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Du commerce et des langues : latin et vernaculaires dans les lexiques et dictionnaires plurilingues au XVIe siècle

Martine FURNO

Professeur de langue et littérature latines, Université Stendhal Grenoble 3 – Cerphi, ENS-LSH ; Centre Gabriel Naudé, Enssib

Le dictionnaire d’Ambrogio Calepino a été souvent augmenté par nombre d’auteurs, dont certains n’ont pas mentionné leur nom, comme celui qui a ajouté aux entrées latines les équivalents grecs ; d’autres l’ont mentionné, comme Jacob Montanus, et récemment un certain Perusinus ; on a remarqué la dernière édition parue à Bâle, en 1544, augmentée et corrigée par nous également pour les noms propres Latins. J’entends dire que quelqu’un, aux Pays-Bas, a ajouté aussi [aux lemmes latins] les équivalents français et flamands1.

La dernière phrase de cette notice de Gesner en 1547 officialise l’entrée des « Calepin » plurilingues dans la « grande bibliothèque » constituée par la Bibliotheca et les Pandectæ : toujours remarquablement à jour, Gesner évoque ici le Calepin paru en 1545 à Anvers chez Gilles Coppens de Diest, lequel comprend les équivalents grecs, français, flamands et allemands des entrées latines.

Ce milieu du XVIe siècle cependant ne marque pas les débuts de la lexicographie plurilingue contenant du latin. Dès 1510 en effet, l’imprimeur Iacopo Mazocchi à Rome introduit du latin, et ajoute du français, dans un petit lexique pratique dont le noyau était italien-allemand, instituant une habitude que la plupart de ses successeurs continueront2. Au milieu du siècle coexistent dans l’univers de la librairie deux types de « produits » comportant plusieurs langues vernaculaires et du latin : le premier, déjà bien installé sur le marché, consiste en petits lexiques, souvent dans des formats portatifs, consacrés au vocabulaire de la vie quotidienne, que j’appellerai lexiques pratiques. Le second est le nouveau « concept » évoqué par Gesner : des dictionnaires portant le nom de Calepin, et comportant des gloses vernaculaires diverses du matériel latin.

Même si ces deux ensembles relèvent de deux mondes différents, et sont d’ailleurs rarement imprimés dans les mêmes officines, on ne peut ignorer entre les uns et les autres quelques liens contextuels et culturels. En effet, on constatera que ces livres, tant pour le public visé que pour le rapport des langues savante et vernaculaires entre elles, peuvent être analysés comme en miroir, renvoyant une image quasi inversée. Mais cette image double traduit aussi, notamment à la fin du siècle, une perception convergente de la hiérarchie et de la pratique des langues. C’est à ce point que je me suis particulièrement intéressée, en tant que spécialiste de lexicographie latine, partant tout d’abord d’une idée souvent entendue, à savoir que dans les Calepin multilingues le latin servait de pont pour l’apprentissage d’un vernaculaire à un autre, comme c’est le cas dans certaines grammaires de la période3. En parcourant à la fois les lexiques pratiques et les Calepin, il m’a semblé que cette idée était sans doute un peu trop schématique, et qu’il fallait peut-être examiner en parallèle quelle pouvait être, dans ces deux sortes de lexiques, l’articulation de la langue savante par rapport aux vernaculaires. Je rendrai donc compte ici de l’analyse de quelques items représentatifs dans chacune des deux séries, consciente cependant que celles-ci sont extrêmement prolifiques et que ma lecture n’en épuise pas les détails. Je terminerai sur quelques constatations qui pourraient préciser un peu la place du latin à la fin du XVIe siècle.

LA TRADITION DES LEXIQUES « PRATIQUES »

Buts et structure

Ces lexiques, malgré leur nombre, s’organisent en grandes familles, déjà bien analysées par A. Rossebastiano Bart et par M. Colombo Timelli : l’une, ayant pour support le Vocabulista de F. Garone, est d’origine italienne, et l’autre, ayant pour fondement les Colloquia de Pierre de Berlaimont, est d’origine flamande4. Tous ces vocabulaires visent un public précis car, quasiment absentes du système scolaire des collèges ou académies au XVIe siècle5, les langues vernaculaires étrangères s’apprennent le plus souvent par la pratique et sous l’effet de la nécessité. Nos petits ouvrages se présentent donc comme le précieux soutien de tous ceux qui, déjà éloignés de l’école par l’âge et/ou les activités, sont amenés à fréquenter des pays allophones et leurs habitants. Ainsi, la version du Vocabulista pentaglotte de Francesco Garone imprimée en 1542 à Lyon probablement par Jacques Moderne insiste-t-elle sur cette utilité du lexique « pour ceux qui desirent apprendre sans aller a l’escole comme artisans et femmes », et « pour ceulx qui vont practicant par le monde », publicité qui est répétée dans les cinq langues de l’ouvrage6. De même, le Dictionarium quatuor linguarum, qui comprend du latin, du français, du flamand et de l’espagnol, publié à Louvain en 15567, évoque dans sa préface en français des « ieunes gens desirans scavoir diverses langues », dont les activités sont plus précisément présentées dans l’adresse au lecteur de F. Villalobos, le correcteur hispanisant de l’ouvrage :

Car qui fait du commerce, qui est à l’armée, qui va à la cour, ou qui veut faire un long voyage, aura besoin d’un interprète dans ces quatre langues…8

Le plurilinguisme est toujours présenté dans ces lexiques comme l’économie de ne pas avoir à emmener avec soi un interprète de chacune des langues. Ce discours, tout publicitaire qu’il soit, a cependant pour origine la réalité du siècle. Nés dans un contexte commerçant entre l’Italie et l’Allemagne, puisque les premières éditions sur lesquelles se fonde le manuel de Garone sont bilingues italien-allemand, ces lexiques prennent un essor particulier aux Pays-Bas où, dès avant le milieu du siècle, la polyglossie est une nécessité quotidienne. On y parle français et flamand à la cour et à la ville depuis la présence bourguignonne, mais aussi anglais, allemand et italien dans les affaires, puis espagnol à la cour et à l’armée à partir du rattachement à l’Espagne, dès 1482, et cette dernière langue s’y répand de plus en plus avec le règne de Charles Quint à partir de 1516. Cela explique que, malgré leur titre qui les réduit parfois à la seule lexicographie9, ces ouvrages sont en fait de véritables manuels de conversation en vernaculaire, comprenant aussi des outils pour la prononciation et parfois pour la grammaire. Ainsi, le Dictionnarium quatuor linguarum de 1556 rassemble-t-il, outre le lexique, des consignes en flamand (avec une traduction latine) pour la prononciation du français et des consignes en français (avec une traduction latine) pour la prononciation de l’espagnol, ainsi qu’un traité de conjugaison latin français flamand qui est en fait la reprise en l’état du petit traité de conjugaison de Robert Estienne paru en 154610, simplement augmenté tout au long des formes de la conjugaison flamande.

Le public concerné est donc bien celui qui a affaire dans la vie quotidienne avec des locuteurs de langue étrangère vernaculaire, et la structure de ces lexiques est fondamentalement organisée autour de celles-ci et non pas du latin, comme le montrent notamment les listes de mots. Qu’il s’agisse en effet des Garone ou des Berlaimont, la plupart de ces ouvrages organisent leur section lexicographique en listes thématiques de mots ou d’expressions, tirées de situations du quotidien : manger, boire et dormir, prier, vendre et acheter, nommer les personnes, les lieux ou la nature, se déplacer, sont en effet autant de nécessités pour le voyageur d’autrefois comme pour celui d’aujourd’hui. Souvent, à l’intérieur des chapitres thématiques, les lemmes sont classés du général au particulier : entre autres nombreux exemples, on peut citer le bref chapitre 32 du livre I du Vocabulista quinque linguarum de F. Garone imprimé en 1542, dans sa version française « Le Chapitre des navires et galées », qui propose la série

la nef le bateau larbre les cordes la velle la rame lancre le gouvernail au fons a la boutique, et un dernier item « a la maison des alemans » qui rappelle l’origine italo-germanophone de ce recueil11.

La répartition par sujets est en effet la plus commode pour passer d’une langue à l’autre, puisqu’elle permet en quelque sorte de circonscrire les besoins, et évite ce que suppose l’ordre alphabétique, de désigner comme langue d’entrée l’un plutôt que l’autre des idiomes représentés dans l’ouvrage. Les lexiques qui optent pour ce mode de classement choisissent un public prioritaire linguistiquement, et affinent ainsi leur fonction, comme le Dictionarium quatuor linguarum imprimé par Bartholomé de Grave à Louvain en 1556. Dans ce manuel en effet, le lexique est alphabétique et a ses entrées en flamand, destinant l’ouvrage à apprendre l’espagnol et le français à des flamingants, ce que confirme son supplément d’outillage en matière de prononciation et de grammaire signalé plus haut.

Place et utilisation du latin

La forte architecture de ces ouvrages autour des langues vernaculaires induit donc que, lorsque du latin y est introduit, ce qui n’est pas absolument systématique même après 155012, sa distribution reste dépendante d’un des vernaculaires auxquels le lexique est adossé. Par exemple, dans le Vocabulista quinque linguarum de Garone, dont la base est italienne, on trouve au chapitre 21 du livre I de pane et vino et de ceteris rebus comestibilibus c’est-à-dire, comme le dit la version française « le chapitre est du pain et du vin et de toutes choses pour manger », l’entrée latine Caseus buffulinus, déclinée en

formaggio di bùffala / fromage de bouff le / queso de bùffalo / der kesz von eynem buffel13.

