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Les libraires français en Russie au Siècle des Lumières

Vladislav RJEOUTSKI

NdA. : Abréviations utilisées. Bibliothèques et fonds d’archives

ANF = Archives nationales de France

BNF = Bibliothèque nationale de France

MAE = Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris

MAE Nantes = Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes

RGB = Bibliothèque d’État de Russie, Moscou

RNB = Bibliothèque nationale de Russie, Saint-Pétersbourg

TsGIA Saint-Pétersbourg = Archives historiques centrales de la ville de Saint-Pétersbourg

Presse

MV = Moskovskie vedomosti, journal édité à Moscou, 1756-1917

SPbV = Sankt-Peterburgskie vedomosti, journal édité à Saint-Pétersbourg, 1728-1918

À Daniel Roche

La Russie est « entrée » en Europe sous le règne de Pierre le Grand. Cependant, il faudra attendre un certain temps avant que le modèle français de Cour y soit connu et assimilé. Si les premiers précepteurs français viennent en Russie à la fin du XVIIe siècle, il faudra attendre le règne d’Élisabeth (1741-1762), fille de Pierre le Grand, pour que la langue française soit connue des élites russes1. C’est aussi à la même époque, vers le milieu du siècle, que les enfants des grandes familles russes commencent à faire le Grand Tour des pays européens et à passer quelques années dans des universités de l’Europe. Ces aristocrates se mettent à acheter des livres et à constituer des bibliothèques, parfois considérables : le catalogue de celle d’Alexandre Vorontsov, ambassadeur de Russie auprès des États Généraux des Provinces-Unies, comporte en 1766 2 200 livres français environ2 ; la bibliothèque du prince Mikhaïl Chtcherbatov contient 2 407 ouvrages dont 1 764 en français3. Cependant, la constitution de si grandes bibliothèques reste le privilège de la grande noblesse, et encore tous les aristocrates ne sont pas francophones au milieu du siècle ; rares sont aussi alors les roturiers maîtrisant le français. Le cercle d’acheteurs potentiels du livre français est donc limité essentiellement à la noblesse mais va progressivement s’élargir vers des intellectuels issus des couches non privilégiées. Le livre, surtout le livre importé et relié, est très cher et reste pendant tout le XVIIIe siècle plus ou moins un objet de luxe. Beaucoup de livres en français ne viennent pas de l’étranger mais sont édités directement en Russie4. Avant l’autorisation donnée en 1783 aux particuliers de posséder des imprimeries, ce sont seulement quelques établissements (Académie des sciences, Corps des cadets nobles, Saint-Synode, etc.) qui éditent des livres en Russie.

L’exemple d’un des premiers libraires français installés à Moscou vers la fin du règne d’Élisabeth nous permettra de voir quelles sont les difficultés rencontrées à cette époque par un commerçant du livre français en Russie. Ce n’est que sous Catherine II que la librairie française pourra opérer une percée en Russie5, et les flux entre Strasbourg et la Russie vont, comme nous le verrons, compter pour beaucoup dans l’installation des gens du livre occidentaux en Russie et le développement des liens commerciaux entre la Russie et l’Europe occidentale.

UN PIONNIER DE LA LIBRAIRIE FRANÇAISE EN RUSSIE

Au milieu du XVIIIe siècle à Moscou, c’est l’Académie des sciences qui s’occupe de la diffusion de quelques livres français qu’elle fait venir de l’étranger. Quand en 1749, avec l’ouverture d’une filiale de la librairie académique à Moscou, 470 volumes en français arrivent de Saint-Pétersbourg, la moitié est vendue en trois mois, ce qui semble prouver qu’il existe déjà une demande locale. Cependant, les livres les plus demandés sont des dictionnaires et des grammaires françaises6.

Philippe Hernandez est probablement le premier libraire français installé dans cette ville. Il est très peu connu, alors que cet homme de lettres est intéressant à plusieurs titres : c’est le fondateur du premier périodique francophone de Moscou, mais c’est aussi un collectionneur qui, au bout d’un séjour de huit ans en Russie, ramènera en France une riche collection de livres et de manuscrits russes, l’une des premières de cette qualité et contenant autant d’ouvrages en langues slaves7. Avant d’arriver en Russie, il collabore, en 1756-1758, à l’édition du Journal étranger en tant que traducteur de l’anglais8 – on sait que ce périodique joue un grand rôle dans les échanges entre la France et d’autres cultures européennes, notamment anglaise et allemande9. Hernandez fait paraître des traductions d’auteurs anglais, mais le revenu de cette activité ne suffit pas pour nourrir sa famille. Il s’essaie dans l’édition d’un almanach, mais se heurte à la censure10. La proposition d’un aristocrate russe en voyage en Europe séduit alors le malchanceux éditeur11. Le journaliste ne dit pas en quelle qualité il est engagé, mais on peut supposer qu’il s’agit d’une place de précepteur ou de secrétaire particulier. C’est courant 1759, probablement après Pâques, que son employeur, le prince Dolgorouki quitte la France accompagné de Hernandez. Après avoir parcouru l’Italie, ils se dirigent vers la Westphalie et passent à Düsseldorf. À l’automne 1760, Hernandez s’installe à Moscou. En octobre, il donne son adresse : « A M. Hernandez ches le Prince Alexis Sergueits Gallizin à Moscou »12.

Ses débuts à Moscou nous sont connus grâce à la correspondance que le journaliste entretient avec Marc-Michel Rey, célèbre éditeur d’Amsterdam. Ses premières impressions du nouveau pays sont favorables : « Je me trouve fort bien du séjour de la Russie où un homme de lettres est très bien tenu »13. Dans une autre lettre, il détaille son « état permanent » :

Il y a 9 mois, Monsieur, que je suis ici chargé de l’instruction d’une jeune Princesse avec d’autres écoliers externes. Le tout me vaut 2400ll. argent de France avec la table, 2 laquais, un carosse et 4 chevaux uniquement à moi. Je vous fais ce détail pour vous prouver que je n’ai pas à me repentir d’y être venu. Il n’y aura que la dureté du climat qui me chassera d’ici14.

Hernandez arrondit ses fins de mois en vendant des fourrures que Marc-Michel Rey l’aide à écouler. Cette première transaction lui permet d’avoir un crédit chez l’éditeur et de lui commander des livres. La vente de livres constitue d’abord une activité annexe pour ce précepteur, mais elle prend bientôt une certaine ampleur, à une époque où il n’y a pratiquement pas de libraires indépendants vendant des livres étrangers à Moscou. Il n’a pas de concurrent ou presque, surtout en livres français, mis à part peut-être le réseau de l’Académie des sciences.

Hernandez lance l’édition d’un Journal des Sciences et des Arts15. Son commerce du livre va de pair avec ce projet, car, pour éditer une « feuille périodique », il a besoin de livres et surtout de nouveautés. Il le dit lui-même : « Aiant besoin de ces livres, il ne m’en coûtera pas plus d’essaier un petit commerce » 16. Le Journal est un périodique de recension bibliographique, principalement de titres qui paraissent en Europe occidentale, mais quelquefois aussi des traductions russes de livres occidentaux. Parmi les livres annoncés, il y a beaucoup de voyages, par exemple le Voyage d’Italie de Cochin17. Beaucoup relèvent du domaine médical. Traducteur de l’anglais, Hernandez semble connaître particulièrement bien ce pays, dont il présente régulièrement les nouveautés livresques. Aucun autre journal russe à cette époque ne fournit des informations aussi riches et variées sur le marché du livre britannique18.

Quels livres Hernandez essaie-t-il d’écouler à Moscou et quelles voies utilise-t-il pour les obtenir ? Il charge Rey de lui procurer des livres de Paris :

N’aiant point de voie plus sûre je vous prie de me faire venir de Paris sur le champs le petit nombre de livres que je demande et qui me sont de la dernière importance pour continuer ma feuille, puisque sans nouveauté, je ne peux plus piquer la curiosité. Mais que cela ne vous empêche pas je vous prie, de faire partir (sans attendre ceux de Paris) ceux d’Amsterdam.

Il demande si l’ouvrage périodique connu sous le nom de Nouvelle Bigarrure et Nouvelliste Économe est vraiment de Madame de Beaumont de Londres et prie le libraire de lui en envoyer l’année 1757, ajoutant : « S’il y a actuellement quelque feuille de ce genre en Hollande je vous la demande pardessus tout ». Il veut aussi commander des Étrennes mignonnes19, et n’en demande pas dix ou vingt, mais 800 exemplaires ! Il s’agit d’une sorte d’almanach de petit format, d’habitude agrémenté d’un calendrier, qu’on offrait pour le premier jour de l’an. Finalement, Hernandez se rend compte qu’il est trop optimiste et réduit sa commande à 400 exemplaires, dont 100 reliés20. Il est pressé : il utilise la voie navigable, mais la mer gèle près de Saint-Pétersbourg plusieurs mois par an, et les derniers bateaux pour Amsterdam partent en septembre, indique Hernandez à son correspondant. Il continue aussi ses publications en Hollande depuis Moscou : « Je vous prierai aussi cette année ou l’autre de faire imprimer pour mon compte quelque chose et je vous enverrai l’argent d’avance »21.

