il n’en fallait pas plus pour que le marché canadien fût considéré par les Américains comme une extension naturelle de leur propre marché. En faisant concurrence aux éditeurs britanniques qui considéraient le Canada comme leur chasse-gardée, les éditeurs américains firent obstacle au développement d’une industrie canadienne indépendante.

NAISSANCE D’UNE INDUSTRIE DU LIVRE

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, le décalage démographique et commercial se creuse entre le Canada et les États-Unis : cette situation va façonner le monde de l’imprimé de part et d’autre de la frontière. Du côté américain, on note l’importance de la production et de l’importation ainsi que l’extension rapide du réseau des imprimeurs et des libraires. Du côté canadien, ce sont les importations et une production restreinte d’imprimés (tous postérieurs à 1750) qui dominent l’industrie naissante.

Dans le premier volume de l’History of the Book in America, l’évolution des entreprises commerciales est décrite selon le rythme imposé par les déterminations géographiques et le statut économique, politique et commercial de chacune des Colonies Unies de l’Amérique du Nord. Des statistiques sur la production américaine remontant jusqu’à 1640, réparties selon les régions, et sur les importations de 1701 à 1780 viennent d’ailleurs étayer ce panorama d’un commerce du livre déjà florissant. Pendant que les colonies américaines font du commerce avec la mère patrie et les autres colonies, les Français explorent de nouveaux territoires, cartographient l’Amérique du Nord et signent des traités de paix avec les populations autochtones. Les imprimés qui sont mis en circulation sont produits à l’étranger, même ceux qui sont uniquement destinés à une consommation locale1. Avant 1790, la production canadienne demeure relativement négligeable et apparaît souvent comme une extension des activités typographiques et commerciales des colonies américaines. C’est surtout l’importance de la culture orale, de la culture du manuscrit et de ses réseaux et la présence du livre importé qui caractérisent cette période2. Beaucoup moins alphabétisées que les colons anglo-saxons des colonies britanniques, les populations de la Nouvelle-France, comme l’a montré François Melançon, participent indirectement à la culture du livre et de l’imprimé3. L’accès à l’écrit est le plus souvent médiatisé par la parole publique de la hiérarchie catholique et de l’administration coloniale.

Au milieu du XVIIe siècle, la France occupait la plus grande partie de l’Amérique du Nord. Mais les colonies de la côte atlantique qui deviendront quelques décennies plus tard les États-Unis d’Amérique convoitaient déjà ces vastes territoires. Dès la fondation de Québec en 1608, les explorateurs français à la recherche de la route des Indes pénètrent loin à l’intérieur du continent en empruntant les grandes voies fluviales. En suivant le Saint-Laurent, ils remontent jusqu’aux Grands Lacs et, de là, jusqu’au golfe du Mexique. Ils parsèment le territoire de forts militaires et de places fortes afin de soutenir le commerce avec les Amérindiens qui deviennent leurs principaux alliés contre les Britanniques et les colonies américaines de la côte atlantique. Pendant ce temps, les colonies américaines au sud du 45e parallèle intensifient leurs relations commerciales avec Londres. Les villes côtières, de Boston à Charleston, constituent autant de points de contact avec la mère-patrie et servent de relais commerciaux avec l’arrière-pays. Les populations anglophones concentrées sur la côte Atlantique offrent un contraste saisissant avec les populations francophones de la Nouvelle-France, dispersées sur un immense territoire entre le golfe du Saint-Laurent et le golfe du Mexique. En 1755, la ville de New York, avec plus de 50 000 habitants, regroupait à elle seule autant d’individus que la Nouvelle-France qui, du Nord au Sud, s’étendait sur plus de 2 000 kilomètres. Les populations des colonies américaines augmentaient rapidement. En un siècle, de 1670 à 1770, elles passeront de 55 000 à plus de 2 millions d’habitants4, alors que, à la fin de la même période, la colonie française n’en comptait encore que 60 000. Une aussi faible démographie n’était pas de nature à favoriser le développement des industries du livre dans la colonie francophone. Les ouvrages produits dans la colonie étaient le plus souvent imprimés en France, puis importés et distribués par les marchands locaux.

Dans les colonies américaines, la concentration urbaine facilite l’apparition de presses à imprimer et l’établissement de comptoirs du livre5. L’impression de journaux et de documents gouvernementaux constitue la principale source de revenus des imprimeurs-éditeurs6 qui, pour combler leurs propres besoins en matière première, bâtissent même des moulins à papier. Les premiers grands entrepreneurs de la Nouvelle-Angleterre, des colonies du centre et du sud, comme William Bradford à Philadelphie et New York et William Parks et Robert Wells à Charleston, exercent à la fois les métiers d’imprimeur, d’éditeur, de libraire et de papetier7. L’introduction de l’imprimerie au Canada est intimement liée à l’expansion de l’Empire colonial britannique en Amérique du Nord. En Nouvelle-Écosse, colonie arrachée à la Nouvelle-France par le traité d’Utrecht en 1713, un imprimeur originaire de Boston, John Bushell, implante la première presse à imprimer en 1752. Bushell fonde alors The Halifax Gazette, qui reproduit les nouvelles de Londres repiquées de journaux américains. Après le traité de Paris de 1763, deux imprimeurs originaires de Philadelphie, William Brown et Thomas Gilmore, s’installent à Québec et y publient, en 1764, La Gazette de Québec / Quebec Gazette8.

