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Du papier pour les livres Tentative de bilan pour le XVIIIe siècle

Jean-François BELHOSTE

Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études

Jamais siècle n’a été si productif en matière semblable que le nôtre. Personne n’est en état d’en faire le calcul : pas même les critiques et les journalistes1

C’est, bien sûr, du papier dont s’agissait dans cette note anonyme de la fin du XVIIIe siècle conservée à l’Académie des sciences, note où il était question des bienfaits attendus d’un nouveau procédé de blanchiment au chlore qui devait permettre d’effacer les encres et de pouvoir recycler les imprimés devenus « inutiles »2. Il en résultait cette conclusion plutôt optimiste :

Les gens de lettres qui auront rendu service à la République en lui fournissant des enveloppes pour les marchandises qu’ils achètent chez la beurrière ou l’épicier, y ajouteront la satisfaction de voir servir leurs ouvrages à l’impression d’autres.

L’impression avait, il est vrai, singulièrement progressé au siècle des Lumières au point de provoquer alors une évidente tension. On estime ainsi que la production de livres avait triplé en France entre 1700 et 1770, le nombre de titres publiés étant passé d’environ un millier vers 1700 à trois ou quatre mille à la fin de l’Ancien Régime3. Les tirages moyens étaient aussi devenus plus forts, atteignant couramment deux à trois mille exemplaires, le record étant atteint par l’Encyclopédie, best-seller incontestable tiré à quelque 24 000 exemplaires avant 17894 (en comptant l’édition originale in folio, dont les dix-sept volumes de texte et onze de planches parurent entre 1751 et 1772, plus cinq rééditions successives de différents formats).

Tandis que les sujets religieux régressaient, de 35 % à 10 %, le domaine des sciences et arts progressait de 20 % à 33 % entre les années 1720 et les années 17805. En dehors de l’Encyclopédie, plusieurs autres grandes entreprises éditoriales ont marqué l’époque : le Nouvel Abrégé chronologique de l’histoire de France (2 vol., in-4o) de Charles-Jean-François Hénault, réédité plus de dix fois entre 1744 et 1768 et traduit dans toutes les langues de l’Europe et même en chinois 6 ; La Nouvelle maison rustique de Louis Liger parue en 1700 et douze fois réédité jusqu’en 1798 ; Le Spectacle de la Nature de l’Abbé Pluche (8 tomes), réédité une vingtaine de fois entre 1732 et 17707. La plupart de ces ouvrages étaient désormais illustrés de planches explicatives gravées en taille douce, avec vignettes insérées dans le corps du texte8. À côté d’éditions largement illustrées et coûteuses, se multiplièrent aussi les productions plus abordables : d’abord des rééditions, comme celle de l’Encyclopédie in-4o de Neuchâtel9 (tirée entre 1777 et 1779 à 8 011 exemplaires) ; ou encore les dictionnaires portatifs in-8o et in-12, de plus en plus nombreux à partir des années 173010. « Alphabétisation croissante, lecture multipliée, images et chansons, tout a fait qu’à Paris, l’homme ordinaire, peu ou prou, doit lire », soulignait Daniel Roche11. L’industrie de l’édition et de l’impression prit par conséquent de l’ampleur, mais avec ce paradoxe que le nombre des imprimeurs se trouva limité à partir de 1686 par un numerus clausus. À Paris qui concentrait plus de la moitié de l’édition française, ce nombre se trouva ainsi fixé à 36. Il n’empêche que le nombre de presses en activité ne fit que croître : il passa, pour Paris, de 195 en 1701 à 309 en 177012, puis à 342 en 178713. La progression s’est aussi accompagnée d’efforts constants pour améliorer les conditions de fabrication, en quantité comme en qualité, alors que se répandait une foi grandissante dans les progrès de la science et la possibilité d’en tirer un profit concret pour les ateliers et manufactures.

Or, le papier imprimé se trouvait être, par le biais des livres et des périodiques, le principal instrument à disposition des gens des Lumières pour faire que les travaux des savants puissent avoir cette influence bénéfique qu’ils appelaient de leurs vœux. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait assisté à une floraison d’innovations techniques portant sur la confection du livre proprement dit (typographie, gravure et impression), mais aussi sur la fabrication des matériaux dont il était fait, au premier rang desquels le papier, composant majoritaire puisqu’il représentait couramment 50 % à 60 % de sa valeur14. Les grandes entreprises éditoriales qui se voulaient l’expression du progrès, celles de l’Encyclopédie de Diderot et de la Description des Arts et Métiers de l’Académie des sciences, et celle ultérieure de l’Encyclopédie méthodique de Panckouke, ont bien entendu tenu à s’en faire l’écho.

L’art de la papeterie avait d’ailleurs compté parmi les principaux sujets retenus dès 1693 par l’Académie des sciences lorsqu’elle mit pour la première fois en chantier son grand programme d’édition sur les arts et métiers. Gilles Filleau Des Billettes (1634-1702) à qui le sujet avait été confié, donna communication de ses travaux en 170615. Il avait fait graver dans ce but dès 1698 neuf planches à partir de données collectées par Jean Anisson (1642-1721), directeur de l’Imprimerie royale, lors d’une enquête effectuée en 1693 dans les papeteries d’Auvergne – planches qui furent réutilisées par l’astronome Jerôme de Lalande, sollicité lors de la reprise du projet en 1760 et dont l’ouvrage L’Art de faire le papier, paru dès 1761, fut l’un des premiers de la collection. Aux neuf planches existantes, illustrant le fonctionnement traditionnel des moulins à papier d’Auvergne, Lalande ajouta deux planches portant sur la papeterie moderne de Langlée. C’est celle-ci qui servit ensuite de principal modèle pour les planches de l’Encyclopédie consacrées au papier (1767), planches dues au principal collaborateur de Diderot, Jacques Goussier (1722-1799), qui fit pour cela une visite sur place. Paradoxalement le cas de l’imprimerie est un peu différent. Envisagé aussi dès les débuts du projet académique, l’art de l’imprimerie fit l’objet d’une lecture par Jacques Jaugeon en 1704, et même d’une rédaction manuscrite16. À nouveau programmé lors de la reprise de 1760, l’ouvrage fut commandé en 1775 à l’imprimeur du roi Philippe-Denis Pierres (1741-1808), esprit particulièrement inventif (il mit au point au point un nouveau dispositif de presse et s’essaya au polytypage) mais qui, voulant sans doute trop bien faire, n’acheva jamais le travail. LArt de l’Imprimerie ne parut finalement qu’en 1799 sous la plume de l’imprimeur Bernard Quinquet. Ce fut le vingtième et dernier volume de la série, édité d’ailleurs par la Société typographique de Neuchâtel.

QUEL PAPIER POUR L’IMPRESSION ?

Les écrivains, concernés qu’ils étaient, ont été les premiers à témoigner de l’importance cruciale de la fourniture de papier dans l’édition. Jean-Claude Pingeron, littérateur, mais aussi ingénieur, rappelait en 1786 dans le Journal de Paris les déboires d’un libraire mis en scène dans le Mercure Galant à travers une pièce à succès d’Edme Boursault, le contemporain de Molière (1683) :

Ceux qui sont un peu versés dans la typographie, savent que le papier seul envoya Boniface Chrétien à l’hôpital, par l’immense quantité qu’il lui fallut pour imprimer ce funeste in-folio qui causa sa ruine17.

En la matière, il est vrai, on pense surtout aux efforts déployés par le jeune imprimeur d’Angoulême, David Séchard, pour introduire dans les années 1820 la fabrication du papier à partir de végétaux en place des chiffons. L’histoire imaginée par Balzac dans Illusions perdues (1836-1843) se fondait sur son expérience vécue d’imprimeur, mais elle s’inspirait aussi de ce qu’avait entrepris en 1787 le directeur de la grande fabrique de Langlée à Montargis, Pierre-Alexandre Léorier de Lisle.

