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Dialogue Amériques-Ibérie-France : Le IIe Séminaire Brésilien « Livre et histoire éditoriale »

(lihed, Rio-de-Janeiro, mai 2009)

Marisa MIDORI DEAECTO

Professeur à l’« Escola de Comunicações e Artes », Universidade de São Paulo

NdlR. Traduit par Mariana Teixeira Marques et revu par la rédaction.

El par che voi veggiate, se bem odo,

Dinanzi quel che ‘I tempo seco adduce,

E nel presente tenete altro modo

(Dante Alighieri, La Divina comedia, Inferno, Canto X)

Le IIe Séminaire Brésilien « Livre et histoire éditoriale » (LIHED), qui a eu lieu du 11 au 19 mai 2009 à Rio de Janeiro et à Niterói, constitue une des ces rares opportunités de dialogue entre chercheurs brésiliens et étrangers consacré à un objet commun, à savoir le Livre. A l’exemple de la première édition du Séminaire, qui s’était tenue en novembre 2004, le IIe LIHED a marqué un jalon nouveau dans la production académique dans ce domaine d’études. Ce point apparaît, parmi d’autres indicateurs, dans l’ampleur de la rencontre : cinq journées pleines d’activités, dans lesquelles se sont réunis trois cent trente-deux chercheurs (enseignants, étudiants en licence, master et doctorat, professionnels du livre), représentant soixante-trois universités (cinquante-sept nationales et six étrangères), sans compter d’autres institutions sans but éducationnel. Le résultat de ces efforts a été la présentation de deux cent vingt-quatre communications. Il faut ajouter à ces données la présence des étudiants des universités de l’État de Rio de Janeiro, spécialement, l’Universidade Federal Fluminense, une des institutions qui ont accueilli les séances de travail, ce qui a assuré un décor privilégié aux rencontres, débats et échanges d’expériences.

Dans le cadre des commémorations de l’Année de la France au Brésil, la ligne de force de l’événement a porté sur le dialogue entre chercheurs du monde ibérique et de l’« hexagone », partis en quête des similitudes et des différences qui ont caractérisé et qui caractérisent encore l’univers du livre dans ces sociétés sœurs. Du côté lusophone, c’est-à-dire, parmi les brésiliens et les portugais, il semble juste affirmer, comme l’avait fait Eduardo Frieiro dans son étude sur une bibliothèque du XVIIe siècle dans l’État des Minas Gerais, que les chercheurs n’ont pas perdu de vue la coordonnée du méridien français1. Ce choix n’implique aucunement l’abandon des traits spécifiques de chaque réalité sociale, fait qui se confirme dans les objectifs tracés par le coordinateur de l’événement, Aníbal Bragança (UFF) : 1) Offrir un panorama actuel des résultats atteints dans ce domaine de recherche à partir d’une vision multidisciplinaire. 2) Favoriser la rencontre de chercheurs locaux et étrangers. 3) Promouvoir la connaissance et la préservation des documents et des archives éditoriales et littéraires au Brésil. 4) Resserrer les liens entre professionnels du livre et chercheurs. 5) Accueillir les contributions des éditeurs, libraires, auteurs et autres agents du monde professionnel du livre pour la construction d’une mémoire éditoriale capable de regrouper les multiples agents de la production éditoriale. 6) Commémorer le deuxième centenaire de l’implantation de la première typographie brésilienne. 7) Favoriser l’édition et le lancement – pendant le séminaire et dans des projets futurs – de recherches nouvelles. 8) Faire la lumière sur les résultats de l’organisation des archives de la librairie et maison d’édition Francisco Alves, pendant la période de 1854 à 1954, avec l’exposition « Francisco Alves, Rei do Livro » et avec la création d’une base de données virtuelle permettant de rendre cette documentation accessible aux chercheurs en général2.

Ces objectifs se sont logiquement concrétisés dans l’organisation du Séminaire en trois grandes sections de travaux.

