Book Title

Les réseaux commerciaux d’une presse périphérique à l’aube de la Révolution : la Société typographique de Neuchâtel

Frédéric INDERWILDI

À Daniel Roche

Entre 1769 et 1789, dans un territoire de quelques centaines de kilomètres carré situé à 17 lieues de la frontière française1, une maison d’édition, la Société typographique de Neuchâtel (ci-après STN), s’est spécialisée dans l’impression et la diffusion de contrefaçons. Elle fut fondée à l’initiative de trois notables de la ville : le banneret Frédéric-Samuel Ostervald, membre du Conseil de Ville et, en fin lettré, auteur de plusieurs ouvrages dont un Cours de géographie plusieurs fois réédité ; son gendre, Jean-Élie Bertrand, pasteur et ancien recteur du Collège de la ville ; et, enfin, Samuel Fauche, un libraire de la place jouissant d’une certaine notoriété depuis qu’il a été désigné, en 1765, comme imprimeur des dix derniers volumes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert2.

Le moment était particulièrement propice au lancement d’une pareille entreprise puisqu’un peu partout en Europe, la consommation de livres en français s’étendait. On se délectait autant d’une littérature encyclopédique et philosophique qu’on savourait des pamphlets politiques, anticléricaux et des chroniques scandaleuses. Les difficultés de l’édition française qui devait composer avec une administration étouffante expliquaient en partie ce succès3. En effet, le système de censure complexe paralysait la production typographique dans le royaume, provoquant même sa stagnation au siècle des Lumières4. Cette situation incitait les littérateurs à faire publier leurs textes dans des territoires plus complaisants : le monde de l’édition prérévolutionnaire se concevait à l’échelle de l’espace continental, avec quelques foyers de production extrêmement compétitifs, parmi lesquels on trouvait une forte concentration de presses installées en périphérie de la France et produisant des copies de textes autorisés et, dans une moindre mesure, quelques nouveautés. L’essentiel de leur travail consistait dans l’impression et la diffusion de contrefaçons, pratique rendue possible en l’absence d’une législation internationale en matière de droit d’auteur. Les responsables de ces presses pillaient sans vergogne les œuvres des écrivains à succès en proposant leurs textes dans des formats plus modestes et à moindres coûts. De fait, ces réimpressions touchaient un plus large public et inondaient les marchés européens.

Le phénomène était patent et se rangeait, entre la fin du XVIIIe siècle et tout au long du Siècle des Lumières, dans les pratiques d’un commerce du livre alors en pleine mutation en Europe ; des changements désormais bien documentées mettent en perspective le déclin des imprimeurs établis dans les Provinces-Unis, très marqué dans le second XVIIIe siècle et qui coïncidait assez heureusement avec le nouvel essor des presses sur le Plateau suisse, entre Genève et Bâle5 : la comparaison de la statistique des productions hollandaises et helvétiques a montré un déclin avéré de l’imprimerie hollandaise au moment même de l’essor des presses helvétiques6. D’autres transformations touchèrent en particulier les foires allemandes, naguère les plus importantes à l’échelle continentale et dont le rôle international s’amenuisa peu à peu7, à l’exception notoire de celles de Leipzig8, où « quelques 5 a 6 cents libraires de tous les pays » se retrouvaient comme le rappelaient les directeurs de la Société typographique de Berne à leurs homologues neuchâtelois en 17709. Les libraires et imprimeurs venaient de loin pour vendre et échanger leurs nouveautés tout en en profitant pour régler leurs comptes annuels avec leurs confrères. La pratique de l’échange de marchandises, connue à l’échelle de l’Europe, facilitait les relations commerciales. Si elle palliait la rareté du numéraire, elle offrait une certaine garantie dans les transactions grâce aux soldes annuels des comptes. Elle se combinait à merveille avec les modes de paiement plus classiques comme celui en argent liquide – exceptionnel – ou par lettres de change, très commun dans le négoce.

Hautement capitalistique, l’activité typographique conjuguait les rythmes différenciés de l’économie décomposée du livre selon un modèle éprouvé – rédaction, production, diffusion, lecture – avec les normes de contrôle imposés par les autorités. En effet, dans le système de la librairie d’Ancien Régime, la liberté d’imprimer, de faire imprimer et de diffuser n’existait pas : la production intellectuelle était étroitement surveillée par les institutions de la censure au service des autorités. Il fallait obtenir une autorisation d’impression assortie, par la suite, d’un privilège économique octroyant à son bénéficiaire l’exclusivité, toute théorique, de diffusion sur le territoire concerné10. En France, les intérêts des gouvernants et de certains imprimeurs privilégiés convergèrent pour renforcer l’appareil administratif destiné à encadrer la production et les métiers du livre11. Mais à Neuchâtel, dans les circonstances particulières d’une dépendance territoriale liée au régime d’union personnelle avec le roi de Prusse12, les autorités agissaient avec plus de retenue.

Cette situation est révélatrice d’un des paradoxes du régime typographique durant tout l’Ancien Régime, celui d’un commerce de livres régi en principe par la notion de privilège relevant de l’autorité souveraine et qui s’opposait aux intérêts économiques de certains protagonistes. La domination des Parisiens se faisait nécessairement au détriment de la production provinciale, dont les libraires s’étaient mis à tisser des liens avec les presses étrangères. Et la diversité des choix politiques et des pratiques administratives en Europe servit au maintien d’espaces de liberté dans lesquels s’engouffrèrent, avec plus ou moins de succès, certains acteurs du livre. Le système du privilège, quand il était appliqué, n’avait d’effet que sur le territoire qui l’avait émis : on vit coexister des marchés, nationaux d’un côté et locaux, de l’autre, chacun disposant d’une autonomie propre et faisant appel à des logiques propres.

La fin du XVIIe siècle, moment de la « crise de la conscience européenne »13, voit l’ouverture d’une nouvelle conjoncture, génératrice d’une redynamisation des marchés. Celle-ci produisit un renforcement des moyens de production14 et une progressive dilatation géographique de la diffusion, notamment depuis la Suisse. La position centrale des villes helvétiques et les compétences techniques et financières qu’on y trouvait expliqueraient en partie ce transfert. L’intérêt grandissant du public pour les nouveautés philosophiques au cours du siècle a engendré une redistribution de la carte éditoriale à l’échelle de l’Europe occidentale. Les données du problème sont connues, puisqu’il se pourrait, à partir de 1750, « qu’un livre français sur deux, ou même plus, ait été publié hors du royaume »15. C’était donc une formidable manne que se partageaient les imprimeries-librairies travaillant pour le marché régnicole. Si une concurrence féroce faisait rage entre ces maisons d’édition, celles-ci exerçaient leurs activités dans un contexte économique fait d’alliances de circonstances et d’accords sur un système de crédit reposant avant tout sur la confiance. Cela les incitait à s’établir dans des espaces peu gênés par la censure, non loin de la France, et à être à l’écoute des libraires provinciaux exclus du régime des privilèges. Pour gérer leurs affaires, les entreprises typographiques tissaient un vaste réseau de correspondants. Elles prenaient langue avec des professionnels et des non professionnels du livre dans les espaces considérés. C’est ce que confirment les recherches effectuées dans le fonds de la Société typographique de Neuchâtel : durant sa période d’activité (1769-1789), l’entreprise neuchâteloise a entretenu des contacts avec 2 376 correspondants de toutes qualités disséminés un peu partout en Europe.

Tableau n° 1 – Répartition géographique des correspondants de la STN (1769-1789)16.