Il est difficile de ne pas voir qu’il s’agit ici pour le lexique de donner d’abord les différentes manières vernaculaires de désigner ou de reconnaître la mozzarella plutôt que de prioritairement traduire du vocabulaire latin. De même, dans l’entrée pénultième de ce chapitre, le latin Volumus facere collationem me semble plutôt le décalque du vernaculaire italien Vogliamo fare collatione, lui-même tourné ensuite en pourrons nous faire collation / queremos hazer collation / wollen wyr eyn collacion machen. Ces quelques exemples montrent bien quel est le latin de ces lexiques : traduisant des réalités modernes et pratiques, il n’a pas d’ambition littéraire, et s’il est occasionnellement « classique » selon les dénominations scolaires, c’est que certaines de ces réalités avaient leur équivalent dans l’Antiquité. Ainsi s’y côtoient sans répulsion nauis et burgus, cacobus et urna, caldum et frescum14, et tant d’autres paires tout aussi monstrueuses les unes que les autres pour les tenants d’un latin corseté aux normes de l’écriture institutionnelle.

Devant cette constatation, il n’est pas incongru de se demander à quoi et comment peut servir un latin aussi bigarré pour celui qui utilise cette catégorie de lexiques polyglottes. Il est clair que ce n’est pas dans ces livres qu’on apprendra le latin au sens où l’entend l’institution scolaire de ce temps, c’est-à-dire pour en avoir une maîtrise qui permette d’en lire les auteurs et de s’exprimer par écrit à leur imitation sur des sujets d’histoire, de morale et de rhétorique. On peut certes comprendre, selon les thèmes de certains chapitres ou dialogues des lexiques pratiques, que le latin y soit pertinent : dans le chapitre 2 du livre II du Quinque linguarum vocabulista, intitulé de Ambassiata et ambassiatoribus, des séries même très simples de pronoms et tournures comme« ie suis certain que ceux la parlent de toy et de moy » « a moy », « de moy »« toy »15, peuvent aider à préciser les relations entre les présents dans des situa-tions de diplomatie ou de communication où la moindre erreur peut être lourde de conséquences. Le même phénomène de « sécurisation » de la communication via une langue commune acceptée de tous peut aussi se révéler utile dans les chapitres ou dialogues qui traitent de la vente et de l’achat, et de la nature des marchandises : sûrs de se comprendre dans la désignation de l’objet par la même langue, l’acheteur et le vendeur peuvent peut-être faire affaire avec plus de garantie. Cela dit, hors ces quelques cas précis, que faire par exemple de caseus buffulinus ? Une telle expression ne peut servir qu’entre allophones ayant cependant chacun des notions préalables ou de latin ou d’italien sans lesquelles on ne saurait comprendre buffulinus, ni d’ailleurs la réalité exacte de l’expression tout entière : cela revient à dire que, à devoir puiser une expression dans le lexique, la communication pourrait se faire aussi bien en utilisant formaggio di buffalà, et que le latin ne supplée pas à lui seul un défaut total de compréhension vernaculaire.

La portée pratique de l’utilisation des équivalents latins dans cette branche des lexiques multilingues me semble donc relativement limitée : de fait, la langue ancienne n’y est pas une langue « comme les autres », sur le même plan que les vernaculaires entre lesquelles elle constituerait un pont indifféremment utilisable. Cette situation particulière est d’ailleurs visible dans la préface du Vocabulista quinque linguarum, un des seuls manuels qui évoque de fait, même s’il s’agit d’un discours plus intralinéaire qu’explicite, la place du latin dans le recueil. En effet, dans cette préface déclinée dans toutes les langues du volume, le livre est dit en latin

porta cupientium ediscere linguas Latinam / Italicam/ Gallicam/ Hispanam et Alemanicam16.

Si l’espagnol traduit exactement cette expression, la présentation en allemand ne mentionne pas le latin, passant directement aux langues italiennes et allemandes ; l’italien traduit de façon tronquée, par

porta di coloro che vogliono imparare et comprendere Italiano / Toscano / Francese / Spagnolo o Tedesco,

Italiano et Toscano désignent en fait, comme partout ailleurs dans le texte, la seule langue vernaculaire. Le français enfin parle de

porte de ceulx qui veulent apprendre et entendre françoys / ou italien : (…), ou soit françoys italien espagnol et aleman, mais abandonne lui aussi l’apprentissage du latin. Cette présentation me semble refléter tout à fait la réalité de ces lexiques : quelle que soit la plus ou moins grande exactitude des équivalents d’une langue à l’autre, sans doute due aux capacités variables des traducteurs, ce qui intéresse les auteurs est bien le passage d’un vernaculaire à un autre, non la langue ancienne. Nous ignorons tout de ceux qui ont établi les entrées et les équivalents latins, et l’on imagine mal qu’ils aient été des doctes au sens fonctionnel et universitaire du terme : dans ces petits lexiques que A. Rossebastiano Bart appelle « popolari », le latin joue comme une sorte de koinè, qui donnera peut-être au voyageur l’ultime moyen de communication en cas de rencontre avec une langue imprévue ou de trop grande difficulté avec l’oral, mais qui pourrait aussi servir à donner au livre un air de science.

Cet habit scientifique paraît plus visible dans les lexiques de la seconde branche, ceux qui selon la classification de M. Colombo Timelli sont des adaptations du « Berlaimont », premier ouvrage multilingue sous forme de Colloquia accompagnés de listes de vocabulaire. Ces ouvrages en effet visent apparemment un lectorat un peu plus cultivé que les précédents, et présupposent que l’utilisateur du lexique a une teinture préalable de latin sur laquelle s’appuyer pour la mémorisation de certains phénomènes de langue. Tout d’abord, dans plusieurs Colloquia imprimés dans le dernier quart du siècle, la disposition typographique donne au latin le rôle de pivot entre langues du Nord et langues du Sud qui en dérivent. Ces ouvrages, majoritairement de base flamande puisque cette langue y sert de support aux listes de vocabulaire quand elles sont alphabétiques, disposent les langues de gauche à droite sur deux pages dans l’ordre suivant pour ceux qui sont heptaglottes17 : Flamand, Anglais, Allemand, Latin, Français, Espagnol, Italien. Via la langue ancienne commune donc, les locuteurs du nord peuvent en fait constater les parallèles et les ressemblances entre les langues du sud.

De plus, le latin y est utilisé aussi dans les parties qui ne sont pas lexicographiques et qui touchent à la pratique directe des langues vernaculaires. En effet dans les Colloquia et dictionariolum septem linguarum imprimés à Anvers en 1586, on trouve, à la suite de la partie lexicale, un ensemble de conseils pour la prononciation de quatre des sept langues du recueil, réunis sous le titre français

S’ensuit un petit traité mout propre, & trénecessaire, pour ceux qui desirent bien sçavoir entendre, & parler François, Italien, Espaignol & Flamen18.

Le « petit traité » se décline en diverses sous-parties regroupant de manière relativement déséquilibrée des conseils de prononciation autant que des éléments de morphologie de base, dans des langues d’entrées et de sorties variables : pour l’essentiel en français vers l’italien et l’espagnol, mais aussi en italien vers l’allemand et le flamand, ce qui désigne aussi les publics potentiels et leurs trajets d’un vernaculaire à l’autre. Or, il est intéressant de constater qu’il est fait plusieurs fois allusion, dans ces conseils de prononciation, à une sorte de fondement latin, apparemment consensuel entre les locuteurs vernaculaires, même si l’on peut se demander jusqu’à quel point celui-ci est réellement identifiable par les lecteurs. On trouve en effet, pour la prononciation du français des remarques comme

ce, ci se prononcent quasi comme se, si latin, exemple certain citoyen certus ciuis,

où le « quasi » laisse la place à un certain flou, mais où le latin est bien donné comme le référent premier. C’est le cas aussi pour la remarque

G suiuuant a, o ou u conuient en pronunciation auec le Latin, Espaignol, Aleman, Flamen, Anglois, comme Gargantua, Golias, Gusman,

où il ne faut pas entendre le latin dans un lien horizontal avec les autres vernaculaires, mais bien comme un référent commun. Cette référence étymologique est encore accentuée dans les remarques sur l’italien, dont l’avertissement au lecteur commence ainsi :

Iaçoit que l’italien ait son origine du latin, si est, ce toutefois qu’il s’eslongue iournellement le plus qu’il peut, soir par reiection de lettres ou addition, intermixtion, mutation ou abbreuiation, comme ci dessous uoyez es dictions ensuyuantes : foglio de folium ; figlio de filius ; voglio de volo ; moglie de mulier…

Il s’agit donc ici de viser un lecteur pourvu de notions en latin, et de lui suggérer des réminiscences de la langue ancienne profitables pour l’apprentissage des langues vivantes. Ces Colloquia, un peu plus complexes que les lexiques dits « popolari » ayant pour base le manuel de Garone selon A. Rossebastiano Bart, se multiplient surtout dans la dernière partie du siècle : nous verrons, après avoir examiné l’autre grande catégorie de dictionnaires polyglottes, celle des Calepin, que, pour ne pas jouer dans la même cour, ces deux types d’ouvrages ont peut-être des points communs liés plus généralement à la perception des langues à cette période.

LA FILIÈRE DES CALEPIN PLURILINGUES

Les dictionnaires plurilingues publiés sous le nom de Calepin dans la seconde moitié du XVIe siècle s’opposent nettement aux ouvrages dont je viens de parler dans la forme, la taille et les ambitions. En effet nous verrons qu’ils sont sans ambiguïté possible rédigés pour l’école, et qu’ils visent un public scolaire déjà avancé au-delà des rudiments, jusqu’à la lecture des auteurs et à la rédaction en latin. En conséquence le latin y est à la fois langue d’entrée et langue cible, quel que soit le paradoxe de cette formulation pour des ouvrages multilingues. Le fonctionnement de cette filière à succès se comprenant surtout sur la durée, un bref rappel chronologique me paraît nécessaire avant l’examen des contenus19.

