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Centenaire de La NRF. Jacques Rivière. « L’homme de barre » de La Nouvelle Revue Française, 1909-1925, dans Bulletin des Amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, 122, 2009-2, 135 p., ill., couv. ill

(AJRAF, 31 rue Arthur-Petit, F-78220 Viroflay). ISSN 0395-0484

Frédéric BARBIER

Nouans-les-Fnes

Chacun sait que l’année 2009 a été marquée par la commémoration du centenaire d’une des revues majeures de la littérature française moderne, en l’espèce de La NRF créée en 1909 et devenue quelques années plus tard la matrice d’une maison d’édition elle aussi emblématique. Les manifestations ont été multiples, qui ont marqué l’événement : la ville de Bourges, et surtout sa Médiathèque, y ont participé de belle manière, en organisant d’abord un colloque international consacré à Jacques Rivière (1886-1925), puis une riche exposition (pratiquement trois cents numéros) sur cette même personnalité. C’est le catalogue commenté de l’exposition qui a trouvé asile auprès des Amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, lesquels l’ont publié sous forme d’un numéro spécial de leur Bulletin.

Mais d’abord, pourquoi Bourges ? Comme souvent dans l’histoire des bibliothèques, la cause tient pour partie du hasard : Jacques Rivière était le beau-frère d’Alain-Fournier (pseudonyme d’Henri Alban Fournier), l’auteur du Grand Meaulnes, dont on sait les liens étroits avec la Sologne26. En 2000, un descendant de la famille a fait don à la ville de Bourges des archives littéraires de ces deux personnalités d’exception : un fonds très important (plus de 18 000 pièces cataloguées), composé de papiers de toutes sortes, dont une extraordinaire correspondance, de nombreuses photographies et documents imprimés. La Bibliothèque a dès lors entrepris d’enrichir cet ensemble par des acquisitions ponctuelles. C’est toute la vie intellectuelle et artistique de Paris jusque dans les années 1900-1925 qui est ici reconstituée en archives : le catalogue donne une idée de cette richesse documentaire, et le colloque de 2009 est l’une des manifestations les plus importantes qui se sont appuyées sur elle.

L’exposition s’organisait en plusieurs parties, dont le catalogue rend bien compte. Le visiteur est d’abord introduit au phénomène des nombreuses revues littéraires nées en France autour de 1900 et, parallèlement, aux premières années du jeune Rivière : un article consacré à Claudel et publié dans la revue L’Occident le fait remarquer de Gide, lequel l’introduit dans ses réseaux multiformes. Dès 1909, Rivière publie un compte rendu dans La NRF, mais surtout il se lie particulièrement à Jacques Copeau alors que celui-ci dirige la Revue (1912-1914). Ses notes sur les expositions, les représentations, les concerts, les publications, etc., se font remarquer par leur engagement très personnel. Il est avant tout un critique, mais qui

renouvelle le genre, en proposant de véritables « poèmes critiques », selon la formule de Saint-John Perse. Dans la préface d’Études, recueil de ses essais critiques, il déclarera lui-même (…) : « J’ai parlé dans ce livre des écrivains, des artistes, avec l’enthousiasme de l’amour… J’ai introduit les mœurs de l’amour dans la critique (p. 35).

La seconde section présente « les années de maturation », qui sont aussi en partie des années de guerre (1912-1918). Devenu secrétaire de rédaction de la Revue en janvier 1912, Rivière est en charge de toute la gestion de celle-ci, dont la circulation des épreuves, mais aussi le réseau de diffusion et la « propagande » – autrement dit, la recherche de nouveaux abonnés. S’y ajoutent à partir de 1911 les « Éditions de La NRF », dont le gérant est Gaston Gallimard. Trois ans plus tard, l’entreprise est interrompue par la déclaration de guerre, et Rivière lui-même, mobilisé, est fait prisonnier par les Allemands le 25 août et interné en Saxe. Le 22 septembre, c’est la disparition du lieutenant Alain-Fournier, aux Éparges, non loin de Verdun. A partir de 1917, Rivière sera envoyé pour raison de santé à Engelberg, en Suisse, d’où il reprend des relations épistolaires denses avec ses anciens amis et où Gide et Copeau lui rendront visite.

La partie principale de l’exposition est consacrée à l’action de Jacques Rivière comme directeur de La Nouvelle Revue Française, de 1919 à 1925. La Revue reprend sa parution à partir de juin 1919, et s’ouvre par une contribution de son directeur où celui-ci développe l’idée selon laquelle la « littérature » se place sur un champ différent de celui de la « politique ». Les controverses se développent aussitôt, notamment avec le « Parti de l’intelligence » et la revue de L’Action française mensuelle. Rivière ouvre La NRF à de nouveaux venus, Aragon, Breton, Éluard, et se rapproche de Proust, qui a reconnu en lui un lecteur d’exception :

Enfin je trouve un lecteur qui devine que mon livre est un ouvrage dogmatique et une construction ! Et quel bonheur pour moi que ce lecteur, ce soit vous (février 1914).

On sait que Jacques Rivière et Robert Proust établiront le texte définitif de La Prisonnière après la mort de Marcel, en 1922. Moins de trois ans plus tard, Jacques Rivière disparaît prématurément (14 février 1925), épuisé par les séquelles de ses années de captivité et par sa suractivité à la tête de La NRF. Sa personnalité très attachante illustre parfaitement le rôle du « passeur culturel », véritable animateur à la fois engagé dans le monde de son temps, sensible et tourné vers les autres, mais aussi éditeur, gestionnaire et administrateur informé et attentif. Sous sa forme volontairement modeste, le catalogue du Centenaire fournit une mine d’informations et une remarquable iconographie illustrant une période clé de l’histoire de la littérature française contemporaine. On ne peut que se réjouir de voir le fonds Rivière conservé par la Médiathèque de Bourges, dont la richesse des collections anciennes est par ailleurs impressionnante.