Au début du XVIIIe siècle, la production française de papier avait perdu, en tout cas, la position quasiment hégémonique, qu’elle occupait au XVIe et encore au début du XVIIe siècle en Europe. En 1717, il n’y avait plus que 57 moulins à papier en activité en Auvergne sur les 119 que comptait autrefois la province18. Les papetiers hollandais étaient considérés comme largement responsables du déclin. Produits en grande quantité, ils étaient très appréciés, étant d’un grain plus soyeux et plus uniforme que celui des papiers français19. Leur couleur bleu azur plaisait aussi. Les plus répandus était ceux marqués Aux Armes d’Amsterdam (aux feuilles faisant 15 pouces et demi sur 12, soit 42 cm sur 32,5 cm) et Pro Patria. On prétendait que cette qualité était due à l’intervention de papetiers huguenots d’origine française, émigrés en Hollande après la révocation de l’édit de Nantes. En fait, leur supériorité venait surtout de l’emploi de cylindres armés au lieu de maillets pour déchiqueter les chiffons, ce qui permettait d’éviter d’avoir à les faire « pourrir » préalablement et améliorait la qualité de la pâte tout en gagnant du temps. Les premiers cylindres furent installés dans les années 1670, notamment dans la région du Zaan à proximité d’Amsterdam. Ils étaient entraînés par des moulins à vent, tandis que d’autres utilisant cette fois l’énergie hydraulique furent aussi établis en Flandre.

Côté français, la principale région productrice était alors l’Auvergne, avec Thiers et Ambert. Les papiers de Thiers étaient réputés plus fins, ils étaient plus chers et servaient surtout à l’écriture20. Ceux d’Ambert, fabriqués dans une cinquantaine de moulins répartis sur trois petites vallées21, étaient, paraît-il, moins bien collés, défaut imputé à la qualité plus vive des eaux venant de la montagne qui provoquait la dissolution de la colle22. Ils étaient pour l’essentiel des papiers d’impression. La seule autre région d’importance pour les papiers d’une certaine qualité était l’Angoumois23, auquel se rattachait la zone des environs de Limoges et de Saint-Léonard-de-Noblat24. L’Angoumois et le Limousin produisaient notamment du papier d’impression, mais une grande partie en était exportée vers la Hollande où il prenait, entre autres, la marque Pro Patria pour être éventuellement réexpédié en France après avoir subi certains traitements. Annonay, en Ardèche, était aussi un centre réputé, mais plus modeste, puisqu’on n’y comptait que deux familles d’exploitants, il est vrai très connues, les Montgolfier et les Johannot25. Il produisait toutes les sortes de papiers, d’écriture comme d’impression, dont la majorité fut longtemps commercialisée à Lyon. Une grande partie des papiers de moindre qualité, tel le papier dit « gris », était réservée à l’emballage. Beaucoup de ces papiers étaient produits en Normandie, dans la région de Rouen. Tout compte fait, la fabrication était donc assez largement dispersée, mais pour le papier d’impression, un centre occupait une position dominante, celui d’Ambert26.

La difficulté, on le voit, lorsqu’on traite du papier, est sa grande variété d’usages, et par conséquent la grande variété de ses formes et qualités. C’est cette extrême diversité, résultat d’une évolution séculaire, qui incita les autorités à réclamer une définition précise et réglementée des différentes sortes, afin d’aboutir à une certaine normalisation des produits disponibles. L’arrêt de 1741 fixa ainsi 57 sortes de papier définies par la taille et le poids des feuilles, leur qualité étant répartie en trois catégories – fin, moyen et bulle27. La nomenclature renvoyait à des appellations anciennes (Soleil, Éléphant, Jésus, Raisin, Couronne), qui correspondaient à un dessin de filigrane devant aussi, en principe, comporter le nom ou surnom du fabricant, ainsi que la ville ou région de fabrication. Les papiers d’impression pour les livres étaient pour l’essentiel de quatre sortes : carré (54 sur 42 cm), écu (51 sur 38 cm) et, dans un moindre mesure, grand raisin (61 sur 46 cm) et couronne28 (46 sur 36 cm). Pour les grands formats, tels qu’estampes et cartes géographiques, on utilisait du Grand Jésus (70 sur 52 cm), voire du grand aigle (98 cm sur 67 cm). Pour les éditions bon marché tels les almanachs, on pouvait encore employer un papier bas de gamme, dit « fluant », notamment le Joseph fluant, qui n’avait pas subi l’étape ultime de l’encollage.

Somme toute, les papiers destinés à l’impression ne représentaient qu’un petit nombre de ces sortes multiples. Mais la question qui se pose et qui, on va le voir, soulève de délicats problèmes, est de savoir la part qu’ils représentaient en quantité comme en valeur dans la production papetière, et les effets qu’a eus sur elle la forte expansion de l’édition. Avant d’envisager quelques estimations chiffrées, il convient de resituer la conjoncture d’ensemble, marquée par une progression générale de l’emploi du papier tant pour des usages traditionnels que pour de nouveaux usages. Ainsi la consommation du papier d’écriture a-t-elle à l’évidence progressé suite à l’essor de la pratique épistolaire, mais aussi parce qu’il était plus employé par les administrations publiques ou privées, sous forme de registres comptables ou commerciaux. Un mémoire de la fin du XVIIIe siècle estimait ainsi que la consommation individuelle privée devait être de l’ordre d’une demie rame par an29 (la rame étant un paquet de 500 feuilles, généralement de papier couronne, soit 46 sur 36 cm). Avec l’essor général du commerce, la consommation du papier d’emballage augmenta elle aussi fortement : papier à bougies, savon, tabac, épingles, et surtout papier bleu pour emballer les pains de sucre de canne dont la consommation, comme celle du papier, ne cessa de croître après 175030. Comme nouveau papier, il y eut surtout le papier-peint, « victoire de la gaîté », dont l’usage commença à se répandre dans les années 1760 et qui connut ensuite un véritable engouement avec des fabricants sans cesse plus nombreux, surtout à Paris, où le chef de file était le célèbre Jean-Baptiste Réveillon31. Reste donc la question du papier d’impression, qui se posait non seulement en termes de quantité, mais aussi de qualité, celle-ci variant par exemple pour les grands livres illustrés et les livres bon marché de petit format.

On l’a dit, le problème est difficile, car il y avait peu de relations directes et d’échanges d’informations entre les fabricants de papier et les libraires, éditeurs et imprimeurs. Ils étaient occultés par toutes sortes d’écrans, à commencer par l’intervention fréquente d’intermédiaires, marchands de papier ou marchands merciers : tel ce Bailly, marchand de papier à Paris, dont on sait peu de choses alors qu’il fut apparemment l’un des principaux fournisseurs de papier pour l’Encyclopédie32, et aussi un fournisseur de papier d’Ambert Grand Aigle à l’Imprimerie royale pour l’impression du célèbre recueil de gravures de la galerie de Versailles de Jean-Baptiste Massé33 (1752). Le premier problème est donc le chiffrage des productions et des consommations, question encore une fois délicate qui semble avoir découragé la plupart des historiens, sans doute du fait de la rareté des sources, mais aussi parce que la multiplicité des acteurs et la diversité des lieux de fabrication font que les estimations d’ensemble ne peuvent être qu’hasardeuses. Il est envisageable cependant de tenter quelques estimations, d’abord pour la production du papier, ensuite pour sa consommation par l’édition.

Le principe de calcul pour la production est simple : il consiste à partir de la capacité de production des fabriques mesurée par leur nombre de cuves. À la fin de l’Ancien Régime, ce nombre se situait, pour l’ensemble de la France, entre 900 et 1 000. En comptant une production moyenne de 3 000 rames par cuve et par an (chiffre couramment proposé34) et un poids moyen de la rame de 7 kilogrammes, 900 cuves pouvaient produire bon an mal an quelque 21 000 tonnes, chiffre qui s’accorde bien avec les 20 000-25 000 tonnes retenus généralement35. Avec 400 cuves, chiffre proposé par J. de Lalande36, cette production n’aurait été que d’environ 8 500 tonnes au milieu du siècle. Pour évaluer maintenant la quantité de papier consommée par l’imprimerie, on peut partir du constat qu’une « presse occupée par deux bons ouvriers » imprimait trois rames de papier par jour37. En 300 jours de travail par an, les 340 presses parisiennes en activité à la fin de l’Ancien Régime pouvaient donc consommer environ 300 000 rames, ce qui faisait, en prenant un poids moyen de 10 kilogrammes par rame (la majorité étant de l’écu et du carré), 3 000 tonnes. Ce chiffre, notons-le, n’est pas trop éloigné de l’une des rares estimations contemporaines, qui évaluait en 1779 la consommation parisienne à « 160 000 rames ou environ pour l’impression »38. On peut estimer de même que les 200 à 300 presses fonctionnant à Paris vers 1750 devaient pour leur part consommer entre 1 800 et 2 700 tonnes. En supposant, enfin, que la capitale réalisait la moitié des impressions du royaume, la consommation de celui-ci était peut-être de 6 000 tonnes. Les imprimeries parisiennes auraient ainsi absorbé dans les années 1780 environ 15 % en tonnage de tous les papiers produits dans le royaume, et l’ensemble des imprimeries françaises 30 %.

