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Aux sources iconographiques des Figures de la Bible troyennes

Marie-Dominique LECLERC

Université de Reims – Champagne-Ardenne

Parallèlement aux productions de la Bible en langue vernaculaire, les éditions de colportage ont mis à la disposition du plus grand nombre des impressions, moins soignées mais peu coûteuses, liées au texte sacré. En fait, les imprimeurs de la Bibliothèque bleue n’ont jamais publié intégralement la Bible, mais bien des textes bleus qui, en revanche, se prétendent un reflet partiel du grand livre. Une telle situation peut paraître singulière, dans la mesure où les inventaires après décès des familles troyennes Oudot ou Garnier, spécialisées dans l’impression bon marché, font nettement apparaître une prédominance des ouvrages religieux1. Toutefois, pour reprendre les termes d’Henri-Jean Martin, « les plus célèbres épisodes de l’Écriture – et notamment la vie du Christ – parvenaient aux lecteurs de la Bibliothèque bleue avant tout à travers des récits romancés »2 : Vie, mort et passion de notre sauveur Jésus-Christ, Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus-Christ, Histoire abrégée du Nouveau Testament, Discours tragique en vers héroïques sur la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, La Vie et Légende de saint Jean-Baptiste, ou encore les Figures de la Sainte Bible. On notera au passage que l’Ancien Testament n’est représenté officiellement que par ce dernier titre, mais en fait Vie, Mort et passion de notre Sauveur Jésus-Christ comporte une première partie consacrée à l’Ancien Testament, suivie d’une seconde dévolue à la vie du Christ3.

Les Figures de la Bible ont, pour leur part, été produites, tout au long du XVIIIe siècle, par les deux grandes dynasties Oudot et Garnier, et elles représentent l’un des petits ouvrages parmi les plus illustrés de la Bibliothèque bleue. Les éditions relativement nombreuses de ce livre permettent de penser à un succès de librairie, qui perdurera jusqu’au XIXe siècle avec les Baudot, successeurs des Garnier.

Le principe même du livre « à figures » étant de privilégier l’image par rapport au texte, c’est l’iconographie qui retiendra ici notre attention. Les imprimeurs de livrets bleus n’inventaient rien… ou presque rien. Ils empruntaient, récupéraient, adaptaient. Nous tenterons donc, parmi l’impressionnante production de bibles imprimées au XVe et au XVIe siècle, de repérer les éditions illustrées qui ont pu servir de modèles à ce livret bleu et de dresser une généalogie – sans doute partielle – de ces Figures de la Sainte Bible troyennes.

LES BIBLES À FIGURES

Peuvent être considérées comme bibles à figures les bibles illustrées où le primat est – ou semble – donné à l’image par rapport au texte. A ce titre, les illustrations y sont beaucoup plus significatives que le texte d’accompagnement, et c’est bien ce que laisse supposer le titre habituel du livret Figures de la Sainte Bible avec une explication très-utile sous chaque Figure. Plus précisément, Max Engammare4 en propose la définition suivante :

Les Figures de la Bible sont des recueils de gravures sur bois, plus tard sur cuivre, qui représentent l’Écriture à travers des cycles d’estampes qui peuvent couvrir toute la Bible ou la seule histoire de David. Du texte fait corps avec l’image, puisque d’un point de vue graphique des énoncés divers accompagnent, enveloppent, sinon protègent la gravure (…). Les Figures de la Bible associent étroitement texte et image, ce qu’énonce le mot figures de leur titre, inscrivant leur double appartenance aux arts visuels et à la rhétorique.

En France, dans les années 1530, se répand le genre des bibles illustrées ; la présence de planches ou de vignettes rend sans doute la lecture des textes saints plus aisée, les illustrations permettant d’orienter imagination et réflexion. Cette confiance placée dans le pouvoir de l’image permet d’expliquer, selon Henri-Jean Martin5, l’engouement pour le livre à figures à partir du deuxième tiers du XVIe siècle. C’est à cette époque que commencent à fleurir les Icones, Tableaux, Figures, Peintures et les livres d’emblèmes. A Lyon, les frères Trechsel et les frères Frellon6, avec leurs recueils d’images de la Bible, pensaient récupérer, au bénéfice de la Religion, le goût de leurs contemporains pour les livres d’emblèmes. Utilisant les illustrations de Hans Holbein pour l’Ancien Testament, Jean Frellon publie, entre 1538 et 1549, sept éditions de son Historiarum Veteris Testamenti Icones avec des légendes tantôt en français, tantôt en espagnol ou en anglais selon le public visé. Jean de Tournes poursuit en 1553 avec ses Quadrins historiques de la Bible et Quadrins historiques d’Exode pour les vignettes desquels il fait appel à Bernard Salomon. De petit format, ces ouvrages renferment une illustration par page, comme dans les livres d’emblèmes, avec au-dessus une référence à un chapitre de la Bible et au-dessous un verset explicatif. Pour les frères Frellon comme pour Jean de Tournes, les images de la Bible devaient familiariser les lecteurs avec l’Ancien et le Nouveau Testament.

D’ailleurs, dans l’épître dédicatoire des Quadrins historiques de la Bible, suite de figures relatives aux principaux épisodes de la Genèse et de l’Exode et qui relève parfaitement de ce genre éditorial, Claude Paradin a précisé ses intentions concernant la composition de son livre :

Doncques, pour l’importance des saintes histoires, qui est si grande qu’il [sic] ne doivent estre ignorées de personnes : nous avons choisi certeins adminicules de peinture, accompagnez de quadrins poëtiques, sortis du livre de Genese, pour graver en la table des affections l’amour des sacrées histoires, à celle fin que un chacun fust induit à l’amour de ce seul et unique nécessaire, qui est la sainte parole de Dieu.

Ces propos sur le pouvoir des images sont complétés par ceux de Jean de Tournes, qui rappelle la fonction mnémonique de ces mêmes images en invitant le lecteur à « tapisser les chambres de [sa] mémoire des figures » de l’ouvrage. De telles allusions aux représentations figurées de l’Écriture sont également présentes en avant-propos de certaines bibles illustrées du XVIe siècle7.

Une dizaine d’années plus tard (1564), Guillaume Rouillé reprend la formule après avoir publié ses bibles en langue vernaculaire. Toutefois, le dynamisme des imprimeurs-libraires lyonnais pour ces Figures de la Bible ne doit pas faire oublier que leurs confrères parisiens s’adonnaient aussi à ce genre éditorial : François et Pierre Regnault (1538 pour le premier et 1544 pour le second), Étienne Groulleau (1547, 1552), Nicolas Buffet (1548), la veuve de Guillaume Le Bret (1550) pour ne citer que les plus anciennes éditions8.

Max Engammare en relève la présentation quasi systématique :

Au-dessus de la gravure, la page porte une inscriptio ou motto, à savoir un titre, un thème, le texte biblique concerné ou sa référence, parfois encore un sommaire ou ces différents éléments réunis. A la figura s’articule une paraphrase, une sentence morale, un distique historique, un huitain descriptif ou une autre pièce didactique, voire méditative : l’épigramme ou la subscriptio placée sous l’image. Une explication plus développée peut également commenter la gravure ou l’ensemble de la composition : il s’agit d’une annotatio qui tend à s’allonger, déjà au cours du XVIe siècle9.

Cette présentation générale établie, venons-en au cas particulier des éditions troyennes de la Bibliothèque bleue. L’édition des Figures de la Sainte Bible de 1735 chez Jean IV Oudot est la plus ancienne que nous ayons pu consulter parmi les impressions troyennes ; c’est donc à elle que nous ferons référence dans la suite de cette étude. Elle renferme quatre-vingt quatre gravures sur bois réparties en 168 pages. En ouverture du livret, point de réflexion critique de l’éditeur sur les visées didactiques et religieuses de l’ouvrage, mais effectivement une mise en page systématique qui va permettre au lecteur de rythmer son approche et de se repérer aisément dans le texte. La description telle qu’elle est donnée par Engammare y est en partie respectée : en haut de la page, le titre courant de Figures de la Bible immédiatement suivi de la gravure ; au-dessous de cette dernière, le titre de l’épisode inscrit en caractères italiques et immédiatement suivi de la référence biblique présentée en caractères romains et souvent abrégée. Suit alors un texte de commentaire qui se développe sur la demi-page inférieure restante et sur tout le verso du même feuillet. Une telle présentation, en apparence rigoureuse, tend à donner l’impression au lecteur que le livre qu’il a entre les mains lui offre une faculté aisée de consultation et d’appropriation. C’était compter sans les fantaisies – ou coquilles et négligences – typographiques des imprimeurs troyens sur lesquelles nous aurons plusieurs fois l’occasion de revenir.

Mais ces figures, d’où viennent-elles ? Quels modèles les ont inspirées ? Par quelles éditions intermédiaires et donc par quelsateliersonttransitéles bois gravés ? C’est cette généalogie iconographique que nous allons tenter de reconstituer.

POUR UNE GÉNÉALOGIE DES BOIS GRAVÉS : DU MANUSCRIT À L’IMPRIMÉ

L’étude de James Strachan10 sur les illustrations des premières bibles offre un point de départ intéressant car il y propose plusieurs pistes d’investigation. La première à retenir notre attention est celle offerte par Nicolas de Lyre (1274- 1349). Il semble que ce dernier ait contribué lui-même à l’interprétation graphique de plusieurs épisodes bibliques. Trois, ici, vont retenir notre attention : le cadran d’Ahaz, le camp des Israélites, la vision d’Ézéchiel. Il s’agissait, dans le premier cas, d’un véritable défi puisqu’il fallait représenter visuellement la parole divine qui permit la prolongation miraculeuse de la vie de Hizqiya : par intervention divine, Hizqiya voit sa vie prolongée de quinze ans pour engendrer un fils, et Dieu lui donna un signe miraculeux en faisant reculer l’ombre du soleil de dix degrés sur « l’escalier d’Ahaz ». Mais comment montrer ce miracle ?11 Le travail de Nicolas de Lyre fut ensuite complété par Paul de Burgos (1350-1435). Au XIVe et au XVe siècle, les Postilles de Nicolas de Lyre furent souvent copiées avec leurs dessins, dont ce fameux cadran, puis l’imprimerie, dès son apparition, s’en empara. La première édition à renfermer ces illustrations fut celle d’Anton Koberger à Nuremberg en 1481, la Glossa ordinaria. De la même manière se perpétueront les figures du camp des Israélites avec ses douze tentes distribuées autour du tabernacle et orientées selon les points cardinaux, ainsi que la vision d’Ézéchiel.

