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Journaux et livres : la lecture dans les aventures du reporter sans plume Tintin

Michel PORRET

Professeur à l’université de Genève

En hommage à Daniel Roche1

« Tintin ! lisez ceci » 2.

« Les bandits !… Qu’ont-ils fait de mes livres ?… » 3.

L’histoire qualitative et quantitative de la bande dessinée francophone qui émerge en France et en Belgique avec le cinéma muet à l’aube du XXe siècle reste à écrire selon les canons scientifiques de l’histoire matérielle, sociale, intellectuelle, économique et culturelle du livre4. Il est pourtant légitime d’étudier la manière dont la « figuration narrative » 5 représente en vignettes l’imprimé né avec Gutenberg. En découle l’histoire des représentations en bulles et en cases des textes manuscrits et imprimés – lettre, billet, télégramme, presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle, livres de tous les formats, brochés ou reliés, illustrés ou non, tract, affiche, pochette de disque. S’y ajoute la façon dont est traitée la lecture dans le bande dessinée. L’imaginaire du texte lu – manuscrit et imprimé, journal, brochure et livre – renforce celui de l’aventure vécue qu’illustre le récit dessiné, voire la complète comme le montrent notamment les exploits en 24 albums de Tintin, le reporter sans plume et le pur héros du XXe siècle6. À la mort d’Hergé (3 mars 1983), toujours sensible aux mythologies d’aujourd’hui, le quotidien Libération rend hommage à cette double identité de Tintin. Dès la une (« France, RFA votes en stock »), le numéro 558 illustre l’actualité internationale et nationale – y compris les petites annonces et les programmes de télévision et de radio – avec près de 80 vignettes tirées des aventures de Tintin qui donnent sens à chaque information7.

Scénarisés et dessinés par le Bruxellois Hergé entre 1929 et 1986, reposant sur un univers graphique de clarté absolue et de redoutable complexité sémantique8, les aventures de Tintin donnent le goût du monde en les lisant et les relisant. Planétaires et emplis d’exotisme, elles sont notamment adaptées en comédie musicale (Le Temple du Soleil, 2001), au cinéma en longs-métrages réalistes ou d’animation (1962, 1965, 19739). Outre les innombrables produits dérivés que marque la culture publicitaire à laquelle Hergé est très sensible, l’épopée de Tintin inspire environ 160 « albums pirates » d’aventures parodiques, dans les genres politique, anarchiste, tiers- mondiste, pornographique (etc.) 10. Tout autour du monde, les péripéties de Tintin commencent au pays des Soviets et se bouclent dans l’univers huppé et cosmopolite des collectionneurs et des faussaires d’art contemporain (Tintin et l’Alph-art, 1986). Le réalisme géopolitique de la série est parfois accentué par l’insertion graphique entre deux vignettes d’une carte géographique qu’inspire le genre coloré et didactique du manuel ou de l’atlas scolaire11.

La seconde séquence de l’épopée (1948-1986) est marquée par l’imaginaire de la guerre froide et des conflits périphériques pour les ressources énergétiques (Au pays de l’Or noir, 1939 et 1950 ; Objectif Lune, 1953 ; On a marché sur la Lune, 1954 ; L’Affaire Tournesol, 1956 ; Coke en Stock, 1958). Dès lors, l’aventure rayonne depuis le havre paisible du château de Moulinsart qu’enserre un parc boisé de quelques hectares. Cet Éden bucolique, où il fait bon rêvasser à la nuit tombée et cultiver ses roses loin des fureurs du monde, focalise pourtant l’attention tapageuse de la presse internationale comme l’illustre la couverture médiatique du « mystère du verre brisé » (London Magazine, Il Popolo, Libération Dimanche, Petit Suisse, Hamburger Tageszeitung), qui prélude en treize planches domestiques mais explosives le thriller de la guerre froide, façon John Le Carré, qu’est L’Affaire Tournesol, cette course poursuite (train, voiture, hélicoptère, hors-bord, car, avion, moto, char d’assaut) entre la Genève internationale de l’Helvétie démocratique et la Bordurie stalinienne du parti moustachiste de Plekszy-Gladz12.

Situé près de Bruxelles selon Hergé qui s’inspire de celui de Cheverny (Loire-et-Cher), le château de Moulinsart est acquis par le capitaine Ar- chibald Haddock grâce à l’argent que rapporte au professeur pacifiste Try- phon Tournesol la vente à l’État du brevet de son « petit submersible ». Requin métallique surmonté d’un cockpit, le sous-marin de poche est testé pour fouiller l’épave de La Licorne coulée à l’explosif en 1698 par le cheva- lier de François Hadoque. De cette manière, le grand ancêtre du capitaine Haddock, amateur de liquide spiritueux comme son descendant assoiffé au XXe siècle, liquide l’équipage des pirates soulographes de Rackham le Rouge. Les frères de la côte ont arraisonné et capturé par abordage sanglant La Licorne.

Avec sa façade plein sud, ses deux ailes latérales, son corps central ouvrant sur le parc par un perron où aboutit une élégante allée de gravier, le manoir confortable de Moulinsart (rez-de-chaussée surélevé, deux étages, combles) est dépourvu de bibliothèque comparable à la magnificence de sa « salle de Marine ». Annoncée sur un bristol imprimé (« Le capitaine Haddock vous prie d’honorer d’une visite la salle de marine consacrée aux souvenirs du vaisseau La Licorne Château de Moulinsart »), l’inauguration de ce musée maritime illustre l’ancrage de l’aventure dans la domus familiale de Moulinsart d’où rayonneront les douze épisodes suivants. Proue, lanternes, ancre en bois, maquettes, plan mural et tableau de La Licorne, portrait et totem indigène du chevalier de Hadoque, manuscrits, pistolet et sabre de combat avec chapeau d’abordage dans deux vitrines au sol, canon de sabord sur affût roulant : on le voit, aucune bibliothèque ne se dresse parmi les vestiges de la marine royale qui y sont exposés à la gloire du prestigieux ancêtre d’Archibald Haddock, protégé du Roi soleil13.

Armures, casques et armes blanches, bibelots, coffres et coffrets, gong et vases, bustes et statues néo-classiques, portraits peints, masques exotiques, paravents, meubles de différentes époques jusqu’à la fin du XIXe siècle, miroirs, timbale, chandeliers, boulier, horloges, globe terrestre, statue de saint Jean l’Évangéliste, oiseau empaillé : emplie d’un « bric-à-brac » accumulé par les antiquaires Loiseau, prison momentanée de Tintin kidnappé par eux, dissimulant in fine le trésor de Rackham le Rouge, la crypte du manoir de Moulinsart ne contient nul livre récent ou ancien. Il faut gagner le grenier paisible du château (Bijoux de la Castafiore) pour y découvrir une dizaine d’ouvrages (dos muets) entassés sur le parquet parmi d’autres vestiges de la vie quotidienne – malles de cuir et d’osier, cartons, cadres de miroirs, fauteuil Voltaire, tables et commode sans tiroirs, machine à coudre, gramophone, horloge, vêtements, parapluie, bouteilles, armure, seille et seau à charbon14.

Pourtant, maints ouvrages reliés et brochés émaillent les aventures de Tintin. Le juvénile reporter intrépide, amateur du roman maritime et initiatique de Stevenson L’Île au trésor 15, y trouve matière à réflexion et à informations historiques, ethnographiques ou géographiques. Selon Pierre Mac Orlan, l’aventurier moderne, guidé par l’imagination, se nourrira « abondamment de la substance merveilleuse que l’on trouve dans les livres » 16. L’aventurier moderne Tintin est d’abord un grand lecteur de journaux où, parfois,… il remplit une grille de mots croisés17.

LA PRESSE

Globe-trotter, reporter, aventurier, justicier et explorateur lunaire, Tintin est sans cesse dans le feu de l’action qu’implique la quête du bien contre le mal qui ne désarme jamais. Ajoutant le courage et l’amitié fidèle (Le Lotus bleu, Au Tibet) à l’endurance physique et morale qu’éprouvent parfois jusqu’à la mort les neiges sibériennes (Au pays des Soviets), la steppe congolaise (Au Congo), le désert caniculaire de la péninsule arabique (Les Cigares du Pharaon ; Coke en Stock), la jungle amazonienne (L’Oreille cassée ; Chez les Picaros), les sables et les mirages sahariens (Le Crabe aux Pinces d’or), les abysses marines (Le Trésor de Rackham le Rouge), le massif andin (Le Temple du Soleil), le vide intersidéral et la désolation lunaire (On a marché sur la Lune), le naufrage maritime (Coke en stock), les neiges éternelles de l’Himalaya (Au Tibet), ou encore l’apocalypse sismique et volcanique (L’Étoile mystérieuse ; Vol 714 pour Sydney), Tintin ne passe guère de temps dans sa bibliothèque. Elle est pourtant bien fournie, comme celle des explorateurs et savants, érudits ou intrépides qu’il côtoie (voir infra).