Il semble que Hernandez ait pu sortir deux volumes de son journal mais on ne trouve que le premier volume dans les bibliothèques russes aujourd’hui. La disparition de son journal ne surprend pas vraiment, et sa correspondance reflète les difficultés qu’éprouve alors un commerçant du livre français en Russie : certains livres, même avec l’appui de son journal, sont invendables à Moscou. Ainsi, Hernandez explique sa crainte de ne pouvoir écouler l’Histoire de Naples de Giannone22, qu’il voudrait finalement troquer. Giannone n’intéresse personne à Moscou, et il est obligé de renvoyer le titre à l’éditeur en espérant que celui-ci le reprendra.

Il y a encore la Théorie de l’impot dont j’ai trop. Tout ce qui est profond, détaillé est trop fort pour eux. Ils n’en sont qu’à l’amusant et aux Éléments du reste23.

De même son journal, avoue-t-il à Rey, « a de la peine à mordre dans un païs où les lettres percent à peine leur coque »24.

LA LIBRAIRIE EN RUSSIE : TROIS « NATIONS » ET TROIS HISTOIRES

La librairie étrangère se développe en Russie d’abord à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou25, mais des librairies à l’européenne, avec un nombre de livres important venant de différents éditeurs, n’apparaissent dans la capitale russe que dans les années 1770. Auparavant, les librairies existent, mais auprès des typographies des établissements d’État, dont elles écoulent d’abord les éditions. Le plus grand centre d’édition et de commerce du livre est l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg26. Les premiers libraires étrangers, vers 1760, sont d’origine allemande, ou nés en Russie de parents allemands.

À Saint-Pétersbourg, quelques Français pratiquent déjà à cette époque le commerce du livre, mais occasionnellement, de manière à s’assurer un complément de revenus plus qu’un moyen de subsistance. Parmi eux, on compte des précepteurs ou des maîtres de pensionnats éducatifs – par exemple, en 1757, le maître de pension Saucerotte, comédien de la Comédie-Française à ses débuts27 ; ou, en 1772, le grammairien et lecteur de français à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Jean-Baptiste-Jude Charpentier28. Les Allemands font de même : un certain Stillau tient à Saint-Pétersbourg un pensionnat qui fait en même temps office de librairie29. La vente occasionnelle de livres est surtout pratiquée par de petits relieurs, allemands pour la plupart30 ; quelques relieurs français, comme Léonard Fauconnier, leur emboîtent le pas. Parmi ces revendeurs, très peu deviennent de grands libraires. À notre connaissance, aucun Français exerçant le métier de relieur ne parvient aux honneurs de la carrière dans le commerce du livre, pas même Fauconnier qui avait pourtant travaillé pour la Cour31 ; ce dernier tient à la fin des années 1780 et au début des années 1790, à Saint-Pétersbourg, une librairie qui n’est sans doute qu’une petite boutique. Il faudra attendre l’arrivée de nouveaux émigrés français pour voir la librairie proprement française prendre son essor en Russie.

Parmi les Allemands, deux seront promis à une belle carrière : Weitbrecht et Müller32. L’essor des librairies allemandes à Saint-Pétersbourg tient certainement, en grande partie, aux liens que ces relieurs ou commissionnaires germanophones entretiennent avec l’Académie des sciences et avec le milieu libéral et intellectuel russe. Ces liens sont à la base du succès du commerce de Wilhelm Konrat Müller, relieur de l’Académie des sciences. Ce libraire allemand né en Russie, se fait l’intermédiaire habile entre les éditeurs des premières revues non-officielles – tels que Novikov et Soumarokov – et le public, en se chargeant de l’abonnement à ces revues. Il est aussi l’un des premiers à proposer systématiquement de la publicité dans les journaux. Müller est non seulement libraire, mais aussi éditeur. Il est franc-maçon, tout comme ses clients Novikov, Soumarokov ou Ielaguine, et l’on sait quelle place occupe alors l’édition dans la doctrine d’une certaine franc-maçonnerie russe. C’est avec Nikolaï Novikov que Müller fonde, en 1772, une Société pour la diffusion du livre ; c’est aussi grâce à lui que le libraire reçoit pour la vente une partie importante du tirage du Bélisaire de Marmontel, traduit sur la Volga par Catherine II et ses proches collaborateurs, et dont l’impératrice fait don à la société de Novikov. Il est bon de préciser que Müller vend surtout des livres russes33.

La fortune commerciale de Johann Jacob Weitbrecht repose aussi sur ses liens avec l’Académie des sciences. D’une famille de libraire, neveu d’un professeur de l’Académie de Saint-Pétersbourg, Weitbrecht est invité en 1765 par cette institution pour devenir facteur de la Librairie académique pour l’achat des livres étrangers. Il établit des contacts avec de nombreux grands éditeurs européens, notamment Briasson à Paris, Rey à Amsterdam. En 1768, il rachète une bonne partie du fonds étranger de l’Académie et, en 1776, il est autorisé à fonder une imprimerie « libre » en association avec Schnor, un autre libraire en vue. Il commence à éditer avec lui le St. Petersburgisches Journal, dont les articles privilégient les affaires de la Cour et de l’Académie et qui est lu surtout dans ces milieux34. Le commerce de Weitbrecht s’appuie aussi sur les commandes de la Cour, dont il est le premier fournisseur : il est notamment chargé de constituer les bibliothèques de plusieurs favoris de Catherine II, ainsi que celle de l’héritier du trône35. Les libraires allemands sont aussi les premiers à profiter de la liberté de fonder des imprimeries privées (1783)36. Nombre de libraires étrangers, allemands pour la plupart, affluent en Russie à la fin des années 1770, en toute connaissance de cause et après avoir étudié le marché du livre à Saint-Pétersbourg. Il s’agit de libraires qui se feront un nom dans les vingt dernières années du siècle : Klostermann, Meyer, Rospini… Certains sont originaires de Lübeck. Progressivement se forment des dynasties de libraires allemands à Saint-Pétersbourg.

Vers 1780, une autre « nation » apparaît dans le commerce du livre à Saint-Pétersbourg, représentée par plusieurs marchands russes. Il s’agit souvent de gens liés entre eux par des relations familiales ou amicales. En quelque vingt années, ces nouveaux venus (Glazounov, Ovtchinnikov, Svechnikov, Sopikov…) évincent ceux qui tiennent jusqu’alors le haut du pavé : la maison de Weitbrecht est vendue aux enchères en 1802-1803, et celle de Müller en 1809. Les Français subiront aussi l’effet de la profusion de librairies russes37.

On voit aussi apparaître quelques libraires parmi les Français installés sur les bords de la Neva. Le commerce de Dieudonné-Barthélémy Guibal, libraire à Saint-Pétersbourg en 1770-1771 et futur gendre de la libraire moscovite Marie-Claudine Rozet, est très limité, mais il a des contacts en France en la personne du libraire parisien Schwartz38. Son réseau est évidemment incomparable avec celui d’un Weitbrecht, lequel a des commissionnaires (dont la Société typographique de Neuchâtel) dans tous les grands centres de librairie européens39. Guibal quitte bientôt la course, en s’engageant au service de l’État. Jean-Guillaume Vyard (ou Viard), pour sa part, vend des livres depuis au moins 1768. En 1781, il est en relation directe avec la librairie parisienne40, mais la librairie semble être pour lui une activité annexe. Il est marié à une sœur de Jean Michel, et donc apparenté à l’un des clans les plus importants de commerçants français en Russie, mais qui ne s’intéressent pas au commerce du livre. C’est sans doute aussi le cas du Français Clairval, comédien de la troupe française à la Cour de Russie, présent à Saint-Pétersbourg depuis au moins 1759. En 1781, un libraire de ce nom est correspondant de la Société typographique de Neuchâtel. Il s’intéresse probablement à la vente de livres pour s’assurer un revenu complémentaire, à un moment difficile de sa vie41. On rencontre aussi des petits revendeurs de livres à Moscou : Châtelain (mort en 1773) y écoule une Histoire universelle en cinquante-quatre volumes, un Grand atlas en 110 cartes, des livres de mathématiques…42 Tous arrivent tôt en Russie, certains sous le règne d’Élisabeth (1741-1762), d’autres dans les premières années du règne de Catherine II (1762-1796). Aucun, hormis peut-être Schwartz, n’est un libraire professionnel.

