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Odile Krakovitch, Les Imprimeurs parisiens sous Napoléon Ier

Édition critique de l’enquête de décembre 1810. Censure, répression et réorganisation du livre sous le Premier Empire, par Odile Krakovitch, avec la collaboration de Jean-Dominique Mellot et d’Élisabeth Queval, Paris, Paris Musées, 2008, 242 p., ill. (« Commission des travaux historiques de la Ville de Paris »). ISBN 978-2-7596-0042-

Frédéric BARBIER

Nouans-les-Fontaines

La Commission des travaux historiques de la Ville de Paris nous donne, avec cette édition de l’enquête sur l’imprimerie de 1810-181 , un précieux instrument de travail concernant l’histoire du livre, mais touchant aussi à l’histoire du Premier Empire et à l’histoire de Paris. Chaque historien du livre ayant travaillé sur la France du XIXe siècle connaît bien sûr cette enquête remarquable, prélude à la réorganisation de la branche par le rétablissement du contingentement, l’instauration d’un système général de brevets et l’établissement du numerus clausus des imprimeries.

L’édition commence par une « Introduction » très développée (pp. 9-72). Comme sous l’Ancien Régime, la réorganisation de la branche manifeste la convergence des intérêts entre l’administration et les professionnels les mieux établis. L’importance du sujet est démontrée, s’il le fallait, par le fait que l’Empereur assiste aux douze réunions du Conseil d’État ayant à traiter, de 1808 à 181 , du régime de l’imprimerie et de la librairie : la présentation du travail administratif préliminaire constitue une partie importante, et très bien venue, de l’introduction au volume. La réorganisation administrative, avec la création d’une direction générale de l’Imprimerie et de la Librairie, est détaillée ensuite, Odile Krakovitch donnant au passage de riches notes biographiques sur les deux premiers directeurs, le comte Portalis et le baron de Pommereul.

Napoléon est resté un homme du XVIIIe siècle, attentif aux idées des Lumières et au progrès, mais fondamentalement attaché à la pratique d’une sorte de despotisme éclairé – un point bien évidemment plus difficile à mettre en œuvre dès lors que l’on touche, comme ici, au domaine du livre et de la « publicité ». Les discussions conduites au Conseil d’État sur le régime de la presse sont particulièrement éclairantes sur ce point :

Le droit d’imprimer n’est pas du nombre des droits naturels ; celui qui se mêle d’instruire fait une fonction publique, et dès lors l’État peut l’en empêcher.

La dernière séance tenue sur le sujet est marquée par un « surprenant constat d’échec de la part de l’Empereur », qui semble regretter la mise en place de la censure au point de menacer de supprimer la Direction générale.

Puis Odile Krakovitch rappelle avec efficacité les conditions d’élaboration et les objectifs de l’enquête : il s’agit de donner un tableau très précis de la situation de l’imprimerie dans l’Empire, pour en préparer la réforme. A Paris, l’enquête est pour l’essentiel réalisée au cours de l’automne 1810 : parmi les inspecteurs chargés du travail, on remarque particulièrement Louis Antoine Gaudefroy, dont on sait qu’il s’est fait un nom comme bibliographe, parfois associé à La Serna35 ou à Brunet36. Cent cinquante-sept visites ont permis de rassembler les éléments devant entrer dans les notices, dont la rédaction est ensuite reprise globalement pour aboutir au document fini.