Née au XIXe siècle, la presse de masse est liée à la civilisation industrielle, urbaine et démocratique. Tintin en incarne le paladin pacifique sans peur et sans reproche. Relayée par la radio, le cinéma et la télévision, la presse orchestre l’aventure et en donne le ton, voire l’impulsion par la provocation médiatique qui ouvre Tintin et les Picaros (« La Dépêche »), symptôme de la finitude et dernier album achevé par Hergé, mais surtout épisode du désenchantement conservateur sur la révolution politique qui reproduit l’inégalité sociale qu’elle veut abolir18.

Sur la scène du danger imminent, de l’investigation cognitive et de l’action immédiate, entre son ancien logis urbain (« 26 rue du Labrador ») puis le château rural de Moulinsart, l’automobile, la moto, le bateau, le train et l’avion qui le rapprochent du péril, le reporter sans plume s’informe avec la presse journalière et hebdomadaire, d’information générale ou mondaine, de nature culturelle ou touristique. Envoyé spécial du Petit XXe à Moscou pour débusquer le mensonge égalitaire et le mirage industriel de la révolution bolchévique qui asservit le peuple affamé et renforce les privilèges claniques des politiciens repus, Tintin profite du voyage ferroviaire via Berlin comme un bon bourgeois belge pour lire un journal non identifié19.

Ayant démantelé au Congo belge une bande de gangsters internationaux venus des États-Unis et qui terrorisent les indigènes, Tintin se prélasse sur la terrasse d’un palace colonial. Assis dans un rocking chair qu’entourent au sol des lettres tirées de leurs enveloppes (félicitations d’admirateurs ?), il parcourt la presse coloniale (Le Colonial, Le Courrier d’Afrique, La Brousse, L’Africain). À la une des médias favorables à la métropole belge qui « civilise » le Congo20, s’étalent les exploits et le courage du héros juvénile sans peur et sans reproche. Mise en case comme elle est souvent mise en film, la presse miniaturise et condense le récit haut en couleurs de l’aventure. Entre vaillance du héros et défaite de ses adversaires toujours criminels, elle s’enchâsse dans le récit et place l’aventure en abyme. Elle ponctue les tensions. Elle rythme les péripéties répétées des exploits de l’intrépide redresseur de torts. Par exemple, Le Colonial évoque le triomphe du « jeune reporter », que les cases du récit dessiné illustrent depuis son départ de la Gare du Nord de Bruxelles et du port d’Anvers d’où il embarque sur le robuste paquebot « Thysville » (Les Aventures de Tintin, reporter au Congo, version en noir et blanc, 1931, première planche) 21.

Traquant en Extrême-Orient les trafiquants d’opium qui ajoutent le com- merce d’armes au terrorisme contre les paysans refusant d’abandonner la culture des céréales pour celle du pavot, Tintin libère le fils du maharadjah de Rawhajpoutalah des mains de ses ravisseurs : photographie à l’appui, la presse enchâssée dans le récit signale l’heureux dénouement du kidnapping lié à l’« Affaire du Caire » (commerce international de stupéfiants). La fin du premier épisode en Extrême-Orient est ainsi condensée par le récit médiatique, emboîté dans celui des exploits de Tintin22. Faisant suite à la guerre juste que Tintin mène quasiment désarmé contre les criminels cosmopolites et trafiquants de drogue dans le contexte de la rivalité sino-japonaise en Mandchourie (invasion du Japon, 1933), Le Lotus bleu dans ses versions de 1936 (noir et blanc) et 1946 (couleurs) commence en sa première vignette par une coupure de presse. Comme dans un serial américain apprécié d’Hergé23, le journal résume l’épisode précédent (Cigares du Pharaon) et annonce les péripéties en cours et à venir du reporter (« Des nouvelles de Tintin »). Au terme de celles-ci, alors que le gang de l’opium est démantelé, entre trois photographies (dont deux du reporter), Le Journal de Shanghai s’étale sur une demi-planche du récit dessiné (une planche entière dans la version en noir et blanc). Il met à la une toute l’affaire que le lecteur vient de lire. S’y ajoute un entretien d’un quart d’heure avec Tintin24.

L’ultime demi-planche du récit L’Île noire (dans ses trois versions : 1938, 1943, 1966), ou combat épique de Tintin contre un gang de faux-monnayeurs cosmopolites installés en Écosse, procède du même principe narratif de mise en abyme de l’épisode dans une page de presse qui le résume et le conclut pour sacrer l’héroïsme du « célèbre reporter ». La une du numéro 11 432 de The Daily Reporter (Glasgow edition) titre « Le Mystère de l’Île noire. Une bande internationale de faux-monnayeurs sous les verrous ». Quatre photographies (arrestation des faussaires, mise en pension au zoo du gorille de l’Île noire qui en terrorisait les éventuels visiteurs, spécimens de billets de banque contrefaits, Tintin debout au milieu des policiers qui l’ont tiré des mains du gang) illustrent l’aventure qui se dénoue avec la fin du récit dessiné. L’amplification médiatique de l’aventure terminée en accentue le réalisme journalistique comme la poésie sociale du XXe siècle25.

Si chez Hergé la presse a ainsi parfois le dernier mot dans le jeu narratif des cases et des vignettes qu’elle met en redondance en s’y emboîtant, elle fonctionne aussi comme l’annonce immédiate de l’intrigue par le fait divers qui amplifie dramatiquement le réel. Accidents, catastrophes, héroïsme et crimes : avec l’invention médiatique et romanesque vers 1860 de la notion spectaculaire et pittoresque de « fait divers » chez les auteurs naturalistes (Zola, Thérèse Raquin, 1867) et dans la presse de masse à sensation (Le Petit Journal, L’Œil de la Police, Les Faits-divers illustrés, etc.), l’imaginaire de l’aventure criminelle y est lié jusqu’à aujourd’hui26.

Pour Hergé – du début à la fin de son œuvre –, la presse représentée dans le récit dessiné lui permet d’opérer des raccourcis narratifs afin d’accentuer la mimesis du réel propre aux exploits de Tintin. Celui-ci peut trouver dans les journaux des ingrédients, des indices et des faits divers qui le mettent sur la piste du crime ou sur celle de l’aventure. Confronté au « vol mystérieux » d’un fétiche arumbaya commis au Musée d’ethnographie de sa ville puis remis en place d’une manière inconnue, Tintin soupçonne l’action d’un faussaire. La forban aurait replacé une copie de la statue pour conserver l’original. En lisant un autre fait divers morbide dans son journal matinal (« Imprudence »), il apprend l’accident mortel du sculpteur Balthazar (étouffé par le robinet ouvert de son réchaud à gaz). Sherlock Holmes en herbe selon le soliloque ironique de Milou (« Encore un peu et il se croira aussi fort que Sherlock Holmes »), Tintin en déduit que l’artiste a été assassiné par les commanditaires de la fausse statue. Cette présomption mène le reporter devenu détective à leur poursuite27.

Bien enchâssée dans les cases, la presse figure ainsi l’amorce narrative du récit de l’aventure, comme l’illustre encore la première vignette du Secret de la Licorne (1943). Elle est composée d’une coupure de journal intitulée « Faits divers » ou multiplication inquiétante « depuis quelques semaines » de « vols à la tire » dans les « grands magasins, cinémas, marchés, ventes publiques ». Au cœur du dispositif policier déployé contre le fléau social des pickpockets, les détectives Dupond et Dupont doivent enquêter sur le « Vieux marché » (marché éponyme de Bruxelles, quartier des Marolles, quelques centaines de mètres à l’est de la Gare du Midi), où Tintin les rencontre avant d’acquérir – avec difficulté – la première des trois maquettes du vaisseau amiral La Licorne pour l’offrir à son nouvel ami le capitaine Haddock28.

Dans le second épisode du Secret de La Licorne, un numéro de La Dépêche qu’achète le capitaine Haddock (avant de télescoper violemment une colonne publicitaire Maurice sur laquelle La Dépêche vante son impact médiatique dans l’information urbaine) brise le secret entourant le départ imminent du « chalutier Sirius ». Affrété par Tintin et Haddock qui ont percé le secret du chevalier de Hadoque en lisant par « transparence » trois « parchemins » manuscrits sur du papier pelure qui se complètent pour indiquer une latitude et une longitude (« Trois frères unys. Trois Licornes de/conserve voguant au Soleil de Midi/parleron./Car c’est de la lumière que/viendra le lumière. Et resplendira/20 37 42 N. 70 52 15 W./la † de l’Aigle ») 29, le navire va appareiller d’Anvers pour la chasse au trésor. Dans le même épisode, au retour de la quête infructueuse du trésor, Haddock et Tintin lisent une petite annonce publiée dans la presse qui prévoit la « vente publique et forcée du château de Moulinsart ». L’ayant acquis grâce à la générosité financière de Tournesol, ils découvriront dans les caves du manoir le trésor qu’ils sont vainement recherché au bout du monde, dans les abysses maritimes30.