PaysNbre corr.%PaysNbre corr.%
Suisse90338,0États des
Habsbourg
150,6
France86436,4Espagne140,6
Genève1355,7Royaume-Uni130,5
États allemands1275,3Pologne130,5
États italiens1034,3Avignon, Comtat
Venaissin
120,5
Provinces-Unies311,3Pde
Montbéliard
70,3
Pays-Bas
autrichiens
301,3Portugal70,3
Nice, Maison de
Savoie
251,1Danemark70,3
Sans lieu220,9Suède60,3
Prusse210,9Rép. de
Mulhouse
40,2
Russie170,7Total
correspondants
2376100,0

La répartition montre à l’évidence que la STN privilégia le commerce local et de proximité. En se gardant bien de toute référence au contenu des lettres, force est de constater l’importance qu’avaient la Suisse (903 correspondants) et la France (864) : à elles deux, presque 75 % des correspondants. La présence de ceux-ci dans la République de Genève (135), et dans les États allemands (127) et italiens (103) préfigurait nettement l’orientation limitrophe de l’entreprise neuchâteloise. L’étude de cette correspondance passive accentue encore ce constat. Comme l’atteste le tableau ci-dessous, les échanges concernaient surtout la Suisse et la France, dans les mêmes proportions que la répartition géographique des correspondants. En revanche, le nombre de lettres reçues renforce l’importance de la république de Genève, qui apparaît au deuxième rang des villes ayant expédié des lettres vers Neuchâtel. La conduite des affaires exigeait de la part de la STN une stratégie s’appuyant sur des professionnels, particulièrement des libraires, mais aussi des intermédiaires plus discrets, comme des négociants et des commissionnaires.

Tableau no 2 – Répartition géographique de la correspondance passive de la STN : pays et villes principales (1769-1789).

PaysLettres%VillesLettres
Suisse10 09642,5Paris2 432
France8 59436,2Genève1 933
République de Genève2 0378,6Lausanne1 831
États italiens8883,7Bâle1 370
États allemands7483,1Berne1 340
Maison de Savoie2261,0Lyon1 285
Provinces-Unies2210,9Yverdon699
Pays-Bas autrichiens1600,7Besançon653
Russie950,4Pontarlier606
Pologne940,4Neuchâtel591
Papauté de Montbéliard920,4St-Sulpice (NE)545
Avignon, Comtat920,4Le Locle306
Espagne880,4Versailles281
Prusse710,3Morat276
États des Habsbourg700,3Fribourg264
Royaume-Uni650,3Strasbourg263
Danemark570,2Milan260
Suède260,1
Portugal220,1
République de Mulhouse190,1
Total lettres23 761100

Ces chiffres donnent une idée de la richesse du réseau neuchâtelois. L’entreprise entretenait des correspondants non seulement dans toutes les principales villes et grands centres de librairie, mais aussi dans des petits bourgs comme Ornans, où 112 lettres étaient envoyées par deux papetiers, Planche et Thomasset. La diversité des lieux comme des correspondants reflète toutes les activités de la maison neuchâteloise, de l’achat de papier et l’embauche d’ouvriers au traitement des affaires avec la clientèle, les créanciers ou les auteurs, en passant par les envois de marchandises, les commandes des libraires, l’acheminement des balles de livres, la collecte d’informations ainsi que le recouvrement des créances.

Pour en saisir les contours, il faut revenir succinctement sur l’évolution des activités de la STN. Celle-ci fut d’abord une imprimerie entre 1769 et 1771 et, pour écouler sa production, elle tissa des liens privilégiés avec des libraires. Faisant preuve d’une certaine audace, elle sollicita le concours de Charles-Joseph Panckoucke17, le plus grand éditeur parisien de l’époque, avec qui elle finit, quelques années plus tard, par mettre sous presse une édition de l’Encyclopédie18. Par la suite, vers 1772, suivant les principes du marché des imprimés, la direction de l’entreprise sacrifia quelque peu au rituel de la pratique de l’échange de livres décrite plus haut en s’orientant également vers la librairie. Cette évolution s’explique avant tout par la volonté qu’avait la maison d’édition de développer son commerce vers la France, son marché principal19. Elle profitait de conditions de production favorables comme le constatait Malesherbes :

Par exemple, j’ai appris par hasard qu’il se fait un très grand commerce de livres imprimés en France, avec l’Espagne, le Portugal et l’Italie. C’est peut-être même le seul commerce actif que fassent les libraires français ; car en Allemagne, en Hollande, en Suisse et ailleurs, on aime mieux contrefaire nos livres que de nous les acheter, parce que nos libraires les vendent trop chers20.

Toutefois proposer des livres à des prix attractifs ne suffisait pas, il fallait encore pouvoir en assurer la diffusion dans des conditions acceptables. Aussi la STN ciblait-elle les œuvres qui s’étaient vendues le mieux en interrogeant des libraires, ainsi qu’en témoigne l’abondante correspondance commerciale. Elle déploya des réseaux de proximité comme le montre l’analyse de la lettre circulaire envoyée à 187 libraires, dont un peu plus du tiers (34 %) résidaient en France21. Plusieurs libraires se montrèrent frileux, réservèrent leur réponse ou s’abstinrent. Les Anglais notamment étaient particulièrement rétifs à l’idée d’entrer en relation avec des Neuchâtelois trop éloignés, même si leur territoire bénéficiait d’un réseau de transport performant22. Comme le souligne James Raven :

avant 1740 environ, l’Angleterre était importatrice nette de livres. Au cours de la seconde moitié du siècle, les activités du livre grandirent énormément en production et en personnel23.

Toutefois le gros de la production provenait de Londres où on trouvait de tout chez les grands grossistes : on s’explique que les tentatives d’implantation de la STN soient restées infructueuses, subissant la concurrence d’éditeurs, notamment irlandais, mieux intégrés24.

Le déploiement des correspondants de la STN nous renseigne non seule- ment sur les espaces géographiques, mais aussi sur les domaines d’activités. Géographiquement, si l’entreprise privilégia les zones urbaines, les grands centres de production et de diffusion et les capitales, elle entretint aussi une correspondance avec des partenaires habitant dans des petites villes, comme Loudun25 ou Pontarlier26, voire dans des villages comme Bassecourt27 ou Saint-Sulpice dans le Val-de-Travers28. Elle recherchait à la fois des libraires et des imprimeurs membres de la communauté des libraires et imprimeurs tout comme des négociants, des commissionnaires ou des courtiers en librairie qui composaient les marges de cette communauté de professionnels.

En France, et plus particulièrement à Paris29, le groupe des imprimeurs- libraires possédait son pendant occulte sous la forme de presses « furtives », opérant dans une clandestinité relative, quand on connaît le bruit que faisait une presse qui « roule ». Elles alimentaient, parfois dans le sillon tracé par les presses périphériques, les marchés parallèles. L’ensemble de cette structure reposait sur le libraire d’Ancien Régime, intermédiaire essentiel entre l’imprimeur et le lecteur. Pour un imprimeur comme la STN à ses débuts, il était un partenaire qu’il fallait convaincre et choyer pour écouler sa production. Toutefois, traiter avec des libraires parisiens ou provinciaux ne présentait pas les mêmes contraintes car l’immense marché parisien contrastait avec les marchés plus localisés où les types d’ouvrages et les formats différaient. Dans ce domaine, les exigences parisiennes ne semblaient pas être les mêmes que celles rencontrées à Lyon, à Rouen ou à Besançon. C’est du moins ce que prétendait Charles-Joseph Panckoucke lorsqu’il s’exprimait sur la nature des libraires lyonnais :

Si j’avais à faire choix d’un malhonnête homme, il faudrait le chercher dans la librairie de Lyon. Il n’y a ni foi ni pudeur30.

Pour la majorité des libraires, l’objectif commercial restait Paris, avec ses lettrés au pouvoir d’achat plus élevé. Pour les imprimeurs-libraires, il s’agissait d’écouler leur propre production et celle obtenue par échange, souvent en province. De fait, pour un professionnel étranger, l’approche du marché parisien différait du marché marseillais, lyonnais ou rochellais, où les échanges de livres étaient aussi importants, sinon plus, que les ventes comme le montre les renseignements collectés par Favarger lors de son voyage en France en 177831.

Tableau n° 3 – Répartition des libraires selon les États dans la lettre circulaire de la STN du 31 juillet 1769.