Chronologie des éditions polyglottes

Le premier dictionnaire de Calepin paraît, sans titre, chez Dionigio Bertocchi à Reggio nell’Emilia en 1502. Dictionnaire essentiellement latin, malgré quelques mots de grec, et plutôt réactionnaire au regard des autorités citées et de la préface qui s’insurge contre la prétention de savants comme Lorenzo Valla, cet ouvrage, que rien a priori ne destinait plus qu’un autre à une notoriété européenne, va connaître un succès immense pendant près de trois siècles. On sait que, assez vite, il ne reste plus grand’ chose dans les Calepins du Calepino original : le nom de l’auteur est devenu une marque commerciale porteuse, derrière laquelle s’abritent lexicographes et imprimeurs plus ou moins laborieux et scrupuleux, dont nombre de plagiaires du Thesaurus linguæ latinæ de Robert Estienne après sa dernière parution de 154320.

Le premier Calepin plurilingue paraît, on l’a vu, en 1545, à Anvers, chez Gilles Coppens de Diest, où la base désormais traditionnelle des entrées latines et grecques est doublée des équivalents allemands, français et flamands. Cette parution est à ce moment-là une entreprise pionnière, qui correspond au contexte social de polyglossie des Pays-Bas, liée aux nécessités d’un public scolaire particulier. En effet, pendant les quelque vingt ans qui suivent, on ne trouve pas vraiment de Calepin plurilingue : l’aire germanique fournit de nombreuses éditions traditionnelles latines avec équivalents grecs, et Venise produit des éditions bilingues latin-italien, ou latin grec – italien, mais qui restent des publications bipolaires entre langues anciennes et langue moderne. Les liens des libraires lyonnais avec l’étranger expliquent probablement que la première édition vraiment polyglotte, c’est-à-dire comportant plus d’une langue vernaculaire en dehors des deux langues anciennes, en l’occurrence ici latin grec – italien espagnol, sorte de presses lyonnaises en 1559 ; l’édition qui marque les débuts du succès de la formule est une reprise lyonnaise de celle-ci, en 1565, et offre trois vernaculaires, italien français et espagnol21.

La suite de l’histoire est celle d’un succès commercial étonnant : au fur et à mesure que les éditions se multiplient, le nombre des vernaculaires grandit jusqu’à atteindre le total de onze langues pour les éditions les plus plantureuses (latin grec hébreu ; flamand espagnol français polonais italien hongrois anglais allemand), et les lieux d’impression se stabilisent : Venise surtout, qui fournit trente-sept éditions entre 1570 et 1708, soit à peu près une tous les trois ou quatre ans, mais aussi Lyon (dix-huit éditions), en nette concurrence avec Bâle (onze éditions). Paris complète cette topographie (dix éditions), à laquelle s’ajoutent quelques centres plus ponctuels, quelquefois pour des parutions anecdotiques (comme l’édition latin portugais japonais de 1595 à Amakusa), mais parfois aussi pour des séries de quelque importance : ainsi des éditions genevoises de Pyrame de Candolle, ou des ultimes parutions italiennes de la Stamperia del Seminario de Padoue à la fin de la période (onze éditions entre 1708 et 1778). Ce rythme soutenu, la concentration des lieux d’impression, la rivalité patente entre Lyon et Bâle, montrent bien que le dictionnaire de Calepin sous sa forme polyglotte est un objet d’imprimerie à succès.

Description des contenus des Calepin polyglottes

Objet, au moins autant que livre, car c’est bien de cela qu’il s’agit : un produit qui se vend bien, dans une formule assez vite stable, où l’on peut se demander, à l’inverse de la série précédente, quel y est l’usage exact des vernaculaires : raison pour laquelle je parlais, au début de cette étude, d’une impression d’image inversée, en miroir, que se renvoient les deux types de dictionnaires. La formule inaugurée en 1545 est reprise quasi en l’état par les premières éditions lyonnaises, et elle sera très vite fixée de manière à peu près identique presque partout. L’ordre des lemmes tout d’abord présente deux possibilités selon la base choisie pour le Calepin. Lorsque l’imprimeur reprend le modèle des Calepin de Gryphe parus depuis 1533, l’ordre est entièrement alphabétique. Lorsqu’il reprend le modèle de Calepin plus anciens, ou du

Thesaurus linguæ latinæ d’Estienne, qui sert beaucoup à enrichir divers dictionnaires en Europe à cette période, l’ordre reste celui du premier Calepin, seul souvenir d’ailleurs qui demeure à ce moment de l’ouvrage : c’est-à-dire un ordre alphabétique des primitifs, où les dérivés directs sont classés sous l’étymon, mais où les composés par préfixation se trouvent à leur place alphabétique.

La structure des articles lexicographiques quant à elle est remarquablement stable. L’article type22 comprend d’abord l’entrée latine éventuellement accompagnée d’éléments d’appareillage grammatical comme le genre, les formes des temps primitifs pour les verbes, ou des longueurs de voyelles. Suivent une première explication de l’entrée par glose synonymique ou périphrase rapide, puis les équivalents grec et/ou vernaculaires marqués par des signes typographiques variables, en général des parenthèses ou des accolades. Hormis dans l’édition anversoise de 1545, chaque équivalent vernaculaire est précédé de sa « nationalité », en général en petites capitales et en abrégé : ITAL. GALL. HISP.,… Les équivalents grecs ne sont pas précédés de cette précaution, sans doute inutile puisque leur étrangeté saute aux yeux, et les équivalents allemands, lorsqu’il y en a, sont souvent en caractères gothiques. Ces équivalents vernaculaires donnent soit une traduction mot pour mot, soit une explication par synonymie ou périphrase, c’est-à-dire, dans tous les cas, une interpretatio à tous les sens anciens du terme : il s’agit bien d’éclairer le sens du mot latin par la définition ou la traduction, mais non de donner des éléments pour une pratique de la langue vernaculaire, puisque ces dictionnaires ne comportent aucun appareillage grammatical autre que celui de l’entrée latine. Enfin, la plupart du temps, l’essentiel de l’article est consacré à des séries d’exemples mettant en situation les sens premier et figuré du mot latin, expliquant les situations d’emploi particulières et donnant des modèles d’auteurs pour l’écriture.

Cette description ne laisse pas de doute sur les buts de tels dictionnaires : il s’agit bien de dictionnaires du latin, pour des élèves non débutants comme le marque la présence de citations d’auteurs, d’ailleurs modélisées pour l’écriture scolaire. Celles-ci puisent le plus souvent dans Virgile et Cicéron, même si certaines préfaces annoncent plus de liberté, en se positionnant d’ailleurs par là même dans des querelles scolaires : la préface de l’édition imprimée à Lyon en 1565, signée d’André de Morgues23, comporte toute une digression anticicéronianiste sur la nécessité d’écrire un latin souple et varié qui ne s’arrête pas à ce que Cicéron seul a dit, doctrine qui appauvrit la langue latine, car

puisque Cicéron n’a pas disputé ni disserté sur toute chose, il n’a pas été possible qu’il ait utilisé tous les mots que notre Université enferme et contient entre ses bras. C’est pourquoi sur cette question, tel est mon jugement, qu’il faut que ce que nous ne trouvons pas dans Cicéron, nous ne craignions pas de le prendre à d’autres auteurs idoines…24

Dictionnaires de latin donc, où les vernaculaires sont une aide et un éclaircissement bienvenus. Là encore le but ne fait pas de doute, puisque le même André de Morgues espère que le livre, qui comporte les trois vernaculaires italien français et espagnol, sera utile aux trois nations

pour comprendre les particularités de leur langue vernaculaire, et pour que chacune d’entre elle puisse saisir facilement la force et la puissance des mots latins25.

La couverture des items par les vernaculaires n’est pourtant pas totale dans ces éditions du XVIe siècle : dans toutes celles que j’ai consultées, on trouve des entrées qui sont entièrement en latin, d’autres où l’une des vernaculaires annoncées fait défaut, surtout pour les lemmes plus courts ou plus techniques comme ceux désignant des noms de plantes ou d’animaux ou relevant des artes mechanicae… Ces défections vont s’amenuisant dans les éditions corrigées au XVIIe siècle, sans doute à la fois parce que le livre se perfectionne, mais aussi parce que les besoins en explications vernaculaires deviennent de plus en plus universellement utiles.

Histoire et sens de la présence des vernaculaires : les débuts

Si les préfaces s’appesantissent quasi rituellement sur les avantages qu’apporte chaque nouvelle édition à la partie latine, en évoquant l’enrichissement de la matière, la correction des erreurs, le perfectionnement de l’appareillage grammatical, l’ajout d’exemples ou d’outils scolaires comme Adagia et Commentarii, elles sont en revanche relativement peu loquaces sur le choix des langues vernaculaires, et sur l’origine des traductions fournies. En fait, quelques indices peuvent aider à reconstituer et à éclairer le mouvement qui a permis l’introduction puis la multiplication des vernaculaires dans les Calepin.

Le point de départ en est sans doute dans les quelques équivalents grecs donnés en parallèle à certaines entrées latines par l’editio princeps de 1502. Ces doubles grecs sont au début ponctuels et représentent en fait la citation d’entrées de Suidas quand elles se trouvent pouvoir correspondre aux lemmes latins. Cet élément de bilinguisme est déjà enrichi par Josse Bade dans l’édition de 1509, grâce tant aux compétences d’helléniste de Bade lui-même qu’à l’essor des études grecques, que l’ouvrage soutient et qui le soutiendra également : l’idée du bilinguisme fera florès et la présence du grec devient systématique à partir de 1510. Peu à peu les éditeurs, sans forcément dire leur nom ni celui du docte ouvrier qui s’est appliqué à l’affaire, augmentent les équivalents grecs jusqu’à donner un double systématique de chaque entrée dans un grec classique correspondant aux usages scolaires : c’est ce que fait le jeune Gesner pour l’édition bâloise de Curion en 1544, tout en se plaignant assez par la suite que son nom ne soit pas apparu sur la page de titre, mais simplement comme signature de la préface26.