La convention graphique choisie par Hergé pour représenter visuellement un journal suit deux principes d’illustration. Tout d’abord, le journal comme objet de lecture (voire le programme du Music-Hall-Palace, Les 7 boules de cristal, p. 881 (7), 3 a) ne s’illustre que par le dessin de pages blanches (signifié ou représentation graphique du concept « journal »), que peut surmonter un titre imprimé selon l’exemple du périodique Sport élevage que lit en coulisse le clown du Music-Hall-Palace (ibid., p. 886 (12) 3 c). D’autre part, s’y ajoute l’image qui focalise de manière réaliste le texte lisible par le lecteur de l’article que lit le protagoniste du récit (le contenu du journal, la une, les titres, les articles, les photographies).

Ce processus narratif ressort de manière exemplaire dans la première planche du récit Les 7 boules de cristal : l’alternance narrative entre la représentation graphique du journal (pages blanches, lisses ou froissées) et la focalisation textuelle lisible (gros plan sur les mots de l’article) donne sens à la pratique de la lecture qui occupe Tintin. Dans le train qui le conduit à toute vapeur sous un joyeux ciel bleu à Moulinsart où Haddock mène la vie d’un châtelain distingué qui pratique avec douleur l’équitation et se pare d’un monocle aristocratique, Tintin se perd dans la lecture des pages centrales d’un quotidien à l’instar de l’un des deux autres voyageurs masculins du compartiment cossu (le quatrième passager est une femme qui ne lit pas). Couvert d’un chapeau melon, son voisin de siège lit par-dessus son épaule l’information qui fascine le reporter. Signalant la découverte archéologique d’une tombe Inca qui précède ce nouvel épisode des aventures de Tintin, l’article anticipe sur son déroulement dramatique (malédiction de la momie contre les profanateurs de sépulture) que prévoit le voisin (« brave homme ») de wagon du reporter :

APRÈS DEUX ANS D’ABSENCE L’EXPÉDITION SANDERS-HARDMUTH EST RENTRÉE EN EUROPE. / L’expédition ethnographique Sanders-Hardmuth vient de rentrer en Europe après un long et fructueux voyage au Pérou et en Bolivie. / Les explorateurs ont traversé des territoires peu connus où ils ont découvert plusieurs tombeaux incas. / Dans l’un d’eux, notamment, ils ont trouvé une momie encore coiffée du « boria » ou diadème royal en or massif. Certaines inscriptions funéraires ont permis d’établir avec certitude qu’il s’agissait de l’Inca Rascar Capac31.

Selon Hegel « le journal, c’est la prière du matin de l’homme moderne. » Deux jours plus tard, le quotidien matinal que lit Tintin en prenant son petit déjeuner (2 vignettes avec journal dessiné en blanc, focalisation sur l’article de presse) confirme l’hypothèse anticipatrice de l’« étrange épidémie » (« mal mystérieux ») ou malédiction vindicative qui frappe les profanateurs de la tombe inca32. Dans Le Temple du Soleil, quête de la vérité ethnographique dans l’isolat utopique du royaume inca retranché de l’histoire et de la convoitise des hommes, la convention de représentation de la presse en vignettes devient plus réaliste chez Hergé. L’imitation typographique du journal, avec ou sans photographies, accentue le réalisme narratif. Installé avec Haddock dans l’ultime wagon du train qui le mène de Santa-Clara à Jauga sur la piste de Tournesol (Temple du soleil), Tintin lit une brochure touristique. L’imitation typographique culmine avec le dessin d’une photographie centrale qui représente la voie de chemin de fer que suivent les aventuriers. En apprenant au reporter que celle-ci « est la plus haute du monde », la brochure anticipe sur le sabotage du dernier wagon qui manque de tuer les deux aventuriers en chutant dans le vide vertigineux33. Bien visible dans la brochure touristique, cette convention réaliste de la représentation de la presse marquera la suite de l’épopée jusqu’à sa première fin que représente l’album Les Bijoux de la Castafiore (1963), que ponctuent les scoops mondains à la une de Paris Flash, du Tempo di Roma et de La Dépêche (« Billet du jour : Le Rossignol et la police ») 34.

Coke en Stock (1958) reste le manifeste humaniste d’Hergé contre les trafiquants d’armes, le racisme et l’esclavagisme. Dès la séquence burlesque des « vieux journaux » glissés par le galopin Abdallah sous la coiffe des chapeaux de Dupont et Dupond, la presse représentée dans la vignette perd ainsi quasi définitivement sa blancheur graphique au profit d’un dessin d’imitation typographique du journal (encadrés, points, traits, blocs). Pour montrer la lecture, pour la donner à lire en vignettes, le processus narratif continue d’opérer le même mouvement entre la représentation du journal graphiquement illisible et le gros plan (focalisation ou ocularisation interne35) sur l’article lisible. Celui-ci retient l’attention de Tintin avant qu’il informe Haddock sur le « Coup d’État au Khemed » 36. Enchâssé dans les vignettes, l’article lisible participe au récit (sens interne de la narration) et guide le lecteur (sens externe).

Avec le journal représenté en blanc ou de manière plus réaliste avec la mimésis typographique – voir les journaux que les deux agents bordures lisent dans le hall de l’hôtel Cornavin à Genève (dont un exemplaire plié du Journal de Genève)37 –, les informations que lit Tintin ressortent aussi des commentaires qu’il en fait. Lors de la crise militaire liée au sabotage par explosif du pétrole proche-oriental afin de déstabiliser les démocraties occidentales en en paralysant les moyens de transport et les armées mécanisées (Or noir), Tintin commente ce qu’il lit dans la presse quotidienne :

« La situation est grave »… « Aurons-nous la guerre ? »… « Sommes-nous prêts ? »…
« Rappel des classes »… « L’armée veille »… Eh bien ! c’est gai, tout ça38.

Omniprésente dans la narration des exploits du reporter sans plume, la presse en donne l’écho amplificateur. Elle en module les rebonds dramatiques.

À Genève (Affaire Tournesol), devant la devanture d’un kiosque où s’étalent les titres et les publicités de journaux et de magazines célèbres (Journal de Genève, Marie Claire ou encore Écho illustré, hebdomadaire catholique suisse romand où Hergé édite les Aventures de Tintin), Haddock se plonge dans la lecture du Journal de Genève. Une information frappe son attention au point qu’il passe le quotidien libéral à Tintin (« Mais lisez ceci, c’est formidable ! »). Le contenu de l’article en deux colonnes sur un « Grave incident borduro-syldave », lié à l’enlèvement de Tournesol que se disputent les services secrets des deux régimes, occupe une pleine vignette. La focalisation narrative (ocularisation interne) illustre la lecture de Tintin et informe en même temps le lecteur du récit dessiné des suites que va prendre l’aventure en Bordurie dans la traque des ravisseurs du savant pacifiste39.

Parfois, la focalisation sur un article de journal en pleine vignette opère la soudure narrative entre deux séquences du récit. Dans L’Affaire Tournesol, l’attentat des services secrets bordures qui détruit la maison du professeur Topolino – des décombres de laquelle les pompiers suisses de la ville de Nyon retirent les corps inanimés de Tintin, de Haddock et du propriétaire – devient matière d’un article de presse publié le « lendemain matin » de l’explosion. Insérée entre les vignettes de l’attentat (avec le secours des pompiers) et celle du début de l’enquête d’un juge d’instruction, la coupure de presse s’adresse au lecteur du récit dessiné, car elle vient en enrichir textuellement la narration40.

« “La série s’allonge !… ” : Le Mystère des boules de cristal. Est-ce un Tout- Ankh-Amon inca ? La vengeance de Rascar-Capac. Y aura-t-il sept ampoules de cris[tal ? ] » : dans une même vignette, l’assemblage graphique de plusieurs titres à la une accélère le récit, en condense la dramaturgie et en renforce le réalisme médiatique mis en contre-point – dans la vignette suivante – d’une brève radiophonique41. L’assemblage de coupures de presses dans une vignette (« Une », pages intérieures) avec photographies des protagonistes culmine avec réalisme à la fin de Coke en stock : une vingtaine de journaux couvrent le « nouvel exploit de Tintin » qui a mené au démantèlement de l’odieux trafic de « chair humaine » mis à l’agenda d’une « assemblée de l’O.N.U. » (nom de code des esclavagistes : « Coke en stock »). Ce dispositif narratif condense une dernière fois l’épisode qu’Hergé vient de donner à lire. La redondance médiatique renforce le réalisme de l’aventure mise en abyme, mais rappelle aussi la modernité culturelle de la bande dessinée comme produit démocratique de la civilisation journalistique.

