Lyse Schwarzfuchs, L’Hébreu dans le livre lyonnais au XVIe siècle. Inventaire chronologique
Lyon, ENS Éditions-IHL, 2008, 203 p., ill. ISBN 978-284-788-122-6
Juliette GUILBAUD
Paris
Quatre ans après son étude remarquée sur le livre hébreu à Paris au XVIe siècle (CR dans HCL, no 2, 2006, pp. 381-385), Lyse Schwarzfuchs offre ici un nouvel ouvrage de référence aux historiens du livre et spécialistes du XVIe siècle, en s’attaquant à l’hébreu dans le livre lyonnais. La précision du titre rappelle implicitement que, sur les deux cents notices de l’inventaire, pas un seul ouvrage n’est entièrement en caractères hébraïques. Les recherches pour le volume parisien laissaient déjà entrevoir l’importance de Lyon dans la diffusion des études hébraïques au XVIe siècle et l’intégration de cette ville aux réseaux du livre de l’époque. L’inventaire chronologique ici proposé vient confirmer ces hypothèses. Lyon se révèle en effet une ville pionnière en matière d’imprimerie hébraïque en France : en 1486 y sont gravés les premiers caractères hébraïques carrés, la première édition d’un texte biblique (en l’occurrence celle des Psaumes) utilisant ces caractères en est issue (1530), de même que les premiers ouvrages de référence remarquables pour l’enseignement et l’étude de la langue hébraïque: grammaire de Sante Pagnini (1526), dictionnaire hébreu-latin du même (1529). Sante Pagnini, philologue et exégète né à Lucques, associé à l’imprimeur Antoine Du Ry, est à l’origine de l’essor de l’imprimerie hébraïque à Lyon dans la décennie 1526-1536. Cette collaboration n’est pas exclusive, puisque Pagnini est aussi impliqué dans la majeure partie de la production en caractères hébraïques de Sébastien Gryphe entre 1528 et 1554.
Lise Schwarzfuchs brosse en introduction un tableau des milieux hébraïsants tantôt catholiques, tantôt protestants qui sont actifs à Lyon au XVIe siècle : ce sont des milieux où auteurs, imprimeurs-libraires et dédicataires sont étroitement liés. La coupure chronologique de la seconde moitié du siècle en deux périodes – 1550-1565 et 1566-1600 –, que l’auteur fait respectivement coïncider avec une étude des hébraïsants protestants ou sympathisants de la Réforme (pp. 25-32), puis des hébraïsants catholiques (pp. 32-37), n’est peut-être pas la plus judicieuse, car elle donne l’impression d’un tableau assez figé, alors que les caractéristiques de Lyon à cette époque sont sans conteste son dynamisme, son cosmopolitisme et son ouverture sur les autres villes d’Europe, les interactions qui peuvent s’y produire entre hébraïsants et la vitalité des études hébraïques, tout ceci en dépit d’un système d’études non institutionnalisé (en dehors des collèges). L’auteur met en revanche en évidence de façon pertinente les différences majeures de l’imprimerie en caractères hébraïques telle qu’elle est pratiquée à Lyon et à Paris.
On retrouvera dans ce volume à la fois les qualités et quelques menus défauts déjà frappants dans le volume parisien : une étude minutieuse des fontes pour chacun des imprimeurs, agrémentée d’illustrations au gré de l’inventaire, des graphiques comparant les productions lyonnaises et parisiennes en quatre domaines (alphabets, Bibles, grammaires, dictionnaires & ouvrages de référence) et bien sûr, l’inventaire chronologique extrêmement précis de deux cents notices (contre quatre cent cinquante pour Paris), comprenant même les éditions dont aucun exemplaire n’a pu être retrouvé. L’ensemble se clôt par une série d’index thématiques (imprimeurs-libraires lyonnais ; autres imprimeurslibraires ; noms de personnes, de lieux et titres d’ouvrages) particulièrement soignés. La courbe de la production sur l’ensemble de la période, dont nous déplorions l’absence dans le volume parisien, manque ici aussi. Il est certain que toute analyse quantitative d’une telle courbe serait périlleuse, mais visuellement, elle permettrait sans doute de révéler d’emblée certaines évolutions de la production (l’auteur évoque notamment un ralentissement de l’activité à partir des années 1550, où les rééditions deviennent bien plus nombreuses que les éditions originales). Le champ qui recense les bibliothèques où telle ou telle édition est conservée est toujours aussi touffu, et seules quelques rares cotes sont mentionnées.
Ces remarques ne remettent nullement en cause la qualité de ce nouvel inventaire et de son commentaire qui permettent l’un et l’autre de replacer la production lyonnaise dans le double contexte de l’histoire du livre et de celle du judaïsme européen au XVIe siècle.