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Les histoires d’un secrétaire d’État Loménie de Brienne (1636-1698), un écrivain au Conseil secret

Nicolas SCHAPIRA

Université Paris-Est Marne-la-Vallée GrihP

Mes armes & mes vers dont je tiens peu de conte m’ont fait charger de fers1...

Placés en ouverture de ses Mémoires, les vers ci-dessus accréditent l’idée que l’activité littéraire de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, a joué un grand rôle dans sa chute. Il avait reçu dès 1651, à l’âge de 15 ans, la survivance de la charge de son père, secrétaire d’État des Affaires étrangères depuis 1640, et il l’a exercé conjointement avec ce dernier, malade, à partir de 1658, jusqu’à leur disgrâce commune de 1663 : le jeune Brienne est mis en cause dans une affaire de tricherie au jeu, et Louis XIV saisit l’occasion pour forcer le père et le fils à se défaire de leur charge au profit de Lionne – le début des ennuis pour Louis-Henri, enfermé 18 ans à Saint-Lazare2 (1674).

Brienne n’est pourtant pas une figure de ministre qui aurait eu une activité dissimulée d’écrivain scandaleux : pas le moindre vers licencieux à lui reprocher, aucun secret d’État révélé par le moyen d’une quelconque publication dont il serait l’auteur. Aussi la manière qu’il a d’associer sa carrière (même brève) à son œuvre est-elle une invitation à scruter l’activité même de secrétaire d’État comme activité d’écrivain. Envisager sous cet angle le métier de ministre au début du règne de Louis XIV permet, on le verra, de réinscrire la question des pratiques administratives dans celle des dispositifs de pouvoir.

BRILLANT ESPRIT, AUTEUR PÉDANT

Voilà un jeune homme perdu, si Dieu ne le sauve, que les jeux et les pipeurs ont perdu. Il méritoit une meilleure fin ; car c’étoit un honnête homme et très savant…

écrit le médecin et érudit Guy Patin à propos de sa disgrâce3. De fait, Brienne s’était fait connaître très jeune comme un auteur latin par des vers, par le récit de son tour d’Europe de 1653-1655, qui l’avait conduit jusqu’en Laponie, ouvrage imprimé en 16604. En 1662 il publie, toujours en latin, une description de sa collection de tableaux ainsi qu’un recueil posthume des œuvres du poète latin Gabriel Madelenet5.

À plusieurs endroits de ses Mémoires, Brienne confère un rôle essentiel dans sa fortune politique à ses capacités en matière d’éloquence et de belles-lettres, pour le meilleur ou pour le pire. Revenu tout auréolé de son Grand Tour, moins voyage d’apprentissage que tournée triomphale d’un futur secrétaire d’État admiré des cours européennes, il aurait été bien reçu de Mazarin qui l’aurait dès lors employé volontiers plutôt que son père avec qui le principal ministre s’entendait mal6. Mais il aurait commis une faute capitale en publiant son récit de voyage, qui aurait transformé brutalement sa réputation :

Heureux si [j’] eusse moins aimé [la langue latine], ou au moins si j’eusse su cacher la familiarité que j’avois avec elle ! Il étoit bon de la savoir ; mais il ne falloit pas en faire de montre. Dès que je me fus érigé en auteur, on me regardât à la cour comme un pédant, quoique je ne le sois en manière du monde, et M. le Tellier, mon patron, quoique mon confrère, ne put s’empêcher de m’en témoigner quelque chose. La faute étoit faite : il n’y avoit plus moyen de la réparer. Mon Itinéraire, imprimé au Louvre, courut partout, et la seconde impression qu’un de mes amis en fit faire croyant m’obliger, acheva de combler la mesure. Il n’y eut plus de remède à ce mal ; il fallut boire à longs traits le calice de la confusion que je m’étois apprêté moi-même, et, de ce jour, je m’aperçus de la décadence de ma fortune7

Le critique Jean Chapelain, œil de Colbert dans le monde des auteurs, a fait quant à lui des choix lettrés de Brienne, dans une lettre au savant hollandais Heinsius à qui il annonce la chute du secrétaire d’État, un symptôme d’un dérèglement plus général :

Ce n’est pas que sa conduite fut trop bonne, et que d’ailleurs, même dans les choses louables, comme est la passion qu’il a pour les Muses, il n’ait agi peu considérément. Que peut-on juger en effet du jugement d’un homme qui méprise le style de Cicéron et qui n’en voit de bon que celui de Tacite, qui met Prioleau au-delà de tous les écrivains, qui se pique d’en écrire la vie et qui se rend le publicateur de poésies de Madelenet ?8

Brienne apparaît ici à la fois démodé dans son goût pour les auteurs latins, peu politique – la préférence pour Tacite, qui dévoilait les turpitudes des empereurs, peut inquiéter chez un secrétaire d’État – et incapable de tenir son rang – un homme dans sa position ne devrait pas proclamer son projet d’écrire la vie d’un simple écrivain. Emporté par sa passion dévoyée pour les lettres : tel apparaît Brienne dans la lettre de Chapelain, qui semble au fond conforter le regard de Brienne sur lui-même. Cette convergence est cependant quelque peu trompeuse, et mérite analyse : Jean Chapelain, homme de lettres et fin politique, a été très attentif tout au long de sa carrière à se situer socialement par rapport aux hommes de lettres de son temps, et à garder lui-même par ce moyen la distance requise avec une identité d’auteur professionnel dans laquelle il s’agissait surtout, afin de soutenir sa réputation, de ne pas se laisser enfermer9. La question du latin est ici significative : la dépréciation des auteurs latins par Chapelain prend sens par rapport à la revendication, portée par lui de longue date, de réaliser une littérature dans la proximité à la cour, au plus loin de l’univers du collège10. En revanche, pour le jeune Brienne, démontrer sa maîtrise de la langue latine, langue officiellement utilisée pour toute la correspondance diplomatique avec l’Allemagne, n’était peut-être pas sans intérêt au moment où il commençait à exercer sa charge11.

Mais lorsqu’il écrit ses Mémoires, il a été ramené à la condition d’un littérateur : il les commence en 1680, alors qu’il est enfermé depuis six ans à Saint-Lazare sur la requête de sa famille, après qu’il a montré qu’il était peu contrôlable – chassé en 1670 de l’Oratoire, où il était entré après sa disgrâce, il fait des dettes et des frasques au cours d’un rocambolesque séjour en Allemagne12. Il sortira de Saint-Lazare en 1692 et finira sa vie dans un monastère où il rédige, peu de temps avant sa mort, un complément à ses Mémoires. Sans pouvoir, sans alliances, sans biens – légués pour l’essentiel à ses enfants dès la fin des années 1660 – le Brienne mémorialiste qui a pour activité essentielle la musique et l’écriture – en témoigne la longue liste des ouvrages, pour la plupart disparus, qu’il a rédigés – est devenu avant tout un écrivain, porté à surestimer la part de son talent – funeste en l’occurrence – dans sa fortune politique.