Quelle pouvait être maintenant la part d’Ambert dans ces fournitures ? Des chiffres sont heureusement disponibles, qui fixent à environ 500 tonnes la production annuelle au milieu du siècle, et à 1 000 tonnes à la fin du siècle39. En admettant que la majeure partie de cette production ait été consommée par Paris, ce qui deviendra de plus en plus vrai tandis que reculait la part de Lyon autrefois considérable, on voit qu’Ambert ne suffisait pas loin s’en faut à approvisionner les imprimeries de la capitale : elle fournissait à la fin du XVIIIe siècle au mieux 1 000 tonnes alors qu’il en fallait 3 000. Pour le milieu du siècle, c’était 500 tonnes pour 2 000 à 2 500 tonnes nécessaires. Dans les deux cas, le déficit semble avoir été de l’ordre de 2 000 tonnes ce qui est loin d’être négligeable. Il est difficile en l’état de pousser plus loin le raisonnement. Peut-être, d’ailleurs, la production d’Ambert a-t-elle été sous-estimée. Il est certain, en effet, que la plupart des grandes entreprises éditoriales du milieu du siècle s’y sont largement approvisionnés. Ce fut le cas pour l’Encyclopédie40 comme pour les publications de l’Académie des sciences : par exemple, le contrat passé en 1727 avec le libraire Claude Jombert pour l’impression du prix annuel de l’Académie stipulait qu’elle devait se faire sur « quarré fin d’Auvergne41 ». Les comptes de l’un des principaux fabricants d’Ambert, Dupuy de La Grandrive, attestent d’ailleurs la fourniture régulière à deux grands imprimeurs parisiens, la veuve Estienne et Jacques Anisson-Duperron, directeur de l’Imprimerie royale42. Pour certaines éditions particulièrement luxueuses, le papier de Hollande a pu être, il est vrai, employé. Ainsi pour le fameux La Fontaine des fermiers généraux43 (1762), et, plus tard pour certains exemplaires du Voyage pittoresque de la Grèce du comte de Choiseul-Gouffier44 (1782). Dans l’un et l’autre cas, le libraire était d’ailleurs Joseph-Gérard Barbou45, dont on connaît les liens avec Limoges et avec ses papeteries environnantes, lesquelles fabriquaient du papier largement vendu à Amsterdam.

Quoiqu’il en soit, il a bien fallu que pour un certain nombre d’impressions moins luxueuses ait été employé un papier autre que celui de Hollande ou d’Ambert, et ce pour des quantités de plus en plus grandes à mesure que le siècle avançait. C’est ce qui a été parfaitement montré pour la réédition in-4o de l’Encyclopédie dite de Neuchâtel (1777-1779) : pour l’impression du 24e volume, la Société typographique de Neuchâtel put obtenir un quart de papier d’Ambert, mais elle dut s’arranger pour trouver le reste auprès de diverses papeteries de Suisse, d’Alsace et de Franche-Comté, et principalement de la papeterie de Meslières, près de Montbéliard46. On comprend ainsi pourquoi, en 1788, parmi les fournisseurs de papier de Jacques Anisson-Duperron, figuraient en bonne place, à côté de Dupuy de La Grandrive, les Montgolfier d’Annonay et les Henry d’Angoulême47. Voilà qui peut justifier, sans en faire la seule cause, la création à partir des années 1740 de grandes fabriques de papier modernes qui, on le verra, se situaient comme par hasard pour la plupart à proximité de Paris.

GRANDES FABRIQUES DES LUMIÈRES

En fait, deux périodes sont à distinguer dans la progression de l’industrie papetière en France au XVIIIe siècle. La première, qui débuta dans les années 1730, correspondait à la reprise de l’édition française après son creux des années 1690-1720, et donna lieu à une série d’expériences, la plupart éphémères. La seconde, qui couvrit les décennies 1770 et 1780, connut des réalisations concrètes, marquées par l’engagement de vrais professionnels et non plus seulement, comme c’était le cas auparavant, d’entrepreneurs quelque peu aventuriers tels que le XVIIIe siècle en a beaucoup vus en matière de technique et d’industrie.

Le premier acte de l’histoire fut la création en juin 1738 d’une grande entreprise moderne à Langlée, près de Montargis, à l’initiative de trois associés se disant détenteurs de la technique des cylindres hollandais pour le déchiquetage des chiffons48. Le premier, Jean-Baptiste Gastumeau, était négociant à La Rochelle, un autre, Charles-Jean Respinges Duponty, était originaire d’Angoulême, et le troisième Vivien de Châteaubrun, était maître d’hôtel du duc d’Orléans. Ils étaient associés depuis 1734 dans une manufacture royale dite des papiers d’Angoumois49, et il est facile d’imaginer que c’est à partir de cette région papetière qui vendait une grande partie de sa production en Hollande qu’ils avaient pu se familiariser avec la technique du cylindre50. Plusieurs Hollandais y possédaient d’ailleurs des moulins à papier, dont Pierre Vantongeren, qui sera l’un des associés de la nouvelle manufacture royale. Les trois associés avaient obtenu dès 1736 le privilège exclusif « de la machine de Hollande pour la fabrication du papier sans maillets, ni pilons »51, et reçu à cette occasion un satisfecit de l’Académie des sciences52. À Langlée, ils n’étaient du reste pas seuls. Ayant choisi de s’implanter non pas dans une région papetière traditionnelle, mais à la jonction des canaux du Loing et d’Orléans, à portée donc du grand marché parisien, ils bénéficièrent de l’appui du duc d’Orléans, qui fit l’avance des fonds nécessaires à l’acquisition des terrains et aux premières constructions. Ils s’arrangèrent aussi pour n’avoir pas à apporter de fonds en réussissant à intéresser à l’affaire des financiers appartenant tous à l’entourage parisien de Joseph Paris-Duverney et de Mme de Pompadour 53 : le principal était Vivant Micault, alors commissaire général des poudres et salpêtres54.

Les travaux d’établissement de cette manufacture grandiose qui devait compter douze cylindres et vingt cuves – soit dix à vingt fois plus que dans un moulin à papier ordinaire – et comporter tout un aménagement hydraulique, dont l’exécution fut confiée à l’ingénieur du roi Noël de Regemortes, directeur des canaux du Loing et d’Orléans, furent estimés à près de 140 000 livres. L’un des principaux problèmes pour une papeterie de cette taille étant l’approvisionnement en chiffons, Vivant Micault put mettre à contribution pour la collecte les commissaires provinciaux des poudres dont il supervisait l’activité. Cela n’empêcha pas l’entreprise d’éprouver de multiples difficultés. Les déficits considérables contraignirent Micault à se retirer en 1746 avec de grosses pertes. Duponty, « principal conducteur de l’entreprise » aux dires de J. de Lalande, fit de même : il se lança alors dans une série d’expériences à Étampes, visant non seulement à améliorer la technique du cylindre55, mais aussi à obtenir de très grands formats pour l’impression de cartes et plans. Afin d’en développer l’exploitation, il réussit, en profitant sans doute du fait qu’il venait d’être nommé inspecteur des manufactures, à former en 1751 une nouvelle société, dont l’actionnaire principal était cette fois Amand Leclerc, intéressé dans les affaires du roi et futur premier commis des Finances56. Sans doute l’initiative était-elle en rapport avec les expérimentations auxquelles se livrait à Étampes, sa ville natale, le minéralogiste Jean-Étienne Guettard, alors au service du duc d’Orléans, sur la fabrication de papier à partir de végétaux tels la paille, l’ortie ou la filasse de chanvre, lesquelles firent l’objet d’une publication cette même année 1751 dans le Journal Œconomique57.

