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L’achèvement d’un grand chantier dédié au Livre et à son histoire : le Dictionnaire encyclopédique du livre (DEL)

Jean-Dominique Mellot

Le troisième et dernier tome (lettres N-Z) du Dictionnaire encyclopédique du livre1, attendu depuis plusieurs années, est paru le 29 avril 2011 aux éditions du Cercle de la Librairie. Monumental, dense et richement illustré, il fait à l’histoire (l’histoire du livre, de l’édition, des bibliothèques, mais aussi des techniques, arts et industries du livre et de l’imprimé) une place de taille. Jean-Dominique Mellot, conservateur général à la Bibliothèque nationale de France, chargé de conférences à l’École pratique des hautes études, directeur scientifique du domaine « Histoire du livre et de l’édition » et auteur de nombreux articles du DEL, apporte son témoignage et resitue pour Histoire et civilisation du livre la genèse et les enjeux de ce projet de grande envergure.

Avec ce troisième volume du Dictionnaire encyclopédique du livre (le plus épais des trois – 14 pages de plus que le précédent tome !), auquel il faut adjoindre un index de 256 pages (30 000 entrées) paru simultanément, c’est une aventure de quinze années de travail qui s’est conclue le 29 avril 2011. Le projet avait en effet été lancé en mars 1996, un premier volume (lettres A-D) a ensuite été publié en 2002, un deuxième (E-M) en 2005, avant la sortie de ce dernier tome au printemps 2011.

C’est donc un grand moment de bonheur et de soulagement pour tous ceux et celles qui ont été associés de près ou de loin à l’aventure. On ne niera pourtant pas qu’il nous est à tous arrivé de pester, au long de ces années – je ne m’exclus d’ailleurs pas de la cohorte des mécontents occasionnels, puisque j’étais impliqué dans ce grand chantier à la fois en tant que responsable du domaine Histoire du livre, contributeur, principal relecteur-réviseur des textes et co-responsable de l’indexation –, contre les lenteurs et les contretemps de l’entreprise, contre les négligences, les retards voire les défections de certains auteurs (obligeant quelquefois à écrire, compléter, voire récrire au pied levé leurs articles), contre le relatif manque de coordination entre les différents directeurs de domaine, contre leur situation d’isolement parfois, contre la lassitude de tout un chacun, l’épuisement des énergies à réclamer par exemple des mises à jour des textes et des bibliographies au fur et à mesure que les délais de publication s’étiraient, etc. L’élaboration d’un tel ouvrage, on ne saurait le cacher, a été un combat quotidien contre de multiples forces centrifuges et facteurs d’inertie.

Mais il faut bien sûr relativiser : n’importe quel responsable d’entreprise de ce genre pourrait apporter un témoignage comparable et formuler le même type de griefs. Sur un chantier de cette ampleur, de tels soucis (voire de bien pires) sont tout à fait prévisibles. Le pire, nous l’avons certainement évité, même si l’un des directeurs de domaine et initiateurs du projet, Philippe Schuwer, est décédé à l’été 2009 et si notre préfacier Henri-Jean Martin, « parrain » intellectuel de l’entreprise, nous a quittés en janvier 2007. L’éditeur en revanche n’a pas connu de faillite, il n’a rien rabattu de l’ambition initiale, il ne s’est pas non plus découragé. Bien au contraire, il a constamment cru au projet, soutenu les responsables scientifiques jusqu’au bout dans leurs exigences et leurs ambitions de fond, et fait en sorte que l’on aboutisse contre vents et marées à un bel ouvrage, utile, le plus complet et actuel possible en dépit de l’évolution des techniques et des savoirs. Cela mérite pour le moins un coup de chapeau.

Lorsqu’on regarde avec un minimum de recul et d’objectivité le résultat final, on se dit que quinze ans, c’est en définitive assez peu, ou en tout cas assez normal, pour une somme aussi riche et volumineuse, ne serait-ce qu’au plan quantitatif : en tout 3 128 pages (trois volumes de quelque 1 000 pages chacun) à deux colonnes (plus l’index, 256 pages à trois colonnes), qu’il a fallu concevoir, calibrer, écrire, couler dans un moule lexicographique, relire et corriger à plusieurs étapes, classer et « assembler », mettre en page, illustrer, imprimer…, près de 6 000 articles (entrées et sous-entrées), rédigés par 720 auteurs, mis en français lorsque cela était nécessaire par 9 traducteurs, avec une iconographie comptant au total 1 953 illustrations, soit plus de 600 par volume, dont la grande majorité en couleurs, de toutes époques et origines…

Cela ressemble fort – n’ayons pas peur de le dire – à un véritable monument dédié au livre et à ce qui le fait être et exister, à ses techniques, à ses arts, à ses métiers, à son histoire, à sa logique. Et un monument d’autant plus actuel qu’il a été conçu et a vu le jour dans une énième période de doute, non seulement sur l’avenir de l’édition, mais aussi sur celui du livre, en tant qu’objet et en tant qu’unité intellectuelle. Une période où, sur fond de nouvelles technologies et d’évolution accélérée des supports, certains croyaient pouvoir claironner la « mort du livre ». Or, à chacune de ses pages, ce Dictionnaire montre que le livre, sous tous ses aspects physiques, techniques et intellectuels, a non seulement un long passé mais aussi un riche présent et un avenir non moins prometteur sous toutes ses formes.

LA GENÈSE DU PROJET

Avant d’évoquer le contenu de ce tome III et la représentation importante de l’histoire du livre, il n’est pas inutile de rappeler la genèse du projet. En fait, diverses idées se sont trouvées à l’origine d’une telle entreprise. Il existait d’une part une demande des bibliophiles pour un dictionnaire de termes permettant d’éclairer leur pratique courante ou savante. C’est l’idée qu’avait en particulier lancée l’ancien libraire Jean Viardot. Idée qui s’est notamment concrétisée depuis avec le Manuel de bibliophilie de Christian Galantaris (Paris, éd. des Cendres, 1997, 2 vol.) et d’autres ouvrages parus tant en France qu’à l’étranger.