Au moment où le Canada fait son entrée dans le réseau de la culture de l’imprimé, les colonies américaines sont sorties de leur isolement et ont intensifié leurs échanges commerciaux réciproques. Les compagnons qui ont fait leur apprentissage dans les ateliers des villes de la côte atlantique ont créé des ateliers dans l’arrière-pays 9. Les imprimeurs de la Nouvelle-Angleterre sont alors en concurrence avec ceux des colonies du Centre et du Sud et ils participent ensemble à l’essor de la culture de l’imprimé dans toutes les parties de l’Amérique britannique. Les échanges entre les colonies américaines prennent de l’ampleur comme en témoigne le titre d’un périodique de James Rivington publié de 1773 à 1775, le Rivington’s New-York Gaxetteer, or the Connecticut, Hudson’s River, New Jersey and Quebec Weekly Advertiser 10. Cette expansion favorise l’émergence d’un espace public nord-américain et le sentiment d’appartenance au continent. Les habitants des Treize colonies britanniques commencent à se désigner eux-mêmes comme Américains. Les Français nés au Canada s’appelaient déjà eux-mêmes Canadiens et les Anglais résidant au Canada se définissent toujours alors comme des Britanniques d’Amérique du Nord11. En même temps que, des deux côtés de la frontière, se développe le sentiment d’appartenance au continent, les premiers réseaux de collaboration entre imprimeurs-éditeurs des principales villes se mettent en place. Dominée par la figure charismatique de Benjamin Franklin, cette nouvelle ère coïncide avec l’apparition d’une nouvelle conception de la presse périodique, indépendante des pouvoirs publics et ouverte à tous les courants politiques.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la librairie est en pleine transformation. Dans les colonies du centre, comme le souligne James N. Green, la production des imprimeurs double de 1740 à 1770 et l’importation de livres quadruple12. Les libraires des colonies transigent désormais d’égal à égal avec leurs confrères de Londres et modifient leurs stratégies commerciales sous l’influence de nouveaux venus comme James Rivington et Robert Bell13. Pour concurrencer les importations britanniques, les libraires américains, plus audacieux que leurs confrères britanniques, coupent les prix en réduisant les formats des réimpressions des ouvrages anglais les plus populaires14. Ils vont même jusqu’à vendre ces ouvrages à perte afin de s’attacher les clientèles des villes de Philadelphie, New York et Boston. Avec eux, la littérature de divertissement d’origine britannique fait donc son entrée dans les colonies en formats réduits réimprimés sans autorisation comme cela se pratiquait couramment à l’époque15. Les nouveaux libraires-éditeurs stimulent ainsi la consommation par une offre de titres sans cesse renouvelée et enrichie.

Cet essor est bientôt compromis par la guerre d’Indépendance, la politique commandant alors les activités sociales. Le commerce avec Londres est interrompu. Les livres britanniques n’arrivent plus que par des voies détournées et les journaux et les brochures produits localement connaissent alors des développements importants16. Les imprimeurs loyalistes demeurés fidèles à la couronne britannique retournent en Angleterre ou émigrent au Canada, notamment en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick (créé en 1784) et à l’Ile-Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard à partir de 1799)17. Ils seront remplacés par de nouveaux venus sympathiques à la République18. En 1783, après le retour à la paix, les imprimeurs de Boston ne seront plus les mêmes, constate Hugh Amory19.

En 1776, la Révolution avait ouvert une brèche au Québec avec l’expédition militaire de Richard Montgomery. Bien que cette expédition ait été un échec, elle permit d’introduire la première presse à imprimer à Montréal, avec Fleury Mesplet. Originaire de Lyon, Mesplet avait exercé son métier à Philadelphie au cours des deux années précédentes20. Les relations commerciales avec les régions de l’intérieur n’étaient pas toujours faciles. La barrière naturelle des Appalaches et l’absence de voie fluviale coupait Boston de son arrière-pays, comme l’a déjà montré William Charvat21. Grâce à l’Hudson, le Vermont se trouvait commercialement plus proche de New York, dont il était cependant plus éloigné en kilomètres, que Boston22. Cet axe naturel nord-sud favorisera aussi les relations commerciales entre la métropole américaine et le Bas-Canada (Québec).

Contrairement à ce qu’on a pu croire, la Révolution américaine ne change pas immédiatement la structure des échanges intellectuels entre la nouvelle République et l’Angleterre. Dans les années qui suivent l’Indépendance, la production littéraire de l’ancienne mère patrie jouit toujours d’un grand prestige et garde la préférence des lecteurs américains23. Devenue la capitale de la Fédération, Philadelphie supplante Boston comme principal centre éditorial. Avec l’affirmation du sentiment national, une première loi du copyright est adoptée : elle va façonner l’industrie du livre américain pour les deux siècles à venir24. Cette loi, applicable uniquement sur le territoire américain, n’était valable que pour des auteurs nés ou résidant aux États-Unis et elle n’opposera aucun obstacle à la réimpression non autorisée d’ouvrages britanniques. Les écrivains américains profiteront de l’isolement de l’Amérique durant la guerre anglo-américaine de 1812 pour répondre aux demandes d’un marché local en pleine expansion. Comme note Ann Fabian, c’est de cette époque que daterait la professionnalisation du métier d’écrivain aux États-Unis25. On verra apparaître alors les premiers éditeurs professionnels qui, après le blocus, entameront des relations commerciales suivies avec leurs collègues de Londres et signeront avec eux des accords d’exclusivité pour enrayer une piraterie littéraire toujours florissante.

INDUSTRIE NATIONALE ET LITTÉRATURE TRANSATLANTIQUE

Dans l’économie générale de l’imprimé au XIXe siècle, les journaux et les périodiques occupent de loin la première place. Alors que l’imprimerie européenne a mis près de deux siècles avant de faire paraître ses premiers journaux, le journal est né avec cette industrie dans les colonies anglaises de l’Amérique et il constituera la première source de revenus des auteurs et des éditeurs. La presse périodique connaît donc un essor considérable après 1840. Eric Lupfer dénombre plus de 2 500 magazines entre 1850 et 1865 et note qu’à cette époque, chaque grande maison d’édition en publie au moins un26. Les éditeurs y font paraître des comptes rendus d’ouvrages ayant souvent déjà fait l’objet d’une prépublication en revue et contribuent ainsi à façonner la carrière des écrivains américains.

Au Canada français, il faudra attendre la fin du blocus continental au début du XIXe siècle avant de voir apparaître les premières librairies, qui seront les premiers foyers intellectuels favorables au lancement de revues littéraires. Malgré des efforts pour imposer leurs propres ouvrages dans les colonies canadiennes, les éditeurs de Grande-Bretagne ne réussissent pas à endiguer le flot des revues, journaux et rééditions américaines d’ouvrages britanniques qui franchissent les frontières. Les tableaux statistiques sur le commerce du livre montrent que, au milieu du XIXe siècle, le Canada est de loin le premier client étranger de l’édition américaine. À lui seul, il absorbe en 1855 plus de la moitié (54 %) des exportations de livres et imprimés américains. En 1875, cette proportion augmentera à 57 %27. Déjà, en 1868, le ministre des Finances canadien admettait que 90 % des réimpressions américaines échappaient au contrôle de ses douaniers28.