Les apparitions d’Ézéchiel ont été l’objet d’exégèses variées. Dans sa concision, l’édition troyenne de Jean Oudot résume ainsi les faits :

Il [Ézéchiel] fut des premiers qui furent transportez à Babylone avec Jeconias Roi de Juda, & il prêcha dans cette terre étrangère aux Juifs avec lesquels il avoit été emmené. Il y avoit eu des visions très misterieuses, mais qui ont toûjours paru si difficiles à développer, que parmi les Juifs autrefois il étoit deffendu à tout le monde de lire le commencement & la fin de ce Prophète ayant l’âge de trente ans. Les Saints Peres disant que la raison de ces obscuritez étoit peut-être que ce Prophète étoit parmi un peuple idolâtre, qu’il n’étoit pas juste que les Babyloniens comprissent les secrets de Dieu qui les reveloit à son Prophète d’une maniere si obscure, qu’ils ne pourroient être compris que par une grace particulier de Dieu. La premiere vision de ce Prophète, des animaux & des roües, est si pleine de merveilles que s. Gregoire qui l’explique fait voir par les choses qu’il en dit, combien il y en auroit encore à dire…12

On sent bien le principe du texte de colportage : commenter le caractère incompréhensible de la vision plutôt que la vision elle-même. Nicolas de Lyre ne s’est pas laissé rebuter par la tâche, et il nous en donne une spectaculaire interprétation : quatre créatures vivantes, l’une à face humaine, la deuxième à tête de lion, la troisième avec celle d’un bœuf et la dernière celle d’un aigle ; les roues l’une dans l’autre, le firmament s’étendant au-dessus de leurs têtes, le Seigneur sur son trône au-dessus du tout. On en retrouve une magistrale représentation dans l’impression de Koberger à Nuremberg (1481). A partir des manuscrits et des éditions incunables, cette vision fut copiée et recopiée jusqu’à devenir incompréhensible, détachée de son contexte. Plus généralement, ainsi que l’indique Strachan13 :

The diagrams of Lyra shown in these early printed editions were, in fact, copied, re-copied and mis-copied into all sorts of vernacular bibles, as if they were a key to knowledge without further explanation. The Camp of the Israelites, the Vision of Ezekiel, and the Dial of Ahaz made their appearance regularly for many years to come…

Pour bien des années, en effet, et sans doute bien plus qu’il ne le soupçonnait puisque les gravures utilisées dans les éditions de la Bibliothèque bleue en sont de lointains avatars.

La deuxième piste que nous fournit l’étude de Strachan est celle de l’impression italienne de Lucantonio di Giunta à Venise, en 1490. Elle ne renferme pas moins de trois cent cinquante-six bois gravés, soit deux cent dix pour l’Ancien Testament et cent soixante-seize pour le Nouveau. Selon Strachan, cent dix sont inspirés de la Bible de Cologne, quarante de l’édition Koberger de Nicolas de Lyre et les autres sont soit originaux soit issus de sources non identifiées. Et d’ajouter :

The small woodcut inserted in the text meets this obvious requirement, and the daintiness of Italian workmanship brought such success that this was the bible that was most fully copied and thus because the source of a large number of the illustrations for bibles printed in the first half of the sixteenth century in Italy, France, Germany, the Netherlands, and eventually in England14.

Affirmation à laquelle nous souscrivons volontiers si nous considérons le fait que certaines de ces gravures sont, elles aussi, parvenues jusqu’à la Bibliothèque bleue, au travers de copies sans doute successives. Nous pensons pouvoir confirmer cette origine italienne pour :

–  la vision d’Ézéchiel (bois de frontispice et du chapitre Isaye voit Dieu en son trône, dans l’impression troyenne) ;

–  le temple d’Ézéchiel (Éz. 47) transposé sur Division des douze Tribus d’Israël dans la Bibliothèque bleue ;

–  le temple d’Ézéchiel (Éz. 40) apposé au-dessus du titre Du portail du temple de Salomon dans le livret bleu ;

–  l’autel du temple (Éz. 43) déplacé sur De l’autel d’airain & bassin qui étoit au Temple de Salomon.

Comme on l’aura noté au passage, les emprunts ont été effectués essentiellement sur le livre d’Ézéchiel.

Entre 1512 et 1522, l’imprimeur lyonnais Jacques Sacon produisit huit éditions successives de la Bible. Toujours selon Strachan, les images furent d’abord copiées sur celles d’une impression postérieure de Giunta (1511), exactement aux mêmes dimensions. Mais pour l’impression de 1518, Sacon fit redessiner les bois gravés à une échelle supérieure, et l’opération fut complétée pour l’édition de 1519. Or, qu’il s’agisse d’une série ou de l’autre, des erreurs se sont glissées dans ces copies et l’on retrouve certaines d’entre elles dans l’illustration des Figures de la Bible troyennes. Ainsi la vision d’Ézéchiel a-t-elle été amputée de quelques lettres dès l’édition vénitienne de 151115 : les trois premières lettres de SECUNDUM ont disparu, et dans les bibles lyonnaises la légende est réapparue sous la forme MUNDUM LATINOS ; cela ne signifiait plus rien et pourtant bible après bible, c’est cette forme qui fut retenue. Comme le remarque Strachan, « perhaps the superficial ressemblance of the wheels to the round earth of the celestial sphere accounts for its perpetuation in this uncritical way »16.

En page de titre du livret troyen figure cette gravure effectivement légendée MUNDUM LATINOS. Toutefois, elle n’apparaît pas du bon côté de l’image : en effet, depuis l’impression lyonnaise de 1519 (pour le bénéfice de Koberger à Nuremberg), l’interprétation que Nicolas de Lyre attribuait aux Latins est maintenant du côté des Hébreux et vice versa ; quant au phylactère tenu par Dieu, il apparaîtra un peu plus tard et nous y reviendrons.

Parmi les erreurs survenues dans les éditions les plus récentes de Jacques Sacon, mentionnons-en une à propos du psaume CX : le Messie se présente à la gauche du Tout-Puissant, alors que le texte dit le contraire ; on pense évidemment à une copie au miroir, d’autant plus fâcheuse que cette gravure vient illustrer le tout premier chapitre du livret bleu : De la création du monde. Il importe parfois peu, lors d’une reproduction, que la droite passe à gauche et vice versa ; toutefois, dans le cas présent, on obtient une copie dont le sens n’a pas été saisi ni compris par le graveur.

Un des effets les plus curieux de l’agrandissement des bois surgit dans l’image d’Esdras devant lequel s’incline le peuple ; ce dernier est agenouillé vers Esdras qui se tient sur une estrade surélevée. Les lettres ESDRAS sont inscrites au-dessus de sa tête. Dans la copie agrandie, ces lettres deviennent une couronne royale et l’estrade se transforme en trône, tandis que le peuple conserve sa posture implorante. Comme l’écrit Strachan, « if ever a picture was designed for the mystification of posterity, it is this »17. Mais par un retour de situation dû aux aléas typographiques troyens, ce bois peut paraître retrouver un sens là où il a été apposé dans la brochure bleue, puisqu’il concerne le chapitre David est fait Roi des captifs & affligez. Le texte qui suit, malheureusement, ne s’accorde pas avec la figure royale donnée à voir :

David se retira en la caverne d’Odollem : ce qu’ayant sçu ses freres et toutes la maison de son pere, ils le furent joindre en l’endroit où il étoit…

Difficile d’imaginer David dans une caverne alors qu’il siège sur ce trône…

Enfin, et après toute une série de transformations plus ou moins erronées, le cadran d’Ahaz, limité à deux diagrammes côte à côte au lieu des trois figures initialement proposées par Paul de Burgos, est lui aussi issu des éditions Giunta et apparaît en frontispice de l’impression troyenne. Tant d’erreurs se sont successivement glissées dans cette représentation que « as they stand, with one of the suns misplaced, there is little more that can go wrong with them »18. Et pourtant si, cela pouvait encore aller en empirant puisque l’un des deux soleils est devenu la lune dans la Bibliothèque bleue en sorte que la gravure est légendée, au-dessous, le soleil et la lune !

Toutefois ces influences potentielles ou réelles ne sont que des approches successives. Le vrai modèle des gravures des Figures de la Sainte Bible allait être fourni une vingtaine d’années plus tard, par une bible londonienne.

LA BIBLE D’HENRI VIII ET LA BIBLIOTHÈQUE BLEUE

Max Engammare relève que généralement la création d’une série de Figures de la Bible paraît soumise à une réutilisation antérieure ou postérieure de ces mêmes gravures dans l’impression d’une bible illustrée. Et c’est bien ce que l’on constate, tant à Lyon qu’à Paris.

Parallèlement au succès éditorial des frères Trechsel et Frellon à Lyon, les Regnault, père et fils, à Paris, se lancent également dans la publication de Bibles et d’Icones. En quelques années, leur production est relativement importante : une douzaine d’éditions, d’abord chez François Regnault (entre 1516 et 1538), puis chez son fils Pierre (entre 1540 et 1546). Suivant l’usage, tous deux publient et des bibles illustrées et des Figures de la Bible. Mais c’est surtout François Regnault qui va retenir notre attention. Philippe Renouard19 le mentionne comme libraire juré et imprimeur. Il exerce d’abord à Londres vers 1496, puis à Paris entre 1501 et 1540 et c’est cette première adresse londonienne qui a toute son importance pour la suite de cette étude. Sa veuve, Madeleine Boursette, lui succède jusqu’en 1556 et elle aussi mettra la Bible sous presse. Au bout du compte, entre 1516 et 1554, on peut recenser au moins huit éditions bibliques pour le mari, puis pour sa femme20 :

–  1516 : La Bible en françois. Nouvellement imprimee a Rouen pour Francoys Regnauld libraire de luniversite de Paris.

–  1529 : Le Premier volume de la Bible en francoiz, Paris, pour François Regnault (édition partagée avec Jean I Petit).

–  1531 : Epistolae divi Pauli apostoli…, Paris, François Regnault (édition partagée avec Jean I Petit et imprimée par Guillaume de Bossozel).

–  1538 : Historiarum Veteris Instrumenti, & Apocalypsis icones…, Paris, [François Regnault].

–  1541 : Le Premier volume de la Bible en francois, Paris, Nicolas Cousteau [pour Madeleine Boursette].

–  1543-1544 : [Le Premier volume de la Bible en francoys], [On les vend a Paris par Magdeleine Boursete veusve de feu Francoys Regnault], Bible probablement imprimée par Jean Bignon mais avec copie fidèle des bois utilisés dans les Icones signalés ci-dessus pour 1538.

–  1554 : Cinquante deux Pseaumes de David…, Paris, pour Magdaleine Boursette.