Cela dit, ces équivalents grecs se limitent à une traduction décalque du mot latin au mot grec quand elle est possible, ou à un équivalent synonymique, éventuellement à une rapide périphrase : on ne trouve en grec ni explications sémantiques plus poussées (elles sont données en latin pour le mot latin), ni exemples, ni appareillage grammatical. Il s’agit simplement de fournir une passerelle de langue savante à langue savante, dont l’apprentissage est le plus souvent décalé : l’apprenti latiniste est déjà avancé quand il commence le grec, s’il le commence, et il est normal que l’apprentissage de la seconde langue savante se fasse alors par référence à la première, mieux connue. Le grec dans les Calepin permet aux élèves, en ouvrant leur dictionnaire latin, de retrouver régulièrement leur vocabulaire grec et sans doute de mieux maîtriser le parallèle des langues.

On voit ici que les équivalents vernaculaires vont fonctionner du point de vue matériel sur le modèle des équivalents grecs : il n’est pas très difficile d’introduire un nouveau décalque, une nouvelle synonymie, une nouvelle périphrase, toujours sans autre indication grammaticale, dans toute langue vernaculaire que l’on veut. Il n’est pas très difficile non plus d’en ajouter quasi indéfiniment : cela peut se faire sans toucher le moins du monde à l’article latin, et ne mobilise en fait que la compétence vernaculaire d’un lettré dans chaque langue – ou, mieux encore, la compétence d’un dictionnaire bilingue déjà existant… puisque les temps ne sont plus aux grands dictionnaires monolingues savants27 mais à l’introduction des vernaculaires pour aider l’apprentissage du latin. C’est sans doute cette nécessité qui « invente » le procédé d’ajouter des équivalents vernaculaires à partir du modèle grec dans les éditions du Calepin, procédé dont la facilité explique l’enchérissement du nombre des vernaculaires et la concurrence à laquelle vont se livrer les imprimeurs.

Ces éléments aident à mieux comprendre le travail de Gilles Coppens en 1545 : la base de son dictionnaire est un Calepin de Gryphe, reconnaissable à quelques éléments caractéristiques, dont l’ordre entièrement alphabétique des entrées, le doublage quasi systématique des lemmes latins par l’équivalent grec, et bien sûr le contenu des articles, similaire même s’il est souvent abrégé. Le plus souvent, mais pas toujours comme nous l’avons signalé plus haut pour l’ensemble des éditions du XVIe siècle, l’éditeur anversois a donc ajouté les équivalents vernaculaires dans l’ordre allemand flamand français. Je ne peux juger des sources et de la validité des traductions allemande et flamande, mais pour ce qui est des traductions françaises, il est visible que le support en est le français du Dictionarium latino gallicum de Robert Estienne, beaucoup d’équivalents étant exactement identiques, comme la définition d’architectus par « maistre masson ou charpentier ». D’autres traductions toutefois peuvent être originales, ce dont il est difficile de juger lorsqu’elles se limitent à un seul mot : la traduction par exemple de disco par « apprendre » et doceo par « enseigner » peut venir d’Estienne comme de quiconque sait un peu de latin et un peu de français… Le choix des langues ajoutées est justifié dans la préface au motif qu’elles sont celles « qu’utilise une bonne partie du monde chrétien »28, mais il s’explique sans doute aussi par la situation particulière de multilinguisme aux Pays-Bas et par la volonté de fournir à un public scolaire varié la possibilité d’user du même dictionnaire latin quelle que soit la langue maternelle de l’élève. L’imprimeur (ou celui qui l’a inspiré) a trouvé là une idée commode pour être utile dans des classes linguistiquement hétérogènes mais où tous les élèves apprennent le même latin. Presque vingt ans plus tard, le besoin spécifique aux Pays-Bas de dictionnaires scolaires comportant du latin et les vernaculaires locaux se fait toujours sentir. En 1562, Christophe Plantin imprime à Anvers chez Jan Steels un dictionnaire intitulé Tetraglotton, dictionnaire de latin pour commençants, c’est-à-dire comprenant le lemme latin, un appareillage grammatical et prosodique assez complet, le nom des auteurs ayant utilisé le lemme mais sans exemplification, la traduction française et flamande, et moins systématiquement l’équivalent grec. Dans sa préface, Plantin explique avoir été sollicité par quelques professeurs, après avoir donné un dictionnaire plus avancé, « pour fournir la même chose aux études de Grammaire et aux rudiments de la Langue latin ». Il a ajouté les deux langues modernes

pour que la jeunesse de toute la Gaule Belgique ait dans sa langue vernaculaire un [seul] dictionnaire commun29.

Ce dictionnaire, par contraste, donne donc du Calepin antérieur l’image d’un ouvrage scolaire de niveau plus avancé, et le complète en répondant à la même nécessité d’un enseignement du latin aidé par un outil commun bilingue dans les deux vernaculaires de la jeunesse locale.

Une formule à succès

Mais lorsque cette idée somme toute excellente et pratique est reprise et devient un succès de librairie vingt ans après le Calepin de Coppens, il est évident qu’elle ne vient plus au secours des mêmes réalités scolaires propres au contexte des Pays-Bas, même si elle reste une bonne idée commerciale.

En effet, les premiers libraires qui reprennent l’idée de l’anversois et introduisent deux vernaculaires dans un Calepin y ont été sans doute amenés par la diffusion même de leurs produits. Les liens de certains imprimeurs lyonnais avec l’Espagne, pour Thibaud Payen, et avec l’Italie, pour les héritiers de Gryphe et de G. Giunta30, expliquent que c’est à Lyon, sur les presses de Payen mais aussi pour ces deux autres libraires, que paraît pour la première fois en 1559 une édition équipée de deux langues modernes, l’italien et l’espagnol. Les raisons intellectuelles du choix de ces deux langues ne sont pas fermement dessinées, si on s’arrête à l’avertissement de Payen, et définissent surtout un marché :

Enfin nous avons ajouté à chaque mot une explication en Italien et en Espagnol, tant pour comprendre le caractère propre de ces deux langues modernes, que pour le profit des nations Espagnole et Italienne, pour qu’elles puissent percevoir par un commerce facile la force et la propriété de l’idiome Latin…31

Cette édition est actuellement plutôt rare, mais la suite laisse supposer qu’elle a dû se vendre assez bien pour que le même Thibaud Payen, cette fois pour lui-même et pour Antoine Gryphe, revienne au procédé en 1565 en y ajoutant des traductions françaises, sans doute parce qu’un dictionnaire latin équipé de français se vend mieux en France qu’un dictionnaire latin seulement équipé d’espagnol et d’italien. À partir de cette date, il suffit de regarder la chronologie des impressions pour comprendre que s’instaure sur cet objet commercial, et jusqu’à la fin du siècle, une furieuse compétition éditoriale entre Bâle et Lyon où chacun, alternativement, enchérit sur l’autre en ajoutant un vernaculaire pour distinguer son livre32. À l’édition pentaglotte lyonnaise de 1565 succède une hexaglotte à Bâle en 1568, à laquelle succède une heptaglotte à Lyon en 1570, à laquelle succède une octolingue à Bâle en 1584, à laquelle succède une édition à dix langues en 1585 à Lyon, à laquelle succède une édition à onze langues en 1590 à Bâle, épuisant les capacités du français à former des adjectifs…

Durant cette période, la concurrence commerciale joue essentiellement entre ces deux centres d’impression : en effet toutes les éditions italiennes jusqu’à 1600 restent pentaglottes (latin grec italien français espagnol), et ne seront atteintes par le mouvement de multiplication des langues qu’au début du XVIIe siècle, d’ailleurs avec une relative modération: après une «pointe» à dix langues (Venise, Giovanni Guerigli, 1612 et 1613), toutes les éditions italiennes jusqu’en 1778 seront heptaglottes (latin grec hébreu italien français espagnol allemand). Ces constatations laissent supposer que le marché du livre italien est suffisamment autonome pour se passer longtemps des nouveautés de la concurrence, tandis que celui de Bâle et de Lyon est partagé entre les deux villes. Visiblement le Calepin est un produit qui « marche » et se vend bien, comme en attestent les multiples rééditions intermédiaires entre les nouveautés, à Bâle et Lyon, mais aussi à Paris et Genève…

L’examen des contenus du livre dans les filières d’impression confirme l’idée qu’il s’agit bien d’un « produit » ou objet commercial : en effet la partie latine autant que les équivalents vernaculaires se figent assez vite dans une grande immobilité. Pour les vernaculaires, la méthode qui consiste à utiliser des traductions issues de dictionnaires antérieurs semble généralisée dans les éditions lyonnaises : la même traduction d’Estienne de architectus par « maistre masson ou charpentier » perdure dans toutes les éditions de 1565 à 1681, où elle est enfin enrichie de « maistre ouvrier, maistre charpentier ou maistre masson, architecte, maistre entrepreneur d’un édifice ». De même, la traduction italienne de coenobium par « convento di frate, dove si vive a comune », empruntée dès le dictionnaire de 1559 au Calepin latin italien de Maffeo Pasino de 1550 (« convento di frate, vita commune ») perdure elle aussi jusqu’en 1681 compris. Au-delà des traductions, ce sont souvent les articles latins qui restent intacts, ou à peine retouchés sur des détails, par l’ajout ou le retrait de certains exemples, et souvent par le perfectionnement de leur référence. La première édition qui revoit réellement le latin de manière un peu plus approfondie est celle d’Anisson et Posuel en 1681, mais cette révision n’est pas une refonte complète : beaucoup d’articles sont complétés ou enrichis, mais leur structure de base reste celle des Calepin précédents, ce qui revient à dire en dernier recours du Thesaurus linguæ latinæ d’Estienne de 1543 ou des Calepin de Gryphe de 1550 et 1553. Certains lemmes traversent le temps en l’état : l’article coenobium tout entier est par exemple répété à l’identique pendant plus de cent ans.