PaysLibraires%Contacts suivis%*
France6434,22945,3
Provinces-Unies2513,4936,0
États allemands2211,8940,9
Suisse179,11588,2
Grande-Bretagne137,017,7
Pays-Bas autrichiens137,017,7
Genève126,4866,7
États italiens63,2466,7
Maison de Savoie31,6133,3
Prusse31,6266,7
Russie31,6133,3
Danemark2U00,0
Avignon2U2100,0
États des Habsbourg10,51100,0
Suède10,51100,0
Total1871008444,9

*Cette dernière colonne représente le pourcentage de libraires avec qui la STN a poursuivi son activité (exemple, pour les États allemands, 9 × 100/22 = 40,90).

Au moment de débiter ses livres vers des contrées plus lointaines, la STN fut confrontée à des soucis d’autres ordres. Les clients russes, polonais, suédois ou de la péninsule ibérique ne manquaient pas, mais dans ces régions les conditions d’exercice de la librairie s’avérèrent moins bonnes. En effet, l’éloignement, conjugué à l’absence de communications aisées, rendait les échanges longs et onéreux, et il fallait en plus compter sur la rivalité des imprimeurs-libraires locaux. En Italie, la STN souffrait de la concurrence d’entreprises déjà bien implantées. Les Frères Cramer, les Gosse ou les de Tournes, tous genevois, disposaient dans la péninsule de réseaux installés bien avant la création de la maison neuchâteloise. C’était aussi le cas de l’imprimeur lausannois Jean- Pierre Heubach et surtout de François Grasset, qui s’appuyaient sur des contacts personnels avec des libraires comme Gaspero Storti – avec lequel la STN entra aussi en contact dès 1774 –, ou avec les représentants des élites du pouvoir et de la culture32. Les éditeurs neuchâtelois réussirent pourtant à créer les conditions cadres nécessaires à une implantation durable. Ils disposaient de contacts, tel Ami Bonnet à Milan qui, par son entregent, les fit connaître à des libraires comme Giuseppe Galeazzi (Milan), à des littérateurs de réputation internationale comme Pietro Verri, l’auteur des Réflexions sur l’économie politique, à des personnalités du monde politique et économique comme Gian Rinaldo Carli, président du Regio Ducal Magistrato Camerale, le dicastère le plus important de la Lombardie autrichienne, ou encore Domenico Maria Cavalli, ambassadeur de Venise à Milan, et Angelo Querini, homme politique et patricien de Venise33. Dans les États italiens, il semblait que seule la maison Reycends à Turin bénéficiait de conditions tarifaires très favorables accordées par la STN. Le passage des Alpes n’était pas une mince affaire et les coûts engendrés pénalisaient le commerce avec le Sud de l’Europe. Pour les libraires helvètes, les frais inhérents au transport par route étaient trop lourds pour concurrencer les prix pratiqués par les Hollandais qui transportaient leurs marchandises par mer, et les risques étaient facteurs de surcoûts.

La problématique différait quelque peu dans les États allemands, où la barrière des montagnes n’existait pas. Il n’en demeure pas moins que la STN trouvait sur sa route quelques obstacles, liés notamment à la distance à parcourir pour atteindre Leipzig, principale plaque tournante du commerce. Le vrai enjeu pour l’entreprise neuchâteloise était de faire accepter une production majoritairement composée de contrefaçons dont le marché allemand, inondé par une production analogue venue essentiellement de Hollande et de Suisse alémanique, n’était guère friand : les libraires allemands n’étaient pas enclin à recevoir 400 ou 500 exemplaires d’une édition contrefaite difficile à écouler34, d’autant que le lecteur allemand se révélait plus attentif aux nouveautés. Les directeurs de la STN ne voulaient pourtant pas se priver du potentiel de ce marché, notamment Leipzig, par lequel transitait tout le commerce pour le Nord. Les imprimeurs suisses alémaniques y étant bien implantés : la STN essaya de jouer cette carte en s’associant avec sa consœur bernoise35, sans réel succès toutefois, car la perspective de voir arriver un concurrent nouveau n’enchantait guère les typographiques d’outre-Sarine.

Abraham Bosset-de-Luze, lors de son passage dans les États allemands, put en mesurer tout le potentiel, sans convaincre les autres associés de la STN qui ne voyaient absolument pas où était leur intérêt. Il suggéra la création d’un entrepôt à Wesel en 1779, chez « le seul libraire qui est très bon et fort honnête homme qui fréquente les foires de Leipzig » – une tentative qui se termina par un échec cuisant36. Mal renseignés, les associés pensaient à tort que le marché allemand était éloigné des grands courants littéraires européens et qu’il y serait facile d’écouler des éditions qu’ils pourraient faire passer pour des nouveautés.

Pour limiter ces contraintes, l’imprimeur-libraire devait compter avant tout sur sa capacité à anticiper et à saisir les opportunités, dans une moindre mesure à contrôler les intermédiaires et à assurer une offre suffisante de livres, tout cela dans les limites de son modèle commercial. Ainsi, l’imprimeur-libraire se trouvait souvent face à un casse-tête économique. Si dans chaque lieu la clientèle recherchait des livres dans tous les genres de la littérature, il devait les proposer en tenant compte des voies commerciales à emprunter et veiller à ne pas multiplier le nombre d’intermédiaires, au risque de voir monter le prix de vente des ouvrages. Ce schéma obligeait souvent à de profondes remises en question du mode de fonctionnement des réseaux commerciaux. Chaque espace correspondait à des spécificités marchandes particulières auxquelles il fallait s’adapter. Il existait des niches territoriales pour lesquelles la seule qualité de vendeur de livres ne suffisait pas ; elle devait être complétée par des alliances commerciales qui, sans l’apport des intermédiaires, seraient impossibles. La distance constituait l’autre grande difficulté à laquelle l’éditeur étranger était confronté. Pour compenser cet éloignement, celui-ci s’appuyait sur des agents économiques qui intervenaient sur place directement, ou qui déléguaient à leur tour, créant alors de véritables réseaux commerciaux.

La distribution de livres à une clientèle européenne nécessitait donc un aménagement des structures de diffusion de la part des libraires de fonds et d’assortiment, structures reposant sur les compétences des commissionnaires. Concrètement, la vente – ou l’échange – d’imprimés au-delà de l’échelon régio- nal supposait de s’insérer soi-même dans les circuits habituels de distribution des imprimés. L’isolement pouvait être un obstacle économiquement insurmon- table. En dehors d’une certaine quantité d’envois isolés hors des sentiers battus, la plupart des professionnels travaillaient avec une clientèle d’habitués avec lesquels ils avaient développé une relation de confiance réciproque. La distance qui les séparait les obligeait à disposer d’une structure intermédiaire, qui assurait une double fonction de financement et de redistribution de marchandises. Un commissionnaire se devait d’avoir des disponibilités pécuniaires, puisqu’il lui arrivait d’avancer le financement de son commettant. En outre, par sa proximité avec les marchés, il possédait des informations que le commettant sollicitait pour vendre au mieux. Pourtant, les deux parties avaient des intérêts contradictoires : l’imprimeur-libraire recherchait le moindre coût, alors que le commissionnaire espérait une commission la plus élevée possible. De plus, la distance géographique et la lenteur de certaines communications rendaient difficile la surveillance de la transaction par le commettant. Cette situation traduisait bien l’état de dépendance dans laquelle se trouvait le marchand qui devait vendre un produit loin de ses terres. Le problème est souligné par Pierre Gobain en 1702 :

L’essentiel d’un bon marchand qui veut négocier avec les pays étrangers est de faire choix d’un bon et fidèle commissionnaire à qui il puisse en sûreté confier son bien. Il y a assurément, mais ce sont les phénix qu’il est difficile de rencontrer, parce que pour l’ordinaire, ils consultent beaucoup plus leurs intérêts que ceux de leurs commettants. Le grand soin qu’ils ont de leurs propres affaires fait qu’ils négligent celles qui leur sont confiées, et souvent font exécuter les ordres de leurs correspondants par des apprentis ou commis peu intelligents à ménager les achats et les ventes qui leur sont ordonnées. Cependant, outre cette négligence souvent très préjudiciable et les grosses commissions qu’ils prennent, c’est que pour l’ordinaire, ils portent leurs achats en compte au-delà du prix naturel et véritable et encore moins dans leur conduite qu’ils ont peu de respect pour les lois humaines et encore moins pour celle de la conscience37.