On voit donc comment l’atelier de François Regnault s’est attaché à diversifier sa production biblique en latin, en français, Bible illustrée et Bible non illustrée, Figures de la Bible en latin, Ancien et Nouveau Testament, sa veuve poursuivant la même politique éditoriale. Si nous nous attardons tant sur cette production parisienne, c’est parce que nous trouvons là une clef majeure pour comprendre la généalogie des illustrations troyennes. Les bois gravés de la Great Bible21 d’Henri VIII22 sont fort semblables à ceux qui se retrouveront plus tard dans la Bibliothèque bleue. Comment une telle origine est-elle possible ? On se souvient que François Regnault a commencé sa carrière à Londres ; il y conserva vraisemblablement des contacts. Toujours est-il que c’est à lui que l’on fait appel lorsque Thomas Cromwell réussit à convaincre le roi Henri VIII de la nécessité d’une bible en anglais : « It was decided to produce a really big church bible ‘the Great Bible’, as it came to be called, and to employ a master printer of Paris, Regnault by name »23. Ce fut un travail, semble-t-il, partagé entre Paris et Londres, et en 1539 sortait cette Bible portant l’adresse de Richard Grafton et d’Edward Whitchurch. Le succès fut important et la Great Bible connut sept éditions en trois ans, entre 1539 et 1541. Après quelques désagréments pour les imprimeurs anglais, une ultime édition verra le jour en 1549.

Qu’en est-il des bois gravés ? En fait François Regnault commença par reprendre ceux qui avaient été établis pour son édition des Icones de 1538, publiée à Paris. Ces Historiarum Veteris Instrumenti & Apocalypsis icones sont rassemblées dans un ouvrage de petite taille (in-octavo) renfermant 64 feuillets et cent vingt-huit gravures (96 + 32). En page de titre apparaît saint Jérôme à son pupitre, le lion couché à ses pieds (ill. 1). Une copie très fidèle de cette gravure, tout comme des suivantes, réapparaîtra dans l’édition troyenne de 1735 (ill. 2). La mise en page en est systématique : les vignettes sont surmontées de courtes phrases historico-descriptives, souvent extraites d’un sommaire du chapitre ou du livre représenté, selon un principe bien connu pour les sommaires d’éditions latines de la Bible. Entre ces fragments textuels et la gravure, apparaît la référence d’un chapitre biblique en lettres capitales suivie d’un nombre en chiffres romains : elle joue un rôle de titre.

Ainsi les rapports entre texte et image débordent largement le cadre de la représentation, la figure ne marquant qu’un ou deux temps d’une présentation verbale plus ample. La figure vaut comme annonce d’une épigramme elle-même sommaire de tout ou partie du livre biblique24.

Si l’on exclut les trente-deux dernières estampes, d’un style très différent et consacrées à l’Apocalypse, les quatre-vingt-seize premières sont réparties comme suit : après saint Jérôme, onze gravures sont dévolues à la Genèse, six à l’Exode, quatre au Lévitique, cinq aux Nombres, trois au Deutéronome, une à Josué, deux aux Juges, seize aux Rois (I et II), sept aux Paralipomènes, trois à Esdras, deux à Tobie, deux à Judith, une à Esther, trois à Job, cinq aux Psaumes, une à l’Ecclésiaste, une aux Cantiques, une à la Sagesse, deux à l’Ecclésiastique, deux à Isaïe, une à Jérémie, quatre à Ezéchiel, cinq à Daniel, une à Osée, une à Joël, une à Habaquq, une à Zacharie, deux aux Maccabées, et enfin, après l’Apocalypse, retour de deux consacrées à l’Exode.

On constate que la répartition de ces bois gravés25 est fondamentalement différente de celle que l’on rencontrera dans la Bibliothèque bleue, comme nous le verrons par la suite. Signalons au passage que ces Icones possèdent bien un bois pour l’arche de Noé faisant série avec tous les autres, mais en format vertical, d’où la singularité de celui présent dans l’édition troyenne. Enfin, même dans un ouvrage aussi peu épais, deux bois seront réemployés deux fois pour illustrer des titres différents (Josué XII et Juges I d’une part, Psaumes I et Psaumes XXXVIII d’autre part). Max Engammare note :

[Cette] série éditée par Pierre Regnault [en fait François Regnault]26 n’a pas bénéficié du concours d’un artiste aussi subtil que Hans Holbein, mais de graveurs à la gouge plus épaisse, qui ont néanmoins conçu un programme iconographique tout aussi retenu, exilant la violence et le sexe de la représentation. Les filles de Loth, la femme de Putiphar, la femme d’Urie, la maîtresse de Samson sont ainsi ignorées, tout comme les nombreuses ivresses et toute la violence du livre des Juges27.

Un tel style graphique ne pouvait que convenir à la politique éditoriale de la Bibliothèque bleue : à l’exception de quelques bois gravés plus élaborés de style Renaissance, les choix illustratifs troyens privilégient souvent, pour les impressions bon marché, les gravures au trait simple, voire fruste. Il n’est donc guère étonnant que ces Icones aient servi de modèles ensuite pour les livrets bleus.

Ces mêmes images se retrouvent, parallèlement, ainsi que nous l’avons annoncé, dans la Great Bible d’Henri VIII, mais dans un programme iconographique beaucoup plus ambitieux. Comme son nom peut l’indiquer, cette Bible est énorme et, de plus, elle est fort illustrée. A partir de ce constat, les problèmes posés par ces bois gravés sont multiples, et Strachan s’interroge longuement sur leur origine, leur intérêt ainsi que leurs faiblesses et défauts. De ses observations, nous ne retiendrons que celles qui vaudront aussi pour la Bibliothèque bleue. Pour beaucoup de ces bois, les erreurs accumulées lors de copies antérieures se sont répétées jusqu’à l’incompréhension. Ainsi, dans le rêve de Pharaon (Genèse XLI), il est impossible de dire de quel côté sont les vaches maigres et de quel autre sont les grasses, le graveur les ayant toutes exécutées de la même taille (J. Oudot, p. 67 pour Deutéronome III, bois qui n’a aucun sens dans ce chapitre). Dans l’illustration du premier chapitre de l’Exode, une des saintes femmes est manquante (J. Oudot, p. 15). Le chandelier d’or (Exode XXV) a perdu sa branche centrale et est donc devenu un chandelier à six branches, se privant ainsi de sa symbolique (J. Oudot, p. 51, bois correctement apposé). Lors de l’exécution d’Athalie (Rois II, 11), il y a confusion entre l’enfant roi et le grand prêtre. En arrière-plan de l’image du buisson ardent, Moïse, pour montrer qu’il a recouvré la santé (simple mention dans la Bible), tient un serpent dans la main droite et soulève une lourde dalle dans la gauche ; voilà une extrapolation hyperbolique relevée par Strachan28 (J. Oudot, p. 33, Exode III, bois correctement inséré), et ainsi de suite…

Plus généralement beaucoup de bois gravés dans la Great Bible tout comme dans le livret bleu sont déplacés, parfois sans grand dommage pour la cohérence, d’autres fois avec un effet désastreux pour la compréhension. Par exemple, la destruction des idoles par Josias a été déplacée, dans la Great Bible, de Rois II, 22 à Rois II, 17. Dans la Bibliothèque bleue, cette même gravure vient illustrer l’Histoire des Machabées (p. 159) ! Le réemploi abusif de saint Jérôme apparaissait déjà dans la Great Bible où il se substituait iconographiquement à Matthieu. Dans la brochure troyenne, saint Jérôme prend la place de saint Marc et de saint Luc. Une autre gravure a subi bien des avatars : c’est celle du pèlerin (Psaume XXXIX) (ill. 3). Dans la Great Bible anglaise comme dans Les Figures troyennes (p. 123), l’image est maintenant employée pour Tobie fils en route pour son voyage décisif qui doit permettre à son père de recouvrer la vue. Dès lors, le personnage assis à l’intérieur ne porte plus de couronne, et la harpe s’est transformée en une sorte d’abaque ; dans le même temps, la main levée pour toucher les cordes est maintenant dirigée vers une paire d’yeux aveugles (ill. 4). Comme l’écrit Strachan, « very ingenious, but somewhat mystifying »29. Au rang de la mystification, on peut ajouter cette autre image « trafiquée » mais qui subit un sort différent dans les deux ouvrages : il s’agit, au Lévitique XII, de la nouvelle accouchée accompagnée de femmes ; après cette naissance, elle offre un agneau à la porte du Tabernacle ; Aaron la reçoit et Moïse, avec ses cornes, observe la scène à quelque distance. Mais le bois gravé retouché fait que Moïse a perdu ses cornes30 ; de plus, le Tabernacle ne peut pas être confondu avec un palais ni Aaron avec un gardien. Dans le cas présent, c’est le livret bleu qui est plus cohérent que la Bible anglaise. En effet, dans le premier, ce bois est correctement situé en sorte que les retouches exercées n’affectent pas trop le sens du texte ; en revanche, dans la seconde, ce bois a été déplacé sur Esther et l’agneau n’a évidemment plus sa place dans l’histoire.

D’autres incongruités encore laissent perplexe. Ainsi, l’âge des trois enfants d’Osée n’est pas respecté : la fille est plus grande que les garçons qui sont pourtant ses aînés. Mais comme ce bois a été employé pour illustrer Élie ressuscite le fils de la Veuve de Sarepta. 3. Rois 17 (J. Oudot, p. 133), est-ce vraiment si important ?

Les quatre grandes bêtes de Daniel (ill. 5) viennent illustrer Ézéchiel Prophète (J. Oudot, p. 153) (ill. 6). Ainsi qu’on l’a signalé plus haut, Esdras a gagné une couronne et la représentation le montrant en train d’inciter son peuple à la prière a perdu toute signification, d’autant plus qu’elle est déplacée (J. Oudot, p. 99). De même, les diagrammes de Nicolas de Lyre sont complètement dénaturés. Le cadran d’Ahaz (ill. 7) est maintenant accompagné par le vent à figure de chérubin aux joues gonflées aussi bien que par le soleil, et le tout devient le soleil et la lune (ill. 8) dans la légende du livret ; de plus, les dix degrés sont mal numérotés et mal espacés. Enfin, des légendes gravées dans les bois sont erronées au fil des recopies : vision d’Ézéchiel où c’est désormais Dieu lui-même qui tient un phylactère portant les mots secundum hebreos, temple d’Ézéchiel, camp des Israélites… ; la plupart de ces points ont déjà été signalés.

D’autres étrangetés seraient à relever dans la Great Bible, en particulier sur le réemploi des bois gravés en frontispice de chaque grande partie de la Bible : non seulement ces bois n’étaient pas prévus pour cet emploi, mais en plus bien des erreurs se sont glissées dans leur apposition. Toutefois, comme ce point est sans incidence sur les éditions bleues, nous n’y insistons pas et renvoyons à l’ouvrage de Strachan. Enfin, on notera que la Great Bible est un peu moins « policée » que les Icones du même imprimeur-libraire François Regnault : par exemple Bethsabée au bain apparaît bien dans sa nudité sous le regard concupiscent du roi David.