Le projet de Duponty, en tout cas, tel qu’il figure dans l’acte de société, était de s’installer ensuite à Thiers en passant un accord avec « le sieur Ribeyrolles, l’un des meilleurs fabriquans de papier en Auvergne »58. Mais le projet échoua : Duponty finit sa carrière en retournant dans sa région d’origine, où il fonda en 1762 une dernière manufacture, toujours équipée de cylindres hollandais, à Montbron-sous-Angoulême59, en société avec le marquis de Montalembert, fondateur des forges de Ruelle et fournisseur de canons pour la Marine, et, semble-t-il aussi, en société avec Turgot, qui venait d’être nommé intendant du Limousin60. En butte à l’hostilité des papetiers locaux, l’entreprise n’eut qu’une existence éphémère. La manufacture de Langlée, de son côté, parvint à trouver une rythme de croisière, en faisant marcher entre 15 et 18 cuves, ce qui restait considérable, pour fabriquer un papier que le Dictionnaire du commerce de Savary Des Bruslons jugeait être de qualité. Elle reçut en 1751 la visite des papetiers d’Annonay, Montgolfier et Johannot, accompagnés d’ouvriers suisses, qui tentèrent à leur tour, sur la foi de ce qu’ils avaient vu, d’installer des cylindres pour y renoncer rapidement61. Langlée continua en outre de bénéficier d’une certaine estime, notamment dans les milieux académiques, comme en atteste la place que lui réserva Lalande dans son traité. Celui-ci avait d’ailleurs pris soin de s’informer auprès de Duponty en 176062.

Les progrès décisifs qui intervinrent à partir des années 1770 résultèrent d’abord de la volonté étatique et du rôle joué notamment par Trudaine (1703-1769), nommé en 1749 intendant des Finances. Ils sont même plus concrètement imputables à l’action d’un inspecteur des Manufactures particulièrement efficace, Nicolas Desmarest (1725-1815), que Turgot, alors intendant du Limousin, avait fait nommer dès 1762 inspecteur de son ressort63. Après avoir, de 1763 à 1768, suivi de près l’activité des papeteries de l’Angoumois, du Limousin et de l’Auvergne 64, Desmarest fut missionné en 1768 pour faire un voyages d’études en Hollande, voyage dont il tira la matière de deux mémoires lus à l’Académie des sciences en 1771 et 1774 et édités par elle respectivement en 1774 et 177865. Sa chance fut de pouvoir bénéficier des conseils d’un technicien flamand, Jean-Guillaume Écrevisse, fils de papetier, qui avait construit plusieurs moulins à cylindres aux Pays-Bas et même un, en 1764, dans le Nord de la France à Esquermes-lès-Lille66. En sa compagnie, il put faire un nouveau voyage d’études aux Pays-Bas en 1777.

Ces différentes enquêtes lui permirent de constater que l’avantage des Hollandais tenait à toute une série de détails concernant l’organisation du travail, et non pas seulement à la présence des cylindres. Son point de vue, exprimant la confiance croissante qu’on avait dans la capacité des sciences, surtout celles dites appliquées, à améliorer les arts, s’était élargi par rapport à celui de ses devanciers. Il ne s’agissait plus de s’en tenir aux questions mécaniques, mais d’analyser l’enchaînement des opérations nécessaires à l’obtention de bons papiers :

J’attribuais ces qualités inestimables du papier de Hollande à certaines manipulations délicates que n’avaient pas saisi ceux qui s’étaient occupés de l’introduction des cylindres en France67.

Et même si Guettard et Lalande n’avaient pas éludé la question, Desmarets n’hésitait plus à aborder de front la nature chimique et physique du papier, les facteurs d’obtention d’une bonne pâte, ce qui faisait que le papier hollandais était jugé plus doux, plus lisse, plus blanc, mais aussi plus cassant et donc impropre à l’impression :

Ce tissu plus serré, ce feutrage plus complet de l’étoffe de papier de Hollande, présente un obstacle à l’impression parfaite des caractères et des tailles de la gravure, tandis que le papier de France, étant d’une pâte moins serrée, cède facilement à l’effort de la presse de l’imprimeur ou du taille-doucier et rend avec précision les moindres traits68.

On reconnaît ici le rôle grandissant de la chimie, à la veille, faut-il le rappeler, de connaître sa révolution théorique. L’importance reconnue des travaux de Desmarest fit que non seulement, ils finirent par être publiés dans les mémoires de l’Académie, mais qu’ils furent diffusés auparavant par le Contrôle général auprès des intendances, avant de faire l’objet d’un long article paru dans le tome V de l’Encyclopédie méthodique (1787).

On vit ainsi à partir des années 1770 une succession de créations d’entreprises, dont les plus célèbres furent celles d’Annonay et d’Essonnes. La nouveauté par rapport à la période précédente fut une implication plus directe d’abord des fabricants et marchands de papier, puis des imprimeurs et libraires. L’ampleur des capitaux nécessaires au démarrage de telles entreprises, pour financer l’acquisition et l’aménagement des sites, les constructions de bâtiments, la constitution de stocks importants de chiffons et de papiers, l’acceptation enfin de créances aux imprimeurs et aux éditeurs, provoqua également l’implication grandissante de financiers, souvent, par ailleurs, bibliophiles, collectionneurs et animateurs de salons littéraires et philosophiques. Une telle mobilisation est certainement à mettre en relation, sans que l’on puisse cependant démêler tous les fils des réseaux en cause, avec la croissance de l’édition et avec le montage de grandes entreprises éditoriales réclamant toujours plus de moyens. Les plus connues furent les diverses rééditions de l’Encyclopédie 69, consécutives au rachat des droits effectués pour 200 000 livres, en décembre 1768, par les libraires parisiens Charles-Joseph Panckoucke70 et Nicolas Desaint71, et par le marchand papetier Jacques Chauchat, beau-père de ce dernier72 : l’opération donna lieu à une cascade d’entreprises constituées dans le cadre de consortiums internationaux opérant à Amsterdam, à Livourne et dans différentes villes suisses. Il y eut aussi la poursuite de l’édition de la monumentale Histoire naturelle de Buffon, qui fit l’objet à partir de 1769 (pour les t. XVI à XXIV, consacrés aux oiseaux) d’une association avec le même Panckoucke73. On notera, enfin, l’opération prometteuse, mais en partie avortée, d’une Description générale et particulière de la France, initiée par le fermier-général Jean Benjamin de Laborde, musicien et écrivain à ses heures74, et le libraire et premier imprimeur du roi, déjà nommé, Philippe-Denis Pierres. Seuls deux volumes parurent, en 1781 et 178275, sur la Bourgogne et le Dauphiné. Pour ce dernier, l’académicien Jean-Étienne Guettard, celui-là même qui s’était penché trente ans plus tôt sur la fabrication de papier à partir de végétaux, donna une remarquable « Minéralogie du Dauphiné ».

Il n’apparaît pas dans ces différentes entreprises de relations directes avec l’industrie papetière, ni même d’actions concrètes visant à améliorer la fourniture de papier. En fait, les seuls exemples concernant ce genre d’intervention avant la fin des années 1770 restent isolés, correspondant à des expériences apparemment éphémères : l’intervention vers 1760 d’un libraire imprimeur de Dijon nommé Desventes dans la création d’une papeterie à cylindres à Vougeot en Bourgogne 76, et un peu plus tard l’action d’un certain Gonin, libraire à Clermont-Ferrand et propriétaire d’un moulin à papier où il fut question en 1769 d’installer une sorte d’école de papeterie77.

Dans ces conditions, le premier éditeur à investir directement dans l’industrie papetière pourrait bien être Beaumarchais pour sa célèbre édition des œuvres complètes de Voltaire78. Ayant réussi à acquérir de Panckoucke les manuscrits du philosophe, grâce aux gains réalisés dans la fourniture de fusils aux insurgés américains, l’auteur du Barbier de Séville fit en effet, pour cette monumentale entreprise (dite édition de Kehl, du nom de la ville limitrophe de Strasbourg où elle démarra à partir de 1780), l’acquisition de plusieurs papeteries vosgiennes des environs d’Épinal, notamment celles d’Arches, de Plombières et de Docelles. L’édition porta sur 70 volumes in-8o ou 92 in-12, tirés respectivement à 28 000 et 15 000 exemplaires, et d’un prix variant d’ailleurs en fonction de la qualité du papier utilisé.

