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Le monde dans le livre, le livre dans le monde : au-delà du paratexte

Sur le privilège de librairie dans la France du XVIIe siècle

Nicolas SCHAPIRA

Université Paris-Est EA3350 Analyse Comparée des Pouvoirs / Grihl (Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire)

Deux propositions formeront l’ossature de cet article. 1) La notion de « paratexte » permet de faire un pas décisif dans la compréhension des privilèges de librairie, ces lettres patentes par lesquelles le roi confère le monopole d’impression d’un ouvrage, pour un temps donné, à un auteur ou un libraire, et qui sont publiées au début ou à la fin du livre. Elle invite en effet à les lire et à les regarder comme des textes, elle fait ouvrir les yeux sur la diversité étonnante des discours qu’ils renferment. 2) Mais les lire, et prendre ainsi toute la mesure de leur nature hybride d’objets autonomes par rapport au livre et au texte et pourtant pleinement intégrés à l’économie matérielle et textuelle de celui-ci conduit, sinon à abandonner la notion de paratexte pour les décrire, du moins à mesurer ce qu’on gagne à raisonner, s’agissant de la librairie d’Ancien Régime, en termes de livres plutôt qu’en utilisant la dichotomie texte / paratexte.

Même si le parcours effectué par Gérard Genette dans (les) Seuils concerne plutôt la littérature des XIXe et XXe siècles, il est significatif que le privilège de librairie ne soit évoqué que par une note qui vise principalement à signaler son existence – il n’en sera plus question dans la suite de l’ouvrage. La note se conclut sur son « intérêt historique [qui] n’est jamais nul », lequel s’oppose implicitement à l’intérêt littéraire1. La démarche de Gérard Genette s’arrête donc au privilège de librairie, victime sans doute de sa réputation d’écrit officiel à l’enjeu purement économique, juste bon, pour le chercheur, à documenter le texte auquel il est accolé – du contexte sans texte, en somme. De fait, les bibliographes et les critiques fréquentent de longue date les privilèges de librairie pour y chercher des renseignements sur ouvrages et auteurs. Des thèses d’histoire du droit se sont employées à décrire le système des privilèges de librairie, dont la connaissance a été profondément renouvelée à partir des années 1960 par l’histoire du livre: plusieurs chapitres de la thèse fondamentale d’Henri-Jean Martin lui sont consacrés et, vingt ans plus tard, les privilèges occupent une place de choix dans l’Histoire de l’édition française, tandis qu’une historienne américaine a décrit leur invention au tournant des XVe et XVIe siècles2. Ils sont ainsi devenus un objet emblématique de l’histoire du livre : non seulement ils correspondent parfaitement à son questionnaire, centré sur les conditions de production et de commercialisation des ouvrages, mais ils offrent cet avantage de l’arrimer solidement au grand récit de la construction de l’État moderne, qui a utilisé le privilège comme un outil de contrôle de la circulation proliférante des imprimés.

Pour reconstituer le régime des privilèges de librairie, du moins pour le XVIIe siècle, les historiens du livre se sont appuyés sur les ordonnances royales ainsi que sur les premiers registres de privilèges de la chancellerie, mais ils ont aussi parcouru assidûment les lettres patentes contenues dans les livres, pour y rechercher les inflexions fines de l’action royale. Henri-Jean Martin a pu ainsi montrer par ce dernier moyen comment, sous le ministériat de Richelieu, certains grands libraires fidèles au pouvoir avaient été avantagés par la délivrance de privilèges d’une durée exceptionnelle – un aspect majeur de la tentative de contrôle du monde potentiellement dangereux des libraires parisiens dans ces années-là3. L’étude des privilèges a également été, pour l’histoire du livre comme pour la sociologie de la littérature, un moyen de mieux comprendre la naissance du droit d’auteur4. L’histoire du livre a aussi résolument inscrit le privilège de librairie parmi les objets susceptibles d’aider à reconstituer des aventures éditoriales, comme en témoigne exemplairement le récent article de Jean-Dominique Mellot relatif aux privilèges de l’Astrée, dans un numéro de revue consacré à ce best-seller du XVIIe siècle5. Ces travaux n’ont pourtant pas élevé la lettre de privilège au rang d’élément du paratexte : elle n’y est pas mise en rapport avec le texte, et n’est pas considérée comme un « seuil » par lequel passait aussi le lecteur du XVIIe siècle.

Du côté des études littéraires, la banalisation rapide de l’usage de la notion de paratexte a englobé le privilège de librairie, mais lorsque le discours qu’il porte est interrogé (ce qui reste tout de même assez rare), c’est sans prendre en compte la spécificité de cet écrit revêtu de l’autorité royale – et qui est donc le produit d’un rapport historique entre auteurs, libraires et pouvoir, et aussi du regard, lui-même historiquement situé, que le pouvoir royal porte sur les productions de l’esprit faites livres6.

Or la notion de paratexte vise bien à saisir l’articulation du texte avec tout ce qui cherche à « assurer sa présence au monde » 7. Aussi se propose-t-on dans les pages qui suivent de l’utiliser comme un outil destiné à comprendre la dimension sociopolitique des privilèges de librairie du XVIIe siècle dans leur inscription historique. On mettra ainsi en rapport le succès des lettres de privilège comme espaces voués à des discours d’auteur avec le phénomène de la « littérarisation » des écrits au XVIIe siècle décrit par Christian Jouhaud : la prolifération des

productions scripturaires qui ne peuvent être identifiées à une discipline de savoir s’incarnant dans un lieu fixe, un corps (l’Université par exemple) ou un statut social juridiquement garanti8.

Aux auteurs qui ont été tout à la fois acteurs et objets de la littérarisation, le privilège de librairie a fourni un lieu où leurs déclarations relatives à leur travail et à leur identité sociale se trouvaient garanties par l’autorité royale.

QUI EST L’AUTEUR DE LA LETTRE DE PRIVILÈGE DE LIBRAIRIE ?

Cette question est essentielle au regard de la démarche à l’œuvre dans Seuils : le paratexte y est d’abord affaire d’auteur, quand bien même une partie en est placé sous la responsabilité de l’éditeur (le « péritexte éditorial ») 9. Plus exactement la volonté de procurer, grâce à l’action des éléments paratextuels sur le lecteur, le meilleur accueil possible pour un livre – c’est ainsi que Gérard Genette définit globalement la fonction du paratexte – est toujours comprise comme étant celle de l’auteur, l’éditeur par exemple étant toujours présenté comme un allié de celui-ci dans la mise en œuvre de la stratégie déployée dans le paratexte. C’est peut-être d’ailleurs la raison qui a conduit Genette à écarter le privilège de librairie de son étude, en ce qu’il semble être de prime abord un élément imposé sous contrainte légale par une instance extérieure, et fondamentalement hétérogène au livre conçu par le couple éditeur/auteur. Or en réalité la lettre de privilège de librairie fait bien une place au discours de celui qui la requiert – l’auteur ou le libraire. En ce point, prendre un exemple peut être utile :