Un trompe l’œil ?

On peut alors se demander quel est le public réel visé par ces dictionnaires, quelle utilisation en est faite, et surtout quelle est la portée réelle de la polyglossie. La forme d’universalité qu’elle représente pourrait faire croire que ces livres ont été utilisés comme manuels dans la structure scolaire la plus largement européenne de cette période, c’est-à-dire les collèges jésuites. Or, on sait que les Pères aiment à travailler plutôt avec des outils « maison »: jusqu’au milieu du XVIIe siècle, ils produisent eux-mêmes en France un nombre suffisant de dictionnaires bilingues français latin ou trilingues latin grec français pour couvrir les besoins de leurs classes33. Le Calepin polyglotte ne « devient jésuite » qu’en 1681, lorsque divers imprimeurs lyonnais donnent l’édition révisée par les Pères Chiff let et La Cerda, appropriation ad maiorem Dei gloriam qui n’est sans doute pas étrangère à l’extrême diffusion de cette édition en France et dans toute l’aire catholique européenne, Espagne, Portugal, Italie. On pourrait alors penser que les Calepin polyglottes visaient un autre marché, celui, hors institutions et hors frontières, des adultes lettrés, juristes ou prêtres par exemple, se trouvant confrontés à la nécessité « professionnelle » de lire ou d’écrire du latin. Mais si ce marché a existé, comme le montrent les liminaires d’autres dictionnaires bilingues qui fleurissent dans toute la période, il ne justifie pas à lui seul l’engouement éditorial sur les Calepin : celui-ci ne peut être que soutenu ou porté par l’univers scolaire, pour lequel, on l’a vu, le dictionnaire est fait.

Il reste toutefois qu’on imagine mal dans les classes des collèges en France et en Allemagne un cosmopolitisme tel qu’il justifie la présence conjointe du flamand, de l’anglais, de l’espagnol, de l’italien, du hongrois et du polonais aux côtés des deux langues nationales pour l’enseignement du latin, alors que les classes italiennes n’en auraient pas besoin. Le traitement du français dans les éditions françaises laisse d’ailleurs penser que cette polyglossie n’est pas parfaitement équitable : sans parler, comme certaines préfaces, de devoir à rendre «à notre France, à qui nous devons aussi la vie »34, on peut constater que, quand les équivalents vernaculaires ne sont pas au complet, ce n’est jamais la traduction française qui fait défaut dans les éditions françaises. Cet effet de préférence nationale, compréhensible aussi évidemment pour des raisons toujours pratiques et commerciales, est particulièrement visible dans la refonte jésuite de 1681. Par exemple pour l’article Apua, poisson que Robert Estienne dans son Dictionarium latino gallicum disait être « du merlan », tous les dictionnaires depuis celui d’Anvers de 1545 se contentent d’une courte définition en latin, sans traduction, accompagnée d’un renvoi au livre 31, chapitre 8 de l’Histoire naturelle de Pline. La révision de 1681 est beaucoup plus diserte qui, après la référence habituelle à Pline, détaille toutes les variétés supposées de ce poisson : la première « quae vulgo Anchoïe », est accompagnée d’une recette en latin pour le confire avec de l’huile, du vin et du vinaigre. Se succèdent ensuite d’autres acceptions,

alia Apua quae (…) vulgo loche, (…) est et apua phalerica (…) vulgò nadelle, vel melete, Rothomagi crudo, (…) denique pisciculus qui vulgo Celerin.

L’article ne comporte de traduction dans aucune autre langue vernaculaire que le français : ce dictionnaire n’est pas fait pour apprendre systématiquement du vocabulaire étranger via le latin, mais, malgré l’apparente polyglossie, il est surtout destiné à apprendre du latin et du français à des francophones.

Cette analyse, je l’espère, me justifiera d’avoir employé pour les Calepin polyglottes l’expression de produit ou objet commercial. Je pense que c’est bien de cela qu’il s’agit : les imprimeurs accompagnent et utilisent le goût pour les langues étrangères, qui se diffuse tout au long du XVIe siècle par l’ouverture des études, la circulation des hommes, du commerce et des armées, pour créer un dictionnaire scolaire qui n’a pas forcément l’air de ce qu’il est. En effet, l’ingénieuse trouvaille de la polyglossie, qui donne son brillant au livre et au lecteur le sentiment de son universalité, masque avec bonheur le fait que ces Calepin sont des dictionnaires essentiellement latins, d’un grand conservatisme et de peu de créativité, et que le vernaculaire y vient comme une béquille d’apprentissage de plus en plus nécessaire à l’immense majorité des élèves, qui désormais finissent toujours par en venir à la traduction pour construire ou assurer la compréhension.

PERSPECTIVES ET POINTS DE FUITE

En manière de conclusion, je voudrais revenir sur deux points à propos des deux filières de polyglossie dans le courant du siècle. La plus directement utile pour apprendre les langues étrangères est sans doute celle des petits lexiques et colloquia dont la priorité est les vernaculaires, mais qui, du moment où se développent les Calepin polyglottes, vont souffrir d’une forme de concurrence, accentuée par leur « défaut de scientificité » par rapport aux dictionnaires scolaires. On voit naître alors des stratégies publicitaires appliquées à ces lexiques pour combler en partie ce défaut, dans des préfaces en latin de plus en plus pompeuses, pleines de réminiscences scolaires et virgiliennes comme l’invocation aux jeunes gens de l’édition des Colloquia sex linguarum de 158335, quelquefois en hexamètres comme dans les Colloquia septem linguarum de 1586 et leurs reprises. On voit naître aussi l’idée que cet apprentissage des langues peut toucher désormais un public d’âge peut-être immédiatement « post-scolaire », jeunes gens prêts à entrer dans la vie adulte et à embrasser toujours les mêmes métiers du commerce, des armes, de la cour, mais échaudés par les guerres et par les dangers des voyages… Le rapprochement avec l’autre branche se manifeste aussi dans la répétition de l’idée « savante », et nouvelle dans ce domaine, que le livre peut éviter les labeurs de longs voyages à l’étranger pour apprendre les langues, même s’il peut aussi accompagner le voyageur qui tient vraiment à sa dangereuse idée36.

On voit donc le souci publicitaire de ces « petits livres » de se montrer, au moins dans les apparences et les déclarations liminaires, à la hauteur des « grands ». Mais j’ai été frappée par un autre point commun entre les préfaces des Calepin et celles des lexiques pratiques, qui marque l’état du rapport des langues, vernaculaires et savantes en cette seconde moitié de XVIe siècle. En effet, de la même manière que les lexiques vernaculaires évoquent la connaissance de la langue étrangère, et la nécessité du dictionnaire, comme un moyen d’ouvrir les portes de pays plus ou moins lointains et inconnus, de même la préface du Calepin de 1581 justifie l’existence du dictionnaire par l’avantage qu’avaient les Romains, et que n’ont pas les Modernes, d’avoir le latin comme langue naturelle. Les Anciens avaient donc la vie bien plus facile, « car ils n’avaient pas à peiner sur les mots », à la différence de tous les apprentis latinistes du XVIe siècle qui regardent l’Antiquité de si loin. Le dictionnaire de latin devient alors

un interprète pour nous qui voyageons en terre étrangère, interprète qui explique le nom des choses à ceux qui restent embarrassés37.

Le rapprochement des termes entre les préfaces (peregina regione dans la préface de ce Calepin de 1581, peregrinis linguis dans la préface des Colloquia de 1586), la similaire métaphore du voyage en pays inconnu me paraissent assez suggestifs : en cette fin de siècle, le latin est une langue étrangère, qu’on apprend, comme d’autres langues étrangères, avec le secours et en référence à une langue maternelle vernaculaire connue. Au-delà des écarts sur les buts et le public visé, sur les moyens pédagogiques, ces deux filières de lexiques nous disent en fin de compte la même chose : que le temps est venus, du triomphe des langues vernaculaires, désormais assurées, quelles que soient les résistances de certains doctes, de leur capacité à rivaliser avec les langues anciennes, puisque c’est désormais par les langues maternelles que passe la compréhension des langues savantes, définitivement devenues langues de culture.

ANNEXE 1

LISTE DES LEXIQUES PLURILINGUES PRATIQUES CITÉS ET/OU CONSULTÉS

1510, Roma, G. Mazzochi : Introductio quaedam utilissima, sive vocabularius quattuor linguarum, latinae, italicae, gallicae et alamanicae, per mundum versari cupientibus summe utilis [première édition comportant du latin].

1534, Antwerpen, Jan Steels: Quinque linguarum latinae, teutonicae, gallicae, hispanicae, italicae dilucidissimus dictionarius, mirumque utilis, ne dicam necessarius, omnibus linguarum studiosis [première édition anversoise pentaglotte].

1540, Antwerpen, Joannis Crinito : Septem linguarum latinae, teutonicae, gallicae, hispanicae, italicae, anglicae, almanicae dilucidissimus dictionarius, mirumque utilis, ne dicam necessarius, omnibus linguarum studiosis [première édition anversoise heptaglotte].

1542, Lyon, Jacques Moderne : Francesco Garone, Quinque linguarum utilissimus vocabulista, Latine, Tusche, Gallice, Hispane et Alemanice.