ANNONAY, COURTALIN ET ESSONNES

C’est manifestement à l’action de N. Desmarest qu’est due l’installation chez les Montgolfier à Annonay de cylindres hollandais et plus généralement de tout l’équipement permettant d’obtenir ce qui faisait la supériorité du papier des Pays-Bas, en particulier un dispositif d’étendoir pour le séchage des feuilles après l’encollage79. L’installation fut confiée à Jean-Guillaume Écrevisse, qui arriva à Annonay en mai 1780 et y resta jusqu’en août 1781. La fabrique des Montgolfier comme celle voisine des Johannot était déjà réputée pour la qualité de sa production. Mais si Desmarest choisit d’en faire une entreprise pilote, après une tentative avortée à Angoulême, et s’il trouva un écho auprès des Montgolfier, plutôt qu’à Thiers ou à Ambert, c’est sans doute parce que ceux-ci fréquentaient à Paris les cercles des Lumières. Étienne (1745-1799), en particulier, avait fait des études d’architecture chez J. G. Soufflot avant de rejoindre l’entreprise familiale en 177280 . Avec son frère Joseph, c’est lui qui réalisa les premières expériences d’ascension en ballon, d’abord à Annonay, puis à Paris en procédant au fameux vol de septembre 1783 chez le fabriquant de papiers peints du faubourg Saint-Antoine, Jean-Baptiste Réveillon81.

Réveillon avait fondé sa célèbre manufacture en 1761 et connaissait parfaitement le papier, la variété de ses qualités comme ses techniques de fabrication. Il avait d’ailleurs été d’abord marchand de papier au centre de Paris, rue de l’Arbre-Sec82. Comme, pour le papier peint, il fallait employer une sorte particulière, le papier velouté, dont les Anglais étaient les maîtres, Réveillon, pour en développer la production en France, fit l’acquisition en 1771 d’ une manufacture créée en 1767 à Courtalin, près de Coulommiers, par un marchand mercier parisien Étienne-Louis Delagarde. Pour la moderniser et l’agrandir, il fit appel au jeune architecte Étienne Montgolfier83, et il s’appuya aussi sur les deux fils de l’ancien propriétaire, Jean-Louis et Barthélemy Delagarde. Le premier s’occupera même pendant quelque temps, en 1786, de gérer la papeterie d’Arches pour le compte de Beaumarchais. Quant au second, Barthélemy (1757-1841), comme il se montrait « d’une intelligence supérieure pour ce genre de travail »84, Réveillon l’envoya visiter les papeteries de Flandre et d’Allemagne, et il accompagna Desmarest lors de son second voyage en Hollande en 177785. C’est en papier de Courtalin, en tout cas, que fut confectionné en 1783 le doublage de la toile des premières Montgolfières.

L’initiative des Montgolfier comme celle de Réveillon, n’était pas directement liée à un besoin de papier d’impression : on fabriquait dans leurs manufactures toutes sortes de papiers. Dans l’histoire d’Essonnes, par contre, la demande des imprimeurs paraît avoir joué un rôle primordial. Ce sont, en effet, d’importants papetiers d’Ambert, les Sauvade, qui furent en 1775 les initiateurs de l’entreprise avec l’intention évidente de l’équiper de cylindres, alors qu’aucune fabrique d’Ambert n’en possédait encore86. Les débuts furent, en fait, très chaotiques. Reprise à peine construite, en 1776, par la veuve Durup87, sans qu’on comprenne pourquoi les Sauvade ont abandonné si tôt l’affaire, elle passa fin 1778 aux mains d’une société qui comptait parmi ses associés, l’ingénieur du roi Pierre-Antoine Dransy. De formation plutôt hydraulicienne, celui-ci avait été en 1761 l’introducteur de la mouture économique aux moulins de Corbeil. Mais l’affaire ne fonctionnait toujours pas, et les financiers de l’entreprise, parmi lesquels Armand Leclerc, ancien associé de Duponty dans le projet d’Étampes, firent appel à Écrevisse qui, quittant Annonay, vint s’installer à Essonnes en août 1781. Écrevisse modifia de fond en comble ce qu’avait fait Dransy, ce qui confirmait bien que l’innovation hollandaise ne se réduisait pas à une simple question de mécanique88. À partir de là, la papeterie d’Essonnes, équipée d’au moins huit cuves et de deux cylindres, ce qui en faisait l’une des plus grandes de France, connut un fort développement et semble avoir pris une place significative sur le marché du papier d’impression, place malheureusement difficile à estimer.

UN CORTÈGE D’INNOVATIONS FINALES : IMPRIMERIE ET PAPETERIE

À ces entreprises modernes, il convient d’ajouter celle des Johannot, concurrents des Montgolfier à Annonay ; celle de Saussay (près d’Anet), que reprirent en 1782 les grands fabricants de papiers peints Arthur et Grenard89 et qu’ils revendirent en 1786 à Pierre-François Lefort, dont le fils était marchand de papier à Paris90 ; celle que l’imprimeur du roi, Étienne Alexandre Jacques Anisson-Duperron établit à Buges en 1787, en société avec François-Alexandre Léorier de Lisle, l’ancien directeur de Langlée91 ; celle, enfin , que créa à Coye (près de Chantilly), toujours en 1787, le fabricant de cartes à jouer Jacques Guillaume Mandrou, parent par sa femme des Didot92. Ces initiatives traduisaient un meilleur usage des cylindres, dont les mécanismes avaient été améliorés et qui, partiellement évidés, étaient devenus plus légers.

On avait compris, cependant, que cela ne suffisait pas à améliorer la qualité du produit et à garantir l’approvisionnement en matières premières, questions qui continuaient d’autant plus à préoccuper fabricants et savants, qu’avec la progression de la production se posait de façon de plus en plus pressante le problème de la fourniture de chiffons en quantité et qualité suffisantes. Les meilleurs étaient ceux qui venaient des villes de province : ceux de Bourgogne étaient très appréciés à Ambert, tandis que ceux de Paris étaient jugés moins bons car trop usés et trop lessivés. C’est Léorier de Lisle qui, en la matière, se livra aux expériences les plus intéressantes. Arrivé à la direction de Langlée en 1775, il reprit les travaux de Guettard et se livra à divers essais d’emploi de végétaux, ce qui lui permit de faire imprimer en 1784 le petit recueil de poésie de Marie-Joseph Hippolyte Pélée de Varenne, Les Loisirs des bords du Loing, sur un papier fabriqué avec des herbes, des écorces de tilleul et de la soie. Il renouvela l’expérience en publiant en 1786, les Œuvres du marquis de Villette, protégé de Voltaire, imprimées pour partie sur papier d’écorce de tilleul et pour partie sur papier de guimauve93. Ces recherches firent l’objet en janvier 1787 d’un rapport avantageux à l’Académie des sciences, lu par Lavoisier, Sage et Berthollet et publié peu après dans le Journal de Paris et le Journal d’Histoire naturelle94 . Il faut rappeler, enfin, les expériences concernant le blanchiment au chlore selon les principes découverts par Berthollet en 1787 : destinées entre autres à permettre l’utilisation des toiles peintes une fois décolorées, elles ne commencèrent, il est vrai, que durant la Révolution, principalement pour subvenir aux énormes besoins réclamés par la fabrication des assignats. Il y eut d’abord les appareils que Pajot Descharmes installa avec Barthélemy Delagarde à la papeterie de Courtalin95, puis ceux d’Essonnes en l’an II96.

En cette fin de siècle, les inventions touchant le domaine de l’imprimerie se multiplièrent. La presse d’abord fit l’objet de diverses améliorations, promues par plusieurs grands imprimeurs : presse à un coup, imaginée indépendamment par Étienne Anisson-Duperron et par François-Ambroise Didot, en 1783, et presse dite à bascule de Philippe-Denis Pierres97 (1784). Il y eut aussi les premières tentatives d’impression stéréotype, à partir d’une planche moulée d’un seul bloc, ce qui évitait d’avoir à recomposer le texte en caractères mobiles à chaque réimpression. Là aussi, P.-D. Pierres se montra pionnier : il fit des essais dès 1773, et présenta en 1786 la planche coulée en cuivre d’une page du roman de Mme Daubenton, Zélie dans le Désert, ce dont le Journal de Paris se fit l’écho98. Cette même année 1786, des imprimeurs alsaciens, F. I. J. Hoffmann et fils, installés rue Favard, lancèrent l’imprimerie dite « polytype », au procédé réputé secret. Ils entreprirent aussi l’édition d’un Journal polytype des sciences et des arts qui accueillit des articles de Lavoisier, Berthollet et Monge, mais qui cessa de paraître dès février 178799.