Louis par la grace de Dieu roi de France et de Navarre. A nos amez & feaux conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maistres des Requetes ordinaires de nostre Hostel, Baillis, Senechaux, Prevots, leurs lieutenants, & tous autres de nos Iusticiers & Officiers qu’il appartiendra, salut. Notre cher & bien-amé le sieur de Malleville l’un de nos gentilhommes servans, nous a fait remontrer, qu’il a esté adverty que quelques Libraires ayant recouvré plusieurs pièces manuscrittes tant en prose qu’en vers par luy composées, ont dessein de les faire imprimer sans son consentement, & parce que ladite impression ainsi faite illégitimement & en cachette, dépraveroit sans doute lesdites pieces par les fautes que les Imprimeurs y laisseroient couler, il s’est resolu à donner luy-mesme au public tous ses ouvrages, afin que l’impression qui en sera faitte, & de laquelle il prendra le soin, soit plus correcte, nous suppliant pour cet effect de luy accorder nos Lettres sur ce necessaires : A ces Causes, & autres bonnes considerations à ce nous mouvans, nous avons permis & permettons par ces presentes à l’exposant, de faire imprimer, vendre & debiter en tous les lieux de notre obeïssance, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, toutes les Œuvres par luy composéees, tant en prose qu’en vers, & ce en un ou plusieurs volumes, en telles marges, tels caractères, & autant de fois que bon luy semblera, durant le temps de dix ans entiers & accomplis…10

Ce privilège de librairie, délivré à Claude Malleville en 1639 pour le recueil de ses poèmes, qui ne paraîtra qu’en 1649, est rédigé comme n’importe quelle lettre patente ; le roi se nomme, indique à qui est adressée la lettre (« A nos amez & feaux… »), puis expose le motif de sa grâce, sous la forme d’une reprise de la demande du requérant ou « exposant » (Malleville) qui se trouve donc intégrée à la lettre patente. Puis le souverain peut ajouter ses propres raisons particulières de faire droit à la demande qui lui est soumise (« A ces causes, & autres bonnes considérations… ») avant d’accorder effectivement le privilège (« Nous avons permis et permettons… »).

Le régime d’auctorialité de la lettre patente est donc bien particulier : le discours du requérant est validé par l’acte royal qui, accordant ce qui était demandé par le discours en question, reconnaît son bien-fondé. A ses deux auteurs s’en ajoute un troisième : le secrétaire du roi chargé de dresser l’acte puis de l’authentifier en y apposant sa signature. La situation peut encore se compliquer si le privilège est au nom du libraire, mais que celui-ci dans sa requête, tienne discours sur l’auteur. C’est le cas dans la lettre patente pour l’Endymion de Jean Ogier de Gombauld, publié en 1624 chez le librairie parisien Nicolas Buon :

Nostre bien aymé Nicolas Buon, Marchand Libraire en nostre Ville de Paris ; nous a fait remontrer qu’il a recouvert un livre intitulé l’Endymion, composé par le sieur de Gombauld, pour l’embellissement duquel, & pour satisfaire au désir de la Reyne, nostre tres-honorée Compagne & Espouse : il a fait tailler plusieurs belles figures en taille douce, pour lesquelles il luy a convenu faire de grandes despences. Lequel livre il desireroit mettre en lumière, & faire imprimer, s’il avoit sur ce nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, luy avons permis & permettons…11

L’épître dédicatoire signée Gombauld qui ouvre le roman est adressée à Anne d’Autriche, et suggère qu’elle est le commanditaire de l’ouvrage, ce que le discours du privilège – lequel est placé juste après l’épître – vient confirmer : la voix de l’auteur du livre se retrouve, quoique de manière indirecte, dans la requête de l’éditeur.

Il y a donc du flottement autour de la responsabilité auctoriale des discours qui prennent place dans le privilège de librairie. Qui parle au fond dans le privilège, par delà le dispositif sophistiqué de la lettre patente ? Le roi ? L’auteur ? Un secrétaire ? On le verra, cette incertitude habite déjà les lecteurs du XVIIe siècle. En tout cas, si le privilège a été investi à ce moment-là par des discours relatifs aux hommes de lettres, c’est bien à cause de ce statut auctorial ambigu.

LES DISCOURS DES PRIVILÈGES DE LIBRAIRIE ET LEUR FONCTION AU XVIIe SIÈCLE

Les discours des lettres de privilège du XVIIe siècle ne sont jamais très longs (le roi n’est pas un bavard), mais ils sont cruciaux. En une seule phrase explicative, en quelques mots, en une formule, le monarque énonce des vérités qui, pour peu qu’on y prête attention, ne sont pas sans enjeu pour les hommes de lettres, qu’il s’agisse d’affirmer une identité sociale ou une qualification, de revendiquer des droits, ou de confirmer des récits de publication énoncés dans d’autres éléments du paratexte12.

Ainsi le privilège de Malleville présenté plus haut modèle-t-il doublement l’image d’un poète de cour ; il signale la proximité de l’homme de lettres au roi (« un de nos gentilhommes servans ») et suggère sa réticence – vaincue seulement par la crainte d’une édition fautive – à livrer ses textes à l’impression, conformément au modèle du noble lettré qui se livre à cette activité dans la simple circonstance du loisir amical – et non pour chercher une vaine gloire publique par des moyens qui ne correspondent pas à son statut ou pire, pour tenter de tirer un revenu de sa plume. Celui de l’Endymion, qui attire l’attention sur les liens de Gombauld avec la reine, produit à peu près le même effet par d’autres moyens, mais il n’est pas impossible qu’il y ait dans ce cas un enjeu plus précis ; le poète était jusque là réputé proche de la reine mère Marie de Médicis, et peut-être s’agit-il pour lui d’entrer par cette publication dans la faveur de la nouvelle souveraine, parce que l’étoile politique de la mère du roi régnant apparaît quelque peu pâlissante, ou tout simplement pour mieux assurer encore son ancrage curial en tissant un nouveau lien de patronage.

Le privilège obtenu par Louis Videl en 1638 pour son Histoire du connestable de Lesdiguières offre un exemple significatif de la manière dont les lettres de privilège s’ajustent parfois très étroitement au discours d’ensemble du livre :

… Nostre cher & bien amé le sieur Videl nous a fait remontrer, qu’ayant eu l’honneur de passer plusieurs années près de la personne de feu nostre Tres-cher Cousin Le Duc de Lesdiguières Pair et Connestable de France, en qualité de son Secrétaire, il auroit recherché & recueilly avec beaucoup de soin & de travail, les memoires de ses principales actions, d’une partie desquelles il a esté luy-mesme témoin, & que depuis la mort de nostre-dit Cousin il en auroit composé une Histoire, qu’il desireroit faire imprimer pour l’utilité publique, & pour faire sçavoir à la Postérité les choses qui ont élevé ce Grand Personnage à un si haut degré d’honneur, & qui luy ont fait acquérir la reputation d’avoir esté l’un des premiers Capitaines de son siecle : ce qu’il n’oseroit entreprendre sans avoir nos lettres de permission necessaires, lesquelles il nous a tres-humblement supplié de luy accorder. A ces causes & desirant que la memoire des genereuses actions de nostre-dit Cousin soit conservée, que nostre Noblesse soit excitée par son exemple à imiter sa fidélité & son affection envers son Prince & sa Patrie & pour recognoistre en quelque sorte les peines que l’exposant a euës pour rechercher lesdits memoires, & en composer ladite Histoire : Nous luy avons permis & permettons…13