Mise en vignettes par Hergé, la presse quotidienne lue par les protagonistes de l’aventure et par les lecteurs de celle-ci en constitue l’incipit, le sommaire narratif, le fil conducteur et aussi le résumé en guise de conclusion. Elle peut aussi en annoncer le dénouement en anticipant sur le récit. Captifs du Temple du Soleil où est aussi détenu le professeur Tournesol qui s’est paré du bracelet sacré de l’Inca Rascar Capac, Tintin et Haddock doivent leur salut à la presse. Sur un « morceau de journal » déchiré qu’Haddock utilise pour emballer sa pipe, Tintin lit par hasard l’éphéméride d’une éclipse de soleil prévue « dans dix-huit jours, à 11 h. ». Cette lecture prémonitoire sauvera les captifs du temple du soleil d’une mort atroce, celle sur le bûcher expiatoire allumé par le rayonnement solaire le jour de l’éclipse choisi par le reporter. Au moment où celle-ci commence, lié avec ses deux amis sur le bûcher, il implore le soleil de voiler sa « face étincelante », ce qui provoque la terreur superstitieuse des Incas qui ordonnent la libération des prisonniers42.

Au cœur de l’aventure, la lecture du journal qui l’amplifie et la mène à son terme est complétée par celle plus attentive des livres.

LES LIVRES

La première œuvre citée dans l’épopée du reporter sans plume est pré- cisément… un album des aventures de Tintin. Capturé dans le désert par les nomades du « puissant » cheik Patrash Pasha car accusé d’avoir voulu les empoisonner avec du savon (Cigares du Pharaon), Tintin est remis au dignitaire nomade. Au moment où il décline son patronyme (« Dans mon pays, on m’appelle Tintin »), la colère du cheik s’éteint, car il reconnaît le personnage dont depuis des années il lit les aventures (« Voilà des années que je lis tes aventures. Regarde !… Aussi trois fois béni soit le jour de notre rencontre ! »). Son serviteur africain exhibe un album des exploits du reporter. Dans les premières versions en noir et blanc, la mise en abyme de l’aventure repose sur des épisodes antérieurs que l’on identifie avec la couverture dessinée dans la vignette (Tintin au Congo ; Tintin en Amérique), alors que dès la première édition en couleurs (1955), le serviteur exhibe l’album d’un épisode postérieur aux Cigares des Pharaons, notamment Objectif Lune43. L’autoréférence fictionnelle des aventures de Tintin dans un épisode singulier de celles-ci met fin au principe de linéarité de l’épopée dont – rappelle ainsi Hergé en représentant l’œuvre dans l’œuvre – la lecture peut s’entreprendre par un épisode ou un autre, indépendamment de l’ordre chronologique de leur publication.

Quelques livres orphelins (soit sans connotation de sens avec l’intrigue) ponctuent l’épopée du reporter. Lorsque le livre est un pesant ouvrage relié ou cartonné, il devient assommant au sens littéral du terme, à l’instar du volume in-octavo Le Petit infirmier qui, avec la boîte des premiers secours, retombe sur le crâne de Tintin sain et sauf après que son avion ait crashé dans la jungle indienne44. Au début de L’Étoile mystérieuse, durant le tremblement de terre associé un moment à la fin du monde, le professeur et directeur de l’observatoire Hippolyte Calis jette six gros ouvrages reliés (traités d’astronomie et de mathématiques ?) à la tête de son collaborateur scientifique pour le punir d’avoir mal calculé la trajectoire d’une météorite qui aurait dû pulvériser le monde :

Il s’est trompé dans ses calculs, le misérable !… Le bolide est passé à 45 000 kilo- mètres de la terre au lieu de la heurter et de provoquer le superbe cataclysme que j’avais espéré45.

Mais, bien heureusement, le livre n’est pas toujours assommant. À la troisième planche du Secret de la Licorne, acquéreur de trois ouvrages reliés pleine peau à la manière du XVIIIe siècle, un bibliophile informe Tintin de l’arrestation de supposés voleurs qui opèrent parmi les brocanteurs (en fait les Dupont-d qui enquêtent parmi les revendeurs). Sur le stand d’un brocanteur du Vieux Marché (même épisode), un in-folio relié pleine peau de mouton (avec coins) et sept in-octavo (dont trois reliés de la même manière et quatre cartonnés en rouge) sont proposés aux amateurs bibliophiles. Le livre d’occasion appartient à l’univers matériel de la brocante et du commerce itinérant d’objets de seconde main qu’illustre Le Secret de La Licorne46.

Or, dans le monde ordré de Tintin, les livres se trouvent surtout dans des bibliothèques (meuble, institution). Oscillant entre une trentaine et une grosse centaine d’ouvrages, près de vingt bibliothèques en émaillent les aventures. Elle leurs confèrent une touche matérielle de réalisme intellectuel. Elles sont parfois publiques, à l’instar de celle imposante située dans la salle des Archives du château de Kropow (Syldavie). En y compulsant des manuscrits, Alfred Halambique – frère jumeau du professeur en sigillographie Nestor Halambique – participe au complot qui vise à renverser le souverain légitime du royaume de Syldavie par le vol du sceptre d’Ottokar47.

Les bibliothèques sont surtout privées. Bungalows du major anglais et du « célèbre écrivain Zlotzky », bureau du Lotus bleu (Shanghai), salon de l’asile psychiatrique du Dr Muller (Angleterre, uniquement dans le version « mo- dernisée » de 1966), logis du spécialiste en sigillographie Nestor Halambique, commissariat du policier Sprbod (Syldavie), salle des Archives du château de Kropow (Klow), secrétariat de l’aide de camp du roi de Syldavie, salon osten- tatoire d’Omar Ben Salaaad (port de Bagghar, Maroc), logis des explorateur, ethnologue et américaniste Charlet, Cantonneau et Bergamotte, bureau de Tournesol et cabinet médical du Dr Rotule (Centre de Recherche Atomique, Sbrodj), laboratoire de Tournesol (parc de Moulinsart), résidence surveillée (République du San Theodoros) : au gré des épisodes, la bibliothèque se dresse come le simple élément du décor mobilier de l’intrigue. Elle en renforce le cadre réaliste (cf. tableau infra).

Outre celle de Tintin (cf. infra), les plus importantes bibliothèques appar- tiennent pourtant à des savants, érudits de cabinet ou hommes de terrain, que croise ou rencontre le reporter sans plume. À son domicile (« 24 rue du Vol à Voile ») le spécialiste de sigillographie Nestor Halambique possède une bibliothèque de quatre rayonnages. Comme un chercheur en sciences humaines asservi quotidiennement à sa table de travail, il en tire la demi-douzaine d’ouvrages de tous les formats déposés sur son bureau lorsqu’il scrute à la loupe un parchemin48.

Dès l’image de couverture de l’album Les 7 boules de cristal, le livre comme support de connaissance est au centre de l’imaginaire scientifique qui nourrit cet épisode majeur de l’épopée parue en feuilletons (Le Soir, Cœurs Vaillants, hebdomadaire Tintin, Cœurs Vaillants) de décembre 1943 à 1948 et qui se conclut avec Le Temple du Soleil dont l’intrigue suit L’épouse du soleil (191249) du romancier et journaliste d’investigation Gaston Leroux. Ainsi, à la une de cet album qui célèbre le littéraire du fantastique, le tournoiement fulgurant de la foudre rougeoyante élève Tournesol sidéré et sourd au tintamarre du monde, au-dessus d’une table de bois massif sous laquelle Milou s’enfuit terrorisé par le feu du ciel. L’ascension brutale du savant – qui plus tard ira sur la Lune – s’accompagne de la sarabande de dix ouvrages in-octavo, fermés, semi-ouverts et ouverts (un béant au sol est illustré d’une photographie). Brochés ou reliés en rouge, jaune, vert et bleu, avec leurs titres en couverture, les livres sont entraînés dans les airs, plaqués à terre. Un ouvrage de couleur rouge est écrasé le texte vers le sol comme un imprimé foulé aux pieds par un censeur invisible50.

Dans son studio moderne d’explorateur et de chasseur de grands fauves, l’intrépide Marc Charlet répond à un appel téléphonique de Tintin qui le met en garde. Parmi les trophées de ses propres aventures en Afrique et en Amérique du Sud (bouclier, sagaies, têtes de buffle et de lion au mur, peau de tigre au sol, masque, totems et fétiches un peu partout), il est surplombé par une bibliothèque d’environ cent ouvrages disposés librement avec des vases exotiques sur des rayonnages fixés au mur51. Camarade d’études du professeur Tournesol, auteur d’un mémoire manuscrit sur les sciences occultes, l’américaniste Hippolyte Bergamotte est – avec le spécialiste en sigillographie Nestor Halambique – un des plus importants possesseurs et consommateurs d’ouvrages de toute l’épopée52. Dans sa haute villa bourgeoise enfouie en un vaste parc, il dispose au moins d’une imposante bibliothèque non vitrée. Elle est constituée de six rayonnages bien fournis d’ouvrages vraisemblablement scientifiques. La foudre colérique les disperse lorsqu’elle frappe la maison du savant profanateur de tombe bientôt plongé dans la léthargie vindicative de l’Inca53.