La « vraie » librairie française apparaît à Saint-Pétersbourg avec les frères Gay qui s’y installent en 1787. Ce ne sont pas de petits boutiquiers : ils ont une librairie à Paris, une autre à Strasbourg, une troisième à Vienne (avec une imprimerie), et font des affaires en Hongrie et en Pologne43… Ils arrivent donc en Russie avec beaucoup d’expérience et certainement des capitaux, qui leur permettent d’ouvrir, dès 1787, un magasin à Saint-Pétersbourg. Ils ferment cependant leur établissement en 1800 et se replient à Moscou : ne supportent-ils pas la concurrence des libraires russes, tout comme leurs confrères allemands ? Pierre Alicy, un jeune Lunévillois, est en activité à Saint-Pétersbourg, à partir des années 1790. En 1798, il reçoit le titre de libraire de la cour. Mais son commerce reste limité, d’autant que, sous Paul Ier, la Cour commande peu de livres. On peut encore mentionner Jean Bouvat, libraire suisse actif à Saint-Pétersbourg à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, mais qui finit lui aussi ruiné par ses confrères russes. L’émigré français Marie Joseph Hyacinthe, chevalier de Gaston, sans être lui-même libraire, est alors étroitement lié à plus d’un commerçant français du livre : il édite le Journal littéraire de Saint-Pétersbourg 44, une revue francophone bimensuelle dans laquelle Alicy annonce régulièrement ses livres. Bouvat y insère aussi des annonces. L’abonnement se fait chez Alicy, à Saint-Pétersbourg, et chez les libraires français Riss et Sossay, à Moscou. Alicy et Bouvat semblent faire partie de cette vague d’émigrés arrivés en Russie après le début de la Révolution en France. Leurs liens étroits avec Gaston, un émigré royaliste, montrent qu’il s’agit probablement d’un réseau particulier.

À la fin du XVIIIe siècle, le marché russe du livre attire les regards de plusieurs libraires et éditeurs. Parmi eux, il faut mentionner les Fauche qui sont spécialisés dans le commerce de livres français en Allemagne, Pologne, Russie… Pierre-François Fauche s’associe pendant la Révolution avec le marquis de La Maisonfort pour fonder la Société littéraire et typographique de Brunswick. Parmi les périodiques qu’il publie, le plus connu est Le Spectateur du Nord, journal politique, littéraire et moral (1797-1802). Pierre-François et son frère, Abraham-Louis Fauche-Borel, sont étroitement liés aux émigrés, et Abraham-Louis se met au service des princes comme leur agent. Pierre-François Fauche fait plusieurs voyages en Russie, dont l’un des objectifs est de s’introduire sur le marché russe du livre. Sous Paul Ier, jouant sur le souhait affiché par les autorités russes de surveiller de près la circulation du livre étranger en Russie, les Fauche essaient d’obtenir le droit exclusif pour ce commerce dans l’empire, mais ils n’y parviennent pas. Leur projet de 1804, qui a pour but de contrôler la formation des bibliothèques universitaires en Russie, subit le même échec. La situation a radicalement changé depuis l’époque d’Élisabeth : il y a désormais en Russie des dizaines de commerçants de livres étrangers, certains proches du trône, et les autorités ne peuvent pas ignorer ce réseau45.

Les librairies française et allemande sont donc loin d’être identiques. Les Allemands s’appuient d’une part sur les liens avec l’Académie et ses nombreux clients, et sur les milieux intellectuels russes francs-maçons et épris des Lumières, qui voient la traduction et l’édition comme deux de leurs principaux objectifs. Les « libraires » français en activité à Saint-Pétersbourg dans les années 1760-1770, font du livre plutôt un complément de leur commerce habituel, ou bien ils n’arrivent pas à émerger et sont contraints de changer de métier. Tous les vrais libraires français qui seront connus par la suite sont de nouveaux venus : le très jeune Courtener arrive vers le milieu des années 1770, mais il ne débute comme libraire qu’au milieu des années 1780 ; Riss vient en 1787, comme les frères Gay ; Alicy et Bouvat, sans doute à l’époque révolutionnaire… Ils commencent leur activité au moment où la concurrence sur le marché du livre à Saint-Pétersbourg devient réelle.

LES RÉSEAUX DES LIBRAIRES FRANÇAIS À MOSCOU

Est-ce la raison pour laquelle c’est à Moscou et non à Saint-Pétersbourg que se forme un réseau de libraires français ? Plusieurs Français occupent en effet sur le marché du livre à Moscou une place comparable à celle des libraires germanophones à Saint-Pétersbourg46. Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et au début du XIXe, ce groupe est formé par François Courtener, Jean Gautier, François Riss et Joseph Sossay, Marie-Claudine Germain (épouse du libraire parisien Benoît Rozet), Dominique Bugnet, François Desmarets et les frères Gay. Au XIXe siècle en font aussi partie Maurice-Gérard Allart, André Lemoine, Auguste Semen et Charles Urbain.

La situation à Saint-Pétersbourg, peu propice au développement d’un réseau de librairies françaises, n’est pas la seule raison qui expliquerait l’apparition de ce réseau. Sous le règne de Catherine II, on assiste à un accroissement important de la communauté francophone à Moscou : d’une poignée au milieu du siècle, elle passe à un millier de personnes dans les années 1790. Ce succès repose en partie sur l’énergie d’un groupe d’émigrés, zélateurs d’une « nation » ou d’une « colonie » française. En associant leurs forces à celles du clergé français émigré à Moscou, ce groupe parvient à fonder, en 1791, dans une situation tendue et malgré l’opposition de la vieille église catholique Pierre-et-Paul, une église réservée à la communauté française. Ils la baptisent, selon la tradition, l’église Saint-Louis-des-Français47. Pourtant, les libraires français ne semblent pas s’intéresser particulièrement à l’essor de la colonie. En consultant les registres des églises catholiques de Moscou, on se rend compte que ni les Courtener, ni les Gautier ne fréquentent la paroisse française Saint-Louis48. Mais ils profitent très certainement de la présence de leurs nombreux compatriotes, qui grossissent les rangs de leur clientèle. En revanche, plusieurs entretiennent des relations entre eux et avec d’autres acteurs de la vie culturelle en Russie et en Europe occidentale.

Le premier de ces réseaux est celui que tisse Marie-Claudine Rozet, née Germain49. D’une famille de libraires par son mariage avec le libraire Benoît Rozet, elle se distingue des premiers vendeurs de livres français en Russie par ses liens avec le monde de la science et de l’éducation, liens qui lui permettent de vendre de la littérature de qualité, par exemple l’abonnement à l’Histoire de Russie de Levesque ou la Géographie abrégée de Langlet du Fresnoy. Madame Rozet trouve à s’installer à Moscou, d’abord comme gouvernante, avec la recommandation de l’astronome français Joseph-Jérôme-François de Lalande. Plus tard, on la retrouve à Saint-Pétersbourg où elle vit en couple avec Bousson de Mairet, un précepteur français. Cette liaison permet sans doute à Mme Rozet d’étendre le cercle de ses clients : Bousson de Mairet travaille pour des familles de la grande noblesse russe ; en 1784, il est gouverneur du jeune comte Nikita Petrovitch Panine, futur vice-chancelier de l’empire, neveu de Nikita Panine, éducateur de l’héritier du trône et pendant longtemps de fait chef des Affaires étrangères ; c’est sans doute grâce à ses liens qu’il est présenté à l’impératrice et au grand-duc Paul50.

Le réseau de Madame Rozet comprend des éditeurs et des libraires à Paris (Durand et Debure fils), ainsi que des correspondants qui l’aident à s’approvisionner en livres français et à écouler des livres édités en Russie (le même Lalande en France, ou le secrétaire de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Johann Albrecht Euler, à Saint-Pétersbourg, que Madame Rozet semble avoir bien connu51). Elle est aussi en relation avec des clients susceptibles de s’intéresser à la littérature de qualité qu’elle propose, des particuliers (Lalande et Euler, l’académicien pétersbourgeois Gerhard Friedrich Müller, la grande noblesse russe) et des institutions (le Corps des cadets nobles, l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg…). Madame Rozet meurt à Moscou en 1784, laissant près de 130 titres dont une partie en deux ou trois exemplaires, mais 26 exemplaires de la Géographie abrégée de Langlet du Fresnoy et 19 des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, quelque cent volumes de la Bibliothèque des romans, 21 exemplaires de l’Histoire de Russie de Levesque, etc. La vente de ces volumes a lieu au Club étranger de Moscou en 1785. Les acheteurs sont principalement des aristocrates russes mais aussi des Français résidant à Moscou52.