Le livre, un copieux in-folio à l’édition soignée publiée chez un libraire parisien bien établi, propose une biographie élogieuse du duc de Lesdiguières (1543-1626), le maître du Dauphiné sous Henri IV puis Louis XIII, grand capitaine protestant qui devient peu de temps avant sa mort connétable de France en échange de sa conversion14. Or, le privilège reprend en quelques traits la vision que propose Louis Videl de son héros : un inlassable guerrier qui ne s’est pas épargné pour bien servir son prince en toutes circonstances. Le dispositif propre de la lettre patente, qui fait parler le roi et situer par rapport à lui les personnages évoqués (« nostre Tres-cher Cousin ») renforce d’ailleurs l’impression de proximité du connétable et du monarque. Mais surtout, le roi semble reprendre à son compte le projet du livre en soulignant l’utilité qu’il revêt pour lui (« Que nostre Noblesse soit excitée par son exemple… ») : Videl semble véritablement avoir écrit pour servir le roi, qui l’en remercie par l’octroi du privilège.

Mais comment le sieur Videl peut-il rendre un si insigne service à son Prince ? La lettre de privilège répond à cette question, en mettant en évidence la compétence du secrétaire, témoin direct d’un certain nombre des glorieuses actions de son maître et qui était en outre le mieux placé pour recueillir les mémoires des autres, lui qui avait en charge les papiers de son patron. Ici le privilège est dans le droit fil de l’avant-propos du livre, où Videl explique qu’il a commencé des recherches sur son maître défunt en répondant à un devoir de mémoire tout personnel, puis

la passion que i’avois pour sa Gloire, me faisant acquérir tous les iours une plus exacte connoissance de sa Vie ; elle me sembla trop rare, pour ne devoir estre que l’object de l’admiration domestique ; & ie ne voulus pas faire l’Injustice, de conserver à mon usage particulier un bien qui devoit profiter à tout le public15.

La spécificité de la lettre patente est cependant utilisée pour mettre en valeur l’ouvrage de Videl. En effet, l’argument le plus fréquent de l’exposé des motifs, dans le cas d’une requête qui vient d’un libraire, est que ce dernier ne doit pas être frustré des fruits de son travail d’impression de l’ouvrage par une contrefaçon – c’est la justification de l’octroi d’un monopole. Or cet argument, adapté à la situation, se retrouve dans ce privilège (« pour recognoistre en quelque sorte les peines que l’exposant a euës pour rechercher lesdits mémoires ») et permet de procurer une vision du secrétaire au travail parmi les papiers de son maître qui renforce sa légitimité de biographe et par là celle de son livre. Le travail d’écriture de la lettre patente est bien tourné ici vers la construction de l’autorité de Louis Videl historien de son patron.

Louis Videl (1598-1675), auteur d’une dizaine d’ouvrages mais qui n’a eu un parcours éclatant ni par les fonctions qu’il a occupées, ni en tant qu’homme de lettres, est cependant passé à la postérité comme le secrétaire de Lesdiguières, grâce au succès de cette Vie, plusieurs fois rééditée au XVIIe siècle et qui ne sera pas remplacée16. Il tente d’ailleurs de retrouver la recette de ce succès dans plusieurs de ses ouvrages ultérieurs, où il n’omet jamais de mentionner sa qualité d’ancien secrétaire du duc17. Ce dernier, au cours de sa longue existence, avait eu bien des secrétaires, et s’il fait des legs à plusieurs d’entre eux dans ses testaments18, il ne souffle mot de Videl, qui a pourtant bien été à son service entre 1617 et 1626 avant de devenir l’un des secrétaires de son gendre et nouveau gouverneur du Dauphiné, le duc de Créquy. Réussir à apparaître comme le secrétaire de Lesdiguières a été pour Videl, dont c’était le principal passeport dans le monde, une entreprise de longue haleine, commencée dès ses premières publications, du vivant même du duc, et couronnée par l’Histoire de la vie du connétable19. Ainsi replacé dans l’ensemble des actions menées par Louis Videl au moyen d’écrits, le privilège de 1638, qui valide à la fois cette identité de secrétaire de Lesdiguières et l’ouvrage réalisé au nom de cette identité, n’était sans doute pas sans importance pour celui qui l’avait demandé – et qui l’avait sans doute lui-même rédigé (c’est un point sur lequel il faudra revenir) avec le soin qu’on a vu.

PRIVILÈGES DE LIBRAIRIE ET LITTÉRARISATION

Combien d’hommes de lettres du XVIIe siècle sont-ils, à l’égal de Videl, d’abord auteurs de leur qualification à écrire ? Combien d’écrivains, dont la production n’est garantie par aucune autorité, aucun lieu institutionnel, aucun statut, mais qui se trouvent à la recherche de publics – petits cercles capables de faire la réputation d’un livre ou d’un homme de lettres, publics plus larges qui peuvent assurer un succès de librairie, ou bien encore public très choisi constitué par un patron potentiel ? Les magistrats ou autres officiers bien établis, les clercs spécialisés dans la production du savoir, les poètes de cour institutionnels du XVIe siècle, se trouvent quelques décennies plus tard noyés dans une foule d’auteurs qui peuvent être d’ailleurs pour certains titulaires de charges ou de bénéfices, et qui pour les autres subsistent, souvent plutôt bien, dans la domesticité de maisons aristocratiques (ils y occupent des fonctions de bibliothécaires, de précepteurs ou de secrétaires), mais dont l’identité sociale – c’est-à- dire aussi la présentation de soi susceptible d’ouvrir (ou pas) les bonnes portes – tient désormais en bonne partie à une réputation mise en jeu dans l’espace incertain de la publication20.

Le privilège de librairie a été l’un des moyens – ni décisif, ni dérisoire – utilisé par les auteurs pour stabiliser une identité favorable en utilisant le nom du roi et l’instrument déjà canonique à cette époque du privilège de librairie. Épître dédicatoire, préface, avant-propos, avis au lecteur sont largement consacrés à l’aventure du livre ou de son auteur ; autant de récits qui tous mettent en jeu en réalité l’identité de l’écrivain – qu’on songe seulement aux si nombreuses histoires de manuscrits parvenues par hasard entre les mains de libraires, lesquelles permettent de préserver la fiction d’auteurs qui ne souhaiteraient pas voir leurs œuvres livrées à l’impression, à l’instar d’un Malleville. Le privilège de librairie confirme ces récits, en les ressaisissant dans la langue des décisions officielles.

