Book Title

XVI–XVII a. lituanika. Lietuvos mokslu˛ akademijos bibliotekoje. Katalogas. – Lithuanica saeculi sexti decimi et septimi decimi ex Bibliotheca Academiae Scientiarum Lithuaniae. Catalogus, éd. Daiva Narbutiené, Violeta Radviliené, Dalia Rauckyté-Bikauskiené

Vilnius, Lietuvos mokslų akademijos biblioteka, 2007, XXVIII-502 p.

István Monok

Eger, Szeged

La Bibliothèque de l’Académie des Sciences de Lituanie a formé en son sein le Dépôt des Livres anciens en 1957 : l’un des objectifs de ce service est de rassembler et de cataloguer les livres anciens portant sur les Lithuaniens et sur la Lithuanie, et de publier les informations les concernant. La collection a été constituée à partir du legs d’un important bibliophile, Tadas Vrublevskis (en polonais Tadeusz Wróblewski, 1858-1925), et elle s’est depuis lors systématiquement enrichie d’acquisitions nouvelles.

Dans les consciences nationales des peuples d’Europe centrale et orientale subsiste le souvenir des anciennes patriae, nettement plus étendues que les territoires limités par les frontières actuelles. Plusieurs territoires – et aussi les patrimoines culturels correspondant – appartiennent ainsi aux identités culturelles de plusieurs nations à la fois. L’histoire longtemps commune des peuples lithuanien et polonais s’entrelace avec celle des Russes et des Lettons, mais aussi des Hongrois. C’est pourquoi le signataire de ce compte rendu porte un intérêt particulier au commentaire du terme de Lithuanica figurant dans la préface. La tradition de l’Europe centrale et orientale s’appuie sur le concept bibliothéconomique de patrioticum : il réunit les patriotica territoriaux (les ouvrages parus sur le territoire historique du pays), linguistiques (les ouvrages écrits dans la langue du peuple en question), auctoriaux (les ouvrages composés par les personnages considérés comme faisant partie de la communauté culturelle) et les patriotica par contenu (les ouvrages portant sur le peuple ou le pays en question sans distinction d’auteur). Des débats parfois très vifs sont occasionnés par le fait qu’on peut interpréter de diverses manières la définition du « territoire historique » de telle collectivité ou la question de l’appartenance nationale de tel auteur. Même le patroticum linguistique est sujet à controverses : il est par exemple très difficile de déterminer si un texte slave du XVIe siècle doit être considéré comme écrit en tchèque ou en slovaque.

Les collaborateurs du volume ici présenté ont minutieusement analysé les possibilités d’interprétation du terme de Lithuanica avant de décider que leur catalogue renfermerait la description de tous les ouvrages portant sur les Lithuaniens et sur la Lithuanie historique et écrits en langue autre que lithuanienne. La définition du patrioticum linguistique est assez évidente, la langue lituanienne étant très facile à identifier grâce à son idiosyncrasie. Ajoutons qu’aux XVIe et XVIIe siècles, la Grande principauté de Lithuanie fut la seule entité politique où l’on a publié des ouvrages en langue lithuanienne.

Le volume nous donne la description de 966 publications (1 046 volumes), dont la première a vu le jour en 1501 (il s’agit d’un Elucidarius errorum ritus Rhutenici, publié à Cracovie). Des années 1501-1550, on ne trouve que neuf titres, mais 105 dans la seconde moitié du siècle. La plupart des ouvrages ont vu le jour à Vilnus, mais le nombre des publications cracoviennes et varsoviennes est également notable. Au total, seize villes européennes figurent pour cette période dans l’index des lieux de publication.

Passons à la composition linguistique de la collection. Les ouvrages écrits en latin ou en polonais constituent 80 % des livres recensés. Le nombre des ouvrages allemands est relativement important, et on trouve aussi quelques publications en russe. Puisqu’on peut considérer comme Lithuanica tous les ouvrages composés par une personne reconnue comme lithuanienne, quels que soient le lieu et le sujet, la systématique du catalogue est très diverse : on y trouve de la littérature historique ou géographique, des oraisons funèbres, des actes de diètes, des ouvrages exégétiques, etc. La question d’identifier les auteurs lithuaniens n’est pas très approfondie, mais les auteurs du catalogue complètent souvent la forme lithuanienne du nom avec la forme polonaise. L’histoire de la collection au sein de la bibliothèque illustre d’ailleurs la quasi coïncidence historique entre la Collectio Lithuanica et la Collectio Polonica, puisque la majeure partie de cette dernière section fut rattachée à la première. La description des volumes, conformément à la pratique internationale, rend compte de leur provenance. J’ai déjà mentionné le nom de Vrubleskis, dont la bibliothèque privée servit de point de départ à la formation de la collection des Patriotica de la Bibliothèque de l’Académie. Soulignons aussi l’importance des livres de l’église luthérienne de Vilnius (Unitas Lithuanica ; en polonais, Jednota Litewska), conservés en grande partie dans la collection ici traitée. L’index des possesseurs est richissime : les noms des familles nobles polonaises et lithuaniennes, ainsi que les communautés monacales du territoire y figurent en très grand nombre.

La parution de ce catalogue souligne plusieurs choses importantes, dans notre Europe du XXIe siècle. Le message le plus général est que la « conservation de la diversité culturelle » doit être et rester plus qu’un slogan politique : d’ailleurs, la diversité culturelle elle-même peut s’interpréter de diverses manières, et ces interprétations doivent s’exprimer librement. Chaque petite communauté s’attache à son propre passé et tient à tous les vestiges parfois infimes de son patrimoine : lorsque par exemple la Historia rerum Polonicarum de Martinus Cromerus traite des Lithuaniens, ces derniers considèrent ce texte comme un patrioticum, et ils ont raison de le faire. Cet ouvrage appartient également aux Polonais et aux Hongrois, voire (puisque la Transylvanie y est mentionnée) aux Roumains. Il est inutile de déposséder les autres – comme le font les interprétations intolérantes –, tout comme il est interdit d’oublier : en oubliant l’histoire, on ne supprime pas la raison d’être des conflits (c’est l’erreur de nombreux technocrates), mais on renonce à la compréhension des expériences vécues par d’autres. La parution de ce catalogue sous forme d’un livre s’explique en partie par la volonté d’enregistrement, en partie par la conviction qu’établir une simple base de données ne suffit pas toujours pour conserver un patrimoine et pour diffuser les connaissances le concernant. Le livre sur papier est toujours incontournable.