En réalité, c’est la mère de Louis-Henri, tenue pour être la confidente d’Anne d’Autriche, qui s’est employée à obtenir de la reine la survivance de la charge pour son fils en août 1651, juste avant la fin de la régence, dans le temps même où Lionne s’annonçait comme un concurrent redoutable. Ce dernier, qui avait commencé sa carrière dans les bureaux de son oncle Abel Servien, était un fidèle serviteur de Mazarin depuis 1639. Il était son secrétaire, mais avait été aussi chargé dès les années 1640 de missions diplomatiques par Mazarin, qui s’occupait lui-même du détail des affaires étrangères en tenant Henri-Auguste de Loménie à distance13. Après la Fronde, Lionne, toujours sous la houlette du cardinal, s’impose comme le véritable maître d’œuvre de la diplomatie française, et n’a de cesse de diminuer la part des affaires revenant aux Brienne, sur fond d’une perte progressive d’influence politique de la reine-mère. En 1655, à l’occasion du passage à Rome de Louis-Henri, lors du fameux voyage européen, les échanges épistolaires avec son père Henri-Auguste et avec Lionne, envoyé de Mazarin à Rome, révèlent la concurrence feutrée entre ce dernier et les Brienne14. Hugues de Lionne affermit encore son pouvoir dans les années qui suivent. C’est lui qui dirige les négociations avec l’Espagne, c’est lui encore qui accompagne Mazarin à Saint-Jean-de-Luz pour la phase finale de ces négociations : Brienne le jeune raconte dans ses Mémoires comment Mazarin l’a écarté, en arguant

qu’à la vérité il auroit mené mon père avec lui, si sa santé le lui avoit pu permettre, mais que pour moi, j’avois encore trop peu de barbe au menton (ce furent ses propres paroles) pour être opposé aux moustaches espagnoles…

et comment il a dû signer les traités des Pyrénées sans les lire : sa signature était nécessaire en tant que secrétaire d’État mais Mazarin ne voulait pas qu’il ait connaissance de certaines clauses15. La mort de Mazarin ne change rien à cette situation. Brienne ne semble guère avoir eu la faveur de Louis XIV, et Lionne entre comme ministre au Conseil d’en haut ; les Brienne, et tout particulièrement Louis-Henri, se retrouvent de fait subordonnés à Lionne16. Leur chute apparaît alors comme la régularisation d’une anomalie : Lionne peut enfin acquérir la charge de secrétaire d’État qui correspond à sa place réelle dans le dispositif de pouvoir – une charge qu’il avait offert d’acheter aux Brienne une première fois en 1657, puis à plusieurs reprises dans les années suivantes, avec l’assentiment semble-t-il de Mazarin, puis du roi17.

Aussi, plutôt que de considérer que le jeune Brienne a été fragilisé par une activité d’écrivain qui serait nécessairement déplacée pour un secrétaire d’État, peut-on faire l’hypothèse inverse, qu’il a joué la renommée littéraire pour tenter de conserver malgré tout une position qu’il savait très menacée par l’ascension de Lionne et par la disgrâce de son père aux yeux de Mazarin : être écrivain a été sa manière d’être secrétaire d’État.

Le jeune Brienne n’apparaît qu’à peine dans le tableau du gouvernement de Louis XIV : il n’a exercé sa charge qu’au tout début du règne, pendant seulement cinq ans, et encore de manière incomplète, en raison de sa sujétion à Lionne, et de la présence maintenue de son père à ses côtés. Il n’a pas non plus connu la fortune littéraire d’autres commentateurs du règne, peut-être parce que son activité d’écrivain reste associée à un dérangement d’esprit18. En tous les cas, si ses Mémoires sont souvent cités pour quelques passages célèbres (le récit du premier conseil du roi après la mort de Mazarin par exemple), ils ne sont pas analysés ni utilisés dans leur spécificité. Et pourtant, ils sont riches d’enseignement précisément du fait de la position décalée de leur auteur. C’est en tant que ministre disgracié et écrivain qu’il met l’accent sur le rôle de l’écriture dans la lutte pour le pouvoir. Ce qu’il observe pourrait aisément servir – et sert effectivement – à une histoire des « pratiques administratives ». Mais si cette notion est précieuse pour décrire le développement d’univers bureaucratiques, elle aboutit souvent à déboîter les usages observés de la question des choix politiques, et peut même conduire à une vision dépolitisée de l’exercice du pouvoir, réduit à la mise en place, à la pérennisation et à la transformation de procédures19. L’intérêt du témoignage de Brienne est bien plutôt d’associer en permanence des pratiques d’écriture, mises en jeu dans des événements, à des luttes d’influence ; il ouvre par là à une histoire de l’usage socio-politique de l’écriture dans le premier cercle du pouvoir.

SECRÉTAIRE D’ÉTAT ET NÉANMOINS SECRÉTAIRE

En effet Son Eminence me traitait assez bien, et ne paraissait point contrainte quand j’étais seul avec elle. Je lui parlais fort familièrement ; j’écrivais presque tous les jours sous sa dictée, et comme j’ai la main fort preste et l’oreille fort fine, je ne la faisais jamais répéter, et j’écrivais aussi vite qu’elle parlait, ce qui lui plaisait fort ; seulement elle ne pouvait lire mon écriture, tant il y avait d’abréviations. Elle m’en fit reproche un jour, et je me mis à écrire posément, mais je la faisais trop attendre. Elle me dit : « C’est moi qui ai tort ; brochez à votre ordinaire, cela me soulage davantage ». Et je continuai d’en user ainsi. Cela fut cause que le Roi par son écrit me dispensa des trois années qui restoient encore à courir...20

En 1658, Henri-Auguste tombe malade. Son fils n’est alors que dans sa 23e année et devrait encore attendre trois ans pour pouvoir exercer sa charge, sauf à obtenir cette dispense, qui revêt dès lors un enjeu capital : c’est le moyen pour les Brienne de continuer à être présents au cœur des affaires, dans cette conjoncture si difficile pour eux du fait de la concurrence de Lionne. Il faut pour cela qu’Henri-Louis se montre indispensable aux yeux du premier ministre. Il y parvient, selon son récit, grâce à sa « main fort preste » et à son « oreille fort fine ».

Un secrétaire d’État a la charge d’expédier les dépêches de son département. Mais cette tâche recouvre en réalité toute une série d’actions : proposer un brouillon de la dépêche, ce qui signifie être à son origine ; ou en rédiger un premier état d’après des instructions préalables ou au terme d’une discussion dans un conseil ; faire produire l’exemplaire au propre qui sera expédié ; contre-signer la lettre. Le secrétaire d’État peut réaliser l’ensemble de ces opérations, ou une partie d’entre elles, la signature étant la seule formalité lui incombant nécessairement. Il existe bien sûr des procédures qui règlent la part que prennent les secrétaires d’État dans le processus d’écriture des dépêches, mais elles sont susceptibles de varier souvent non seulement en vertu de changements purement administratifs que l’on pourrait rapporter à un souci d’adaptation et finalement de rationalisation de l’activité étatique, mais aussi du fait des rapport changeants entre tous les intervenants potentiels dans l’élaboration des décisions – le roi, le principal ministre s’il y en a un, les ministres, les commis. Et ces rapports sont parfois, notamment entre les ministres, des rapports de force.

Ce que fait le jeune Brienne dans son récit relève bien de la fonction de secrétaire d’État : ce sont vraisemblablement des brouillons de dépêches relevant de son département qu’il écrit sous la dictée, et qu’il aura ensuite la tâche de faire mettre au net (ce qui peut supposer des interventions rédactionnelles). Il n’en reste pas moins qu’il apparaît dans une position ambivalente entre apprenti secrétaire d’État et secrétaire particulier, par toute une série de traits de ce récit qui soulignent la dimension domestique des rapports qu’il entretient avec Mazarin (et qui tiennent aussi à son jeune âge) : l’incertitude sur ce qu’il écrit au juste (rédige-t-il seulement les dépêches relevant de sa charge, ou tout ce que lui demande Mazarin ?), le fait de se réjouir de la familiarité du premier ministre à son égard, le fait que Mazarin est dit éprouver à son égard le type de gratitude et le type de méfiance que l’on réserve à un serviteur (il est « soulagé » par le travail de Brienne mais il entend pouvoir contrôler ce qu’il écrit, raison pour laquelle il n’apprécie guère l’usage des abréviations).