Les rééditions américaines mêmes légales d’ouvrages britanniques prévalaient sur le marché canadien. Dans ce contexte, les éditeurs canadiens avaient beaucoup de difficultés à tirer leur épingle du jeu. Ils étaient coincés entre une loi impériale qui octroyait aux Américains des privilèges (comme la réimpression) refusés aux Canadiens et l’abondance des importations américaines qui enfreignaient les lois canadiennes. En 1871, pour sortir de cette impasse, l’éditeur montréalais John Lovell trouve une solution en ouvrant une succursale dans l’état de New York à 80 kilomètres de Montréal où il composait, en toute légalité, des ouvrages contrefaits d’ouvrages britanniques destinés aux deux marchés canadien et américain29.

Au Canada comme aux États-Unis, le prix exorbitant des livres britanniques favorisait la piraterie qui sera longtemps l’un des principaux freins au développement des littératures nord-américaines. Pour tirer le meilleur parti de leurs œuvres, les auteurs canadiens et américains les faisaient paraître simultanément dans plusieurs pays. On verra ainsi se développer une culture littéraire transatlantique où les auteurs américains et canadiens seront édités simultanément aux États-Unis, en Angleterre et en Australie30. Gwendolyn Davies présente le cas typique d’un auteur canadien (James DeMille) qui, après avoir fait paraître ses œuvres en feuilleton à Halifax, les offrait à Harper de New York qui en négociait les droits pour l’Angleterre et l’Australie31. Même un auteur canadien-français comme Louis Fréchette a pu accéder à ce marché en faisant publier en 1899 ses contes de Noël en traduction (Christmas in French Canada) simultanément à Toronto, Londres et New York chez trois éditeurs différents, Morang, Murray et Scribner.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’écart démographique augmentant entre le Canada et les États-Unis, la dépendance du Canada à l’égard du marché américain s’accentuera32. Alors que

le Canada se classait loin derrière l’Australie, les Indes orientales et l’Afrique du Sud dans la liste des clients étrangers des éditeurs britanniques, l’examen des sources internationales d’approvisionnement en livres au Canada confirme la prééminence écrasante des États-Unis,

constate Fiona Black33. Avant la Première Guerre mondiale, près de 74 % des ouvrages importés au Canada provenaient des États-Unis et 20 % de la Grande-Bretagne. Cet écart s’agrandira au cours du XXe siècle. De plus, New York sera et demeurera longtemps le premier lieu de publication des meilleurs écrivains canadiens-anglais.

L’expansion du marché national et international du livre américain suscite l’émergence de nouveaux intermédiaires, grossistes et représentants, qui s’interposent entre éditeurs et détaillants. Ils font une première percée au lendemain de la guerre de Sécession. Les grossistes achètent des livres à rabais et les revendent avec profit à un prix concurrentiel. Les remises et les ventes à commission remplacent ainsi le système des foires en vigueur depuis 1824, au cours desquelles les éditeurs plaçaient les commandes, dressaient leur bilan, acquittaient les factures et pratiquaient une forme de troc avec leurs principaux clients34. Les provinces canadiennes feront partie des clients de ces compagnies de gros, notamment de l’American News Company, l’une de ces firmes alors les plus importantes. Pour atteindre une clientèle dispersée dans d’innombrables petites localités, les grands éditeurs et les grossistes américains font appel à des représentants commerciaux qui sillonnent le pays et rencontrent chaque détaillant pour lui faire connaître les publications des éditeurs de New York et de Boston et recevoir les commandes. Les représentants visitent non seulement les librairies, mais aussi tous les types de commerces susceptibles d’écouler rapidement les titres les plus en vogue. À cette époque, note Michael Winship, l’industrie du livre et la population en général croissent plus rapidement que le monde de la librairie. Les représentants doivent donc trouver de nouveaux débouchés dans des circuits commerciaux non conventionnels35.

Après plusieurs années de débats, dans le but de mettre fin à la piraterie des ouvrages britanniques et de protéger les intérêts des grands éditeurs américains liés par contrat avec des firmes anglaises, le Congrès américain ratifie, en 1891, une première convention internationale avec la Grande-Bretagne (connue sous le nom de loi Chase)36. Cette entente contient une clause de fabrication (dite manufacturing clause) qui oblige les éditeurs étrangers qui veulent être protégés, à fabriquer ou à faire imprimer leurs ouvrages aux États-Unis. Cette disposition protectionniste ouvrira la porte à l’établissement de succursales des deux côtés de l’Atlantique37 et scellera par le fait même le sort de l’édition canadienne pour un siècle. Le décor est planté « pour une métamorphose complète de l’édition canadienne », écrit George Parker38. Le pillage des éditions britanniques ayant pris fin, les éditeurs torontois obtiendront enfin le droit exclusif de publier des auteurs britanniques au Canada. Ils deviendront les agents exclusifs de maisons de New York et de Londres. Les premières succursales des grandes firmes étrangères viendront s’établir au Canada. Le nouveau système de distribution exclusive mis en place assurera une base financière aux maisons torontoises qui seront ainsi en mesure de lancer des auteurs canadiens. La « manufacturing clause » américaine incitera toutefois les écrivains canadiens les plus en vue à faire paraître encore leurs ouvrages à New York avant de les faire rééditer sous licence au Canada.

COPYRIGHT ET CULTURE DE MASSE

Après la guerre de Sécession, l’expansion territoriale des États-Unis favorisera le développement des marchés à l’échelle du continent. Si la population américaine double de 1880 à 1916, passant de 50 à 100 millions d’individus, la production des éditeurs, elle, quintuple durant la même période, passant de 2 000 à 10 000 titres par année39. Les tirages des revues et magazines atteignent des sommets, avec trois fois plus d’exemplaires vendus en 1905 (64 millions) qu’en 1890 (18 millions)40. Pour suivre ce rythme de croissance, les grandes maisons d’édition apparues avant la guerre, toujours sous le contrôle de grandes familles, doivent se réorganiser et se recapitaliser41. Dans un pays dont le territoire s’agrandit rapidement et dont la population très mobile et dispersée croît à un rythme accéléré, l’implantation de réseaux de distribution efficaces constitue le principal défi à relever. Les firmes, devenues des sociétés anonymes à capital fermé, donnent le ton, mais l’industrie, à l’exception du secteur scolaire42, ne connaît pas encore le phénomène de la concentration43.