Pour tout marchand, il s’agissait donc de choisir son commissionnaire avec soins, pour qu’il réponde aux missions qui lui étaient confiées : fournir les informations commerciales nécessaires et gérer le transport des marchandises. Cette seconde tâche impliquait une parfaite connaissance des routes et des voituriers ou des bateliers. Mais la première fonction restait l’observation attentive du milieu économique pour informer le commettant sur les meilleures opportunités des marchés. Celles-ci dépendaient donc en grande partie de la qualité du réseau d’information, de sa transmission et de sa restitution par ces intermédiaires. Comme le souligne Patrick Verley,

dans les économies peu homogènes à transports lents, la qualité du réseau d’information est un facteur important de discrimination entre les entreprises prévenues les premières du mouvement des cours des matières premières, des tendances du marché de consommation ou des accidents tels que les faillites de maisons de commerce, emprunts publics ou guerres38.

Une remarque valable pour le monde de l’imprimé, où le prix de revient du livre dépendait en partie du coût de la matière première, le papier : l’imprimeur- libraire n’avait pas droit à l’erreur lors de ses choix car, en cas de mauvais débit, le coût inhérent à la production (matière première, main-d’œuvre…) était augmenté de celui de l’entreposage, qui mobilisait un capital précieux. Pour éviter tout problème de ce genre, la STN s’appuyait non seulement sur des commissionnaires et des négociants bien informés, mais il lui arrivait d’envoyer aussi des commis voyageurs, comme Jean-François Favarger ou Durand l’aîné, pour épier quelques professionnels39 ; plus rarement ses directeurs se déplaçaient en personne pour prospecter le marché, notamment à Paris ou à Lyon40. S’informer était un besoin économique général, ce n’était pas l’apanage des maisons d’édition mais aussi le lot des entreprises de commerce européennes qui travaillaient sur plusieurs marchés. Leur réussite dépendait autant « des réglementations, subventions ou taxations définies par les États que des purs facteurs économiques de la production »41. Dans le monde des imprimés, au milieu du XVIIIe siècle, la nouveauté résidait donc dans l’importance des commissionnaires à l’échelle de l’Europe occidentale. En France, les autorités s’interrogeaient sur l’existence

de certains interlopes connus sous le nom de commissionnaires et qui sont autant de canaux secrets par lesquels la capitale, Versailles, et presque toutes les villes du royaume sont infectées de livres prohibés42.

D’après l’auteur, anonyme, du Mémoire, « la connaissance du mal indique le re- mède », et il concluait à la nécessité de diminuer le nombre de libraires exerçant à Versailles : les commissionnaires sont identifiés comme des acteurs rémunérées travaillant exclusivement au commerce du livre, et considérés comme « un moyen utile pour les libraires ». Ce mémoire, datant de l’année 1764, s’insérait dans le cadre de l’enquête plus vaste réalisée par Sartine, maître des requêtes et directeur général de la Librairie et imprimerie depuis 1763. Le rapport final était adressé par Le Breton, le puissant syndic de la Chambre syndicale de la Librairie et de l’Imprimerie de Paris, à Sartine, qui le transmit sans délai au roi le 19 juillet 176443. La situation ne paraissait guère avoir évolué dans les années 1780 si on en juge par la mention du rôle prépondérant joué par les commissionnaires à Versailles :

À Versailles, par exemple, il y a différens commissionnaires, tels que Germond, la Veuve La Noüe, auprès des quels les libraires étrangers adressent des livres prohibés ou contrefaits, qu’ils veulent débiter en France ; ces commissionnaires reçoivent les ballots accompagnés, ou non, d’acquits à caution, s’entendent avec les libraires ou colporteurs de Versailles, Paris, Rouen, ou autres villes, pour les leur faire passer par des voies détournées, et trouvent le moyen de faire décharger les acquits à caution sans envoyer les ballots ni à la doüane, ni à la chambre sindicale. Il y a maintenant à la Bastille un particulier associé avec des libraires de Neufchâtel qui par ses aveux et déclarations confirme l’usage que l’on fait de tous les moyens44.

Ce libraire de Neuchâtel était certainement François Mallet qui entrait en prison le 30 juin 1783 sur ordre d’Amelot pour en ressortir le 5 novembre. Lors de son interrogatoire, Mallet, qui collaborait avec Fauche fils aîné, Favre & Cie, reconnaissait avoir payé au comte de Mirabeau 150 louis pour le manuscrit de son ouvrage sur les lettres de cachet, et 100 louis pour l’Errotika-Biblion45.

Généralement, les saisies de livres prohibés à destination de Paris depuis l’entrepôt de Versailles provoquaient la réaction du garde des sceaux qui

enjoint aux libraires étrangers d’envoyer à la chambre sindicale la plus prochaine de la frontière, tous les ballots de livres qu’ils voudroient introduire en France et à tous les routiers et voituriers qui en seroient chargés de les y conduire à peine de 500 d. d’amende et de confiscation de leurs chevaux et voitures, avec ordre aux commis des fermes de saisir tous lesdits ballots ou caisse de livres qu’ils trouveroient en contravention46.

Une fois de plus, c’était les routiers et les voituriers qui étaient dans la ligne de mire des autorités. Ces quelques exemples permettent de mesurer l’importance qu’avaient prise les commissionnaires dans le commerce du livre. On en trouve un autre écho dans le nombre, relativement élevé, de 142 commissionnaires, un commissionnaire-papetier et deux commissionnaires-négociants, établis dans quatorze pays, et avec lesquels la STN entretint une relation d’affaires.

La grande majorité (67 %) des commissionnaires se trouvait dans des villes situées dans les deux pays – la Suisse et la France – où étaient concentrés les libraires et imprimeurs-libraires travaillant avec la STN. Le graphique souligne le rôle de ces professionnels dans les meilleures années de la maison d’édition neuchâteloise (1773-1783). Sur l’ensemble de l’exercice, ils représentaient plus de 9 % du nombre de correspondants en lien direct avec le commerce des livres, avec un maximum de 15,8 % en 1786, alors que la STN consacrait au commerce de la librairie une part plus grande de son activité.

Les réseaux commerciaux de la STN se développaient autour de Neuchâtel. Un premier cercle d’importance décrivait trois axes vitaux dont le premier couvrait la zone ouest, avec les Frères Meuron à Saint-Sulpice dans le Val- de-Travers, sur la route menant à la Franche-Comté, où se trouvait à Pontarlier Jean-François Pion. Un deuxième axe partait en direction de l’Est, avec Jean- Jacques Haberstock à Morat, sur la route de Bâle, où la famille Preiswerck gérait d’impressionnantes connections avec l’Europe du Nord et de l’Est. Le dernier axe conduisait au sud, à Ouchy puis à Genève, où la STN s’approvisionnait en livres d’assortiment. Ce type de construction nous incite à nous interroger plus précisément sur les réseaux du livre.

Tableau n° 4 – Répartition géographique des commissionnaires de la STN (1769-1789).

PaysNbre d’occ.%
France4531,7
Avignon, Comtat Venaissin10,7
Nice, Maison de Savoie21,4
États allemands1510,6
États italiens64,2
Suisse5035,2
Genève64,2
Provinces-Unies53,5
Pays-Bas Autrichiens32,1
Espagne10,7
Portugal10,7
Prusse32,1
Pologne21,4
Russie21,4
Total142100

Graphique : Nombre total de commissionnaires en correspondance avec la STN (1767-1789).

Penser les réseaux de l’imprimé revient à évoquer les liens unissant un espace public constitutif des Lumières et une dynamique de circulation des idées nouvelles relayées par l’imprimé. Or, la diffusion des idées ne peut plus être retenue comme une simple hypothèse47 : la problématique consiste à appréhender les conditions d’émergence, au XVIIIe siècle, d’une opinion publique que l’imprimé a contribué à forger et que Malesherbes, dans son discours de réception à l’Académie française, désignait comme « un tribunal indépendant de toutes les puissances et que toutes les puissances respectent, qui apprécie tous les talents »48.