Il concrétise aussi un désir qui semble très partagé chez les auteurs de voir leurs écrits mêmes reconnus par l’autorité royale, comme pierre de touche du rapport de l’écriture à une possible action sur le monde. Cas limite, Louis Machon, bibliothécaire parisien auteur d’ouvrages impubliables – une apologie pour Machiavel, des traités très violemment gallicans – n’a de cesse de tenter d’obtenir de Richelieu puis du chancelier Séguier, pour qui il a travaillé pendant un temps, des privilèges pour ses ouvrages – en vain21. Comprendre ce qui se joue avec les privilèges de librairie au XVIIe siècle, c’est donc mesurer à la fois l’échec relatif de la politique visant à interdire la publication et la distribution incontrôlée d’ouvrages dans le royaume – les centres d’édition d’ouvrages clandestins ou de contrefaçons sont légion, même à l’intérieur du royaume, comme à Rouen –, mais aussi le succès du privilège comme dispositif de légitimation des auteurs par le pouvoir – une autre forme de contrôle de l’imprimé, même si tous les écrivains ne jouaient pas ce jeu.

Les professionnels des lettres avaient du reste pénétré la chancellerie : la banalisation (relative) de l’éloge de l’auteur ou de l’œuvre dans les privilèges de librairie date des années 163022 et doit beaucoup aux liens qui s’établissent par l’intermédiaire d’un petit nombre d’écrivains entre la chancellerie, l’Académie française naissante (elle-même alimentée par les hommes de lettres au service de Richelieu) et un réseau de libraires sensibles à une conjoncture où le pouvoir royal est très attentif aux usages de l’imprimé ainsi qu’aux enjeux politiques de l’autonomisation des belles-lettres au sein de l’univers des savoirs23. Valentin Conrart, secrétaire du roi qui s’était spécialisé dans la délivrance des privilèges de librairie et qui a rédigé nombre de privilèges avec éloge entre 1630 et 1660, devient secrétaire de l’Académie française lors de sa fondation ; il incarne une politique du privilège qui est largement au service des nombreux auteurs que lui-même fréquente24. Cependant, si le privilège de librairie peut signifier une reconnaissance par le pouvoir royal, c’est aussi parce qu’il n’est probablement pas si facile à obtenir : s’en procurer un implique pour un auteur de maîtriser les circuits de la chancellerie, de connaître un secrétaire ou de se faire recommander auprès de l’un d’eux. Le privilège signe probablement un certain degré d’intégration au monde du pouvoir, peuplé d’hommes de lettres.

Il se dessine alors un paysage où une partie seulement des secrétaires du roi qui signent des privilèges de librairie (ceux qui fréquentent des hommes de lettres) et une partie seulement des auteurs utilisent les possibilités discursives des lettres de privilège, dont la rédaction incombait sans doute tantôt à l’auteur, tantôt au secrétaire du roi, et tantôt conjointement à l’un et à l’autre. Certains auteurs choisissaient de confier toute la mise en imprimé de leurs écrits à des libraires qui sollicitaient dans ce cas eux-mêmes les privilèges. D’autres, qui demandaient des privilèges à leur nom, n’étaient peut-être pas avertis des derniers usages de la chancellerie, et s’ils l’étaient, encore fallait-il qu’ils s’accordent avec un secrétaire pour que celui-ci leur signe l’une de ces flatteuses lettres patentes. D’autres encore pouvaient juger que le privilège n’était pas un espace approprié à leur discours. Ainsi s’explique la grande diversité des privilèges de librairie au XVIIe siècle : les lettres manifestement travaillées, dont certaines contiennent de véritables éloges de l’auteur, côtoient des privilèges plus ordinaires. On ne saurait pourtant décrire cette diversité en opposant privilèges « standards » et « extraordinaires » ; il faut bien plutôt constater qu’on ne trouve pas deux privilèges semblables, en raison de la multiplicité des lieux où, dans la lettre patente, peut se nicher du discours d’auteur, et en raison aussi de l’étonnante variation de détail des formulations. Ce dernier trait, à une époque où existaient des formulaires de chancellerie proposant des modèles d’actes royaux, s’explique peut-être par le fait que les rédacteurs des lettres – quels qu’ils soient – devaient tenir compte de la requête qu’elles intégraient, ce qui impliquait d’y adapter le reste du privilège.

La question de la lecture des privilèges au XVIIe siècle, qui va être évoquée maintenant, permet d’aborder sous un autre angle le problème des usages différentiels des privilèges par les écrivains.

LES LECTEURS DES PRIVILÈGES

Lisait-on les privilèges de librairie au XVIIe siècle ? C’est une autre question cruciale pour le statut paratextuel de ces documents. Un premier élément de réponse réside dans les modalités d’intégration du privilège dans l’espace du livre, modalités qui manifestent le soin que le libraire – éventuellement mobilisé par l’auteur – accorde à proposer la lettre patente à la lecture25. La difficulté à raisonner statistiquement sur ce sujet tient au fait qu’il est problématique de savoir si ce que l’on observe est de l’ordre du choix éditorial ou de la contrainte (de place ou d’organisation interne de l’ouvrage). Trois éléments laissent cependant penser qu’au XVIIe siècle l’intégration du privilège au péritexte était acquise. Depuis 1618 il était fait obligation aux libraires de publier le privilège dans l’espace du livre, mais ils avaient le choix entre l’imprimer en entier ou en extrait (sous la forme d’une paraphrase brève du privilège original). Or, dans de nombreux cas, et spécialement quand les lettres de privilège tiennent manifestement discours, le choix est fait de les imprimer en entier, quand bien même cela suppose une dépense supplémentaire de papier.

De plus, on observe empiriquement que ces privilèges publiés en entier le sont généralement à un emplacement stratégique, plutôt au début du livre, juste avant le début du texte, plus rarement à la suite de la page de titre. Enfin, l’intégration des lettres de privilège à l’ensemble du paratexte se marque fréquemment par l’adoption des mêmes codes graphiques (première lettre ornée, couleur, frise) que pour la préface, l’épître, etc. Mais là encore, c’est la diversité des manières de faire qui domine, et il est clairement des privilèges – généralement accordés au libraire et reproduits en extrait – qui sont placés à la fin de l’ouvrage sans aucun souci de les mettre en valeur. A l’opposé, certaines lettres de privilège peuvent avoir une vie indépendante du livre – elles constituent alors un épitexte selon la terminologie de Gérard Genette – et être gardées et montrées pour elles-mêmes, à l’exemple du privilège très élogieux qui fut délivré à Descartes en 1637 et qu’il assimile, peut-être en partie ironiquement, à des « lettres de chevalerie » 26. Noter cela, c’est entrer déjà dans la question des lecteurs de privilèges au XVIIe siècle, c’est-à-dire dans la question des écrits qui évoquent ces lectures.