Aux éditions du Cercle de la Librairie s’était d’autre part formé le projet de publier un ouvrage à la fois technique et pratique, s’adressant à tous les professionnels du livre – libraires, éditeurs, imprimeurs, professions des bibliothèques… – et permettant au passage de fédérer ces différentes approches et filières. On était bien placé, aux éditions du Cercle de la Librairie, pour savoir qu’un tel livre était susceptible de trouver son public. Tout le monde y avait encore en mémoire le succès de l’Histoire de l’édition française, lancée par Jean-Pierre Vivet et dirigée par Henri-Jean Martin et Roger Chartier (1982-1986, 4 vol.), qui avait largement dépassé les espérances de vente et donné lieu à une nouvelle édition de format réduit publiée avec Fayard en 1989-1991.

Enfin on trouvait alors des précédents plutôt ambitieux et récents, à l’étranger, sous la forme de trois encyclopédies principalement : dans le monde anglo-saxon, la « nouvelle encyclopédie du livre » (New Encyclopedia of the book) de G. Glaister (nouv. éd., Londres, 1996) ; dans le monde germanophone le Lexikon des gesamten Buchwesens (en cours depuis 1987, et presque achevé ; lettres A-W, 8 vol. parus) ; et surtout, en langue italienne, le Manuale enciclopedico della bibliofilia (Milan, 1997), qui nous a en quelque sorte servi de modèle par la qualité de sa mise en page et son type de nomenclature – même s’il est surtout centré, comme souvent en Italie, sur les XVe et XVIe siècles2.

Ces trois précédents nous ont confortés dans l’idée qu’il ne fallait pas se contenter d’une sorte de glossaire enrichi à dominante technique et contemporaine. D’emblée, les éditions du Cercle de la Librairie ont été pleinement d’accord pour que l’histoire (l’histoire du livre, de l’édition, de la lecture, des bibliothèques, des techniques du livre…) prenne toute sa place dans le projet, et qu’elle contribue fortement à lui donner sa dimension encyclopédique.

L’éditeur a voulu un ouvrage utile, non dénué de visées pédagogiques, faisant le point, donnant « l’état de l’art », avec des textes ni trop longs ni trop secs. Mais il n’en a pas moins souhaité produire un « beau livre », bien présenté et illustré, qui donne envie, au gré des entrées et des renvois, d’être feuilleté et parcouru par un public si possible plus large que celui des spécialistes et des universitaires.

Une équipe de directeurs scientifiques du projet s’est donc constituée, les premiers contacts ayant été pris dès mars 1996. Avant même les réunions initiales, quatre grands domaines structurant la nomenclature ont été déterminés par l’éditeur : « Bibliothèques et lecture » (B), confié à Martine Poulain, « Édition contemporaine »(e) à Philippe Schuwer, « Arts et industries graphiques » (I) à Alain Nave, et « Histoire du livre et de l’édition » (H). Henri-Jean Martin pour sa part s’est vu confier la mission de préfacer l’ouvrage et de lui apporter sa caution scientifique, ce qu’il a accepté avec entrain. Au départ il était prévu qu’il codirige avec moi le domaine Histoire du livre et de l’édition. Il a d’ailleurs participé aux premières réunions des responsables du projet. Finalement, après m’avoir épaulé avec beaucoup de bienveillance pour constituer l’équipe de base des auteurs du domaine, il a préféré me laisser seul diriger cette barque – soit en fin de compte 50 % de l’ensemble du Dictionnaire en quantité de texte (25 % environ en nombre d’entrées) et près de 400 auteurs.

LE TRAVAIL SUR LA NOMENCLATURE

À la première réunion des codirecteurs, en avril 1996, on nous a remis un projet de nomenclature établi par Daniel Péchoin, lexicographe associé à l’entreprise et l’un de ses initiateurs. Il comportait des propositions de calibre pour chaque entrée. Le panorama nous a paru riche à première vue. Cependant, en matière d’histoire du livre, et en y regardant de plus près, l’accent avait été mis (ce qui peut se comprendre de la part d’un collaborateur de grandes encyclopédies généralistes) sur des noms connus de tous et incontournables (les Didot, les Elzevier, les Estienne, Gutenberg, Alde Manuce, etc.) de l’Ancien Régime, sur quelques titres ayant marqué l’histoire de l’édition, notamment à l’époque incunable, et sur un certain nombre de grandes maisons d’édition qui s’étaient affirmées principalement au XIXe siècle (Dalloz, Flammarion, Hachette, Larousse, Lévy, Nathan, par exemple). Beaucoup de noms propres, donc, auxquels on avait adjoint toute une série de termes de technique ancienne tournant essentiellement autour de la presse à bras.

Du point de vue d’Henri-Jean Martin et du mien, les lacunes étaient plus importantes qu’il n’y paraissait de prime abord. Quant aux calibres proposés en face des entrées de thématique historique, ils nous semblaient bien souvent insuffisants pour espérer satisfaire la curiosité de spécialistes ou d’étudiants, surtout s’ils avaient déjà goûté à l’Histoire de l’édition française.