Au cours du XIXe siècle, la presse périodique est devenue un outil important de développement et d’intégration sociale ainsi qu’un vecteur des idéologies dominantes. Le sentiment nationaliste culmine aux États-Unis après la guerre de Sécession et au Canada après l’instauration de la Confédération en 1867. La généralisation de la culture de l’écrit et le boom économique de la fin du siècle favorisent l’essor des magazines et une culture de grande consommation : les magazines deviennent les premiers véhicules publicitaires des principales marques nationales. Encore au service de l’édition littéraire au milieu du siècle, ils se transforment alors en sociétés commerciales financées par la publicité des grandes firmes44.

En remplaçant la production locale des biens de première nécessité par des produits de marque distribués à l’échelle du continent, la grande industrie propose aux classes moyennes un nouvel ethos de la consommation et de la culture45. Quoique réfractaires à ce renversement de perspective, les éditeurs de livres doivent suivre l’évolution générale qui n’a de limite que celle fixée par les capacités de dépenser des consommateurs46. Les auteurs du quatrième volume de l’History of the Book in America montrent comment les éditeurs multiplièrent les initiatives pour diffuser leurs fonds dans une grande variété de produits populaires en favorisant l’expansion d’une culture industrielle déclinée dans d’innombrables formats : livres de club, livres de poche, adaptations filmées et feuilletons47. Dès lors, l’industrie connaît une expansion indéfinie des produits sous copyright. Dans l’entre-deux-guerres, l’essor des droits dérivés issus des activités de transfert facilite la montée en puissance des agents littéraires, qui tissent des liens étroits avec les auteurs48 qui leur confient de plus en plus la gestion de leurs œuvres. Le nom d’un auteur n’est plus, comme au siècle précédent, associé à une seule firme. Ce nouveau phénomène jette les bases de ce que deviendra l’édition américaine des années 1960 et 1980.

MONDIALISATION ET BIBLIO-DIVERSITÉ

La Seconde Guerre mondiale inaugure un tournant décisif dans l’internationalisation du livre américain et dans les modes de commercialisation des produits destinés à l’exportation. Avant la guerre, les exportations de livres ne représentaient que 5 % de la production nationale américaine49. Les exportations d’ouvrages sous copyright commencent à dépasser les importations après l’entrée en guerre du pays. Cette tendance s’accentue dans les décennies suivantes jusqu’à représenter, au début des années 2000, le premier secteur d’exportation du pays et plus de 5 % du produit intérieur brut50. Dans le dernier volume de l’History of the Book in America, Beth Luey et John Hench montrent comment les éditeurs exportèrent leurs livres dans le monde avec l’appui de l’Office of War Information (OWI) créé en 194251. Dans cet effort de diffusion à l’étranger, l’American Book Publishers Council, le syndicat national des éditeurs fondé en 1945, jouera un rôle déterminant.

Durant la guerre froide, avec l’appui du gouvernement américain et de l’American Book Publishers Council, l’expansion du livre hors frontières s’accroît avec un certain succès au Moyen-Orient et en Amérique latine, comme le notent Dan Lacy et Robert W. Frase52. Plusieurs grandes firmes ouvrent des succursales à l’étranger. Dans le domaine du livre, la balance commerciale des États-Unis avec la Grande-Bretagne sera largement favorable aux éditeurs américains. Dans les années 1960, les éditeurs américains vendront deux fois plus de livres aux Britanniques que les éditeurs britanniques n’en vendront aux Américains, et ils deviendront bientôt les premiers producteurs de titres traduits de l’anglais dans le monde53.

Une autre étape dans la mondialisation du livre américain est franchie avec l’adhésion des États-Unis à la Convention universelle sur le droit d’auteur en 196054 et à la Convention de Berne en 1989. Dès lors, les exportations américaines continueront d’augmenter55. Sur le marché intérieur, malgré la concurrence accrue des médias électroniques et des industries du divertissement, les ventes de livres sont aussi en hausse56, ce qui incite les éditeurs étrangers à investir aux États-Unis 57. Le livre de poche (paperbacks) contribue pour une grande part à l’essor général de l’industrie. Il ouvre la porte à la grande diffusion. Grâce aux livres de poche, les éditeurs touchent le consommateur des grandes surfaces, des kiosques à journaux et des petits commerces situés dans des régions qui leur étaient jusque-là inaccessibles58. Dès les années 1950, les ventes des livres de poche constituaient la première source de revenus des grandes maisons d’édition et dépassaient celle des livres en édition régulière.

A 1952 newspaper columnist, écrit Beth Luey, opined that without paperback royalties most New York trade houses would be operating in the red, and there is evidence that trade editors were consulting paperback publishers about manuscripts before offering contracts to authors59.

Il semble toutefois que, forts de la croissance commerciale des années 1960, plusieurs éditeurs aient mal évalué la demande des lecteurs, entraînant l’édition dans une crise budgétaire qui culminera dans les années 1980. Plusieurs firmes parmi les plus prestigieuses passeront alors aux mains de grandes sociétés de communication60. L’intégration du livre dans le réseau global des industries du divertissement donne naissance à de grandes sociétés comme Time-Warner et Vivendi Universal. Selon Beth Luey, c’est une suite logique à la croissance générale de l’industrie et une réponse aux besoins de financement des entreprises61 : les craintes exprimées par les professionnels du livre concernant les dangers de la concentration auraient été exagérées. Les statistiques de l’édition américaine pour les années 2000 semblent d’ailleurs lui donner raison. En 2005, avec plus de 80 000 maisons d’édition enregistrées aux États-Unis et environ 200 000 nouveaux titres lancés par année, le dynamisme du livre américain semble loin d’être menacé62. Dans leur essai sur l’édition indépendante, Dan Simon et Tom McCarthy constatent par ailleurs que les profits anticipés par les fusions d’entreprises n’ont pas été au rendez-vous. Ils font plutôt état d’un déplacement significatif de la production vers de petites structures dont plusieurs gravitent autour des campus universitaires63. L’abandon par les grandes corporations de la production à faible et moyen tirage (10 000 exemplaires et moins) attire l’attention des presses universitaires également en crise qui se tournent vers le grand public en lui destinant de 20 à 30 % de leurs nouveaux ouvrages64.