Ce que montre Brienne dans ses Mémoires ne peut être tenu pour négligeable en arguant de la fragilité de sa position de 1658 : on sait par ailleurs qu’être secrétaire d’État impliquait de tels gestes d’écriture subordonnés. L’intérêt de son récit est bien de faire voir le lien entre cet ensemble de gestes et une conduite toute politique, dramatisée ici par l’événement de la succession anticipée d’Henri-Auguste. L’art d’être un bon secrétaire – art de plaire au maître indissociablement mêlé à un art d’écrire – a sans doute compté dans le fait que Brienne, grâce à la fameuse dispense, a effectivement pu suivre le roi en tant que secrétaire d’État, au voyage de la cour à Lyon en 1658. Cette dispense – sous la forme d’une permission royale – a été conservée dans le registre des documents précieux de la famille de Brienne. La lire permet de mesurer la part, dans ce succès, de l’aura entourant alors le brillant, savant et éloquent jeune comte de Brienne depuis le retour de son tour d’Europe. Trois arguments justifient la demande des Brienne : les bons et loyaux services d’Henri-Auguste, l’ancienneté de cette charge dans la famille, et la valeur précoce d’Henri-Louis. Il y est en effet expliqué que :

Sa Majesté ayant esté suppliée par ledit sieur comte de Brienne de permettre audit sieur de Brienne son fils d’exercer des a present ladite charge de secrétaire d’estat, bien qu’il ne soit que dans la 23e année de son aage, afin qu’il y puisse servir Sa Majesté en son absence ou maladie, le croyant suffisamment instruit pour cet effet (...) considerant aussi que le sieur de Brienne fils s’est rendu capable de servir Sa Majesté en ladite charge, non seulement par les soins extraordinaires que le sieur comte de Brienne pere a pris des son jeune aage de son instruction, et de le faire agir soubs ses ordres en toutes les choses dependantes de ladite charge depuis deux années entieres mais aussy par la cognoissance que ledit sieur de Brienne fils a pris des affaires estrangeres, qui sont la plus considerable partie du departement de ladite charge, ayant veu presque tous les royaumes & estats de l’europe, et faict un notable sejour en chacune des cours des Princes qui sont les principaux alliez de Sa Majesté, ou il a appris avec perfection les langues dont l’usage est le plus ordinaire et necessaire dans lesdites affaires estrangeres, en sorte que Sa Majesté a tout sujet de se promettre que le deffault de son age sera suppléé par sa capacité21

Il est fort possible que les Brienne ne soient pas étrangers à la rédaction de ce document, dont on ne peut conclure ni que Louis XIV ou même Mazarin adhéraient à un tel argumentaire, ni qu’ils y étaient insensibles. En revanche, on constate que la construction soigneuse de la réputation lettrée de Louis-Henri de Brienne, bien instruit par son père et versé dans les langues étrangères, trouve son utilité dans cette circonstance où la grâce royale doit être justifiée.

ÉCRITURES ROYALES ET LITTÉRATURE

Faire parler le roi de manière adéquate dans les écrits rédigés en son nom est l’art par excellence du secrétaire d’État. Brienne, dans ses Mémoires, livre plusieurs réflexions à ce propos, qui mêlent lieux communs (« le point est de parler avec dignité des choses grandes ») et remarques moins attendues, par exemple quand il développe une comparaison entre ses confrères pour faire ressortir l’importance d’être capable de rédiger vite :

M. de Lionne écrivoit facilement, mais avec peu de politesse ; M. de Pomponne, au contraire, écrivoit très purement, mais il enfantoit ses dépêches avec un travail et une peine inconcevable. De là vint sa disgrâce.

Là encore, la compétence du secrétaire d’État n’est pas seulement celle d’un conseiller avisé, mais bien d’un secrétaire qui doit affronter de longs moments de rédaction dans l’urgence.

L’un des leitmotive de Brienne est que chaque type d’écrits a ses spécialistes. Il entend faire ressortir la difficulté de la charge de secrétaire d’État des Affaires étrangères, qui requiert de savoir rédiger une plus grande variété de documents : lettres patentes et déclarations mais aussi dépêches et instructions aux ambassadeurs. Sa réflexion pourrait ainsi sembler aller dans la direction d’une autonomisation de la langue administrative, dont la maîtrise serait l’apanage d’un personnel spécialisé, englobant les secrétaires d’État et leurs commis. Une longue note, à la tonalité générale très élogieuse, est ainsi consacrée, dans un passage des Mémoires rédigé vers la fin de sa vie, à la valeur des différents commis qui ont servi sous lui ou sous d’autres ministres. Il compare par exemple le ministre Abel Servien, habile à rédiger des dépêches mais qui « faisait mal parler le roi dans un édit », et Paul Ardier (1595-1671)

celui de tous les premier commis de secrétaire d’État qui ait le mieux fait parler nos rois : cela est conforme à la dignité du prince et à la majesté inséparable de ses paroles aussi bien que de sa personne22.

On gagne à rapprocher cette citation d’un passage des Mémoires pour servir à l’histoire de Hollande et des autres Provinces-Unies de Louis Aubery Du Maurier paru en 168023. Fils d’un ambassadeur de France en Hollande, Aubery Du Maurier défend dans cet ouvrage la réputation de son père tout en racontant l’histoire de la Hollande sous la forme de biographies de ses hommes d’État. Au début de l’ouvrage, il s’excuse de son manque d’éloquence, lié au fait qu’il a passé beaucoup de temps à l’étranger dans sa jeunesse, tout en fustigeant les « petits critiques enflés de vanité », auxquels il dénie le droit de « juger d’une histoire » en les opposant aux juges « dignes et competants de ces Mémoires » que seraient le président de Thou, les frères du Puy et « M. le président Ardier ». Il poursuit à propos de ce dernier, premier commis de Phélipeaux d’Herbault dans les années 1620, homme de confiance de Richelieu, et président en la chambre des comptes de Paris en 163424 :

Ses depeches étoient si naturelles & si fortes, ainsi que les Declarations publiques qui sortoient de ses mains : que Monsieur Conrart homme generalement estimé, & qui connoissoit la valeur des choses, m’a dit plusieurs fois il y a plus de trente ans, que les Roys de France ne parloient plus avec la Majesté digne de leur Empire, depuis qu’ils ne s’expliquoient plus par la plume de Mr Ardier25.

Le mouvement du texte est remarquable : Aubery Du Maurier oppose aux auteurs de belles-lettres des personnages (De Thou, les frères Dupuy) qui ensemble figurent une activité historienne érudite fondée sur un accès aux documents de l’État lié à un emploi. Mais la garantie de la valeur d’Ardier est ici apportée par Valentin Conrart, premier secrétaire de l’Académie française, certes secrétaire du roi et en tant que tel rédacteur de lettres patentes, mais surtout grand ordonnateur de ce monde des auteurs que fustige Du Maurier26. A contrario de ce qu’affirme Du Maurier, les auteurs de belles-lettres sont devenus les garants de la valeur de toutes les écritures.

Grand lecteur de Mémoires27, Brienne, qui par ailleurs évoque la figure de Conrart dans l’un de ses poèmes28, a manifestement repris le jugement d’Aubery Du Maurier sur Ardier, ce qui nous montre qu’il adopte spontanément le mécanisme de production de valeur à l’œuvre chez le fils de l’ambassadeur. Si l’on en revient maintenant au passage de ses Mémoires consacré à la comparaison entre ses confrères, on voit effectivement que l’engrenage des idées de Brienne est très proche de celui de Louis Aubery :

Monsieur Servien avoit cette facilité dont je parle au suprême degré. Jamais homme n’a mieux écrit d’affaires ; mais il étoit un peu visionnaire et étoit sujet à prendre l’ombre pour le corps. M. d’Avaux, son collègue, avoit bien plus de jugement, et il ne sortoit rien de ses mains qui ne fut dans la dernière perfection. Ses lettres latines sont aussi pures que celles de Cicéron, et ses dépêches en françois sont aussi polies et aussi éloquentes que les plus belles et les plus travaillées de Voiture et de Balzac. Cependant, il n’y a personne qui ne juge, à l’inspection des pièces, que ces deux ministres ont composées l’un contre l’autre, dont nous avons le recueil imprimé, que M. Servien avoit l’esprit tout autrement vif que son adversaire, qui lui paroit si inférieur dans ses réponses qu’à peine y reconnois-je le grand d’Avaux. Tant il est vrai qu’en fait de disputes et de plaidoyers, celui qui a le génie le plus facile et le plus vaste est toujours le mieux écouté29.