Disons-le d’emblée, si la collection des témoignages de lecture des privilèges est assez vaste pour attester que cela n’était pas une pratique incongrue ni même marginale, ces témoignages sont en revanche presque tous ironiques ou polémiques. On les trouve en premier lieu dans des ana ou d’autres ouvrages qui font la part belle à la satire des mœurs des auteurs, telles les Historiettes de Tallemant des Réaux27. Ces témoignages insistent sur le ridicule d’écrivains infatués d’eux-mêmes et qui se font délivrer des privilèges aux éloges illégitimes. Le phénomène que constitue l’écriture de telles anecdotes rappelle que les premiers lecteurs des privilèges étaient probablement les écrivains eux-mêmes, qui examinaient les ouvrages avec l’œil du professionnel. Ce qui ne veut pas dire que d’autres types de lecteurs n’étaient pas attentifs au privilège comme à n’importe quel autre élément péritextuel, à un moment de l’histoire du livre où celui-ci n’était pas un objet si banal et où, de ce fait, les imprimés devaient être scrutés avec attention par nombre de ceux à qui ils passaient entre les mains. Ce phénomène montre aussi le statut finalement incertain des discours contenus dans les privilèges. S’ils peuvent être si plaisamment moqués, c’est bien en vertu de l’évidence facile à faire partager que ces discours ne sont pas tout à fait légitimes quand ils contiennent des éloges qui attirent l’attention sur l’écriture de ces lettres, et de là sur les opérations de légitimation dont elles sont le support. Mais si on prend la peine de les brocarder, c’est bien aussi en raison de leur autorité potentielle, dans un univers où tout ce qui est susceptible de former un étalon de la valeur est à la fois désiré comme susceptible de porter la reconnaissance des activités lettrées, et regardé avec suspicion, dans la crainte qu’il ne serve des intérêts particuliers.

C’est aussi ce qui ressort du deuxième corpus où apparaissent les lettres de privilèges : les ouvrages de polémique. On n’en donnera qu’un exemple, dû à la plume de Racine :

A la vérité, ce n’est pas leur coutume [aux jansénistes] de laisser rien imprimer pour eux qu’ils n’y mettent quelque chose du leur. On les a vus plus d’une fois porter aux docteurs les Approbations toutes dressées. La louange de leurs livres leur est une chose trop précieuse. Ils ne s’en fient pas à la louange de la Sorbonne. Les Avis de l’imprimeur sont d’ordinaire des éloges qu’ils se donnent à eux-mêmes; et l’on scellerait à la chancellerie des Privilèges fort éloquents, si leurs livres s’imprimaient avec Privilège28.

Le dramaturge dénonce la fiction d’éléments péritextuels théoriquement hétérogènes par leur origine et leur fonction alors qu’ils n’ont qu’un unique auteur et ne servent qu’un même dessein : encenser les ouvrages de Port-Royal auxquels ils servent d’entrée en matière. Racine, dans cette préface qu’il a finalement choisi de ne pas publier, répondait à un ouvrage polémique de Nicole, lequel attaquait un autre auteur de théâtre, Desmarets de Saint-Sorlin, mais égratignait au passage l’ancien élève de Port-Royal. Ce dernier fait référence d’abord aux approbations des censeurs qui n’étaient publiées que dans le cas des ouvrages religieux – la généralisation de l’impression des approbations des censeurs, qui devient une obligation légale en 1701, périmera en grande partie la pratique même de se servir de la lettre de privilège pour tenir discours, remplacée par les remarques des censeurs. Racine rapproche les approbations, comme on le voit, non seulement de péritextes signés du libraire mais aussi des privilèges, en dénonçant le fait que les jansénistes écrivaient sans autorisation royale, mais en pointant dans le même mouvement la possible mobilisation de la chancellerie au service de desseins particuliers. Les polémistes de Port-Royal, comme l’a montré Yasushi Noro, sont eux-même très précocement et durablement attentifs aux évolutions des pratiques du pouvoir en matière d’autorisation des livres et de publication de ces autorisations29. Ce passage de la préface à la « Première lettre à l’auteur des Hérésies imaginaires » agit donc de la même manière que les anecdotes ironiques évoquées juste avant : il fait douter de la légitimité des privilèges tout en accréditant l’idée qu’ils sont bien un enjeu pour la réputation des écrits et de leurs auteurs.

RÔLE ÉCONOMIQUE ET POUVOIR SYMBOLIQUE DU PRIVILÈGE DE LIBRAIRIE

Quelle place revient, dans cette analyse centrée sur les discours des privilèges, aux enjeux économiques qui apparaissent de prime abord comme les plus évidents dans de telles lettres patentes ? Le cas de celle qui a été délivrée à Louis Videl a montré clairement que l’argumentaire d’un privilège de librairie peut largement dépasser la visée d’établir les droits de l’auteur ou du libraire sur un ouvrage. Mais comment comprendre dès lors l’articulation des différentes fonctions des lettres de privilège ?

La première d’entre elles est bien d’assurer le droit d’exploitation de l’ouvrage au détenteur du privilège pour obvier aux risques de contrefaçons. Telle est la raison d’être fondamentale du privilège, toujours réaffirmée, qui a des conséquences économiques évidentes pour l’éditeur, et parfois aussi pour l’auteur qui, lorsqu’il est le détenteur du privilège, se trouve en meilleure position pour négocier avec le libraire auquel il le cède, quand bien même les contrats d’édition sont rarement très lucratifs. L’enjeu des rapports entre l’auteur et son libraire n’est du reste pas uniquement financier ; pour le premier, la possession d’un privilège pouvait peut-être permettre de presser le libraire suspecté de lambiner, ou de s’imposer dans l’atelier pour veiller à ce que l’ouvrage soit le plus possible conforme à ses vœux. On peut ainsi mettre en relation l’augmentation, au cours du XVIIe siècle, de la part des privilèges aux auteurs par rapport à ceux qui étaient accordés aux libraires avec l’affirmation de la propriété intellectuelle et plus largement de la figure de l’écrivain30.

Mais lorsqu’on lit les privilèges, on s’aperçoit que l’on y tient volontiers discours sur les raisons qui poussent les auteurs à publier leurs livres et sur la valeur de ceux-ci ; l’invention de l’écrivain s’écrit également dans les privilèges de librairie. Aussi ne saurait-on les réduire à quelque fonction économique, ni même considérer qu’ils remplissaient deux fonctions bien distinctes, l’une renvoyant aux droits sur le livre et à des enjeux économiques, l’autre d’ordre social et symbolique. Car chaque lettre de privilège est un unique écrit aux enjeux souvent mêlés. Le privilège très large et très avantageux obtenu par Jean-Baptiste Lully le 20 septembre 1672, qui concerne les rapports entre l’impression de la musique et celle des écrits pour lesquels cette musique a été composée, peut servir d’exemple commode, qui montre au passage que les privilèges de librairie ne concernent pas que les écrivains :

