Considérations brèves sur l’histoire du livre chinois dans une perspective transculturelle
Jean-Pierre DRÈGE
Si la plupart des histoires générales du livre chinois publiées en Chine ont circonscrit leur champ d’études au livre en langue chinoise produit sur le territoire chinois, elles n’ont pu échapper au multiculturalisme qui reste inhérent à l’histoire de la Chine jusqu’à présent. Mais ce multiculturalisme, ou mieux ce pluriculturalisme, est pris en compte généralement plutôt dans un mouvement centrifuge que dans un mouvement de va et vient entre les cultures, qu’il s’agisse de la technologie du livre ou des idées et des textes qui ont circulé. La problématique, du point de vue des historiens chinois, se concentre sur la question du livre dans un contexte Han ou non Han, c’est-à-dire lié d’une part à la langue et à l’écriture chinoise, d’autre part aux langues et écritures des « minorités » présentes à un moment donné sur le territoire de la Chine : tangout, tibétain, ouïgour, mongol, mandchou par exemple. Dans le cas de ces langues et écritures non-chinoises, les travaux se limitent souvent à un inventaire plus ou moins commenté de la production imprimée1 ou à l’évaluation de la diffusion des techniques d’impression chinoises appliquées à d’autres cultures.
Dans la plupart des cas, l’histoire du livre chinois, comme il a été constaté à plusieurs reprises, s’est limitée d’abord à un ensemble d’enquêtes portant sur les techniques de production du livre imprimé, et qui montrent une culture du livre tout à fait singulière par rapport au monde occidental. Tous ces travaux se sont développés dans le sillage de celui de Francis Carter, plus que des premiers historiens du livre que furent Ye Dehui ou Shimada Kan au début du XXe siècle2 . C’est-à-dire qu’ils se sont placés d’emblée dans une perspective transculturelle, dans la mesure surtout où l’on a privilégié la diffusion du papier et de l’imprimerie à la chinoise vers l’extérieur, bien sûr les pays conquis par l’écriture chinoise, Corée, Japon, Vietnam, mais aussi les cultures ayant subi une influence forte ou moins forte, tibétaine, tangoute, ouïgoure, et même les cultures totalement étrangères de l’Asie centrale et de l’Europe. Par contre les travaux qui ont porté sur l’histoire intellectuelle ou culturelle du livre, et qui s’inscrivaient plutôt dans la tradition des recherches pionnières de Ye Dehui, se sont concentrés sur la production proprement chinoise. Deux voies sont apparues plus récemment : d’une part, l’étude des aspects sociaux et économiques du livre imprimé a attiré l’attention de savants anglo-saxons, inspirés par les modèles de l’histoire occidentale qu’ont été Henri- Jean Martin, Roger Chartier, Elisabeth Eisenstein ou Robert Darnton. Tels sont les travaux de Lucille Chia, Kai-wing Chow, Robert E. Hegel, Anne E. McLaren ou Joseph McDermott3 . D’autre part les études régionales du livre et la partition en tranches chronologiques ont cherché à mieux cerner une production multiforme. Ce sont là surtout les travaux d’auteurs chinois qui ont marqué ces dernières années en s’attaquant tantôt à la production imprimée de plusieurs régions du bas Yangzi, Jianyang dans la province du Fujian, Huizhou dans la province de l’Anhui ou Yangzhou dans la province du Jiangsu4 , tantôt aux livres publiés pendant une dynastie, par exemple sous les Song (960-1278), les Yuan (1271-1368) et les Ming (1368-1644) 5 .
Les recherches qui ont croisé une approche régionale et sociale sont plus rares et plutôt le fait de travaux occidentaux, tels l’étude de Lucille Chia déjà mentionnée à propos de la région de Jianyang, et plus récemment celles de Cynthia Brokaw sur le canton de Sibao au Fujian et Michela Bussotti sur Huizhou6 , mais ce ne sont pas les seules7 . À l’intérieur de ce champ d’investigation qu’est l’histoire culturelle du livre, la question de la traversée des cultures ne s’est guère exercée que dans la sphère des classes sociales, en posant le problème de la diffusion des livres dans la population et de ce que l’on dénomme en anglais literacy8 .