Reste que l’origine de cette série de gravures demeure complexe et non résolue. Le programme iconographique retenu est semblable à celui que l’on rencontre dans les éditions de la Vulgate de Venise et de Lyon et à celui des bibles françaises imprimées à Lyon et à Anvers. L’hypothèse de Strachan est que les bois gravés de la Great Bible peuvent être des copies exécutées d’après les images de l’édition Giunta, sur commande de François Regnault, dans le but d’illustrer la bible anglaise qu’il avait entreprise. La faiblesse de cette conjecture, toujours selon Strachan lui-même, réside dans l’assemblage de vignettes, dont certaines sont seulement présentes en frontispice de chacune des parties : a priori personne ne se donnerait le mal de faire redessiner une série entière pour ensuite utiliser la moitié de cette dernière à faire un montage typographique de pages de titre. L’autre hypothèse consiste alors à penser que ces bois gravés sont de seconde main et ont été acquis chez un confrère imprimeur ; leur usage, ensuite, a été plus ou moins aléatoire et soigneux. Toutefois, dans ce dernier cas de figure, ainsi que l’écrit Strachan, « there is a missing link between Lyon and London »31, qui reste pour l’heure irrésolu ; tout comme cet auteur, nous avons tenté de le découvrir, mais en vain.

La dernière question, selon Strachan, est la suivante :

What it does not explain is why a set of rather crude copies from the earlier bibles should have been got for an “authorised’’ English bible, while Hans Holbein the younger, the greatest bible illustrater of the age, was occupying an official position at the English court and had already in his Icones covered the same Old Testament themes in a very much finer set of pictures32.

Si cette question demeure, elle n’intéresse cependant pas la Bibliothèque bleue troyenne.

On a vu plus haut que Pierre Regnault s’était lui aussi adonné aux éditions bibliques. A priori les illustrations contenues dans ses impressions ont peu à voir avec celles des Figures troyennes, à quelques exceptions près toutefois. Dans la suite iconographique de son père, aucune image n’est prévue pour le meurtre d’Abel par Caïn. De toute évidence, la vignette du livret troyen a été copiée dans les Icones de Pierre Regnault (1543) et il en est de même pour l’échelle de Jacob. Le troisième emprunt intervient au chapitre de la lutte de Jacob avec l’Ange33. Par une absurdité typographique dont se rendent souvent coupables les imprimeurs de la Bibliothèque bleue, cet épisode est illustré avec… le péché de Loth, lui aussi manifestement imité d’après la gravure de l’édition de Pierre Regnault.

LA BIBLE DE MADELEINE BOURSETTE ET LA BIBLIOTHÈQUE BLEUE

En 1541, la veuve de François Regnault lui succède sous son nom de fille, Madeleine Boursette. Elle poursuit la tradition d’impressions religieuses de son mari avec, notamment, l’édition d’une Bible en français (1543-1544) :

2e Bible historiale de format in-8. Impr. probablement par J. Bignon ; en effet le matériel typographique est le même, à l’exception des bois, que celui utilisé pour l’éd. de Paris, Pierre II Regnault, 1543. Ces bois sont des copies extrêmement fidèles des bois utilisés dans les Figures de l’A. T., Paris, F. Regnault, 153834

… ou de ceux utilisés dans la Great Bible. Pourquoi avoir fait faire des copies alors que ces bois avaient été gravés pour l’usage de son mari ? Selon toute vraisemblance, ils n’appartenaient plus au stock typographique et peut-être même étaient-ils restés à Londres chez le libraire Richard Grafton. En revanche, il restait sans doute dans l’atelier un exemplaire de la Bible anglaise permettant d’effectuer un double de ces images gravées et d’inclure, dans sa propre édition, plus de quatre-vingts gravures, à l’identique de celles utilisées par son mari.

L’édition de Madeleine Boursette pourrait bien être à l’origine du choix décisif de la gravure d’ouverture : celle de la vision d’Ezéchiel avec ses roues enchevêtrées et ses légendes erronées ; cette estampe apparaît en effet en frontispice de sa propre Bible. La suite du programme iconographique donne lieu à des appréciations fort diversifiées. Tout comme son mari, Madeleine Boursette pratique le réemploi et le déplacement de bois gravés pour amplifier l’illustration, mais pas exactement en suivant le modèle de la Great Bible. On notera que, malgré quelques suppressions d’une part, adjonctions et répétitions d’autre part, son édition suit assez fidèlement celle de son défunt mari dans la partie I de la Bible anglaise. En revanche, les illustrations des parties II, III et IV ne correspondent plus que très sporadiquement à celles de la Great Bible. Parallèlement, on se souviendra que François Regnault avait surtout œuvré sur la première partie, un peu sur la deuxième, avant d’être dépossédé de son travail au profit des confrères anglais, et ceci pourrait expliquer cela. En outre, les reprises de bois sont nombreuses, par exemple Moïse passe fréquemment ses troupes en revue ! Certaines, avec un peu d’imagination, sont admissibles pour un lecteur pas trop exigeant : ainsi le bois gravé de la construction de la Tour de Babel sert également pour la construction du Temple ; il y a toutefois peu de chances pour que la forme et les proportions de ce temple aient été les mêmes que celles de la Tour ! D’autres laissent perplexe et, comme à l’accoutumée, sont à mettre au compte d’un travail typographique plus commercial que rigoureux. Un procédé relève sans doute de la facilité : il consiste à réutiliser une même image pour deux chapitres qui se suivent ; cette fermeture d’un chapitre et ouverture du suivant avec le même bois tend à créer un effet de transition. Il en est de même pour les glissements d’illustrations : il peut paraître peu conséquent de déplacer le bois de l’offrande de l’agneau (Lévitique XII) sur Esdras III. 1, passage dans lequel Josué donne des agneaux au peuple. En revanche apposer Bethsabée au bain sur le psaume VI pour Le prophète fait son oraison peut relever de la provocation ou d’un humour tout particulier…

Beaucoup de bois adventices apparaissent dans cette édition et nombre d’entre eux – mais pas tous – seront repris dans l’impression troyenne, mais pas dans le même ordre : toute synchronie texte / image est donc perdue de vue ; et aux incohérences parisiennes s’ajouteront celles des imprimeurs troyens. Seuls quelques rares bois seront toujours correctement apposés et résisteront à toute fantaisie typographique : par exemple le mobilier du temple avec son candélabre (bien qu’amputé d’une branche), son arche et sa table, Adam et Ève, Abel et Caïn ou encore David et Goliath35, comme si l’ambiguïté n’était pas possible sur ces figures incontournables. Mais, dans le même temps, qui eût pu penser au déplacement de Bethsabée au bain mentionné ci-dessus ?

On signalera enfin quelques surprises iconographiques dans les dernières pages de la Bible de Madeleine Boursette. Après la gravure de Bethsabée au bain – qui manifestement crée le trouble –, trois bois d’une autre série et d’une facture toute différente apparaissent pour illustrer les psaumes suivants : peut-être n’existait-il aucun bois adéquat pour cette partie, et c’est le réemploi qui prévaut pour les psaumes XXXI, XXXVI (noté ILVI) et L. Ultime curiosité : les deux derniers psaumes illustrés (LIII et CIX) le sont avec des bois appropriés : d’une part l’image du fou singulièrement mise en introduction de l’Exode dans la Bibliothèque bleue, d’autre part celle de la Trinité (avec le Christ à la gauche du Tout-Puissant !) qui sert à orner le chapitre De la Création du monde dans les brochures troyennes. Ces deux dernières illustrations referment et la Great Bible de François Regnault et la Bible en français de Madeleine Boursette, mais servent plutôt d’ouverture dans les impressions troyennes.

UNE PRÉFIGURATION DES ÉDITIONS TROYENNES : LES FIGURES DE LA SAINTE BIBLE CHEZ LA VEUVE DE JEAN PROMÉ À PARIS

En 1660, soit plus d’un siècle plus tard, ces mêmes bois de l’édition Boursette – et non des copies – se retrouvent dans une édition parisienne à bon marché. Comment sont-ils parvenus là ? Il manque, dans cette chaîne éditoriale, quelques maillons qui auraient permis de reconstituer la circulation de ce matériel d’illustration, d’un atelier à l’autre.

Succédant à son mari, la veuve de Jean I Promé travaille de 1640 à 1669 environ. Son mari36 était déjà en contact avec les imprimeurs troyens, notamment les Oudot, auxquels il confiait régulièrement du travail. Ces liens vont encore se resserrer lorsque Nicolas III Oudot, en 1659, fait son apprentissage à Paris, puis épouse (1665) une fille de la veuve Promé. Dès lors, il exerce dans la capitale, où il répand les livrets imprimés à Troyes par son père. Il est donc tout à fait possible que Les Figures de la Saincte Bible de la veuve Jean Promé soient déjà sorties des presses troyennes. Si l’on compare d’ailleurs l’édition de la veuve Promé et celle de Jean Oudot en 1735, beaucoup de similitudes apparaissent : même mise en page pour la page de titre avec même bois gravé (toutefois un peu plus usé dans l’impression de J. Oudot), les cadrans d’Ahaz en frontispice avec la même légende absurde (située au-dessus dans l’édition parisienne, au-dessous dans la troyenne), même distribution texte-image, même titre courant. Pourtant quelques divergences apparaissent aussi, et certaines d’importance : ce n’est pas le même texte qui accompagne les gravures dans les deux éditions ; il arrive également que le texte dépasse la page et demie et occupe une page supplémentaire dans l’édition parisienne ; enfin les références au texte biblique ne sont pas toujours les mêmes.

Du point de vue de l’iconographie, beaucoup de ressemblances, mais aussi quelques divergences :

–  Aucun chapitre – donc aucune illustration – n’est consacré à l’arche de Noé, chez la veuve Promé ; c’est une partie adventice chez Jean Oudot.

–  La figure correspondant aux douze tribus d’Israël autour du Tabernacle est correctement apposée chez la veuve Promé et remplacée par le schéma des Pays où les Hebreux ont esté captifs chez Jean Oudot.

–  Aux Nombres XVI, on trouve Moïse en prière au-dessus du titre De l’ambition de Choré, Dathan, & d’Abiron punis, alors qu’est représentée la mort de Nadab et Abihu (Lévitique X) chez Jean Oudot.

–  Un chapitre est ajouté dans l’édition parisienne : Du murmure du peuple contre Moyse pour le defaut d’eau (Nombres XX).

–  Au livre des Rois, au-dessus du titre De la mort miserable des deux enfans d’Heli Ophnit & Phinées, apparaît un bois apposé à bon escient chez la veuve Promé, tandis que l’édition troyenne reprend une gravure déjà utilisée pour illustrer un chapitre précédent, celui du passage de la Mer rouge.

–  Un léger désordre intervient ensuite chez Jean Oudot dans le livre des Rois, mais finalement on retrouve bien la plupart des chapitres, y compris Bethsabée au bain (ill. 9). Il manque toutefois David se prépare pour marcher contre Goliath.

–  L’ordre correct, dans l’impression troyenne, reprend avec Du portail du Temple de Salomon, accompagné de cette étrange représentation : le temple de Salomon conçu comme un château fort à la française (tradition héritée des éditions Giunta) (ill. 10).