LA BIBLIOTHÈQUE DE TINTIN

À quatre reprises, avant que Tintin ne prenne ses quartiers au château de Moulinsart, Hergé donne à voir partiellement sa bibliothèque dans son logis urbain de la rue du Labrador 26. Pour s’informer sur l’ethnie des Arumbayas après le vol d’un fétiche arumbaya commis au Musée d’ethnographie (Oreille cassée), il extrait de sa bibliothèque (dont on ne voit partiellement que deux rayons) et consulte l’ouvrage de Ch. J. Walker, Voyages aux Amériques, paru en 1875 chez Graveau. Illustré de bois gravés dans le texte (« Arumbaya armé de la sarbacane », « Fétiche arumbaya »), l’ouvrage cartonné avec titre sur la couverture décrit notamment les fléchettes empoisonnées au curare que les Indiens tirent au moyen d’une sarbacane. La vignette du « fétiche arrumbaya » à l’oreille droite cassée prouve à Tintin que celui rapporté au musée est un faux (oreille droite intacte) 54.

Dans Le Sceptre d’Ottokar, Tintin dispose d’une belle et haute bibliothèque vitrée qui trône dans son modeste salon que meublent un fauteuil et un lampadaire de lecture. Le meuble est constitué de trois parties avec trois rayonnages visible qui sont bien achalandés d’ouvrages aux reliures bariolées (les autres rayons se trouvant vraisemblablement derrières les panneaux en bois inférieurs des portes de la bibliothèque). Tintin en extrait un gros dictionnaire (géographiques ? historique ? politique ? encyclopédique ?) relié en vert (version en couleurs), un peu comme le Larousse du XXe siècle (1933) publié à Paris en six volumes in-folio sous la direction de Paul Augé. Assis dans son fauteuil de lecture, le dictionnaire posé sur ses genoux croisés, Tintin lit à voix haute l’article « Syldavie », un des « États de la péninsule des Balkans. La Syldavie fut conquise au XIe siècle par les Bordures ». La brève notice encyclopédique anticipe sur la chronique historique très détaillée de la brochure illustrée Syldavie Royaume du Pélican noir que le reporter lit durant le vol qui – avec le pseudo professeur Nestor Halambique – le mène à Prague pour prendre l’« avion spécial » de Klow, capitale de la Syldavie55.

Rue du Labrador, une autre pièce du logis de Tintin contient une bibliothèque plus modeste. Non vitrée, ce meuble est composé de trois rayons couverts d’une quarantaine d’ouvrages non serrés. C’est dans cette petite chambre de travail (un canapé, une table, un bureau et buvard sous-main), avec fenêtre donnant sur la rue, que Tintin déchiffre à la loupe une inscription manuscrite notée sur le « petit papier » arraché à l’étiquette d’une boîte de conserve de crabe. Mot esquissé et déchiffré à la loupe en bibliothèque : cet indice fragile, digne de Sherlock Holmes, le met sur la piste du cargo éponyme spécialisé dans le trafic d’opium (cargaisons de crabe en boîtes de conserve) où il rencontrera le capitaine alcoolique Haddock56.

Malgré leur relative rareté dans l’épopée, le globe-trotter Tintin est affective- ment attaché aux livres de sa bibliothèque. Ces outils imprimés l’informent sur le monde au moment de l’aventure. Ils la préparent. Le vandalisme livresque révolte Tintin aussi fortement que le trafic d’armes. Les cambrioleurs qui fouillent son appartement pour retrouver une des trois maquettes de La Licorne dévastent les lieux. Au sol et sur un guéridon, sont dispersés des papiers froissés et plusieurs dizaines de livres arrachés à la bibliothèque non vitrée du reporter. La désolation s’est abattue au 26 rue du Labrador. « Les bandits !… Qu’ont-ils fait de mes livres ?… », se désole Tintin. « En voilà un qui est tout abîmé !… Ah ! les vandales ! », ajoute-t-il en ramassant un volume qu’écrase la lourde reliure d’un autre. La catastrophe livresque culmine lorsqu’une pile d’une douzaine d’ouvrages reliés s’effondre sur la tête de Milou qui en reste sonné57.

ENCHÂSSEMENT NARRATIF DE LA LECTURE

Journaux, brochures et livres : la lecture représentée dans les aventures de Tintin obéit à deux principes narratifs. À l’instar des autres médias (radio, cinéma et télévision) du monde contemporain dans lequel agit le reporter sans plume, elle accentue le contexte réaliste des épisodes en en soudant de manière syncrétique la narration. S’ajoute au motif imagé de la lecture l’illustration de la lecture comme supplément narratif, comme moyen d’insérer un récit autonome dans le récit d’un épisode des péripéties de Tintin. Cet enchâssement d’un récit secondaire subordonnée au principal lui donne un sens supplémentaire.

Dans l’avion trimoteur qui l’emmène avec le pseudo professeur Halambique à Prague afin d’attraper la correspondance aérienne pour Klow en Syldavie, Tintin jette un « coup d’œil » sur une brochure intitulée Syldavie Royaume du pélican noir. Entre texte et riche iconographie (portraits en pied d’un garde du trésor royal et d’une paysanne syldave allant au marché ; visage d’un « pêcheur des environs de Dbrnouk » ; « vue de Niedzdrow » ; « bataille de Zilehroum d’après une miniature du XVe siècle » ; portrait du roi actuel de Syldavie Muskar XII ; représentation du sceptre d’Ottokar IV ; gravure extraite des hauts faits d’Ottokar IV (manuscrit enluminé du XIVe siècle)), la géographie, l’ethnographie, la démographie (642 000 habitants), la géologie (minerais de toutes sortes), l’économie (exportations : blé, eau minérale, bois de chauffage, chevaux et violonistes), puis surtout l’« histoire de la Syldavie » du VIe au XXe siècle à travers les luttes nationales et la généalogie des ses souverains légitimes occupent trois planches du Sceptre d’Ottokar. Cette enclave narrative à vocation historiographique rappelle que la monstration annuelle du sceptre d’Ottokar comme trophée généalogique par le souverain légitime lui assure l’exercice illimité de la souveraineté royale. De cette manière, le récit enchâssé de la brochure anticipe sur le vol de cet objet sacré. Accusé tout d’abord d’être un terroriste par l’aide de camp du roi qui complote contre son maître, Tintin retrouvera le sceptre pour mettre en échec le complot et l’Anschluss que fomentent le dictateur bordure Müsstler – clone de Mussolini et d’Hitler – avec ses complices qui ont infiltrés l’appareil d’État syldave (police, armée, administration). La lecture (ocularisation interne) que fait le reporter (« Eh bien ! tout cela est extrêmement intéressant, mais… ») devient un récit autonome du Sceptre d’Ottokar, mais qui in fine donne le sens anticipateur à sa principale péripétie, soit le vol de l’attribut royal par le sbires de Müsstler pour renverser la monarchie paisible et paternaliste de Muskar XII, qui doit tant à celle des rois de Belgique Albert Ier (règne 1909-1934) et Léopold III (1934-1944) 58.

Le dispositif d’enclavement d’un récit secondaire, qui par enchâssement renforce le récit primaire, culmine dans l’épisode Le Secret de La Licorne, avec la lecture nocturne par le capitaine Haddock des trois volumes in-octavo (de « vieux manuscrits » reliés pleine peau, dos à nerfs) des « Mémoires de François Chevallier de Hadoque Capitaine de la Marine du Roy Commandan le Vaisseau La Licorne ». Face à Tintin, un serrurier et la concierge de l’immeuble inquiets et qui ont forcé la porte de son logis, Haddock les accueille un sabre d’abordage en main et un chapeau à plume rouge sur le chef. « Surexcité », le loup de mer retraité a passé la nuit à lire le texte manuscrit de son ancêtre qu’il a tiré d’une « très vieille malle » entreposée au grenier.

Condensées dans l’image de couverture de l’album qui donne la solution de l’épisode59, les 123 vignettes de ce récit secondaire enchâssé dans le récit principal obéissent au dispositif de l’alternance narrative entre le discours de Haddock (lecteur du manuscrit de son ancêtre), l’illustration dessinée de ce qu’il narre à Tintin et la manière dont ce lecteur passionné revit dangereusement (incarne) les combats en 1698 de son ancêtre au service du Roi soleil. Navigation par « bonne brise » du fier vaisseau La Licorne qui file depuis l’île de Saint- Domingue, poursuite par les flibustiers qui remplacent le pavillon noir par le rouge (« pavillon sans quartier »), canonnade défensive du vaisseau royal, abordage des forbans, résistance héroïque des marins menés par le chevalier de Hadoque qui tue la moitié de l’équipage pirate avant d’être assommé par la chute d’une poulie, victoire des frères de la côte (massacre des survivants, saisie du vaisseau royal), ligotage du chevalier au grand mat, entretien avec le forban Rackham le Rouge qui exhibe le butin de diamants pris à un vaisseau espagnol, condamnation au supplice du chevalier, abominable soulographie des pirates, « efforts désespérés » du chevalier qui se libère de ses liens, sa descente à la sainte-barbe et la préparation du « feu d’artifice » (mèches, barils de poudre) pour faire sauter La Licorne, ultime combat avec Rackham le Rouge percé au sabre par Hadoque (« Et voilà !… Dieu lui pardonne tous ses crimes… »), sa fuite nocturne dans un canot, l’explosion de La Licorne (« Hourra ! Justice est faite ! »), sa robinsonnade de deux dans l’île déserte peuplée d’indigènes dont il devient l’ami, son sauvetage par un « vaisseau qui le ramena dans son pays » (fin des mémoires avec le testament du chevalier qui lègue à ses trois fils trois maquettes de La Licorne dont le grand mat est mobile) : digne de la vie des plus fameux pirates que Daniel Defoe publie au début du XVIIIe siècle60, ce récit coloré de piraterie maritime peut se lire de manière autonome, un peu comme une histoire enchâssée dans le Manuscrit trouvé à Saragosse du Polonais Potocki61.