C’est sans doute cette quête insatiable de nouveautés qui incita certains libraires-imprimeurs à s’intéresser directement au papier. Il y eut d’abord l’invention du papier vélin, que John Baskerville avait, en fait, réussi à fabriquer dès 1750 en Angleterre : un papier sans grain, soyeux et lisse, ne présentant aucune trace de vergeures, était obtenu en utilisant comme tamis pour couler la pâte une fine toile métallique. La mise au point en fut réalisée, en autres, vers 1780 à Courtalin par Delagarde et Réveillon, qui, pour leurs papiers peints, avaient avantage à employer des papiers unis100. Leurs papiers vélins furent, cependant, utilisés aussi pour l’édition, notamment par P.-D. Pierres qui fit imprimer en 1782 sur ce coûteux support cinquante exemplaires des Œuvres morales de Plutarque. Mais la découverte fut parallèlement revendiquée par François-Ambroise Didot et par les Johannot d’Annonay, qui se targuaient d’employer une toile de fil de laiton fabriquée en France101. L’Académie des sciences, sollicitée pour donner un avis, préféra prudemment ne pas trancher et récompenser tout le monde en 1783102.

La meilleure façon pour les imprimeurs d’influer sur la production du papier était cependant de devenir fabricant : c’est ce que fit, on l’a vu, Anisson-Duperron avec l’entreprise de Buges. Le cas le plus significatif reste néanmoins celui des Didot : François-Ambroise, dit Didot aîné (1730-1801), et Pierre-François, dit Didot jeune103 (1732-1795), se firent d’abord remarquer par l’invention autour de 1780 de nouveaux caractères d’imprimerie qui eurent rapidement un énorme succès et pour l’emploi desquels, du reste, le papier vélin convenait parfaitement104. Plus tard (1798), Pierre et Firmin Didot, fils de Didot aîné, se lancèrent aussi dans l’édition stéréotype. Associés temporairement avec un autre imprimeur Louis Étienne Herhan, ils vendaient non seulement des ouvrages tirés sur papier, mais aussi des planches gravées, en laissant à d’autres le soin de réaliser le tirage105. L’un des premiers ouvrages proposés fut un Virgile in-12 d’environ 400 pages. L’investissement direct dans l’industrie papetière fut, d’abord, le fait de Didot jeune : en mars 1789, il se porta acquéreur de la papeterie d’Essonnes, opération qui intervint, notons-le, deux ans après la fondation par Mandrou, cousin par alliance, de la papeterie de Coye106. Cette acquisition, dont il tira immédiatement parti pour ses éditions107, sera bientôt à l’origine d’une nouvelle phase de l’histoire papetière. C’est à Essonnes, en effet, qu’un employé de Léger Didot, Nicolas-Louis Robert, mit au point en 1799 la machine à papier dont l’arrivée bouleversa au XIXe siècle les conditions d’exploitation tant de l’industrie papetière que de l’édition108.

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1 Archives de l’Académie des sciences, dossier « Description des arts et métiers ».

2 Il s’agit vraisemblablement du procédé que C. Pajot Descharmes, ancien inspecteur des Manufactures, cherchait à appliquer dans un atelier de décoloration monté à Bercy en 1791.

3 Henri-Jean Martin, « Une croissance séculaire », dans Histoire de l’édition française. Tome II. Le livre triomphant 1660-1830 (ci-après HEF ), dir. R. Chartier, H. J. Martin, Paris, Fayard, pp. 119-124.

4 Robert Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie. Un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin, 1982, pp. 45-47.

5 H. J. Martin, « Une croissance… », art. cité, p. 121.

6 Paul Dupont, Histoire de l’imprimerie, t. I, Paris, 1864, p.1 77.

7 Bruno Jammes, « Le livre de science », dans HEF, II, ouvr. cité, p. 259-261.

8 Frédéric Barbier, Histoire du livre, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2009, pp. 195-209.

9 R. Darnton, ouvr. cité.

10 Pierre Rétat, « L’âge des dictionnaires », dans HEF, II, ouvr. cité, p. 232.

11 Daniel Roche, Le Peuple de Paris, Paris, Aubier (chapitre VII : « Les façons de lire »).

12 H. J. Martin, ouvr. cité, p. 118. Par comparaison, le nombre de presses existant en province était en 1764 de 697.

13 A.N., F12 2267. Visite du 3 mars 1787. Il s’agit du nombre de presses montées.

14 Entre 57 % et 61 % pour la réédition de l’Encyclopédie en 1777. Robert Darnton, ouvr. cité, p. 152.

15 Madeleine Pinault, « Dessins pour un art de l’imprimerie », dans Actes du 112e congrès national des sociétés savantes, Lyon, 1987, Histoire des Sciences, Paris, CTHS, t. II, pp. 73-85. Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de l’Institut de France (ms. 2393).

16 Des Arts de construire les caractères, de graver les poinçons de lettres, de fondre les lettres, d’imprimer les lettres et de relier les livres, 1703 (Paris, Bibl. de l’Institut de France, ms. 2741).

17 Cité par Antoine-François Momoro, Traité élémentaire de l’imprimerie ou le manuel de l’imprimeur, Paris, 1787, p. 275 (article « Polytypie »).

18 Jean-Louis Boithias, Corinne Mondin, Les Moulins à papier et les anciens papetiers d’Auvergne, Nonette, Éditions Créer, 1981, p. 56 (à partir d’un « État des moulins à papier de l’Auvergne en 1717 »).

19 Sur les particularités du papier de Hollande, voir J. de Lalande, Art de faire le papier, Paris, 1761, et Nicolas Desmarest, « Premier mémoire sur les manipulations qui sont en usage dans les papeteries de Hollande, avec l’explication physique des résultats de ces manipulations », dans Mémoires de l’Académie royale des sciences de Paris. Année 1771, Paris, 1774, p. 335.

20 J. de Lalande, ouvr. cité, p. 503.

21 Pierre-Claude Reynard, Histoire de papier. La papeterie auvergnate et ses historiens, Clermont-Ferrand, Presses univ. Blaise-Pascal, 2001.

22 J. de Lalande, ouvr. cité, p. 503.

23 Alexandre Nicolaï, Histoire des moulins à papier du Sud-Ouest de la France (1300-1800). Périgord, Agenais, Augoumois, Soule, Béarn, t. I, Monein, Éd. Pyremonde, 2009.

24 Martine Tandeau de Marsac, Raymonde Georget, « Papiers, papeteries et papetiers en Limousin à la fin du XVIIIe siècle », dans Les Imprimés limousins, 1788-1799, dir. Michel Cassan, Jean Boutier, Limoges, PULIM, 1994, p. 103.

25 Marie-Hélène Reynaud, Les Moulins à papier d’Annonay à l’ère pré-industrielle, les Montgolfier et Vidalon, Annonay, Éd. du Vivarais, 1981. Léonard N. Rosenband, La Fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805, Rennes, Presses univ. de Rennes, 2005.

26 Bilan de l’industrie papetière française à la fin du XVIIIe siècle, dans Louis André, Machines à papier. Innovations et transformations de l’industrie papetière en France 1798-1860, Paris, Éd. de l’E.H.E.S.S., 1996, p. 38.

27 Les différentes catégories du tarif de 1741 se trouvent dans J. de Lalande, ouvr. cité, p. 522. Elles figurent aussi dans Savary Des Bruslons, Dictionnaire universel du commerce. Nouvelle édition, t. IV, Paris, 1762 (article « Papier »).

28 Savary Des Bruslons, ouvr. cité ; A. F. Momorot, Traité élémentaire de l’imprimerie, ouvr. cité, p. 247 (article « Papier d’impression ») ; Savary Des Bruslons cite aussi le lombard (57,5 sur 48,5 cm), une sorte qui parait s’être dépréciée pour désigner ensuite surtout du papier d’emballage.

29 Mémoire sur l’administration des papeteries, par Subito, papetier à Darnétal, vers 1780 (A.N., F12 1477).

30 Benoit Dufournier, « Usages anciens du papier : remarques sur le papier d’emballage avant la mécanisation », dans Autour de l’industrie : histoire et patrimoine, Mélanges offerts à Denis Woronoff, dir. Jean-François Belhoste, et al., Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, pp. 489-518.

31 Christine Velut, Décors de papier. Production, commerce et usages des papiers peints à Paris, 1750-1820, Paris, Éd. du patrimoine, 2005 (condensé de sa thèse soutenue à l’université Paris 1 sous la dir. de Daniel Roche en 2001) : cf. chap. III, « Un support parfois capricieux : le papier », pp. 308-343.

32 L. Ph. Le May, « Histoire et Sources de l’Encyclopédie », dans Revue de Synthèse, VIII, 1938. Il doit s’agir de César Guillaume Bailly, garde du corps de la Mercerie de Paris, qui associa en février 1759 son fils Jean-Baptiste François à son commerce parisien de papier en gros. A.N., MCNP, étude XXXIX, 604, 18 juillet 1786, inventaire après décès de C. G. Bailly. Son autre fils Guillaume Luc était libraire à Paris (Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris…, t. I, A-C, éd. F. Barbier, et al., Genève, Droz, 2007, p. 111.