On pourrait concevoir une autre manière de présenter l’histoire du livre chinois en l’inscrivant dans une perspective transculturelle à un niveau plus large à partir des deux aspects envisagés plus haut, techniques d’une part, intellectuels d’autre part.
ASPECTS TECHNIQUES
Pour ce qui est du premier point, on a conservé l’habitude en Chine de présenter l’invention du papier et de l’imprimerie comme deux contributions majeures de la Chine au progrès technique de l’humanité, au même titre que la boussole et la poudre à canon. Ces apports valent surtout pour avoir connu une diffusion vers l’Occident qui aurait adopté des procédés techniques ayant amené des changements majeurs dans le développement du monde occidental comme extrême-oriental.
Deux de ces inventions décisives concernent le livre. Le papier a permis non de créer des livres véritables, mais de rendre le livre portable, transportable, car les manuscrits faits de rouleaux de lattes de bambou ou de bois qui préexistaient aux rouleaux de feuilles de papier constituaient des supports lourds peu commodes à transporter et même à lire. Quant aux rouleaux de soie, plus utilisables, ils restèrent sans doute relativement peu répandus en raison de leur coût9 . Les techniques de l’imprimerie, certains diraient du frottis puisque l’on ne recourut pas à une presse, connurent un succès moins soudain que la typographie occidentale, mais tout aussi important. Le papier et sa technologie gagnèrent toute la Chine, puis se transmirent, lentement, vers la Corée et le Japon d’une part, vers l’Asie centrale, le monde musulman et l’Europe d’autre part. Près de quatre siècles furent nécessaires pour que le papier franchisse la mer du Japon, quatre siècles également vers l’Ouest pour franchir les Pamirs et parvenir à Samarkand, puis quatre autres pour passer de l’Asie centrale en Italie et en Espagne 10 . Malgré des changements, des adaptations et des améliorations, les techniques de fabrication évoluèrent relativement peu et le papier resta le support privilégié du livre.
Le destin de l’imprimerie à l’aide de planches de bois gravées, comme celui de l’imprimerie avec des caractères mobiles de bois, de terre cuite ou de métal, fut très différent. La xylographie, bien adaptée à l’écriture chinoise et au grand nombre de caractères qui la compose, se transmit naturellement aux pays voisins qui avaient adopté cette écriture, les royaumes de Silla et Kôryô en Corée, le Japon et, bien plus tard, le Vietnam11 . Si nul ne conteste l’antériorité de la xylographie en Chine, les premiers documents qui témoignent de son existence ont été retrouvés en Corée et au Japon, datant d’environ un siècle ou un demi-siècle avant les exemples les plus anciens en Chine : première moitié du VIIIe siècle en Corée, vers 764-770 au Japon, 834 en Chine. Il n’en fallut pas plus pour déclencher un différend entre savants des trois pays, différend qu’il est bien difficile de trancher. On peut admettre cependant que le million de dharani imprimées au Japon au VIIIe siècle a bien été gravé sur place, alors qu’il est plus difficile de savoir si le Sûtra de la dharani de la lumière pure retrouvé dans un stupa du Pulguk sa à Kyongju, achevé en 751, est de fabrication chinoise ou coréenne.