Le ministre disgracié s’essaie à un parallèle, fort souvent conduit à l’époque, entre les deux négociateurs rivaux du traité de Münster, dont le différend a été rendu célèbre par la publication de leur correspondance à la forte tonalité polémique30. Il s’agit bien toujours ici, pour Brienne, de distinguer ses confrères dans l’art d’écrire, et par là de faire se tenir la valeur du secrétaire d’État dans cette activité d’écriture qui requiert des compétences spécifiques. Or non seulement la référence à deux écrivains contemporains célèbres pour leurs recueils épistolaires (Jean-Louis Guez de Balzac et Vincent Voiture) s’impose sous sa plume pour juger les dépêches diplomatiques, mais il suggère en outre que la valeur des dépêches a peu de poids en comparaison des pamphlets imprimés, lorsqu’il déplore que le même comte d’Avaux qui écrit si bien dans l’exercice de sa charge « lettres latines » et « dépêches en françois », apparaisse dans la correspondance publiée entre Servien et lui-même comme très inférieur à son adversaire.

L’intérêt n’est pas ici d’identifier la diffusion de modèles culturels – le goût des ministres pour les belles-lettres par exemple – mais bien de saisir des possibilités d’action par l’écrit : ce qui doit être entendu dans l’accent que nous mettons sur la dimension littéraire de l’activité du secrétaire d’État telle que la révèle le regard de Brienne – mais pas seulement le sien, témoin Aubery Du Maurier, et Conrart –, c’est que la carrière des ministres se joue aussi sur différentes scènes où leurs écritures apparaissent. Une instruction à un ambassadeur passe en fait nécessairement entre plusieurs mains, est commentée, et en tant que telle susceptible de nourrir la réputation de celui qui en est le maître d’œuvre dans un cercle restreint, quand la publication de pamphlets – ou d’un récit de voyage en latin – imprimés joue sur la réputation, mais selon d’autres modalités. Or, la pensée même qu’il puisse être important de bien écrire une dépêche est liée à la scène de l’imprimé et à la fascination qu’exerce le phénomène du succès littéraire dans ces années-là.

FAIRE PARLER LE ROI EN JANSÉNISTE

Les rapports entre écritures royales et belles-lettres se situent aussi à un autre niveau : la question de l’effet de l’écrit sur les lecteurs ne cesse de se poser pour les intervenants dans la production administrative louis-quatorzienne, qu’il s’agisse des décisions royales, soigneusement motivées, et souvent publiées (cas des édits, ordonnances, déclarations), ou de la correspondance administrative émanant du gouvernement ou arrivant des provinces ou des ambassades. Dans ces missives, il ne s’agit jamais uniquement d’informer ou d’ordonner, mais aussi de rendre compte, d’expliquer, de justifier pour des destinataires qu’il est important de persuader et qui peuvent en outre être des relais vers d’autres acteurs. Dans ces écritures peuvent ainsi s’observer des choix, et le fait de regarder la production administrative comme ensemble de textes fait voir ces choix31, qui peuvent être risqués, ce qui apparaît dans une mésaventure qui arrive à Brienne en 1658 quelques semaines après qu’il a obtenu le droit d’exercer sa charge :

Un jour, comme la cour était à Lyon, et qu’on parlait du voyage de Provence, je lisais à la Reine mère, dans sa chambre, à sa toilette, le projet des lettres patentes pour la translation des reliques de sainte Madeleine. J’avais fait dresser ces lettres par M. d’Andilly même, à la prière de M. Du Fresne, mon premier commis, qui était fort de sa connaissance, ayant été au service de feu M. de Feuquière, tué à la bataille de Thionville. Le Roi entra dans ces entrefaites, et me fit recommencer la lecture que je faisois. Il ne trouva pas ces lettres de son goût et me dit que je le faisois parler comme un saint, qu’il ne l’étoit pas. Je lui dis que c’étoit mon premier commis qui les avoit dressées et les avoit fait revoir par un des plus habiles hommes de France, en fait de style et d’éloquence. « Qui est cet habile sot ? » me répondit le Roi, fort échauffé, contre sa coutume. « C’est, Sire, lui dis-je, M. Arnauld d’Andilly. – J’en suis bien aise, dit Sa Majesté, mais cela ne me convient nullement. » Il prit ces lettres et les déchira et me les jetant me dit, « Refaites en d’autres où je parle en Roi, et non en janséniste32.

L’anecdote attire l’attention sur la chaîne des intérêts qui porte la rédaction des décisions royales, de Robert Arnauld d’Andilly, grande figure de Port-Royal mais aussi conseiller d’État, ancien premier commis d’un intendant de finances, plusieurs fois promis à une charge de secrétaire d’État et tenu pour être le rédacteur de l’édit réprimant les duels en 1643, jusqu’à Anne d’Autriche dont le zèle religieux s’incarne ici dans l’attention qu’elle prête à la cérémonie de translation des reliques de sainte Madeleine à Saint-Maximin en Provence, et au jeune Louis XIV que l’on voit très investi dans le métier de roi, en passant par un premier commis lui-même proche de milieux dévots, et par un secrétaire d’État qui fait sa cour à la reine mère. Elle révèle surtout qu’il y a bien une écriture des lettres patentes, susceptibles de porter des choix dont les enjeux sont ici doublement politiques : cette écriture engage l’image du roi à travers les paroles qu’on lui prête pour justifier la décision de la translation des reliques, mais elle semble aussi être une prise de position sur la querelle janséniste qui se développe dans ces années. Ce récit permet de déjouer la tentation de voir converger, dans les écritures administratives du siècle de Louis XIV, un procès de rationalité, marqué par la recherche de la plus grande clarté de l’expression alliée à l’information la plus rigoureuse, et des préoccupations pour le beau style qui viendraient du contexte constitué par l’intérêt du pouvoir pour les arts et la littérature. Car l’on voit ici que le style n’est pas détachable de préoccupations politiques, lesquelles ne peuvent être renvoyées simplement à un souci de la bonne administration.

LES SECRÉTAIRES DU SECRÉTAIRE D’ÉTAT

L’anecdote des reliques montre du reste l’implication des commis dans cette politique de l’écriture, ce qui remet en cause la vision commode de la constitution progressive d’un personnel de bureaux dont le nombre croissant serait facteur d’une modernisation de l’administration tant d’un point de vue social que technique. Les Mémoires de Brienne, à rebours de cette vision, attirent au contraire l’attention sur l’efficacité d’un modèle domestique du fonctionnement des bureaux. On l’a vu, Brienne n’hésite pas, pour le louer, à décrire le travail de ses commis, qu’il compare à celui de ses confrères secrétaires d’État. Par ailleurs, ses commis ou ceux d’autres ministres sont présents dans maints épisodes des Mémoires : Louvois et plusieurs commis de l’un et de l’autre se divertissent ensemble aux cartes ou au jeu de paume ; ses commis tiennent absolument à accompagner Brienne lorsqu’il monte en carrosse pour aller à Vincennes au premier conseil tenu par Louis XIV après la mort de Mazarin ; Brienne doit rassurer Paris, son premier commis, qui a été effrayé par la prédiction d’un autre commis à propos de Fouquet, tandis que tous trois se trouvent sur une barque qui les conduit à Nantes où va avoir lieu l’arrestation du surintendant33. Ces petites fenêtres sur des réalités rarement présentes dans les Mémoires d’hommes d’État modifient quelque peu la représentation ordinaire du procès de bureaucratisation, qui inclut l’accentuation de la distance et de la hiérarchisation. Très compétents, vivant en symbiose avec leurs patrons, et manifestant néanmoins une soumission complète à l’ordre des rapports entre maîtres et domestiques (sauf quand ils entrent en conflit avec eux) : les commis sont bien une réalité ancrée dans un Ancien Régime des rapports sociaux au travail, plutôt qu’une préfiguration de l’administration contemporaine, et il n’est pas sûr du tout que leur condition se soit trouvée essentiellement modifiée au XVIIIe siècle. Preuve de la solidité des liens noués par Brienne avec les siens : quatre de ses commis d’autrefois témoignent en faveur de son élargissement de Saint-Lazare en 169234.

LE COMMENTAIRE DE L’ACTION COMME ACTION POLITIQUE

On va maintenant explorer une autre facette de l’activité d’écriture de Loménie de Brienne : celle qui consiste à produire une historiographie immédiate des événements dans lesquels il est engagé en tant que secrétaire d’État.