Un autre réseau se forme autour de François Courtener. Originaire de Strasbourg, il vient à Moscou avant 177653, à l’âge de vingt-quatre ans. Il y épouse Henriette-Henri-Anne Dreyer, elle aussi de Strasbourg : ce genre de mariage arrangé entre les ressortissants d’une même ville est alors loin d’être une exception parmi les Français de Moscou. Plusieurs des acteurs de la librairie française en Russie, en cette fin de siècle, viennent de l’Est de la France, et particulièrement de Strasbourg : les frères Gay, déjà mentionnés, possèdent une librairie à Strasbourg d’où, selon certaines informations, ils sont originaires. C’est aussi le cas de François Riss, arrivé à Saint-Pétersbourg vers 1787, c’est-à-dire à l’époque où les frères Gay ouvrent leur librairie dans la capitale russe. Si Riss devient commissionnaire des frères Gay, à Saint-Pétersbourg, c’est parce qu’ils se connaissent depuis Vienne ou probablement depuis Strasbourg. Lorsque Riss, en 1788, s’inscrit à Saint-Pétersbourg comme « hôte étranger » et marchand de la troisième guilde, il produit deux passeports. Le premier, délivré en novembre 1787 par l’ambassadeur de France à Vienne, indique que le « libraire » Riss se rend à Saint-Pétersbourg. Le second, délivré en novembre 1787 par l’ambassadeur de Russie à Varsovie le comte de Stackelberg, porte la mention suivante : « Il va à Saint-Pétersbourg pour être commis du libraire Gay »54. Il s’agit donc clairement d’un cas d’émigration professionnelle, liée à l’extension géographique de l’activité des frères Gay. François Riss passe vers 1795 à Moscou, où il ouvre sa propre librairie avec un certain Joseph Sossay, encore de Strasbourg ! En 1796, François Riss loge chez les Courtener, à Moscou. Il est en outre parrain d’un des enfants de François Courtener, rôle d’habitude dévolu aux proches, amis ou collègues. En 1795, François Courtener et les frères Gay, tous anciens Strasbourgeois, annoncent ensemble le lancement d’un abonnement au Traité de la mythologie (…) par M. l’abbé Lionnois55, chez François Courtener, à Moscou, et chez les frères Gay et Klostermann, à Saint-Pétersbourg.

On sait que les régions frontalières (Lorraine, Alsace, Franche-Comté), et particulièrement Strasbourg, donnent en cette fin de siècle plusieurs personnages qui seront des intermédiaires entre la Russie et l’Europe occidentale56. Strasbourg surtout est, depuis le milieu du siècle, l’une des villes universitaires privilégiées par l’aristocratie russe. Les élites de cette ville sont aussi très liées à la Russie. Jacques Démichel, ami de Gilbert Romme, après avoir travaillé comme précepteur en Russie, vient à Strasbourg pour la première fois en 1785 avec son élève Grigori Stroganov, et y reste jusqu’à l’automne 1787. Sans être Strasbourgeois d’origine, il s’y installe définitivement en 1790. Il y sera officier municipal, pendant un temps président de la municipalité, adjoint au maire et maire de la ville57. Maire de Strasbourg en 1800, Ignace-Étienne Livio est le frère des négociants Livio installés en Russie depuis le milieu du XVIIIe siècle ; devenu vice-président de la chambre de commerce d’Alsace, il dirige en même temps, à Saint-Pétersbourg, en association avec son fils, la banque Livio & Cie, et est banquier de la Cour de Russie. Au sein de la librairie française en Russie, le rôle d’intermédiaires entre la librairie occidentale et la Russie est dévolu aux Strasbourgeois58. L’origine de ces libraires semble être un facteur essentiel dans le choix du partenaire commercial.

D’autres enfants de Courtener sont parrainés par Jean-Otto Maÿ ou des membres de sa famille. L’origine de Maÿ nous est inconnue, mais il s’occupe lui aussi de la vente de livres à Moscou et a, au tournant du siècle, un projet commun avec Gautier, qui n’est nul autre que le gendre de François Courtener. Nous sommes en présence d’un réseau étroit où comptent les relations amicales et/ou familiales qui reposent sans doute sur les origines communes de ces libraires.

La pratique commerciale de Courtener rend compte de ses ambitions croissantes. Ce libraire ne manque pas d’invention : il abonne sa clientèle aux éditions en plusieurs volumes, dont il se dit parfois le coéditeur. En février 1797, la traduction d’une nouvelle de Karamzine, Julie, est publiée dans le Spectateur du Nord par l’intermédiaire de Karamzine lui-même, correspondant de ce journal59. On a pensé que Julie. Nouvelle traduite du russe de Mr. Karamzin par Mr. de Boulliers que Courtener fait passer pour son édition60 avait été d’abord publiée à Hambourg chez Pierre-François Fauche, éditeur du Spectateur du Nord, mais dans une édition à part61. Que ce soit d’ailleurs la propre édition de Courtener ou la reproduction d’une édition de Fauche, cela témoigne de la prise en compte de la renommée croissante de Karamzine. À cette époque, ses œuvres sont souvent publiées en Angleterre, notamment cette même nouvelle62. Il est curieux qu’on voit paraître un peu plus tard, à Saint-Pétersbourg, une traduction anglaise faite à partir de cette traduction63. Courtener publie sans aucun doute lui-même quelques titres64. Il veut paraître plus important qu’il ne l’est : en se présentant comme imprimeur-libraire, il devient le premier des libraires français de Moscou, mais comble aussi le fossé qui le sépare de quelques gros libraires et éditeurs allemands : à Moscou son concurrent immédiat est Christian Rüdiger, qui édite et vend des livres en français. Rüdiger répète le schéma utilisé par des libraires allemands de Saint-Pétersbourg : c’est un relieur de l’université de Moscou65, qui peut donc bénéficier des possibilités offertes par cette fonction.

En 1791, Courtener part à l’étranger. Il publie en avril dans le journal officiel de Moscou, le Moskovskie Vedomosti, l’annonce suivante (en français dans le journal) :

François Courtener, libraire rue Iliinsky, a l’honneur d’avertir MM. les amateurs de la littérature étrangère, qu’il va entreprendre un voyage pour la France, la Suisse et l’Allemagne, d’où il espère être de retour pour la fin du mois de septembre de cette année. Il se charge de toutes les commissions qu’on voudra lui confier, qui auront rapport à son commerce et qui seront à la portée de sa connoissance. Il se contentera d’une provision ou bénéfice de dix pour cent pour les achats, en recevant d’avance le montant de la commission. Les frais de transport se payeront à la réception. Les commissions qui parviendront après son départ seront également effectuées, celles qui sont pour Paris et pour la Suisse sont données dans le courant du mois de mai ; et celles pour l’Allemagne auront lieu jusqu’à la fin de juin et seront adressées à la librairie, rue Iliinsky, laquelle fournit pendant son absence de bonnes nouveautés, desservie par des personnes actives et intelligentes. En déclarant et reconnoissant comme bonne et valable la signature de son épouse pendant son absence, il prie MM. les amateurs de la littérature de lui témoigner la même confiance de laquelle il a été honoré jusqu’à présent.

On constate que le libraire donne son annonce en français. La raison en est évidente : il s’adresse en priorité à la grande, et peut-être à la moyenne noblesse russe, qui est francophone, car c’est ce public qui s’intéresse en particulier à la littérature étrangère en Russie. Il est aussi intéressant de voir que Courtener compte s’approvisionner en Suisse, en France et en Allemagne. Va-t-il visiter la Société typographique de Neuchâtel ? Nous savons en tout cas qu’il correspond avec la STN, mais sa correspondance (une lettre conservée66) est bien moins importante que celle de son concurrent Rüdiger (vingt-deux lettres)67. Se rend-il à Bâle ? C’est possible, car quelques années plus tard, en 1797, il sort un catalogue intitulé Note de livres nouveaux et autres, en vente chez Pierre Courtener, libraire à Basle, et chez François Courtener, libraire à Moscou. Son parent à Bâle ne tarde pas à parler à son tour de la sortie de son catalogue à Moscou. En novembre 1797, les lecteurs de la Gazette de Berlin peuvent lire :

Pierre Courtener et Compagnie ont l’honneur d’annoncer à MM. les libraires d’Allemagne et du Nord, ainsi qu’à MM. les amateurs de la bonne littérature tant ancienne que moderne, qu’ils viennent de former leur établissement de librairie en cette ville. Les numéros 1 à 10 de leurs nouveaux catalogues paroissent ; on peut se les procurer ainsi que la suite à Leipzig chez J. H. Muller et Comp[agnie], à Copenhague chez le Roy, et à Moscou chez François Courtener. Bâle, le 1er novembre 179768.

Courtener se rend aussi à Paris où il fonde, en 1802, sous la raison sociale Courtener, Rebannier et Cie, une maison de commerce qui se charge des commissions pour l’achat des livres69. Il semble donc bien que ce voyage joue un rôle important dans l’essor de sa librairie.

TOPOGRAPHIE DE LA LIBRAIRIE FRANÇAISE À MOSCOU

Après avoir situé le réseau des libraires français en Russie par rapport aux libraires allemands et russes, suivons la topographie des librairies françaises dans une ville comme Moscou. Cette topographie reflète l’évolution des stratégies commerciales de ces libraires. La première adresse de François Courtener est rue Iliinka (6)70 où, en 1782, il vend des graines et des bulbes de fleurs de Hollande et de France. Sa librairie n’apparaît qu’en 1785, au 3 rue Iliinka. Cette rue, qui part de la place Rouge, en face de la tour Spasskaïa (Saint-Sauveur), est alors l’une des grandes rues commerçantes de Moscou. En s’y installant, Courtener se démarque d’une part des vendeurs de livres russes qui commercent sur le pont Spasski (Saint-Sauveur), sous les murs du Kremlin ; d’autre part, il prend pied dans l’un des centres de commerce les plus importants de Moscou : depuis le XVIe siècle s’y trouvent des échoppes et des galeries marchandes, où l’on peut tout acheter. Courtener y vend des livres français, quelques livres russes et des estampes, et, selon les habitudes de l’époque, bien d’autres marchandises. Vers 1791, il transfère son magasin dans une autre maison dans la même rue, avant de partir pour l’étranger.