1556, Louvain, Bartholomé de Grave (B. Graevius) : Dictionarium quatuor linguarum, Teutonicæ, Gallicæ, Latinæ et Hispanicæ, eas linguas discere volentibus utilissimum.

1565, Antwerpen, Jean Withaye : Dictionnaire, Colloques ou dialogues en quatre langues, Flamen François Espagnol et italien, (…) tres utile a tous marchands, ou autres de quelque estat qu’ilz soient [même éd. que 1556, où l’italien remplace le latin].

1583, Antwerpen, H. Henricius : Colloquia cum dictionariolo sex linguarum, Teutonicae, Anglicae, Latinae, Gallicae, Hispanicae et Italicae, eas linguas discere volentibus utilissima.

1586, Antwerpen, J. Trognaesius : Colloquia et dictionariolum septem linguarum, Belgicae, Anglicae, Teutonicae, Latinae, Italicae, Hispanicae, Gallicae, liber omnibus linguarum studiosis domi ac foris apprime necessarius.

1589, Liège, H. Hovius : Colloquia et dictionariolum septem linguarum, Belgicae, Anglicae, Teutonicae, Latinae, Italicae, Hispanicae, Gallicae, liber omnibus linguarum studiosis domi ac foris apprime necessarius (reprise à l’identique du précédent).

UN DICTIONNAIRE « SCOLAIRE » INTERMÉDIAIRE

1562, Antwerpen, Jan Steels (Stelsius) pour C. Plantin : Dictionarium Tetraglotton seu voces latinae omnes, et Graecae eis respondentes, cum Gallica et Teutonica, (quam passim Flandricam vocant) earum interpretatione.

PETITE CHRONOLOGIE RELATIVE DES PRINCIPALES ÉDITIONS DE CALEPIN

1502, Reggio nell’Emilia, Donnino ou Dionigio Bertocchi, editio princeps.

1509, Venezia, Peter Lichtenstein, dernière édition italienne parue du vivant de Calepin.

1509, Paris, Josse Bade, première édition parisienne, où le grec est augmenté sur certaines entrées.

1533, Lyon, Sébastien Gryphe, 1re éd. de Gryphe (latin grec), fondée (ou plagiée…) sur le Thesaurus linguæ latinæ de Robert Estienne paru en 1531.

1538, Lyon, Sébastien Gryphe, 2e éd. de Gryphe, fondée sur la nouvelle édition du Thesaurus linguæ latinæ de Robert Estienne parue en 1536.

1544, Lyon, Sébastien Gryphe, 5e éd. de Gryphe, fondée sur la nouvelle édition du Thesaurus linguæ latinæ de Robert Estienne parue en 1543.

1545, Antwerpen, Gilles Coppens de Diest, Ambrosius Calepinus Pentaglottos, 1re éd. polyglotte (latin grec allemand flamand français).

1545-1546, Venezia, Francesco Bindoni et Maffeo Pasini, 1re éd. latin italien.

1546, Antwerpen, Gilles Coppens de Diest : reprise à l’identique de la précédente.

1550, Venezia, Paolo Manuzio et Joannes Gryphe, 1re éd. latin grec italien.

1552, Venezia, A San Luca al Segno del Diamante, 1re éd. dite « traduite » en vernaculaire (en fait dictionnaire de thème italien, comportant les entrées italiennes retournées des entrées latines du Calepin).

1553-1554, Genève, Robert Estienne, éd. du Thesaurus linguæ latinæ d’Estienne remodelée par lui-même sous le nom de Calepin et sur les éditions de Gryphe, pour répondre au plagiat et à la concurrence.

1559, Lyon, Thibaud Payen [ou : pour les héritiers de Gryphe, ou : pour les héritiers de J. Giunta], 1re éd. polyglotte française (latin grec italien espagnol)

1565, Lyon, Thibaud Payen [ou : pour Antoine Gryphe], 1re éd. pentaglotte (latin grec italien espagnol français).

1568, Bâle, Sebastian Henri Petri, 1re éd. polyglotte bâloise (hexaglotte : latin grec italien français espagnol allemand).

1570, Lyon, S. Béraud, Guillaume Roville et Philippe Tinghi, 1re éd. heptaglotte (latin grec hébreu français italien espagnol allemand).

1584, Bâle, S. Henri Petri, première édition octolingue (latin grec hébreu français italien allemand flamand espagnol).

1585, Lyon, Jacques Dupuys, Étienne Michel et B. Honorat : 1re éd. à dix langues (latin grec hébreu français italien allemand espagnol polonais hongrois anglais).

1590, Bâle, S. Henri Petri, 1re éd. à onze langues (latin grec hébreu flamand espagnol français polonais italien hongrois allemand anglais).

1595, Amakusa, Collegium Japonicum, latin portugais japonais.

1681, Lyon, Anisson et Posuel; ou Laurent Arnaud, Pierre Borde, Jean et Pierre Arnaud, éd. octolingue «jésuite» comprenant les annotations des PP. Chiff let et La Cerda. Extrêmement diffusée sous ses deux états.

1708, Padova, Stamperia del Seminario, éd. heptaglotte, première d’une série de onze éditions (jusqu’en 1778) qui sont aussi les dernières des Calepin polyglottes.

ANNEXE 2

TEXTE DU LEMME ARCHITECTUS DANS QUELQUES ÉDITIONS :

Calepin, Dictionarium, Lyon, S. Gryphe, 1544 :

Architectus et architector ( D ) nomina composita exprinceps et Dfaber : principalis faber fabricandi artem habens, uel qui structuris aedificiorum praeest, et qui fabricanda praescribit. Architectus (ut inquit Plato lib. De regno) magno ministerio non utitur sed utentibus praesidet. Fabri autem qui aliquid manu faciunt in aedificiis, alteri iunguntur ingenio, alteri opera ualent. Cicero Varr. Si quis adhibere uolet non modo ut architectos uerum etiam ut fabros ad aedificandam rempublicam, poterimus nos libenter accurere.

Calepin Pentaglottos, Gilles Coppens de Diest, Anvers, 1545 :

Architectus & architector (άϙχιτέϰτων) eyn werck meyster) een werckmeester) maistre masson ou charpentier) nomina composita est ex άϙχός princeps et τέϰτων faber [La suite de l’article est exactement identique à l’édition de Gryphe, sauf la fin de l’exemple de Cicéron :] poterimus et nos accurere.

Calepin, Dictionarium, Lyon, Thibaud Payen pour les héritiers de Gryphe, 1559 :

Architectus [άϙχιτέϰτων Ital. Architetto, soprastante alle fabbriche. Hisp. El maestro de obra para edificar.] Nomen compositum ex άϙχός princeps et τέϰτων faber. [La suite de l’article est exactement identique à l’édition de Gryphe, sauf ajout d’un exemple après celui de Cicéron :] Martialis lib. 5, Si duri puer ingenii videtur, Praeconem facias, vel architectum.

Calepin, Dictionarium, Lyon, Antoine Gryphe, 1565 :

Architectus {άϙχιτέϰτων Ital. Architetto, soprastante alle fabbriche. Gal. Maistre ouvrier, maistre charpentier ou masson. Hisp. El maestro de obra para edificar.} Nomen compositum ex άϙχός princeps et τέϰτων faber. [La suite de l’article est exactement identique à l’édition de 1559].

____________

1 Conrad Gesner, Pandectes, Livre I de grammatica, Titulus IX dictionaria latina, p. 11r°: Ambrosii Calepini Dictionarium a multis saepe locupletatum est, quorum alii nomina sua non adscripsere, ut ille etiam qui Graeca Latinis adiecit ; alii adscripsere, ut Iacobus Montanus, nuper Perusinus quidam : Basiliensis aeditio postrema, anno 1544, a nobis aucta et emendata, & in Latina propria vocabula, distincta est. Audio quendam in Germania inferiori Gallicas etiam et Flandricas voces adiecisse. Montanus est le relecteur d’un Calepin imprimé pour le première fois à Cologne par Johannes Prael en 1534. Ses Castigationes paraissent ensuite dans des éditions parisiennes en 1538 (Kerver et Chevalon) et 1539 (Grault et Regnault). Je ne suis pas parvenue à identifier le Perusinus quidam

2 Sur ces lexiques précisément et leur évolution, voir Alba Rossebastiano Bart, Antichi vocabolari plurilingui d’uso popolare : la tradizione del « Sollenissimo Vocabuolista », Alessandria, Edizioni dell’ Orso, 1984.

3 Cf. pour un exemple A. Jacquetin, « Enseigner la grammaire française à des étudiants étrangers au tournant des XVIe et XVIIe siècles : la Grammatica Gallica de Joannes Serreius », dans Les Outils de la connaissance, enseignement et formation intellectuelle en Europe entre 1453 et 1715, dir. Jean Claude Colbus, Brigitte Hébert, St-Étienne, Publiations de l’Université de Saint-Étienne, 2006, pp. 117-140.

4 Maria Colombo Timelli, « Dictionnaires pour voyageurs, dictionnaires pour marchands ou la polyglossie au quotidien aux XVIe et XVIIe siècles », dans Linguisticae investigationes, XVI, 1992, fasc. 2, pp. 395-420, et A. Rossebastiano Bart, ouvr. cit.

5 Jean Antoine Caravolas, La Didactique des langues, Précis d’histoire, I : 1450-1700, Montréal, Tübingen, Presses de l’Université de Montréal, Gunther Narr Verlag, 1994.