Il fallait notamment prendre en compte un aspect essentiel et souvent développé dans la conférence d’« Histoire et civilisation du livre » de l’École pratique des hautes études, à savoir la dimension d’histoire politique et institutionnelle du livre et de l’édition. Dimension fondamentale, car elle permet mieux qu’une autre d’appréhender l’évolution du statut du livre au cours des siècles, en fournissant en fait l’un des cadres et fils directeurs de tout travail encyclopédique sur le livre. D’où l’idée de compléter la nomenclature initiale par des entrées comme « approbation », « Bastille », « droit de copie », « enquêtes sur l’imprimerie et la librairie », « Grande Chancellerie », « Inquisition », « inspection de la librairie », « Librairie, direction de la », « permission », « police du livre », « privilège », « prohibé », « réglementation du livre et de ses métiers », « répression », « saisie », « tolérance », etc. D’où l’ambition également de ne pas se borner par exemple à un article fourre-tout sur la « censure » en y confondant censure ecclésiastique et censure du pouvoir civil, censure a priori et censure a posteriori

De même, il était nécessaire de faire place à un certain nombre de concepts généraux utiles à l’historien du livre comme à l’étudiant et essentiels à l’appréhension de l’univers du livre et de l’édition. Je pense par exemple à des entrées comme « académies », « capitalisme d’édition », « centralisation », « clandestinité », « crise de l’édition », « exportation », « faux », « géographie de l’édition », « gens du Livre, religions du Livre », « histoire du livre », « humanisme », « importation », « liberté d’écrire et de publier », « marché du livre », mais aussi « mise en texte », « non-livre », « paratexte », « procès de librairie », « propagande, livres et édition de », « propriété littéraire », « provenance », « réception », « Réforme » et « Réforme catholique », « salons littéraires », « sociologie des textes », « statistique bibliographique », « succès de librairie », « supercherie », « survie du livre ancien », « traité » (au sens de contrat), « troc », « université », « vandalisme », « vol de livres », etc. Toutes ces entrées transversales et synthétiques, traitées de la façon la plus diachronique possible, étaient à mon sens indispensables dans un ouvrage à vocation encyclopédique et historique sur le livre. Lequel ne pouvait reposer seulement sur des notices monographiques, techniques ou érudites. Cela permettait par ailleurs d’offrir des points de repère, de relier le passé et le présent, et de compenser l’effet d’éparpillement des articles biographiques ou terminologiques, assez courts pour la plupart.

Autre domaine où il fallait grandement compléter selon nous la nomenclature de départ, celui de l’histoire sociale et corporative des métiers liés au livre. Il était impératif de ne pas se contenter d’à peu près ou d’idées reçues, et de mieux faire remonter les résultats de la recherche récente. On se devait d’interroger le fonctionnement socio-économique de toutes ces professions, non pas de façon seulement ponctuelle, mais à travers les siècles. Et pour cela, il convenait d’ajouter à la nomenclature initiale des groupes entiers de notices consacrées au cursus corporatif, aux fonctions et aux statuts des professionnels du livre – « maître », « maître à gages », « prote », « sous-prote », « premier de conscience », « conscience, travail en » (par opposition à « travail aux pièces »), « compagnon », « apprenti », « alloué », « garçon », « commis », « facteur », « chambrelan », « femmes libraires », « forain, libraire », « quittance d’apprentissage », « quittancer », « suppôt de l’université », « tablier (prise de) »…, mais aussi « communauté des métiers du livre », « confrérie », « chambre syndicale », « Saint-Jean-Porte-Latine », « syndic et adjoints », « visite », etc. Et, de fait, on ne pouvait pas passer sous silence l’importance tant des solidarités que des luttes sociales qui ont marqué de façon parfois spectaculaire l’histoire des métiers du livre – est-il besoin de rappeler combien l’imprimerie a été pionnière dans l’histoire des grèves et du mouvement syndical, notamment ? D’où des notices comme « fédération », « grève », « mise-bas », « sarrasin », « société typographique », « syndicalisme », etc. D’où également des portraits de grandes figures de la politique ou du syndicalisme du livre, de la presse ou de la reliure, aux XIXe et XXe siècles, comme Auguste Keufer, Nathalie Le Mel, les frères Leroux, Joseph Mairet, Pierre-Joseph Proudhon, Eugène Varlin, etc.

En liaison avec cette histoire sociale du livre, il était d’ailleurs incontournable de faire un sort aux savoureux vocabulaires professionnels et argots de métier, passés et présents. Et cela dans le monde de la librairie et de l’édition (avec des termes comme « bouillon », « casse », « drogue », « grafinade », « marron » et « marronner », « pisse-copie », « révise » ou « révision », « second rayon », « sous le manteau », « truffer »…), mais aussi et surtout chez les ouvriers typographes. Ce thème a été plusieurs fois abordé dans la conférence d’« Histoire et civilisation du livre » de l’École pratique des hautes études, qui lui a même consacré plusieurs séances. De fait, les « typos » et les « typotes » ont été d’une réjouissante productivité en matière d’argot, et pas seulement aux XIXe et XXe siècles, mais dès l’Ancien Régime. Il est permis de penser qu’il s’agit là d’un marqueur de distinction et d’appartenance tout à la fois, pour une profession fière de constituer une sorte d’élite, avec son langage et ses codes (y compris d’ailleurs ses codes d’honneur : prétention à porter l’épée, non-dénonciation des collègues en cas de procédure judiciaire, traditions d’entraide…), sa convivialité et son humour particuliers. Il était impensable de ne pas prendre en compte cet aspect fondamental de la culture professionnelle du livre. D’où la présence dans le DEL de mots pas toujours « transparents » pour le profane, comme « article 4 » (libation à offrir par un nouvel arrivant dans un atelier), « attrape-science » (apprenti), « banque » (paye), « barbe » (cuite), « bilboquet » (travail dit de ville), « chèvre » (colère) et « bœuf » (grosse colère), « damnation » (mise à l’index d’une imprimerie par les typos), « embaucher », « fonctions » (travaux n’entrant pas dans la rémunération aux pièces) et « fonctionnaire », « labeur » (travail d’impression destiné à l’édition de livres) et « labeurier », « loup » (dette) et « louvetier » (débiteur), « mâchurer » (mal imprimer) et « mâchurat », « mise en pâte » (mélange accidentel de caractères), « ours » (ouvrier pressier) et « singe » (ouvrier compositeur), « pageux » (metteur en page), « paquetier » (compositeur de lignes en paquets) et « virguleux » (correcteur), « piau » ou « pio » (baliverne), « piger la vignette » (reluquer), « proficiat » (banquet), « roulance » (chahut d’atelier), « saint-jean » (nécessaire du typo), « saint-Lundi » (lundi chômé dans l’imprimerie), « Sainte-Touche » (sainte honorée les jours de paye), « salé » (travail payé d’avance), « tierceur » (correcteur des dernières épreuves ou « tierces »), « ut » (santé !), etc.