La première, tenue à la Fundação Biblioteca Nacional (Rio de Janeiro), était orientée sur le thème « Dialogue Brésil-France : livre et lecture, théories et pratiques », sous la coordination d’Aníbal Bragança (UFF), Márcio Souza Gonçalves (UERJ), Jean-Yves Mollier (UVSQ) et Diana Cooper-Richet (UVSQ). Il s’agissait d’offrir une opportunité originale de présenter et de discuter des propositions thématiques et méthodologiques concernant les études sur le livre et sur la lecture, avec une mise en perspective des contributions des spécialistes français et brésiliens. Frédéric Barbier (CNRS) a proposé l’étude de la circulation de l’imprimé dans le domaine de l’économie-monde au XVIIIe siècle, ce qui faciliterait l’appréhension de phénomènes qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour mais dont on néglige souvent la dimension historique : intégration, mondialisation et globalisation. Les réflexions de Diana Cooper-Richet et de Jean-Yves Mollier vont dans le même sens. Les deux chercheurs du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines ont rappelé l’importance des recherches sur la Librairie étrangère dans le Paris du XIXe siècle, étant donnée la vocation cosmopolite et centralisatrice de la « ville lumière »3. De même, quelques questions ont été soulevées sur l’organisation de la Librairie française en tant qu’entreprise dans la dernière moitié du XXe siècle.

Ces questions peuvent nous guider vers une autre thématique épineuse et, pourtant, essentielle de nos jours : « Comment va la mort du livre ? », tel a en effet été le thème envisagé par Michel Melot dans sa conférence. La participation française dans cette section consacrée aux dialogues Brésil-France a été complétée par les interventions de André Vauchez (Institut de France) et de Jean-François Botrel (Université de Rennes II). Le premier a proposé quelques réflexions sur le rôle du récit biographique dans l’historiographie française, reprenant des livres chers à notre formation universitaire brésilienne, comme le Saint Louis de Jacques Le Goff, ou faisant référence à une étude qui appartient à la première génération des Annales, le Luther, de Lucien Febvre. Jean-François Botrel a rappelé de son côté les liens entre les « librairies » française et ibérique, en soulignant les caractères spécifiques du livre espagnol et notamment l’organisation des maisons d’édition de la péninsule aux XIXe et XXe siècles.

La rencontre a été poursuivie par les participations d’Anibal Bragança, qui a présenté les préliminaires de sa recherche sur la maison Francisco Alves en Europe, une expérience à « contre-courant » au début du XXe siècle ; de Lúcia Bastos (UERJ), avec son intéressante investigation à propos des origines de J. Bompard, libraire français installé à Rio de Janeiro dans la décennie 1820 ; de Márcia Abreu (Unicamp), qui traite de la réception de la littérature de feuilleton au Brésil à partir des mésaventures de l’Histoire de deux amants entre Paris et Rio de Janeiro ; enfin, de Nelson Schapochnik, avec son voyage en « mystériomanie », résultat d’une longue investigation sur l’édition, la circulation et les multiples formes d’appropriation du modèle narratif des Mystères de Paris.

Marialva Barbosa (UFF) et Tania Maria Bessone (UERJ) ont apporté aux débats des contributions plus centrées sur la société brésilienne du XIXe siècle. Dans le premier cas, les investigations concernent la population noire-africaine en situation d’esclavage. Est-ce que les esclaves lisaient ? Et si oui, que lisaient-ils, et dans quelles conditions ? Ou, ce qui est problématique, où chercher des indicateurs d’instruction s’agissant d’une couche de la société qui, pendant des siècles, a été reléguée à des espaces marginaux des mondes rural et urbain ? A l’extrême opposé, Tania Maria Bessone observe comment les gens de lettres font des quotidiens un espace de consécration de la vie culturelle et intellectuelle citadine : un indice de cet effort d’autoreprésentation de la figure de l’homme de lettres réside dans l’apparition des rubriques consacrées aux annonces de livres sous forme de comptes-rendus, comme on les trouve toujours dans les journaux et magazines actuels.