Les caractères mobiles de bois, obtenus en découpant des planches gravées, formèrent un procédé de reproduction employé en Chine d’abord semble- t-il au début du XIe siècle12 , puis au XIVe siècle, encore en bois, au XVe , en cuivre cette fois, et au XVIIIe , encore en cuivre, toujours de manière sporadique. Il se transmit en Corée, puis au Japon à la fin du XVIe siècle, où les impressions en caractères mobiles ne durèrent que moins d’un siècle, tandis qu’en Corée, associé aux techniques de fabrication de caractères métalliques, il donnait naissance à la fin du XIVe siècle à un procédé de fabrication original de caractères fondus qui resta cependant localisé au territoire du royaume de Kôryô et ne persista que pendant un temps13 . La question de la transmission de la xylographie vers l’Europe, à travers l’Asie centrale et l’Empire mongol des Il-Khans, a fait couler beaucoup d’encre et, autant les chercheurs chinois sont généralement convaincus que la typographie occidentale doit beaucoup aux techniques chinoises, autant les Occidentaux sont persuadés du contraire. Si l’on analyse les documents qui nous sont parvenus et les témoignages historiques, il faut bien se résoudre à penser, à mon avis, que l’avancée de la typographie chinoise, à travers les réalisations tangoutes, parfois effectuées en Chine, ou des Turcs ouïgours, se perd en quelque sorte dans les sables et trop de chaînons manquent pour établir un lien authentique14 .
Un autre aspect technique à prendre en compte dans notre analyse est celui des formes du livre et des changements qui l’ont profondément modifié. Sous l’influence des livres indiens et sérindiens du bouddhisme transportés en Chine par les moines bouddhistes pour être traduits, liasses de feuilles de palmier oblongues, empilées et reliées lâchement par un ou deux fils, le rouleau de papier se transforme peu à peu en paravent, le rouleau étant plié à intervalles réguliers en accordéon15 . D’une manière plus hypothétique, c’est peut-être par l’intermédiaire du manichéisme qui pénètre en Chine sans y laisser des traces aussi profondes que le bouddhisme, que le codex est utilisé pour fabriquer des livrets en papier composés de cahiers cousus comme en Occident, avant de céder la place à de simples assemblages de feuillets doubles collés ou brochés, un système purement chinois sans influence extérieure, que l’on appelle reliure en papillon16 .
ASPECTS CULTURELS
Comme on sait, la transmission des techniques s’accompagne de la trans- mission des idées ou accompagne cette transmission. Il ne paraît pas nécessaire de rappeler comment la culture confucianiste, qui modela en grande partie le système politique de la Chine, fut adopté pleinement par la Corée, le Japon et le nord du Vietnam. La diffusion des écrits chinois, tels qu’ils figuraient dans les bibliothèques impériales et dans celles des grands lettrés, fut particulièrement importante au Japon pendant les époques Nara (646-794) et Heian (794-1185). Non seulement des livres étaient l’objet de présents aux ambassadeurs du Japon en Chine, mais les Classiques confucéens y tenaient une place capitale17 . Quoique les témoignages soient peu nombreux, un catalogue tel que le Ni- honkoku genzaisho mokuroku (Catalogue des livres existant dans le royaume du Japon) de Fujiwara no Sukeyo, rédigé à la fin du IXe siècle, ne comprend presque que des ouvrages chinois, classés, qui plus est, selon le modèle du catalogue de la bibliothèque impériale de la dynastie chinoise des Sui (581-617). Quant aux ouvrages bouddhiques, c’est en chinois, qu’ils gagnent le Japon et qu’ils y sont utilisés, d’abord sous forme manuscrite, puis xylographiée 18 , en rouleaux, puis en paravents selon le montage adopté en Chine pour les ouvrages bouddhiques imprimés. En passant de l’Inde à la Chine par l’intermédiaire de la Sérinde, ou par la voie maritime ou encore par la voie du sud de la Chine, les écritures bouddhiques subirent des transformations, tant dans la forme que dans le fonds, donnant naissance à de multiples apocryphes rédigés directement en chinois tout en prétendant provenir de sources originales traduites. De la Chine à la Corée et au Japon, la langue et l’écriture restèrent les mêmes. Le chinois resta lu et écrit couramment par les personnes lettrées jusqu’au XIXe siècle. De ce fait, les écrits bouddhiques en chinois diffusés vers l’extérieur n’eurent pas plus à pâtir que les Classiques du confucianisme ou les textes révélés du taoïsme de leur insertion dans une civilisation étrangère.