Ivan Mitchourine, Plan imperatorskogo stoličnogo goroda Moskvy [Plan de la capitale impériale de Moscou], 1739. Détail. Image tirée de commons.wikimedia.org. Légende — Forteresse : 1 – Kremlin. Place : 2 – place Rouge. Quartiers : 3 – Kitaï gorod ; 4 – Bely gorod ou ville Blanche. Rues : 5 – Varvarka ; 6 – Iliinka ; 7 – Nikolskaïa ; 8 – Miasnitskaïa ; 9 – Bolchaïa Loubianka ; 10 – Rojdestvenka ; 11 – rivière puis (1817-1819) rue Neglinka ou Neglinnaïa ; 12 – rue du Pont-des-maréchaux-ferrants ; 13 – Petrovka ou Petrovskaïa ; 14 – Tverskaïa ; 15 – Bolchaïa Nikitskaïa ; 16 – Vozdvijenka ; 17 – Znamenka ; 18 – ruelle Glinichtchev. Rivière : 19 – la Moskova.

Dès son retour, en septembre 1791, il s’établit rue Nikolskaïa (7)71, où il vend toujours, outre les livres, d’autres articles, jeux de société et carosses. À cette époque, il est reçu marchand de la troisième guilde (jusqu’en 1812) : son entrée à la guilde montre que ses positions sont plus solides, même s’il ne compte pas encore parmi les marchands les plus riches. Le départ de Courtener n’est pas un hasard. La rue Nikolaskaïa72 est, à la fin du XVIIIe siècle, en passe de devenir un nouveau centre de la librairie. Dans le premier quart du XIXe siècle, la majorité des librairies de Moscou, plus d’une vingtaine, se trouvent soit dans cette rue, soit à proximité. L’imprimerie d’État (Petchatny dvor) y est également sise, de même que la célèbre Académie slave-gréco-latine, installée depuis la fin du XVIIe siècle dans le monastère Zaïkonospasski. Il semble toutefois que Courtener ne soit pas entouré de Français : on ne peut citer que François Desmarest, qui y ouvre sa librairie en 1773, mais qui a probablement cessé son activité vers la fin du siècle. Si Courtener abandonne cette localisation au début du XIXe siècle, c’est probablement parce que la rue Nikolskaïa est désormais clairement associée au commerce du livre russe. Le plus grand libraire russe, Glazounov, y transfère en 1808 son magasin, qui se trouvait jusqu’alors sur le pont Spasski, sous les murs du Kremlin ; sa librairie devient la plus grande de Moscou, avec un cabinet de lecture qui lui est associé.

C’est en 1802 que François Courtener transfère sa librairie rue Bolchaïa Loubianka (9)73 ; son gendre, Jean Gautier, l’y suit peu après. La librairie de Dominique Bugnet, ouverte en 1799 à proximité, dans la ruelle Glinichtchev (18), est rachetée en 1807 par Maurice Allart – futur « libraire du théâtre de Sa Majesté impériale » –, qui la déplace rue Bolchaïa Loubianka. François Riss, « le coq de la librairie française », est installé avec son compagnon Joseph Sossay, rue Petrovka (13), à l’intersection avec la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants (Kouznetski most : 12). Cette rue, célèbre dans l’histoire russe, est le symbole même de la présence française : s’y trouvent au début du XIXe siècle les plus grands magasins de mode français, y compris celui de Madame Aubert-Chalmé, dont le souvenir est aussi passé à la postérité. L’autre extrémité de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants donne sur la rue Bolchaïa Loubianka. Nous sommes donc au cœur du quartier habité par de nombreux Français. La nouvelle église catholique Saint-Louis-des-Français, centre de la vie communautaire des Français de Moscou, se trouve dans ce quartier. Mais c’est en même temps un quartier de l’aristocratie russe, ce qui le rend doublement intéressant pour les libraires français, pour qui le livre étranger – et en particulier francophone – est le pilier du commerce.

En 1804, Courtener cède sa librairie à son gendre Jean Gautier, et ouvre un magasin de graines, rue Bolchaïa Loubianka. Il continue cependant son activité et publie même, en 1804-1805, Le Nouveau Plan de Moscou. Après avoir fondé en 1805, dans la même maison, une librairie pour ses fils François et Antoine revenus en Russie après des études à l’étranger, il vend son magasin de graines, et se consacre à la création d’un « Musée de Lecture » susceptible d’accueillir deux cents personnes : le Musée ouvre le 20 août 1806 et, avec les presque vingt mille titres offerts à ses lecteurs, il constitue la première entreprise de cette envergure à Moscou. Courtener tente d’en faire un centre d’affaires et d’informations commerciales. En 1807, sa librairie existe toujours, et est connue comme un « Musée de lecture », à la différence du « Cabinet de lecture » de Lemoine, un nouveau libraire français. En 1811, on le trouve dans la maison de l’Académie médico-chirurgicale près de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants.

En 1806, à la suite du changement de la législation russe, François Courtener se fait naturaliser « avec sa femme Marie et ses fils François, Antoine et Théodore ». La librairie, tenue par ses fils François-Pierre et Antoine-Georges-Louis, existe dans un premier temps sous la raison de « Frères Courtener », puis change de nom aux alentours de 1812. Il est possible que ce changement ait été une conséquence de la cession, par Antoine Courtener, de ses parts de capital, car celui-ci n’annonce plus son capital depuis 1812. François Courtener, le père, meurt à Moscou en 1814.

Le beau-fils de Courtener, Jean Gautier, n’appartient pas à une famille de libraires, mais il vient d’un milieu lettré : son grand-père était juge au magistrat de Saint-Quentin. Son père, Jean-Marie Gautier-Dufayer, fit ses études à Paris, puis fut précepteur, avant de se lancer dans une grande aventure. En répondant à l’appel de Catherine II qui veut faire venir des étrangers pour peupler les territoires vides de son empire, il part en 1764 à Saint-Pétersbourg en compagnie de deux autres Français, avec des passeports, et sur l’incitation de l’envoyé russe à La Haye. Gautier-Dufayer est directeur des fabriques d’un grand seigneur, précepteur dans plusieurs familles nobles, avant de venir à Moscou où il s’inscrit au corps des marchands et se lance dans le commerce. Cette intégration dans la société marchande de Moscou lui est facilitée par le mariage conclu avec Jeanne Gaudain, fille de Léopold Gaudain, marchand français en vue et directeur du Club étranger de Moscou. Le modèle sera reproduit par leur fils, Jean Gautier.

Jean Gautier entre, probablement vers la fin des années 1780, à l’âge de vingt ans environ, dans la famille de François Courtener, d’abord comme précepteur, avant de devenir commis. Il semble que, vers 1794, il ait sa propre librairie, et Courtener n’y est assurément pas étranger. En 1797, il est chargé par Courtener d’accompagner deux de ses fils à l’étranger pour leurs études ; au retour, il épouse Élisabeth Courtener, fille du libraire, qui n’a alors même pas seize ans. Par ce mariage, Gautier reçoit en quelque sorte la consécration parmi les libraires étrangers de Moscou. Le témoin du mariage est Jean Maÿ, libraire déjà mentionné. À peine un mois plus tard, le 23 février 1799, Gautier s’inscrit au corps des marchands de Moscou, tout en continuant à faire du commerce rue Nikolskaïa (7), dans la boutique de son beau-père. En 1800, sa femme meurt en couches, et lui même se libère de la tutelle de son beau-père. En 1801, il ouvre deux librairies, une « étrangère » et une « russe », sur l’avenue Tverskaïa (14), l’une des plus grandes artères de la capitale, en plein centre de Moscou et à deux pas du quartier de la Loubianka.