L’espace public naissant s’articulait autour d’hommes éclairés qui seraient affranchis, selon les vœux de Kant, de la dépendance intellectuelle – « l’état de tutelle » – en exploitant le potentiel de leur entendement. Le problème que discutait le philosophe allemand dans sa « Réponse à la question : Was ist Aufklärung ? » (1784)49 est celui des progrès des Lumières, dont la transmission s’appuie sur le rôle d’un savant « qui s’adresse avec des écrits à un public au sens strict »50. Pour Kant, seule la communication permet la constitution d’un espace autonome pour le débat d’idées, espace dont la base était fournie par la République des Lettres, unissant savants et érudits par la correspondance et l’imprimé. Cette matrice doit aussi prendre en considération la capacité qu’avaient les membres de la Res publica litterarum à disposer des réseaux nécessaires pour diffuser leur pensée : l’imprimerie rendait possible la constitution d’une publicité sans proximité, à condition que celle-ci puisse s’exprimer dans l’espace culturel créé par les philosophes. Une arme dont usaient également tous ceux qui, « aux marges des Lumières »51, se cachaient derrière une multitude de courants (jansénistes, jésuites, apologistes52, etc.) ayant pour trait commun la haine des philosophes, destructeurs des valeurs du christianisme53.

Penser les réseaux du livre, c’est aussi appréhender les canaux de diffusion au sein de circuits de communication plus globaux : d’où l’importance de saisir les contours des métiers susceptibles d’effectuer ce transfert dans les meilleures conditions. Les trajectoires du livre interdit pour atteindre son public54 suggéraient la piste d’un autre itinéraire emprunté par le livre licite : pourtant, la circulation des ouvrages se faisait par les mêmes canaux, et reposait avant tout sur la confiance placée dans les membres des réseaux, ainsi que sur leur capacité à s’adapter aux conditions générales du marché55. La force d’un semblable réseau, c’était de pouvoir intégrer progressivement de nouveaux membres sans altérer l’équilibre de l’ensemble de la structure, tout en permettant le cas échéant de supporter l’arrêt d’activité ou la défaillance momentanée d’un acteur. Toutes ces conditions n’étaient valables que si l’ensemble de l’organisation reposait sur un socle permanent et solide, comme le cas de la STN le démontre. L’étude du rôle des commissionnaires a permis une meilleure compréhension du développement et du mode de fonctionnement des réseaux commerciaux propres à la STN. Ainsi, ce n’était pas uniquement la position sociale qui intéressait les directeurs de la STN dans les partenaires choisis, mais la subtile conjugaison de la géographie, du domaine d’activité et de l’organisation des réseaux.

La difficulté d’étudier les réseaux éphémères vient de leur nature : il disparais- saient aussi vite qu’ils étaient apparus. Dans le cas de la filière d’approvisionne- ment de la STN en papier, la maison Grandjacquet père & fils, de Pontarlier, était sollicitée pour assurer le transport de trois grosses rames de papier entre Pontarlier et Neuchâtel, pesant respectivement 635 livres pour la première et 840 pour les deux dernières56. Les rames provenaient de la papeterie Monnier à Besançon, et suivaient la route Besançon-Pontarlier-Saint-Sulpice-Neuchâtel. Entre le 18 juin 1770 et le 27 avril de l’année suivante, 38 balles transitèrent par ce réseau. Celui-ci s’arrêta au mois de juin lorsque la STN rompit, sans les expliquer, les relations avec l’expéditionnaire et commissionnaire pontissalien57. Par la suite, elle continua de faire passer du papier par Pontarlier en travaillant avec le commissionnaire Jean-François Pion et la maison Meuron Frères à Saint-Sulpice. Cet exemple évoque la vie éphémère d’une ramification d’un réseau de transport qui se greffait sur une structure permanente passant par Saint-Sulpice.

La question des routes se posait au premier chef pour les envois de livres en Europe de l’Est. Dans certaines régions, le coût prohibitif du transport freinait les commandes et empêchait les directeurs de la STN de mettre en place une structure d’acheminement permanent. En février 1775, le libraire moscovite Christian Rüdiger passait une commande de 683 titres. Celle-ci quittait Neuchâtel le 9 mai, en principe pour « Amsterdam, avec ordre de faire charger par le premier navire pour Saint-Pétersbourg à l’adresse de Mr Otto Ewald Setler »58. Moins onéreuse que la route, la voie maritime était souvent privilégiée, en général à la demande du libraire et en dépit de la contrainte de devoir trouver rapidement un navire en partance pour la bonne destination. Il fallait aussi tenir compte des saisons, la Baltique et certains fleuves étant pris par les glaces l’hiver, empêchant tout passage. Dans le cas de Rüdiger, c’est la STN qui suggéra la route d’Amsterdam, mais son commissionnaire bâlois, Luc Preiswerck, faisait remarquer :

La voie par Amsterdam à Saint-Pétersbourg doit être plus longue & plus dispen- dieuse que celle de Lübeck, je viens, messieurs, vous demander si je ne dois pas leur faire prendre cette dernière route ou elles peuvent s’assurer aussi bien qu’à Amsterdam59.

Le 27 mai, il annonçait l’envoi des ballots pour Moscou par Lübeck60. Cet exemple illustre l’importance des informations fournies par le commissionnaire. Même si, in fine, c’étaient les directeurs de la maison d’édition qui décidaient, ils le faisaient sur la base de ces renseignements. Pratique pour acheminer la marchandise vers la partie orientale de l’Europe, la solution maritime par le nord l’était beaucoup moins vers la péninsule ibérique. La traversée du golfe de Gascogne s’avérait parfois compliquée à cause des violents courants marins et des tempêtes destructrices. C’est pourquoi Jean-Joseph Bertrand, de Lisbonne, exigeait que l’on se serve d’une autre route que celle d’Amsterdam, qu’il jugeait risquée et trop « dispendieuse ». Probablement échaudé par le tarif des assurances de sa livraison précédente, Bertrand testa une variante moins chère mais tout aussi dangereuse61 : le ballot fut finalement envoyé via Lyon, malgré les risques évidents de la traversée du royaume de France, où la police veillait62. En 1780, sa veuve privilégia la voie maritime, en dépit des départs aléatoires des navires, puisque Preiswerck fit savoir à la STN :

La balle VB no 143 destinée pour messieurs Veuve Bertrand & fils a Lisbonne quelle se trouve encore a Ostende faute de navire pour ce port. Veuillés me dire si lon peut lexpedier par Bilbao ou San Sebastian pour ou il y a frequemmen des navires a Ostende, ou sil faudra se servir de la voie de Londres qui sans les risques de la guerre & la forte prime qu’il faudroit paier en assuran serait la meilleure. Mais vous observerés, messieurs, que depuis Bilbao ou San Sebastian, les occasions pour Lisbonne sont presque aussi rares, quelles le sont depuis Ostende de meme, & que par conséquen, on ne profiteroit guere en se servant de cette route63.

Outre le tracé, les conditions météorologiques provoquaient une augmentation des coûts : en période humide et sur les parcours fluviaux, l’emballage était obligatoirement renforcé, ce qui alourdissait le ballot. Or, dans le cas d’un transport légal, le coût du transport était fonction du poids, et se trouvait accru du prix de l’assurance, soit environ 12 %64. Le commerçant faisait alors face à un cas de conscience : soit il optait pour une diminution du poids du ballot en limitant le contenu, soit il renonçait à le renforcer, au risque de faire livrer une marchandise dégradée. La neige et, dans une moindre mesure, la pluie entraînaient en outre des retards fâcheux, donc des surcoûts, au mieux pris en charge conjointement par l’expéditeur et le destinataire, mais le plus souvent seulement par le premier.