C’est dans un contexte différent que les productions en chinois des missionnaires chrétiens passèrent de Chine au Japon, puisqu’elles furent interdites dès la fin du XVIe siècle quel qu’en fût le sujet. Même si les ouvrages scientifiques de Matteo Ricci (1552-1610) et de ses compagnons, composés directement en chinois et qui n’avaient d’autre but que celui d’instruire l’empereur et les lettrés chinois dans le domaine des mathématiques, de l’astronomie, du calendrier et des sciences en général (les connaissances ainsi transmises ayant pourtant pour objectif final la conversion de l’empereur et des lettrés), ne contenaient aucune référence au christianisme, ils furent bientôt interdits d’importation et brûlés comme ayant pour but de propager le christianisme. Il suffisait que les livres examinés par les inspecteurs contiennent les mots « Occident », « catholique », « Europe » pour être proscrits. Les monographies locales chinoises, vastes réceptacles des informations de toute nature concernant les provinces, les districts et les cantons, qui s’exportaient bien vers le Japon, surtout les monographies des zones côtières, furent touchées lorsqu’elles signalaient simplement la présence d’une église chrétienne. Les publications jésuites, importantes pour la transmission des savoirs scientifiques occidentaux, ne représentaient cependant qu’un petite partie de la masse des ouvrages chinois qui étaient régulièrement envoyés au Japon par bateau pour approvisionner les échoppes des libraires d’Edo. Les procédures d’introduction à Nagasaki d’ouvrages du confucianisme, de médecine, d’art militaire ainsi que de littérature ou d’art, sont maintenant bien connues pour la période du XVIIe au milieu du XIXe siècle quand le Japon se ferma aux influences hollandaises, grâce aux documents administratifs et aux listes d’ouvrages retrouvés19 .
Si l’on excepte le cas du bouddhisme, une exception d’importance toutefois, la circulation des livres entre la Chine et les autres pays s’opère presque exclusivement dans un mouvement de la Chine vers les pays sinisés. En Corée et au Vietnam, la langue et l’écriture chinoises restent dominantes pour l’éducation et la culture jusqu’au XVe siècle au moins pour la Corée, lorsque l’alphabet hangul est créé, jusqu’au XVIIe siècle, voire plus tard, au Vietnam, puisque l’écriture alphabétique quoc ngu ne fut guère employée qu’à partir du XIXe siècle. La demande d’ouvrages chinois a toujours été forte dans les pays sinisés, comme dans les territoires où régnaient des dynasties fondées par des ethnies non Han, kitan (Liao, 947-1125), djurchet (Jin, 1115-1234), tangoute (Xi Xia, 1032-1127), et cette demande donna lieu à des restrictions émises par les autorités chinoises, en particulier sur les ouvrages d’astrologie, de stratégie militaire et de législation20 . Il faut se souvenir que déjà en 730, un débat eut lieu à la cour de l’empereur Xuanzong pour savoir s’il fallait répondre positivement à la demande de la princesse chinoise de Jincheng, mariée au roi du Tibet, de faire envoyer à la capitale tibétaine plusieurs des classiques confucianistes… pour l’instruction des Tibétains. L’un redoutait que l’on fournisse ainsi des moyens de développer l’art de la guerre chez un peuple vif et déterminé : ce serait comme de prêter des armes à des bandits. L’autre estimait que les Rites ne pourraient qu’ouvrir les Tibétains à la vertu et au sens moral21 .