Gautier s’associe à cette époque à Kriajev et à Jean Maÿ, et ils se lancent ensemble dans l’édition, le vieux rêve de François Courtener. En 1801, l’officine Gautier et Cie prépare la traduction et la publication d’Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert, de Chateaubriand. À cause des dettes contractées par l’imprimerie, Jean Gautier préfère pourtant sortir dès 1804 de l’association, contre le paiement de 8 000 roubles pour sa part du capital et la cession à Kriajev et Maÿ de sa librairie russe. Même si cette décision est très lourde pour sa jeune société, elle se révèle sage, car ses compagnons finissent par faire faillite. En 1804, le voici libraire rue Bolchaïa Loubianka, à côté de la librairie de son beau-père, lequel cherche un repreneur pour son magasin. L’année suivante, Gautier transfère sa librairie dans la maison de M. Beckers, près de la rue du Pont-des-maréchaux-ferrants, à côté du magasin de modes de Madame Goutte. Gautier veut profiter de l’afflux de la grande et de la moyenne noblesse russe qui constitue une clientèle riche et, de surcroît, francophone. Une librairie « russe » est ouverte par lui, dans la maison appartenant au libraire Glazounov (rue Nikolaskaïa), celle-là même d’où, quelques années auparavant, son beau-père s’était retiré. Il établit alors des rapports avec de nombreux typographes de Moscou, Beketov, ses anciens compagnons Kriajev et Maÿ, Christophor Claudi, Gipius, Nikolaï Vsevolojski, Semione Selivanovski et surtout Andreï Réchetnikov, les typographes de Saint-Pétersbourg Johann Karl Schnor74, Alexandre Pluchart75 et la typographie de l’Académie des sciences.

La topographie des librairies de Gautier n’est pas donc tout à fait la même que celle de François Courtener : il ne se limite pas exclusivement au quartier français et à sa clientèle huppée. À la différence de son beau-père, il entretient des relations avec tous les acteurs du champ, non seulement français, mais aussi allemands et russes. Cette attitude traduit-elle un changement dans l’identité nationale de ce libraire ? Jean Gautier est né et a grandi en Russie, contrairement à Courtener. La diversification des contacts relève sans doute aussi du désir de profiter de l’expansion de la pratique de lecture, qui ne se limite plus à la seule noblesse. Le pari de Gautier réussit, car son entreprise devient une maison d’édition incontournable à Moscou au XIXe siècle.

QUELQUES CONCLUSIONS

La librairie française n’apparaît donc pas en Russie de la même façon que la librairie allemande. Les Français ne bénéficient pas, au départ, de ce crédit qui permet à certains Allemands de se hisser au rang des grands libraires de Saint-Pétersbourg, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle : des relations à la Cour et dans quelques établissements d’État, avant tout l’Académie des sciences, et des liens avec les milieux intellectuels maçonniques. Mais les Français constituent à Moscou, où il n’y a qu’un seul libraire allemand d’importance (Rüdiger), un réseau de librairies françaises de tout premier plan. Ils profitent ainsi d’une niche qui existe apparemment à cette époque dans le commerce du livre étranger dans cette ville. Ils suivent de près les changements dans la « topographie commerciale » de la ville, s’établissant dans les rues commerçantes du moment, en partant de la place Rouge où ils se trouvent à proximité des libraires russes, pour arriver dans le quartier de la Loubianka, qui attire une clientèle russe huppée et francophone. Leur commerce se spécialise dans le souci de se distinguer de la librairie russe. Quelques méthodes qu’ils introduisent, sans être originales, sont neuves pour Moscou : publicité dans les journaux, prêt des livres et création de cabinets de lecture…

La comparaison avec la librairie française dans d’autres pôles de l’émigration française, par exemple à Florence, permet de faire quelques remarques 76. Les libraires français sont attirés à Florence entre autres parce qu’ils n’ignorent pas que quelques-uns de leurs confrères français y sont déjà installés. Les relations entre eux ne s’y résument pas à la concurrence, il y a de l’entraide et les alliances interfamiliales permettent de consolider le commerce ou, pour les nouveaux venus, d’accéder à des réseaux déjà mis en place. Renato Pasta note ainsi, dans le cas du libraire florentin d’origine française, J. Bouchard, le rôle des liens entre les négociants de même origine, exerçant des activités parfois différentes et parfois complémentaires, mais aussi les liens de protection entre les libraires français et l’élite socio-culturelle de Florence. Les libraires français de la péninsule forment un réseau homogène qui leur permet d’être plus performants que les libraires locaux. En Russie, les liens professionnels et familiaux, ainsi que la communauté d’origine entre les libraires français, sont aussi le gage d’une certaine force. Rappelons les opérations communes entre les libraires français de Saint-Pétersbourg et leurs confrères de Moscou (Courtener et les frères Gay), la mobilité géographique entre les deux capitales (les frères Gay, Riss), l’aide à l’installation de nouveaux arrivants dans une grande ville comme Moscou (Courtener et Riss, Courtener et Gautier).

Les liens avec le pays d’origine sont aussi forts dans le cas des Florentins d’origine française, que dans celui des Français de Moscou, particulièrement pour la première génération des libraires : les voyages de François Courtener, les études de ses fils en France, à Strasbourg, en sont des manifestations évidentes. En même temps, leurs liens professionnels ne se limitent nullement à la France : François Courtener fait aussi des affaires avec la Suisse et avec l’Allemagne ; la position géographique de Strasbourg, dont Courtener et nombre de ses collègues sont originaires, au carrefour de l’Europe, y est sans doute pour quelque chose. Tout en gardant leur identité, gage de leur spécificité, ces libraires étendent progressivement leur réseau : d’un milieu presque exclusivement francophone, ils passent à des cercles plus larges et plus hétérogènes, qui incluent des libraires et des éditeurs germanophones et russophones. Les guerres napoléoniennes ont un effet identique à Moscou et à Florence, infligeant au commerce français une crise dont il se relèvera difficilement.

Reste à étudier l’offre des libraires français en Russie pour comprendre si quantitativement elle représente, comme dans le cas des libraires français de Florence, une nouvelle tendance dans la lecture, qui privilégie une littérature moins érudite et plus légère, répondant ainsi à l’apparition d’une nouvelle sensibilité.

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1 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article : V. Rjéoutski, « La langue française en Russie au siècle des Lumières. Éléments pour une histoire sociale », dans U. Haskins-Gonthier, A. Sandrier, éd., Multilinguisme et multiculturalité dans l’Europe des Lumières (Actes du Séminaire international des jeunes dix-huitiémistes 2004), Paris, Honoré Champion, 2007, pp. 101-126.

2 « Catalogue de la bibliothèque de Son Excellence Monsieur le comte de Worontzov, ambassadeur de S. M. L’Impératrice de toutes les Russies, auprès de L. H. P. Les États-Généraux des Pronvinces-Unies. 1766 », Archives de l’Institut d’histoire de l’Académie des sciences de Russie (Saint-Pétersbourg), fonds 36, inv. 1, dos. 992, référence dans V. Somov, « La librairie française en Russie au XVIIIe siècle », dans Frédéric Barbier, éd., Est-Ouest : Transfert et réceptions dans le monde du livre en Europe (XVIIe-XXe siècles), Leipziger Universitätisverlag, 2005, pp. 89-107, ici p. 96.

3 W. Berelowitch, « La bibliothèque en langues occidentales de Mikhaïl Chtcherbatov : premières approches », dans Le Siècle des Lumières. I. Espace culturel de l’Europe à l’époque de Catherine II, Moscou, Naouka, 2006, p. 285.

4 Svodnyj katalog knig na inostrannyx jazykax, izdannyx v Rossii v XVIII veke [Catalogue collectif des livres en langues étrangères édités en Russie au XVIIIe s., 1701-1800], vol. 1 (A-G), Leningrad, 1984 ; vol. 2 (H-R), Leningrad, 1985 ; vol. 3 (S-Z), Leningrad, 1986 ; vol. 4/1 et 4/2, périodiques, Saint-Pétersbourg, 2004.

5 Nous ne parlerons pas du livre français en Russie en général (volume et contenu de l’offre, etc.), ni de la censure, qui touche particulièrement la production livresque de France en Russie à la fin du règne de Catherine II et sous Paul Ier . Ces questions ont été étudiées par les historiens du livre : N. A. Kopanev, Francuzskaja kniga i russkaja kul’tura v seredine XVIII veka [Le livre français et la culture russe au milieu du XVIIIe siècle], Leningrad, Naouka, 1988 ; V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg », dans Les Français à Saint-Pétersbourg [catalogue de l’exposition, Saint-Pétersbourg, 2003], Saint-Péterbourg, Palace Éditions, 2003, pp. 77-80 ; id., « La librairie française en Russie au XVIIIe siècle », art. cité ; Jean-Dominique Mellot, dir, Censure et statut de l’imprimé en France et en Russie au Siècle des Lumières, vol. 1, Moscou, Naouka, 2008.

6 N. Kopanev, « Rasprostranenie francuzskoj knigi v Moskve v seredine XVIII veka » [Diffusion du livre français à Moscou au milieu du XVIIIe siècle], dans Francuzskaja kniga v Rossii v XVIII veke. Očerki istorii [Le livre français en Russie au XVIIIe siècle. Aperçu historique], Leningrad, Naouka, 1986, pp. 59-172.

7 Sur la collection de Philippe Hernandez, nous nous permettons de renvoyer à notre article : V. Rjéoutski, « Aux sources de l’histoire russe dans la France des Lumières : Philippe Hernandez et sa bibliothèque », dans Slavica Occitania, 28, 2009, numéro spécial Naissance de l’historiographie russe, dir. Michel Mervaud, Stéphane Viellard, pp. 261-294.

