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Jean-François Gilmont, Alexandre Vanautgaerden, éd., avec la collab. de Françoise Deraedt, La Page de titre à la Renaissance

Turnhout, Brepols – Musée de la Maison d’Érasme, 2008, 395 p., ill. (« Nugæ humanisticæ sub signo Erasmi »). ISBN 978-2-503-52669-0

Olivier GRELLETY BOSVIEL

Soulgé-s/Ouette

Issu de journées d’études tenues au Musée de la Maison d’Érasme en décembre 2001, cet ouvrage donne le bilan d’une enquête sur le phénomène complexe de la page de titre au XVIe siècle. Il s’organise en deux parties composées, respectivement, de treize essais et d’une anthologie de pages de titres commentées. Dans leur introduction, Jean-François Gilmont et Alexandre Vanaut-gaerden exposent leur problématique globale.

Trois axes principaux sont dégagés : 1) Dans un premier temps, les auteurs rappellent que, si les éléments constitutifs de la page de titre se sont progressivement mis en place entre 1450 et 1530, ce développement n’a pas été rectiligne. Des titres brefs sur feuillets blancs sont encore composés par des imprimeurs-libraires du début du XVIe siècle. 2) Puis les auteurs s’interrogent sur la page de titre elle-même : qui la composait, quelle était sa fonction, comment les hommes de la Renaissance la considéraient-ils ? 3) Enfin, après des rappels terminologiques concernant l’ornementation, les enjeux de la mise en page sont énoncés. Comment se sont articulées au cours du siècle, les exigences « visuelles » et « sémantiques » dans la composition typographique de la page de titre ? Comment se situe la marque et quel type de lecture l’ensemble induit-il ? Ici le rappel se fait pressant : la page de titre est une partie du tout de l’imprimé. Il faut donc la confronter aux autres éléments du contenu spécifique du livre – par exemple, les colophons ou les titres courants.

Les études qui suivent développent cette problématique. La diversité des contributions illustre la complexité du questionnement. Il en ressort une profonde cohérence qui confère à cet ouvrage une forte unité. Ces contributions s’ordonnent selon la thématique des « auteurs », des « officines » puis des « marques sur les pages de titre ». L’ensemble s’ouvre par une étude rappelant l’origine de la page de titre : Albert Derolez n’aborde pas l’époque des incunables, mais s’interroge sur l’impact éventuel de la tradition manuscrite. Il propose un panorama complet, mettant en lumière l’importance des manuscrits de l’époque gothique (du XIIIe siècle au troisième tiers du XVe) : ce serait ces manuscrits sans pages de titre qui, paradoxalement, auraient influencé les premiers typographes.

La thématique des « auteurs » montre comment l’écrivain et l’imprimeur collaborent pour composer une page de titre. Cette perspective d’analyse intègre évidemment les contraintes qu’exerce le marché dans le projet d’édition, contraintes qui peuvent aussi être culturelles et politiques. Dans cette optique, Christine Bénévent analyse les pages de titre des éditions de la correspondance d’Érasme. Si un certain nombre d’indices laisse penser à un succès d’édition, faudrait-il, pour autant, ne voir dans les pages de titre qu’une « vitrine publicitaire » ? Les conclusions très nuancées de cet article se fondent, d’une part, sur la confrontation des pages de titre avec les autres éléments du contenu des volumes, et de l’autre, sur l’analyse de lettres d’Érasme présentes dans ces éditions. Dans l’étude suivante, Jeanine De Landtsheer examine la collaboration entre Juste Lipse et les Plantin. La correspondance conservée constitue une aide précieuse pour retracer la généalogie des pages de titre et pour interpréter les variations que l’on peut y observer.

La thématique des « officines » regroupe trois contributions, qui élargissent la réflexion déjà engagée : après l’étude de l’édition d’un genre littéraire (la correspondance d’Érasme), puis de l’œuvre d’un auteur (Juste Lipse), c’est la totalité de la production connue d’un atelier qui est prise en compte. Cette démarche exhaustive débouche sur un savoir positif : une typologie des pages de titre ainsi que leur morphologie historique est possible. Geneviève Guilleminot-Chrétien prend comme exemple l’officine des Wechel : l’étude des différentes composantes de l’étiquette (marque typographique, adresse et privilège), leur mise en page puis l’examen des titres permettent de dégager pratiques et conventions de l’atelier, ainsi que l’évolution de ces dernières en fonction des types d’ouvrages imprimés. L’article de Claude Sorgeloos examine, selon la même démarche, les pages de titre chez les Plantin. Le troisième article opère un changement de perspective : les pages de titre ne sont plus étudiées dans le cadre d’une officine mais dans celui d’un centre typographique, à savoir Ferrare. Rosanna Gorris montre comment la conjoncture économique, politique et culturelle a conditionné les politiques d’édition des six principales officines de la ville. L’accent est mis sur la manière dont les pages de titre, avec notamment leurs ornementations, reflètent ces phénomènes.