En sens inverse, les livres semblent n’entrer dans la Chine impériale qu’au compte-gouttes, du moins jusqu’à la pénétration occidentale du XIXe siècle. Les indices sont peu nombreux, et si l’on se réfère aux catalogues, les biblio- thèques impériales ou privées semblent ne conserver qu’exceptionnellement des ouvrages d’auteurs étrangers, même traduits en chinois. Sous les dynasties des Sui (589-618) et des Tang (618-907), ils ne sont que quelques-uns, et seulement des ouvrages d’astrologie. Avec l’entrée en scène des Jésuites au XVIIe siècle, la situation se modifie un peu, puisque des ouvrages composés directement en chinois sur la géographie, les mathématiques et l’astronomie, sont intégrés, comme en témoigne la bibliographie de l’Histoire des Ming (1368-1644) et surtout le célèbre catalogue impérial du Siku quanshu (Siku quanshu zongmu tiyao, Catalogue général de l’Ensemble des livres en quatre magasins) en 1781, mais pas les ouvrages chrétiens traduits ou rédigés en chinois. Il ne s’agit cepen- dant que de quelques titres : une cosmographie du P. Verbiest (1623-1688), des Éléments d’Euclide traduits par le P. Ricci et un ouvrage sur le calcul des éclipses du P. Smogolenski (1611-1656) traduit en chinois par son élève Xue Fengzuo. Apparemment, on ne trouve aucun ouvrage en langue étrangère dans la Bibliothèque impériale. Par contre, des ouvrages écrits en chinois par des auteurs étrangers peuvent recevoir une certaine considération. Un titre d’auteur japonais se trouve dans le catalogue du Siku quanshu ; il s’agit d’un commentaire du Mencius et de sept Classiques du confucianisme, Shichikei Môshi kôbun hoi (Complément à l’examen philologique des Sept Classiques et du Mengzi), par Yamanoi Tei. Ce livre, achevé au Japon en 1731 et exporté avec d’autres vers la Chine, retint l’attention des lettrés. Mais c’est un cas unique ; en général, les ouvrages étrangers écrits en chinois n’atteignent pas les bibliothèques officielles, ou bien s’y perdent sans être recensés dans les bibliographies. Tel est l’exemple du Shokuinryô (Arrêtés relatifs aux fonctionnaires) et du Ônendaiki (Annales des époques des princes), ouvrages présentés à l’empereur des Song par le moine japonais Chônen en visite en Chine en 98422 .
La relative absence d’ouvrages d’auteurs étrangers ou traduits de langues étrangères ne doit globalement pas être interprétée pour autant comme la non-pénétration de doctrines ou de techniques étrangères. Je ne mentionnerai que deux exemples du temps d’une période précédant celle du livre imprimé. D’une part, la médecine indienne a bel et bien pénétré en Chine, avec le bouddhisme, et a insufflé des pratiques et des procédés nouveaux à la médecine traditionnelle chinoise23 , puis elle s’est répandue au Japon24 ; d’autre part, les écrits des religions venues d’Iran lors des contacts entre la Chine des Tang et la Perse sassanide ont été traduits en chinois et ont été probablement répandus en même temps que s’ouvraient des temples nestoriens, manichéens et zoroastriens. Dans les deux cas, les manuscrits découverts dans l’oasis de Dunhuang au début du XXe siècle apportent un témoignage patent25 .
Les perspectives que l’on vient d’évoquer se limitent à une histoire du livre entendue comme essentiellement chinoise et non, plus largement, asiatique ou bien concernant le monde sinisé ou encore l’espace de l’Asie orientale. Ce point de vue n’est que le reflet d’une situation qui privilégie les histoires nationales du livre. Il n’existe pratiquement pas encore à ce jour de travaux ouverts à une histoire conjointe ou comparée du livre sino-coréen ou sino-japonais, voire sino-vietnamien26 . Certes les échanges d’idées, de doctrines, de savoirs ont fait l’objet d’études diverses, dans le sens Chine-Europe par exemple au XVIIe et au XVIIIe siècle27 , ou encore dans le sens Europe-Chine ou Europe-Japon à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, mais ces recherches prennent rarement appui sur l’histoire du livre. Il est vrai que ces mondes étaient trop éloignés pour que les influences aient été beaucoup plus que relativement marginales dans ce contexte. Mais il n’en est pas de même à l’intérieur du monde sinisé dans lequel l’usage des sinogrammes favorisait une communauté culturelle. Aussi, les études importantes déjà réalisées mériteraient d’être prolongées dans une perspective plus large28 .