33 Michel Cohendy, Gilbert Rouchon, « L’industrie en Auvergne au XVIIIe siècle », dans Revue d’Auvergne, 1894, p. 203.

34 Notamment par J. de Lalande, ouvr. cité, p. 502.

35 A. Chevalier, « La matière première… », art. cité, p. 41.

36 J. de Lalande, ouvr. cité, p. 502.

37 Philippe Minard, Typographes des Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 1989, p. 61, et d’après l’« Etat d’une imprimerie destinée à entretenir huit presses roulantes », [s. d.], BnF, mss, f o fr. 22123, pièce 45.

38 Hurtaut et Magny, Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, t. III, Paris, 1779, p. 200.

39 P. C. Reynard, Histoire de papier, ouvr. cité, p. 106 : 11 545 livres poids de marc en 1757, 18 900 en 1776. C’est l’occasion de signaler, comme le soulignait le Dictionnaire universel du commerce (ouvr. cité, p. 687) que les papiers d’Auvergne, c’est-à-dire ceux d’Ambert et de Thiers, étaient les seuls du royaume à être payés au poids, les autres étant payés à la rame.

40 Comme cela ressort de l’étude des filigranes où apparaissent les noms des principaux fabricants (Artaud, Chapon, Dupuy, Sauvade, Vimal…) Michel Boy, Histoire de la papeterie livradoise, dans Chroniques historiques du Livradois-Forez, no 27, 1995. L’étude systématique des filigranes serait évidemment un bon moyen de progresser dans l’investigation.

41 Archives de l’Académie des sciences, dossier DG 31.

42 Robert Estier, Le Temps des épreuves : papeteries et papetiers auvergnats au siècle des Lumières (fin XVIIe-fin XVIIIe siècle), Gap, Louis-Jean, 1997, p. 84. Avec celles d’un autre parisien Boullanger, les commandes passées par ces deux imprimeurs représentaient couramment la moitié du chiffre d’affaire (autour de 80 000 livres) des Dupuy entre 1740 et 1780.

43 Apparemment 2 000 exemplaires en papier dit de Hollande.

44 Frédéric Barbier, Le Rêve grec de Monsieur de Choiseul. Les voyages d’un européen des Lumières, Paris, Armand Colin, 2010, p. 123. Les exemplaires courants furent imprimés sur Grand Jésus d’Ambert, fabriqué en 1775.

45 Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre, ouvr. cité, p. 140.

46 R. Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie, ouvr. cité, p. 154. Sur 1 645 rames, le fabriquant d’Ambert, Vimal, en fournit 431, et celui de Meslières 930.

47 Inventaire après décès du 4 octobre 1788. A.N., MCNP, Et. LXXXIII, 645. Figurait aussi Boullanger de Paris déjà rencontré comme acheteur des papiers de Dupuy de La Grandrive.

48 A.N., MCNP, Et. CXV ; Louis André, « La papeterie de Langlée : grande entreprise et innovation technique en France au XVIIIe siècle », dans Le Patrimoine industriel de la région de Montargis, Paris, Association pour l’étude et la diffusion des études historiques, 1991, pp. 5-27.

49 A. Nicolaï, Histoire des moulins à papier, ouvr. cité, p. 119 ; C.-J. Respinges Duponty, qualifié alors de négociant en gros, avait pris à bail le 24 février 1735 le moulin à papier de Colas à La Couronne (ibid., p. 130).

50 J. de Lalande (ouvr. cité, p. 4) souligne le peu d’informations concrètes alors disponibles en France sur la machine : « Les cylindres hollandais se trouvaient déjà dans des figures gravées à Amsterdam, mais avec de simples notes écrites en Hollandais… »

51 A.N., F12 83.

52 A.N., F12 2281. D’une « mécanique fort semblable à celle des moulins à café et à poudre », la machine était jugée pouvoir broyer les chiffons « très uniformément ».

53 Le fond social fut fixé à 500 000 livres, augmenté de 300 000 livres dès 1740.

54 Thierry Claeys, Dictionnaire biographique des financiers en France au XVIIIe siècle, Paris, Éd. SPM, t. II, pp. 415-418.

55 J. de Lalande indique qu’il proposa aussi un nouveau système d’armure des pilons d’une seule pièce en fer cannelé (ouvr. cité, p. 431).

56 A.N., MCNP, Et. XXXV, 665, 21 janvier 1751. Le préambule de l’acte de société précise à son propos : « Ayant fait diverses recherches, il avait, après un travail de plusieurs années, trouvé le secret de la fabrication d’un papier égal à celui de Hollande et d’une meilleure qualité. » Sur A. Leclerc, cf. T. Claeys, ouvr. cité, t. II, pp. 134-136.

57 Le mémoire qui avait fait l’objet d’une communication à l’Académie des sciences fut ensuite publié dans le t. I des Mémoires sur les différentes parties des sciences et arts, Paris, 1768 (ouvrage que l’auteur choisit de publier chez le libraire Laurent Prault devant les atermoiements de l’Académie). Dans l’avant-propos, il soulignait l’utilité attendue de ses diverses expériences, notamment celles qu’il avait faites sur la porcelaine et, concernant le papier, il rappelait : « C’est encore en vue de quelque utilité à une autre branche des Arts que j’ai fait imprimer dans le Journal Œconomique, il y a quelques années, un Mémoire sur les matières qui peuvent être employées à faire du papier. »

58 En particulier d’y installer « 45 pillons de fer de la nouvelle façon, de la nouvelle machine appelée raffineuse (…) et des étendoirs en tringles de sapin pour étendre le grand papier ».

59 Auguste Lacroix, Historique de la papeterie d’Angoulême, Paris, 1862, p. 18. Des expériences furent d’abord effectuées au moulin du Verger ou Puy Moyen, en présence de Turgot et de l’académicien Duhamel Du Monceau, et des échantillons envoyés au Contrôle général. L’installation à Montbron nécessita ensuite de gros travaux hydrauliques et la pose, entre autres, de deux grandes roues sur un modèle fourni par le marquis de Montalembert.

60 Société créée le 17 septembre 1762. Cf. Henry Lacombe, Contribution à l’histoire de la papeterie en France, Grenoble, Éd. de l’industrie papetière, 1933, cité par A. Nicolaï, ouvr. cité, p. 126.

61 Rosenband, La Fabrication du papier, ouvr. cité, p. 66.

62 Copie des lettres de Lalande à Duponty sont conservées aux archives dép. de la Charente, 1C-6. À la date de juillet 1760, on lit : « J’avais ouï faire l’éloge de votre zèle soit à l’Académie, soit à Montargis, où j’ai admiré vos succès… » Et plus loin : « J’ai été enchanté de la bonté du papier imité de Hollande que vous m’avez envoyé, et qui est votre ouvrage. Il me semble que, dans le vrai, il est d’une meilleure qualité que le papier de Hollande. Mais pourquoi aime-t-on mieux celui de Hollande, qui est plus cassant et qui a un œil noirâtre ? » Cf. P. Poyet, « Bibliographie limousine. Papeterie », dans Bull. de la Sarchéol. et hist. du Limousin, t. XII, 1862, p. 134.

63 A.N., F12 1479. Léonard N. Rosenband, « Nicolas Desmarest and the Transfer of Technology in Old Regime France », dans The Modern Worlds of Business and Industry : Cultures, Technologies, Labor, éd. Karen Merill, Turnhout, Brepols, 1999. pp. 103-120.

64 Poyet, « Bibliographie limousine. Papeterie », art. cité.

65 « Mémoire pour M. Desmarest », 7 septembre 1792 (A.N., F12 1479).

66 A.N., F12 1478B ; Eugène Creveaux, « Un grand ingénieur papetier, Jean-Guillaume Écrevisse, collaborateur de Nicolas Desmarest », dans Contributions à l’histoire de la papeterie en France, vol. 5, Grenoble, Éd. de l’industrie papetière, 1937, pp. 21 et suiv.

