André Lang, « Carte de la République des Lettres » (détail), dans : Déplacements et villégiatures littéraires, suivis de la Promenade au royaume des images ou Entretiens cinématographiques
Paris, La Renaissance du livre, 1923 (carte dessinée par Don)
André Lang (1893-1986), journaliste et dramaturge, fut rédacteur en chef de Comœdia en 1924, revue où il était pigiste depuis 1912. Il a tenu des chroniques littéraires et cinématographiques dans plusieurs autres publications, dont Paris-Soir, Le Temps et Les Annales politiques et littéraires.
Cette carte, commentée par ses soins et avec humour en neuf pages déjà publiées dans les Annales, met en évidence dès 1923 le poids de La NRF dans la République des Lettres, moins par la surface accordée que par les noms retenus et leur positionnement : Jacques Rivière est un passeur. L’auteur précise dès la première phrase :
Et tout d’abord, il ne s’agit que d’un divertissement (…). Le Style traverse la République comme la Seine traverse Paris (…). La République des Lettres comprend la République officielle et la jeune République [en] lutte quotidienne (…). Sur la place de l’Intelligence Officielle (métro Noailles-Bérard) s’élève l’arc Poincaré. Au nord-ouest de l’arc, voici le palais Léon-Bérard qui communique directement avec l’usine de La Légion d’honneur et l’usine des Palmes académiques (…).
Quittons la République officielle par la rue Roland-Dorgelès. Elle commence avenue des Ecrivains-Combattants. (…) La N.R.F. tient presque tout entière dans une anse du Style (…). Voici le Champ de Courses des Prix littéraires, la pelouse de la Société des Gens de Lettres, les tribunes Goncourt, Vie Heureuse, Balzac, Flaubert (en ruines), etc. Derrière : les écuries des poulains des éditeurs (…). Le Cimetière de la Gloire est traversé par l’avenue des Commémorations, qui va du Panthéon, place de la Littérature-Périmée, au rond-point de la Justice-Littéraire (métro), place Paul-Souday (Cour des Jugements immédiats), place Fernand-Vandérem (Cour des Jugements sans appel). Dans le cimetière (portillon Alphonse-Séché), fréquenté par les nécrolâtres professionnels, on trouve les avenues du Cinquantenaire, du Centenaire, du Bicentenaire, etc.
(…) Au nord du fortin de l’A[ction] F[rançaise], nous trouvons le Maquis cinématographique. Les cinéastes français, les Delluc, les L’Herbier, les Gance, sont partis à l’assaut des forteresses Gaumont-Pathé et C°. Guerre d’usure ! Ce sera long.
(…) Enfin, à l’extrême droite, court une magnifique route en corniche qui surplombe la République des Lettres. Croyant que l’unique panorama dont on jouit du haut de ces terrasses naturelles y attirerait, durant la belle saison, une clientèle aussi nombreuse que choisie, des commerçants peu psychologues ouvrirent là un grand café-restaurant de plein air. Hélas, les curieux furent et sont encore rares (…). Le propriétaire, une année, crut avoir une idée de génie. Il pensa que les hommes de lettres seraient ravis de contempler leur active et glorieuse Cité du haut des terrasses, (…) séduisit ainsi un certain nombre d’écrivains qui jamais encore n’avaient songé à prendre du recul (…). Ils virent leurs confrères tout d’un coup si petits, si tristes et si ridicules qu’(…) ils pensèrent avec terreur qu’ils n’étaient peut-être pas eux-mêmes beaucoup plus grands ni moins ternes (…). L’État devrait acquérir cet admirable emplacement. On pourrait y mener les enfants des écoles (…), on aurait peut-être la chance de détourner chaque année de la carrière littéraire d’honnêtes garçons qui ne sont point nés pour l’embrasser et qui deviennent les plus sots du monde dès qu’ils y sont entrés. Mais ce serait si beau qu’il n’y faut guère compter. (Extrait du catalogue)
Robert Maumet, ‘Au Midi des Livres’ ou l’histoire d’une liberté. Paul Ruat. 1862- 1938, préf. Jean-Claude Gautier, Marseille, TacusselÉditeurs,2004, 429 p., ill.
Issu d’une thèse de doctorat en littérature française soutenue à l’université d’Aix-Marseille 1 en 2003, ce livre richement illustré (mais sans table des illustrations) s’appuie d’abord sur un dépouillement quasi exhaustif du Bulletin des libraires. Faute d’avoir obtenu l’accès aux archives de la FFSL dont Paul Ruat fut l’un des fondateurs – ou, du moins, des ancêtres –, Robert Maumet, conservateur des bibliothèques, chargé de cours sur les métiers du livre dans son université, a utilisé toute la documentation disponible, d’abord en Provence et à Marseille, puis partout où Paul Ruat avait été actif, pour brosser ce portrait d’un libraire marseillais, devenu ensuite éditeur régional et surtout infatigable militant des jeunes syndicats de libraires apparus à la toute fin du XIXe siècle. Bénéficiant de l’appui de la famille – les éditeurs Tacussel de la grande cité phocéenne –, des ressources des Archives départementales, municipales, diocésaines et associatives – la Société des Excursionnistes marseillais, l’Escolo dei Felibre de la Mar, le Museon Frederi Mistral de Maillane, etc. –, il a pu situer son personnage dans un contexte bien particulier, celui du réveil régionaliste littéraire français naguère étudié par Anne-Marie Thiesse27. L’architecture de l’ouvrage de Robert Maumet trouve d’ailleurs ici sa principale justification, puisqu’elle oscille d’un manifeste à un autre, « pour la librairie » puis « pour la Provence », ce qui rend bien compte des principales préoccupations du sujet de cette biographie.
Placée sous le signe de la liberté – la devise de sa ville de naissance, Tulette, « toustéms libre », fut toujours la sienne, nous dit son autobiographie, Apprendissage de la Vido – cette trajectoire sociale est l’un des rares récits de vie concernant un grand libraire de province que l’on possède en France, ce qui la rend précieuse. Né en 1862, au mitan du second Empire, mort en 1938, à la veille de l’écroulement de la Troisième République, Paul Ruat épouse en effet l’histoire de ce régime qui vit la librairie sortir enfin de l’encadrement administratif