L’essor de l’édition indépendante reposerait également en grande partie sur la mutation des ventes au détail résultant de l’apparition des méga-librairies et d’Amazon.com. Au lieu de favoriser comme prévu l’écoulement des bestsellers, les grandes chaînes des années 1990 comme Barnes & Noble et Borders auraient plutôt fait grossir les ventes des fonds littéraires et favorisé l’écoulement des ouvrages des maisons indépendantes65. Amazon.com qui, en 2002, représentait 8 % des ventes au détail des livres destinés aux adultes, était devenu en 2005 le principal distributeur des presses universitaires américaines66. Si ces données encourageantes pour l’édition indépendante semblent contrer les impacts négatifs de la concentration éditoriale, elles ne font pas oublier le fait que les plus importantes maisons d’édition américaines demeurent encore sous le contrôle des industries de communication. Dans une étude de cas consacrée à la diffusion de Silent Spring de Rachel Carson publié par un éditeur indépendant au début des années 1960, étude qui eut un impact social important en contribuant à l’interdiction du DDT aux États-Unis, Priscilla Coit Murphy montre comment le succès de l’ouvrage, dont la diffusion fut amplifiée par la rumeur médiatique de l’époque, ne serait plus pensable aujourd’hui dans un contexte où les maisons d’édition capables de soutenir pareille initiative sont contrôlées par des firmes cotées en bourse et de grandes agences de publicité67. Dans un pareil cas, comme le soutient Priscilla C. Murphy, l’intégrité d’un auteur et de ses travaux ne pouvait être défendue que par une grande firme indépendante, du genre de celles qui ont disparu dans les années 1980 et 1990. Important vecteur de changement dans les années 1960, le livre de Carson n’aurait pu voir le jour et bénéficier d’une aussi large diffusion sans le soutien d’une grande maison d’édition à l’abri des pressions extérieures.

GROUPES LINGUISTIQUES MINORITAIRES ET CULTURE DOMINANTE

Au-delà de l’évolution de la grande édition, les auteurs de l’History of the Book in America et de l’Histoire du livre et de l’imprimé au Canada se sont penchés sur l’histoire de l’imprimé dans la vie quotidienne des citoyens et sur le fonctionnement des institutions de lecture. De l’édition gouvernementale à celle des groupes religieux, de la presse ethnique à l’édition technique et scientifique, de la presse underground aux publications spécialisées pour les alcooliques anonymes et les aveugles, de l’histoire des bibliothèques publiques à celle des clubs de lecture, presque toutes les facettes des activités liées à la culture du livre sont prises en compte. L’imprimé y apparaît non seulement comme un vecteur du changement social, mais aussi comme un instrument d’intégration et de conformité68. La presse ethnique destinée aux populations issues de l’émigration constitue un phénomène important au Canada comme aux États-Unis. La Première Guerre mondiale et ses lois discriminatoires envers les minorités non-anglophones qui accélèrent leur processus d’assimilation entraînent le déclin progressif des publications périodiques en langues étrangères69. Il en va de même pour les publications des deux minorités religieuses les plus importantes, les minorités juives et catholiques, qui, après 1914, sont rapidement intégrées dans la culture dominante70.

Parmi les groupes linguistiques, seule la minorité hispanophone constitue un bloc assez solide pour résister à l’assimilation culturelle et continuer à se développer, et ce, grâce notamment à l’appui d’organes de presse et de maisons d’édition autonomes qui entretiennent un esprit de résistance à l’intégration culturelle forcée. Bénéficiant d’une forte croissance démographique, la culture de l’imprimé en espagnol ne cesse donc de s’épanouir au XXe siècle et se rapproche progressivement du « mainstream », allant jusqu’à inciter les grandes maisons d’édition commerciales à lancer leurs propres collections de livres en espagnol, notamment à l’issue de la renaissance littéraire hispanophone des années 198071. En 2005, la production en espagnol atteignait des sommets avec la publication annuelle de plus de 80 000 titres72. Après avoir été maintenues à l’écart de la culture de l’imprimé, les populations négro-américaines créeront à leur tour au XIXe siècle plusieurs réseaux de communication parallèles, journaux, associations et clubs de lecture, dont les ramifications s’étendront jusqu’au Canada73. Les principaux porte-parole de la population noire agiront ainsi au sein d’institutions parallèles jusqu’aux années 1960, soit jusqu’à la victoire des droits civiques américains. Cette victoire leur ouvrira la porte des institutions culturelles dominantes, de la presse nationale et des grandes maisons d’édition et rendra dès lors leurs activités parallèles moins nécessaires74.

La diversité fait partie intégrante de l’espace éditorial canadien. Dans cet espace divisé en deux grandes zones linguistiques, anglaise et française, les publications étrangères occupent toujours la première place75. Nous avons vu précédemment comment la convention américano-britannique sur le copyright de 1891 avait contribué à restructurer l’industrie du livre au Canada anglais. Dominée par les filiales américaines et britanniques installées à Toronto, une industrie canadienne-anglaise autonome s’est développée autour de grandes maisons d’édition scolaire qui étaient aussi des agences de distribution exclusive de titres étrangers76. Avant la Première Guerre mondiale, peu de livres étaient édités au Canada anglais77. Les revenus tirés de la vente exclusive de titres américains et britanniques représentaient le principal moteur du développement de l’industrie. Dans l’entre-deux-guerres, cette manne financière favorisa la publication d’œuvres canadiennes78. Jusqu’aux années 1970, plusieurs ouvrages canadiens furent lancés aux États-Unis en première édition, afin de bénéficier de la protection de la loi américaine qui comportait toujours une clause de fabrication sur le territoire américain. Dans les années 1950, 10 % seulement des livres vendus au Canada anglais y étaient fabriqués, 86 % des importations provenaient des États-Unis et le reste était importé de Grande-Bretagne. Dans le contexte d’un marché canadien en rapide expansion, plusieurs grandes firmes américaines s’installèrent à Toronto dans les années 1960. Elles remplacèrent les intermédiaires canadiens dans la revente de leurs ouvrages, mirent sur pied leurs propres programmes d’édition canadienne et firent l’acquisition d’importantes maisons locales indépendantes. Dans les années 1970, cette pénétration massive de capitaux américains et la vague d’acquisition qui s’ensuivit bouleversèrent le paysage éditorial canadien anglais et provoquèrent une crise nationale sans précédent, obligeant les gouvernements ontarien et canadien à intervenir pour sauver l’industrie nationale du livre. Un programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (Padié) fut dès lors adopté.