La suite se fait un peu plus confuse: tout d’abord un chapitre supplémentaire chez la veuve Promé, De la demission du Prestre Abiathar & Sadoch constitué en son lieu, illustré avec le bois de la mort de Nadab et Abihu. Le titre qui suit, Helie se repait de ce que luy bailla la vesve de Sarepta, est bien commun aux deux éditions mais avec une estampe différente : bien en rapport avec le thème dans l’édition parisienne, contrairement à celle incluse dans l’impression troyenne (reprise du bois déjà apparu au chapitre Moyse va trouver Pharaon…). Puis suivent encore cinq chapitres semblables pour le titre et pour l’illustration avant que n’intervienne une nouvelle rupture avec un texte supplémentaire à Paris : L’Ange parle à Helie sur le fait d’Ochozias.

L’histoire de Tobie est diversement traitée : la veuve Promé l’ouvre avec le Voyage de Tobie, chapitre qui n’interviendra qu’en deuxième position chez Jean Oudot après un précédent intitulé Tobie perd la vuë ; la gravure montre trois temps différents : au fond à droite, des hommes sur un pont jettent dans l’eau des corps, tandis qu’au premier plan toujours à droite une femme à genoux implore un roi ; à gauche, une scène de mise en bière (ill. 11). Manifestement cette image ne convient pas comme lecture iconographique pour Tobie qui perd la vue. En revanche, elle s’accorde mieux au chapitre Tobie prend soin d’ensevelir les morts sur lequel l’a mise l’édition parisienne. Et pourtant elle n’a été conçue ni pour l’un ni pour l’autre, mais pour la toute fin de la Genèse et le début de l’Exode : Joseph meurt et son corps embaumé est mis en bière ; l’ordre est donné à Siphray, accoucheuse, de faire périr tous les enfants mâles d’Israël ; cet ordre n’ayant pas été suivi, Pharaon ordonne que ces derniers soient jetés à l’eau. Enfin, l’illustration de l’histoire de Tobie se compose d’une troisième gravure commune aux deux éditions: elle accompagne d’une part Tobie en son voyage a pour guide & conducteur l’Archange Raphaël (édition parisienne) et d’autre part Tobie recouvre la vüe (édition troyenne). A nouveau, un chapitre supplémentaire s’insère dans l’ouvrage de la veuve Promé : De l’homme de Dieu puny, pour luy avoir desobey, épisode biblique illustré avec le bois normalement consacré à Job sur son tas de fumier, sa femme se dressant devant lui (bois employé à bon escient à Troyes).

L’histoire de Job ne donne pas lieu au même traitement dans les deux éditions : un seul chapitre pour la veuve Promé, intitulé Des presens faits à Job, & de sa gloire, contre deux chez Jean Oudot qui utilise cette gravure des présents pour son second épisode, Amis de Job (ill. 12). Plus généralement, toute la fin des Figures de la Bible est désordonnée dans l’impression troyenne, du moins si l’on prend l’édition parisienne comme référence37. Et l’Histoire des Machabées clôt avec une même iconographie l’Ancien Testament. Il reste toutefois quelques pages qui vont être dévolues d’abord à saint Jean Baptiste au désert, puis aux évangélistes saint Marc et saint Luc38.

En conclusion de ce parallèle, on notera un travail légèrement plus consciencieux dans l’édition de la veuve Promé que dans l’impression de Jean Oudot, tout en soulignant, une nouvelle fois qu’il est fort possible que ces tirages soient tous deux sortis des presses troyennes ; ceci expliquerait d’ailleurs le réemploi des mêmes bois (et non de copies) dans les deux éditions concernées. Si tel est le cas, les Oudot, entre ces deux impressions, ont manifestement souhaité diminuer sensiblement l’épaisseur de la brochure en resserrant le texte (réécriture, chapitres raccourcis, voire suppressions d’épisodes) : on passe ainsi de 192 pages (Paris) à 166 pages (Troyes). Mais qu’ils soient parisiens ou troyens, les livrets renferment tous deux nombre d’erreurs communes dans le traitement iconographique : un bois mal employé dans l’édition de la veuve Promé avait, a priori, de fortes chances d’être mal réemployé dans l’impression de Jean Oudot. Les incompréhensions dans l’illustration se perpétuaient de la sorte au fil des rééditions : ainsi une bataille navale en principe conçue pour le livre des Maccabées vient agrémenter la ruine de Sodome et Gomorrhe (Genèse) dans les éditions populaires ; plus loin, une captive est amenée devant Moïse par une troupe de soldats (livre des Nombres) et cette figure est employée pour montrer le peuple d’Israël qui murmure contre Moïse (Exode) ; de même, une image guerrière met en scène une troupe à gauche, un chariot tiré par deux chevaux aux pattes coupées et au premier plan le corps de Hadadézer, roi de Tsoba (livre de Samuel) ; elle est utilisée ici pour symboliser le passage de la Mer rouge (Exode) ; enfin – car l’on pourrait multiplier les exemples – on peut rappeler le trucage proche de la mystification dont a été victime la représentation du roi David jouant de la lyre : le bois retouché est utilisé sans scrupule pour montrer Tobie et son fils.

LES PARTICUL ARITÉS ICONOGRAPHIQUES DE L’ÉDITION JEAN OUDOT

Il convient maintenant d’en venir aux éditions troyennes de la Bibliothèque bleue et tout particulièrement à celle qui a servi de référence depuis le début de cette étude, à savoir celle de Jean IV Oudot datée de 1735. Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, la mise en page de cette impression est systématique et conforme à la présentation classique de ce type d’ouvrage à figures. Mais, à la lecture, très vite des faiblesses apparaissent. La page de titre s’ouvre sur la vision d’Ézéchiel (ill. 13) avec le char de Yahvé39. Or ce char est repris en page 149, non pour la vision d’Ézéchiel qui reçoit une illustration différente, mais pour une autre vision, Isaye voit Dieu en son trône.

Au verso de la page de titre, en une sorte de frontispice, se trouvent le soleil et la lune, en fait le cadran d’Ahaz. La Bible proprement dite débute avec De la Création du monde. Genese 1. Apparaissent Dieu le père à gauche, la colombe de l’Esprit saint au centre et le Christ portant sa croix à droite, figure qui correspond en réalité au psaume CX dans lequel Yahvé dit au Christ : « Siège à ma droite », ce que contredit d’emblée l’image puisque le Christ y est assis à la gauche de Dieu ; on a vu qu’il s’agit d’une copie en inversé d’une gravure antérieure. Bien d’autres erreurs apparaissent ensuite tant dans le texte que dans l’illustration. Nous n’en signalerons que quelques-unes, simplement pour témoigner des négligences éditoriales troyennes.

Rappelons tout d’abord que condenser en quelque 160 pages l’Ancien Testament suppose des choix éditoriaux. Au total, quatorze chapitres et bois gravés sont consacrés à la Genèse, douze à l’Exode, un seul au Lévitique, cinq aux Nombres, deux au Deutéronome, un à Josué, quatre aux Juges, vingt-trois aux Rois (c’est le livre le plus développé), trois à Tobie, deux à Judith, un à Esther et un à Eschas, deux à Daniel, un à Zacharie, deux à Job, un à Isaïe et un à Jérémie, deux à Ézéchiel et deux aux Maccabées. S’y ajoutent enfin un chapitre concernant Saint Marc Évangéliste et un dernier pour Saint Luc Évangéliste ; là encore les estampes sont en décalage puisqu’elles représentent plus vraisemblablement saint Jérôme dans deux interprétations graphiques différentes. Dans les deux cas, il est effectivement assis devant un pupitre, en train d’écrire ou de lire tel un évangéliste. En page 163, il apparaît de profil coiffé d’un chapeau de cardinal et le lion qu’il a soigné est couché à ses pieds à gauche. En page 165, il est assis de face, un livre devant lui et le chapeau pend devant l’écritoire, à côté de laquelle, à droite, est allongé le lion ; son rapport avec le désert est suggéré par l’ouverture dessinée à l’extrême droite de l’image. Ce sont deux bois de récupération qui figuraient sans doute dans le stock de l’imprimeur, et seule la présence du lion justifie ce réemploi.

Tous les bois sont à l’horizontale et présentent sensiblement les mêmes dimensions, ce qui donne une impression d’unité à l’ensemble. Pourtant, à y regarder de plus près, on sent bien que les estampes de la page 7 Abel tué par son frere Caïn. Genese. 4, de la page 23 Échelle de Jacob. Genese 28 (ill. 14) ou encore de la page 25 La luicte de Jacob avec l’Ange. Genese. 33 pour ne citer que celles-là, ne sont pas de même facture. Enfin, une gravure fait vraiment exception : c’est celle de L’Arche de Noé. Genese 6 (ill. 16). Elle est la seule à se présenter à la verticale : on y voit une nef toute ronde en forme de coque de noix avec une lucarne d’où surgit la tête de Noé. A gauche, dans le ciel, la colombe rapporte le rameau d’olivier. Ce bois – ou une de ses variantes – était présent de longue date dans l’atelier des Oudot. On le rencontre en effet, dès 1620, dans une impression de Nicolas (I) Oudot, La Vie mort et passion et resurrection de nostre Sauveur Jesus-Christ. Cette première gravure est plus fidèle au texte biblique : en effet, dans la partie inférieure droite, apparaît le corbeau en train de becqueter sur un rocher40. Dans la copie qui en a ensuite été exécutée, cette partie a été omise, les graveurs tendant à la simplification et peut-être aussi à la suppression d’un motif incompris. La représentation de la colombe, en revanche, a bien été conservée.

Bien que d’un style différent, ce bois gravé présente toutefois l’avantage d’être correctement apposé, ce qui est loin d’être le cas de tous les autres ainsi que nous l’avons déjà montré. Au rang des franches incongruités, relevons par exemple la représentation du fou (psaume LIII) qui intervient en ouverture du livre de l’Exode (p. 31) au-dessus du titre Moyse tuë un Egyptien (ill. 15) ; on y voit un homme dépenaillé chevauchant un cheval bâton et entouré d’enfants : s’agit-il de montrer Moïse ou l’Égyptien ? Étrange iconographie pour cet épisode biblique…

D’autres déplacements sont moins spectaculaires et peuvent rétablir – par succédané – une corrélation texte-image. Ainsi, toutes les scènes de batailles peuvent aisément être réutilisées sans fausser véritablement le rapport avec l’écrit : il est souvent difficile d’identifier l’armée en mouvement décrite dans la gravure avec celle évoquée dans le texte. Il en est de même pour les scènes d’entrevues royales : un roi siège sur son trône et des hommes et / ou des femmes, souvent à ses pieds, sont reçus en audience. Ce cas de figure est fréquent dans la Bible et là encore, il est quasiment impossible d’affirmer que telle figure a bien été conçue pour tel chapitre. C’est ainsi qu’un bois de ce type fait par deux fois irruption dans le texte, d’abord pour surmonter le titre Saül consulte la Phitonisse. 1. Rois 3. (p. 91), puis Le Roi Achab demanda à Naboth sa vigne 3, Rois 22 (p. 117). A priori, cette gravure convient mieux à son second emplacement ; en réalité, elle n’a été conçue ni pour l’un ni pour l’autre, mais pour un chapitre du livre consacré à Samuel. Un dernier exemple de ces déplacements inopinés, mais néanmoins pas totalement incongrus, est celui qui apparaît à la page 123 au-dessus du titre Tobie recouvre la vûë 2. On y voit, à gauche, un pèlerin avec un bâton sur l’épaule et à droite un homme assis qui pointe son œil gauche avec son doigt. Cette image peut paraître pertinente à cet emplacement, même si l’on s’interroge quelque peu sur la fonction iconographique du pèlerin : ne suggère-t-elle pas le départ de Tobie lui-même ? On aurait alors, en raccourci, deux temps forts de la vie de Tobie, comme cela se pratiquait, dès le Moyen Âge, dans l’enluminure. En fait, il n’en est rien puisque ce bois a été conçu pour illustrer le psaume XXXIX (pèlerin en voyage quittant le roi David en train de jouer de la harpe dans son palais). Il serait sans doute fastidieux de passer en revue les quatre-vingt-quatre gravures de l’édition de Jean Oudot, aussi nous limiterons-nous à ces quelques exemples ; signalons toutefois que certains bois gravés sont correctement apposés, dans une proportion que l’on peut estimer à environ cinquante pour cent.