La fameuse réorganisation des conseils les 9 et 10 mars 1661, au lendemain de la mort de Mazarin, n’est pas d’emblée défavorable à Louis-Henri Loménie de Brienne : il obtient le grand privilège d’entrer au Conseil secret, qui rassemble trois ministres seulement choisis par le roi (Le Tellier, Fouquet et Lionne). Il est vrai qu’il y est question avant tout de la politique étrangère, mais la présence de Lionne à ce conseil ne rendait pas nécessaire celle de Brienne.

Celui-ci fournit indirectement une explication à cette faveur : ses talents de lecteur – voix agréable et surtout rapidité – lui auraient valu d’être fréquemment désigné par Louis XIV pour lire dans les conseils telle ou telle pièce un peu longue à la place de ses confrères qui fatiguaient le roi en ânonnant péniblement les dépêches35. Mais Brienne a eu en outre une fonction toute particulière au Conseil secret : il a été chargé de tenir le « Journal des résolutions prises et des ordres donnés par le roi sur les affaires courantes », un document publié par Jean de Boislisle en 1905 sous le titre de « Mémoriaux du Conseil »36. Il s’agit d’un relevé des décisions prises lors de chacune de ces réunions, avec des mentions (postérieures) relatives à l’exécution de ces décisions. Ouvert le 9 mars, ce cahier s’arrête l’avant-veille de l’arrestation de Fouquet : il n’aura été tenu que six mois, et ne sera pas remplacé.

Brienne le fils est exclu du Conseil secret au bout de trois semaines, et le cahier est alors rédigé par Le Tellier, mais avec des interventions de la main de son premier rédacteur, qui continue de noter ce qui a trait à l’exécution des décisions. Son éviction peut être considérée comme un nouvel épisode de la lutte que mène Lionne contre le secrétaire d’État en titre : elle n’en fait que ressortir davantage le caractère remarquable de son activité au Conseil secret durant le mois de mars 1661. Le talent et le goût bien connu pour l’écriture du jeune homme ne lui auraient-il pas valu ce rôle d’historiographe sur le vif ?

Son expérience en la matière était déjà longue : il a par exemple laissé une relation de la cérémonie de mariage de Louis XIV. Un geste qui n’a rien de très original : c’est l’une des caractéristiques bien connues du voyage de 1660 que d’avoir donné lieu à une énorme production de récits qui font écho à cet événement et contribuent à la gloire du jeune roi37. Mais il n’est pas indifférent qu’un secrétaire d’État participe à ce concert. La relation de Brienne se présente sous la forme d’une lettre à son père datée du lendemain de l’événement, mais il est très vraisemblable que ce dernier l’a fait à son tour circuler, pratique courante, ici attestée par le fait même de sa conservation sous la forme d’une copie manuscrite du temps qui l’a isolée du reste de la correspondance du père et du fils38. Ce dispositif épistolaire fait pénétrer le lecteur au cœur du pouvoir : rendre compte à son père resté à Paris fait bien partie des devoirs de Brienne, et le récit évoque les affaires en cours qui concernent leur département, aussi bien que les actes que Brienne le fils a dû accomplir à la cérémonie en vertu de sa charge. En ce sens, le récit, qui montre un Brienne le jeune actif dans cet événement, à rebours de la vision des Mémoires, participe de la promotion de la figure du ministre. Mais ce n’est pas tout. Car le dispositif (le fils informe le père dans le cadre de leurs fonctions respectives) contribue à produire pour le lecteur ce récit comme nécessaire, et par là véridique, ce qui est une manière de faire adhérer à ses postulats : le succès de la paix des Pyrénées, la magnificence de la monarchie à l’aube d’un grand règne.

Cette relation n’est que l’épave d’un ensemble bien plus vaste. Dans le long passage de l’avant-propos des Mémoires que Brienne le fils consacre à exposer le plan de son ouvrage, il explique que la troisième partie (aujourd’hui perdue) consacrée à la période où il a exercé sa charge, sera avant tout composée de « mémoires secrets » écrits « durant les trois derniers mois de l’année 1658 » et relatant « le voyage de Lyon, et les affaires de Marseille et de Savoie », qui ont eu lieu cette même année 1658. Il raconte que Mazarin fut finalement averti de l’existence de ces mémoires, demanda à les voir et complimenta leur auteur en ces termes : « Je voudrais, dit-elle, que l’histoire de mon ministère fut aussi bien écrite que cela39 ».

Mais les temps futurs où une telle histoire serait appréciée sont-ils le seul enjeu de ce type d’écriture qui émane du cœur du pouvoir ? Le cas de Brienne grossit – et par là nous fait voir – une réalité qui concerne tous les secrétaires d’État : la charge consiste aussi, inévitablement, à mettre en récit les actions du pouvoir. Car exercer le pouvoir, c’est aussi, en permanence, commenter son action, ce que fait Brienne sous une autre forme encore lorsque, dans la plupart des dépêches qu’il expédie, la transmission des ordres du roi s’accompagne de récits très contrôlés et composés des dernières nouvelles de la cour40. De ce point de vue, il n’existe pas de frontière intangible entre une dépêche à un ambassadeur annonçant le mariage de Louis XIV, le récit du même événement par la Gazette (récit fréquemment rédigé par Lionne dans ces années-là41) et une relation particulière due à un secrétaire d’État. Dans les trois cas, le souci d’informer n’est dissociable ni du souci de faire adhérer à un récit, ni de celui de plaire au maître supposé bénéficier des effets de ces écrits ; ici Brienne fait sa cour à Mazarin avec ses « Mémoires secrets » vite divulgués dans l’entourage royal.

Dans les bruits de cour qui alimentent les gazettes étrangères et fournissent leur pain aux espions, il faut faire la part à la diffusion contrôlée de l’information par des ministres42. Brienne n’a donc pas été qu’un secrétaire d’État doublé d’un auteur latin : il a utilisé ses talents de plume dans le cadre de l’exercice de sa charge pour produire des écrits à la frontière entre action politique et histoire immédiate. Aussi est-il tentant de voir dans les « Mémoriaux du Conseil » une sorte de prolongement de cette activité : Brienne tient cette fois chronique des décisions prises par le roi Soleil en son conseil. Jean de Boislisle rapproche ce document de l’entreprise historiographique des Mémoires de Louis XIV : on aurait là la première trace de ce projet au long cours, et en outre les « Mémoriaux » auraient servis de point d’appui à la rédaction de la partie des Mémoires concernant 1661. À l’appui de cette thèse, qui n’a jamais été remise en cause, Boislisle note qu’un fragment rédigé par Colbert en vue des Mémoires est encarté dans les « Mémoriaux », et que ce fragment, ainsi que les Mémoires, évoquent des événements très minimes de 1661 qui ont été consignés par Brienne43.

Ce cahier a eu peut-être un usage plus immédiat, comme le donne à penser le fait qu’il n’a été tenu qu’un court moment : il reste donc associé à ces premiers mois de 1661 où, après la mort de Mazarin, le roi a manifestement voulu mettre en scène l’événement de sa « prise de pouvoir ». N’est-ce pas alors un geste politique que de faire tenir un cahier dont l’existence même porte témoignage que le roi est bien au travail, qu’il tient registre de ses décisions et peut ainsi en contrôler l’exécution ? Cet acte a bien été interprété dans cette direction dès 1661 : l’ambassadeur de Venise en France évoque début mai le « livre » où le roi faisait inscrire par un secrétaire de son cabinet « les délibérations prises chaque jour par lui-même, sur toutes les matières et dans tous les conseils, et celles qui s’étaient succédé depuis la mort du Cardinal »44. Cette démonstration de maîtrise est sans doute apparue comme superflue après le coup de majesté que constitua l’arrestation de Fouquet, et alors que celui qui avait été associé à l’invention d’une telle action, Brienne, ne faisait plus partie du Conseil. On voit par là comment des écritures administratives peuvent valoir, en dehors de leur fonction première, comme des signes à usage politique.