Dans un contexte différent et avec d’autres acteurs, l’édition en français connut une évolution semblable. Depuis le tournant du siècle, le marché du livre français au Canada était dominé par quelques grossistes locaux qui alimentaient en livres importés de France et de Belgique les institutions d’enseignement et les petits détaillants. À cela s’ajoutaient quelques publications canadiennes dont ils étaient souvent les éditeurs et qui représentaient moins de 5 % des ventes. Comme au Canada anglais, l’entre-deux-guerres vit apparaître les premières maisons d’édition dignes de ce nom. Mais elles furent, dans la plupart des cas, victimes de la crise économique des années 1930. La Seconde Guerre mondiale remit l’économie canadienne sur les rails et donna un nouveau souffle à cette jeune édition qui connut alors un essor sans précédent, suite à l’interruption des relations commerciales avec l’Europe occupée79. Après la guerre, les éditeurs français et belges découvrirent le potentiel économique de ce marché qui avait été développé en grande partie par les éditeurs des années 1940. Dans les années 1950, des maisons françaises et belges ouvrirent des succursales à Montréal pour la diffusion et la distribution de leurs propres ouvrages.

L’arrivée de la Librairie Hachette sur le marché québécois et l’introduction de sa collection de livres de poche à la fin des années 1950 contribueront à déstabiliser un système de distribution mis en place par les grossistes à la fin du siècle précédent. Favorisées par les changements de structures et de mentalité suite à la Révolution tranquille des années 1960, les activités d’Hachette contribueront à mettre fin au monopole des grossistes ; dans les années 1970, ils seront remplacés par des maisons de distribution exclusive contrôlées en totalité ou en partie par des intérêts français, belges et québécois80. Comme au Canada anglais à la même époque, l’acquisition d’entreprises québécoises par des firmes étrangères suscite la grogne des professionnels locaux. Une loi du Gouvernement du Québec entrée en vigueur en 1981 vient encadrer les pratiques de la profession. En plus d’offrir une protection légale aux entreprises, cette loi assure une répartition géographique équitable des ressources destinées à tous les agents de la chaîne du livre, auteurs, éditeurs, libraires et distributeurs81. Le dynamisme engendré par cette nouvelle réglementation permet aux éditeurs québécois d’aller chercher une grande part des subsides fédéraux destinés à l’industrie du livre canadien82.

Ainsi, à Toronto comme à Montréal, l’intervention de l’État dans les affaires culturelles s’est-elle imposée à la fin du XXe siècle comme la seule solution possible à la crise économique permanente des firmes indépendantes. Sans cet appui des pouvoirs publics, une culture canadienne du livre n’aurait jamais été possible. C’est d’ailleurs ce qu’avait entrevu dans son rapport publié au début des années 1950 la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada, une commission mise sur pied après la guerre pour freiner l’expansion de la culture américaine au Canada.

À la fin du XVIIIe siècle, lorsque le Canada devint une colonie britannique, l’imprimerie s’étendit rapidement d’Est en Ouest et des réseaux d’échanges et de correspondance avec les colonies américaines se mirent en place. Au cours du XIXe siècle, malgré les résistances britanniques, l’économie canadienne du livre a été de plus en plus intégrée à celle de toute l’Amérique du Nord. Très tôt, les États-Unis supplantèrent la Grande-Bretagne comme premier client de la librairie canadienne, à un point tel que l’édition locale n’arrivait que difficilement à se tailler une place sur son propre marché. Contrairement à l’édition américaine dont la prospérité reposait en grande partie sur la réédition d’ouvrages britanniques (revendus en partie au Canada), l’édition canadienne demeurait soumise aux politiques coloniales de la Grande-Bretagne et son industrie ne pouvait profiter comme aux États-Unis de la réimpression des livres britanniques.

Au milieu du XIXe siècle, la reprise des relations commerciales de la France avec le Canada permit aux librairies francophones de prendre leur envol à Montréal et à Québec et aux grossistes de devenir les maîtres d’œuvre de la vente du livre en langue française. Après 1945, l’implantation de succursales parisiennes au Québec restreignit le marché des grossistes qui furent remplacés par des distributeurs exclusifs. Dans l’Amérique du Nord du XIXe siècle, au Canada comme aux États-Unis, la commercialisation du livre étranger, réédité ou importé, anglais ou français, dépassait de loin celle de la création locale. Cette domination du système de distribution sur l’édition continua d’augmenter à la fin du XXe siècle, avec l’arrivée de nouveaux moyens de diffusion et de reproduction électroniques. Aujourd’hui la vente des produits électroniques avec les droits dérivés surpasse aux États-Unis les revenus de l’édition régulière et ouvre la porte à l’intégration accrue de l’édition généraliste dans les grands groupes de communication. Pourtant, malgré une concentration au sommet de la chaîne de production, le nombre des petites structures n’a jamais cessé d’augmenter. Elles étaient plus de 80 000 aux États-Unis en 2005 et, depuis une dizaine d’années, en dépit des progrès des nouvelles technologies de l’information, leur production annuelle de titres est toujours en hausse83.

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1 François Melançon, HLIC 1, pp. 50-51 (voir les sigles dans la bibliographie in fine p. 71).