8 Bibliothèque nationale de France (ci-après : BnF), mss fr., 22141, f. 200 et suiv. La référence de ce dossier se trouve dans le livre de A. Volmer, Presse und Frankophonie im 18. Jahrhundert. Studien zur französischsprachigen Presse in Thüringen, Kursachsen und Rußland [La presse et la francophonie au XVIIIe siècle. Études sur la presse de langue française en Thuringe, Saxe et Russie], Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 2000, p. 224.

9 J. Staab, Das Journal Étranger unter dem Abbé Prévost und seine Bedeutung für die literarischen Beziehungen zwischen England und Frankreich im Zeitalter der Aufklärung, Erlangen, Jacob, 1912 ; J. Gärtner, Das Journal Étranger und seine Bedeutung für die Verbreitung deutscher Literatur in Frankreich, Mainz, Druck von Joh. Falk & Söhne, 1905 (rééd. Slatkine Reprints, 1971) ; et la notice de Marie Rose de Labriolle, dans Jean Sgard, dir., Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris, Universitas ; Oxford, Voltaire Foundation, 1991, pp. 674-675, n° 732.

10 Description de la généralité de Paris : contenant l’etat ecclésiastique & civil de cette généralité, Paris, Moreau, 1759.

11 BnF, mss fr., 22141, f. 208r.

12 J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », dans Revue du dix-huitième siècle, 4, 1915, p. 6. Il s’agit probablement de la maison du prince Alexeï Sergueïevitch Golitsyne (1723-1765), colonel, dont le père, Sergueï Alexeïevitch (1695-1758), occupait de son vivant des postes importants, notamment celui de gouverneur de Moscou. Russkij biografičeskij slovar’ [Dictionnaire biographique russe], t. Gogol’-Güne, M., Aspekt-press, 1997, p. 192. La correspondance de Philippe Hernandez avec Marc-Michel Rey est conservé à la Bibliothèque de l’université d’Amsterdam (Vereeniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels).

13 J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey, libraire à Amsterdam », art. cité, p. 2.

14 Lettre reçue par M.-M. Rey en juin 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, p. 2.

15 Voir sur les périodiques francophones en Russie : A. Volmer, Presse und Frankophonie… , ouvr. cité ; sur le projet « Les périodiques francophones en Russie au XVIIIe s. », voir : V. Rjéoutski, « La presse francophone éditée en Russie au Siècle des Lumières. Projet de recherche franco-russe », dans 2000. European Journal, 2010, n° 2, pp. 1-4.

16 Lettre du printemps 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, p. 2.

17 Voyage d’Italie, ou Recueil de notes sur les ouvrages de peinture & de sculpture, qu’on voit dans les principales villes d’Italie. Par M. Cochin, chevalier de l’ordre de saint Michel, graveur du Roi, garde des desseins du Cabinet de S. M. secretaire de l’Académie royale de peinture & de sculpture, & censeur royal, t. 1-[3], Paris, chez Ch. Ant. Jombert, 1758.

18 Sur la littérature anglaise dans le Journal des sciences et des arts, voir V. Rjéoutski, « Cas de transfert culturel triangulaire Grande Bretagne-France-Russie : le Journal des sciences et des arts de Philippe Hernandez, Moscou, 1761 », dans France, Grande-Bretagne, Irlande : Transferts culturels et parcours des savoirs au siècle des Lumières, Voltaire Foundation (à paraître).

19 Il s’agit d’une édition périodique qui a connu de nombreuses imitations, par exemple : Étrennes mignones, curieuses et utiles avec plusieurs augmentations et corrections [1728-1845, annuel], Paris, chez Durand, 1728-1845.

20 Lettre du 13/24 septembre 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, p. 5. Très souvent, les livres étaient alors acheminés et vendus non reliés.

21 Lettre du printemps 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, p. 3.

22 Il s’agit de : Histoire civile du royaume de Naples, traduite de l’italien de Pierre Giannone (… ), avec de nouvelles notes, réflexions et médailles fournies par l’auteur et qui ne se trouvent point dans l’édition italienne, La Haye, P. Gosse et I. Beauregard, 1742, 4 vol.

23 Lettre du 13/24 septembre 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, 4.

24 Lettre du printemps 1761, J. Fransen, « Lettres adressées à Marc-Michel Rey », art. cité, p. 2.

25 La meilleure étude pour Saint-Pétersbourg reste : A. Zajceva, « Inostrannye knigoprodavcy v Sankt-Peterburge v konce XVIII-načale XIX veka » [Les libraires étrangers à Saint-Pétersbourg, fin XVIIIe-début XIXe s. »], dans Knigotorgovlja i bibliotečnoe delo v Rossii v XVIII-pervoj polovine XIX veka [Le commerce des livres et les bibliothèques en Russie, XVIIIe-première moitié du XIXe s.], Leningrad, 1981, pp. 29-51, et surtout id., Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge vo vtoroj polovine XVIII veka [Le commerce du livre à Saint-Pétersbourg dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle], Saint-Pétersbourg, 2005. Pour Moscou, voir : N. Martynova-Ponjatovskaja, « Materialy dlja istorii knižnoj torgovli v Moskve » [Documents pour l’histoire du commerce des livres à Moscou »], dans Sbornik Publičnoj biblioteki im. V. I. Lenina [Recueil des travaux de la Bibliothèque publique V. I. Lénine], t. I, Moscou, 1928, pp. 113-131 ; t. II, pp. 153-180. Pour la première moitié du XIXe siècle, il existe l’étude de R. Klejmenova, Knižnaja Moskva pervoj poloviny XIX veka [Le livre à Moscou dans la première moitié du XIXe siècle], Moscou, 1991.

26 A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery i načalo častnoj knižnoj torgovli v S.-Peterburge » [Les libraires Müller et le début du commerce privé de livres à Saint-Pétersbourg], dans Kniga v Rossii XVI-serediny XIX v., [Le livre en Russie, XVIe-milieu XIXe s.], Leningrad, BAN, 1990, p. 139 ; A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge, ouvr. cité, chap. I et II.

27 V. Rjéoutski, « Les écoles étrangères dans la société russe à l’époque des Lumières », dans Cahiers du monde russe, n° 46/3, 2005, pp. 473-528, notamment, p. 497.

28 Ce fut sans doute lui qui vendait des livres à Saint-Pétersbourg en 1772 : Sanktpeterburgskie Vedomosti (ci-après SPbV ), 6.7.1772, n° 54.

29 SPbV, 1765, n° 9.

30 A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », art. cité, p. 145, en citent une bonne dizaine.

31 Il participe à la fabrication du livre qui réunit des pièces et des « proverbes » signées par Catherine II, le prince de Ligne, le comte de Ségur etc. : Recueil des pièces de l’Hermitage, t. I-IV, Sankt-Peterburg, typ. de l’École des mines, 1788-1789, 8° (ce recueil parut à Paris en 2 vol. en 1792). Le t. IV porte la mention : « Relié par Fauconnier ».

32 A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », art. cité, p. 145.

33 A. Zajceva, M. Fundaminskij, « Knigoprodavcy Millery… », art. cité, pp. 139-153 ; A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge…, ouvr. cité, pp. 133-135, 152, et passim.

34 G. Fafurin, « Neskol’ko novyx štrixov k biografii peterburgskogo izdatelja i knogoprodavca I. Ja. Vajtbrexta » [Quelques traits nouveaux pour la biographie de l’éditeur et libraire pétersbourgeois J. J. Weitbrecht], dans Le Siècle des Lumières. II. Censure et statut de l’imprimé en France et en Russie au Siècle des Lumières, vol. 1, Moscou, Naouka, 2008, pp. 454-469.

35 I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel XVIII veka Iohann Jacob Weitbrecht » [Un libraire et éditeur du XVIIIe siècle à Saint-Pétersbourg : Johann Jacob Weitbrecht], dans Knigopečatanie i knižnye sobrania v Rossii do serediny XIX v. [L’édition et les collections de livres en Russie jusqu’au milieu du XIXe siècle], Leningrad, 1979, pp. 39-58.

36 I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel… », art. cité, pp. 48-49.

37 A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge, ouvr. cité, p. 208.

38 Schwartz est présent en Russie en 1769. En 1771, le reste de ses livres est vendu dans la maison de l’ancien favori d’Élisabeth Ivan Chouvalov, où il louait sans doute un local.

39 I. Martynov, « Peterburgskij knigotorgovec i knigoizdatel », art. cité, pp. 43-44 ; V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg… », art. cité, p. 77.

40 D’après l’Almanach de la librairie publié à Paris. F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord au XVIIIe siècle : l’invention de la médiatisation », dans S. Karp, dir., Le Siècle des Lumières. I. Espace culturel de l’Europe à l’époque de Catherine II, Moskva, Naouka, pp. 204-205.

41 Clairval était aussi en relation avec des libraires de Paris en 1781 : voir F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord », art. cité, pp. 204-205.