On ne peut savoir si Brienne a pris l’initiative de tenir ce cahier. En revanche, il est sûr que l’événement de mars 1661, relaté pas moins de trois fois, a fortement mobilisé son écriture. Jérome Janczukewicz a récemment montré que le récit le plus souvent cité de Brienne – un passage des Mémoires rédigé tardivement, vers 1694 – concentrait à la date du 9 mars des événements arrivés en réalité au long des 9, 10 et 11 mars 1661, ce qui produit la représentation d’un Louis XIV très résolu et affirmant de manière éclatante son autorité45 (ce récit consonne d’ailleurs avec celui que livrent les Mémoires de Louis XIV ). Un autre document suggère que l’activité scripturaire de Brienne en 1661 est une sorte de plaque sensible du début du pouvoir personnel du roi : il s’agit d’un cahier également inauguré le 9 mars, et qui sert à Brienne d’aide-mémoire pour les affaires à traiter à partir de ce qui a été décidé en Conseil46. Le cahier, intitulé « Ordres du roi et résolutions du Conseil secret de S. M. établi depuis la mort de M. le Card. Mazarin pour la conduite de l’État », débute par un récit de ce qui s’est passé le 9 mars, précédé de cette note : « Ce sera ici, proprement, que commencera l’année présente / Annus novus a regimine novo ». L’écriture de Brienne, jusque dans ce qui semble un document destiné uniquement à son usage et à celui de ses commis, apparaît pénétrée par ce qu’on pourrait appeler l’idéologie de l’événement « 9 mars 1661 » : une condition nécessaire pour servir adéquatement le roi ?47

LES PAPIERS DES BRIENNE : UN MONUMENT SYMBOLIQUE

L’importance des collections manuscrites formées par les Brienne pour l’exercice de leur charge, ainsi que l’attention prêtée à leur transmission, relativisent les avancées bureaucratiques du règne de Louis XIV et du siècle de la « monarchie administrative ». Cette collection remonte à Antoine de Loménie (1560- 1638), secrétaire d’État sous Henri IV et Louis XIII, qui l’a transmise à son fils Henri-Auguste. Lorsque ce dernier fut contraint de se démettre une première fois de sa charge à l’instigation de Richelieu, le cardinal l’obligea à lui vendre la collection. Les Brienne tentèrent par la suite de récupérer ce patrimoine en en faisant faire des copies tout en abondant la collection ainsi partiellement reconstituée avec leurs propres archives. Deux grands massifs de ces collections nous sont parvenus : l’un est formé des papiers entrés dès le XVIIe siècle dans la Bibliothèque du roi à la suite du geste de Richelieu, l’autre est une copie de ces documents auxquels s’ajoutent des papiers d’Henri-Auguste et de Louis-Henri. Cette copie a été réalisée au XVIIIe siècle par le cardinal de Brienne, ministre de Louis XVI (descendant du frère de Louis-Henri), lequel insère au début du premier volume une note de Louis-Henri retraçant l’aventure de la collection familiale. Brienne le jeune y explique longuement que la collection d’Antoine de Loménie a été formée sous la supervision des frères Dupuy, qui l’ont encouragé dans son projet de rassembler les documents qui seraient les plus utiles pour que son fils exerce au mieux sa charge, qui ont sélectionné les documents du Trésor des chartes et d’autres fonds d’archives, et qui ont organisé une vaste collecte, si bien que la collection, formée de 300 volumes reliés en maroquin rouge

avoit une grande reputation dans le royaume et dans les Pays etrangers d’ou MM. du Puy par leurs correspondances avoient fait venir plusieurs pieces très considerables, de maniere qu’Antoine de Lomenie mon Grand Pere etant mort (...) mon Pere se trouva avec sa charge, ses terres, ses maisons et ses autres biens, possesseur du thresor de ses manuscrits, et qui plus est, de ses vertus et de ses amis.

Brienne, dans ses Mémoires, insiste à plusieurs reprises sur l’importance de disposer des papiers adéquats pour bien exercer la charge de secrétaire d’État. Il explique ainsi que Louvois, bien qu’ayant peu de disposition et d’inclination pour reprendre la charge de son père, a bénéficié d’un recueil de pièces rédigées par un commis très compétent de son père, Thimoléon Le Roy, recueil formé exprès pour lui et destiné à lui servir de modèle48. Mais, dans la note citée plus haut, ce que retient avant tout Brienne le jeune de sa propre collection familiale, c’est « sa réputation dans le royaume et dans les Pays étrangers ». On aurait tort de considérer que cette réputation n’avait cours que dans un univers lettré aux valeurs autonomes, et Brienne souligne bien que le « thresor » des manuscrits de son père faisait partie du patrimoine de sa famille, qu’il est un bien, et un bien symbolique, comme d’autres attributs (charge, terres, maisons) de la puissance des Loménie du reste.

Brienne le jeune, qui avait entrepris lorsqu’il était secrétaire d’État de faire copier les papiers vendus à Richelieu, a aussi réalisé des recueils soignés des lettres expédiées dans le cadre de ses fonctions : une manière de constituer des archives qui permet en même temps de donner à voir un travail administratif probablement prenant mais peu spectaculaire49. Aussi, même ce qui peut apparaître comme le pur produit d’une réflexion en termes de rationalisation administrative – et qui l’est effectivement – renvoie dans le même temps à des préoccupations socio-politiques.

L’activité de compilation de documents liés aux affaires étrangères n’a pas cessé avec sa disgrâce : on conserve plusieurs recueils formés par Brienne, qui incluent des pièces datant de la fin des années 1650 jusqu’au début des années 167050. Même en un temps où, privé de charge, il tend à devenir de plus en plus écrivain (même s’il s’entremet pour la cause des jansénistes et pour la paix clémentine51), son activité de plume inclut tout un travail de copie, de classement, d’extraits de ce même type de documents (dépêches, traités, formulaires, mémoires sur divers sujets) qui constituent la majestueuse collection familiale. Reste que désormais c’est Brienne lui-même, et non l’un de ses commis ou écrivains à gages, qui effectue ce travail. Surtout, Brienne n’a plus un accès direct aux documents d’État. Son approvisionnement dépend en fait de Léonard de Mousseau, sieur Du Fresne, son ancien premier commis, celui qui avait confié la rédaction de la lettre patente à Arnauld d’Andilly et qui continue à être employé par Lionne et Colbert après la chute de son patron. Cette dépendance est telle que les recueils de ces années-là renseignent en fait avant tout sur les activités de Dufresne, en une inversion spectaculaire des positions antérieures... misère du ministre éloigné des affaires, devenu compilateur des documents produits ou rassemblés par un ancien commis.

CONCLUSION

Le 7 juillet 1659, Brienne, de Fontainebleau où il se trouve avec la cour, écrit à son père resté à Paris. Il évoque sa propre mélancolie, avant de faire part de celle du roi – allusion probable à l’éloignement tout récent de Marie Mancini :

Si l’on osoit parler de celle du Roy l’on diroit que ces lieux escartez du monde et du bruit flattent beaucoup sa reverie et qu’ils entretiennent plustost la peyne qu’il a de l’absence de ce qu’il ayme qu’ils ne la guerissent. Il donne une application entiere aux affaires et je m’asseure que si vous estiez icy vous croiriez le regne d’Henry quatre revenu. Ses inclinations toutes martiales trouvent du divertissement dans la construction d’un fort où sa garde suisse et française travaillent à l’envy continuellement animée de la presence de leur maistre qui a bien voulu luy mesme prendre le cordeau. Je vous demanderois en grace que ma lettre ne soit veüe de personne, si vous n’aviez qu’autant d’interest que moy que le compte exact et peut estre trop hardy que je rends par respect et par l’obligation de mon devoir à vous seul ne peust jamais paroistre pour accuser l’obeissance aveugle d’un fils tres recognoissant qui ne croit parler qu’en soy-mesme lorsqu’il parle au meilleur pere du monde52.

Tout écrit tient du pari : il est une mise en jeu sur un terrain que nul ne peut prétendre maîtriser entièrement. Même une lettre à un père auquel le lient tant d’intérêts peut sembler inadéquate à ce destinataire, ou parvenir entre les mains d’autres lecteurs éventuellement malveillants. Aussi la prudence finale vient-elle ici tenter de prévenir les effets malencontreux de la hardiesse (qui signe le brillant observateur) à produire un bruit de cour relatif au moral du monarque, et à manifester peut-être quelque distance à l’égard de ses « inclinations toutes martiales ».