Du côté du texte, les bévues typographiques fleurissent également. Nombre de références aux différents livres de la Bible sont inexactes, ou plus exactement le livre concerné est généralement le bon mais le renvoi au chapitre intéressé est incorrect. Ajoutons à cela que les raccourcis opérés au niveau du texte laissent parfois pantois et ne clarifient pas le texte sacré. Et pourtant l’approbation signée de l’abbé Richard, censeur royal, déclare, en fin d’ouvrage :

J’ay lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, Les Figures de la Sainte Bible, dans lesquelles je n’ay rien trouvé qui puisse en empêcher l’impression. A Paris ce 14 May 1723.

ET LES AUTRES ÉDITIONS TROYENNES ?

Au début du XVIIIe siècle, la veuve de Nicolas III Oudot exerçait comme libraire, à Paris, rue de la Vieille-Bouclerie, puis rue de la Harpe. Elle édita plusieurs catalogues des livres proposés à la vente et, à la rubrique des « Livres à l’usage des Écoles », on rencontre les Figures de la Sainte Bible en Francois, au même titre que d’autres livrets religieux dans lesquels les enfants pouvaient apprendre à lire. L’usage assigné en était donc didactique, pédagogique voire catéchistique. D’ailleurs, le premier historien des Figures de la Bible, en 1767, reconnaît l’efficacité et la portée générale de ce genre littéraire en image :

Les Figures instruisent l’esprit et intéressent le cœur en parlant aux yeux. Elles apprennent à l’enfant ce qu’il ne sait pas ; elles rappellent au vieillard même ce qu’il sait ; elles offrent à tous un récit abrégé des faits qu’elles représentent. Il faudroit souvent beaucoup de paroles, il faudroit quelquefois de longs discours, pour développer toutes les circonstances d’un fait : un Tableau les présente du premier coup d’œil : celles qu’il peint rappellent celles qu’il n’exprime pas : l’enfant à qui on les raconte les imprime plus facilement en sa mémoire en voyant l’objet tracé sous ses yeux ; et dans un âge plus avancé, le souvenir du tableau fera revivre dans son esprit le souvenir du fait41.

L’auteur reconnaît ainsi explicitement une prépondérance de la figure sur le texte dans sa faculté de récapitulation événementielle et de mémorisation du fait historique.

A la même époque, ce même livre était aussi présent dans le catalogue de la veuve de Jacques II Oudot à Troyes, fait peu surprenant si l’on estime que c’est vraisemblablement Jacques qui imprimait pour la veuve de Nicolas Oudot, cette dernière n’étant que libraire42.

L’autre grande dynastie troyenne d’impressions de colportage fit de même : d’abord Pierre Garnier, puis Jean-Antoine Garnier et enfin Baudot qui avait racheté le fonds Garnier.

Vraisemblablement, il existe d’autres éditions dont nous avons perdu la trace et, de toutes celles recensées, nous n’avons pu voir que celle de Jean Oudot d’une part, et celles de Pierre Garnier et de Jean-Antoine Garnier d’autre part.

Les Garnier ont fait graver leur propre série de bois à l’identique – ou presque – de celle figurant dans le matériel d’imprimerie des Oudot. En fait, de légères divergences apparaissent dans ces reproductions, dues sans doute à la liberté d’inspiration du tailleur d’images ; même remarque à propos du texte : il paraît s’être stabilisé même si, ici et là, on note de légères modifications. Dans le détail, l’iconographie réserve pourtant quelques surprises. Dans la Genèse, le chapitre Abel tué par son Frère Caïn donne lieu à une nouvelle interprétation qui vient se substituer à celle empruntée à Pierre Regnault : c’est une gravure moins élaborée et aux traits parallèles fortement marqués (ill. 17 et 18). Dans l’arche de Noé, l’encadrement supérieur de l’estampe et la colombe ont disparu. La lutte de Jacob avec l’Ange retrouve un peu de dignité : à la scène d’inceste est substituée une figure qui illustre clairement cet épisode et dans laquelle on retrouve la « patte » du graveur travaillant en hachures parallèles (ill. 19 et 20). En revanche, l’illustration apposée sur le chapitre Jacob bénit ses enfans ne manque pas de laisser perplexe : a priori, elle semble appartenir à la suite de l’orchestre du Temple, mais en lieu et place du tabernacle s’élève une statue nue couronnée de laurier et au sexe à peine voilé par un léger drapé. D’où vient le modèle de ce bois43 et quelle interprétation lui donner, si ce n’est renvoyer à la désinvolture des imprimeurs de l’atelier ? Un peu plus loin, les Plaies de l’Égypte donnent lieu à une représentation moins incongrue : on y voit Moïse et les siens devant un fleuve ; sans doute s’agit-il de montrer « le changement des eaux en sang ».

On notera au passage que les quelques gravures qui avaient été empruntées à l’iconographie de Pierre Regnault par les Oudot ont toutes ici été remplacées par de nouvelles. Une heureuse surprise survient ensuite : l’Ordre des douze Tribus d’Israël a retrouvé son estampe correcte avec les tentes disposées autour du tabernacle. La modification suivante intervient beaucoup plus loin dans l’ouvrage : sur le chapitre Le Roi Achab demanda à Naboth sa vigne est insérée une copie du bois utilisé, dix-huit pages plus tôt, pour David est fait Roi des captifs ; ce double correspond mal à l’économie typographique habituelle chez les imprimeurs troyens. Et ce n’est pas le seul cas relevé : une copie du bois, correctement placé sur De la purification & de l’oblation des Femmes accouchées, réapparaît pour Job sur le fumier annihilant ainsi toute compréhension de cet épisode. La Seconde vision d’Ézechiel a ensuite été réinterprétée : à l’homme assis pensif se substitue un homme debout, les mains ouvertes ; dans le fond, à gauche, s’élève une ville ; c’est le genre de gravure passe-partout qui n’induit rien de particulier au niveau de la lecture mais qui paraît bien faible eu égard au texte : « Tous ses os se réunirent, les nerfs, les muscles, la chair & la peau les couvrirent ensuite, & il se forma des corps parfaits, auxquels il ne manquoit plus que la vie ». C’est que cette gravure était initialement prévue pour représenter plus vraisemblablement le prophète Josué44.

Sur la fin, une absence de texte et une erreur d’illustration dans l’édition Oudot ont été corrigées : les Pays où les Hébreux ont été captifs réapparaissent là avec leur bois gravé adéquat. Rappelons que ce chapitre était présent dans l’édition de la veuve Promé, et pourtant ce n’est pas son édition qui a servi de modèle à celle de Jean-Antoine Garnier (texte différent, copies non systématiques des bois gravés). L’Histoire des Machabées est illustrée avec une reprise copiée sur la gravure de Josué est substitué au lieu de Moyse ; il est évident que l’image du feu dans lequel se consument des têtes est plus évocatrice dans l’impression de Jean Oudot.

A la toute fin de l’ouvrage, il ne reste que saint Luc l’Évangéliste, dans un singulier montage : l’image a été copiée sur saint Marc l’Évangéliste (en fait saint Jérôme, ainsi qu’il a été dit plus haut), et le lion a été remplacé par un taureau, attribut de saint Luc. L’édition de Pierre Garnier se referme ainsi sur une figure presque pertinente. Malgré cette touche finale, il paraît bien difficile d’affirmer que cette impression de 170 pages, contemporaine de celle de Jean Oudot, a été exécutée avec plus de soin.

Deux permissions royales, au nom de Pierre Garnier, ont été obtenues pour imprimer Les Figures de la Bible, l’une en 1728 et l’autre en 1742. Jean-Antoine Garnier, comme il le faisait régulièrement, réutilisa les permissions accordées à son grand-père, d’abord celle de 1728, puis celle de 1742. Les deux éditions sont contenues en 167 pages et diffèrent sur la fin, au cahier signé L. En effet, au-dessus du titre Histoire des Machabées réapparaît, dans l’édition renfermant la permission de 1742, une copie du bois gravé employé par Jean Oudot, donnant ainsi un sens plus cohérent à ce chapitre. Au XIXe siècle, la librairie Baudot se contentera d’habiller les impressions de Jean-Antoine Garnier d’une couverture bleue titrée Figures de la Sainte Bible, avec une explication sous chacune des 88 figures, et illustrée du bois destiné au chapitre De Zacharie, Prophête.

En 1859, le libraire antiquaire Louis Varlot racheta une large part des bois du fonds de Baudot. Il les rassembla en plusieurs ouvrages dans lesquels les Figures de la Bible45 occupent une place non négligeable … et nous réservent encore de l’inattendu. Les deux séries de bois ont été mélangées lors de leur impression et certains autres – sans aucun rapport avec ces figures – ont été abusivement regroupés avec cette suite. Seules leurs dimensions – sans doute – ont présidé à cet agencement. Par ailleurs, certaines des gravures ici présentées n’apparaissent ni dans l’édition Jean Oudot, ni dans celles des Garnier. Sans doute faut-il remonter plus loin… jusqu’à l’édition de la veuve Promé par exemple : on y retrouve ainsi l’image de David avec sa fronde face à Goliath (figure non employée dans les impressions troyennes). En revanche, la figure de la moisson n’est pas présente chez la veuve Promé alors que nous l’avons retrouvée dans l’édition de Madeleine Boursette. Mais le texte de la veuve Promé ne consacre aucun chapitre à l’histoire de Ruth ; il n’y avait donc pas lieu de montrer le champ de Boz et la récolte du blé46 (ill. 21). Finalement, même si ce bois n’a pas été réemployé par Jean Oudot, tout tendrait à prouver que ce dernier était bien en possession de l’iconographie biblique qu’avait utilisée l’atelier parisien de la veuve de François Regnault.