67 « Premier Mémoire sur les principales manipulations qui sont en usage dans les papeteries de Hollande, avec l’explication physique des résultats de ces manipulations », dans Mémoires de l’Académie royale des sciences de Paris, Paris, 1774, pp. 336 et suiv. Sans doute est-ce Duponty que Desmarest avait connu à Angoulême, qui était visé. Il ajoutait d’ailleurs : « Je n’étais pas ébranlé par les discours vagues de quelques-uns des fabricants français qui, ayant visité des moulins hollandais, m’assuraient n’y avoir vu que ce qui se fabrique journellement dans les nôtres… »

68 Ibid., p. 356.

69 Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie, ouvr. cité, p. 34.

70 Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française, 1736-1789, Paris, Pau, Marrimpouey, 1977.

71 Sur l’activité de Jean (1688-1776) et de Nicolas (1731-1771) Desaint, cf. Sabine Juratic, « Publier les sciences au XVIIIe siècle : la librairie parisienne et la diffusion des savoirs scientifiques », dans Dix-huitième siècle, no 40, 2008, pp. 301-313. Les Desaint étaient imprimeurs des mémoires de l’Académie des sciences depuis 1760. Ils étaient aussi liés à Lalande, dont ils publièrent en 1764 le Traité complet d’astronomie théorique et pratique.

72 Contrat de mariage entre Nicolas Desaint, fils de François, libraire à Beauvais, et Catherine Michelle Chauchat, fille de Jacques, marchand mercier, le 18 février 1759 (A.N., MCNP, Et. CI, 488).

73 Suivie d’une société formée en 1779 avec un capital considérable de 450 000 livres. Henri-Jean Martin, « L’Histoire naturelle de Buffon », dans HEF, t. II, p. 263. George B. Watts, « The Comte of Buffon and his friends the publisher Charles-Joseph Panckoucke », dans Modern Language Quaterly, Duke University Press, 1957, pp. 313-322.

74 Il s’était chargé d’abord, en 1780, du financement de l’édition des Tableaux pittoresques, physiques, historiques, moraux, politiques, littéraires de la Suisse, et avait publié la même année chez Pierres, un Essai sur la musique ancienne et moderne.

75 À propos des aléas de cette entreprise, cf. le témoignage suivant : « Il [Laborde] s’associa à des capitalistes, des gens de lettres et des artistes célèbres : la société dépensa plus de cinquante mille écus ; mais une foule de circonstances la contraignit à suspendre ses travaux, et même à se dissoudre » (Pensées et maximes de Jean-Benjamin de Laborde, précédées d’une notice historique sur la vie et les ouvrages de ce littérateur, Paris, Lamy, an X, p. XXIV).

76 Lalande, ouvr. cité, p. 456.

77 Le projet émanait de Desmarest qui avait déjà envisagé auparavant de la fonder en Limousin avec les Barbou de Limoges. P. Poyet, « Biographie limousine. Papeterie », ouvr. cité, p. 124.

78 Dictionnaire des imprimeurs, ouvr. cité, p. 191.

79 Rosenband, ouvr. cité, p. 79.

80 Ibid., p. 50.

81 Charles-Coulston Gillispie, Les Frères Montgolfier et l’invention de l’aéronautique, Paris, Actes Sud, 1989.

82 Velut, ouvr. cité, p. 25.

83 Alain Dailly, La Seine-et-Marne, berceau du papier-monnaie. Essai sur la manufacture de Courtalin, la papeterie du Marais et l’usine de Biercy , Le Mée-sur-Seine, Éd. Amatteis, 1996, pp. 18-19.

84 A.N., F12 1477.

85 Dailly, ouvr. cité, p. 21.

86 Louis André, « La papeterie d’Essonnes, des Didot à Robert », dans La Revue [du Musée des arts et métiers], no 36, septembre 2002, pp. 20-27. Étaient associés dans l’affaire Jacques Sauvade de Richard, fabriquant de papier à Ambert, et son frère Jacques, prêtre à Saint-Étienne.

87 A.N., MCNP, Et. XCVI, 483 (3 juillet 1776).

88 A.N., MCNP, Et. XLV, 573 (accord entre les associés en date du 17 mai 1781).

89 A.N., MCNP, Et. LVI, 256 (27 février 1782).

90 A.N., MCNP, Et. XLII, 633 (15 novembre 1786).

91 A.N., MCNP, Et. LXXXIII, 640 (26 novembre 1787).

92 Benoît Dufournier, « Les anciennes papeteries de Coye-la-Forêt », dans Quadrilobe. Histoire et Patrimoine de Picardie, no 2, 2007, pp. 117-138.

93 Les dernières pages étaient même faites de 17 végétaux différents dont l’ortie, la mousse, le chiendent, le roseau et le houblon. En tête du volume, Léorier de Lisle expliquait : « J’ai soumis à la fabrication du papier toutes les plantes, les écorces et le végétaux les plus communs. J’ai voulu prouver qu’on pouvait substituer aux matières premières ordinaires du papier qui deviennent chaque jour plus rares, d’autres matières les plus inutiles. »

94 Lucien Scheler, « Antoine-Laurent Lavoisier et le Journal d’histoire naturelle », dans Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 1961, t. XIV, no 1, pp. 1-9. C’est Anisson-Duperron qui avait introduit Léorier de Lisle à l’Académie, ce qui explique leur future association à Buges (A.N., F12 2281).

95 « Notes sur les applications faite en France du chlore », art. cité, p. 2.

96 Louis André, « La papeterie d’Essonnes », art. cité, p. 25.

97 Maurice Audin, Histoire de l’imprimerie. Radioscopie d’une ère : de Gutenberg à l’informatique, Paris, Picard, 1972, p. 224.

98 Armand-Gaston Camus, Histoire et procédés du polytypage et de la stéréotypie, Paris, 1801.

99 Le journal présentait trois sections : Arts utiles, Sciences et Arts agréables.

100 Dailly, ouvr. cité, p. 27.

101 On raconte que c’est Benjamin Franklin qui, lorsqu’il séjournait en France, fréquentait l’imprimerie de F. A. Didot et aurait fait connaître à ce dernier l’invention de Baskerville.

102 A.N., F12 2281.

103 Sur les Didot, cf. André Jammes, Les Didot. Trois siècles de typographie et de bibliophilie, Paris, Agence culturelle de Paris, 1998. Inutile de dire que les Didot se trouvaient au centre d’un large réseau familial présent dans tous les métiers de l’édition et de l’impression. Henri Didot, fils de Pierre-François, avait épousé Thérèse Angélique Saugrain et avait deux beau frères libraires, Antoine François Saugrain et Pierre Plassan ; son frère, Léger Didot, était le gendre d’un imprimeur en taille douce, Jacques Gamble.

104 Frédéric Barbier, « Les formes du livre… », dans HEF, t. II, p. 758.

105 Camus, ouvr. cité, p. 118. Herhan s’était intéressé dès 1789 aux procédés de stéréotypie, en compagnie de son beau frère Philippe Gengembre, futur mécanicien de la Monnaie. Les associés publièrent un 1798 un Prospectus d’éditions stéréotypes. Les planches, gravées dans une « matière dure », devaient être rangées dans une boîte d’acier.

106 Arch. dép. Oise, Et. I, 619 (26 mars 1789). Cette acquisition se fit avec la caution du négociant parisien Antoine Amable Boullanger, probablement marchand de papier en gros dont le patronyme a été mentionné à propos du commerce du papier d’Ambert. Boullanger, en fait, se retira rapidement.

107 C’est sur papier d’Essonnes que fut notamment tirée en 1789 l’édition in-18 de Paul et Virginie, « en faveur des dames qui désirent mettre mes ouvrages dans leur poche » (Bernardin de Saint-Pierre). L’auteur, dans son préambule, précisait : « M. Didot jeune, imprimeur de Monsieur, y a employé un caractère tout neuf, et des plus jolis de sa fonderie. De plus, ayant acquis la belle papeterie d’Essone [sic], maintenant papeterie de Monsieur, qu’il porte à la perfection, ainsi que son imprimerie, il a imprimé cette édition sur un fort beau papier, et il en a tiré un certain nombre d’exemplaires sur un papier vélin de sa composition, le premier de ce genre qui soit sorti de sa manufacture. Il a fait même examiner feuille à feuille les rames de ce papier, afin d’en retrancher toutes celles qui ne se trouveraient pas de la même nuance… » L’auteur épousa en 1792 la fille de son éditeur, Félicité Didot.

108 Louis André, « Au berceau de la mécanisation papetière. La papeterie d’Essonnes, des Didot à Robert », dans Les Trois Révolutions du livre, Paris, Musée des arts et métiers, Imprimerie nationale, 2002, pp. 277-282.