Les écrits sont des choix qui (pour certains) sont parvenus jusqu’à nous. Certes, on pourrait discuter longtemps de la part d’éléments conscients et inconscients dont un écrit est le fruit, mais soulignons encore : un écrit du passé qui existe encore dans notre présent est autre chose que le support de conjectures à propos des choix effectués par un ou des acteurs dans le passé, il est bien en lui-même un tissu de choix devenu action sous la forme d’un objet écrit – c’est-à-dire aussi publié d’une certaine manière. En ce sens, un écrit produit dans l’entourage du pouvoir n’est pas seulement susceptible de nous renseigner sur des choix politiques, il est lui-même un choix politique qui s’offre à l’observation, et c’est ce qui fait son prix pour une histoire du pouvoir. Voilà pourquoi nous nous sommes attachés à restituer leur dimension d’écrits à des papiers officiels qui sont souvent regardés comme pris dans des institutions ou des fonctions qui en règlent strictement l’avènement et le déroulement : saisis en termes de pratiques administratives, ils sont alors dépossédés de leur événementialité.

C’est ici que Brienne nous intéresse : ses Mémoires mettent en évidence des actions surgies au sein de pratiques. Ainsi la rédaction d’une lettre patente ne peut-elle plus être décrite uniquement comme application d’un formulaire et procédure réglée faisant intervenir tel et tel type d’acteur : dès lors que l’une d’elle suscite la colère de Louis XIV, apparaissent, dans le halo de cette colère, une série de choix qui renvoient aux engagements sociopolitiques de ceux qui sont intervenus dans l’affaire. Tout au long de l’étude, on s’est aussi efforcé d’éprouver le regard du mémorialiste en le confrontant à des écrits produits par ou autour du jeune secrétaire d’État : la lettre de Louis XIV lui accordant le droit d’exercer sa charge, son récit du mariage royal, le cahier du Conseil secret, les recueils de dépêches, la lettre de Fontainebleau. Dans ce dernier cas, l’action consiste sans doute pour Brienne à donner de l’information utile – monnayable en tous les cas sur le marché de la rumeur parisienne – à son père, dont il s’efforce durant toutes ces années de gagner la confiance, ce que montre la lecture suivie de leurs échanges épistolaires. Le récit sur Louis XIV n’est séparable ni des rapports entre le roi et Brienne, ni de la relation sociale qui existe entre Brienne et son père, secrétaire d’État chenu et malade, peut-être tenté de vendre sa charge au profit de Lionne.

Mais si les écrits, en tant qu’ils sont des choix, révèlent du politique là où on serait tenté de ne voir que de l’administratif, le dossier Brienne permet aussi de mesurer combien la politique passe par l’écriture : l’attention aux possibilités de l’écrit en matière d’effets politiques est aiguisé par l’essor des belles-lettres où se discutent ce que peuvent et ce que valent les écrits. Un secrétaire d’État doit être reconnu comme apte à faire les choix d’écriture judicieux qu’impose sa charge, et cette reconnaissance peut passer par la réalisation d’autres types d’écrits que ceux qui lui sont imposés par son devoir. Pourtant, tous les ministres ne se sont pas faits autant auteurs que Brienne. Et Lionne, qui a joué un si grand rôle dans l’approvisionnement de la gazette, et doit être considéré à bon droit comme un publiciste, ne s’est pas fait auteur du tout : il n’a publié aucun ouvrage sous son nom. Là encore s’observent des choix, qui renvoient moins à une politique de l’écriture qu’à une politique de la littérature, celle-là même, intempérante peut-être, que dénonçait Chapelain chez Brienne – mais qu’en dénonçant, il révélait comme mode d’action possible.

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1 BnF, mss f.fr. 6450, p. 3. Il s’agit du manuscrit autographe du début des Mémoires de l’auteur.

2 Sur cette disgrâce, voir Jérôme Cras, « La charge de secrétaire d’État des affaires étrangères de 1661 à 1663. Histoire d’une démission », dans Bernard Barbiche et Yves-Marie Bercé (dir.), Etudes sur l’ancienne France offertes en hommage à Michel Antoine, Paris, École des chartes, 2003, p. 115-127 ; sur Brienne, voir Géraud Poumarède, notice « Brienne » dans Dictionnaire des ministres des affaires étrangères, Paris, Fayard, 2005.

3 Lettre à André Falconet (médecin lyonnais) du 29 janvier 1664 dans J-H Reveillé-Parise (éd.), Lettres de Guy Patin, Paris, J.-H. Baillière, 1846, t. III, p. 455.

4 Ludovici Henrici Lomenii, Briennae comitis… Itinerarium, Paris, Cramoisy, 1660

5 Gabrielis Madeleneti Carminum libellus, Paris, Cramoisy, 1662 ; Ludovicus Henricus Lomenius, Briennae comes (…) de Pinacotheca sua, ad Constantinum Hugenium (…) Auriaci principis ad Regem oratorem, Paris, Le Petit, 1662.

6 Deux écrits entre autres portent trace que Brienne n’a pas inventé cette réputation : la Muze historique de Loret (18 décembre 1655), à l’occasion des fiançailles de Brienne, évoque « le renom tout à fait exquis » que s’est acquis Brienne « par ses belles lumières / Par son esprit et son bon sens » (Jean Loret, La Muze historique, ou Recueil des lettres en vers contenant les nouvelles du temps, Jules Ravenel (éd.), Paris, P. Jannet, P. Daffis, 1877, t. II, p. 133). La page que consacre Saint-Simon à Brienne montre la longue durée de cette réputation : « Quelque temps après mourut M. de Brienne, l’homme de la plus grande espérance de son temps en son genre, le plus savant, et qui possédait à fond toutes les langues savantes de l’Europe. Il eut de très bonne heure la survivance de son père (…) Loménie, qui voulait rendre son fils capable de la bien exercer, et qui n’avait que seize ou dix-sept ans, l’envoya voyager en Italie, en Allemagne, en Pologne et par tout le Nord jusqu’en Laponie. Il brilla fort, et profita encore plus dans tous ces pays, où il conversa avec les ministres et ce qu’il y trouva de gens plus considérables, et en rapporta une excellente relation latine. Revenu à la cour, il y réussit admirablement, et dans son ministère, jusqu’en 1664… » (Saint-Simon, Mémoires…, Yves Coirault (éd.), Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1983, t. I, p. 471.

7 Mémoires de Louis-Henri de Loménie comte de Brienne…, Paul Bonnefon (éd.), Paris, Société de l’histoire de France, 1916-1919, t. I, p. 45. Dans un autre passage, Brienne évoque une action de ses ennemis pour le perdre, qui a consisté à le laisser traduire en latin un acte de son département. Ailleurs encore, le fait que ce soit à l’abbé Le Tellier, et non à lui, que le roi confie la tâche de porter au père Cossart un traité pour qu’il le traduise en latin lui apparaît rétrospectivement comme un signe avant coureur de sa disgrâce, qui intervient quelques semaines plus tard.

8 Lettres de Jean Chapelain publiées par Philippe Tamizey de Larroque, Paris, Imprimerie nationale, t. II, p. 292.

9 Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, pp. 97-150.

10 Alain Viala, Naisssance de l’écrivain, Paris, Minuit, 1985, pp. 24-40.

11 Françoise Waquet, Le Latin ou L’Empire d’un signe XVIe-XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 121.

12 Ce récit d’après l’introduction de Paul Bonnefon aux Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. III, pp. XX-XXXVIII.

13 Géraud Poumarède, notice « Brienne », art. cité. Voir aussi, dans le même dictionnaire, la notice consacrée à « Hugues de Lionne », par Jérôme Cras, p. 63-66.

14 Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. III, appendice, pp. 271-288.