6 Francesco Garone, Quinque linguarum vocabulista, Lyon, J. Moderne, 1542, f° 1r° c.3. Le français reprend la formule du latin (f° 1r° c.1 : « Vtilissimus vocabularius pro his qui desiderant intelligere et scire legere sine visitatione scolarum sicuti sunt mechanici et mulieres (…) multum est utilis pro versari cupientibus per universum mundum ») et de l’italien (f° 1r° c.2 : « Vtilissimo vocabulario, ad imparar a legere per quelli che le desiderassero senza andar a schuola come artigiani e donne (…) il quale e utilissimo per quali che vanno praticando per lo mondo »). L’espagnol (f° 1r° c.4 : « Vtilissimo vocabulario para los que dessean sin yr a escuela (come son officiales et mujeres) a apprender Latino Italiano Frances et Spagnol et Aleman ») et l’allemand (f° 1r° c.5 : «…als wie hantvercksseurh oder weiber auch mag darinne lernen : ein deutzcher latinn wellch und franzois... ») expriment la même idée, mais de manière plus concise, l’allemand en omettant ici l’apprentissage de l’espagnol. Avec tous mes remerciements à M. K. Lhommé pour son aide à la lecture de l’allemand.

7 Dictionarium quatuor linguarum, Teutonicae, Latinae, Gallicae et Hispanicae, eas e inguas discere volentibus utilissimum (…). Vocabulaire en quatre langues, Flamengue, Françoise, Latine et Espaignole, à tous ceulx qui les vouldront apprendre tresvtile (…). Vocabulaer in vier spraken, Duytsch, François, Latijn ende Spaensch, profitelijck allen den ghenen die dese spraken leeren willen (…). Vocabulario de quatro lenguas Flamenco, Frances, Latin y Español, muy provechoso para los que quisieren apprender estas lenguas…, Louvain, Bartholomé de Grave,1556.

8 Dictionarium quatuor linguarum…, Louvain, Bartholomé de Grave, 1556, f° Aijv°, Franc. Villalobus Lectori S. : « Nam si quis mercaturam agat, si quis rem militarem exerceat, si quis in aula versetur, aut si longius iter facere velit, aliquo harum 4. linguarum interprete illi opus fuerit ».

9 En fait, seule la branche issue de Garone s’intitule Vocabulista, Dictionnarium ou Vocabularium (cf. A. Rossebastiano Bart, Antichi vocabolari…) ; l’autre branche, issue du manuel de Berlaimont (cf. M. Colombo Timellli, « Dictionnaires pour voyageurs… ») se présente comme des Colloquia, mettant donc en avant plutôt la conversation. A la fin du siècle, plusieurs ouvrages choisissent d’afficher les deux aspects dans leur titre (Dicionnaire, Colloques…, Anvers, Jean Withaye, 1566 par exemple).

10 Robert Estienne, La Maniere de tourner les Noms, Pronoms, Verbes tant Actifs que passifs, Gerondifs, Supins & participes, Paris, 1546.

11 F. Garone, Vocabulista Quinque Linguarum, Lyon, J. Moderne, 1542, livre I f° 17v°, col. 3, qui répond à : (col. 1) Capitul. 32 de nauibus et galeis : nauis burgus malus funes velum remus anchus timo in fundo in hospitio in domo Alamanorum ; (col. 2) Il 32. Capi. delle naue et gallee : la naue il burchio larbore le corde la vela il remo lancora il timone al fondo al fondaco in casa de todeschi ; (col. 4) il 32. Cap. dellas naues et galeas : naue burcho arbore cuerdas vela remo ancora tymon al fondon en alfondigo en casa de los tudescos ; (col. 5) Das xxxii cap. von schiffen und galleen : der schiff burg der sygelbaumm diese yler der sigel das ruder der anker das laythbier am bodem in legerhausz in dem deutsch hausz.

12 Par exemple, le Dictionnaire, Colloques, ou Dialogues en quatre langues, paru en 1565 à Anvers chez Jean Withaye, et équipé de f lamand, français, espagnol et italien, reprend quasi à l’identique le Dictionarium quatuor linguarum de Bartholomé de Grave de Louvain en 1556, si ce n’est que l’italien remplace le latin dans la seconde version de ce quadrilingue.

13 F. Garone, Vocabulista Quinque linguarum, Lyon, J. Moderne, 1542, livre I, f° 13v°.

14 F. Garone, Vocabulista Quinque linguarum, Lyon, J. Moderne, 1542, livre I, respectivement ch. 32 (f° 17v°), 20 (f° 13r°) et 33 (f° 18r°).

15 F. Garone, Vocabulista Quinque linguarum, Lyon, J. Moderne, 1542, livre II, f° 24v°, col. 3 répondant à (col. 1) : ego sum certus quod ipsi loquuntur de me et de te, mihi, de me, tu ; (col. 2) : io sono certo che loro parlano di me e di te, a me, da me tu ; (col. 4) : yo soy cierte que esse habla de me et de te [sic], a mi, de mi, tu ; (col. 5) : ich weis es furwar das sye reden von mir und dir, mich, von mir, du.

16 Exactement « porte pour ceux qui désirent apprendre les langues, latine, italienne, française, espagnole et allemande ».

17 Le principe est le même, avec une langue en moins, pour ceux qui sont hexaglottes… Par exemple les Colloquia cum dictionariolo sex linguarum, publiés à Anvers, chez H. Henricius, en 1583 : Flamen, Anglais, Latin, Français, Espagnol, Italien.

18 COLLOQUIAETDICTIO-||NARIOLUMSEPTEMLINGVARVM,BEL-||GICAE, ANGLICAE, TEUTONICAE, LATINAE, || Italicae, Hispanieae, Gallicae. || Liber omnibus linguarum studiosis domi ac foris apprime necessarius ||…, Antverpiae, Apud Ioachim Trognaesium, 1586. Ce lexique est réimprimé exactement à l’identique, à l’exception de la page de titre et des décors typographiques (lettrines et f leurons), en 1589 à Liège, chez H. Hovius. Il est possible que l’impression de 1586 ne soit pas la première heptaglotte, mais je n’ai pu en repérer d’antérieure sous cette forme ; cela dit, les Colloquia cum dictionariolo sex linguarum publiés à Anvers, chez H. Henricius, en 1583 et mentionnés dans la note précédente en sont une première version quasi identique, moins l’allemand, qui comporte aussi le même « petit traité mout propre et trénecessaire… ». Les deux exemplaires de l’heptaglotte que j’ai vus (BM Grenoble pour le 1586, et BnF pour le 1589) ne sont pas paginés, ni même signés, notamment dans les parties qui suivent le lexique. Les remarques de prononciation se situent donc approximativement vers la page [520] et occupent les trente dernières pages de l’ouvrage. La liste des divisions du traité de prononciation est la suivante : « De la prononciation françoise, Brieve introduction pour sçavoir lire le François, Terminaisons pronoms et articles du genre masculin françois, La maniere de former du masculin adjectif son feminin, Terminaisons articles et pronoms du genre feminin, Terminaison des adjectifs communs et servant tant a l’homme comme à la femme, De la prononciation italienne, De la transmutation des letttres italiennes, De la prononciation espaignole, De l’inversion des lettres espaignoles, Della prononciatione tedesca, Terminaisons et articles de la prononciation italienne, Des terminaisons articles et pronoms italiens feminins, Des pronoms terminaisons et articles masculins des dictions espaignoles, Pronoms masculins singuliers espaignols, Terminaisons et articles feminins des dictions espaignoles, Pronoms feminins espaignols, Des diminutifs françois, Diminutifs italiens, Diminutifs espaignols, Diminutivi della lingua f laminga » [ce dernier point rédigé en français malgré le titre].

19 Albert Labarre, Bibliographie du Dictionarium d’Ambrogio Calepino (1502-1779), Baden Baden, Valentin Koerner, 1975. On peut dénombrer d’après Labarre cent éditions polyglottes entre 1545 et 1778 ; j’ai fait ce décompte de manière artisanale à partir de la liste des items, et sur les seules éditions comprenant latin (et éventuellement grec), et au moins deux langues vernaculaires.

20 Pour quelques notions plus précises sur ces questions, voir Martine Furno, « Le mariage de Calepin et du Thesaurus Linguae Latinae, sous l’Olivier de Robert Estienne, à Genève, en 1553 », dans BHR, tome 63, 3, 2001, pp. 511-532 ; « Les dictionnaires de Robert Estienne, sens et finalités d’une œuvre lexicographique », dans Voces, Université de Caen-Ediciones Universidad de Salamanca, vol. 10-11, 1999-2000, (paru en 2001), pp. 11-27 ; « Doctrina vel disciplina : tensions et évolutions des dictionnaires latins humanistes, 1502-1636. » à paraître dans Nugae humanisticae 8, « Les instruments de travail des humanistes », Musée de la Maison d’Érasme, Anderlecht, Bruxelles.