… Nostre bien-amé Iean Baptiste Lully Sur-Intendant de la Musique de nostre Chambre, Nous a fait remonstrer que les Airs de Musique qu’il a cy-devant composez, ceux qu’il compose journellement par nos Ordres, & ceux qu’il sera obligé de composer à l’avenir pour les Pieces qui seront representées par l’Academie Royale de Musique, laquelle Nous luy avons permis détablir en nostre bonne ville de Paris, & autres lieux de nostre Royaume où bon luy semblera, estant purement de son invention, & de telle qualité que le moindre changement ou obmission leur fait perdre leur grace naturelle ; de sorte que comme son esprit seul les produit pour les appliquer aux sujets qu’il y trouve proportionnez, nul autre ne peut si bien que luy rendre lesdits Ouvrages publics dans leur perfection, & avec l’exactitude qui leur est deue. Et d’ailleurs, il est juste que si leur impression doit aporter quelque avantage, il revienne plûtost à l’Autheur pour le recompenser de son travail, & de partie des frais qu’il avance pour l’execution des Desseins qu’il doit faire représenter par ladite Academie, qu’à de simples Copistes qui les imprimeroient, sous pretextes de Permissions generales ou particulieres, qu’ils peuvent avoir obtenues pas surprise ou autrement ; ce qui l’oblige à avoir recours à nos Lettres sur ce necessaires. A ces causes, voulant favorablement traitter ledit Exposant, Nous luy avons permis & accordé, permettons & accordons par ces Presentes de faire imprimer par tel Libraire ou imprimeur, en tel volume, marge, caractère, & autant de fois qu’il voudra, avec Planches & figures, tous & chacuns les Airs de musique qui seront par luy faits ; comme aussi les Vers, Paroles, Sujets, Desseins & Ouvrages sur lesquels lesdits Airs de Musique auront esté composez, sans en rien excepter, & ce pendant le temps de trente années consécutives (…) sans qu’aucun trouble ny empechement quelconque luy puisse estre apporté, mesme par ceux qui pretendent avoir de Nous privilege pour l’impression des Airs de musique & Ballets, lesquels pour ce regard en tant que besoin est ou seroit, Nous avons revoqué & revoquons par cesdites presentes…31

Ce privilège recouvre des enjeux financiers relatifs à l’impression de tous les écrits qui accompagnent ou suivent la représentation des opéras. Il attribue en effet à Lully le monopole d’impression non seulement des airs de musique mais aussi de tous les écrits qui lui servent de support (les livrets notamment). Mais il faut noter que la lettre royale mentionne le fait que Lully vient de reprendre en main l’Académie de musique. Pour cela, il a d’abord racheté le privilège de celle-ci à Pierre Perrin, puis en a obtenu un nouveau, en mars 1672, confirmant cette opération, mais qui sera contesté dans les mois qui suivent par plusieurs concurrents malheureux32. La lettre reproduite ici est donc un acte supplémentaire dans l’établissement de la domination encore fragile de Lully sur l’opéra, et en outre elle fixe nettement la hiérarchie entre librettistes, directeurs de troupe (tel Molière) et compositeur, à l’avantage exclusif de ce dernier ; elle a donc une portée juridique large, et aussi un pouvoir symbolique, tant Lully apparaît ici soutenu dans ses entreprises par la faveur royale, et par celle de Colbert, qui contresigne le document. Ainsi les privilèges de librairie sont-ils bien d’abord des privilèges – des manifestations de la grâce royale qui honorent ceux qui les reçoivent tout en leur ouvrant l’accès à des droits – et gagnent-ils à être regardés comme tels. Le discours justifiant la grâce du monarque apparaît comme un extraordinaire éloge de Lully et, au-delà de celui-ci, de l’activité de compositeur, qui est bien clairement désignée comme relevant avant tout de l’esprit – et en tant que telle utile pour établir le statut d’artiste des compositeurs. On peut noter à ce propos que c’est dans un raisonnement sur le passage à l’imprimé de la musique que surgissent les formules qui renvoient le plus nettement au génie créateur du compositeur. Ce document était peut-être bien destiné à prévenir des tentatives d’impression de livrets que Lully n’aurait pas contrôlées, ou à servir de point d’appui dans d’éventuels procès avec des confrères ou des libraires, mais rien ne dit qu’il n’ait pas de valeur d’usage indépendamment de toute utilisation judiciaire ; un usage d’écrit publié qui conforte la réputation de Lully, en établissant sa grandeur et sa puissance.

Un dernier exemple fera voir les échanges complexes qui peuvent se nouer entre clauses économiques et dimension symbolique du privilège. Aucun discours sur l’auteur ne se rencontre dans celui accordé pour la Pucelle (1656), vaste poème héroïque de Jean Chapelain consacré à la figure de Jeanne d’Arc33. L’auteur est alors un critique reconnu, et surtout l’un des artisans de la politique royale en direction des écrivains. Il est un ami proche de Valentin Conrart, qui lui a signé de longue date (1643) un privilège pour cet ouvrage. On s’attendrait donc à ce que Chapelain utilise les possibilités discursives du privilège de librairie. D’autant que la lettre patente est bien visible dans l’ouvrage : même si elle est imprimée à la fin de celui-ci, et non parmi les péritextes qui l’ouvrent, elle est reproduite en entier sur deux pages, et mise en valeur par un bandeau agrémenté de dessins, un titre en gros corps (« Privilège du roi ») et une première lettre ornée. S’il n’y a pas d’éloge, répétons-le, la considération royale n’en apparaît pas moins par la protection exceptionnelle dont jouit Chapelain : le privilège est pour vingt ans – une durée déjà très longue –, mais une clause précise en outre qu’il sera reconduit pour la même durée et pour l’ensemble de l’ouvrage lorsque paraîtra la suite du poème34. Alors que dans les mêmes années les amis de Conrart se font tous délivrer par lui des privilèges avec éloge, il n’est pas interdit de voir ici à l’œuvre une stratégie de distinction de la part de Chapelain, qui choisit de prendre le contrepied – mais nous révèle par là même – ce qui est devenu l’un des modes ordinaires d’affirmation des hommes de lettres. Cependant, le risque que ce privilège apparaisse à l’inverse comme un signe de réticence du pouvoir est pallié par les clauses de protection du livre – dont l’enjeu est aussi, bien entendu, de permettre à Chapelain d’avoir la plus grande maîtrise possible sur le devenir de son œuvre. On voit par là que les clauses sont aussi du discours, du texte : elles prennent sens dans l’économie générale de la lettre de privilège et il n’y a pas d’un côté du juridique (les clauses) qui serait justifié de l’autre par du discours (l’exposé).

AU-DELÀ DU PARATEXTE

Sauf exceptions ponctuelles que nous rencontrerons ça et là, le paratexte, sous toutes ses formes, est un discours fondamentalement hétéronome, auxiliaire, voué au service d’autre chose qui constitue sa raison d’être, et qui est le texte35.

Cette proposition fonde toute la démarche de Gérard Genette dont l’objet dernier est bien la compréhension du texte comme précipité de l’activité littéraire. Si l’on s’est efforcé de montrer dans ces pages que le privilège de librairie pouvait bien être regardé comme du paratexte, et l’intérêt qu’il y avait à le considérer comme tel, la notion de « paratexte » porte cependant avec elle l’idée que tout dans le livre est orienté vers le texte, ce que le cas du privilège de librairie analysé comme paratexte permet de discuter.