La section «Archives, Mémoire éditoriale et Histoire de la vie littéraire», coordonnée par Aníbal Bragança, a eu lieu dans l’auditorium de l’Académie brésilienne des Lettres (Rio de Janeiro). De nouveau, nos invités français ont partagé leur expérience des archives institutionnelles ou privées avec des chercheurs brésiliens et avec deux autres intervenants qui ont élargi les limites géographiques du séminaire: nous faisons allusion ici à la présence de Manuela Domingues (de la Bibliothèque nationale de Lisbonne), dont la conférence portait sur la problématique des sources de la « Maison Littéraire Arco do Cego », dirigée par un prêtre à la fin du XVIIIe siècle à Lisbonne ; et de Gustavo Sorá (Universidad Nacional, Córdoba, Argentine), qui a proposé de tracer une ethnographie des archives éditoriales de l’Amérique Latine.

Quatorze interventions ont été présentées dans ce cadre, avec l’objectif de se focaliser sur les différentes voies et méthodes ouvertes à la recherche en histoire du livre dans les archives et les bibliothèques. Concernant les archives éditoriales, il faut souligner la contribution de jeunes chercheuses brésiliennes qui, en dépassant les barrières habituellement imposées par les entreprises pour accéder à leurs fonds, ont pu tracer les premières lignes d’une longue histoire de maisons d’édition importantes sur la scène culturelle brésilienne. Il s’agit de la Companhia Editora Melhoramentos, étudiée par Gabriela Pellegrino Soares (USP), de la Companhia Editora Nacional, objet de la recherche de Maria Rita de Almeida Toledo (Unifesp), et de la Editora Globo, abordée par Elizabeth Torresini. Le groupe travaillant sur la thématique des livres scolaires, a bien résumé un aspect fort des recherches dans le domaine de l’histoire de l’édition et des pratiques de lecture au Brésil. D’importantes collections éditoriales relèvent en effet de ce domaine : le « Fonds de livres didactiques », coordonné par Circe Maria Fernandes Bittencourt (USP), constitue la plus grande bibliothèque de ce type au Brésil ; le « Sedoc/Ceale », dirigé par Francisca Izabel Pereira Maciel (UFMG), a pour objectif la conservation des manuels de lecture ; enfin, le « Centre de mémoire éditoriale brésilienne » possède le fonds de la librairie Francisco Alves (au LIHED). Ces présentations se sont achevées par la visite de l’Exposition « Francisco Alves, Rei do Livro », et par le lancement du projet de digitalisation des documents concernant cette maison d’édition, sous la coordination d’Aníbal Bragança (UFF).

La section de travaux tenue à l’Universidade Federal Fluminense (Niterói) mérite une attention spéciale, dans la mesure où elle se concentre de façon exclusive sur les études du livre et de la lecture dans une perspective nationale brésilienne, sous le titre général de « 200 ans de livre au Brésil ». Il reste pourtant problématique de savoir dans quelle mesure ces contributions, résultat d’efforts individuels ou institutionnels, confirment la constitution d’un champ de recherche autonome portant sur le domaine du livre, de l’édition et de la lecture dans notre pays.

La création de la première imprimerie brésilienne se fait en 1808, dans la conjoncture exceptionnelle des guerres napoléoniennes et du départ de la cour de Portugal de Lisbonne pour se réfugier dans la colonie. L’ouverture de l’Impressão Régia, autorisée par un décret du régent D. João en date 13 mai 1808, a en effet ouvert la voie à la production d’imprimés variés au Brésil. Les termes du décret soulignent la nécessité d’importer cette technique déjà ancienne en Europe :

Je désire que la Maison où se sont établis [les presses] fonctionne de façon intérimaire comme Imprimerie Royale, où soient imprimés exclusivement tous les documents législatifs ou diplomatiques qui émanent de n’importe quelle administration appartenant au Service Royal ; et qu’il soit en outre possible d’imprimer n’importe quelles autres œuvres…4

Malgré le fait que l’Impressão Régia pouvait imprimer toutes sortes de textes, il n’était pas difficile de prévoir que le décret aurait une répercussion positive pour la création d’autres ateliers au Brésil, et pour favoriser les débuts d’une presse périodique brésilienne. C’est sur ce point que les conséquences de 1808 ont été les plus importantes, surtout à cause de la conjoncture dans laquelle la presse périodique a émergé – les moments décisifs de l’Indépendance (1822), puis l’enthousiasme des projets de construction de l’État national. Ce sont ces mêmes ateliers typographiques qui ont aussi publié les premiers romans que nous connaissions au Brésil.