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1 Voir par exemple Evelyn S. Rawski, « Qing Publishing in Non-Han Languages », dans Cynthia J. Brokaw, Kai-wing Chow, éd., Printing and Book Culture in Late Imperial China, Berkeley, University of California Press, 2005, pp. 304-331.
2 Thomas F. Carter, The Invention of Printing in China and its Spread Westward, New York, Columbia University Press, 1925 (rééd., 1931 ; rééd. révisée par L. C. Goodrich, New York, Ronald Press, 1955). Ye Dehui, Shulin qinghua (Propos purs sur les livres), Pékin, 1911 (rééd. Pékin, Zhonghua shuju, 1957) ; Shenyang, Liaoning jiaoyu chubanshe, 1998. Shimada Kan, Kobun kyûsho kyô (Sur les livres anciens), Tokyo, Minyû sha, 1904 (rééd. Pékin, 1927). L’ouvrage de Carter a été récemment traduit en français par Michel Jan, L’Imprimerie en Chine, invention et transmission vers l’Occident, Paris, Imprimerie nationale, 2011. On peut s’étonner que ce livre, vieux de plus de cinquante ans, si l’on s’arrête à sa dernière mise à jour, et même de plus de 85 ans quant à sa rédaction, paraisse maintenant sans qu’une postface nourrie le replace dans le débat de la transmission éventuelle des techniques chinoises d’imprimerie vers l’Europe.
3 Lucille Chia, Printing for Profit : The Commercial Publishers of Jianyang, Fujian (11th-17th Cen- turies), Cambridge, Harvard Univ. Asia Center, 2002. Kai-wing Chow, Publishing, Culture, and Power in Early Modern China, Stanford, Stanford Univ. Press, 2004. Robert E. Hegel, Reading Illustrated fiction in Late Imperial China, Stanford, Stanford Univ. Press, 1998. Anne E. McLaren, Chinese Popular Culture and Ming Chantefables, Leiden, E. J. Brill, 2001. Joseph P. McDermott, A Social History of the Chinese Book : Books and Literati Culture in Late Imperial China, Hong Kong, Hong Kong Univ. Press, 2006.
4 Fang Yanshou, Jianyang keshu shi (Histoire des livres imprimés à Jianyang), Pékin, Zhongguo shehui chubanshe, 2003. Liu Shangheng, Huizhou keshu yu cangshu (Livres imprimés et collections à Huizhou), Yangzhou, Guangling shushe, 2003. Xu Xuelin, Huizhou keshu (Livres imprimés à Huizhou), Hefei, Anhui renmin chubanshe, 2005. Wang Cheng, Yangzhou keshu kao (Sur les livres imprimés à Yangzhou), Yangzhou, Guangling shushe, 2003.
5 Su Bai, Songdai shiqi de tiaoban yinshua (L’imprimerie xylographique à l’époque de la dynastie Song), Pékin, Wenwu chubanshe, 1999. Tian Jianping, Yuandai chubanshi (Histoire de l’imprimerie sous la dynastie Yuan), Shijiazhuang, Hebei renmin chubanshe, 2003. Miao Yonghe, Mingdai chubanshi gao (Essai d’histoire de l’édition sous la dynastie Ming), Nankin, Jiangsu renmin chubanshe, 2000.
6 Cynthia J. Brokaw, Commerce in Culture : The Sibao Book Trade in the Qing and Republican Periods, Cambridge, Harvard Univ. Asia Center, 2007. Michela Bussotti, Gravures de Hui : étude du livre illustré chinois de la fin du XVIe siècle à la première moitié du XVIIe siècle, Paris, École française d’Extrême-Orient, 2001 ; « Compiler, éditer, illustrer : les monographies du district de Xiuning », Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, sous presse ; « Genealogies as part of the history of the book in Huizhou », à paraître.