Pour contourner les difficultés de transport dans le royaume de France, dues en grande partie aux nombreux contrôles de police, la STN exploita plusieurs filières parallèles. Ainsi Marie Audéart, à Lunéville, se faisait envoyer sa commande contenant notamment douze Lettres philosophiques à l’adresse du médecin Desquerres, consultant des eaux minérales de Plombières résidant à Remiremont, « sans qu’il soit fait mention [de] l’autre adresse »65, la sienne propre. Une voie que la libraire avait déjà exploitée en novembre 1772, mais par l’intermédiaire de l’apothicaire Rizal66. Quant à monsieur de Longe, résidant rue Saint-Honoré à Paris, il souhaitait que sa commission du 22 décembre 1773 passe « par les rouliers de Bourgogne au Bourg-la-Reine à 1 sous de France la feuille et la Bible à £12 de France l’exemplaire »67, en imposant la constitution de « plusieurs ballots de 80 livres au plus » pour en faciliter le transport « par voiture et non par carrosse »68. Longe trouvait exagéré le surcoût dû à l’assurance (6 %) et exigea de la STN un envoi « à vos risques rendus au Bourg-la-Reine à deux lieues de Paris sur la route des rouliers qui viennent de Bourgogne ». La route en question était tenue par des commissionnaires francs-comtois, qui exploitaient des rouliers parcourant les chemins pour Paris via Lyon. Ceux-ci avaient l’ordre de remettre le ballot « chez messieurs Jacques et Julien entrepreneurs de la manufacture de Fayence au Bourg-la-Reine »69. Les associés, qui disposaient d’un vaste entrepôt commode pour recevoir toute marchandise, commerçaient avec l’ensemble de la France, entraînant une intense circulation de ballots qui paraissait moins suspecte aux yeux des autorités. Cependant, la route était longue et le retard dans la livraison du ballot suscita l’inquiétude du client parisien et des directeurs de la STN. La disparition du colis fut même envisagée un moment par ceux-ci, mais finalement le ballot arriva à destination « à la fin avril », apprend-on dans une lettre de de Longe datée du 11 juillet, et dans laquelle il se montrait critique quant au conditionnement des livres70.

Il arrivait donc que les filières utilisent des non-professionnels du livre, au cas où le lieu de destination d’un colis se trouvait dans une zone très surveillée, ce qui justifiait la mise en place de réseaux éphémères. Lieux discrets, où se bousculaient quantité d’individus, les auberges étaient aussi des relais appréciés.

L’autre rôle des intermédiaires résidait dans la collecte d’informations sur la solvabilité et la réputation de la clientèle. Cela créait une sorte de complicité de bon aloi entre les directeurs de la STN et ceux qui, d’une part, assuraient le transport de la marchandise et, de l’autre, comptaient sur le paiement des factures dans des délais raisonnables. Il était naturellement dans l’intérêt du commissionnaire ou du négociant de se renseigner sur la solidité financière et la réputation de leurs clients : le renseignement économique constituait un pilier essentiel des rapports commerciaux. Luc Preiswerck reconnaissait toutefois la difficulté d’obtenir des informations fiables sur certains clients, comme au sujet de Bolli, sur qui la STN souhaite avoir des précisions. Le commissionnaire bâlois écrivait qu’il le considérait

comme un homme (…) solvable pour un crédit honnête en vue de ce qu’il est laborieux & honnete homme, ceci cependant soit dit sans (…) préjudice71.

Il fournit des renseignements sur Ewald, « libraire solide & habile, qui fait beaucoup d’affaires et qui est beaucoup accrédité », et sur Christian Rüdiger il donne la précision suivante : « on m’en a pas appris d’autres, si ce n’est un commerçant »72.

Le maillage de ces réseaux se fondait sur une structure efficace qui partait de Neuchâtel et rejoignait les zones de diffusion via des espaces contrôlés par des réseaux permanents, la plupart du temps aux mains des commissionnaires, réseaux dans lesquels la confiance jouait un rôle prépondérant. Ces réseaux se composaient donc de deux structures, l’une permanente, l’autre, temporaire, et qui se greffait habituellement sur un des segments de la structure initiale. Ils se répartissaient vers l’Est et le Nord par Morat, Soleure et Bâle, vers l’Ouest par Saint-Sulpice, Pontarlier et Dijon et vers le Sud par Yverdon, Nyon, Ouchy et Genève. Ce quadrillage de la Suisse vers l’Europe répondait à la trame de la diffusion : cela explique pourquoi on retrouvait des commissionnaires dans des villes-relais comme Dijon, Lyon ou Francfort. Pourtant, si on trouve des correspondants répartis dans l’Europe entière, l’entreprise neuchâteloise resta principalement fidèle au marché français, vers lequel presque tous ses efforts étaient dirigés. Ses directeurs adaptèrent ou firent adapter leurs réseaux commerciaux, associant habilement la greffe de structures éphémères sur des réseaux permanents. Les carnets de voyage de Favarger, les lettres de Bosset ou d’Ostervald en déplacement montrent que ces pratiques s’inscrivaient dans la logique des stratégies commerciales de l’entreprise, où le libraire et l’imprimeur étaient traités comme des clients et le livre comme une marchandise. Si le livre était perçu dans son acception culturelle, c’était souvent dans une optique de marché, bien qu’il soit difficile d’appréhender la part d’intérêt pour certaines idées dans une correspondance d’affaires. La correspondance commerciale de la STN est riche en opérations diverses, en alliances et en informations. Il en allait ainsi dans toute l’économie du livre car, pour le dire avec le libraire André, de Versailles,

j’ai beaucoup de facilité pour procurer le débit nécessaire et utile de certains livres, et notament de ceux qu’instruisent et qui servent aventageusement a augmenter les connoissences humaines et à la perfection des arts & des sciences : mon gout et mes recherches me porte à ce genre ainsi qu’à la découverte des amateurs qui puissent me seconder. Je ne néglige pas non plus le débit des livres que je saurai lire jamais, et c’est uniquement parce qu’il faut vivre avec la multitude, et parce que le meilleur livre pour un marchand de livres est celui qui se vend73.

Il paraît évident que la STN devait une partie de ses succès à ses réseaux com- merciaux. Leur structure s’articulait dans des espaces relativement bien définis, autour de la figure privilégiée du commissionnaire. Le profil de cet intermédiaire l’amena à assumer plusieurs rôles inhérents à sa fonction, et correspondant aux domaines d’activité mentionnés dans la définition de l’Encyclopédie : achat, vente, banque, voiture et entrepôt74. Le commissionnaire assumait des fonc- tions de banquier et de transporteur, pour lesquelles il disposait de son propre réseau d’informateurs et de voituriers. Grâce à eux, la maison neuchâteloise disposait d’un appareil distributif parfaitement bien rodé, dont l’étude révèle non seulement les mécanismes profonds mais aussi le mode de fonctionnement en réseaux. Les commissionnaires étaient des jalons constitutifs d’une économie du livre qui vit s’unir deux systèmes de circulation – le licite et le clandestin –, et dont les dimensions commerciales transcendaient l’action de certains acteurs en direction d’une dilatation géographique de la production et des circuits de diffusion. Celle-ci se lit dans la répartition géographique des correspondants de la STN. Le fonctionnement de ses réseaux était toutefois conditionné par les services que les membres accomplissaient, comme la collecte et la transmission d’informations, le transport des marchandises ou la gestion d’un entrepôt. Cela révèle la volonté d’élargissement du marché et la souplesse d’adaptation des réseaux au moment où la STN se lançait dans le commerce de la librairie vers la fin de 1771. Les réseaux se nichaient aussi bien dans le cadre strict du royaume de France que dans les espaces infinis de la Russie ou dans les hiérarchies sociales consolidées italiennes. La force de cette logique se bâtissait sur des alliances de circonstances et sur une disponibilité à l’égard du renseignement comme le suggère le contenu des courriers.

L’utilité des réseaux, dans leurs composantes multiples et maîtrisées, s’établit dans la complexité des espaces qu’ils couvraient, où se croisaient des profes- sionnels à l’honnêteté confirmée, des débiteurs à la réputation douteuse et de pauvres hères complètement démunis. Les réseaux commerciaux de cette « presse périphérique » étaient ainsi construits et entretenus dans l’espoir de faire du profit, mais ils reposaient avant tout sur une sociabilité pour laquelle la réputation et la confiance étaient des fondations essentielles, mais fragiles. La STN développait ainsi ses propres réseaux et cohabitait avec ceux de ses concurrents, dans l’espace de plus en plus dilaté et plus ou moins contrôlé d’une économie du livre complexe, mais passionnante à découvrir.