L’histoire de la presse brésilienne a été largement étudiée, comme le confirment les synthèses de Hélio Vianna, de Carlos Rizzini et de Nelson Werneck Sodré, auxquelles s’ajoutent d’autres études de caractère plus régional ou local5. Parmi ces auteurs, Carlos Rizzini envisage, dans son livre publié pour la première fois en 1946, l’histoire à la fois du livre proprement dit et de la presse périodique : pourtant, l’ouvrage ne suscite pas la constitution immédiate d’un champs de recherche autonome, même s’il ouvre la voie à des réflexions sur la présence du livre au Brésil. D’autres chercheurs abordent aussi cette problématique, notamment les bibliophiles, qui au Brésil ont très vite envisagé les questions de l’histoire sociale du livre et de l’édition6. Rien de surprenant par conséquent à ce que les quatre-vingt-neuf contributions au colloque sur «200 ans de livre au Brésil » aient surtout traité de la presse dans sa double signification (de machine à imprimer, et de périodique). Il est possible d’ailleurs que la riche tradition des études sur les périodiques (journaux et magazines) ait entraîné pour les chercheurs l’obligation fréquente de se fonder sur elles pour entreprendre leur travail.

Un certain nombre de titres appartenant au corpus bibliographique de l’histoire brésilienne du livre se sont imposés comme des références pour l’ensemble du domaine. Ainsi, l’ouvrage de Laurence Hallewell, O Livro no Brasil est-il incontournable s’agissant des recherches sur les typographes, libraires et éditeurs étrangers ou nationaux qui se sont fait concurrence sur place7. Une méthode fréquente consiste à reconstruire l’histoire du livre au Brésil à partir de monographies consacrées à ses principaux acteurs, et les connaissances ont particulièrement avancé sur des figures comme celles de Francisco Alves (1848-1917), de Monteiro Lobato (1882-1948), de José Olympio (1902-1990) ou encore de Ênio Silveira (1925-1996)8.

Le IIe Séminaire « Livre et histoire éditoriale » fonctionne aussi comme un révélateur des tendances actuelles. Les questions concernant « l’implantation » de la presse brésilienne ont été abordées dans le débat d’ouverture, avec l’analyse d’Aníbal Bragança sur les précurseurs (la Typographie de « Arco do Cego », et Antonio Isidoro da Fonseca), qui ont rétabli la continuité entre le Portugal et le Brésil, ce dernier alors soumis à un régime colonial déjà décadent. De son côté, Márcia Abreu s’est penchée sur la présence de la littérature parmi les premiers imprimés réalisés pour la Cour du Brésil. Puis l’attention s’est portée sur les phénomènes régionaux, et ce simple fait, étant donnée la superficie considérable du Brésil, témoigne de la large diffusion et du succès de notre domaine de recherche. Toutes les régions interviennent en effet aujourd’hui dans la recherche : Nord (Pará-PA, Amazonas-AM, Acre-AC, Maranhão-MA) ; Nord-Est (Bahia-BA, Paraíba-PB, Pernambuco-PE, Sergipe-SE, Piauí-PI) ; Centre-Ouest (Distrito Federal-DF, Mato Grosso-MT) ; Sud-Est (Rio de Janeiro-RJ, São Paulo-SP, Minas Gerais-MG, Espírito Santo-ES) ; et Sud (Rio Grande do Sul-RS, Santa Catarina-SC).