Nombre de ces mots se sont déjà retirés de l’usage courant ou sont en passe de disparaître de la mémoire des professionnels de l’imprimerie. Or, pour certains d’entre eux, ils remontent très loin, au moins aux premiers siècles du livre imprimé. Il s’imposait donc de tâcher de contribuer à la sauvegarde et éventuellement à la transmission de ce patrimoine langagier, avant qu’il ne soit voué à l’oubli. Le responsable du domaine technique, l’éditeur et moi-même en avions tout à fait conscience, et j’espère que nous avons été à peu près à la hauteur de l’enjeu.

Il se trouvait un autre domaine pour lequel la nomenclature de départ présentait d’après nous des manques : l’univers du manuscrit, de la codicologie, de la paléographie et de la tradition des textes manuscrits. Or nous entendions éviter que l’on s’expose au reproche qui avait été adressé à Lucien Febvre et Henri-Jean Martin à la sortie de L’Apparition du livre – titre qui laissait entendre que livre = livre imprimé, en négligeant tous les siècles où le manuscrit a régné sans partage, sans parler des suivants où il a continué sa carrière en cohabitant avec l’imprimé. Pour prévenir ce travers, nous avons par conséquent fait une large place à l’histoire du livre manuscrit, aux termes de codicologie et de manuscriptologie, voire de papyrologie, mais aussi aux grands enlumineurs (tels que Jean Fouquet, Jean Bourdichon, les frères de Limbourg, Jean Pucelle ou Maître Honoré). En suivant cette voie, on a prévu des entrées pour des termes comme « enluminure », « palimpseste », « parchemin » et « parcheminier », « pecia », « phylactère », « pied de mouche », « réglure », « reportatio », « rubriquer » et « rubricateur », « scolie », « scriptorium », « signet », « stationnaire », « stemma », « studium », ainsi qu’aux différents types d’écriture (par exemple, dans le tome III, « romaines, écritures », « rotunda », « somme, lettre de », « onciale »…).

Dans le même esprit, nous avons tenu à faire un sort à la bibliographie matérielle et à ce qu’on appelle, depuis L’Apparition du livre, l’« état civil du livre », avec des articles comme « achevé d’imprimer », « adresse » (et « fausse adresse », bien sûr), « carton », « colophon », « contrefaçon », « copie », « datation du livre », « défet » (exemplaire incomplet, fragment le plus souvent, d’une édition imprimée), « devise », « édition partagée », « émission » (ensemble des exemplaires d’une édition qui ont subi la même modification volontaire), « empreinte », « errata », « état » (ensemble des caractéristiques d’une édition), « état civil du livre », « étiquette (de libraire, de relieur) », « exemplaire », édition « fantôme » (dont l’existence, signalée de bonne foi par une bibliographie, n’a pu être confirmée par au moins un exemplaire témoin localisé dans une bibliothèque), « faux-titre », « feuilleton » (la plus petite des deux parties d’une feuille d’impression coupée en deux avant pliage), « frontispice », « imperfections » (feuilles imprimées ne suffisant pas pour constituer un volume complet, « parfait »), « liminaire », « lieu (d’édition) », « localisation » (identification du lieu de production d’un livre manuscrit ou imprimé, identification des [s. l.] ou des fausses adresses), « marque typographique », « nouvelle édition », « originale (édition) », « ornements typographiques », « pagination » (histoire), « préfaçon », « préoriginale (édition) », « press figure », « princeps (édition) », « réclame », « signature », etc.

D’une façon plus générale, on s’est efforcé de faire entrer dans le DEL la culture de l’objet, et sous un angle qui ne soit pas seulement technique, avec les arts liés au livre, au premier chef la reliure, la gravure, la photographie… Sur tous ces arts, on ne s’est pas contenté de décrire des techniques, des procédés ou des supports, mais on s’est efforcé de proposer des développements sur l’histoire des décors, des courants et des modes, et sur celle de l’organisation socioprofessionnelle des branches concernées.