Cette thématique des « officines » entre en correspondance, selon nous, avec l’article d’Edoardo Barbieri. Inséré en fin d’ouvrage (dans les varia), avec deux autres contributions de Frank Muller et de Jean-François Gilmont, cette contribution traite des papillons de correction présents sur certaines pages de titre. L’auteur souligne l’intérêt historique de cette pratique d’atelier : cette ultime correction, portée en général sur un nombre restreint d’exemplaires, correspond à un moment précis dans la chaîne de production, quand le livre quitte l’officine pour aller vers l’acquéreur. Cette opération, liée à la commercialisation, peut fournir de précieux indices sur les réseaux de diffusion.

La thématique des « marques sur les pages de titre », constitue le dernier volet de cette première partie. Elle regroupe quatre études, dont trois consacrées à la marque typographique des Estienne. Francis Higman se penche sur le cas des emblèmes (courts poèmes agrémentés d’une image) publiés par Gilles Corrozet dans L’Hécatongraphie puis dans Le Tableau de Cebes. Un des éléments d’une image commune aux deux éditions se retrouve comme marque dans la traduction française de la Bible imprimée à Genève par Jean Girard en 1540. Même si ce procédé de correspondance semble être un cas isolé pour les emblèmes de Corrozet, l’auteur de l’article se demande s’il existe d’autres exemples similaires. D’autres aspects de la fonction de la marque typographique sont ensuite envisagés. La contribution de William Kemp concerne les éditions du Paraphrasis d’Érasme. Elle met en évidence l’usage que Robert Estienne fit de sa marque, jointe à de nouveaux libellés du titre, pour lutter contre la concurrence. Mais, quels sont les liens des marques « à l’olivier » avec les membres successifs de la dynastie des Estienne ? Jean-François Gilmont se livre à un travail d’herméneutique à partir des deux formes principales de cette marque. En effet, sur chacune des deux, des variantes graphiques sont accompagnées d’un verset différent de l’Épître aux Romains. L’auteur se demande s’il ne faudrait pas y voir la manifestation discrète d’un choix confessionnel ? Enfin, Hélène Cazes montre comment les avatars de la dynastie des Estienne transparaissent dans les variantes de la marque « à l’olivier ». Cette perspective autorise, entre autres, une relecture critique de la tradition bibliographique du XIXe siècle, laquelle voyait dans la marque le symbole d’une continuité ne varietur.

La deuxième partie de l’ouvrage présente des reproductions très soignées de cinquante quatre pages de titre, avec pour chacune d’elles en vis-à-vis une notice descriptive. La dimension européenne dans le choix des différents centres typographiques est un des atouts majeurs de ce florilège : les éditions retenues proviennent de dix-sept villes et se répartissent entre la France (Lyon et trois autres villes), les XVII Provinces, la péninsule italienne, les pays germaniques et la Suisse. Elles couvrent tout le XVIe siècle. Les types d’ouvrages sont surtout des éditions de textes humanistes et religieux, mais on trouve aussi des écrits juridiques, médicaux, historiques, musicaux et scolaires. Enfin, les formats, à part deux in-seize, sont équitablement partagés entre in-folios, in-quartos et in-octavos.

Les notices suivent une procédure relativement uniforme, mais de nouvelles rubriques sont introduites quand cela est rendu nécessaire pour la description d’une certaine page de titre. La rubrique « empagement » qui parfois recoupe celle de « style », nous est apparue comme le fil rouge de l’ensemble, parce qu’elle décrit la structure de la page. Elle montre comment les différents éléments que sont le titre, la marque et l’adresse, s’agencent les uns avec les autres, et souligne leur lien avec le choix des caractères typographiques. Au fil de la lecture, le regard s’aiguise, tandis qu’un lexique, placé à la fin de l’anthologie (et traduit en cinq langues), apporte une connaissance exacte des termes, et donc, d’une certaine manière, des techniques employées par les imprimeurs.

Cette sensibilisation à l’architecture de la page de titre, elle-même préparée par les études de la première partie, introduit avec bonheur le lecteur de cet ouvrage, à la vie du support imprimé.