Le temps de « consolidation » se fait au Brésil par la montée en puissance d’un marché éditorial encore déséquilibré à la fin du XIXe siècle, mais qui atteint son apogée dans les premières décennies du XXe : d’où la présence d’études sur les éditeurs et sur les entreprises qui ont marqué l’époque. Aux noms cités, il faut ajouter ceux de maisons qui ont eu un rôle important dans le contexte de modernisation du pays après 1930, comme la Companhia Editora Nacional, les Edições Melhoramentos jusqu’à nos jours, Editora Ática, Companhia das Letras, Libre, et plusieurs autres qui intéressent de façon particulière le public brésilien…

Parallèlement au développement de ces thèmes, les recherches plus traditionnelles se poursuivent, sur les librairies, sur les bibliothèques, sur les hommes de lettres, sur la vie littéraire, sur les genres éditoriaux, etc., une attention particulière étant donnée au domaine de l’édition scolaire. Celui-ci dispose en effet d’archives et de collections spécialisées, et intéresse le plus grand nombre d’imprimeries du pays, surtout à São Paulo. Si les questions éditoriales sont bien envisagées, les études sur la « librairie » restent pourtant moins fréquentes et moins avancées9. Par ailleurs, des travaux sur les représentations et sur les pratiques de lecture se sont développés à partir d’un complexe indécis de mémoires littéraires, pour intégrer enfin, à partir des années 1970, le genre académique : on mentionnera les investigations de Marlise Meyer, de Maria Beatriz Nizza da Silva, de Marisa Lajolo et de Regina Zilberman. En dépit du fait qu’ils n’aient pas été présents au IIe Séminaire, leurs héritiers directs – anciens élèves et chercheurs travaillant sur la base de ces propositions méthodologiques – maintiennent vivant et en plein développement ce champ d’études10. Enfin, le IIe Séminaire accueillait l’un des auteurs français ayant exercé au Brésil aussi une certaine influence sur la recherche concernant les lecteurs, les représentations et les pratiques de lecture : Roger Chartier (Collège de France) a clôturé en effet par une conférence de synthèse cette longue journée de travaux.

L’ensemble de ces thèmes dessine un tableau suggestif du monde de la lecture et des lecteurs brésiliens à travers l’histoire. La diversité et la multiplication des interventions rendent impossible de donner un compte rendu exhaustif, puisque deux cent vingt-quatre conférences ont été proposés. Pourtant, la quantification fournit quelques résultats.

Le Séminaire a réuni des participants qui, en majeure partie, appartiennent au monde académique – mais on soulignera surtout la proportion importante d’étudiants, ainsi que la présence de quelques professionnels du monde du livre. Ces confrontations, qui restent à développer, sont essentielles à la fois pour reconstruire la « mémoire éditoriale » brésilienne, notamment par le biais des expériences individuelles, mais aussi pour élaborer une taxonomie des agents du livre qui puisse s’approcher et rendre compte de la configuration du marché tel qu’il se présente dans nos jours. Le rapport entre les communications effectivement présentées et les profils des intervenants confirme l’orientation académique du Séminaire.

Profils des participants
Professeurs/chercheurs brésiliens138
Étudiants en master ou doctorat88
Étudiants en licence55
Étudiants boursiers et autres collaborateurs25
Professionnels du marché18
Professeurs/chercheurs étrangers8
Total332

Le fait que l’une des thématiques privilégiées, au Brésil, en Amérique latine, dans la péninsule ibérique et en France, porte sur les études dépassant le cadre national ressort aussi des travaux du Séminaire. Cette tendance s’est vérifiée dans les colloques plus spécialisés, ainsi que dans la présentation des communications dites « libres » (autrement dit, qui ne s’intégraient pas à un thème spécifique). Les espaces géographiques sont abordés dans une perspective comparatiste, sinon toujours hiérarchisée, parfois en faisant référence au concept de mondialisation ; parallèlement, l’examen des grandes périodes étudiées aboutit à privilégier la période contemporaine, qui est précisément celle d’un espace-temps globalisant.