Enfin l’un des défis les plus délicats à relever, dès la phase de conception de notre entreprise, consistait à proposer un panorama de l’histoire du livre et de l’édition par pays ou groupe de pays (Allemagne, Amérique du Nord, Amérique hispanique, Belgique, Brésil, Chine, Corée, Espagne, Europe centrale et orientale, France, Inde, Italie, Japon, Océanie, Pays-Bas, Portugal, Québec, Royaume-Uni, Russie, Scandinavie, Suisse), mais aussi par ville (Amsterdam, Anvers, Avignon, Bâle, Bordeaux, Francfort, Genève, La Haye, Leipzig, Londres, Lyon, Mayence, Paris, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Troyes, Venise), et par langue (livre arabe, arménien, grec, hébreu, latin, sans oublier les livres imprimés dans les langues dites régionales de France – alsacien, basque, breton, catalan, corse, flamand, normand, occitan, picard). Dans l’abstrait, cela ne posait pas de difficulté méthodologique, il s’agissait de rédiger une synthèse claire et accessible des acquis à l’échelle de chaque ville, pays ou domaine linguistique. Mais en pratique, c’était sans doute la partie la plus difficile à réaliser de tout le domaine « Histoire ». Il existe rarement, en effet, dans telle ou telle ville, mais à plus forte raison encore dans tel ou tel pays ou groupe de pays, un unique spécialiste qui maîtrise suffisamment l’ensemble de l’histoire du livre et de l’édition depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Il a donc fallu procéder prudemment, recruter souvent plusieurs auteurs par ville, par pays ou ensemble de pays, se livrer à des découpages délicats entre les spécialistes siècle par siècle, ou groupe de siècles par groupe de siècles, et veiller à leur harmonisation, éviter les redondances ou les lacunes. Pour l’histoire du livre et de l’édition en Russie du Moyen Âge à nos jours, par exemple, nous avons fait appel à trois auteurs, de même pour le Royaume-Uni ; pour les Pays-Bas, le Portugal et la Suisse à deux auteurs pour chaque ; en revanche pour l’Inde, l’Océanie et la Scandinavie, par chance nous n’avons eu à solliciter dans les trois cas qu’un seul auteur.

En définitive, comme on peut l’imaginer, le travail sur la nomenclature reflétait déjà une bonne part des ambitions de ce Dictionnaire, avant même que l’on ait commencé à écrire quelque article que ce soit. Le défi, tel qu’il s’exprimait à travers la nomenclature révisée et enrichie, c’était de réaliser un ouvrage fédérant des spécialités, des domaines, des époques proches a priori, mais souvent très peu interpénétrés, du fait de la spécialisation et des routines propres à chaque discipline ou champ de connaissances. Ne serait-ce qu’au sein du champ historique, le DEL, à travers ses grandes notices transversales et diachroniques, oblige à de multiples rapprochements : histoire du livre et histoire des médias ; histoire du livre manuscrit et histoire de l’imprimé ; histoire du livre sous l’Ancien Régime et histoire du livre à l’époque contemporaine ; histoire de l’édition et histoire de la lecture ; histoire économique et sociale, histoire politique, histoire culturelle, histoire des techniques, etc. Ou encore historiographie anglophone et historiographie francophone… Et cette espèce d’abolition obligée des clivages nous semble être en soi une vraie réussite.

En somme, le principal défi à relever consistait à construire un tout cohérent à partir de ces diversités et de ces approches multiples. Il s’agissait de faire en sorte que, dans cet ensemble, tous les spécialistes puissent se retrouver sans que personne se sente trahi, minoré ou exagérément simplifié. Et qu’en même temps l’effort d’explication nécessaire permette à chacun d’apprendre quelque chose et de se cultiver hors de sa spécialité.

LES AUTEURS

La nomenclature, si détaillée et structurée soit-elle, n’est pas tout, loin de là. Encore faut-il trouver les auteurs suffisamment nombreux, compétents et disponibles pour remplir cette immense coquille encore vide. En l’occurrence il était nécessaire de contacter (sans le secours de la messagerie électronique au tout début) et de recruter des centaines de spécialistes, en France et à l’étranger, de se faire connaître, d’exposer le projet, de rassurer ces interlocuteurs sur le sérieux de l’entreprise, de les « briefer » sur le but de la manœuvre et sur nos contraintes (de temps, de place, de qualité, d’actualisation…). Il est vrai que parfois on ne recevait pas de réponse ou – assez rarement tout de même – une réponse négative ; de temps en temps aussi, on nous réaiguillait vers d’autres spécialistes censément plus disponibles.

Au fil de ce travail de recrutement, qui a duré plusieurs années à partir de 1996 (même si pour l’essentiel nos listes étaient constituées dès l’automne 1997), les différents codirecteurs ont pris conscience qu’ils n’avaient pas seulement rassemblé là une mine de connaissances, mais aussi une somme peu commune d’autorités françaises et internationales. C’était impressionnant, et ce qui l’était encore davantage, c’était l’enthousiasme que la plupart des contributeurs sollicités manifestaient pour le projet : une vraie attente existait à l’échelle française et internationale pour ce type d’ouvrage, et notre mission allait consister à tenter de la satisfaire, avec l’aide de cette encourageante armée d’experts.

Au total, il a été fait appel à 720 auteurs (outre 9 traducteurs) : 349 ont contribué au tome I, 318 au tome II, et on en compte 385 dans le tome III. Sur ces 720 auteurs, dont hélas 33 à notre connaissance sont décédés au cours de l’entreprise, le domaine Histoire du livre et de l’édition, qui était un peu le parent pauvre de la nomenclature initiale, en rassemble en fin de compte plus de la moitié (54,3 % très exactement), à savoir 391. C’est dire la place prise par la dimension historique du projet.

S’agissant de la répartition auteurs/auteures, le DEL tend assez significativement vers l’idéal de parité, avec 284 contributrices (39,4 %) pour 436 contributeurs (60,5 %). En ce qui concerne les nationalités, dans le tome I, 18,8 % des auteurs étaient étrangers à la France. Dans le deuxième volume, sur 318 au total, 58 étaient de nationalité étrangère, soit 18,2 %, avec pour pays les plus représentés la Grande-Bretagne (9), les États-Unis et l’Italie (7), la Suisse (6), l’Espagne et le Canada (5), l’Allemagne, la Grèce et le Japon (3). La proportion est restée très similaire dans le tome III : 68 étrangers sur 385 contributeurs, soit 17,6 %. Parmi eux : 12 Britanniques, 7 Suisses, Canadiens et États-Uniens, 6 Italiens, 5 Belges et Néerlandais, 3 Russes et Allemands. Sur l’ensemble des volumes, 144 auteurs étrangers (soit 20 %) de 36 nationalités différentes ont été sollicités – les pays les plus représentés étant la Grande-Bretagne (22), les États-Unis (15), la Belgique (12), le Canada et l’Italie (11), l’Allemagne (9), les Pays-Bas et la Suisse (8), l’Espagne (6), le Brésil, la Grèce, le Japon et la Russie (3).