Pourtant, de même que dans le Manuscrit trouvé à Saragosse, par anticipation d’habile scénariste, cette enclave narrative donne tout son sens à la future découverte du trésor du forban Rackham le Rouge que feront Tintin et Haddock une fois résolu le secret de La Licorne. La résolution policière et exploratrice sous les mers et sur terre de ce mystère hérité de jadis leur permettra d’acquérir le manoir élégant du chevalier de Hadoque62. En outre, ce récit pirate contamine l’entier et prestigieux roman familial du capitaine Haddock. Notamment sous l’effet de l’alcool déprimant ou euphorique qui ravive le passé63, le capitaine ne cesse de le ressasser jusqu’au terme de l’épopée des aventures de Tintin, toujours guidé par la hantise ancestrale du récit pirate qui colonise sa mémoire et son imaginaire.

Lu et mimé par Haddock à Tintin en alternance avec le récit imagé de l’abordage et du sabordage de La Licorne, le manuscrit des Mémoires du chevalier de Hadoque est un récit enclavé qui inscrit le passé (prestigieux), le présent (épisode en cours) et l’avenir (son développement en lien avec les épisodes suivants) dans la narration et la dramaturgie des exploits du reporter sans plume qu’Hergé donne à lire. Très violente, la miniature de la brève fiction pirate dans la fiction du long récit de la quête du trésor de La Licorne rappelle le poids de la lecture comme ingrédient crucial à l’imaginaire de l’aventure. Sans les livres, celle-ci n’est rien. Même s’il a ouvert le chemin de la Lune après l’anticipation de Jules Verne64, le savant pacifiste Tournesol n’a rien d’un aventurier. Il préfère le laboratoire expérimental à la scène de l’action directe – bien qu’il soit l’objet de deux enlèvements (Les 7 boules de cristal ; L’Affaire Tournesol), d’une prise d’otage (Vol 714 pour Sydney) et d’une séquestration politique (Tintin et les Picaros). Pourtant, sourd au monde et pionnier de l’exploration lunaire, le savant pacifiste s’adonne à la lecture, mais habillé de son peignoir et coiffé de son galurin… dans son bain65.

Tableau n° 1 – La presse périodique.

TitresPériodicité Q = quotidienLecteurContexte lecture M = Moulin-sartRésumé, occularisationÉpisodesRéférences
Sans titreQTintinTrainSoviets4, 2-b
Le Colonial, La Brousse, Le Courrier d’Afrique, L’AfricainQTintinTerrasseCongo53, 3-a
Chicago TribuneQTintinLogisAmérique14, 3-a
Sans titreQBob, gangsterRepaireAmérique41, 4 b-c
Sans titreQMajor anglaisTerrassePharaon37, 2 b-c
Sans titreQLecteur récitouiPharaon60, 4-b
Sans titreQLecteur récitouiPharaon1, 1-a
Sans titreQW. R. GibbonsRueLotus7, 3, a-c
Journal de ShanghaiQLecteur récitouiLotus60, 1
Sans titreQWang Jen Ghié, TintinLogisouiLotus61, 2-d
Sans titreQTintinLogisouiOreille3, 4, a-c
Sans titreQAlonzo Perez, Ramon BadaLogisOreille7, 3-b
Sans titreQIdemSur le frontOreille45,2, b-d
Sans titreQWronzoff et son compliceQuai gareÎle2, 4-b
Sans titreQTintinTrainÎle3,1-b
Sans titreQComplice MüllerTrain31, 4-a ; 32, 2-a
The Daily ReporterQLecteur récitouiÎle62, 1
Sans titreQMinistre de l’Intérieur syldaveCabinet du ministre(oui)Sceptre61, 1-b
Sans titreQDupont, TintinCaféCrabe3, ld ; 2-a
Sans titreQLecteur récitouiSecret1-a
Sans titreQHaddock, lecteur récitrueouiSecret32, 1, 2-a
La DépêcheQHaddock, Tintin, lecteur récitRue, logisouiTrésor2 (passim)
Sans titreQHaddock, Tintin, Tournesol, lecteur récitLogisouiTrésor58, 2-4
Sans titreQTintin, voyageurs Lecteur récitTrainoui7 boules1 (passim)
Sport élevageHebdo. (?)ClownCoulisses Music-Halle-Palace7 boules12, 3-c
Sans titreQTintin, lecteur récitLogisoui7 boules17, 2 ; 3-a
Sans titreQMarc CharletLogis7 boules19, 3-a
Sans titreQHaddock, lecteur récitLogisoui7 boules22, 1-a
La DépêcheQPublic, Haddock, lecteur récit, TournesolLogis, rueoui7 boules25, 1-3 ; 26, 1-c ; 2, 3-a
Sans titreQTintinLogisoui7 boules48, 3-c, 4-a
Sans titreQ (?)TintinPrison Temple du SoleilTemple52 (passim)
Sans titreQTintinLogisouiOr noir3, 1-a
Sans titreCoupures de journauxTintinRepaire du Dr MüllerouiOr noir45, 2 a-c
Sans titreQPassagerAvion pour KlowObjectif3, 1-b
London Magazine, Il Popolo, Petit Suisse, Libération Dimanche, Hamburger TagesQLecteur récitouiAffaire13, 2-c
Journal de GenèveQAgents borduresHall hôtel CornavinAffaire18, 4-c, 19, 1, a-c
Sans titreQLecteur récitouiAffaire27, 4-c
Journal de GenèveQHaddock, agents bordures, Tintin, lecteur récitGare CornavinouiAffaire42, 1-3, 43, 1, 2-a
Journal de GenèveQHaddockBusAffaire45, passim
Sans titreCoupures déchiréesTintin, HaddockMCoke10, 4 b-c, 11, 1.
La DépêcheQTintin, HaddockRue, MouiCoke13, 3 b-c, 14, 2-c, 3-a
Coupures de presseQLecteur récitouiCoke60, 1
Sans titreQHaddock, Tintin, lecteur récitHôtelouiTibet2-b, 3 a-c, 2, 1 a-c
Sans titreQTintin, Haddock, lecteur récitHôtelouiTibet4, 4-c, 5, 1 a-b
Paris FlashHebdo.Haddock, Lecteur récit, Castafiore, TournesolMouiBijoux27 (passim), 28, 1 b-c, 2 b-c, 29 3 b-c
Tempo di RomaHebdo.Castafiore, HaddockM(oui)Bijoux41, 1-3
La DépêcheQHaddock, TintinMouiBijoux57, 3 b-c
Paris-FlashHebdo.HaddockMouiPicaros1, 2 b-c
La DépêcheQTournesol, HaddockMouiPicaros4, 3-c, 4-a, 5, 1-2
La VéritéQHaddock, Tintin, Lecteur récitMouiPicaros5, 4-c, 6 1 a-c, 2-a
La DépêcheQHaddock, Tintin, Tournesol, Lecteur récitMouiPicaros9, 2-d, 3-b, 4 a-c, 10, 1-2,
Sans titreQTournesolRésidence surveilléePicaros19, 4 ac, 23, 24, 4, a-b

Tableau n° 2 – Bibliothèques dans les Aventures de Tintin.

Nombre d’ouvragesEnvironnement et contexteÉpisodesp.
TrentaineBungalow du major anglaisCigares39, 2-c
IdemBungalow écrivain ZlotzkyCigares42-43. 3-c, 1.
QuarantaineBureau du Lotus bleuLotus59, 2-a
VingtaineLogis de TintinOreille2, 2-d
Plus de centSalon asile du Dr Muller (nulle bibliothèque, deux premières versions)Île15, 3-c, 4, 16.
Une centaineAppartement professeur HalambiqueSceptre1, 3-d, 2, 1-2
Une centaineBibliothèque de TintinSceptre7, 2-a
Quelques dizainesBureau de police du commissaire SprbodjSceptre29, 3-c
Plusieurs dizainesSalle des Archives du Château de KropowSceptre31, 1-b, 33, 2-d, 40, 3 b, 4-c
Plusieurs dizainesBureau aide du camp du roi de SyldavieIdem35, 3-c, 36, 1.
Quelques dizaines,Logis de TintinCrabe7, 2 a-b.
Une soixantaineSalon d'Omar Ben SalaaadCrabe56, 4 b-c.
Plusieurs dizainesBibliothèque de TintinSecret9, 2-3.
Petite centaineSalon de l'ethnologue Marc Charlet7 boules19, 3 a.
Quelques dizainesBureau du savant Cantonneau7 boules20, 4 b
Une bonne centaineSalon de l'américaniste Hippolyte Bergamotte7 boules27, 2, a-c, 30, 4-a, 35, 3, b-c
Une vingtaineBureau de Tournesol, Centre de Recherches Atomiques (CRA), SbrodjObjectif7, 4-c, 8, 1-a, 9, 3-c
Une poignéeCabinet, Dr Rotule, CRA, SbrodjObjectif25, 4-a.
TracesLaboratoire de Tournesol, MAffaire14, 4-c
Une dizaineRésidence surveillée de Haddock et de Tournesol, République du San TheodorosPicaros15, 4-c

Tableau n° 3 – Bibliographie des principaux ouvrages identifiables dans les Aventures de Tintin.