42 MV, 1773, n° 4.

43 F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord », art. cité, p. 209.

44 [Saint-Pétersbourg], de l’imprimerie du corps impérial des Cadets nobles, 1798-1800, 12°. Voir sur ce journal : P. Zaborov, « Le jounrnal littéraire de Saint-Pétersbourg et les échanges culturels entre la Russie et l’Europe », dans Réseaux de l’esprit en Europe des Lumières au XIXe s. Actes du colloque international de Coppet, réunis par Wladimir Berelowitch et Michel Porret, Paris, Genève, Droz, pp. 203-215.

45 Sur l’activité des Fauche, voir V. Somov, « Le livre européen en chemin pour la Russie. La librairie française en Basse Saxe à la fin du XVIIIe siècle », dans Introducing European manners and customs to a European nation. On the problem of adapting western ideas and social practices in the Russian empire, Moscou, Rosspen, 2008, pp. 236-251.

46 Signalons une étude importante sur l’état de la librairie à Moscou au XVIIIe et au début du XIXe siècle : N. Martynova-Ponjatovskaja, « Materialy dlja istorii knižnoj torgovli v Moskve » [Documents pour l’histoire du commerce des livres à Moscou], dans Sbornik Publičnoj biblioteki im. V. I. Lenina [Recueil de travaux de la Bibliothèque publique V. I. Lénine], Moskva, 1928, t. I, pp. 113-131 ; t. II, pp. 153-180.

47 V. Rjéoutski, « La communauté francophone de Moscou sous le règne de Catherine II », dans Revue des études slaves, n° 68/4, 1996, pp. 445-461.

48 RNB, fonds en diff. langues, F-II, 27/1, f. 108-113v [Baptêmes à l’église Saint-Louis] ; f. 85-105v [Baptêmes à l’église des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul] ; f. 134-135 [Confessions à l’église Saint-Louis, 1798]. Nous exprimons notre vive gratitude à M. Vladimir Somov qui nous a indiqué les documents des églises catholiques de Moscou conservés dans ce fonds.

49 Son cas a été étudié par Vladimir Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg… », art. cité, pp. 77-80 ; id., « La librairie française en Russie au XVIIIe siècle… », art. cité, pp. 100-101.

50 ANF, AE BI 988, f. 139v, inv. reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg ; AE BI 989, f. 107, 111v, inv. reg. chanc., consulat de Saint-Pétersbourg ; MAE, CP Russie, vol. 103, f. 167-168, 24.9.1779 ; MAE Nantes, série Archives des archives, inv. général, chancellerie du vice-consulat de France à Moscou, art. 131 ; pap. Lesseps, reg. chanc., consulat, Saint-Pétersbourg, 1775-1778, f. 26 ; chanc., vice-consulat, Moscou, 1782-1785.

51 Voir V. Somov, « Le livre français en Russie dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », dans J.-P. Poussou, A. Mézin, Yves Perret-Gentil, éd., L’Influence française en Russie au XVIIIe siècle, Paris, PUF, Institut d’études slaves, 2004, pp. 201-205, avec la publication en annexe, pp. 206-207, d’une lettre de Mme Rozet à Jochann Albrecht Euler.

52 MAE Nantes, vice-consulat Moscou, chancellerie, 1782-1785. Sur Madame Rozet, voir V. Rjéoutski, V. Somov, « Francuzy v Rossii epohi Prosveščenija » [Les Français en Russie à l’époque des Lumières], dans Zapadnoevropejskaja kul’tura v rukopisjax i knigax Rossijskoj nacional’noj biblioteki [La culture occidentale dans les manuscrits et les imprimés conservés à la Bibliothèque nationale de Russie], Saint-Pétersbourg, 2001, p. 285-297, particulièrement p. 292-293.

53 Cette année-là, il y demande un passeport pour aller en France.

54 TsGIA Pétersbourg, fonds 781, inv. 2, dos. 394.

55 [Jean-Jacques Bouvier, dit l’abbé Lionnois], Traité de la mythologie, orné de cent-quatre-vingt [sic] gravures en taille douce, à l’usage des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe,par M. l’abbé Lyonnois…, t. I-II, Moscou, F. Courtener, 1795, 8° . Les illustrations furent éditées à part : Collection des 180 figures pour la mythologie, Moscou, F. Courtener, [s. d.]. Il est dit dans la préface qu’il s’agit d’une réimpression de l’édition de Nancy de 1788.

56 F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord », art. cité, p. 209.

57 L. Pingaud, Gilbert Romme en Russie, d’après des documents nouveaux, Clermont-Ferrand, Impr. G. Mont-Louis, [s. d.] ; H. Rol-Tanguy, « Deux Auvergnats en Russie au XVIIIe siècle : Gilbert Romme et Jacques Démichel », dans La Revue russe 25, 2004, pp. 83-96 ; A. Tchoudinov, « Les papiers de Gilbert Romme aux archives russes », dans Annales historiques de la Révolution française, 1996, 2, pp. 257-265, ici pp. 263-264.

58 Voir V. Rjéoutski, « Strasbourg – la Russie : histoire d’une émigration (XVIIIe–début du XIXe s.) », dans La Revue russe, 35, 2011, pp. 59-77.

59 Comme on le déduit de l’introduction à cette publication.

60 Julie. Nouvelle traduite du russe de Mr. Karamzin par Mr. de Boulliers, Moscou, chez F. Courtener, libraire, 1797, [4]-51-[1], p. 12.

61 D’après le bibliographe russe S. Poltoratski (notes sur l’exemplaire de Julie conservé à la Bibliothèque nationale de Russie, Saint-Pétersbourg), mais cette information n’est pas confirmée. Nous n’avons pas réussi à retrouver cette édition originale. Je remercie Vladimir Somov qui m’a aidé à avoir accès à cette publication.

62 M. Alekseev, Russko-anglijskie literaturnye svjazi (XVIII vek – pervaja polovina XIX veka) [Liens littéraires russo-anglais (XVIIIe-première moitié du XIXe siècle)], dans Literaturnoje nasledstvo [Héritage littéraire], t. 91, Moscou, 1982, p. 152.

63 Mr. Karamzin’s Julia translated from the Russ [sic] into French by Mr. du Boulliers and from the French in to English by Ann P[reuser] H [awkins], St. Petersburg, 1803. La curieuse histoire de ces traductions fera l’objet d’une autre étude.

64 Par exemple Sophie de Harikow, ou Histoire d’une jeune Russe de huit ans : pour servir à l’instruction et à l’amusement des jeunes demoiselles du même âge, Moscou, chez F. Courtener, 1794-1795, 12° , 4 t. Un exemplaire est localisé en dehors de la Russie, à la bibliothèque du château d’Oron (nous remercions Juliette Guilbaud pour cette information). Le livre a été sans doute acquis en Russie par Hélène Massalska, princesse de Ligne, qui est à l’origine de cette bibliothèque.

65 A. Zajceva, Knižnaja torgovlja v Sankt-Peterburge, ouvr. cité, pp. 144 et 149.

66 Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, ms 1138 f. 76 (informations de Vladimir Somov). Dans cette lettre adressée à la STN, de Moscou le 19 février 1797, Courtener écrit notamment : « Après un long silence je reçois enfin aujourd’hui une lettre de mon beaufrère le Sr Dreyer de Strasbourg, qui me marque que notre succession n’étant encore terminée, il ne vous avoit encore rien remis pour mon compte. Cela me peine. Voici une lettre que je vous prie de lui faire parvenir après l’avoir cachetée. Si la partie de vins de paille qui nous est déchue en partage, vous convient, vous en disposerés, vous priant de vous entendre à ce sujet avec mon beaufrère, qui se prétera à tout. »

67 F. Barbier, « La librairie parisienne, la Russie et les puissances du Nord », art. cité, p. 199.

68 Gazette de Berlin, n° 18, 1798, suppl.

69 Nous n’avons pas d’informations sur l’activité de cette maison de commerce.

70 Le numéro figurant après le nom de la rue indique désormais l’emplacement des différents établissements sur la carte publiée en annexe.

71 Dans la maison de T. D. Chevaldychev, en face du monastère Zaïkonospasski.

72 La rue Nikolskaïa part aussi de la place Rouge, en face du Kremlin, tout comme la rue Iliinka – les deux rues sont presque parallèles.

73 Dans la maison du prince Nikolaï Alexeïevitch Golitsyne.

74 Johann Karl Schnor, d’origine allemande, un des typographes russes les plus importants du XVIIIe siècle, pendant longtemps compagnon du libraire et éditeur Weitbrecht.

75 Ce Français, assistant de P. F. Fauche à Brunswick, vint à Saint-Pétersbourg en 1806 : V. Somov, « Le livre français à Saint-Pétersbourg », art. cité, p. 79.

76 R. Pasta, « Hommes du livre et diffusion du livre français à Florence au XVIIIe siècle », dans F. Barbier, S. Juratic, D. Varry, dir., L’Europe et le livre. Réseaux et pratiques du négoce de librairie, XVIe -XIXe siècle, Paris, Klincksieck, 1996, pp. 99-136.