La statistique sur les participants peut se poursuivre à partir des mots-clés figurant dans les index du programme, et dont nous pouvons penser qu’ils rendent dans une certaine mesure compte des thématiques dominant les tendances actuelles de la recherche brésilienne sur le livre et sur la lecture. Une première difficulté consiste cependant à identifier des dénominateurs communs à partir des mots-clés donnés par les auteurs, et notamment à distinguer les termes de signification plus générale, relatifs à la méthodologie de la recherche, du groupe des mots plus spécifiques et des noms propres (auteurs, éditeurs, maisons d’édition, titres de livres, journaux, revues, etc.). Une fois ce tri réalisé, nous avons retenu les cinquante occurrences les plus fréquentes (sur 465) : livre (1er rang), lecture (2e rang), culture (3e rang), édition (4e rang), histoire (5e rang), littérature (6e rang), quotidiens (titres –) (7e rang), archives (8e rang), formation (9e rang), auteur (10e rang), etc. L’occurrence de certains termes en rapport avec le monde de la lecture dans le cadre scolaire – école, écolier, enfants, éducation, jeunesse – confirme une nouvelle fois le rôle des études associées au domaine général de l’éducation. D’autres termes apparaissent en tant que marqueurs méthodologiques, tout en signalant l’influence de certains chercheurs au Brésil : ainsi par exemple du terme « champs », lié aux conceptions de Pierre Bourdieu, ou encore du terme « formation », pour lequel l’influence du critique littéraire Antonio Candido est très grande.

Les deux derniers termes apparaissant à la fin de la série sont ceux de « révolution » (au sens politique) et de « technologie ». « Révolution » témoigne de l’émergence de nouveaux horizons pour l’étude du livre : si la Révolution française s’est imposée comme le paradigme dominant sur le plan de l’histoire politique, on note l’absence de tout mot-clé qui fasse référence à la question de l’indépendance des États américains, ou encore aux recherches sur la période coloniale. Mais la Révolution russe de 1917 n’a pas un impact moindre, surtout sur la génération formée dans la période de l’Entre-deux-guerres et sur ses héritiers. Il est impossible de ne pas rappeler ici la figure d’Edgard Carone (1923- 2003) et de son O Marxismo no Brasil. Des origines a 1964 (Rio de Janeiro, Dois Pontos, 1986)11. Les interventions sur l’édition d’inspiration marxiste ou, de façon plus générale, sur les éditions et maisons d’édition de la gauche brésilienne, ont particulièrement concerné la période 1964-1981, époque de la dictature militaire (d’où la présence du terme de « censure » dans le corpus).

Une autre acception de « révolution » porte cependant sur la technologie et sur la problématique des « révolutions du livre ». S’il est possible que les recherches dans cette direction visent aussi à répondre aux discours fatalistes faisant référence à la « mort du livre », il s’agit d’abord de comprendre de manière synthétique les révolutions par lesquelles le support de l’imprimé est passé, ainsi que ses transformations actuelles et sa survivance possible. La problématique des « révolutions du livre » débouche en effet tout naturellement sur les interrogations par rapport au futur, étant donné le rythme accéléré qui est celui des changements technologiques dans le domaine des communications. Pourtant, aucun autre paradigme n’est lié si en profondeur à la tradition : les livres font-ils les révolutions ? Inversement, est-ce qu’ils survivent aux révolutions ? En réfléchissant aux effets de ces multiples phénomènes sur les sociétés dans leur ensemble et en les analysant avec notre regard d’aujourd’hui – dans un moment si difficile à saisir ! –, ne pouvons-nous pas nous demander, comme Henri-Jean Martin, « dans quelle mesure les nouveaux moyens d’information permettent ou non de se former une opinion réellement indépendante ? »12.

Lit-on trop, ne lit-on pas assez ? Nous avons évoqué ailleurs les rapprochements entre le vin et les livres. A l’origine, la presse typographique n’est pas sans rapport avec le pressoir à vin, inspirant cette fabuleuse rencontre entre les livres et les vins à l’aube de la modernité13. Le Séminaire du IIe LIHED confirme la présence durable des livres dans notre civilisation contemporaine. Comme les vins, ils alimentent le corps et l’âme. Et leur présence devient multiplicatrice des nouvelles réflexions et de nouveaux travaux. Les livres reviennent au centre de l’attention pour des centaines de chercheurs réunis autour d’un objet central : envisager, par toutes sortes de biais, d’approches et de méthodes, la présence du livre dans les sociétés humaines. En ce sens, des rencontres comme le LIHED permettent d’éclairer le futur sans perdre de vue la tradition. C’est le présent qui, comme l’écrit Dante, nous échappe le plus facilement : « El par che voi veggiate, se bem odo,/ Dinanzi quel che ‘I tempo seco adduce,/E nel presente tenete altro modo ». Nous attendons donc le futur, et les prochains Séminaires !