7 Voir les informations bibliographiques contenues dans M. Bussotti, J.-P. Drège, « Avant-propos » au Dossier Chine-Europe : Histoires de livres, Histoire et civilisation du livre, 3 (2007), pp. 15-22 ainsi que les articles bibliographiques par M. Bussotti, C. Brokaw et J. McDermott.
8 Evelyn S. Rawski, Education and Popular Literacy in Ch’ing China, Ann Arbor, Univ. of Michigan Press, 1979.
9 Ce sont les deux raisons officielles qui firent que ce nouveau matériau qu’était le papier se substitua au bambou, au bois et à la soie dès le début du IIe siècle de notre ère. Fan Ye (398-445), Hou Hanshu (Histoire des Han postérieurs), Pékin, Zhonghua shuju, 1965, p. 2513.
10 J.-P. Drège, « Les routes orientales du papier », dans Les Routes de la soie : Patrimoine commun, identités plurielles, Paris, UNESCO, 1994, pp. 53-63.
11 Voir par exemple, Tsien Tsuen-hsuin, « Paper and printing », dans Joseph Needham, Science and civilisation in China, vol. 5, Cambridge, Cambrige Univ. Press, 1985, pp. 321-325, 336-341.
12 On indique souvent que la typographie chinoise débuta avec les caractères mobiles de terre cuite de Bi Sheng mentionnés par Shen Gua au milieu du XIe siècle dans ses Propos au fil du pinceau du torrent des rêves (Mengxi bitan), mais cette expérience nouvelle n’a eu lieu qu’en raison de l’inadaptation du bois à l’obtention de compositions suffisamment stables et performantes, Shen Gua laisse clairement entendre que l’on essaya d’abord de scier des planches de bois gravées.
13 Sohn Pow-key, Early Korean Typography, Seoul, Po Chin Chai, 1982. Hee-Jae Lee, La Typographie coréenne au XVe siècle, Paris, Éd. du CNRS, 1987. Sur les différences de technique entre les procédés typographiques chinois et coréens, voir Cao Jiongzhen, Zhong-Han liangguo guhuozi yinshua jishu zhi bijiao yanjiu (Recherches comparées sur les techniques anciennes d’impression typographique en Chine et en Corée), Taibei, Xuehai chubanshe, 1986 ; Pan Jixing, Zhongguo, Hanguo yu Ouzhou zaoqi yinshuashu de bijiao (A Comparative Research of Early Printing Technique in China, Korea and Europe), Pékin, Kexue chubanshe, 1997.
14 L’ouvrage récent de Shi Jinbo et Yasin Ashuri, Zhongguo huozi yinshuashu de faming he zaoqi chuanbo (L’invention de la typographie en Chine et les débuts de sa transmission), Pékin, Shehui kexue chubanshe, 2000, comme celui de Wolfgang von Stromer, Le Mystère Gutenberg : de Tourfan à Karlstein, les origines chinoises de l’imprimerie, Genève, Slatkine, 2000, ne sont pas du tout convaincants. J.-P. Drège, « L’imprimerie chinoise s’est-elle transmise en Occident ? », Histoire, archéologie et société : conférences académiques franco-chinoises, cahier no 8, Pékin, École française d’Extrême-Orient, 2005.
15 J.-P. Drège, « Les accordéons de Dunhuang », dans Michel Soymié, éd., Contributions aux études de Touen-houang, vol. 3, Paris, École française d’Extrême-Orient, 1984, pp. 195-204.