AuteurTitreGenreRel. ou broch.DateÉditeursÉpisodep.
HergéAlbums Aventures de Tintin. Titres selon rééditionsFictionRPt 20e, CastermanPharaon15,4-d
Le Petit infirmierMédecineR????Pharaon33, 4-d
CH.-J. WalkerVoyages aux AmériquesEthnographieR1875GraveauOreille2, 2-e
AnonymeAnnuaire de l’automobileUsuelR????Oreille10, 2-c ; 11, 1-d
Anonyme[Dictionnaire géographique]UsuelR????Sceptre7, 2-b
AnonymeSyldavie Royaume du Pélican noirHistoireB????Sceptre18, 4. 19-21
AnonymeAnnuaire de la marineUsuelR????Étoile40, 1-a, 2-c, 3.
Chevalier de HadoqueMémoiresR??Manuscrit, 3 volumesSecret14, 4-a
Hippolyte BergamotteMémoire/sciences occultesEthnographieB??Manuscrit7 boules30, 1-2, 32 1-c
AnonymeRegistre maritimeUsuelR??Manuscrit7 boules61, 4-c, 62, 1-a
Anonyme[Manuel de radiesthésie]UsuelR????Temple51, 4-c, 53, 2-b, 59, 4-d, 61, 4-d.
Anonyme[Manuel de calcul pour vol fusée lunaire]ScienceR????Objectif54, 2-d
AnonymeTraité d'astronomieCache bouteillesR????On a marché4, 4-a-c
Leslie E. SimonGerman Research in World War IIScience, guerreR, jaquette illustrée????Affaire23, 3-4
Biaise PascalPenséesPhilosophieR????Coke (pas repris en album)1, 1-c
?B????Bijoux5, 1-a, 3-a, 4 a-c, 7 1-c
R.-L. StevensonL'Île au trésorFictionB????Bijoux43, 4-a
Sans?Picaros16, 3-b

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1 Pour simplifier, dans cet hommage amical à Daniel Roche (avec un coup d’œil fraternel à Olivier son fils, expert de l’œuvre d’Hergé), les références (citations) à l’épopée de Tintin par Georges Remi dit Hergé (1907-1983), nous renvoyons à Hergé, Tout Tintin. L’intégrale des aventures de Tintin, [Tournai], Casterman, 2008, broché, grand in-octavo, paginé de 1 à 1693. Dans leur version en couleurs, les vingt-quatre albums y sont publiés avec leur pagination originelle (éditions en couleurs disponibles en albums séparés chez Casterman). Dorénavant, en notes nous mentionnons le titre (i.e. : Coke en stock), les pages de Tout Tintin et entres parenthèses celles de l’épisode, le strip et avec des lettres (a-d) la ou les vignettes concernée(s) selon ce digeste hergéen. Nous y ajoutons les dates de la publication des éditions en noir-blanc et couleurs (jusqu’à Le Crabe aux pinces d’or, 1942). Par contre, afin d’alléger l’appareil critique, nous ignorons ici les dates des prépublications en feuilleton (en général l’année d’avant l’impression en album) dans les hebdomadaires ou quotidien d’entre-deux-guerres (Le Petit-Vingtième, Belgique ; Cœurs Vaillants, France ; Le Soir, Bruxelles), puis d’après 1945 (Tintin dans sa double édition belge (1946) et française (1948) et encore Cœurs Vaillants). Pour s’y retrouver dans la complexe chronologie éditoriale des Aventures de Tintin, on commencera avec Bera, Denni, Mellot, BDM, Catalogue encyclopédique, 2009-2010, 17e édition, Paris, Les éditions de l’amateur, 2008, « Tintin », pp. 8-74 ; on y ajoutera, Marcel Wilmet, Tintin noir sur blanc. L’aventure des aventures, 1930-1942, [Tournai], Casterman, 2004. Parmi une bibliographie hergéenne devenue pléthorique, on consultera avec un immense profit l’enquête d’histoire culturelle et critique menée par Frédéric Soumois, Dossier Tintin. Sources, Versions, Thèmes, Structures, Bruxelles, Jacques Antoine, 1987. Dans la foison des bibliographies « officielles » ou non, on lira avec beaucoup d’intérêt la récente enquête de Jean-Marie Apostolidès, Dans la peau de Tintin, Liège, Les Impressions nouvelles, 2010.

2 Le Lotus bleu (1934, 1935 ; 1946) p. 407 (61), 2 c.

3 Le Secret de La Licorne (1943), p. 751 (9), 2-3.

4 Selon le rapport 2010 de l’Association des critiques et des journalistes de bande dessinée (ACBD, voir La Libre Belgique, 29 décembre 2010, p. 47), la production éditoriale en langue française ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années : environ 1 500 titres en 2000, 4 863 titres en 2009, 5 165 livres en 2010 – dont 3 811 nouveautés. Comparée aux 1500-1800 titres d’albums publiés en français entre 1945 et 1975 (estimation), cette croissance éditoriale est un phénomène culturel d’une ampleur inédite qui mérite l’attention des historiens des imprimés dans le monde contemporain. Voir Michel Porret, « La bande dessinée éprouve l’histoire », dans Michel Porret, dir., Objectif bulles. Bande dessinée et histoire, Genève, Georg, 2009, pp. 11-15.

5 Pierre Couperie [et al.], dir., Bande dessinée et figuration narrative. Histoire, esthétique, production et sociologie de la bande dessinée mondiale procédés narratifs et structure de l’image dans la peinture contemporaine, Paris, Musée des arts décoratifs, Palais du Louvre, 1967, passim.

6 Tintin au Congo (1931, 1946), p. 198 (50, 4 b) : Tintin lit la missive des gangsters qui ordonne de « faire disparaître le reporter Tintin ». Voir l’essai de Pierre Sterckx, Tintin et les médias, Paris, Flammarion, 1997.

7 Libération, samedi 5 et dimanche 6 mars 1983, numéro 558, passim.

8 Pierre Fresnault-Deruelle, Hergé ou le Secret de l’image. Essai sur l’univers graphique de Tintin, [s. l.], éditions Moulinsart, 1999 ; id., Hergé ou la profondeur des images plates. Cases en exergue, ibid., 2002.

9 « Tintin au Cinéma » : Tintin et le mystère de la Toison d’or (1962) ; Tintin et les oranges bleues (1965), Tintin et le lac aux requins (1973) : Tournai, Casterman.

10 BDM, Catalogue encyclopédique, 2009-2010, « Tintin », 18-19, pp 52 a-57 a. Olivier Roche, « Tintin, de la collection à l’encyclopédie », dans Objectif bulles, ouvr. cité, pp. 255-274. Voir aussi :… et ces albums là, les connaissez-vous ?… Catalogue d’exposition, Douvrin, octobre 1993 !!

11 Les Cigares du Pharaon (1934, 1955), p. 281 (1) : carte de l’Asie de Port-Saïd à Shanghai ; Le Lotus bleu, 1934, seconde planche, 2-b (Archives Hergé, 3, Tournai, Casterman, 1979, p. 143).

12 L’Affaire Tournesol (1956), p. 1217 (13), 2 c.

13 Le Secret de La Licorne (1943), pp. 767-768 (25, 4 a-b ; 26, 2 c) ; Le Trésor de Rackham le Rouge (1945), pp. 867, 870 (59, 1 a-d ; 62 1 a). Sur l’histoire du château ayant appartenu sous le règne de Louis XIV au chevalier de François Hadoque avant d’être le bien des frères G. et Maxime Loiseau, antiquaires criminels, voir Thomas Sertillanges, La Vie quotidienne à Moulinsart, Paris, Hachette (La vie quotidienne, hors-série), 1995.

14 Le Secret de la Licorne (1943), pp. 783-786 (41-44, passim) ; Le Trésor de Rackham le Rouge (1945), pp. 868-869 (60-61, passim) ; Les Bijoux de la Castafiore (1963), pp. 1455 (53), 1456 (54), 4-b, 1-2.

15 Les Bijoux de la Castafiore (1963), p. 1445 (43), 4 a-b.

16 Pierre Mac Orlan, Petit manuel du parfait aventurier, Paris, La Sirène (Les Tracts), 1920, p. 39 (« De la lecture », pp. 39-43).