____________

1 Jacques Rychner, Anne Sauvy, « Espaces de l’atelier d’imprimerie au XVIIIe siècle », dans Frédéric Barbier [et al.], dir., Le Livre et l’historien. Études offertes en l’honneur du Professeur Henri-Jean Martin, Genève, Droz, 1997, pp. 291-318, ici p. 293.

2 Voir Michel Schlup, « La Société typographique de Neuchâtel (1769 1789) : points de repère », dans Michel Schlup, éd., L’Édition neuchâteloise au siècle des Lumières : la Société typographique de Neuchâtel (1769-1789), Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire [ci-après BPU], 2002, pp. 61-105 ; sur la Société typographique de Neuchâtel, voir en particulier Robert Darnton, Michel Schlup, éd., Le Rayonnement d’une maison d’édition dans l’Europe des Lumières : la Société typographique de Neuchâtel 1769-1789. Actes du colloque organisé par la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel et la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel du 31 octobre au 2 novembre 2002, Neuchâtel, BPU ; Hauterive, Éditions Gilles Attinger, 2005.

3 Pour une mise au point voir Jean-Dominique Mellot, « Entre “Librairie française” et marché du livre au XVIIIe siècle : repères pour un paysage éditorial », dans Le Livre et l’historien, ouvr. cité, pp. 493-517.

4 Voir en particulier Barbara de Negroni, Lectures interdites : le travail des censeurs au XVIIIe siècle, 1723-1774, Paris, Albin Michel, 1993 ; Françoise Weil, Livres interdits, livres persécutés, 1720-1770, Oxford, 1999 ; Robert Dawson, Confiscations at customs : banned books and the French booktrade during the last years of the Ancien Régime, Oxford, Voltaire Foundation, 2006.

5 Voir en particulier Christiane Berkvens-Stevelinck, « L’édition et le commerce du livre français en Europe », dans Roger Chartier, Henri-Jean Martin, dir., Histoire de l’édition française, t. 2, Le Livre triomphant 1660-1830, 2e éd., Paris, Fayard, 1990, pp. 388-402 ; sur la Hollande, Christiane Berkvens-Stevelinck [et al.], éd., Le Magasin de l’Univers. The Dutch Republic as the centre of the european booktrade, Leiden, E. J. Brill, 1992.

6 Sur cette problématique voir Jean-Daniel Candaux, « Imprimeurs et libraires dans la Suisse des Lumières », dans Le Rayonnement d’une maison d’édition dans l’Europe des Lumières, ouvr. cité, pp. 51-68. La statistique des psautiers publiés pour les Églises réformées de langue française permet à l’auteur d’affirmer de manière convaincante cette hypothèse (voir notamment tableau II, p. 63).

7 Reinhard Wittmann, Geschichte des deutsche Buchhandels. Ein Überblick, Munich, C. H. Beck, 1991.

8 Sur la foire de Leipzig, Ernest Hesse, Geschichte der Leipziger Messen, Leipzig, Zentral-Antiquariat der Deutschen demokratischen Republik, 1963 [1re éd. 1885] ; voir aussi Frédéric Barbier, « Construction d’une capitale : Leipzig et la librairie allemande : vers 1750-1914 », dans Christophe Charle, Daniel Roche, dir., Capitales culturelles, capitales symboliques. Paris et les expériences européennes, XVIIIe -XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, pp. 335-357.

9 BPUN, ms STN 1221, f. 30-31, STB à STN, 11 avril 1770.

10 Sur la censure voir notamment, Raymond Birn, La Censure royale des livres dans la France des Lumières, Paris, Odile Jacob, 2007 ; Barbara de Negroni, Lectures interdites : le travail des censeurs au XVIIIe siècle, 1723-1774, Paris, Albin Michel, 1993 ; Françoise Weil, Livres interdits, livres persécutés, 1720-1770, Oxford, 1999 ; Robert Netz, Histoire de la censure dans l’édition, Paris, PUF, 1997.

11 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, II, 2e éd., Genève, Droz, 1999, pp. 555-762 ; id., « La prééminence de la librairie parisienne », dans Histoire de l’édition française, t. 2, ouvr. cité, pp. 331-357.

12 Sur l’évolution politique de 1707 à l’aube du régime Berthier (1806), voir Philippe Henry, Jean-Pierre Jelmini, dir., Histoire du Pays de Neuchâtel, t. 2, De la Réforme à 1815, Hauterive, Éditions Gilles Attinger, 1991, pp. 55-118.

13 Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, Librairie Arthème, Fayard, 1971.

14 Roger Chartier, « L’imprimerie en France à la fin de l’Ancien Régime : l’État général des imprimeurs de 1777 », dans Revue française d’histoire du livre, 1973, pp. 253-279.

15 Voir « L’édition en français hors de France », dans Histoire de l’édition française, t. 2, ouvr. cité, p. 385.

16 Les archives de la STN se trouvent à la BPU de Neuchâtel. Les chiffres publiés sont traités sur la base de l’informatisation du fichier manuel réalisé par John Jeanprêtre, qui classa ce fonds.

17 Sur Panckoucke, voir Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française 1736-1798, Pau, Marrimpouey jeune ; Paris, J. Touzot, 1977.

18 Voir l’ouvrage de Robert Darnton, L’Aventure de l’Encylopédie, 1775-1800. Un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Seuil, 1992.

19 BPUN, ms STN 1095, Copies-Lettres A1, f o 5, Frédéric-Samuel Ostervald à J.-F. Perrégaux du 25 juillet 1769.

20 Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Mémoires sur la librairie. Mémoire sur la liberté de la presse, éd. Roger Chartier, Paris, Imprimerie nationale, 1994, p. 149.

21 BPUN, ms STN 1095, Copies-Lettres A1, f o 8-12. La lettre porte la mention suivante : « Circulaire adressée aux divers libraires de l’Europe dont les noms sont portés ci après sous la datte aussi indiquée, par la Societé Typographique de Neuchatel en Suisse, 31 juillet 1769 ».

22 Nicolas Barker, « The Rise of the Provincial Book Trade in England and the Grouth of a National Transport System », dans L’Europe et le livre. Réseaux et pratiques du négoce de librairie XVIe -XIXe siècles, dir. Frédéric Barbier, Sabine Juratic, Dominique Varry, Paris, Klincksieck, 1996, pp. 137-155.

23 James Raven, « Le commerce de librairie “en gros” à Londres au XVIIIe siècle », dans L’Europe et le livre, ouvr. cité, pp. 157-171, ici p. 157.

24 Richard B. Sher, The Enlightenment and the Book. Scottish Authors and their Publishers in Eighteenth-Century Britain, Ireland and America, Chicago, London, The Univ. of Chicago Press, 2006, pp. 443-502 ; The Cambridge History of the Book in Britain, 1695-1830, vol. V, éd. Michael F. Suarez, Michael L. Turner, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2009.

25 Il s’agissait du libraire Malherbe l’aîné, déjà rencontré dans les travaux de Robert Darnton.

26 On recensait 26 correspondants et plus de 600 lettres envoyées à Neuchâtel. Parmi les plus importants, mentionnons le commissionnaire Jean-François Pion, le libraire et commissionnaire Faivre et le directeur des postes Junet.

27 La STN travaillait avec deux papetiers de cette localité, Jean-Baptiste Gurdat et Xavier Santas.

28 En particulier les membres de la famille Meuron, habiles commissionnaires.

29 Frédéric Barbier, Sabine Juratic, Annick Mellerio, Dictionnaires des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris 1701-1789, t. I, A-C, Genève, Droz, 2007.

30 Charles-Joseph Panckoucke à STN, cité dans Robert Darnton, Édition et sédition. L’univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1991, p. 106.