DES FIGURES BIBLIQUES POUR QUEL LECTEUR ?

Comme on a pu le constater, il est bien complexe de reconstituer la généalogie éditoriale et plus particulièrement iconographique de ces Figures de la Bible. Plusieurs auteurs s’y sont essayés auparavant, avec un certain succès. Mais aucun n’avait tenté d’examiner de près et de façon systématique les gravures de la Bibliothèque bleue, étude d’autant plus délicate que les rares exemplaires préservés sont difficiles d’accès. De plus, la comparaison des gravures n’est guère facilitée à cause de la dispersion des Bibles conservées, de l’absence de reproductions et surtout du très grand nombre d’images concernées. Nous espérons donc avoir contribué à une meilleure compréhension de toutes ces images dont la véritable source d’inspiration remonte à François Regnault avec sa Bible et ses Icones. Ses bois gravés, de sobre facture, résultant de la main d’un imagier inconnu, ont été repris par sa veuve, à Paris, sous forme de copies pour sa propre Bible. C’est ensuite que la filiation devient un peu plus lacunaire. Toujours est-il que cette nouvelle série va alors vraisemblablement circuler d’atelier en atelier pour se retrouver, plus d’un siècle plus tard, dans une édition, toujours parisienne, des Figures de la sainte Bible chez la veuve Jean Promé. Puis la généalogie se fait un peu plus claire : les liens qui unissaient la veuve Promé aux imprimeurs troyens expliquent aisément que ces mêmes bois aient pu se retrouver dans le fonds d’imprimerie troyen. Il convient d’ailleurs de préciser qu’une partie non négligeable de ce matériel original est toujours présente à la réserve de la Médiathèque de l’Agglomération troyenne. Cette part conservée comprend non seulement des bois gravés utilisés pour les éditions Oudot, mais aussi des bois appartenant à la suite de copies effectuée pour le bénéfice des Garnier, soit au total près de soixante-dix pièces.

Au terme de cette étude, un certain nombre de constats s’imposent : contrairement aux éditions que l’on peut qualifier de classiques des Figures de la Bible, celles éditées par la Bibliothèque bleue troyenne n’entretiennent pas un rapport évident, voire de redondance, entre le texte et l’image : cette relation est ici beaucoup plus lâche et ne répond pas aux critères éditoriaux habituels. Dans le cas des impressions de colportage du XVIIIe siècle, nous sommes face à un public le plus souvent peu instruit, peu sensible aux arguties théologiques, en un mot peu exigeant. On peut supposer, en fait, qu’en acquérant ce livret, il recherche davantage un livre d’histoires plutôt qu’une bible, et qu’il a plaisir à le voir illustré tout comme les romans de chevalerie qu’il se procure dans le même temps : peu lui importe probablement qu’il s’agisse de bois de réemploi, anciens et démodés, et peu lui chaut que ces bois n’entretiennent pas avec le texte imprimé un rapport d’évidence. Le rythme de présentation, avec son alternance image/texte et sa régularité (un feuillet recto verso par chapitre), le rassure sur sa lecture, scande sa progression et correspond bien à un déchiffrement qui reste, au XVIIIe siècle, souvent laborieux.

De plus, la présentation didactique de l’ouvrage en fait aussi, comme on l’a vu, un livre tout désigné pour les écoles, même si l’image n’est pas toujours en relation avec le récit. Selon les cas, on passe de rapports étroits à d’autres plus troublants, voire aberrants.

Cet usage scolaire est aussi rendu possible par l’absence de représentations trop audacieuses47. Certes les scènes de meurtre y abondent, en revanche les scènes à caractère sexuel en sont absentes… ou presque : il reste Loth avec ses filles et Bethsabée au bain ! Mais rappelons que, dans l’édition de Jean Oudot, l’inceste de Loth est censé illustrer la lutte de Jacob avec l’Ange (!) et que la lubricité n’y est finalement plus représentée que par la concupiscence de David devant Bethsabée. On aboutit alors à un programme iconographique « adouci » quant aux mœurs sexuelles et à un texte édulcoré pour l’accompagner. Même la nudité d’Adam et Ève devient allusive : chassés du Paradis, ils masquent leur état dans une attitude recroquevillée, qui ne laisse place, pour le graveur, ni à la représentation d’un sein ni à celle d’un sexe.

Dans le même temps, la violence meurtrière ne donne pas lieu à la même édulcoration : les scènes de batailles, meurtres et barbaries en tous genres foisonnent alors que sont pudiquement omis adultères, viols, prostitution, incestes, homosexualité et sodomie. C’est ainsi que la punition du crime des sodomites est laconiquement justifiée dans la Bibliothèque bleue :

…Dieu punit alors des passions si horribles par un châtiment qui leur étoit proportionné, montrant par le feu qu’elle étoit l’ardeur des Sodomites pour le mal, & par le souphre quelle étoit la puanteur de leurs crimes48.

Mais de quel mal et de quels crimes parle-t-on ? Toute latitude d’interprétation est ensuite laissée au lecteur et toute paraphrase euphémisante est à portée de voix de l’enseignant susceptible d’utiliser Les Figures de la Bible en classe ; ces circonvolutions interprétatives sont d’autant plus aisées que la gravure venant illustrer ce chapitre est celle, rappelons-le, d’une bataille navale, initialement dévolue au livre des Maccabées, avec intervention divine dans le ciel. Même la violence, en définitive, est, elle aussi, présentée avec une relative retenue : la barbarie du livre des Juges est ainsi ignorée et les scènes de rencontre, d’entrevue et d’apparition divine sont plus nombreuses que celles de meurtre ; il y a donc assez peu de complaisance à montrer les faiblesses et les travers humains. En ce sens, Les Figures de la sainte Bible troyennes restent un livre à mettre entre toutes les mains, ou presque…

Références des illustrations (clichés A. Robert) :

Historiarum veteris instrumenti, & Apocalypsis Icones ad vivum expresse, Paris, [François Regnault], 1538 (SHPF, André 246).

Figures de la Sainte Bible, Troyes, Jean Oudot, 1735 (collection particulière).

Figures de la Sainte Bible, Troyes, Jean-Antoine Garnier, [ca. 1770] (collection particulière).

Louis Varlot, Xylographie de l’imprimerie troyenne, Troyes/Paris, 1859 (collection particulière).

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1 C’est le cas, par exemple, de l’inventaire du fonds d’Étienne Garnier dressé en 1789 à la demande de sa veuve Marie-Louise Banry. Ainsi, sur les 443 069 exemplaires en magasin, les livres de religion dépassent les quarante pour cent (42,7% exactement). Voir Roger Chartier, « Livres bleus et lectures populaires » dans Histoire de l’édition française, Paris, Promodis, t. II, 1984, p. 498.

2 Henri-Jean Martin, Le Livre français sous l’Ancien Régime, Paris, Cercle de la librairie, 1987, p. 164.

3 Voir notre article, « Vie et passion de Jésus-Christ : les “Bibles’’ de la Bibliothèque bleue » dans Mémoires de la Société académique de l’Aube, CXXVII, 2003, pp. 179-194.

4 Max Engammare, « Figures de la Bible lyonnaises à la Renaissance », dans Majoliques européennes : reflets de l’estampe lyonnaise, XVIe – XVIIe siècles, Dijon, Faton, 2003, pp. 25-26, et aussi « Les Figures de la Bible » dans Mélanges de l’École française de Rome, Italie et Méditerranée, vol. 106, 1994/2, p. 550.

5 Henri-Jean Martin [et al.], Naissance du livre moderne…, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2000, pp. 238-243 et 285.

6 Robert Brun, Le Livre français illustré de la Renaissance, Paris, Picard, 1969, pp. 130-134, et Jean-Marc Chatelain, Livres d’emblèmes et de devises, Paris, Klincksieck, 1993, p. 64.

7 Cf. Max Engammare, « Les représentations de l’Écriture dans les Bibles illustrées du XVIe siècle. Pour une herméneutique de l’image imprimée dans le texte biblique », dans Revue française d’histoire du livre, 1995, nos86-87, pp. 118-189.

8 Pour toutes les références bibliographiques de la Bible, on pourra consulter le remarquable catalogue Bibles imprimées du XVe au XVIIIe siècle conservées à Paris, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2002. Nous remercions vivement Martine Delaveau, l’un des auteurs de ce catalogue, et Jean-Dominique Mellot pour leur relecture attentive de cet article.

9 Max Engammare, « Les Figures de la Bible », art. cit., p. 550.

10 James Strachan, Early Bible Illustrations, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1957.

11 Au passage J. Strachan, ouvr. cit., p. 21, remarque que le cadran d’Ahaz paraît être le plus ancien enregistrement d’un instrument permettant de mesurer le temps et explique les implications pour l’époque dans le découpage du temps, avec les erreurs inhérentes.

12 Les éditions de la Bibliothèque bleue comportent de nombreuses fautes et coquilles typographiques qui ont été conservées dans toutes les citations.

13 Ibidem. Traduction : « Les schémas de Lyre montrés dans ces premières éditions imprimées furent, en fait, copiés, recopiés et mal copiés dans toutes sortes de bibles vernaculaires, comme s’ils étaient une clef de connaissance suffisante sans autre explication. Le camp des Israélites, la vision d’Ézéchiel et le cadran d’Ahaz firent ainsi leur apparition régulièrement pendant bien des années encore. »

14 J. Strachan, ouvr. cité, p. 28. Traduction : « Le petit bois gravé inséré dans le texte satisfait cette exigence manifeste, et le raffinement de la facture italienne entraîna un tel succès que ce fut la bible qui fut la plus complètement copiée et ce à cause de l’origine d’un grand nombre d’illustrations pour des bibles imprimées dans la première moitié du XVIe siècle en Italie, France, Allemagne, Pays-Bas, et par la suite en Angleterre. »

15 Plus exactement les trois premières lettres étaient devenues illisibles par suite d’une impression défectueuse.

16 J. Strachan, ouvr. cité, pp. 32-33. Traduction : « Peut-être que la ressemblance superficielle des roues avec la rotondité de la sphère céleste explique sa perpétuation sous cette forme dépourvue de sens critique. »

17 J. Strachan, ouvr. cité, p. 34. Traduction : « Si jamais une illustration fut conçue pour mystifier la postérité, c’est bien celle-ci. »

18 J. Strachan, ouvr. cité, pp. 34-35, rappelle qu’il y avait trois dessins : un cadran par tranche d’une heure, un cadran par tranche d’une demi-heure, un dessin géométrique avec le soleil qui brille. Puis, il explique les erreurs d’interprétation successives commises à propos de ces représentations : figures renversées, soleil mal placé, inscriptions fautives… Traduction : « Telles quelles, avec l’un des soleils mal placé, il était difficile qu’elles soient pires. »

19 Philippe Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens, libraires, fondeurs de caractères et correcteurs d’imprimerie depuis l’introduction de l’imprimerie à Paris (1470) jusqu’à la fin du seizième siècle (éd. de J. Veyrin-Forrer et B. Moreau), Paris, Minard, 1965.