17 Tintin et les Picaros (1976), p. 1557 (23), 1 a.

18 Tintin et les Picaros (1976), p. 1536-1544 (1-10), passim. Voir Ludwig Schuurman, L’Ultime album d’Hergé, [s. l.], éditions Cheminements, 2001.

19 Les Aventures de Tintin reporter du « Petit vingtième » au pays des Soviets (1930), p. 6 (4, 2 b).

20 Parmi d’innombrables travaux récents d’histoire culturelle sur l’idéal civilisateur et la violence de la colonisation du Congo, on consultera l’impressionnant et sensible travail de Carl De Keyzer, Johan Lagae, Congo belge en images, Tielt, Uitgeverij Lannoo, 2010, passim (somme photographique in-folio d’après la collection AP du Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren).

21 Tintin au Congo (1931, 1946), p. 201 (53, 3 a). Sur la « vitalité » de la presse coloniale au Congo belge, voir : Locha Mateso, La Littérature africaine et sa critique, Paris, Karthala, 1986, pp. 95-98. Baptisée Thysville d’après Albert Thys, la troisième ville du Bas-Congo en République démocratique du Congo sise le long de la ligne de chemin de fer Matadi-Kinshasa se nomme maintenant Mbanza-Ngungu. Construit en 1922 à Hoboken, le bateau-courrier Thysville (8 176 tonnes) navigue entre Anvers et le Congo belge sous les drapeaux de la Compagnie africaine de navigation née en 1920.

22 Les Cigares du Pharaon (1934, 1955), p. 340 (60) ; dans le version en noir et blanc de 1934, mise en vignette, la coupure de presse dépourvue de photographie est signée J. Howard : « Le trafic de stupéfiants ou l’affaire du Caire » (Archives Hergé, 3, Tournai, Casterman, 1979, Les Aventures de Tintin reporter en Orient (Les Cigares du Pharaon), p. 134, 2 a).

23 Jean-Pierre Jackson, La Suite au prochain épisode… Le « serial » américain 1912-1956, Crisnée, Yellow Now, 1994, passim.

24 Le Lotus bleu (1936, 1946), p. 406 (60), 1 ; Archives Hergé, 3, Tournai, Casterman, 1979, p. 260, quatre photographies au lieu de trois).

25 L’Île noire (1938, 1943, 1966), p. 540 (62), 1. Pour comparer les trois versions et leur progressive « modernisation » graphique, voir Dossier Tintin, l’Ile noire, Tournai, Casterman, 2005.

26 Annik Dubied, Les Dits et les scènes du fait divers, Genève, Droz, 2004, pp. 17-55.

27 L’Oreille cassée (1937, 1943), p. 415 (3), 4 a-c. Même principe de la relance dans Le Secret de La Licorne (1943), p. 774 (32), 1 a-c, lorsque le capitaine Haddock lit dans la presse le récit de la tentative d’assassinat (« Une mystérieuse affaire », trois coups de pistolet en pleine rue) du rabatteur d’antiquités des frères Loiseau, antiquaires criminels. La presse annonce faussement la mort du rabatteur pour confondre le meurtrier fugitif. Sur les analogies entre l’œuvre d’Hergé et celle de Conan Doyle, voir Bob Garcia, Tintin à Baker Street, [s. l.], Éditions Mac Guffin, 2005.

28 Le Secret de la Licorne (1943), p. 743 (1), 1 a.

29 Le Secret de la Licorne (1943), p. 803 (61), planche complète.

30 Le Trésor de Rackham le Rouge (1945), p. 810 (2), 2 a-c ; p. 866 (58), 3 a.

31 Les 7 boules de cristal (1948), p. 875 (1), 1-3 ; mais aussi 891 (17), 2, a-b ; 893 (19), 3-a ; 899 (25), 1-3, etc. Ce processus narratif et graphique (pages blanches, focalisation sur un texte) est déjà à l’œuvre dans Le Trésor de Rackham le Rouge (1945), p. 810 (2), 1-4.

32 Les 7 boules de cristal, p. 891 (17), 2 a-d.

33 Le Temple du soleil (1949), pp. 953 (13), 2 c, 3 a-b, 954-956, passim.

34 Les Bijoux de la Castafiore (1963), pp. 1429 (27), 1-3, 1443 (41), 2-4, 1459 (57), 3 a-b, 4 a.

35 Éric Lavanchy, Étude du Cahier bleu d’André Juillard. Une approche narratologique de la bande dessinée, Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 2007, p. 62.

36 Coke en stock (1958), pp. 1280 (10), 4 a-c, 1281 (11), 1 a-b, 1284 (14), 2 a-b, 3 a.

37 L’Affaire Tournesol (1956), pp. 1222 (18), 4 c, 1223 (19), 1 a-c.

38 Tintin au pays de L’Or noir (1939, 1950), p. 1009 (3), 1 a.

39 L’Affaire Tournesol (1956), pp. 1246 (42), 2 c-d, 3 a, 1247 (43), 1 a-c.

40 L’Affaire Tournesol (1956), p. 1231 (27), 4 c.

41 Les 7 boules de cristal, p. 896 (22) 1 a-b.

42 Le Temple du Soleil (1949), pp. 992 (52), 1-4, passim, 998-999 (58-59), passim.

43 Archives Hergé, 3, Tournai, Casterman, 1979, Les Cigares du Pharaon (1932), p. 39, 3-b (Tintin en Amérique) ; Les Cigares du Pharaon, Tournai, Casterman, 1955 (B15), p. 15, 4-d (Tintin au Congo) ; Tout Tintin, ouvr. cité, p. 295 (15), 4-d (Objectif Lune) ; etc.

44 Les Cigares du Pharaon (uniquement version en couleurs, 1955), p. 313 (33), 4-d.

45 L’Étoile mystérieuse (1942), p. 686 (10), 4 a-b ; loc cit., p. 687 (11), 1-a.

46 Le Secret de la Licorne (1943) p. 745 (3), 1, a, d.

47 Le Sceptre d’Ottokar (1939), pp. 575 (31), 1-b ; 577 (33), 2-d ; 584 (40), 3-b.

48 Le Sceptre d’Ottokar (1939, 1947), p. 545-546 (1-2), 3-d, 1-a.

49 Six livraisons dans le mensuel Je Sais Tout (num1éros 86-91), mars-août 1912, puis en volume à Paris, chez Pierre Lafitte et Cie ; voir, Gaston Leroux, L’Épouse du soleil, Verviers, Marabout, 1978.

50 Les 7 boules de cristal, p. [871], couverture de l’album : Tintin, Haddock et l’américaniste Hippolyte Bergamotte (costume déchiré par la foudre) assistent impuissants à l’élévation foudroyante du savant.

51 Les 7 boules de cristal, p. 893 (19), 2-a.

52 Dans la version modernisée de L’Île noire (1966), la porte d’entrée du salon avec cheminée de l’asile psychiatrique du Dr Muller est flanquée de deux imposantes bibliothèques (une douzaine de rayonnages au total). Des ouvrages y sont classés selon leurs formats. Ce mobilier du décor scientifique ne sert qu’à valider la fonction qu’usurpe Muller (« directeur d’un asile d’aliénés »), qui est le chef de bande des contrefacteurs de billets de banque (pp. 494 (16), 3). Les ouvrages de sa bibliothèque sont-ils de vrais livres ou de simples reliures vides de tout texte ?

53 Les 7 boules de cristal, pp. 901 (27), 2-a, 904 (30), 4-a.

54 L’Oreille cassée (1937), pp. 414 (2), 3 a-e ; 415 (3), 3-d.

55 Le Sceptre d’Ottokar (1939), pp. 551 (7), 2 a-b, 562 (18), 4-c, 563-565 (19-21).

56 Le Crabe aux pinces d’or (1941), pp. 616-617 (6-7), passim.

57 Le Secret de La Licorne (1943), p. 751 (9), 2-3.

58 Le Sceptre d’Ottokar (1939), pp. 562 (18), 4 a-c, 563 (19)-565 (21), 566 (22), 1-a ; 597 (53), 1, a-c, consignes imprimées de Müsstler pour la « Prise de pouvoir ».

59 Le Secret de La Licorne (1943), p. [739], couverture.

60 A General History of the Pirates, 1723-1724.

61 Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse (versions : 1804, 1810), éd. François Rosset, Dominique Triaire, Paris, Flammarion, 2008, 2 vol. (Garnier-Flammarion).

62 Le Secret de La Licorne, pp. 756 (14)-768 (26).

63 Voir par exemple, Le Crabe aux pinces d’or (1941), pp. 625 (15), 3 a-c, 626 (16), passim. Voir Bertrand Boulin, Tintin et l’alcool, Bruxelles, Paris, Éd. Chapitre Douze, 1995, passim.

64 Sur cette généalogie imaginaire, voir Jean-Paul Tomasi, Michel Deligne, Tintin chez Jules Verne, Bruxelles, Claude Lefrancq, 1998, passim.

65 Tintin et les Picaros (1976), p. 1550 (16), 3-b.