Book Title

Antony Griffiths, Prints for Books : Book Illustration in France 1760-1800

London, The British Library, 2004, XIV-178 p., ill. (« The Panizzi Lectures 2003 »). ISBN 0-7123-4874-3

Wallace KIRSOP

Melbourne

Conservateur en chef du Département des Estampes et des Dessins du British Museum, Antony Griffiths a accepté de donner les conférences Panizzi en 2003 sur les livres illustrés français des quatre dernières décennies du XVIIIe siècle. Pour s’y préparer il a pris quatre mois de congé passés surtout à la British Library, mais avec des excursions vers d’autres institutions anglaises, notamment Waddesdon Manor et le Fitzwilliam Museum de Cambridge. C’est dire qu’il a renoncé de propos délibéré à travailler à Paris et à se plonger dans les sources d’archives autres que celles qui avaient déjà été publiées. En dehors de la littérature – souvent très déficiente – consacrée à un thème qui n’est plus à la mode depuis bien longtemps, il a utilisé trois documents majeurs de l’époque : la collection du Mercure de France, la Correspondance littéraire de Grimm et le Catalogue hebdomadaire publié de 1763 à 1789. N’appartenant pas à la corporation des historiens du livre, Griffiths aborde des phénomènes compliqués et mal étudiés avec une intelligence et un esprit novateur qui lui permettent d’obtenir des résultats qu’il n’est pas absurde de qualifier d’étincelants. Certes, il a bénéficié de l’aide et des conseils de spécialistes avisés, entre autres Nicolas Barker et Giles Barber, mais en fin de compte c’est le néophyte qui réussit à voir clair dans un domaine plutôt obscur et négligé, et à proposer une série de tâches concrètes pour les chercheurs à venir. Car, comme le dit la préface, Griffiths n’a pas l’ambition d’aller plus loin dans la direction qu’il a indiquée avec une précision remarquable.

Le texte imprimé est abondamment illustré, comme cela se doit, et annoté (à la fin de chacun des trois chapitres). La matière est tellement dense et riche qu’on en vient à regretter l’absence d’un index. Griffiths lance le mot d’« essai », mais on a affaire à quelque chose de beaucoup plus substantiel. Il a raison de souligner le fait que l’histoire du livre, attachée à la littérature « philosophique » et populaire, a eu trop tendance à laisser de côté un des aspects principaux de la prééminence parisienne : la fabrication du livre de luxe. En somme, nous sommes conviés à réexaminer la partie de la production où les Parisiens surclassaient sans difficulté leurs concurrents étrangers et provinciaux.

Le propos de l’auteur exclut d’office le livre scientifique et d’histoire naturelle pour se concentrer sur la littérature au sens large. Les trois chapitres suivent un mouvement qui se dessine d’une façon nette dans le temps : d’abord libraires et écrivains (« Publishers and Authors », pp. 1-56), ensuite graveurs et capitalistes ou bailleurs de fonds (« Engravers and Capitalists », pp. 57-113), enfin imprimeurs et bibliophiles (« Printers and Bibliophiles », pp. 114-175). A la fin, il y a une liste sélective des grandes entreprises de l’époque allant des Fables choisies de La Fontaine d’après Oudry (cf. ill. p. suivante) à La Gerusalemme liberata du Tasse (« Dates of Production of Some Books of the Period 1760-1800 », pp. 176-178). Le dramatis personae inclut les grands noms de la gravure – Eisen, Gravelot, Cochin, Moreau et compagnie –, des auteurs comme Claude-Joseph Dorat, Marmontel, Baculard d’Arnaud et Restif de La Bretonne, des financiers comme Jean-Benjamin de Laborde, des libraires comme les De Bure, des imprimeurs comme les Didot et des bibliophiles comme Gaignat, La Vallière et Antoine-Auguste Renouard. Il s’agit moins d’analyse esthétique que d’histoire économique, sociale et culturelle. Nous sommes devant un marché qui est international, car on n’oublie ni Beckford, ni Baskerville, ni Bodoni. Les fortunes se font et se dissipent, et l’on est parfois indifférent au gain. Mais on ne perd jamais de vue le commerce, et Griffiths se pose des questions continuelles à propos du financement des grandes éditions illustrées d’une époque qui enjambe la Révolution et la disparition de la Communauté des libraires.

Il va de soi que les grandes collections anglaises ont des richesses très considérables en ce qui concerne le livre français du XVIIIe siècle. Au-delà des principales sources utilisées, qui aident à faire comprendre le rôle essentiel des souscriptions de librairie, il y a les témoignages des objets matériels eux-mêmes. Il est essentiel de saisir le caractère spécifique d’une bibliophilie qui prise le volume unique et hors pair doté de ses épreuves avant la lettre et même de ses dessins originaux. Pour tout dire on doit apprendre à vivre dans l’intimité d’une tournure d’esprit très différente de la nôtre. C’est là la dernière leçon du livre de Griffiths.

La démonstration de l’auteur perd à être présentée d’une manière trop simplifiée. Il faut donc y revenir dans le détail – mais ailleurs. En attendant, notons qu’il y a quelques coquilles et que certaines affirmations doivent être corrigées. Par exemple, parmi les auteurs contemporains publiés par Renouard, il convient de mettre Legouvé (en italien et en français) à côté de Demoustier (p. 175). Mais ce qui est plus important, c’est d’accepter le défi lancé par Griffiths et d’entamer de nouvelles recherches biographiques et autres sur une époque fascinante de la librairie française et européenne. D’ores et déjà nous pouvons saluer Prints for Books comme un apport certain et salutaire à notre discipline.