16 J.-P. Drège, « Dunhuang and the Two Revolutions in the History of the Chinese Book », à paraître dans les Mélanges Zhang Guangda, Crossing Pamci, Leiden, E. J. Brill. Sur les codices chinois, voir J.-P. Drège, « Les cahiers des manuscrits de Touen-houang », dans M. Soymié, éd., Contributions aux études de Touen-houang, Genève, Droz, 1979, pp. 205-249, et « Les codices », dans J.-P. Drège, dir., La Fabrique du lisible : la mise en texte des manuscrits chinois, Paris, Institut des hautes études chinoises, sous presse.
17 Voir entre autres, Charlotte von Verschuer, Le Commerce extérieur du Japon des origines au XVIe siècle, Paris, Maisonneuve et Larose, 1988, pp. 24 et 59-62.
18 Peter Kornicki, The Book in Japan : A Cultural History from the Beginnings to the Nineteenth Century, Leiden, E. J. Brill, 1998.
19 Les travaux parmi les plus importants et les plus connus sont ceux d’Ôba Osamu, par exemple Edo jidai ni okeru Chûgoku bunka juyô no kenkyû (Recherches sur la réception de la culture chinoise à l’époque Edo), Kyoto, Dôhôsha, 1984. Plusieurs articles d’Ôba Osamu ont été traduits en anglais par Joshua A. Fogel et publiés dans Sino-Japanese Studies, 8, 1 (1995) à 13, 1 (2000). Cf. www.chinajapan.org.
20 Voir notamment Chan Hok-lam, Control of Publishing in China : Past and Present, Canberra, The Australian National Univ., 1983.
21 Les pièces du dossier sont présentées par Paul Demiéville dans Le Concile de Lhasa : une controverse sur le quiétisme entre bouddhistes de l’Inde et de la Chine au VIIIe siècle de l’ère chrétienne, Paris, Institut des hautes études chinoises du Collège de France, 1952 (réimpr. 1987 et 2006), pp. 226-227 note 1.
22 Songshi (Histoire des Song), j. 491, p. 14131. Cf. P. Kornicki, ouvr. cité, pp. 309-310.
23 Cf. Catherine Despeux, éd., Médecine, religion et société dans la Chine médiévale, Paris, Institut des hautes études chinoises du Collège de France, 2010, notamment la contribution de Chen Ming, pp. 641-709.
24 Cf. Andrew Edmond Goble, « Kajiwara Shôzen (1265-1337) and the Medical Silk Road : Chinese and Arabic Influences on Early Medieval Japanese Medicine », dans Andrew E. Goble, Kenneth R. Robinson, Haruko Wakabayashi, éd., Tools of Culture : Japan’s Cultural, Intellectual, Medical, and Technological Contacts in East Asia, 1000s-1500s, Ann Arbor, Association for Asian Studies, 2009, pp. 231-257.
25 Voir l’étude fondatrice d’Édouard Chavannes et Paul Pelliot, « Un traité manichéen retrouvé en Chine (traduit et annoté) », Journal asiatique, 18 (1911), pp. 499-617 et 2e série, 1 (1913), pp. 99-199 et 261-394.
26 Peter Kornicki a commencé à aborder ce thème récemment lors du colloque « Imprimer sans profit ? Le livre non commercial dans la Chine impériale », 11-13 juin 2009, Paris (actes sous presse, Genève, Droz), en opposant la diffusion commerciale des textes chinois qui avait cours au Japon, tandis qu’en Corée et au Vietnam les ouvrages chinois étaient le plus souvent publiés par des organisations étatiques.
27 On peut se référer, parmi de multiples ouvrages et catalogues d’exposition au travail monumental de Donald Lach, Asia in the Making of Europe, Chicago, The Univ. of Chicago Press, 1965-1993, 3 vol.
28 Outre les premières tentatives ébauchées par P. Kornicki dans son ouvrage déjà cité, The Book in Japan, voir par exemple Ivo Smits, « China as Classic Text : Chinese Books and Twelfth-Century Japanese Collectors », dans Tools of Culture, ouvr. cité, pp. 185-210.