La documentation réunie et mise en forme fournit un instantané de la situation de l’imprimerie dans la capitale de l’Empire : histoire de l’entreprise et biographie des titulaires (dont un certain nombre d’auteurs), niveau de fortune, localisation dans la ville, moralité et idées politiques. Les femmes sont très présentes dans la corporation, avec quelque 20% des imprimeurs recensés : la plus connue est peut-être la « dame Huzard », fille de libraire et surtout épouse d’un célèbre vétérinaire et membre de l’Institut. Mais Odile Krakovitch montre aussi tout ce que le document dévoile sur la mentalité des uns et des autres – les professionnels, mais aussi les inspecteurs, sans oublier l’administration. Ce que veut Napoléon, c’est favoriser la « haute librairie » productrice de littérature au sens propre, et non pas de « chansons des rues, petits almanachs et tant d’autres sottises » (p. 38). Le primat est donné à la respectabilité, et le fait d’être établi de longue date et d’appartenir à une famille reconnue (dont le modèle est représenté par les Didot) constitue un critère souvent décisif. Un personnage comme le père de l’historien Jules Michelet, établi « depuis la Révolution » mais « misérable » et qui ne paie pas de patente, n’a pratiquement aucune chance d’être conservé – on sait que Michelet reviendra sur ces épisodes difficiles dans son autobiographie de Ma jeunesse (1883). La dernière partie de l’introduction traite des « conséquences du décret et de l’enquête », notamment s’agissant des indemnités à verser aux imprimeurs « supprimés » – ou plutôt à leur faire verser par leurs confrères « conservés ».

L’introduction est complétée par un état des sources et de la bibliographie, par une note présentant les choix faits pour l’édition des notices, et par un cahier d’illustrations : pages du registre manuscrit de l’enquête (AN, F18 2371), et reproductions du plan de Paris de 1809, avec la localisation des imprimeries conservées ou supprimées37. L’édition proprement dite suit l’ordre de présentation de l’enquête (pp. 83-230). Les notes retranscrites de l’enquête sont largement complétées et précisées par des biographies précises de chacun des professionnels mentionnés, pour l’établissement desquelles Odile Krakovitch a enrichi les informations données pour l’essentiel par Delalain, Mellot et Vouillot38, par le recours aux sous-séries F17 et F18 des Archives nationales, beaucoup plus rarement aux fonds des Archives de la Seine (cf la notice Herhan). Des notes de topographie parisienne (par exemple sur le Collège d’Harcourt), de bibliographie et de vocabulaire complètent l’information. L’index nominum ne reprend que les noms cités dans les notices elles-mêmes. Le volume se referme sur la liste des imprimeurs « maintenus », et sur l’édition du décret du 5 février 1810.

Cette édition exemplaire attire une nouvelle fois l’attention sur la richesse documentaire d’une enquête qui, loin de se limiter à Paris, a concerné toute la France « des cent quarante départements ». Les régimes policiers produisent une documentation historique très riche, et nous avons avec l’enquête de 1810-181 les éléments d’un tableau exceptionnel, mais qui reste à exploiter, de la situation de l’imprimerie et de la librairie dans toute l’Europe, de Hambourg à Rome, à l’aube de l’industrialisation de la branche39.

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35 Description bibliographique d’une très belle collection de livres rares et curieux provenant de la bibliothèque de Melle la comtesse d’Yve, par Carlos Antonio de La Serna Santander et Louis Antoine Gaudefroy, Bruxelles, A. Wahlen, 1819-1820, 2 vol.

36 Jacques Charles Brunet, Manuel du libraire et de l’amateur de livres…, 3e éd., réimpr. et augm., Bruxelles, P. J. de Mat, 1821, 4 vol.

37 On voit moins l’utilité, autre qu’anecdotique, de reproduire la célèbre silhouette de « L’éditeur » tirée des Français peints par eux-mêmes (tome IV), d’autant qu’il s’agit d’une représentation postérieure d’une génération aux faits présentés dans le volume (1841)… et que la reproduction est réalisée d’après un reprint datant de 2003.

38 Bernard Vouillot, L’Imprimerie et la librairie à Paris sous le Consulat et l’Empire, Paris, thèse de l’École nationale des chartes, 1979, 2 vol. dactyl. Cette thèse n’a malheureusement jamais été publiée.

39 Pourtant, sur l’exploitation de l’enquête en ce qui concerne l’Allemagne, un travail d’un chercheur de l’Université du Kentucky, apparemment ignoré d’Odile Krakovitch : Jeremy D. Popkin, « Buchhandel und Presse im napolenischen Zeitalter », dans Archiv für Geschichte des Buchwesens, 26, 1986, pp. 285-296.