« L’opéra des livres » : l’atrium de la Bibliothèque nationale du Brésil à Rio de Janeiro (cliché F. Barbier).

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1 Eduardo Frieiro, O Diabo na livraria do cônego. 2e éd., Belo Horizonte, Itatiaia, 1981 (1re éd., 1934).

2 Livro do II Lihed, éd. Aníbal Bragança (mai 2009), pp. 11-12.

3 « Une capitale internationale du livre : Paris, XVIIe-XXe siècle », dir. Jean-Yves Mollier, dans Histoire et civilisation du livre. Revue internationale, V, 2009, pp. 3-194, ill.

4 Bibliografia da Impressão Régia, éd. Ana Maria de Almeida Camargo, Rubens Borba de Moraes, São Paulo, Edusp, Kosmos, 1993, p. XVII.

5 Hélio Vianna, Contribuição à história da imprensa brasileira (1812-1869), Rio de Janeiro, Imprensa Nacional, 1945 ; Carlos de Andrade Rizzini, O Livro. O jornal e a tipografia no Brasil (1500- 1822), éd. fac-similé, São Paulo, Imprensa Oficial do Estado, 1988 ; Nelson Werneck Sodré, A História da imprensa no Brasil, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1966.

6 Aníbal Bragança, « A constituição do campo interdisciplinar de estudos do livro e da história editorial no Brasil (1900-2000) », dans Comunicação, acontecimento e memória, Aníbal Bragança, Sonia Virgínia Moreira, éd., São Paulo, Intercom, 2005, pp. 79-94.

7 Laurence Hallewell, O Livro no Brasil, São Paulo, Edusp, 2005 [1re éd., 1985].

8 Quelques exemples récents : Lucila Soares, Rua do Ouvidor 110. Uma história da livraria, Rio de Janeiro, José Olympio Editora, Biblioteca Nacional, 2006 ; Gustavo Sorá, A Casa José Olympio e o livro no Brasil, São Paulo, Edusp, 2009 ; Leilah Santiago Bufrem, Editoras Universitárias no Brasil. Uma crítica para a reformulação da prática, São Paulo, ComArte-Edusp, 2001.

9 Dans ce domaine, Ubiratan Machado apporte des contributions très originales, à l’exemple de A Etiqueta de livros no Brasil (São Paulo, Edusp, Oficina Rubens Borba de Moraes, 2004) et, plus récemment, de Pequeno guia histórico das livrarias brasileiras (São Paulo, Ateliê Editorial, 2009). Mentionnons, dans ce même champ thématique, la réédition du livre d’Aníbal Bragança, Livraria Ideal. Do cordel à bibliiofilia (São Paulo, Edusp, ComArte, 2009).

10 Nelson Schapochnik, « Cicatriz de origem. Notas para uma historiografia da leitura no Brasil », dans João Alexandre Barbosa : o leitor insone, éd. Plínio Martins Filho, Waldecy Tenório, São Paulo, Edusp, 2008, pp. 367-388.

11 La recherche pratiquement exhaustive a été conduite par l’auteur sur la base des fonds d’archives, des collections des bibliothèques brésiliennes et étrangères, et de sa riche collection personnelle. Voir le volume d’hommage : Leituras marxistas e outros estudos, éd. Lincoln Secco, Marisa M. Deaecto, São Paulo, Xamã, 2004.

12 Henri-Jean Martin, Histoire et pouvoir de l’écrit, collab. Bruno Delmas, Paris, Albin Michel, 1998, p. 456.

13 Marisa Midori Deaecto, « Biblioteca Básica – História do Livro », dans Verbo. Revista da Associação dos Editores Universitários, 5, mai-juin, 2009, pp. 32-37.