15 Ibid., t. II, pp. 14-16.

16 Dans une lettre solennelle du 20 janvier 1662 adressée à Louis XIV, le jeune Brienne se plaint de cette situation : « Toutes les graces que V.M. me peut faire, toutes les faveurs dont elle me peut honorer, ne me sçauroient jamais estre si avantageuses que l’entier exercice de ma charge, parce que ces premieres ne peuvent estre que des effects de vostre puissance, au lieu que cette derniere que j’implore est une marque de vostre estime… » (cité par Jérôme Cras, art. cité, p. 121).

17 Voir les lettres adressées à son oncle Humbert de Lionne, président à la chambre des comptes de Dauphiné. Lionne lui mande ainsi confidemment le 26 janvier 1657 : « Je suis en traité avec M. de Brienne de sa charge de secrétaire d’État des étrangers. Il a envie et besoin de s’en défaire, étant chargé de dettes qui le consomment ; mais il en veut un grand argent et je suis résolu de le lui donner ; ainsi la difficulté ne consistera pas là, [mais] en ce que son fils, qui a sa survivance et en a déjà prêté le serment, dit qu’il se fera plutôt déchirer par morceaux que de donner sa démission, et que ce fils-là ayant épousé une fille de M. Chavigny, toute cette parenté se remue étrangement pour le faire tenir bon dans ce dessein et empêcher que cette charge ne sorte de la maison. J’ai promis 100 000 livres comptant à Madame de Brienne la mère, et de les lui faire toucher hors du prix de la charge et sans que personne en sache rien. Le père et la mère sont d’accord et ont désir de vendre, mais le fils tient ferme pour le prix (…). Monseigneur le cardinal m’a fait la grace de me promettre que le roi m’assistera de 100 000 écus. » (Ulysse Chevalier (éd.), Lettres inédites de Hugues de Lionne, ministre des Affaires étrangères sous Louis XIV, précédées d’une notice historique sur la famille de Lionne, Valence, 1877, pp. 91-92)

18 Les éléments d’un « tableau pathologique » de Loménie de Brienne (sa tendance à la dilapidation, le sentiment de persécution) gagnent à être remis dans le contexte de la pression socio-politique qui s’exerçait sur lui. Quoiqu’il en soit, l’acuité de son écriture est évidente.

19 Michel Antoine, Le Cœur de l’État. Surintendance, contrôle général et intendances des finances (1552-1791), Paris, Fayard, 2003 ; Thierry Sarmant, Mathieu Stoll, Régner et gouverner. Louis XIV et ses ministres, Paris, Perrin, 2010.

20 Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. III, pp. 79-80.

21 BnF, mss naf 23620, pièce 33, dispense d’âge.

22 Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. III, pp. 197-198.

23 Mémoires pour servir à l’histoire de Hollande et des autres Provinces-Unies, Où l’on verra les veritables causes des divisions qui sont depuis soixante ans dans cette Republique, & qui la menacent de ruine, Paris, Jean Villette, 1680.

24 Sur Paul Ardier, voir Camille Piccioni, Les Premiers commis des affaires étrangères au XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, E. de Boccard, 1928, p. 77-91 ; Agnès Chablat, Une Famille de financiers au XVIIe siècle. Les Ardier, seigneurs de Beauregard, thèse de l’Ecole nationale des chartes, 1994.

25 Aubery Du Maurier, Mémoires…, ouvr. cité, préface, [n. p.]

26 Nicolas Schapira, Un Professionnel des lettres au XVIIe siècle. Valentin Conrart, une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003.

27 Il commente de très nombreux Mémoires de son temps dans les siens.

28 BnF, mss f. fr. 6450, p. 355.

29 Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. I, pp. 43-44.

30 Lettres de messieurs d’Avaux et Servien, ambassadeurs pour le Roy de France en Allemagne, concernant leurs différens et leurs responses de part et d’autre en l’année 1644, [s. l.], 1650.

31 Voir l’analyse d’une lettre d’intendant de province rendant compte des ravages de la famine de 1662 à Colbert dans Christian Jouhaud, Dinah Ribard, Nicolas Schapira, Histoire, Littérature, Témoignage. Ecrire les malheurs du temps, Paris, Gallimard, 2009, pp. 272-275.

32 Mémoires de Brienne, ouvr. cit., t. III, pp. 154-155.

33 Ibid., respectivement t. III, p. 195-196, t. II, p. 58, t. III, pp. 56-58.

34 Ibid., t. III, p. LII.

35 Ibid., t. III, pp. 99-100.

36 Mémoriaux du Conseil de 1661 publiés pour la Société de l’histoire de France par Jean de Boislisle, Paris, Renouard, 1905.

37 Daniel Nordman, Frontières de France, Paris, Gallimard, 1998, p. 163.

38 BnF, mss f. fr. 5884. La relation a été publiée par l’abbé Fr. Duffo, Après le traité des Pyrénées Mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse, à Fontarabie et à St Jean de Luz. Son entrevue avec Philippe IV, roi d’Espagne, dans l’ile des Faisans, sur la Bidassoa (juin 1660), Paris, P. Lethielleux, 1935.

39 Mémoires de Brienne, t. I, pp. 9-10.

40 Les minutes de ses lettres de 1658-1661 sont conservées aux archives des affaires étrangères : cf. infra.

41 Mémoriaux du Conseil de 1661, ouvr. cité, p. XXV.

42 Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990, pp. 243-245.

43 Mémoriaux du Conseil de 1661, ouvr. cité, p. XXIX. Sur l’entreprise historiographique des Mémoires de Louis XIV, voir l’édition que Pierre Goubert a donnée de ce texte (Paris, Imprimerie nationale, 1992), ainsi que Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature, ouvr. cité, pp. 151-161 ; et Stanis Pérez, « Les brouillons de l’absolutisme : les « mémoires » de Louis XIV en question », dans XVIIe siècle, n° 222, janv.-mars 2004, pp. 25-50.

44 Mémoriaux du Conseil de 1661, ouvr. cité, p. XXVIII.

45 Jérôme Janczukiewicz, « La prise de pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe », dans XVIIe siècle, n° 227, avr.-juin 2005, pp. 243-264.

46 Mémoriaux du Conseil de 1661, ouvr. cité, pp. XXX1-XXXV.

47 Si l’on considère, ce qui semble raisonnable, que ce n’est pas Louis XIV qui a suggéré à Brienne d’inaugurer ainsi son nouveau cahier, alors cette note ouvre tout un territoire de questions, puisqu’elle révèle une adhésion à l’idéologie propre au nouveau roi déjà toute formée le jour où il inaugure son pouvoir personnel. C’est la question de la fabrication de Louis XIV avant 1661, et c’est aussi la question de l’adhésion enthousiaste à cet ordre nouveau comme caractéristique essentielle de celui-ci. On gagnerait sans doute à mobiliser à propos du pouvoir louis-quatorzien le territoire de réflexions sur le fonctionnement des prises de décision dans l’Allemagne nazie que synthétise l’expression, mise en lumière par Ian Kershaw, de « travailler en direction du Führer ». Voir Florent Brayard, « La longue fréquentation des morts. À propos de Browning, Kershaw, Friedländer – et Hilberg », dans Annales H.S.S., n° 5, sept.-oct. 2009, pp. 1053-1090.

48 Mémoires de Brienne, ouvr. cité, t. III, pp. 195-196.

49 Les archives des Affaires étrangères conservent quatre de ces recueils. L’un fait partie des papiers de Mazarin, et aurait pu lui être offert par Brienne, les trois autres semblent venir des papiers de Brienne. Cf. archives A.E., Mémoires et documents, France, 278, lettres de Brienne le fils pendant le voyage de Lyon (oct. 1658-janv. 1659), 293 (janv.-sept. 1659), 294 (sept.-déc. 1659), 295 (juill.-déc. 1661). Une copie de ce dernier recueil existe dans les Mélanges Colbert (n° 26) à la BnF.

50 BnF, mss naf 23600, 23610, 23611.

51 P. Dieudonné, « Aux origines de la paix de l’Église : de la crise de 1665 à l’intervention du comte de Brienne », dans Revue d’histoire ecclésiastique, 1994, vol. 89, n° 2, pp. 345-389.

52 Archives A.E., mémoires et documents, France, 293, f o 191.