21 Ambrosii Calepini Dictionarium, [Thibaud Payen pour] les héritiers de Sébastien Gryphe, Lyon, 1559 : AMBROSII || CALEPINI || DICTIONARIUM, || HAC POSTREMA OMNIUM || editione non parua uocum Latinarum, ingenti etiam Graecarum, quae || ipsis Latinis vocibus e regione opponuntur, accessione adauctum &|| locupletatum ; atque a vitiis, quibus olim multiplici impressione con-||taminatum fuerat, vindicatum. || Adiecimus eitam Latinis Graecisque vocibus Italicas ac Hispanas interpertatio-||nes. PRAETEREA quae perperam et mendose classicorum autorum || testimonia citabantur, suae integritati restituimus. || Adiuncta sunt postremò Pauli Manutii Aldi F. Additamenta, tum ad intelli-||gendam, tum ad exornandam Linguam Latinam : quaedam etiam || ad Romanarum rerum cognitionem, vtilissima. || [Marque au griffon sans devise] || LVGDVNI, || APVD HAERED. SEBAST. GRYPHII. || [filet] || 1559. L’exemplaire de la BM Lyon Part Dieu porte la marque Gryphe, mais d’autres exemplaires portent la marque apud haeredes Iacobi Iuntae. L’édition de 1565 est cependant de loin la plus répandue : AMBROSII || CALEPINI || DICTIONARIUM, || TANTA TAMQVE MULTA || Verborum, tum Latinorum, tum etiam Graecorum, quae suis Latinis || bellissime respondent, loquendique formularum, accessione || adauctum & locupletatum, vt THESAVRVS Linguae || Latinae, non iniuriâ, dici possit. || ADIVNCTAE SVNT PRAETEREA SINGV-||lis vocibus Latinis Italicæ, Gallicae et Hispanicae, interpretationes, cum sele-||ctiorum Adagiorum, ac nonnullarum Etymologiarum, Oppositorum ||& Metaphorarum additione. || Subiuncta sunt postremò & opportunè Pauli Manutii Aldii F. Additamen-||ta, tum ad intelligendam, tum ad exornandam Linguam Latinam ; quaedam || etiam ad Romanarum rerum cognitionem vtilissima. || [Fleuron] || [Marque virtute duce comite fortuna dans une mandorle] || LVGDVNI, || APUD ANTONIUM GRYPHIUM. || [filet] || M. D. LXV. D’autres exemplaires portent la marque de Thibaud Payen.

22 Cf. infra, Annexe 2, pp. 115-116.

23 Andreas Morguaesius ou André de Mourgues, f loruit 1550-1575, est un personnage pour moi encore mal documenté, qui fréquente le milieu humaniste et médecin lyonnais de cette période.

24 Ambrosii Calepini Dictionarium, Lyon, T. Payen pour A. Gryphe, 1565, préface : cum is de omni re nec disputarit, nec disseruerit, fieri non potuit ut omnibus vocibus rerum, quas haec Vniuersitas suo complexu coercet ac continet, usus fuerit. Hac ergo in re hoc meum est iudicium, ut quae in Cicerone non inuenerimus, ab aliis idoneis autoribus sumere non uereamur.

25 Ambrosii Calepini Dictionarium, Lyon, T. Payen pour A. Gryphe, 1565, préface : tum ad intelligendum suae uulgaris linguae idiotismum, tum ut vocum latinarum vim ac potestatem facili negotio percipere unaquaeque earum possit.

26 Cf. le texte des Pandectes cité note 1. Le nom de Gesner apparaît dans le titre de la réédition de 1546, peut-être à cause des protestations de l’intéressé, peut-être aussi parce que Gesner, rentré à Zurich, commence à jouir dans sa ville et aux alentours d’une notoriété reconnue.

27 Le dernier grand dictionnaire monolingue latin qui paraît en Europe est le Thesaurus linguæ latinæ de Robert Estienne dans sa dernière édition de 1543. Au-delà, tous les monolingues, quels que soient leurs placards publicitaires, sont des reprises aménagées ou franchement des plagiats du Thesaurus linguæ latinæ.

28 Ambr. Calepinus. PENTAGLOTTOS, Anvers, Gilles Coppens de Diest, 1546, préface : …eas linguas omnes quibus bona Christiani orbis pars vtitur.

29 Dictionarium || TETRAGLOTTON || sev || voces latinae omnes, || et graecae eis respondentes, || cum Gallica & Teutonica (quam passim Flan-||dricam vocant) earum interpretation. || Quid autem hîc praestitum sit, ex || praefatione cognosces. || [Marque avec devise Res paruae crescunt concordia] || ANTVERPIAE || In aedibus Joannis Stelsii. || M. D. LXII. || CVM PRIVILEGIO. Préface Christophorus Plantinus Typographus Belgicae Iuuentuti, f° [1r°] : Obsecratus autem postea ab aliquot Ludimagistris, vt idem in Grammaticis studiis et Latinae linguae rudimentis praestarem eorum aequae petitioni obsecutus sum… et f° [1v°] : duabus linguis, Gallica videlicet et Teutonica (quam fere & re & nomine Flandricam fecit usus) interpretandas exhibuimus, vt totius Galliae Belgicae pubes commune habeat vernaculo idiomate Dictionarium.

30 Les liens avec l’Italie sont évidents et connus pour les Gryphe et les Giunta, mais la production de ces imprimeurs liés entre eux fait aussi apparaître de probables liens avec l’Espagne : Thibaud Payen imprime en 1552 une Dialogistica linguae latinae exercitatio de Juan Luis Vives, avec un index qui ne peut guère servir qu’à un public hispanisant (Cum indice Latino Hispanico ab Joanne Ramirez compilato) (Sybille von Gültlingen, Bibliographie des livres imprimés à Lyon au XVIe siècle, Baden Baden, Valentin Kœrner, 2001, VII, p. 53 no 318). De mêmes les héritiers de Giunta impriment en 1558 trois recueils du prédicateur valencien saint Vincent Ferrier, Sermones hyemales, Sermones aestiuales, Sermones de sanctis, qui actuellement ne semblent conservés qu’en Espagne selon Sybille von Gütlingen, (Bibliographie des livres imprimés à Lyon au XVIe siècle, Baden Baden, Valentin Kœrner,1996, IV, pp. 67-8 nos 530, 531, 532) et qui ont dû être destinés prioritairement à ce marché.

31 Ambrosii Calepini Dictionarium, Thibaud Payen pour les héritiers de S. Gryphe, Lyon, 1559 : Theobaldus Paganus Typographus Lectori Linguae Latinae studioso S. D., [page de titre verso] : Postremo Italicas et Hispanicas interpretationes singulis vocibus subiecimus, tum ad intelligendum utriusque vulgaris linguae idiotismum, tum in gratiam Italicae Hispanicae gentis, ut idiomatis Latini uim et proprietatem facili negotio percipere possint.

32 Pour le détail des éditions et des imprimeurs, voir annexe 1, p. 114.

33 Marine Furno « De l’érudit au pédagogue : prosopographie des auteurs de dictionnaires latins XVIe-XVIIIe siècles », dans « Tous vos gens à latin », Le latin, langue savante langue mondaine (XIVe-XVIIe siècle), éd. E. Bury, Genève, Droz, 2005, pp. 147-175 (« THR », 405).

34 Ambrosii Calepini Dictionarium, Lyon, T. Payen pour A. Gryphe, 1565, préface d’André de Morgues : consentaneum certe erat ut Galliae nostrae, cui et animum debemus, hac in re meritam debitamque gratiam referremus.

35 Colloquia cum dictionariolo sex linguarum, Anvers, H. Henricius, 1583, préface : praeclarae indolis iuuenes (…) sciant se virtute, pietate et honestate conscensuros ad Astra. (« Que les jeunes gens d’un excellent naturel sachent qu’ils monteront aux cieux par la vertu, la piété et l’honnêteté », écho évidemment « prosifié » de Virgile, Aen. 9, 641).

36 Le texte de la préface publicitaire en hexamètres des Colloquia septem linguarum édités à Anvers en 1586 chez J. Trognaesius, et très souvent repris ensuite, est suffisamment réussi pour mériter citation partielle mais conséquente :

Vos quibus est animus patrio procul orbe remotas

Ire vias, aliisque moram producere regnis,

Scire per Europae tractus quis sermo, qui usus

Sit vocum, ut patrias vna vertatis ad aedes

Ora peregrinis totidem resonantia linguis,

Dicite : quid tanto iuuat indulgere laboris ?

Fulminat armipotens Mauors, furit undique bellum,

Mille per omnigenos surgunt discrimina calles.

Hic Septemgemina ueni nouus arte magister

Gnarus linguarum SEPTEM. Secludite curas,

Ipse domi per vos peregre discenda docebo (…)

At si fixa manet sententia, uisere gentes

Externas, simul et gestus, moresque decoros

Cum lingua imbibere aut studiis dare tempus honestis,

Me vobis adhibete ducem (…)

Itis in Italiam, vel regna potentis Iberi,

Si petitis fines Angli, nunquamue quietos

Francigenas, Si Germanum Iouis alite nixum

Imperium, Belgasue sitos genialibus arvis :

Vos ego secura ducam regione viarum…

(« Vous qui avez dans l’idée d’aller sur des chemins loin de votre patrie, et de vous attarder dans d’autres royaumes, et de savoir à travers l’étendue de l’Europe quelle langue on parle, quel est l’usage des mots, pour tourner ensuite vers les maisons de vos pères vos bouches résonnant tout ensemble de langues étrangères, dites-moi : à quoi sert de se charger de tant de peines ? Mars porteur d’armes fulmine, de tous côtés la guerre entre en furie, mille dangers s’élèvent sur tous les types de chemins. Me voici, je suis venu, maître d’un nouveau genre, avec mon art aux sept bouches, moi qui sais sept Langues. Écartez les soucis, me voici qui vous enseignerai chez vous ce que vous alliez apprendre par vous-mêmes au loin. (…) Mais si votre idée demeure, d’aller visiter les peuples d’autres pays, en même temps que de vous imprégner des façons, de la langue, et des mœurs convenables, ou de donner du temps à d’honnêtes études, emmenez moi avec vous comme guide. (…) Vous allez en Italie, ou au royaume du puissant Ibère, si vous gagnez les terres de l’Anglais, ou celles jamais tranquilles de la France, ou les foyers Belges en leurs champs natifs, c’est moi qui vous conduirai en sécurité par les routes et les campagnes… »).

37 Ambrosii Calepini Dictionarium, Lyon, [s.n.], 1581 (probablement une reprise de l’édition de Philipe Tinghi de 1578), préface : Res vero, id est ipsas disciplinas, eo saltem faciliores habuerunt, quod in verbis laborandum illis non fuit (…) ita nobis in promptu erit in peregrina regione versantibus interpres, qui haerentibus rerum nomenclaturas explicet.