2 Avant 1790, à plusieurs égards, la situation de la colonie canadienne ressemble à celle de la région de Chesapeake au XVIIe siècle décrite par David D. Hall, HOBA 1, p. 57.

3 François Melançon, Le Livre à Québec dans le premier XVIIIe siècle : la migration d’un objet culturel, 2007. Heather Murray, HLIC 1, p. 459 n. 38.

4 David D. Hall, HOBA 1, p. 153.

5 En Amérique du Nord britannique, le premier livre fut imprimé en 1640. Hugh Amory, HOBA 1, p. 83.

6 La presse périodique apparaît dans les colonies américaines en 1704 avec le lancement du Boston News-Letter (Charles E. Clark, HOBA 1, p. 351). En 1741, une dizaine de journaux sont publiés dans les colonies américaines (p. 356) et, un demi-siècle plus tard, en 1790, une centaine dans 62 villes différentes : « printing a newspaper had become essential to pratically any printers who wanted to stay in business », écrit Clark p. 361. Leurs tirages oscillent entre 2 000 et 8 000 exemplaires par semaine. « As the sheet count at the end of Chapter 9 reveals (Table 9.1), newspapers had become the largest single item of production in the Boston trade by 1765, a trend that was accelerating throughout the colonies on the eve of the Revolution » (Hugh Amory et David D. Hall, p. 479).

7 James N. Green, HOBA 1, pp. 200-223, et Calhoun Winton, pp. 224-246.

8 Patricia L. Fleming, HLIC I, pp. 65-68.

9 David D. Hall, HOBA 1, p. 157.

10 Hugh Amory, HOBA 1, p. 316, et Calhoun Winton, p. 240.

11 Charles E. Clark, HOBA 1, p. 358, et David S. Shields, p. 436.

12 James N. Green, HOBA 1, p. 276. En 1770, les colonies américaines devinrent le premier marché d’exportation des éditeurs anglais. Ce marché représentait annuellement de 4 à 5 % de la production britannique, constate James Raven (p. 183). Les Anglais y subissaient aussi la concurrence des Écossais et des Irlandais, qui y écoulaient leurs éditions pirates. Ces dernières faisaient autorité même lorsqu’elles contrefaisaient des éditions américaines. Pour attirer leur propre public, les éditeurs américains lançaient même certains de leurs livres avec de fausses adresses de Londres et de Dublin. N’eût été l’Indépendance, l’édition britannique aurait continué à dominer le marché américain comme ce fut le cas dans les autres colonies, notamment l’Australie, constate Hugh Amory (p. 34), qui aurait pu mentionner aussi le Canada.

13 Hugh Amory, HOBA 1, p. 331, et James N. Green, pp. 279-291.

14 James N. Green, HOBA 1, p. 282, et Hugh Amory, p. 318.

15 James N. Green, HOBA 1, p. 287.

16 HOBA 1, p. 293.

17 James N. Green, HOBA 1, p. 294, et Hugh Amory, p. 333 ; Patricia Fleming, HLIC 1, pp. 69-71.

18 « By the final decade of the century, the result was a far greater concentration of importing firms, now increasingly distinct from local publishers, in New York, Philadelphia and Boston » (James Raven, p. 195).

19 Hugh Amory, HOBA 1, p. 333.

20 Claude Galarneau, HLIC 1, pp. 68-69 ; et « Fleury Mesplet » dans Dictionnaire biographique du Canada, version en ligne http://www.biographi.ca/.

21 William Charvat (1992), p. 19.

22 Hugh Amory, HOBA 1, p. 338.

23 « After independence no less than before, readers in the new republic continued to depend on books printed overseas for much of their reading matter », constatent Hugh Amory et David D. Hall dans leur conclusion à HOBA 1, p. 477.

24 Hugh Amory et David D. Hall, HOBA 1, pp. 478-481.

25 Ann Fabian, HOBA 3, p. 411.

26 Eric Lupfer, HOBA 3, pp. 249-252.

27 D’après le tableau 4.2 figurant dans le chapitre signé par Michael Winship, HOBA 3, p. 152.

28 Fiona A. Black, HLIC 2, p. 214.

29 George Parker, HLIC 2, pp. 158-162.

30 Scott E. Casper, HOBA 3, pp. 29-30, et Michael Winship, pp. 156-157.

31 Gwendolyn Davies, HLIC 2, pp. 145-153.

32 De 1840 à 1880, la population américaine s’accroît de 300 %, passant de 17 à 50 millions d’habitants. Susan S. Williams, HOBA 3, p. 101.

33 Fiona A. Black, HLIC 2, p. 216.

34 Michael Winship, HOBA 3, pp. 124-125.

35 HOBA 4, pp. 63-64.

36 De 1868 à 1885, plusieurs projets de loi pour l’adoption d’un copyright international avaient été présentés au Congrès américain mais sans succès. À cette époque, les contrefaçons et les ouvrages protégés circulaient ensemble non seulement sur le marché national mais aussi à l’intérieur d’une même firme. Pour certains ouvrages ou auteurs, des conventions tacites (« Courtesy of the trade ») régissaient les rapports entre éditeurs autant sur les plans national qu’international. Mais en général, les lois existantes ne semblaient pas d’un très grand poids dans les transactions internationales dont le dynamisme outrepassait les considérations d’ordre légal. À l’intérieur des frontières américaines, par conventions tacites, les éditeurs se partageaient le marché de la réimpression des textes britanniques. À l’extérieur, ils achetaient des livres en feuilles avant leur sortie à Londres ou prenaient des options sur des titres à paraître. Une fois le titre d’un auteur britannique réédité par autorisation, l’éditeur américain pouvait revendiquer un droit exclusif d’option sur tous les titres à venir de cet auteur. À la fin du XIXe siècle, ce principe s’appliquera aussi aux auteurs américains. Voir à ce sujet, Meredith L. McGill, HOBA III, pp. 158-178.