Sur les 385 auteurs du tome III, 167 (soit 43,3 %) appartiennent aux professions des bibliothèques (152, dont 55, soit 36 %, en poste à la Bibliothèque nationale de France) ou, secondairement, des archives (7) et des musées (6). Dans les tomes I et II, la proportion de professionnels des bibliothèques voire des archives et des musées était encore plus élevée – respectivement 47,3 % et 48,4 %. Au total, 114 auteurs (soit 16 %) relèvent notamment de la BnF3. Dans ce même tome III, 121 auteurs, soit 31,4 %, sont des universitaires, des enseignants ou des chercheurs appartenant au monde universitaire. Cette proportion était de 28,6 % dans le tome I, et de 42,7 % dans le II. Mais il convient de préciser pour être tout à fait juste qu’en France au moins, nombre de conservateurs de bibliothèque, issus ou non de l’École des chartes, sont en même temps des chercheurs ou des enseignants, et que cette osmose, du reste, n’est pas pour rien dans le dynamisme relatif de l’histoire du livre, de l’édition et des bibliothèques dans le cadre français depuis un demi-siècle. Les professionnels du livre, de l’édition, des arts et industries graphiques forment, toujours dans le tome III, la troisième grande catégorie d’auteurs, en tout 58 personnes (soit 15 %), dont 28 travaillent dans l’édition (soit 48 %), 17 sont des libraires (29 %), 9 des professionnels des industries et arts graphiques ou de la papeterie (15,5 %), 4 des relieurs, restaurateurs ou doreurs. Dans le tome I, ces professions représentaient 15,4 % des auteurs ; dans le tome II, 17 %. Enfin, dans la diversité des autres qualificatifs, on relève par exemple : 6 journalistes, 18 personnes se définissant comme auteurs ou écrivains (soit 4,6 %), 9 autres appartenant à la haute administration dans le domaine culturel, etc.

Tous ces auteurs ont eu à œuvrer dans des délais limités (six mois pour la plupart, parfois moins en cas de lacune à combler d’urgence pour l’achèvement d’un tome) et dans un cadre assez contraint, et ils s’en sont généralement acquittés de façon satisfaisante et consciencieuse. Ceux qui comme moi ont eu à recevoir, relire et valider leurs textes ont pu apprécier et saluer la qualité de la grande majorité des contributions. Certains auteurs ont d’ailleurs beaucoup travaillé, rédigeant jusqu’à plusieurs dizaines de notices (dans le domaine Histoire, en particulier, Claude Maignien, Jean-Yves Mollier, Frédéric Barbier, Marie-Hélène Tesnière, le regretté Albert Labarre, Alan Marshall, Fabienne Le Bars, Françoise Weil ou moi-même) 4. Si bien que les codirecteurs se sont retrouvés assez vite avec une masse de textes à examiner et corriger puis à transmettre sans tarder au lexicographe. Il a fallu prendre très rapidement un rythme soutenu sous peine de gripper la machine éditoriale une fois sur sa lancée.

Le rôle principal du lexicographe a consisté à présenter les entrées dans les règles de l’art des dictionnaires (« mise au canon lexicographique »), avec étymologie, « pavé définitionnel » (proposé par les auteurs ou les directeurs scientifiques mais revu avec soin à la lumière de l’expertise lexicographique) distinguant les différents sens et sous-sens et les classant par grande rubrique, puis exemples d’usage, et à veiller à la cohérence entre définition et développement encyclopédique. Le lexicographe a eu également à harmoniser l’ensemble du corpus, avec bien sûr la collaboration des codirecteurs. Il convient d’ailleurs de préciser que la présence dans l’équipe de cet expert s’est révélée tout à fait utile pour aboutir à des définitions satisfaisantes, ordonner les entrées, hiérarchiser les différents sens, régler les problèmes de frontières entre les grands domaines ou les principales spécialités. De sorte que, si cette étape lexicographique a certes constitué un investissement supplémentaire en temps et en moyens, la qualité lexicographique du DEL a apporté en définitive au produit un « plus » décisif par rapport à bien d’autres ouvrages qui se sont présentés comme des dictionnaires dans le domaine du livre et de l’écrit.

LA FABRICATION ET LE PRODUIT FINI EN QUELQUES CHIFFRES

On ne peut qu’effleurer ici le détail des strates de relecture et de fabrication (épreuves d’assemblage, épreuves de maquette, choix d’illustrations, légendage et relecture des légendes) par lesquelles est passé le DEL avant d’aboutir aux trois volumes actuels. Mais je résumerais volontiers toutes ces étapes en remarquant qu’on ne fait pas un dictionnaire illustré, savant, actualisé et comptant 3 128 pages en trois tomes in-quarto comme on produit un roman broché de cent ou deux cents pages sans illustrations ni légendes ni préface ni bibliographie ni index. Fabriquer un dictionnaire comme celui-là implique de travailler en équipe de façon coordonnée et experte, en respectant des circuits et des phasages éprouvés – et je tiens ici à faire part de mes remerciements admiratifs à Mireille May qui, à Electre, a assuré tout le suivi de la fabrication du DEL avec une rigueur, un allant, un souci de qualité et un sens des réalités tout à fait remarquables. Une telle publication est en somme une « très grosse machine » à faire fonctionner, et c’est ce qui explique aussi qu’il se soit écoulé plusieurs années entre la parution de chaque volume.

