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Alexandrina Ioniţă, Carte franceză în Moldova până la 1859 (Livres français en Moldavie jusqu’en 1859), 1re et 2e partie

Iaşi, Casa Editorială Demiurg, 2007, 369 + 127 p.

Olimpia Mitric

Université « Étienne le Grand », Suceava

L’ouvrage que nous présentons a constitué le sujet de la thèse de doctorat en histoire soutenue par Alexandrina Ioniţă à l’Université « Al. I. Cuza » de Jassy. Il s’agit sans doute de la contribution la plus développée sur la circulation du livre français en Moldavie, en suivant une approche bibliologique. L’auteur y étudie la géographie éditoriale (Paris, Bruxelles, Leipzig, Berlin), les voies de pénétration et de diffusion (librairies et cabinets de lecture, mais aussi consulats, institutions d’enseignement et relations de personne à personne), et propose une analyse systématique des sujets selon le cadre de la Classification décimale universelle (CDU). Conçu en deux parties, le volume est paru, avec l’aide de l’Autorité nationale pour la recherche scientifique, dans la collection « Biblion » de la maison d’édition conduite, avec beaucoup de professionnalisme, par l’auteur elle-même.

La première partie du volume est structurée de manière judicieuse en cinq chapitres. Dans le premier chapitre (« Interferenţe bibliologice româno-franceze până la 1833 // Interférences bibliologiques roumano-françaises jusqu’en 1833 », pp. 37-68), l’auteur se fonde sur des données déjà disponibles (par exemple, les catalogues de libraires) pour passer en revue de façon détaillée et pertinente les interférences culturelles roumano-françaises depuis le XVIe siècle. Elle poursuit jusqu’en 1833, avec les premiers traducteurs du français, et les premières informations sur la constitution de bibliothèques particulières dans lesquelles on trouve aussi des livres français. À partir de 1833, elle nous propose une suite de documents inédits, à savoir les factures (avec listes de livres) émises par les librairies et les cabinets de lecture de Jassy et présentées au secrétariat d’État de Moldavie en vue d’approbation par la censure. Conservées à la Direction départementale des Archives nationales (filiale de Jassy), dans le fonds du secrétariat d’État, ces factures nous informent sur l’importation de livres étrangers, français y inclus, à Jassy dans les années 1833-1858.

Dans le deuxième chapitre (« Sistemul cenzurii şi impactul asupra importului de carte franceză în perioada regulamentară // Le système de la censure et son impact sur l’importation du livre français durant la période réglementaire »), l’auteur présente une vaste analyse des mécanismes compliqués de la censure (mécanismes dictés par un lacis d’intérêts), mais aussi un tableau des voies d’entrée des livres et périodiques étrangers en Moldavie en même temps que des tentatives effectuées pour se soustraire à l’application de la censure. Appuyé sur un matériel archivistique inédit, le troisième chapitre (« Carte franceză în librăriile şi cabinetele de lectură ieşene // Livre français dans les librairies et les cabinets de lecture de Jassy », pp. 89-196) passe en revue, selon l’ordre chronologique, les librairies Tănase Gani, Gavril Mirovici, Dimitrie Nica (« le premier libraire de la Moldavie », dont le catalogue sort dès 1836), les librairies avec cabinets de lecture Fr. Bell, Adolf Hennig, Ioan Bogusz (considéré traditionnellement comme le premier cabinet de lecture de Jassy, ayant fonctionné dans la période 1830-1843), les librairies Alexandru Emanuel, Heinrich Hemschieg, la librairie avec cabinet de lecture Gh. Căliman, pour finir par d’autres librairies de Jassy et de la province (Focşani, Galaţi, Bârlad). Le commentaire concernant la présence du livre français importé en Moldavie par les firmes Fr. Bell et Adolf Hennig, les plus grands cabinets de lecture et librairies spécialisées de la période réglementaire, présente plusieurs aspects inédits : la firme Bell, tout particulièrement, a fonctionné pendant plus de vingt ans et a développé une activité impressionnante pour la diffusion de milliers de volumes français et allemands dans les domaines les plus variés.

« Alte modalităţi de achiziţie // D’autres modalités d’acquisition » (p. 197-229), tel est le titre du chapitre suivant : il s’agit des modalités par lesquelles on pouvait se procurer des livres, par exemple les relations personnelles, les commandes pour les institutions d’enseignement et pour la Société médicale (première société scientifique de Moldavie, fondée en 1833 sur le modèle occidental), ainsi que les commandes faites par l’intermédiaire des consulats. Sur la base des factures de Bell et Hennig, Madame Ioniţă nous propose, dans son dernier chapitre (« Radiografia cărţii franceze din Moldova din perspectiva Clasificării Zecimale Universale // Radiographie du livre français en Moldavie selon la CDU », p. 231-328), « une analyse précise des auteurs et des titres de livres français qui ont circulé en original, et non pas en traduction » (p. 235). Nous avons particulièrement apprécié l’effort pour identifier les auteurs et le titre complet des œuvres, à partir de données bibliographiques presque toujours incomplètes. L’analyse du corpus selon la CDU met en évidence pour la première fois le fait que les volumes correspondent à un modèle diversifié : « tous ou presque tous les domaines de la connaissance humaine, que la science et la culture françaises avaient enregistrés jusqu’au milieu du XIXe siècle, entraient dans la sphère des intérêts de lecture de la société moldave » (p. 327). L’auteur attire l’attention à plusieurs reprises sur le fait qu’elle n’a pas utilisé toutes les factures déposées par les libraires à la censure, mais seulement celles conservées dans le fonds du Secrétariat d’État : d’autres documents peuvent se rencontre, dans les fonds d’archives de Jassy comme de Bucarest.

Tout au long de son travail, Madame Ioniţă attire avec justesse l’attention sur les objectifs d’une recherche en histoire du livre, s’agissant de la Roumanie : proposer une synthèse du commerce du livre pour l’espace roumain, réaliser la publication intégrale des catalogues de bibliothèques, et rédiger une histoire des bibliothèques de la Moldavie. La seconde partie du volume présente la « Base de données », pour reprendre la judicieuse formule mentionnée dans la préface, sur laquelle se fonde le travail : les factures des principales maisons de librairie et cabinets de lecture (Fr. Bell et A. Hennig), et de la Librairie Codrescu & Petrini, sont éditées dans l’ordre chronologique, avec un certain nombre de reproductions. L’index des noms propres et la bibliographie sélective referment le livre.