31 BPUN, ms STN 1059, Instructions et renseignements pour J.-F. Favarger, 1778.

32 Sur François Grasset, Silvio Corsini, Fieffé fripon ou libraire de génie ? La percée de François Grasset à Lausanne, 1754-1767, mémoire de licence dact., Université de Lausanne, 1984. Sur Storti, voir Renato Pasta, « Venezia e la Svizzera : tracce di un commercio librario », dans Mario Infelise, Paola Marini Bassano, dir., L’Editoria del ’700 e i Remondini, Ghedina et Tassoti, 1992, pp. 67-81.

33 Voir Renato Pasta, « Les échanges avec l’Italie », dans Le Rayonnement d’une maison d’édition dans l’Europe des Lumières, ouvr. cité, pp. 455-473. Voir aussi Anne Machet, « Clients italiens de la Société typographique de Neuchâtel », dans Jacques Rychner, Michel Schlup, éd., Aspects du livre neuchâtelois. Études réunies à l’occasion du 450e anniversaire de l’imprimerie neuchâteloise, Neuchâtel, BPU, 1986, pp. 159-185.

34 Jeffrey Freedman, « La Société typographique de Neuchâtel et l’Allemagne », dans Le Rayonnement d’une maison d’édition dans l’Europe des Lumières, ouvr. cité, pp. 475-489.

35 Jeffrey Freedman montre que, pour l’année 1774, la STN a envoyé à ses principaux correspon- dants suisses alémaniques 517 exemplaires dont une grande majorité à destination de Leipzig. Dix ans plus tard, le total de ces envois atteignait 1 284 exemplaires.

36 BPUN, ms STN 1125, f. 123-124, Bosset-de-Luze à STN, 31 juillet 1779.

37 Pierre Gobain, Le Commerce en son jour, ou l’Art d’apprendre en peu de tems à tenir les livres de compte à parties doubles et simples par débit et crédit, Bordeaux, Chez Matthieu Chappuis, 1702, p. 31.

38 Patrick Verley, L’Échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Paris, Gallimard, 1997, p. 195.

39 Jean-François Favarger était un voyageur de commerce employé par la STN. Il effectua deux voyages en France, le premier en 1776, lorsqu’il traversa une partie de l’Ouest de la France muni de catalogues, le second en 1778, suite aux démêlés entre la STN et Duplain à propos de l’Encyclopédie. Il a laissé un journal de voyage. Victor Durand était un autre cas intéressant : il a été envoyé par la STN dans les États allemands à la fin des années 1780.

40 Frédéric-Samuel Ostervald et Samuel Fauche firent la tournée en 1772 à Lyon, où Jean-Élie Bertrand retournait en 1773. En 1775, Ostervald se rendit à Paris, où il fut ébloui par la riche vie littéraire et typographique. En 1777, il y retournait avec Abraham Bosset-de-Luze, avec qui il fit une ultime tournée en 1780, gagnant Lyon, puis Paris.

41 Patrick Verley, L’Échelle du monde, ouvr. cité, p. 399. Voir aussi Dominique Margairaz, Philippe Minard, dir., L’Information économique XVIe -XIXe siècle, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2008.

42 BnF, ms fr. 21063, pièce 29, f. 86-88, Mémoire sur la librairie de Versailles et les abus qui s’y commettent, [s. d.].

43 BnF, ms fr. 21063, pièce 42, f. 136-137, Copie de la lettre d’envoi du mémoire précédent du 19 juillet 1764.

44 BnF, ms fr. 21063, pièce 71, f. 279-285, Mémoire, [s. d.], mais en tout cas après 1782 puisqu’il est fait mention d’un arrêt daté du 4 septembre 1782 à propos des Chambres du commerce.

45 Frantz Funck-Brentano, Les Lettres de cachet à Paris, étude suivie d’une liste des prisonniers à la Bastille (1659-1789), Paris, Imprimerie nationale, 1903, p. 411.

46 BnF, ms fr. 21063, pièce 71, f. 279-285, Mémoire, [s. d.].

47 Voir Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, avec une postface inédite de l’auteur, Paris, Seuil, 2000, p. 35. « Il n’est donc pas de distinction possible (contrairement à ce que pensait Mornet) entre la diffusion, saisie comme un progressif élargissement des milieux gagnés par les idées nouvelles, et ce qui est l’objet même de cette diffusion, à savoir un corps de doctrines et de principes que l’on pourrait identifier hors de toute appropriation ».

48 Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Discours de réception à l’Académie française du 16 février 1775, cité dans François-Antoine de Boissy d’Anglas, Essai sur la vie, les écrits et les opinions de M. de Malesherbes adressé à mes enfants, 2 vol., I, Paris, Treuttel et Würtz, 1819, p. 12.

49 Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, II, Des Prolégomènes aux écrits de 1791, éd. Ferdinand Alquié, Paris, Gallimard, 1985, pp. 207-217 (« La Pléiade »).

50 Ibid., p. 212.

51 Didier Masseau, dir., Les Marges des Lumières françaises (1750-1789), Genève, Droz, 2004.

52 Sur les Lumières modérées et chrétiennes, Didier Masseau, « La position des apologistes conciliateurs », dans Dix-huitième siècle, no 34, 2002, pp. 121-130.

53 Voir à ce propos, Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000.

54 Robert Darnton, Édition et sédition, ouvr. cité, id., Bohème littéraire et révolution. Le Monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Seuil, 1983.

55 Laurence Fontaine, « La construction de la confiance dans les réseaux de libraires et colporteurs de l’Europe moderne », dans Thierry Delcourt, Élisabeth Parinet, éd., La Bibliothèque bleue & les littératures de colportage, Paris, École des Chartes ; Troyes, La Maison du Boulanger, 2000, pp. 41-50.

56 BPUN, ms STN 1179, f. 375, Grandjacquet père & fils à STN, 18 juin 1770.

57 BPUN, ms STN 1179, f. 383, Grandjacquet père & fils à STN, 22 juin 1771.

58 BPUN, ms STN 1016, Livre de commissions B 2, f. 109-113, commission de Christian Rüdiger, Moscou.

59 BPUN, ms STN 1200, f. 169-170, Luc Preiswerck à STN, 17 mai 1775.

60 BPUN, ms STN 1200, f. 173-174, Luc Preiswerck à STN, 27 mai 1775.

61 BPUN, ms STN 1200, f. 152-153, Luc Preiswerck à STN, 24 septembre 1774. Le commission-naire bâlois précise qu’il a « expédié le ballot libri no 123 à Francfort avec ordre de le faire passer par Amsterdam à Monsieur Jean Joseph Bertrand libraire à Lisbonne ».

62 BPUN, ms STN 1016, Livre de commissions B 2, f. 115, commission de Jean-Joseph Bertrand, Lisbonne.

63 BPUN, ms STN 1200, f. 441-442, Luc Preiswerck à STN, 23 février 1780.

64 Robert Darnton, « Le livre prohibé aux frontières : Neuchâtel », dans Roger Chartier et Henri-Jean-Martin, Histoire de l’édition française, ouvr. cité, t. 2, p. 458.

65 BPUN, ms STN 1016, Livre de commissions B 2, f. 114, commission de Marie Audéart, Lunéville.

66 BPUN, ms STN 1200, f. 106, Luc Preiswerck à STN, 21 novembre 1772.

67 BPUN, ms STN 1016, Livre de commissions B 2, f. 1, commission de monsieur de Longe, Paris.

68 BPUN, ms STN 1176, f. 32-33, Longe à STN, 22 décembre 1773.

69 BPUN, ms STN 1176, f. 28-29, Longe à STN, 1er avril 1774. Les lettres sont classées dans l’ordre chronologique inverse.

70 BPUN, ms STN 1176, f. 26-27, Longe à STN, 11 juillet 1774.

71 BPUN, ms STN 1200, f. 176-177, Luc Preiswerck à STN, 3 juin 1775.

72 BPUN, ms STN 1200, f. 183-184, Luc Preiswerck à STN, 1er juillet 1775.

73 BPUN, ms STN 1113, f. 220-221, B. André à STN, 22 août 1784.

74 Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (mis en ordre et publié par), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts & métiers, Paris, Le Breton, Briasson, David et Durand, 1751-1772, t. III, p. 711-712.