Le tome I (A-D) comportait XXXIII-900 pages dont 48 pages de bibliographie, 2 200 entrées et sous-entrées, 616 illustrations et 349 auteurs. Le tome II (E-M), contrairement à ce qu’annonçait le dépliant promotionnel, comptait moins d’auteurs (318 et non 368), mais 1 088 pages, dont 66 pages de bibliographie actualisée, 702 illustrations, près de 2 000 entrées et sous-entrées. Le tome III (N-Z) totalise 385 auteurs, 1 098 pages dont 65 pages de bibliographie actualisée jusqu’aux derniers mois avant l’impression, 635 illustrations, près de 2 000 entrées. L’index comporte 256 pages et 30 000 entrées. Chaque personnage ou institution cités y sont identifiés, qualifiés avec le cas échéant prénoms complets, nationalité, fonctions ou spécialité. Bref une somme d’informations énorme pour laquelle il faut saluer le travail expert de Patricia Sorel et de Mireille May – travail que je n’ai fait moi-même que superviser et compléter de-ci de-là.

QUELQUES REGRETS

Le fait de saluer la qualité, l’utilité et les atouts esthétiques du produit fini ne doit pas empêcher toutefois d’émettre certains regrets ou réserves à propos des trois volumes auxquels on a abouti. Livrons-en donc quelques-uns ci-après en toute simplicité et subjectivité.

On peut déplorer en premier lieu que trop peu de libraires et de professionnels des métiers du livre aient contribué à cette somme qui se veut un hommage à ce qui les fait vivre. Plusieurs grands libraires érudits comme André Jammes, Jean Viardot, Gérard Oberlé, logiquement sollicités, n’ont pas souhaité s’associer à la rédaction du DEL, en invoquant le plus souvent leur charge de travail du moment, ce qui peut parfaitement se concevoir. Mais peut-être n’ont-ils pas tenu non plus à paraître travailler sous la direction d’historiens ou d’universitaires davantage rompus à ce genre d’exercice. C’est d’autant plus dommage que nous ambitionnions justement de pouvoir éviter pareil écueil. Nous pensions effectivement que le fait de travailler sur commande d’un éditeur commercial – bien en prise de surcroît avec le monde des professionnels du livre –, en nous épargnant les questions de préséance disciplinaire du monde savant, aurait dû y aider.

Il faut regretter aussi à ce propos que le domaine « Arts et industries graphiques » ait sollicité trop peu de professionnels de ces filières. On peut pourtant penser qu’en regardant du côté de l’école Estienne, d’autres établissements de formation et des revues professionnelles, on aurait pu trouver un certain nombre de relais et de collaborateurs bien à leur affaire et motivés pour s’embarquer dans une telle aventure. Mais il est vrai aussi que la riche expertise et la polyvalence du responsable du domaine Arts et industries graphiques doivent être saluées. Après tout, c’est le résultat final qui doit primer et, de ce point de vue, par rapport aux autres encyclopédies européennes précitées, le DEL est sans doute l’ouvrage qui a recouru le plus aux milieux extérieurs à l’université et aux professions des bibliothèques. C’est aussi celui qui a poussé le plus loin l’exigence historique et le souci d’actualisation en matière de techniques du livre.

L’illustration, certes, est abondante, riche, en couleurs, variée quant aux époques, lieux et objets choisis, et bien valorisée par la mise en pages. Mais il est regrettable que bon nombre d’auteurs nous aient donné si peu d’idées et de suggestions iconographiques exploitables. Cela a souvent obligé Martine Barruet, qui a assuré le secrétariat général et la majeure partie du travail d’iconographe du projet (après Marie-Gabrielle Slama qui en avait piloté les débuts), à aller moissonner seule les images disponibles et pertinentes. Si elle s’en est remarquablement tirée, plusieurs illustrations en revanche sont encore assez distantes vis-à-vis des textes qu’elles accompagnent – quelques reproches justifiés nous ont été adressés à ce sujet par certains des premiers lecteurs du DEL.

Et puis bien sûr – c’est inévitable –, il reste un certain nombre de desiderata pour la nomenclature elle-même. Il faut d’abord répondre sans tarder à ceux qui pourraient reprocher au DEL d’être « franco-français ». Qu’ils jettent un coup d’œil sur les encyclopédies britannique, allemande et italienne susmentionnées et ils s’apercevront que le DEL est en fait le moins étroitement national de ces divers « produits ». Non seulement des notices par pays ont été prévues, mais nous avons aussi fait place à une quantité impressionnante de personnages, de noms, de marques, et même de termes techniques étrangers. On n’a pas non plus hésité à solliciter de nombreux auteurs étrangers, on l’a évoqué plus haut, ce qui a contraint l’éditeur à consacrer tout un budget à la traduction de textes (de l’anglais, mais également de l’italien, de l’espagnol, du portugais, du néerlandais, de l’allemand et du russe…).

