Maryvonne Pesteil-Lota, Catalogue des incunables conservés dans les bibliothèques publiques de Corse photographies de Jean-Luc Sarrola, préface de François Rodriguez-Loubet, Ajaccio
Éd. Alain Piazzola, 2008, 177 p., ill., carte, graph. ISBN 978-2-915410-56-3
Frédéric BARBIER
Nouans-les-Fontaines
La Corse, terre du livre : la formule aurait sans doute surpris il y a quelques années, elle s’impose progressivement, grâce à une succession de travaux de recherche, parfois entrepris dans le cadre de l’université (Corte)1 ou d’institutions officielles (le Comité des travaux historiques et scientifiques)2, mais répondant parfois aussi à des initiatives et à des curiosités individuelles. Le Catalogue des incunables (…) de Corse renvoie à ce dernier modèle. Pourtant, que la Corse soit une terre du livre ne saurait étonner, dans la mesure où l’île se place jusqu’au XVIIIe siècle dans l’orbite italienne, et où elle bénéficie, ensuite, d’apports, dons ou legs souvent importants, comme ceux de Lucien Bonaparte ou encore du cardinal Fesch. Un nombre non négligeable d’exemplaires d’incunables sont dans l’île au moins depuis le XVIe siècle (par ex. notice n° 45).
Présenté comme exhaustif, le recensement conduit par Madame Pesteil dans les bibliothèques publiques d’Ajaccio et de Bastia concerne aujourd’hui soixante-dix-huit éditions antérieures à 1501, corpus auquel il conviendrait d’ajouter quelques titres apparemment disparus depuis les travaux de catalogage effectués notamment en 1879 et en 1932 (voir ce qui est dit p. 18). L’examen des particularités d’exemplaires des différents volumes montre combien profondément ceux-ci font partie du patrimoine corse, et combien, par conséquent, il importe de les préserver.
L’exemplaire le plus ancien correspond à une édition du De sanguine Christi de Sixte IV donnée à Rome par Johannes Philippus de Lignamine après le 10 août 1471 (notice n° 23), et il provient d’une bibliothèque non identifiée (« Altenp. »). Une majorité de volumes sortent d’ateliers italiens, au premier chef Venise, suivie d’assez loin par Milan, et trois éditions sont en italien. Parmi celles-ci, un Dante (notice n° 67), lui aussi vénitien, dont l’ISTC ne signale jusqu’ici que deux exemplaires en France, (Bibliothèque nationale de France et École normale supérieure), mais une cinquantaine en Italie (Goff D 32). L’Antidotarium romain de 1476 (HR 1 765) est extrêmement rare : l’exemplaire de Bastia semble avoir été inconnu jusqu’à présent (n° 62). La Bible latine de 1478 conservée à Ajaccio (notice n° 1) est remarquable par ses lettres enluminées, mais on regrette que la provenance n’en soit pas connue alors que le volume présente des armoiries peintes accompagnées des initiales « B A » (ill. 2). Une autre édition assez rare présente en Corse est celle d’Annius, donnée à Gênes en 1480 et dont l’ISTC connaît moins de vingt exemplaires (n° 42).
Madame Pesteil a adopté, pour son catalogue, une forme peu courante. D’une part, elle a fait le choix d’« autorités » qui ne correspondent pas toujours aux habitudes des spécialistes des incunables (par exemple les vedettes utilisées dans la collection des Catalogues régionaux d’incunables des bibliothèques publiques de France). D’autre part, elle donne pour toutes les notices des notices longues, avec incipit, détail des signatures, etc., alors que ces éléments sont déjà connus. Le choix de présenter les notices en fonction d’un classement systématique et non pas alphabétique complique plutôt la consultation du volume, surtout s’agissant d’un nombre relativement réduit d’exemplaires.
Le catalogue lui-même est complété par une série de dossiers développés : outre une préface d’une quinzaine de pages (on apprécie particulièrement la carte des circonscriptions et maisons religieuses publiée en tête), le lecteur découvre une belle série de planches en couleurs précisément commentées. Ces planches sont surtout orientées sur le problème de la mise en page, mais elles reproduisent aussi un certain nombre de reliures contemporaines, dont certaines remarquables (nos 4 et surtout 42). En elles-mêmes, elles constituent ainsi un dossier intéressant sur les formes du livre imprimé du XVe siècle. Le catalogue propose encore une série de notices biographiques sur les auteurs ; un état des sources et une bibliographie générale (histoire du livre, histoire de la reliure, Corse, biographies) et spécialisée (catalogues d’incunables) ; des jeux d’index (imprimeurs et libraires, auteurs, provenances) ; enfin, une table de concordances entre les cotes et les numéros de notices.
En définitive, même si toutes les normes du catalogage spécialisé ne sont pas suivies, le présent volume a l’avantage important de pouvoir s’adresser à un public un petit peu plus large que celui des seuls spécialistes. Et le lecteur curieux d’histoire du livre aurait tort de bouder son plaisir, alors que Madame Pesteil nous fait connaître des fonds jusqu’à présent peu accessibles, et à l’histoire relativement spécifique au sein des collections françaises de livres anciens. Nous serions d’autant plus curieux de disposer de recensements analogues pour les périodes postérieures, notamment celle du XVIe au XVIIIIe siècle…
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1 Vanessa Alberti, L’Imprimerie en Corse, des origines à 1914, thèse de doctorat soutenue devant l’université de Corte le 17 novembre 2006.
2 Rappelons que le Congrès national des sociétés savantes s’est tenu à Bastia en 2003.