Car le privilège n’est pas uniquement du paratexte : il pourrait aisément être qualifié de texte, écrit autonome produit par une institution qui n’est ni l’auteur ni l’éditeur – et on a vu qu’il pouvait être mis en circulation hors du livre. On a vu aussi que le discours des lettres de privilège ne portait pas toujours directement sur le texte, par exemple quand le but de l’exposé des motifs est de mettre en valeur la noblesse de l’auteur, sa proximité à quelque grand personnage, sa qualification à écrire, et on a vu encore que, dans ce cas, le même discours se retrouvait dans les autres éléments du péritexte. Car la mise en cohérence du privilège avec page de titre, épître, préface ou avant-propos peut s’opérer au profit de discours qui ne sont pas strictement dépendants du texte, qui ont une sorte d’autonomie, de latitude par rapport à lui. Qu’est-ce qui permet alors de décider que ces discours-là ne constituent que des seuils, visant avant tout chose à assurer le meilleur accueil de l’ouvrage ? Pourquoi le texte ne serait-il pas à l’inverse le péritexte du péritexte, garantissant par sa valeur, vérifiable par la lecture, l’identité sociale brandie par l’auteur dans le péritexte ? Qu’est-ce qui permet d’affirmer par exemple que tel poème faisant l’éloge de Richelieu, précédé d’une épître au cardinal et suivi d’un privilège faisant l’éloge de l’auteur est fondamentalement un poème plutôt qu’une offrande ? On pourrait ainsi analyser dans beaucoup d’ouvrages comment des éléments du texte font signe et sont tournés vers le discours qui apparaît d’abord dans le péritexte.

Le privilège de librairie fait naître ces questions parce qu’il ne correspond pas aux catégories sous-jacentes à l’entreprise taxinomique de Seuils, qui repose beaucoup en particulier sur la distinction entre les acteurs canoniques de la production du livre – le couple formé par l’auteur et l’éditeur. En brouillant la distinction entre ce qui relève de l’un et de l’autre – du fait que la lettre de privilège convoque la figure royale et relève d’un processus de production qui fait intervenir l’auteur aussi bien que le secrétaire du roi, sans oublier le chancelier qui scelle la lettre, quand il ne vérifie pas lui-même la validité de l’opération de censure – le privilège de librairie montre le livre comme tout qui ne saurait être clivé entre le texte et le paratexte36. Le privilège de librairie – qui établit les droits de l’auteur, proclame sa qualité et ses qualités – importe bien de manière très visible au sein de l’espace du livre les préoccupations de l’écrivain relatives au monde social dans lequel il évolue. Mais en étant si fortement intégré au livre, il nous montre comment ces préoccupations irriguent l’ensemble de celui-ci. Le livre se trouve ainsi révélé comme un objet support d’actions dans le monde social ; et ce qui est évoqué ici n’est pas le livre-objet – cette abstraction – mais le livre tout simplement, comme élément de la réalité sociale. On peut rêver de distinguer, pour tout ouvrage, les effets produits par tel ou tel de ses éléments – le privilège de librairie par rapport au texte par exemple –, mais ce rêve est contradictoire avec ce qu’est un livre au XVIIe siècle : un tout qui en tant que tel sert la réputation d’un auteur, voire contribue à lui procurer un emploi auprès d’un Prince et suscite intérêt, réflexion et plaisir chez des lecteurs qui n’approcheront pas l’écrivain. Dès lors, l’amenuisement du péritexte dans la littérature contemporaine – qui trouve son pendant dans l’inflation des épitextes37 – signe peut-être le triomphe de cette même idéologie de la littérature dans laquelle la notion de paratexte se trouve prise.

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1 « Je rappelle que, sous l’Ancien Régime, les pages suivant le titre (ou parfois les toutes dernières) étaient en principe consacrées à la publication du « privilège », par lequel le roi accordait à l’auteur et à son libraire le droit exclusif de la vente de l’ouvrage. Certaines éditions critiques modernes en reproduisent le texte, dont l’intérêt historique n’est jamais nul », (Gérard Genette, Seuils, nelle éd., Paris, Éd. du Seuil, 2002, p. 37, note 2 (Points-Essais) (Le Seuil, « Poétique », 1987).

2 Henri Falk, Les Privilèges de librairie sous l’Ancien Régime, Paris, Arthur Rousseau éditeur, 1906 ; Henri-Jean Martin, Livres, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, nelle éd., Genève, Droz, 1999 ; Bernard Barbiche, « Le régime de l’édition » dans Roger Chartier, Henri-Jean Martin dir., Histoire de l’édition française, 2e éd., Paris, Fayard / Promodis, 1989, t. 1, pp. 457-471; Elizabeth Armstrong, Before Copyright. The French Book-Privilege System 1498-1526, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1990.

3 H.-J. Martin, Livre, pouvoir et société…, ouvr. cité, tome 1, pp. 451-454

4 Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éd. de Minuit, 1985.

5 Jean-Dominique Mellot, « Le régime des privilèges et les libraires de L’Astrée », dans XVIIe siècle, 235, avril-juin 2007, pp. 99-124.

6 L’étude d’Anne Cayuela sur le paratexte dans les romans du siècle d’or espagnol est de ce point de vue emblématique. Elle consacre plusieurs pages à un objet proche du privilège, l’approbation des censeurs, qu’elle érige en « genre littéraire » à partir du constat que « les approbations, rangées dans la rubrique des préliminaires administratifs, sont parfois surprenantes du fait de leur « perméabilité » au texte qu’elles précèdent. L’approbation (…) peut être le lieu d’une véritable critique littéraire, mais elle peut parfois devenir à son tour texte littéraire, lorsque le censeur utilise l’espace de la censure pour aller au-delà de sa tâche, jouer avec les mots, se laisser aller à l’écriture » (Anne Cayuela, Le Paratexte au siècle d’or. Prose romanesque, livres et lecteurs en Espagne au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1996, p. 208). Mais ce « genre littéraire » ne reçoit pas de contenu : rien, dans l’analyse, ne le distingue des autres éléments du péritexte.

7 G. Genette, Seuils, ouvr. cité, p. 7.

8 Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, p. 20.

9 « Cette frange [le paratexte], en effet, toujours porteuse d’un commentaire auctorial, ou plus ou moins légitimé par l’auteur… » ; « Il est nécessaire à la définition d’un paratexte de toujours porter une responsabilité de la part de l’auteur ou de l’un de ses associés… » (G. Genette, Seuils, ouvr. cité, pp. 8 et 15). Au sein du paratexte, Gérard Genette distingue le « péritexte », paratexte inclus dans le livre de l’« épitexte » situé à l’extérieur de celui-ci. Une brochure publicitaire vantant un ouvrage fait partie de l’épitexte de cet ouvrage (ibid., p. 11).

10 Poesies du sieur de Malleville, Paris, Augustin Courbé, 1649. Le privilège est imprimé sur deux pages à la fin du volume.

11 L’Endimion de Gombauld, Paris, Nicolas Buon, 1624. Le privilège est au devant du livre.

12 Nicolas Schapira, « Quand le privilège de librairie publie l’auteur », dans Grihl, De la publication entre Renaissance et Lumières, éd. Christian Jouhaud, Alain Viala, Paris, Fayard, 2002, pp. 121-138.