Mes desiderata ne portent donc pas sur ce supposé manque d’ouverture. Je m’étonne plutôt que certains éditeurs ou libraires contemporains bien implantés dans notre paysage culturel (comme Gibert ou Blaizot, du côté des librairies parisiennes contemporaines, L’Aube, Jean-Claude Lattès, Anne Carrière, Viviane Hamy, les éditions de l’Olivier, celles du Rocher, etc., du côté des éditeurs) n’aient pas été pris en compte. Je regrette surtout que de grandes imprimeries dont la fondation ne remontait pas nécessairement au XIXe siècle aient été laissées de côté (par exemple Brodard et Taupin, Floch, Bussière, Aubin, J.-P. Maury, C. Corlet, F. Paillart, Chirat, etc.). Cela peut sembler pour le moins curieux dans une encyclopédie du livre censée couvrir tous les siècles… C’est sans succès, hélas, que je suis intervenu pour que l’on revienne sur ce parti pris de départ. De même je déplore quelques lacunes du tome I : notice insuffisante pour le Bulletin du bibliophile ; absence de notice consacrée à l’argot typographique, à Guillaume Budé, aux livres d’architecture, faute à cette époque d’avoir trouvé à temps les auteurs disponibles pour les traiter (aujourd’hui nous les recruterions beaucoup plus aisément). Pour le tome II, je regrette par exemple l’insuffisance de la notice consacrée à l’« envoi » d’auteur, mais aussi le fait de ne pas avoir connu plus tôt les travaux de Greta Kaucher sur les libraires-éditeurs parisiens Jombert (fin XVIIe – début XIXe siècle), qui auraient largement mérité de figurer dans le DEL. Sans doute aurait-il fallu insister aussi pour qu’il y ait des entrées « média » et même « médiologie », afin que le concept de livre se trouve davantage replacé dans un perspective d’histoire de la communication sociale. Pour le tome III, j’aurais aimé rédiger une notice sur « les parlements et le livre » et développer un peu plus des articles comme « Paris », « police du livre », « visite », mais je suis en l’occurrence le principal fautif, m’étant laissé moi-même prendre par le temps…

J’oublie sûrement d’autres bémols… à commencer par le prix, que je trouve bien élevé pour le public des particuliers. Cela dit, il y a plus d’un quart de siècle, l’Histoire de l’édition française, qui n’avait pourtant pas une finalité aussi pratique, coûtait déjà plus de 650 francs par volume. C’était fort cher pour l’époque, cela représentait à peu près un mois de mon loyer d’étudiant, ce qui ne m’a pas empêché d’acheter les volumes auxquels je n’avais pas collaboré… Convenons au moins que tout est relatif et que la contagion de la gratuité documentaire qui domine la Toile a certainement contribué à rendre le public du livre plus regardant sur le prix d’articles naguère « de longue garde ».

SATISFACTIONS

S’il y a donc quelques regrets, je crois aussi qu’il faut se féliciter parce que cet ouvrage, tout bien considéré, tend à répondre aux objectifs que nous lui avions assignés.

Il ne perd jamais de vue le propos pratique ni l’utilité – que ce soit l’utilité des professionnels (pensons par exemple aux notices de termes techniques avec leurs descriptions fonctionnelles et leur effort pour établir un historique de chaque technique), ou celle des étudiants et des enseignants (avec des articles plus conceptuels, des synthèses et des mises au point historiques dont certaines sont introuvables ailleurs). Bien illustré, il relève le défi d’être agréable à parcourir malgré la somme intimidante d’informations qu’il renferme. Il peut être feuilleté librement et pour le plaisir, et répondre à de multiples curiosités.

Sérieux et documenté, il est rédigé par des équipes de spécialistes et de professionnels éminents, eux-mêmes relus par des experts ou des autorités dans chaque domaine ; cela dit, sauf exception bien sûr, les articles sont en principe calibrés pour n’être ni trop longs ni trop limités. Si l’on est censé y trouver généralement ce que l’on cherche dans le vaste domaine du livre, on y déniche aussi des entrées inattendues (sur l’argot notamment, sur les pratiques délictueuses, sur les enjeux sociaux et politiques du livre envisagés de façon diachronique…).

Et puis, surtout peut-être, le DEL invite à la convergence toute une série de spécialités et de filières qui s’articulent autour du livre sans même se connaître parfois, en France et au-delà : les professionnels du livre et de l’édition et les historiens ; les professionnels des bibliothèques et leurs lecteurs ; les historiens et les littéraires ; les amateurs et les chercheurs ; les techniciens et artisans (l’amont) et les « utilisateurs » (l’aval) du livre ; les libraires d’ancien et leurs clients, bibliophiles et collectionneurs. Or parvenir à cette forme de convergence des publics était bel et bien l’une des principales ambitions initiales de l’éditeur et des directeurs scientifiques.

Il n’est donc peut-être pas injustifié de se féliciter d’avoir, à travers ce Dictionnaire encyclopédique du livre, travaillé à faire sauter un certain nombre de clivages, y compris entre les chercheurs et les historiens eux-mêmes, en les incitant à aller au-delà de leurs spécialités, de leurs périodes de référence, de leurs champs linguistiques… Pour finir, on ne peut qu’espérer que, comme l’Histoire de l’édition française en son temps, le DEL devienne l’un des lieux féconds d’une sorte d’« interscience du livre », et qu’il contribue à favoriser et orienter la recherche, à lui ouvrir de nouvelles pistes, notamment transnationales. À cet égard, gageons que les lacunes et desiderata signalés plus haut, et d’autres sans doute, pourront jouer un rôle au moins aussi stimulant que les articles effectivement proposés par les trois volumes de cette somme.

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1 Dictionnaire encyclopédique du livre, sous la dir. de Pascal Fouché, Daniel Péchoin et Philippe Schuwer, et la responsabilité scientifique de Jean-Dominique Mellot, Alain Nave, Martine Poulain, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, t. III (N-Z), 2011, [10]-1088 p. ; 635 ill. (ISBN 978-2-7654-0987-8 ; prix : 195 euros). L’index général du DEL fait l’objet d’un volume particulier de 256 pages (prix : 35 euros).

2 À signaler depuis, dans le domaine anglophone, le récent Oxford Companion to the book, dir. M. F. Suarez et H. R. Woudhuysen, Oxford, Oxford Univ. Press, 2010, 2 vol.

3 Ces 114 personnes étaient en poste à la BnF ou retraitées de l’établissement au moment d’être recrutées pour contribuer au DEL.

4 Il est à noter que 118 (soit 16,4 %) des 720 auteurs ont rédigé des articles pour l’ensemble des trois volumes du DEL.