37 Meredith L. McGill, HOBA 3, pp. 177-178 ; Winship, HOBA 4, p. 7 ; Peter Jaszi et Martha Woodmansee, pp. 97-98.

38 George Parker, HLIC 2, p. 163.

39 Michael Winship, HOBA 4, p. 57.

40 Richard Ottmann, HOBA 4, p. 103.

41 Richard Ottmann, HOBA 4, p. 115.

42 Richard L. Venezky et Carl F. Kaestle, HOBA 4, pp. 421-423.

43 Richard Ottmann nous apprend qu’en 1914, parmi les 819 firmes en place, le leader de la profession (Harper) ne recueillait que 2 % des ventes totales de livres. HOBA 4, p. 115.

44 Carl F. Kaestle et Janice A. Radway, HOBA 4, p. 51.

45 Kaestle et Radway, HOBA 4, p. 528.

46 Dès 1840, Tocqueville avait formulé le principe de ce rapport à la culture dans les sociétés démocratiques : « Ainsi personne ne se laisse aisément réduire aux seuls soins matériels de la vie, et le plus simple artisan y jette, de temps à autre, quelques regards avides et furtifs dans le monde supérieur de l’intelligence. On ne lit point dans le même esprit et de la même manière que chez les peuples aristocratiques ; mais le cercle des lecteurs s’étend sans cesse et finit par renfermer tous les citoyens » (De la démocratie en Amérique, p. 453, voir aussi p. 460).

47 Ellen Gruber Garvey, HOBA 4, pp. 170-189.

48 James L. W. West III, HOBA 4, pp. 78-89 ; et Michael Winship, p. 71.

49 Beth Luey, HOBA 5, pp. 29-34.

50 Marshall Leaffer, HOBA 5, p. 152.

51 Beth Luey, HOBA 5, pp. 30-31, et John B. Hench, pp. 186-195. C’est aussi l’OWI qui servit d’intermédiaire dans la diffusion outre-Atlantique des livres français produits à New York et à Montréal de 1940 à 1945. Après la guerre, l’OWI sera remplacé par le United States Information Service (USIS).

52 Dan Lacy et Robert W. Frase, HOBA 5, pp. 195-203.

53 Beth Luey, HOBA 5, pp. 31-33.

54 Il fallut attendre encore six ans avant la ratification finale de cette loi par le président Lyndon Johnson en 1966. Dan Lacy et Robert W. Frase, HOBA 5, p. 203.

55 Jusqu’en 1978, les livres étrangers furent toutefois soumis à la clause de fabrication. L’importation aux États-Unis de livres étrangers augmenta après cette date (Beth Luey, HOBA 5, p. 34, et Dan Lacy et Robert W. Frase, p. 203).

56 Linda M. Scott, HOBA 5, p. 72.

57 Beth Luey, HOBA 5, p. 34.

58 Linda M. Scott, HOBA 5, pp. 79-80.

59 Linda M. Scott, HOBA 5, p. 45.

60 Comme le montre Linda M. Scott, les surplus furent écoulés dans des librairies de solde qui proliférèrent dans les années 1980 (HOBA 5, pp. 83-84).

61 Beth Luey, HOBA 5, pp. 29-30.

62 Selon les chiffres parfois divergents cités dans HOBA 5, pp. 25 et 511.

63 Dan Simon et Tom McCarthy, HOBA 5, pp. 210-222.

64 Beth Luey, HOBA 5, p. 51.

65 Dan Simon et Tom McCarthy, HOBA 5, pp. 218-219 ; Michael Schudson, p. 18 ; Laura J. Miller, pp. 91-106.

66 John B. Thompson, HOBA 5, p. 364.

67 Priscilla Coit Murphy, HOBA 5, pp. 447-458.

68 Carl F. Keastle et Janice A. Radway, HOBA 4, pp. 14-15 ; Paul Hjartarson, HLIC 2, pp. 46-57 et 142.

69 Sally M. Miller, HOBA 4, pp. 299-311.

70 Jonathan D. Sarna, HOBA 4, pp. 382-391, et Una M. Cadegan, pp. 401-402.

71 Nicolas Kanellos, HOBA 4, pp. 312-337 ; Ilan Stavans, HOBA 5, pp. 389-404.

72 « By 2005 about 80 000 Spanish books were published annually in the United States, and several large commercial publishers—including the trade house HarperCollins and the religious house Thomas Nelson—were agressively expanding their Spanish marketing efforts and developing new Spanish Imprints » (HOBA 5, p. 184). Dans ce panorama multiculturel de l’édition en langue étrangère aux États-Unis, il faut déplorer l’absence d’un chapitre sur l’édition en langue française, qui fut pourtant très vivante dans plusieurs États : en Louisiane au XIXe siècle, en Nouvelle-Angleterre au début du XXe siècle et à New York, durant la Seconde Guerre mondiale. À ce sujet, voir Auguste Viatte, Histoire littéraire de l’Amérique française, 1954, pp. 217-326 ; Emmanuelle Loyer, Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil, 1940-1947, 2005, et Anthony Grolleau-Fricard, Courrier des États-Unis entre France, États-Unis et Bas-Canada (1828-1851), 2009.

73 James P. Danky, HOBA 4, pp. 339-358, et Elizabeth McHenry, pp. 491-510 ; Elizabeth Long, HOBA 5, pp. 459-471.

74 Jane Rhodes, HOBA 5, pp. 286-303.

75 Frédéric Brisson, HLIC 3, pp. 409-413.

76 George L. Parker, HLIC 2, pp. 29-32, et Penney Clark, pp. 352-357.

77 George L. Parker, HLIC 2, p. 32.

78 George L. Parker, HLIC 3, pp. 173-178.

79 Jacques Michon, Les « Éditeurs » québécois et l’effort de guerre, 1940-1948, Montréal, Québec, Presses de l’Université Laval, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2009.

80 Frédéric Brisson, L’Étreinte de la pieuvre verte : Hachette et les transformations du monde du livre québécois, 1953-1983, 2009.

81 Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre. Josée Vincent, HLIC 3, p. 52, et Pascale Ryan, pp. 434-435.

82 Canada. Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (Padié), Questions d’édition. Rapport annuel 2004-2005, Gatineau, ministère du Patrimoine canadien, 2005, p. 50.

83 De 2000 à 2005, la production de nouveaux titres aux États-Unis augmenta de plus de 43 %, soit une croissance moyenne annuelle de 8,5 % (d’après tableau 3, HOBA 5, p. 511).