13 Histoire de la vie du Connestable de Lesdiguières Contenant toutes ses Actions, depuis sa Naissance, jusques à sa Mort. Avec plusieurs choses memorables, servant à l’intelligence de l’Histoire Generale. Le tout fidellement recueilli par Louis Videl, Secretaire dudit Connestable, Paris, Pierre Rocolet, 1638, « Privilège du roi », n. p. Celui-ci est placé entre l’avant-propos et la table des chapitres.

14 Stéphane Gal, Lesdiguières. Prince des Alpes et connétable de France, Grenoble, PUG, 2007.

15 Histoire de la vie…, ouvr. cité, « avant-propos », n. p.

16 Sur Videl, voir Stéphane Gal, Lesdiguières…, ouvr. cité, p. 27-29 ; Nicolas Schapira, « Les secrétaires particuliers sous l’Ancien Régime : les usages d’une dépendance », dans Dépendance(s) Actes des journées du CRH, 3-4 avril 2006, Cahiers du CRH, octobre 2007, pp. 111-125.

17 Par exemple Histoire du chevalier Bayard et de plusieurs choses mémorables advenuës sous le règne de Charles VIII, Louis XII & François Ier, avec son supplément par Mre Claude Expilly, président au parlement de Dauphiné, et les Annotations de Théodore Godefroy, augmentées par Louis Videl, nouvelle édition, Grenoble, Jean Nicolas, 1650.

18 Actes et correspondance du connétable de Lesdiguières publiés sur les manuscrits originaux par le cte Douglas et J. Roman, Grenoble, Édouard Allier, imprimeur, 1881, t. III, pp. 393-402 et 443-460.

19 La Palme à Monseigneur le duc de Lesdiguières, pair et mareschal de France, mareschal général des camps et armées royalles et lieutenant général pour le Roy au gouvernement du Dauphiné, pour n’avoir voulu accepter la charge de connestable de France à condition de se faire catholique romain, Paris, 1621 ; Le Melante du Sr Videl, Secrétaire de Monseigneur le Connestable. Amoureuse aventure du temps, Paris, Samuel Thiboust, 1624 ; Lettres du Sr Videl, cy-devant secrétaire de feu Monseigneur le Connestable de Lesdiguières, & à présent de Monseigneur le duc de Créquy. Dediées à Monseigneur le comte de Moret, Paris, Impr. de I. Dedin, 1631.

20 C. Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature, ouvr. cité ; Dinah Ribard, Raconter, vivre, penser. Histoires de philosophes, 1650-1766, Paris, Vrin-EHESS, 2003. Sur la notion de publication, voir Grihl, De la publication…, ouvr. cité, introduction.

21 Jean-Pierre Cavaillé, « Autopsie d’une non-publication : Louis Machon (1603-après 1672) », dans Grihl, De la publication…, ouvr. cité, pp. 93-109.

22 On trouve des privilèges avec éloge au XVIe siècle, mais le phénomène semble n’avoir pas la même ampleur ni la même visibilité sociale : question d’enjeux pour les auteurs, question du degré d’institutionnalisation de la pratique, question de lieux textuels où peut s’écrire du commentaire sur ce type de pratiques (voir plus loin « les lecteurs des privilèges »).

23 C. Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature…, ouvr. cité.

24 Nicolas Schapira, Un Professionnel des lettres au XVIIe siècle. Valentin Conrart (1603-1675), une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003.

25 Claire Lévy-Lelouch, « Quand le privilège de librairie publie le roi », dans Grihl, De la publication…, ouvr. cité, pp. 139-159.

26 Nicolas Schapira, « Quand le privilège de librairie publie l’auteur », art. cité, pp. 126-127.

27 Tallemant des Réaux, Historiettes, édition établie et annotée par Antoine Adam, Paris, Gallimard, 1960 (« Bibl. de la Pléiade »).

28 Racine, Préface (non publiée du vivant de l’auteur) à la « Lettre à l’auteur des Hérésies imaginaires », Œuvres complètes, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, 1966, t. II, p. 18 (« Bibl. de la Pléiade »).

29 Yasushi Noro, Un Littérateur face aux événements du XVIIe siècle : Amable Bourzeis et les événements dans sa biographie, thèse de lettres, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand II, 2006, dactyl., pp. 163-168.

30 A.Viala, Naissance de l’écrivain…, ouvr. cité, pp. 94-102.

31 On le trouve par exemple dans Les Festes de l’amour et de Bacchus. Pastorale représentée par l’Académie Royale de musique, A Paris, à l’entrée de la Porte de l’Académie royale de Musique, prés Luxembourg, vis-à-vis Bel air, 1672, Avec privilège du Roy. Il est placé juste après la page de titre et avant l’avant-propos non signé (mais dont l’auteur est clairement Lully, ce que l’on sait précisément à cause du privilège). A noter que le nom de l’imprimeur, François Muguet, n’apparaît qu’à la toute fin du volume.

32 Jérome de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, Paris, Fayard, 2002, pp. 180-189.

33 La Pucelle ou la France délivrée. Poême héroïque par M. Chapelain, Paris, Courbé, 1656.

34 « Nostre cher & bien amé le Sieur Chapelain, Nous a fait remonstrer qu’il a composé un Poëme Heroïque, intitulé La Pucelle ou la France délivrée, & autres Ouvrages de Vers & de Prose, lesquels il est sollicité de donner au public, ce qu’il ne peut faire sans avoir nos Lettres sur ce necessaires, qu’il nous a tres-humblement supplié de luy octroyer. A ces causes, & desirant gratifier & favorablement traitter ledit sieur Chapelain, Nous luy avons permis & permettons par ces presentes, de faire imprimer, vendre & debiter en tous lieux de nostre obeîssance, tant ledit Poëme heroïque, contenant plusieurs Livres ou partie d’iceux, que tous ses autres Ouvrages, soit de Vers, soit de Prose, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, en un ou plusieurs Volumes, conjointement ou separement, en telles marges & caracteres, & autant de fois que bon luy semblera, durant l’espace de vingt ans entiers & accomplis, à compter du iour que chaque Piece, ou Volume, qui sera mis au jour en vertu des presentes, sera achevé d’imprimer pour la première fois. Et pour le regard dudit Poëme de la Pucelle, au cas que l’Exposant n’en donnast d’abord qu’une partie au public, Nous voulons que quand il le donnera entier, lesdites vingt années ne commenceront à courir que du jour qu’il sera mis en lumiere aussi entier pour la premiere fois, & comme si rien n’en avoit esté imprimé auparavant » (La Pucelle, ouvr. cité, Privilège du roi).

35 G. Genette, Seuils, ouvr. cité, p. 17.

36 Voir à ce sujet les réflexions fondamentales de Yannick Seité, Du livre au lire. La Nouvelle Héloïse roman des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2002. Nous nous permettons aussi de renvoyer à Dinah Ribard, Nicolas Schapira, « Histoire du livre, histoire par le livre », introduction au numéro spécial de la Revue de Synthèse (2007,1-2) consacré à « L’Histoire par le livre », pp. 19-25.

37 La définition de ce terme est donnée à la note 9.