Book Title

Histoire de l’histoire du livre

Histoire et civilisation du livre est attentive à publier aussi régulièrement que possible des contributions de synthèse historiographique ou de méthodologie portant sur le domaine de l’histoire du livre. Plusieurs articles ont été publiés, notamment par Jean-Dominique Mellot1 et par Michel Espagne2.

Nous poursuivons dans cette voie en donnant en 2010 un article de Mario Infelise, professeur à l’Université de Venise, consacré à la réception de L’Apparition du livre en Italie. L’ouvrage est traduit en italien en 1977 par Armando Petrucci, et le dossier étudié de manière exemplaire par Mario Infelise éclaire aussi bien sur les enjeux de l’implantation de la « nouvelle histoire du livre » dans la péninsule au cours des deux dernières décennies du XXe siècle que, de manière plus large, sur les débats profonds qui parcourent à la même époque le champ de la recherche historique et dont certains ne sont pas sans incidences sur le plan politique.

Notre second dossier concerne la publication de la correspondance inédite entre Lucien Febvre et Henri-Jean Martin dans la courte période où L’Apparition du livre, après de longs retards, était enfin entrée dans sa phase effective de préparation et d’écriture3.

Une première lettre de Febvre se rapporte apparemment à un projet d’article proposé par Henri-Jean Martin pour les Annales, article qui sera publié en 19524 : Febvre y envisage déjà la préparation d’un « livre », dont on peut penser qu’il porterait sur la librairie parisienne de l’âge classique – on sait que ce sera effectivement le sujet de thèse d’Henri-Jean Martin. La lettre la plus importante (n° 2) est celle du 26 mai 1953, dans laquelle Febvre présente effectivement son projet de livre et sollicite la collaboration de son jeune collègue. Même s’il demande à celui-ci de réfléchir à sa proposition avant de lui donner une réponse définitive (« Dites moi, après y avoir réfléchi, quel accueil vous croyez pouvoir faire à ma proposition »), il ne semble pas douter de son acceptation (« Naturellement, nous aurons à en parler plus longuement »). Quelques mois plus tard, les choses se mettent effectivement en place sur un plan pratique (lettre n° 3), et Febvre commence à confier un certain nombre de dossiers de documentation à Henri-Jean Martin, qui le visite dans son appartement parisien de la rue du Val-de-Grâce. C’est apparemment à ce moment-là que la préparation du volume et sa rédaction commencent : plusieurs chapitres du manuscrit peuvent être remis à Febvre en octobre 1954, sur la rédaction desquels celui-ci réagit de la manière la plus positive dans une longue lettre du 29 décembre, alors qu’il réside dans sa propriété du Souget, près de Saint-Amour (lettre n° 11) :

Tel quel, c’est très réussi. Si nous n’avions pas le goût malheureux de la perfection, nous nous en tiendrions là. Ce que nous ajouterons ne modifiera pas mon jugement. Je suis très, très content et je vous félicite. – Maintenant, vous, allez de l’avant. Et sans trop chercher la petite bête, rédigez.

La lettre se termine par une allusion à la politique éditoriale d’Albin Michel : Febvre pense que l’éditeur va profiter de la parution du nouveau titre pour relancer la collection de « L’Évolution de l’humanité ».

La lettre suivante (n° 12) est relative à la charge de conférence à l’École pratique des hautes études (VIe Section), à laquelle Henri-Jean Martin vient d’être élu5. La dernière lettre conservée, en date du 20 janvier 1956, accuse réception de l’ensemble du manuscrit de L’Apparition du livre, et trace le programme de travail qui devrait permettre la publication du volume, d’après Febvre, en avril 1957. La disparition de Febvre, qui décède le 26 septembre 1956, ne retarde en définitive cette date que d’un an et demi environ.

La lecture de cette correspondance rédigée sur un ton associant un profond respect et une grande cordialité donne un éclairage sur les méthodes de travail de Febvre dans les dernières années de sa vie, mais elle témoigne aussi de la sympathie croissante, et même d’une certaine admiration, que celui-ci ressent pour son jeune collègue et collaborateur. Les allusions à certains événements familiaux apportent l’illustration la plus éloquente d’une réelle et profonde amitié.

____________

1 Jean-Dominique Mellot, « Qu’est-ce qu’un livre ? Qu’est-ce que l’histoire du livre ? », dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz), 2006, 2, pp. 5-18.

2 Michel Espagne, « Histoire du livre et transferts culturels », dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale (Genève, Librairie Droz), 2009, 5, pp. 201-218, ill.

3 Sur la genèse du livre, voir : Frédéric Barbier, « Écrire L’Apparition du livre », postface à la troisième édition de l’ouvrage, Paris, A. Michel, 1999, pp. 537-579.

4 Henri-Jean Martin, « L’édition parisienne au XVIIe siècle : quelques aspects économiques », Annales ESC, 1952, pp. 309-319.

5 La VIe Section de l’E.P.H.E. (Section des Sciences économiques et sociales) est créée en 1947. Elle devient autonome en 1975 et prend alors le nom d’École des hautes études en sciences sociales.