20 Bibles imprimées du XVe au XVIIIe siècle…, ouvr. cité. On rappellera que François Regnault et Pierre Regnault n’emploient pas la même série de bois gravés pour leurs éditions respectives des Historiarum veteris instrumenti & Apocalypsis icones.

21 Great Bible, appellation commune pour The Byble in Englyshe of the largest and greatest volume auctorised and apoynted by the commaundement of oure moost redoubted prynce and soueraygne Lorde, Kynge Henrye the.VIII…, [London], Rycharde Grafton.

22 J. Strachan, ouvr. cité, qui en reproduit les illustrations (112 à 120).

23 Ibidem, p. 72. Traduction : « Il fut décidé d’éditer une bible vraiment volumineuse, ‘the Great Bible’ comme on en vint à l’appeler, et d’y employer un maître imprimeur de Paris du nom de Regnault. »

24 Max Engammare, « Les Figures de la Bible », art. cité, pp. 566-567.

25 Tous ces bois ne seront pas réemployés dans la Bibliothèque bleue ; ainsi le péché originel n’a pas été repris et l’on notera une singularité à propos de cette image : c’est le serpent lui-même et non Ève qui remet la pomme à Adam.

26 C’est nous qui rectifions. En effet Max Engammare, « Les Figures de la Bible », art. cité, p. 566, attribue à Pierre Regnault cette édition de 1538 des Icones de François Regnault (voir Bibles imprimées…, ouvr. cité, n° 1253).

27 Ibid., note 69, p. 566. Deux gravures portent le titre de judicum I, mais pour l’une d’elles, il s’agit en fait d’une image – et d’un texte – se rapportant au Livre de Ruth.

28 J. Strachan, ouvr. cité, p. 81, ironise à ce sujet : « In the background of the picture of the Burning Bush (fig. 114), Moses is taking up the serpent with the right hand while balancing a heavy slat on his left. In the Cologne bible he simply displayed his left hand to show that it was restored to health. Some of the French bibles gave him a hat to hold, and now we have a meaningless heavy object. What else could one do with the man’s hands ? ». Traduction : « A l’arrière-plan de l’image du Buisson ardent (fig. 114), Moïse brandit le serpent de la main droite tandis qu’il soulève une lourde dalle dans la gauche. Dans la bible de Cologne, il exhibe simplement sa main gauche pour montrer qu’elle a recouvré la santé. Quelques-unes des bibles françaises lui ont donné un chapeau à tenir, et maintenant nous avons un objet lourd dénué de sens. Que peut-on faire d’autre avec les mains d’un homme ? »

29 Ibidem, p. 83. Traduction : « Très ingénieux, mais quelque peu mystificateur. »

30 Ibidem, p. 14, commente au passage les cornes dont est affublé Moïse et qui seront conservées dans la Bibliothèque bleue jusqu’au XIXe siècle : « It will be seen that in this and all other pictures of Moses, he is represented with small horns, a regular convention in medieval and later art. Perhaps the best-known instance is Michelangelo’s statue of Moses on the tomb of Pope Julius II in Rome. » Traduction : « On verra que dans cette image et dans toutes les autres, il est représenté avec de petites cornes, une convention habituelle depuis l’art médiéval. L’exemple le plus connu est peut-être la statue de Moïse par Michel Ange sur la tombe du pape Jules II à Rome. »

31 J. Strachan, ibidem, p. 84. Traduction : « Il y a un chaînon manquant entre Lyon et Londres. » En revenant à sa première hypothèse, Strachan évoque la possibilité d’une série d’illustrations imparfaitement copiées d’après Giunta, mais néanmoins employées, à Paris, pour illustrer la Bible anglaise dans la partie dont François Regnault était responsable.

32 Ibidem, p. 85. Traduction : « Ce que cela n’explique pas, c’est pourquoi une série de copies plutôt frustes provenant des bibles antérieures a été retenue pour une bible anglaise « autorisée » alors que Hans Holbein le jeune, le plus grand illustrateur de l’époque pour la Bible, occupait un poste officiel à la cour d’Angleterre et avait déjà couvert, dans ses Icones, les mêmes thèmes de l’Ancien Testament, en une série d’images beaucoup plus belle. »

33 Ces substitutions sont d’autant plus incompréhensibles que les bois gravés de la même série pour ces trois épisodes existaient bien dans le stock. Voir Louis Varlot, Xylographie de l’imprimerie troyenne, Troyes, Paris, Varlot, Aubry, 1859, nos 347, 359 et 360.

34 Bibles imprimées…, ouvr. cité, p. 63, n° 344.

35 La lutte entre David et Goliath donne lieu à une gravure dans les Icones – David avec sa fronde face au Géant Goliath – et à deux dans la Great Bible : la précédente, plus une seconde montrant l’ultime phase de la lutte, David s’apprêtant à trancher la tête de Goliath. La Bibliothèque bleue ne retiendra que cet instant décisif.

36 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIesiècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, 2 vol., t. II, pp. 955-956.

37 Donnons-en quelques exemples : suppression à Troyes du chapitre David remonstre au peuple & à son fils Salomon (avec réemploi à Paris du bois déjà utilisé pour David fait Roy des captifs & affligez), gravure différente sur De Esdras & Nehemie (un studium dans les deux cas mais la représentation utilisée par Jean Oudot est placée sur De saint Marc Évangeliste chez la veuve Promé), et il en est de même pour Esther dont l’histoire a été anticipée avec une gravure très proche dans sa conception graphique (celle employée pour Abigail dans l’édition parisienne). La vision d’Isaïe a peu inspiré la brochure parisienne qui a mis là l’orchestre du Temple alors que dans le livret troyen, c’est en fait la vision d’Ézéchiel qui prend sa place. Comme précédemment, deux gravures ont été ensuite interverties : toutes deux représentent un homme pensif assis la tête sur la main ; au-dessus l’inscription hierusalem. L’ouvrage parisien montre le prophète assis à droite avec Jérusalem en phylactère ; son équivalent troyen le montre assis à gauche avec Jérusalem amputée de sa dernière lettre. Cette dernière représentation sera apposée sur le chapitre Du prophète Ézechiel pour Paris tandis qu’à Troyes la première des deux figures viendra orner la Seconde vision d’Ézechiel. La veuve Promé ne retient qu’un chapitre pour illustrer la Vision d’Ézechiel des quatre animaux ; cette apparition extraordinaire s’inscrit au-dessus du titre Ézechiel Prophète chez Jean Oudot. Les Figures parisiennes parlent ensuite De la Statuë de Nabuchodonosor, mais montrent dans le même temps l’orchestre du Temple (bois différent de celui déjà mentionné). Les trois Enfans Hebreux iettez en la fournaise ardante de Babylone donnent lieu à un traitement figuratif similaire. En revanche, l’énoncé des Pays où les Hebreux ont esté captifs n’existe pas dans l’impression troyenne.

38 Pour saint Marc : un studium pour Paris, une figure de saint Jérôme pour Troyes ; pour saint Luc : même bois gravé dans les deux éditions représentant à nouveau saint Jérôme mais dans un style graphique différent.

39 Comme nous l’avons déjà dit, on y voit, sur la partie droite, une masse d’animaux fabuleux ailés surmontée de l’inscription erronée mundu(m) latinos et, à gauche, des roues l’une dans l’autre entourées de nébuleuses et sur lesquelles se dresse un personnage (Yahvé) tenant un phylactère dans lequel on peut lire, telle une parole divine, secundu(m) hebreos.

40 Cette arche de Noé présente une troublante ressemblance avec une enluminure renfermée dans un manuscrit daté de la fin du XIVe siècle et conservé à la bibliothèque de Besançon : Hermann de Valenciennes, Roman de Dieu et de sa mère.

41 Préface anonyme (attribuée à Laurent-Étienne Rondet) aux Figures de la Bible, contenues en cinq cens tableaux, gravés d’après les desseins de Raphael, et des plus grands maîtres, accompagné[e]s d’une courte explication pour l’instruction de la jeunesse, et précédé[e]s d’un discours préliminaire où se trouve l’histoire des figures de la Bible, Paris, Claude-Jean-Baptiste Hérissant, 1767 ; cité par Max Engammare, « Les Figures de la Bible », art. cité, pp. 585-586.

42 On ne peut toutefois pas totalement exclure une provenance rouennaise pour les exemplaires de ce titre vendus à Paris par la veuve de Nicolas Oudot. Celle-ci y diffusait en effet des impressions rouennaises. Cf. Jean-Dominique Mellot, L’Édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730), dynamisme provincial et centralisme parisien, Paris, École des chartes, 1998, pp. 383-384. Voir aussi, du même auteur, « La Bibliothèque bleue de Rouen : l’émergence d’une production indésirable et très demandée (fin XVIIe – début XVIIIe siècle) », dans La Bibliothèque bleue et les littératures de colportage…, dir. T. Delcourt, É. Parinet, Paris, École des chartes ; Troyes, Maison du boulanger, 2000, pp. 23-39. Sur un siècle, de la fin du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, au moins cinq imprimeurs rouennais ont produit ce titre, avec des gravures assez frustes, souvent copiées sur les mêmes modèles que les illustrations troyennes, mais avec un texte différent : Jean I Oursel, la veuve de Jean I Oursel, Jean-Baptiste I Besongne, François II Oursel et Pierre Seyer.

43 De toute évidence, c’est la même facture que les séries de bois des éditions F. Regnault et M. Boursette.

44 On pourra comparer cette gravure avec celle des Icones de Holbein.

45 Louis Varlot, Xylographie …, ouvr. cité.

46 Signalons que d’autres bois, non réemployés dans les éditions troyennes, sont présents dans Xylographie…, ouvr. cité : par exemple, le premier temps du combat entre David et Goliath où l’on voit le petit homme avec son lance-pierre, ou encore les musiciens du Temple, la lutte de Jacob avec l’ange, Job et ses amis…

47 Max Engammare s’est plusieurs fois intéressé à ces problèmes de représentation de la violence dans la Bible. De cet auteur, voir « Les Figures de la Bible », art. cité ; « Reine dévorée, sœur violée, épouse dépecée », dans Le Corps violenté, éd. Michel Porret, Genève, Droz, 1998 ; « De la peur à la crainte. Un jeu subtil dans le premier recueil d’images bibliques composé à l’usage de jeunes enfants (1714-1779) », dans La Peur au XVIIIe siècle, éd. Jacques Berchtold, Michel Porret, Genève, Droz, 1994. Voir aussi Jean Émelina, « La Bible et le sexe : aspects et problèmes. Quelques exemples au XVIIe siècle », dans Censure, autocensure et art d’écrire, dir. Jacques Domenech, Bruxelles, Éd. Complexe, 2005, p. 87-105.

48 Édition Jean Oudot, p. 18. Le texte est le même dans les éditions Garnier.